HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME SEPTIÈME

LIVRE HUITIÈME

 

CHAPITRE II. — SOUVIENS-TOI DE LA SAINT-BARTHÉLEMY !

 

 

Immensité de nos périls en septembre 1792 — Désespoir de Paris ? le peuple tremble pour la liberté du monde. — Projets de fuite agités par' le ministère, combattus par Danton. — Joie sacrilège des royalistes. — Acquittements scandaleux. — La trompette du jugement dernier sonnée en quelque sorte par les ministres eux-mêmes et les Girondins. — Une grande conspiration des prisons dénoncée du haut de l'échafaud. — Tableau des circonstances qui mirent Paris en délire. — Coup d'œil sur l'intérieur des prisons. — Les massacres ne furent point prémédités par la Commune. — Un discours de Robespierre à l'Hôtel de Ville. — 2 septembre ; on apprend que l'ennemi est aux portes de Verdun. — Proclamation de la Commune. — Paris saisi de fureur. — Prudhomme chez Danton. — La Commune félicitée par l'Assemblée. — Harangues véhémentes de Vergniaud, de Danton. — Mesures de salut public. — Spontanéité de la fureur populaire. — Massacre à l'Abbaye. — L'abbé Sicard. — Mademoiselle Cazotte. — Massacre aux Carmes. — Prodigieux élan de patriotisme. — Le Comité de surveillance. — La Commune. — Servan à l'Hôtel de Ville. — Robespierre et Billaud-Varenne le soir du 2 septembre. — Arrestation de madame de Staël. — Commissaires envoyés à l'Abbaye par l'Assemblée. — Manuel à l'Abbaye. — Arrêté signé Sergent et Panis. — Le tribunal présidé par Maillard. — Scènes exécrables. — Les deux Anglais à l'Abbaye. — Compte rendu des commissaires ; indifférence extraordinaire de l'Assemblée. — Enthousiasme militaire ; la Commune obligée de s'opposer au départ des ouvriers pour la frontière. — Alternatives de rage et de pitié. — Ceux qu'on acquitte portés en triomphe par les égorgeurs. — Meurtre de la princesse de Lamballe. — Le Temple menacé ; un ruban tricolore le protège. — Weber mis en liberté. — Supplice de la belle bouquetière. — Le meurtre ne fut pas salarié. — Dialogue caractéristique entre un prisonnier et un égorgeur. — Jourgniac de Saint-Méard devant Maillard. — Sur le verre de sang qu'on dit avoir été présenté à mademoiselle de Sombreuil ; origine de cette fable atroce. — Rôle de Pétion, de Brissot, de la presse girondine, de Roland, de l'Assemblée, de Robespierre, de Danton. — Serment de haine éternelle à la royauté. — Nouvelle de la reddition de Verdun ; mort héroïque de Beaurepaire. — Monstres produits par le règne du Meurtre. — La Salpêtrière. — Bicêtre. — Circulaire où Marat fait la propagande de l'assassinat ; complicité de Danton dans cette horrible propagande. — Massacre des prisonniers d'Orléans. — Statistique sanglante. — Accouplement de l'héroïsme et de l'assassinat ; ce qui est sorti de cet accouplement abominable. — Combien les journées de septembre ont coûté cher à la France, à la Révolution, à la Liberté. — Critique historique.

 

Ah ! lorsque ce cœur humain, qui contient le ciel et l'enfer, est tout à coup bouleversé dans ses abîmes, et que la tempête se fait dans l'homme, qui peut prévoir ce qu'il en sortira d'effroyable ou de sublime ? qui peut marquer la limite où s'arrêtera le déchaînement des passions humaines, arrivées à leur plus haut degré d'intensité ? Suffisamment intense, la glace brûlerait, a dit Milton.

2 septembre 1792 ! quels événements lui assignèrent une place dans nos annales, à cette date horrible ? et d'où vient qu'aujourd'hui encore, à tant de superstitieux esprits, dans l'obscurité des nuits sans sommeil, la Révolution apparaît, comme la nonne sanglante de la légende, tenant un poignard à la main, et portant une immense tache rouge à la place du cœur ? Ne passons pas rapidement sur ce qui précéda : ce qui suivit serait incompréhensible !

Au mois de septembre 1792, la France se trouva dans une crise qu'aucun peuple ne connut jamais. Non, jamais nation ne se sentit mourir avec une plus prodigieuse résolution de vivre.

Dumouriez, on l'a vu, était parti du camp de Maulde, pour se rendre à Sedan, où l'appelaient tous les périls. Il trouva, en arrivant, la situation désespérée. Vingt-trois mille hommes de troupes désorganisées, voilà tout ce qu'il avait à opposer à plus de quatre-vingt mille soldats aguerris, que menaient au combat un monarque puissant et deux grands capitaines. La cavalerie de l'ennemi était quatre fois plus nombreuse que la nôtre. Luckner, avec à peu près vingt-cinq mille hommes, couvrait Metz, qu'on avait négligé de mettre en état de défense ; il n'y avait donc à attendre aucun secours de ce côté. Et cependant, ce qu'il fallait défendre à tout prix, défendre sous peine de livrer Paris à l'épée, c'était la vaste étendue des plaines de la Champagne, c'était tout le pays ouvert qui s'étend entre la Marne et la Seine. La ville de Sedan, à la première attaque, devait inévitablement succomber ; Mézières n'était pas capable d'une plus longue résistance ; Verdun n'avait d'autre sûr rempart que l'héroïsme du commandant Beaurepaire, et la récente reddition de Longwy remplissait les esprits de noirs présages[1].

Encore si la petite armée chargée de l'œuvre de salut avait été forte de son union ! Mais loin de là. Déchirée par les factions, elle flottait entre mille pensées contraires. Les soldats regardaient les officiers comme des traîtres, et se tenaient prêts à désobéir ; les officiers craignaient les soldats, et n'osaient rien ordonner. Les tendances contre-révolutionnaires des membres du département et des districts ajoutaient à ce désordre immense. Les commissaires de l'Assemblée avaient, par leur départ précipité, augmenté la confusion et l'alarme, à ce point que, d'après le témoignage formel de Dumouriez, si le duc de Brunswick eût poussé seulement un corps de dix mille hommes sur Sedan, l'armée se serait dispersée dans les places ou aurait fui jusqu'à Paris[2].

Il est vrai qu'en ce temps-là même, la Révolution levait, sur toute la surface de la France, ses formidables recrues ; il est vrai que les volontaires de 92 allaient faire leur apparition dans l'histoire ; il est vrai que l'enthousiasme de la liberté transformait en soldats des enfants et des femmes. Dumouriez raconte avec attendrissement qu'au camp de Maulde, deux jeunes filles, l'une âgée de vingt-deux ans, l'autre de dix-sept, petites, délicates, bien élevées et modestes, suivaient les détachements français lorsqu'ils allaient au combat. Elles étaient très-braves, avaient autant de pudeur et de vertu que de courage, et les soldats les entouraient d'une amitié pleine de respect[3]. Mais ce que les enrôlements volontaires enfanteraient de prodiges, on ne pouvait le savoir encore, et l'on n'attendait du coté de Paris que des bataillons levés à la hâte, sans officiers, sans discipline, mal armés, ne sachant pas tirer un coup de fusil[4].

Dans le camp ennemi, quelle différence ! Tout y respirait la certitude du triomphe. A l'exception du duc de Brunswick, dont de secrètes répugnances glaçaient l'ardeur[5], les chefs de l'armée d'invasion se posaient déjà comme les exécuteurs prédestinés, inévitables, des vengeances de l'ancien monde. Lorsque le roi de Prusse, rejoignant à Trèves ses soldats, avait établi son quartier général au couvent des Chartreux, on avait remarqué[6] avec quel orgueil il promena ses regards sur les nombreux combattants, l'artillerie redoutable et l'imposante cavalerie qui devaient faire justice des idées nouvelles. Cet orgueil menaçant, tout avait, depuis lors, concouru à le justifier. Après la reddition de Longwy, couronnée par la nouvelle de la fuite de Lafayette, la désorganisation complète des armées françaises ne fit plus l'objet d'un doute dans l'esprit des alliés, et le succès de l'invasion parut infaillible[7].

Tel était l'état des choses, quand Dumouriez vint, à Sedan, se montrer aux troupes. Prévenues de longue main contre lui, elles l'accueillirent fort mal. Il fut surtout frappé de l'air morne des cavaliers. Comme il passait devant une compagnie de grenadiers, il en entendit un qui disait : C'est ce b....e-là qui a fait déclarer la guerre. Lui s'arrête à ce mot, et d'un ton impérieux : Y a-t-il quelqu'un, s'écrie-t-il, assez lâche pour en être fâché ? croyez-vous gagner la liberté sans vous battre ? Cette vive réplique fit bon effet[8].

Le même jour, on apprit au camp que le roi de Prusse marchait sur Verdun.

Dumouriez assemble aussitôt un conseil de guerre. L'imminence du péril apparaissait à tous sous des couleurs si effrayantes, que le lieutenant général Dillon opina sans hésiter pour qu'on mît la Marne devant soi et qu'on gagnât Châlons avant l'ennemi. Cet avis, appuyé sur l'absolue nécessité de songer d'abord au salut de la capitale, dont l'ennemi n'allait bientôt plus être séparé que par quarante lieues.... fut unanimement adopté par le conseil. Seul, Dumouriez s'abstint. J'y réfléchirai, dit-il. Il congédia les officiers, et ne retint auprès de lui que le lieutenant-colonel Thouvenot, dont son génie avait deviné le génie. Alors, lui montrant sur la carte la forêt de l'Argonne, lisière de bois qui s'étend depuis environ une lieue de Sedan jusqu'à une forte lieue au delà de Sainte-Menehould, il prononça cette parole prophétique : Voilà les Thermopyles de la France[9].

Les Thermopyles ! ce mot de Dumouriez montre assez combien la France, en ce moment, était près de la mort !

Paris, la sentait venir, avec un inexprimable mélange de terreur frémissante, de désespoir furieux, et d'audace on pourrait dire titanienne. Périr sous le fer du vainqueur, après avoir subi ses insolences, après avoir, peut-être, vu tomber autour de soi sa femme et ses enfants, c'est affreux, n'est-ce pas ? Eh bien, ce n'était pourtant point là ce qui dominait, dans l'épouvante de Paris. La liberté paraissait à la veille d'entrer dans son agonie, et c'est ce qui faisait verser des pleurs de rage, c'est ce qui donnait de convulsives frayeurs à ceux qu'elle avait nourris de son lait sanglant. Quoi ! il allait s'éteindre sous les pieds des chevaux prussiens, ce foyer des idées nouvelles qui déjà rayonnait si puissamment, sur le monde ! quoi ! l'œuvre de tant d'intelligences en travail, l'objet de tant d'anxiétés sublimes, le fruit de tant de sacrifices, le prix de tant de combats, tout cela on allait le perdre, et qui sait ? le perdre à jamais ! Si on l'enlevait au genre humain, cette incomparable occasion de s'affranchir, la retrouverait-il ? Ô Dieu ! la Révolution française, réduite à n'être plus, pour la France, qu'une matière à expiations, et, pour le monde entier, qu'une moquerie d'en haut, que la plus fameuse des aventures stériles, qu'un avortement dans la nuit de l'histoire ! 

Ainsi pensait le peuple, et il disait : Me voici, je suis préparé à tout !

Ainsi pensait Danton, et il disait : Osons tout !

Ainsi pensaient les Girondins ; mais, plus timides, ils disaient : Portons dans le Midi la statue de la liberté[10].

Un jour, au plus fort de cette grande crise, Roland, Servan, Clavière, Lebrun et Danton se rassemblent chez le ministre des affaires étrangères. Pétion et Fabre d'Églantine s'y trouvaient. Une espèce de conseil est tenu au bout du jardin. Le premier, Roland prit la parole : Les nouvelles sont très-alarmantes, dit-il, il faut partir. — Et où comptez-vous aller ? demande brusquement Danton. — A Blois. Et il faut que nous emmenions avec nous le trésor et le roi. Clavière, Servan, appuyèrent la proposition. Kersaint, qui arrivait de Sedan, avait été admis dans cette conférence : Oui, dit-il, il faut absolument partir ; car, il est aussi impossible que dans quinze jours Brunswick ne soit pas à Paris, qu'il l'est que le coin n'entre pas dans la bûche quand on frappe dessus. Danton parla de nouveau contre le projet de départ, et avec tant de force, que l'on convint de ne prendre aucune détermination avant d'avoir reçu des détails plus positifs[11].

Le bruit de ce qui venait de se passer circula bientôt dans tout Paris ; on sut, ainsi que Vergniaud l'avoua plus tard, qu'au Comité girondin des Vingt-et-un, on était très-alarmé[12]. Ce mot de Danton à Roland : Garde-toi de parler de fuite, et crains que le peuple ne t'écoute[13], vola de bouche en bouche : l'émotion publique devint immense.

Et comme pour faire tourner cette émotion à la rage, la trahison semblait avoir levé son masque. Déjà, le compas à la main, les royalistes mesuraient sur la carte la distance qui sépare Verdun de Paris[14] ; déjà leurs femmes se -préparaient à agiter leurs mouchoirs blancs — qu'on se rappelle 1815 ! — sur le passage des profanateurs de Paris. Que les conspirateurs pour le compte du trône et de l'autel fussent enregistrés, soldés, divisés par brigades, et soumis à la direction d'un comité central, nul n'en pouvait douter, depuis que le procès de Collot d'Angremont était venu jeter sur toutes ces trames une lumière sinistre[15]. Et contre les perfidies soupçonnées, que dis-je ? contre les perfidies connues, quel refuge ? Les tribunaux paraissaient de connivence avec les accusés conduits devant eux. La haute cour d'Orléans ne jugeait pas, et le Patriote français, de Brissot, fit remarquer avec emportement qu'au lieu d'être l'effroi des conspirateurs, elle en était devenue la sauvegarde. Il n'était pas jusqu'à ce tribunal criminel du 17 août, un moment si sévère, qui ne se fût mis tout à coup à déployer une indulgence évidemment systématique. Le 30 août, Montmorin, gouverneur de Fontainebleau[16], avait été acquitté par un arrêt dont les considérants étaient ceux-ci : Attendu que Louis-Victor-Hippolyte-Luce Montmorin est convaincu d'avoir coopéré au complot qui a amené les crimes commis dans la journée du 10 août ; qu'il est convaincu d'avoir écrit de sa main un projet de conspiration, lequel a été trouvé dans ses papiers, mais qu'il n'est pas convaincu de l'avoir fait méchamment et à dessein de nuire...[17] C'était la seconde fois qu'on jetait au peuple l'insulte de ces conclusions moqueuses. L'indignation fut extrême. Au moment où l'arrêt fut prononcé, une voix cria : Vous l'acquittez aujourd'hui, et dans quinze jours il nous fera égorger. Et tous de réclamer, au milieu d'un violent tumulte, la révision par un autre jury. Le président Osselin parvint à ramener le calme, en invoquant la majesté de la loi, mais non sans se charger de reconduire lui-même Montmorin en prison. Il fallut, aussi, chose singulière, emprisonner l'accusateur public, complice imprudent de ceux que sa mission était de poursuivre[18].

Ces scandales judiciaires, ô fatalité vraiment inconcevable ! Marat se trouvait les avoir prédits, quelques jours auparavant, de sorte que, pour les esprits à la fois faibles et cruels, ils semblaient donner raison à son apostolat sanguinaire. Quelle folie, s'était-il écrié, de leur faire leur procès ! Et il avait conseillé au peuple de se porter en armes à l'Abbaye, d'en arracher les traîtres, particulièrement les Suisses et leurs complices, et de les passer au fil de l'épée[19].

Le 1er septembre, le Moniteur publiait, en ces termes, le PLAN DES FORCES COALISÉES CONTRE LA FRANCE, plan reçu, assurait-il, d'Allemagne, et de main sûre, — et que reproduisaient, les 2 et 3 septembre, les divers journaux parisiens :

Ne point perdre de vue que plus de deux cents chefs, répartis dans divers cantons de la France, ont des points de réunion, et tiennent des signatures nombreuses de personnes prêtes à se joindre aux armées des princes, dès qu'elles se présenteront. — Les armées combinées marcheront sur les places comme pour en faire le siège, mais on ne s'emparera que de celles qui ouvriront leurs portes. — Tandis que le duc de Brunswick contiendra les forces patriotes, le roi de Prusse s'avancera avec son armée, grossie des contre-révolutionnaires de l'intérieur. — Le roi de Prusse marchera sur Paris, qu'on réduira d'abord par la famine. Alors, aucune considération, pas même le danger de la famille royale, ne pourra rien changer à ces dispositions. Les habitants de Paris seront conduits en rase campagne, où on fera le triage. Les révolutionnaires seront suppliciés, les autres — voile jeté sur leur sort — ; peut-être suivra-t-on le système de l'empereur de n'épargner que les femmes et les enfants. — En cas d'inégalité des forces, on mettra le feu aux villes ; CAR — c'est l'expression des rois ligués — DES DÉSERTS SONT PRÉFÉRABLES A DES PEUPLES DE RÉVOLTÉS.

 

Ce n'est pas tout ; une proclamation signée des ministres fut affichée sur les murs de Paris ; on y lisait : Vous avez des traîtres dans votre sein. Ah ! sans eux le combat serait bientôt fini[20]. Le même jour, 1er septembre, un homme condamné aux galères et attaché au carcan avait crié : Vivent les Autrichiens ! vivent nos libérateurs ! vive le roi ! vive la reine ! Ramené devant les juges et condamné à mort, on l'entendit déclarer, du haut de l'échafaud, qu'il serait bientôt vengé ; qu'il y avait une conspiration dans les prisons ; que, la nuit suivante, les prisonniers devaient sortir armés, égorger les sentinelles, incendier Paris[21]. Ce misérable était un charretier de Vaugirard ; il se nommait Jean Julien[22].

Le peuple, que hantaient depuis si longtemps les plus noirs soupçons, le peuple crut à des menaces lancées par un homme qui était sous la hache ; il se rappela les bravades auxquelles de téméraires captifs s'étaient emportés ; il se rappela qu'on fabriquait de faux billets de la Maison de secours dans toutes les prisons, qu'au Châtelet on avait découvert une énorme quantité de faux assignats et les planches pour les fabriquer[23] !

Et maintenant, si on récapitule, en les rassemblant, tous les traits du tableau qui vient d'être tracé : la frontière franchie par l'ennemi ; les généraux chargés de la défendre, traîtres ou déserteurs ; pour couvrir Paris, une armée trop faible, désorganisée, divisée, tombant en poussière ; Longwy livré et les envahisseurs à quelques marches de la capitale ; le gouvernement réduit à ne plus agiter que des projets de fuite ; la trahison partout ; la justice sans glaive ; Marat ; des excitations effroyables ; des proclamations ministérielles d'un vague à donner le frisson ; des journalistes sonnant, pour ainsi dire, dans leurs articles, la trompette du jugement dernier, et l'égorgement de la population tout entière annoncé, affirmé par de sinistres orateurs ayant pour tribune la guillotine. on en comprendra mieux, peut-être, comment Paris finit par tomber dans cette espèce d'ivresse satanique qui allait épouvanter la terre, et qui restera le deuil éternel des cœurs véritablement dignes d'appartenir au culte de la liberté.

Ce qui est certain, c'est que des rumeurs sanguinaires circulaient depuis quelque temps autour des prisons. Et il s'y passait des scènes étranges : Le 27 août, raconte un des prisonniers de l'Abbaye, nous entendîmes le bruit d'un coup de pistolet qu'on tira dans l'intérieur de la prison ; aussitôt on court précipitamment dans les escaliers et les corridors ; on ouvre et on ferme avec vivacité des serrures et des verrous ; on entre dans notre chambre, où un de nos guichetiers, après nous avoir comptés, nous dit d'être tranquilles, que le danger était passé. Voilà tout ce qu'a voulu nous dire sur cet événement ce brusque et taciturne personnage[24]. Cinq jours avant, au moment où les prisonniers allaient se mettre à table, de Chantereine, inspecteur du Garde-meuble de la couronne, s'était frappé de trois coups de couteau, et était mort en disant : Nous sommes tous destinés à être massacrés... Mon Dieu ! je vais à vous[25].

Ainsi, rien qui ne concourût soit à présager, soit à faire présager quelque chose de terrible. Et cela, en dehors de tout calcul de parti, de toute préméditation : car, ce qui n'a pas été remarqué et ce qui prouve combien il est faux que la Commune ait machiné les massacres, c'est que, le 1er septembre, le terme légal de quarante-huit heures se trouvant expiré, elle décréta l'ouverture des barrières et la liberté de circuler sans passeport dans toute l'étendue du département : mesure absolument inconciliable avec le dessein de plonger Paris dans la terreur[26]. Ce jour-là Pétion lui-même occupait le fauteuil, où, à cinq heures du soir, Huguenin le remplaça[27]. Or, vainement chercherait-on dans le compte rendu de la séance un mot, un seul mot de nature à indiquer cette préméditation, dont les calomnies royalistes ont fait tant de bruit.

Robespierre prit la parole ; et pourquoi ? Pour demander :

Que les membres du conseil se retirassent dans les assemblées primaires, de manière à hâter la nomination des électeurs

Que le corps municipal fût converti en administration municipale ;

Que, parmi les membres du conseil, ceux-là seuls fussent chargés de l'administration, qui n'avaient point perdu la confiance publique ;

Qu'on produisît, dès le lendemain, la liste de l'ancien corps municipal, afin de voir quels étaient ceux d'entre eux qu'on pouvait conserver[28].

De ces propositions il résulte évidemment que Robespierre ne trouvait pas tout à fait satisfaisante la composition de la Commune, et que, d'accord en ceci avec l'Assemblée, il y voulait des modifications. On n'en sera pas surpris, si l'on se rappelle que la Commune obéissait à deux influences, révolutionnaires l'une et l'autre, mais l'une dans le sens de la vigilance et de la fermeté, l'autre dans le sens de la fureur.

Quoi qu'il en soit, Robespierre, tout en récapitulant ce que le Conseil général avait fait pour se rendre digne de la confiance publique, mit en relief les manœuvres employées pour la lui ravir, et termina par cette phrase, qui en était la conclusion naturelle : Remettre au peuple le pouvoir que le Conseil général a reçu de lui[29].

Manuel combattit cette motion avec succès, et la Commune se contenta d'ordonner l'impression du discours de Robespierre[30].

Dans le courant de la journée, une sombre nouvelle était parvenue à l'Assemblée nationale : l'ennemi assiégeait Verdun ! Le soleil sanglant du 2 septembre se leva ; c'était un dimanche.

L'ennemi à Verdun !... ce ne fut dans tout Paris, qu'un cri d'élan militaire associé à un cri de rage. La Commune se rassemble, et Manuel se levant aussitôt : Verdun est assiégé. Avant huit jours, cette ville, la seule place forte qui existe entre Paris et l'ennemi, sera forcée de se rendre. Puis il propose que sans délai tous les citoyens se réunissent, qu'ils campent le soir au Champ de Mars et que le lendemain ils courent à Verdun purger le sol français de la présence des ennemis ou périr en défendant la liberté. Cette motion est unanimement adoptée[31]. On arrête ensuite que tous les chevaux pouvant servir aux citoyens qui se rendent à la frontière seront retirés des maisons où ils se trouvent[32], et la proclamation suivante est rédigée :

Citoyens, l'ennemi est aux portes de Paris. Verdun, qui l'arrête, ne peut tenir que huit jours. Les citoyens qui défendent le château ont juré de mourir plutôt que de se rendre. Quand ils vous font un rempart de leurs corps, il est de votre devoir de les défendre. — Citoyens, aujourd'hui même, à l'instant, que tous les amis de la liberté se rangent sous les drapeaux ; allons nous réunir au Champ de Mars ; qu'une armée de soixante mille hommes se forme sans retard, et marchons à l'ennemi, ou pour succomber sous ses coups, ou pour l'exterminer sous les nôtres[33].

La Commune décide ensuite :

Que les sections donneront l'état des hommes prêts à partir ;

Que le comité militaire sera permanent ;

Que le canon d'alarme sera tiré, le tocsin sonné, la générale battue ;

Que deux commissaires iront à l'instant rendre compte de ces mesures à l'Assemblée nationale.

 

Une fièvre sans exemple s'était emparée des esprits. A midi — dans ce moment même la garnison de Verdun capitulait, et l'héroïque Beaurepaire, saisi d'un désespoir sublime, se brûlait la cervelle — le canon d'alarme tonne dans la capitale. Cet appel de guerre, les lamentations du tocsin, le bruit de la générale, font tressaillir tout Paris. Chacun prend ou cherche une épée. — Volons à l'ennemi ! Mais l'ennemi n'est-il qu'à Verdun ? Et ceux qui l'ont appelé, ceux qui nous menacent de sa victoire, ceux dont elle doit assurer les vengeances et rétablir la domination insolente, les laisserons-nous derrière nous, pour qu'ils égorgent, si nous périssons, nos femmes et nos enfants ? Frappons avant de partir... Courons au prisons. — Oui, voilà ce qui se dit dans la ville des nobles pensées, dans la cité des arts, au foyer même des lumières, tant il est vrai que, comme le monde physique, le monde moral a ses épidémies ! Et personne qui réponde d'une voix indignée que l'assassinat n'est point pour servir de prologue au drame du dévouement militaire ! Et le cri déplorable, effroyable, insensé : Courons aux prisons ! retentit, selon des témoignages contemporains qui ne sont que trop décisifs, d'une manière spontanée, unanime, universelle, dans les rues, dans les places publiques, dans tous les rassemblements, dans l'Assemblée nationale elle-même ![34]

Prudhomme raconte qu'au premier bruit du tocsin, il courut, effrayé, chez Danton, qui lui dit : Soyez tranquille, vieil ami de la liberté ; c'est le tocsin de la victoire. — Mais, répondit Prudhomme, on parle d'égorger. — Oui, répliqua le ministre, nous devions tous être égorgés cette nuit. On avait procuré à ces coquins d'aristocrates, qui sont dans les prisons, des armes à feu et des poignards. — Mais enfin, quels moyens veut-on employer pour empêcher l'exécution d'un pareil complot ?Quels moyens ? Le peuple, instruit à temps et irrité, veut faire justice lui-même. Camille entra, et se tournant vers lui : Tiens, lui dit-il, Prudhomme vient me demander ce qu'on va faire. Alors, Camille : Tu ne lui as donc pas dit qu'on ne confondrait pas les innocents avec les coupables, et que tous ceux que leurs sections réclameraient seraient rendus ? Prudhomme s'élevant contre la barbarie d'un tel procédé, Danton ajouta : Toute espèce de mesure modérée est inutile. La colère du peuple est à son comble ; il y aurait du danger à l'arrêter. Sa première fureur assouvie, on pourra lui faire entendre raison. — Mais, fit observer Prudhomme, si le Corps législatif, si les autorités constituées se répandaient dans Paris ?Non, non, s'écria Camille. Le peuple, dans son courroux, pourrait faire des victimes dans la personne de ses plus chers amis. Prudhomme se retira, le cœur oppressé. En passant dans la salle à manger, il aperçut, parmi les convives qui s'y trouvaient réunis, la femme de Camille Desmoulins, celle de Danton, celle de Robert. Il revint chez lui tout pensif[35].

Cependant, les deux commissaires de la Commune ont été introduits à la barre de l'Assemblée. Ils lui annoncent les arrêtés rendus par l'Hôtel de Ville, y compris ceux qui ordonnent de sonner le tocsin et de tirer le canon d'alarme. Ils lisent la proclamation. Vifs applaudissements. Et-aussitôt, prenant la parole, le président de l'Assemblée dit aux députés de la Commune : Les représentants de la nation, prêts à mourir comme vous, rendent justice à votre patriotisme. Ils vous remercient au nom de la France entière[36].

Un instant avant l'arrivée des commissaires, l'Assemblée avait décidé, sur la proposition de Thuriot, que le nombre des membres du conseil général à élire serait porté à deux cent quatre-vingt-huit, mais en maintenant ceux qui, depuis le 10 août, étaient en exercice[37]. Ainsi, devant l'image de la patrie en danger, les deux pouvoirs naguère rivaux venaient de se rapprocher et marchaient de concert.

Vergniaud se leva : C'est aujourd'hui que Paris doit vraiment se montrer dans toute sa grandeur ; je reconnais son courage à la démarche qu'il vient de faire, et maintenant, on peut dire que la patrie est sauvée. Il loua les citoyens de se montrer moins occupés à faire des motions que de repousser l'ennemi ; il parla vivement des moyens employés par les envahisseurs pour répandre des terreurs paniques ; de l'or qu'ils semaient, de leurs émissaires ; il appela Longwy la ville des lâches ; il flétrit d'un éloquent anathème les âmes pusillanimes qui prenaient pour des bataillons armés la poussière soulevée devant une compagnie de houlans ; il s'étonna que les retranchements du camp qui était sous les remparts de Paris ne fussent pas plus avancés. On avait assez chanté la liberté, il fallait la défendre, et ce n'était plus de renverser des rois de bronze qu'il s'agissait ! Il termina en ces termes : Je demande que l'Assemblée, qui dans ce moment-ci est plutôt un grand comité militaire qu'un Corps législatif, envoie à l'instant et chaque jour, douze commissaires au camp, non pour exhorter par de vains discours les citoyens à travailler, mais pour piocher eux-mêmes ; car, il n'est plus temps de discourir ; il faut piocher la fosse de nos ennemis, ou à chaque pas qu'ils font en avant, ils piochent la nôtre[38].

Le vote immédiat de l'Assemblée, au milieu des acclamations des tribunes, répondit à ce discours ; mais, sur le massacre des prisonniers, dont il n'était que trop question, et pour le maudire d'avance, pour le prévenir, pour dégager l'enthousiasme militaire qui emportait la population, de la pensée farouche qui s'y était associée, pas un mot, pas un seul mot, n'était tombé des lèvres du véhément orateur. Il avait dit : Creusons la fosse de nos ennemis ; mais il restait toujours debout le cruel sophisme : Nos ennemis sont devant et derrière nous.

Et, comme s'il eût été écrit que, dans ces heures sombres, la Gironde elle-même fournirait à la violence ses plus forts excitants, Roland fit savoir à l'Assemblée qu'une vaste conspiration venait d'être découverte dans la Vendée, et Lebrun, ministre des affaires étrangères, vint annoncer que vingt mille Russes devaient traverser la Pologne et l'Allemagne, pour nous combattre ; qu'une flotte russe avait paru dans la mer Noire, qui, par les Dardanelles, se dirigeait vers la Méditerranée ; qu'enfin, onze vaisseaux, chargés de munitions, étaient partis d'Archangel pour Copenhague, et devaient gagner Cronstadt[39].

Ces discours enflammés, ces exhortations, ces craintes, ces nouvelles sinistres publiées coup sur coup, mille échos les portaient d'une extrémité de Paris à l'autre ! Le vent soufflait sur l'incendie.

Soudain Danton parait à la tribune, et d'une voix de tonnerre : Tout s'émeut, dit-il, tout s'ébranle, tout brûle de combattre. Vous savez que Verdun n'est pas encore au pouvoir de l'ennemi ; vous savez que la garnison a juré d'immoler le premier qui proposerait, de se rendre. Une partie du peuple va courir aux frontières, une autre va creuser des retranchements, et la troisième, avec des piques, défendra l'intérieur de nos villes. Paris va seconder ces grands efforts. Nous demandons que vous concouriez avec nous à diriger ce mouvement sublime du peuple. Que quiconque refusera de servir de sa personne ou de remettre ses armes soit puni de mort. — Le tocsin qu'on va sonner — il avait sonné déjà — n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France est sauvée[40].

Des applaudissements universels saluent cet appel brûlant, et l'Assemblée rend un décret qui prononce la peine de mort contre ceux qui refuseront, ou de servir personnellement ou de remettre leurs armes, et contre ceux qui, soit directement soit indirectement, refuseraient d'exécuter, ou, de quelque manière que ce soit, entraveraient les ordres donnés, les mesures prises par le pouvoir exécutif[41].

Il était une heure et demie, et c'était à midi qu'avait retenti, avec le premier coup de tocsin, le premier coup du canon d'alarme[42].

On a vu que, le 1er septembre, la Commune avait ordonné l'ouverture des barrières : quand elle apprit que l'Assemblée approuvait les mesures décrétées sur la proposition de Manuel, et même venait de rendre un décret qui en surpassait la rigueur, elle vota sur-le-champ, pour faire exécuter ce décret, l'arrêté qui suit :

Les barrières seront à l'instant fermées ;

Tous les chevaux en état de servir à ceux qui se rendent aux frontières seront saisis ;

Tous les citoyens se tiendront prêts à marcher au premier signal ;

Ceux qui, par leur âge ou leurs infirmités, ne peuvent marcher, déposeront leurs armes à leurs sections, et on armera ceux des citoyens peu fortunés qui se destineront à voler aux frontières[43].

 

Vers deux heures, cet arrêté était crié dans les rues. Aussitôt les barrières se ferment ; un immense drapeau noir flotte sur l'Hôtel de Ville ; tous les chevaux de luxe sont pris et toutes les armes requises pour le combat ; le son des cloches, le retentissement des tambours, la succession de plus en plus rapide des coups de canon, les clameurs des femmes, la vue des volontaires qui partent pour mourir, plongent Paris dans un délire funèbre : Eh bien, s'écrie-t-on partout avec un redoublement de fureur, puisqu'il faut périr, puisque la liberté n'a plus de quartier à attendre, puisque la force écrase la justice, puisque la fin du monde est venu, qu'il ne reste pas derrière nous un seul de nos ennemis vivant pour frapper nos familles et triompher de ce grand désastre. Suivant le témoignage d'un auteur contemporain, la section Poissonnière mit en délibération, elle vota la mort des prisonniers[44] ; il en fut de même de la section du Luxembourg[45], et, quant à beaucoup d'autres sections, il existe de leur participation à ce mouvement frénétique une preuve d'autant plus saisissante qu'on a cherché à la faire disparaître : les feuillets des 2 et 3 septembre qu'on trouve arrachés de leurs registres[46] !

Un semblable mouvement ne se pouvait produire dans Paris, sans arriver jusqu'aux prisons. De très-grand matin, le concierge de l'Abbaye avait fait sortir sa femme et ses enfants[47], ce qui prouverait que les clameurs de la ville lui seraient parvenues, — chose bien naturelle, — et non pas, comme les écrivains royalistes l'ont prétendu, que le massacre avait son comité directeur et son mot d'ordre. De la même manière s'expliquent ces deux faits : d'une part, qu'on avança ce jour-là, l'heure du repas des prisonniers, et d'autre part, qu'on emporta les couteaux[48] ; car, pour que cette double, circonstance accusât la barbarie systématique dont tant d'écrivains se sont complu à construire le hideux roman, il faudrait qu'un ordre identique eût été donné dans toutes les prisons. Or, rien de pareil n'eut lieu[49]. Et ce qui montre bien que les guichetiers ne reçurent d'autres avis que ceux qui leur furent, à divers intervalles, apportés par la rumeur publique, c'est qu'à la Force, le concierge Joinville n'apprit qu'à deux heures[50] la grande menace dont la ville était comme enveloppée, tandis qu'au Châtelet, chose plus remarquable encore, le concierge ne fut informé des massacres qu'à quatre heures[51], c'est-à-dire quand ils étaient déjà commencés. Non, elle n'exista pas, cette préméditation froide, systématique, infernale, qui centuplerait l'horreur d'événements déjà bien assez horribles, non : défaut absolu d'ensemble, soudaineté d'entraînement, alternatives de rage et de pitié, chaos de sentiments contradictoires, tout ce qui exclut l'idée d'une direction quelconque, tout ce qui peut sortir au hasard des profondeurs d'un peuple tombé en démence, voilà ce qui marqua les 2 et 3 septembre, voilà ce que mettra en lumière la suite de ce récit.

Un décret du 19 août avait prononcé la déportation contre tout ecclésiastique qui refuserait le serment. Tous les jours on arrêtait des prêtres insermentés, que l'on conduisait à la Commune, et de là, après les avoir interrogés, soit aux Carmes, soit au couvent de Saint-Firmin, soit à l'Abbaye. Le 2 septembre, vers deux heures et demie, au plus fort du délire populaire, quelques voitures, les uns disent six[52], les autres quatre[53], d'autres trois seulement[54], transportaient à l'Abbaye vingt-quatre prêtres, au nombre desquels l'abbé Sicard. Ces voitures étaient-elles escortées par des hommes qu'on pût croire tirés des bas-fonds de la société pour recevoir et gagner le salaire du crime ? Non : là figuraient plusieurs des combattants du 10 août, les fédérés d'Avignon, ceux de Marseille[55], et, comme le fit plus tard remarquer Desmoulins[56], des soldats de l'armée de Barbaroux. Suivait une grande multitude, qui, à mesure qu'on avançait, grossissait d'une manière effrayante[57]. Des cris de mort étaient poussés. Tout à coup, soit colère, très-concevable mais aveugle, soit accès d'aliénation mentale[58], un des prêtres passe son bras à travers la portière et frappe à la tête d'un coup de canne un des fédérés qui accompagnaient [59] : celui-ci, furieux, tire son sabre, monte sur le marchepied de la voiture, et immole son agresseur[60]. Les fédérés mettent l'épée à la main ; les compagnons de la victime sont égorgés à leur tour ; et, quand on arriva à l'Abbaye, la dernière voiture ne conduisait plus que des cadavres !

C'était dans la première voiture que se trouvait l'abbé Sicard. Au moment où elle atteignait la cour de la prison, que remplissait une foule immense[61], un prêtre croit pouvoir s'échapper, il ouvre la portière, et s'élance au milieu de la multitude : il tombe aussitôt, mortellement frappé. Deux autres, pour avoir fait le même essai, éprouvent le même sort[62]. L'abbé Sicard et deux de ses compagnons, qui n'essayèrent pas de fuir, furent épargnés, et purent se réfugier, quelques instants après, au comité de la section des Quatre-Nations qui siégeait à l'Abbaye. Ainsi, d'un prêtre vint la première provocation, et c'est à une tentative d'évasion que se rapportent les premiers meurtres[63].

Sur les circonstances qui marquèrent le massacre des autres prêtres, les divers récits ne présentent qu'incertitudes et contradictions ; mais ce qui est certain, c'est que, dans l'ivresse d'un patriotisme stupide et barbare, les égorgeurs n'entendaient tuer que des ennemis de la Révolution, et mariaient du moins à leur frénésie sanguinaire le respect des services rendus à l'humanité. Aussi, lorsque, au sein du comité, l'abbé Sicard, poursuivi par des forcenés, allait périr, il ne fallut qu'un mot pour le sauver. Arrêtez ! s'écria un horloger, nommé Monnot, c'est l'instituteur des sourds-muets, c'est le successeur de l'abbé de l'Épée. Et les sabres s'abaissèrent. Sortant alors du comité, et du haut d'une croisée, s'adressant à la foule, qui encombrait les cours, l'abbé Sicard dit : J'instruis les sourds et muets de naissance ; et comme le nombre de ces infortunés est plus grand chez les pauvres que chez les riches, je suis plus à vous qu'aux riches. Il est interrompu par une voix qui s'écrie : Il faut sauver l'abbé Sicard, c'est un homme trop utile pour qu'on le fasse périr. Et tous de crier à l'envi l'un de l'autre : Il faut le sauver ! il faut le sauver ! Ils le prirent dans leurs bras[64], et voulurent le reconduire chez lui en triomphe.

Ô nature de l'homme, quels sont donc tes abîmes ? Ce même peuple, qui mettait tant d'enthousiasme à sauver la vie d'un conspirateur présumé, parce que c'était un être utile à l'humanité souffrante, le voilà qui, aussitôt après, se baigne dans le sang de pauvres prisonniers sans défense ! Et ce n'étaient point, comme on l'a prétendu, des assassins à gages, enrégimentés, organisés par un pouvoir occulte[65] : non, non. D'une enquête faite plus tard contre les septembriseurs, il résulte que, parmi les égorgeurs, à la prison de l'Abbaye, étaient des gens du voisinage, des personnes établies, charcutiers, fruitiers, limonadiers, boulangers, etc., et, de leurs fureurs, quand on les interrogea, ils ne donnèrent d'autres motifs que les provocations des prisonniers, que l'annonce prochaine de l'arrivée des Prussiens, lancée à travers les grilles comme menace et comme insulte[66].

De là, le désintéressement de leur cruauté. Les bijoux, les portefeuilles, les mouchoirs tachés de sang, qu'on trouvait dans les poches des morts, on courait les porter sur la table du comité des Quatre-Nations[67]. Ce que quelques-uns des meurtriers prirent aux victimes, ce fut leurs souliers ; et cela, après en avoir obtenu du comité l'autorisation formelle, demandée, en ces termes par un d'eux : Nos braves frères sont nu-pieds, et ils parlent demain pour la frontière[68].

A l'Abbaye, on tua jusqu'à cinq heures du soir. A ces exécutions présidait un profond silence, qui n'était interrompu que par les lamentations des mourants. D'intervalle en intervalle, un cri s'élevait, un seul cri : Vive la nation ![69]

A cinq heures, plusieurs voix appelèrent fortement Cazotte[70].

Affilié à la fraction contre-révolutionnaire des disciples de Saint-Martin, Cazotte s'était mis à la tête des conspirateurs mystiques. Les trente lettres do lui qui furent saisies et publiées, accusent, mêlée à toute l'exaltation de l'illuminisme, la haine la plus violente contre les idées nouvelles. Dans sa correspondance, qu'il avait confiée disait-il, à la surveillance des anges, il développait un projet d'enrôlement pour la guerre civile, et on y lisait cette phrase meurtrière : Que Louis XVI se garde bien de céder à un de ses penchants, la clémence ![71] Lorsque, à vingt jours de là, on le traduisit devant le tribunal du 17 août, il reconnut lui-même, après avoir entendu son arrêt, que la loi était sévère mais juste, et qu'il méritait la mort[72].

A l'Abbaye, il dut la vie à un acte de dévouement filial. Au moment où il sortait du guichet, sa fille s'étant précipitée à son cou, et le couvrant de son corps, les égorgeurs, attendris, s'arrêtèrent. Éperdue, échevelée, plus belle encore de son désordre et de ses larmes, elle criait : Pour arriver jusqu'à mon père, il faut que vous me perciez le cœur. Le mot grâce retentit ; Cazotte fut rendu à la liberté et à sa famille[73].

Cependant une voix s'élève : Il n'y a plus rien à faire ici ; allons aux Carmes ![74] Or, il y avait si peu de préméditation dans l'horrible fait de ces massacres, et ils s'accomplissaient au sein d'une si grande confusion, que, quoique l'Abbaye contînt encore beaucoup de prisonniers, parmi lesquels plusieurs prêtres, la foule se porta tumultueusement aux Carmes.

Cette prison renfermait cent quatre-vingt-six ecclésiastiques, et seulement trois laïques : Régis de Valfonse, officier du régiment de Champagne, un officier de marine nommé de La Vieuville et le libraire Joseph Duplain[75]. Ce dernier parvint à se sauver en s'emparant d'une paire de pistolets déposés sur le rebord d'une fenêtre, et en se faisant passer pour un des égorgeurs[76]. On commença par demander aux prêtres s'ils voulaient prêter le serment : ils firent, selon Peltier[77], cette réponse qui, en un tel moment, était héroïque : Potius mori quam fœdari. Et, traînés dans le jardin du couvent, ils y furent tués pour la plupart à coups de fusil. Contre les dernières victimes, ce fut le sabre qu'on employa, sur l'observation d'une multitude de femmes que l'autre manière était trop bruyante[78]. Des cent quatre-vingt-six prêtres, détenus aux Carmes, quatorze s'échappèrent par-dessus les murs ; cent soixante-douze périrent[79].

Chose navrante, mais caractéristique, et qui prouve combien était générale la funèbre démence d'où sortirent ces exécutions ! A deux cents pas des Carmes, dans le jardin du Luxembourg, une compagnie de gardes nationaux faisait tranquillement l'exercice[80]. Ah ! pour intervenir, ils n'auraient certes pas eu besoin d'en recevoir l'ordre de Santerre, si à voir passer devant eux des événements semblables, ils eussent ressenti la dixième partie de l'horreur que nous éprouvons à les rappeler.

Et dans cet intervalle, que faisait Paris ? que faisait la Commune ? que faisait l'Assemblée ?

Sur tous les points où le sang ne ruisselait pas, Paris déployait un élan sublime. Les citoyens de la section de l'Observatoire, formés en compagnie franche, demandaient leur prompt équipement ; la gendarmerie nationale pétitionnait pour que les boutons d'argent qui décoraient son uniforme fussent remplacés par un signe plus conforme à l'égalité ; deux simples citoyens, Louis Rutteau et Louis Dumont, s'engageaient à lever chacun une compagnie de quatre cents hussards ; un vieillard se présentait à la barre, après avoir armé et envoyé aux frontières deux de ses fils, pour solliciter en faveur du troisième un fusil qu'il n'était pas en état de lui procurer ; des cochers de place partaient pour l'armée avec leurs chevaux, leur unique propriété ; les dons patriotiques affluaient sur le bureau des représentants du peuple ; celui-ci offrait de l'argent, celui-là faisait de son domestique un soldat, et se chargeait de son entretien à la frontière ; un commis des bureaux de l'Assemblée fit don d'un habillement complet pour un volontaire ; les habitants d'une petite ville de la Seine-Inférieure envoyèrent, dans la soirée du 2 septembre, vingt-deux mille livres, montant de leur cotisation patriotique, au même moment où la commune d'Aumale abandonnait à la patrie son quart de réserve sur la vente des biens nationaux[81]. Et au roulement des tambours, au bruit de la Marseillaise, dont les échos de la grande cité se renvoyaient le mâle refrain, les citoyen de tout âge couraient aux places publiques, où ils s'enrôlaient par milliers[82].

Mais malheureusement, à l'exaltation qui fait les héros se mêlait un vertige qui fit des assassins. En rendant compte à l'Hôtel de Ville de l'état des choses, un membre de la municipalité déclara que les citoyens enrôlés, craignant de laisser Paris au pouvoir des malveillants, ne voulaient point partir que tous les scélérats du 10 août ne fussent exterminés[83].

A quatre heures du soir, le Conseil général de la Commune avait repris sa séance, un instant suspendue : vers six heures, un officier de la garde nationale entra, apportant la nouvelle que le sang coulait à l'Abbaye et que le peuple commençait à pénétrer dans les prisons. Bien qu'il fût dominé par des passions moins violentes que le Comité de surveillance, avec lequel il ne faut pas le confondre, et qui se composait alors de Panis, Sergent, Marat, Deforgues, Leclerc, Celly, J. Duplain, Durfort, Lenfant, le Conseil général de la Commune n'en renfermait pas moins un grand nombre de révolutionnaires emportés. On ne pouvait donc s'attendre à le trouver seul calme au milieu de Paris frémissant. Il n'avait en aucune façon organisé les massacres, il n'entendait pas les sanctionner formellement, il comptait dans son sein quelques hommes auxquels ils inspiraient une secrète horreur[84], mais, pris dans son ensemble, nul doute qu'il ne partageât l'ivresse générale. Eût-il voulu, d'ailleurs, couper court à l'entraînement populaire, deux circonstances qu'on trouvera notées plus loin démontrent que là eût été le terme de son pouvoir. Ces deux raisons combinées expliquent, sans le justifier, l'espèce de système de laisser-faire dont, ainsi que les ministres, ainsi que les Girondins, ainsi que l'Assemblée nationale, la Commune se chargea et reste chargée aux yeux de l'histoire.

Elle ne s'abstint pas complètement toutefois, et nomma des commissaires qui eurent mission d'aller aux différentes prisons pour protéger les prisonniers renfermés pour dettes, ou pour mois de nourrice, ou pour des causes civiles[85]. Mesure très-louable en soi, très-nécessaire, mais qui, par cela même qu'elle protégeait une catégorie déterminée de prisonniers, semblait abandonner les autres au couteau ! Une autre mesure à laquelle les circonstances ne pouvaient que donner une couleur sinistre fut celle qui interdisait l'émigration par la rivière[86].

Parut le ministre de la guerre, le Girondin Servan. Il se rendait au Conseil général de la Commune, sur une invitation qui, adressée à Danton, lui avait été remise, comme il l'apprit alors, par erreur[87]. Il se félicita de cette erreur qui l'appelait au milieu de ses concitoyens, les assura de son dévouement à la chose publique, et promit d'être, à huit heures du soir, à la mairie, pour y concerter les opérations relatives à l'armée, avec Pétion, le commandant général Santerre, et un certain nombre de commissaires désignés, parmi lesquels Hébert et Billaud-Varenne[88]. Cette conférence eut lieu. Servan ne put donc ignorer, ce soir-là, des événements que, du reste, tout Paris connaissait déjà. Et comment croire qu'il ne courût pas en instruire Roland et Clavière, ses collègues, Roland surtout, ministre de l'intérieur ? Pourtant, nul ordre soit préventif soit répressif ne fut donné ; que dis-je ? les dépositaires du pouvoir exécutif osèrent prétendre, plus tard, qu'ils n'avaient appris les meurtres du 2 que dans la matinée du 3 !

Pendant ce temps, Paris restait livré à tout ce qui peut exalter les âmes : la terreur, l'enthousiasme, le soupçon. Mille rumeurs fantastiques circulaient. De livides fantômes semblaient passer et repasser dans les airs. Une députation des citoyens de la section de l'Isle allait demander à l'Assemblée s'il était vrai que les ministres eussent perdu la confiance de la nation[89]. Les esprits ombrageux se croyaient environnés de traîtres. Ils se demandaient si l'article récemment publié par Carra en faveur de ce même duc de Brunswick, maintenant sous les murs de Verdun, ne se liait pas à quelque noir complot. Billaud-Varenne et Robespierre, au sein du Conseil général, peignirent vivement la douleur qu'ils éprouvaient de l'état de la France, et dénoncèrent l'existence d'une conspiration, dont Carra n'avait que trop bien fait apparaître le spectre, lorsque, dans son journal, il avait osé parler d'asseoir le duc de Brunswick sur le trône d'où venait de tomber Louis XVI[90].

L'arrestation de madame de Staël, le 2 septembre, montre jusqu'où allaient les défiances. J'avais, écrit-elle, des passeports très en règle, et je me figurais que le mieux serait de sortir en berline à six chevaux, avec mes gens en grande livrée. Il me semblait qu'en me voyant dans cet apparat, on me croirait le droit de partir, et qu'on me laisserait passer. C'était très-mal combiné ; car ce qu'il faut, avant tout, dans de tels moments, c'est de ne pas frapper l'imagination du peuple, et la plus mauvaise chaise de poste m'aurait conduite plus sûrement. A peine ma voiture avait-elle fait quatre pas, qu'au bruit des fouets des postillons, un essaim de vieilles femmes sorties de l'enfer se jettent sur mes chevaux, et crient qu'on doit m'arrêter, que j'emporte avec moi l'or de la nation, que je vais rejoindre les ennemis[91]... La fille de Necker fut effectivement arrêtée et, conduite, à travers des flots de peuple, jusqu'à l'Hôtel de Ville, où elle eut à comparaître devant la redoutable Commune. Survint Manuel. Il la prit sous sa protection, et la fit entrer avec sa femme de chambre dans un cabinet qu'elle occupa jusqu'au soir. A la nuit, Manuel me ramena chez moi dans ma voiture ; il aurait craint de se dépopulariser en me reconduisant de jour. Les réverbères n'étaient point allumés dans les rues, mais on rencontrait beaucoup d'hommes avec des flambeaux dont la lueur causait plus d'effroi que l'obscurité même. Souvent, on arrêtait Manuel, pour lui demander qui il était ; mais quand il répondait : le Procureur de la Commune, cette dignité révolutionnaire était respectueusement saluée[92].

Tel était l'aspect de Paris dans la soirée du 2 septembre. Vers huit heures, la Commune envoya prier l'Assemblée de délibérer sur les rassemblements qui se formaient autour des prisons[93]. Car l'épidémie du meurtre allait se répandant. Déjà, à. un premier appel de la Commune, l'Assemblée s'était montrée sourde[94], soit qu'elle fût emportée par le fatal courant, ou qu'elle se sentît impuissante à l'arrêter. Cette fois encore, elle demeura comme insensible, se bornant à nommer des commissaires pour parler au peuple et rétablir le calme[95]. Encore cette mesure fut-elle prise, sur la motion de Bazire[96], un Montagnard. Quant aux Girondins, pas un cri d'horreur ne s'échappa, en ce moment, de leurs lèvres, pas un mouvement ne trahit leur indignation. Et pourtant, sur ce qui se passait, nul doute n'était possible : Fauchet venait d'annoncer l'égorgement des prêtres renfermés dans la prison des Carmes[97].

Les commissaires élus furent Bazire, Dussaulx, François de Neufchâteau, Isnard, Lequinio. Audrein se joignit à eux volontairement[98] ; et Chabot fit de même, sur la prière de Bazire[99]. Tous ils prirent le chemin de l'Abbaye.

La foule s'y était portée de nouveau ; et déjà un officier suisse, le malheureux Reding, avait été arraché de son lit par deux hommes que guida jusqu'à lui le guichetier. Les prisonniers qui survivaient au premier massacre aperçurent la lueur des torchés, ils entendirent la voix de la victime que les meurtriers refusèrent de tuer dans son lit, chargèrent sur leurs épaules, et coururent immoler dans la cour[100].

Quels moyens d'arrêter ces transports sauvages ? ou, si rien ne devait être écouté, ni les conseils de la raison indignée, ni les plus saintes colères du cœur, ne pouvait-on, du moins, disputer à la mort quelques-unes des têtes menacées ? Manuel en avait conçu l'espoir. Il se rend à l'Abbaye, se présente à la multitude écumante, avec le livre des écrous à la main, et s'écrie : Camarades, votre ressentiment est juste. Guerre ouverte aux ennemis du bien public c'est un combat à mort ; je sens, comme vous, qu'il faut qu'ils périssent ; mais, si vous êtes de bons citoyens, VOUS devez aimer la justice. Il n'est pas un de vous qui ne frémisse à l'idée affreuse de tremper ses mains dans le sang d'un innocent. — C'est vrai, répond le peuple. — Eh bien, je vous le demande, quand vous voulez, sans rien entendre, sans rien examiner, vous jeter, comme des tigres, sur des hommes qui sont vos frères, ne vous exposez-vous pas au regret tardif et désespérant d'avoir frappé l'innocent au lieu du coupable ? Manuel allait continuer, lorsque, fendant la foule, et agitant son sabre teint de sang, un des meurtriers l'interrompt d'une voix farouche : Dites donc, monsieur le citoyen, si ces gueux de Prussiens et d'Autrichiens venaient à Paris, chercheraient-ils aussi les coupables ? ne frapperaient-ils pas à tort et à travers comme les Suisses du 10 août ? Moi, je ne suis pas orateur, je n'endors personne, et je vous dis que je suis père de famille, que j'ai une femme et cinq enfants, et que je n'entends pas qu'on les égorge, pendant que j'irai combattre l'ennemi[101]... Un cri général d'approbation s'élève ; on s'avance, on se pousse. Manuel[102] insistait. Arrive du sein du Comité de surveillance l'arrêté suivant :

Au NOM DU PEUPLE. Camarades, il vous est enjoint de juger tous les prisonniers de l'Abbaye, sans distinction, à l'exception de l'abbé Lenfant, que vous mettrez dans un lieu sûr. A l'Hôtel de Ville, le 2 septembre.

Signé : PANIS, SERGENT, administrateurs[103].

 

Cet arrêté avait un double but : celui d'ôter au massacre son caractère de férocité aveugle, ce qui fournissait à quelques prisonniers une chance de salut, et celui de protéger l'abbé Lenfant, dont le frère faisait partie du Comité de surveillance. De ces deux buts, le premier seul fut atteint. A peine l'ordre a-t-il été lu, qu'on l'approuve dans ce qu'il a de général. Une commission populaire est proposée ; on la forme à l'instant même[104]. Un jury de douze citoyens est pris parmi le peuple. Qui présidera ? Plusieurs voix désignent Maillard, le blême héros des 5 et 6 octobre. Maillard accepte, et aussitôt le tribunal entre en fonction, expéditif et sanglant tribunal, dit un de ceux qui eurent à le subir, en présence duquel la meilleure protection était de n'en point avoir, et où toutes les ressources de l'esprit étaient nulles, si elles n'étaient fondées sur la vérité[105].

Le président, en habit gris, le sabre au côté ; devant, lui, une écritoire, des papiers, des pipes, des bouteilles ; autour, dix hommes armés, dont deux en veste et en tablier ; d'autres étendus sur des bancs et assoupis ; à la porte du guichet, pour la garder, deux factionnaires revêtus d'une chemise ensanglantée, et, près d'eux, un vieux guichetier la main appuyée sur les verrous. Voilà sous quel aspect se présentait la justice populaire, suivant le tableau qu'en a tracé un royaliste qui l'affronta, sans périr[106].

Et, d'un autre côté, d'après une foule de témoignages qui défient, toute contradiction, voici de quelle manière elle s'exerçait, cette justice qu'avait improvisée la vengeance et que servait la fureur :

Dès que le prisonnier paraissait, le président l'interrogeait sur son crime, et le sommait d'être fidèle à la vérité. Malheur à lui s'il mentait ! le mensonge, c'était la mort ; et il y en eut qui furent sauvés, rien que pour avoir noblement répondu à cette question formidable : Êtes-vous royaliste ?Oui, je le suis[107]. Aux yeux des juges, parler avec fermeté était un signe d'innocence[108]. En cas de condamnation, et comme pour épargner à la victime, jusqu'au dernier moment, la certitude de son sort, la formule adoptée était : A la Force ! — Dans la prison de la Force, on adopta celle-ci : Élargissez monsieur[109]. — Alors, le prisonnier était conduit hors de la prison, où l'exécution se faisait au milieu du plus morne silence[110]. Y avait-il acquittement, au contraire, la joie éclatait sur tous les visages ; l'air retentissait des cris de Vive la nation ! On se précipitait sur le citoyen acquitté ; on l'embrassait avec enthousiasme ; les plus furieux parmi les égorgeurs l'enlevaient dans leurs bras sanglants, le portaient en triomphe jusqu'à sa demeure, et criaient le long de la route : Chapeaux bas devant l'innocent qui passer ![111]

Il y avait à l'Abbaye trente-deux Suisses et vingt-six gardes du corps de Louis XVI, qui avaient tiré sur le peuple dans la journée du 10 août. Leur mort, demandée violemment, fut décidée par ce mot tombé des lèvres de Maillard : A la Force. Mais l'attitude de la foule, en cet instant, donnait à l'homicide formule une signification si claire, qu'en l'entendant, les Suisses tombèrent à genoux, les mains jointes, les regards suppliants. Un seul, parmi eux, marcha fièrement à la rencontre de sa destinée. Il lança son chapeau derrière lui, franchit le guichet d'un pas assuré, et, s'élançant lui-même sur la pointe des piques, mourut en soldat[112]. Tous ses camarades périrent, à l'exception d'un jeune homme qui n'avait point combattu au 10 août, et qu'un Marseillais attesta être seulement fils de Suisse. Celui-là, on ne se contenta pas de l'épargner, on le félicita, on l'embrassa, et on le reconduisit au milieu des plus vifs transports de joie[113].

Le tribunal condamna ensuite à mort Grandmaison, Maron, Vidant, accusés d'avoir fabriqué de faux assignats ; Vigné de Cusay, qui avait fait feu sur le peuple au Champ de Mars ; l'ex-ministre Montmorin ; Thierry, valet de chambre de Louis XVI ; Protot et Valvin, prévenus d'avoir volé la nation en émettant de faux billets de la caisse de secours[114].

On le voit, des crimes d'une nature incontestable furent poursuivis, qui se trouvèrent confondus avec les vengeances politiques ; mais, selon la remarque très-juste de l'auteur contemporain qui rapporte ces divers arrêts, une justice qui s'exerce ainsi, en dehors des garanties et des lenteurs protectrices de l'innocence, une pareille justice laisse aux adhérents des victimes le droit de réclamer leur mémoire[115]. De quoi Thierry était-il coupable ? D'avoir aimé son maître. Et on le tuait entre un faussaire et un voleur ! Quant à Montmorin, bien que sa participation à tous les complots de la contre-révolution fût certaine[116], il puisait dans ses convictions royalistes une si grande confiance, que lorsqu'on lui annonça qu'il allait être transféré à la Force, il se crut sauvé et dit ironiquement à Maillard : Monsieur le président, puisqu'on vous appelle ainsi, je vous prie de me faire avoir une voiture[117]. Un moment après, on vint le prévenir que la voiture l'attendait. Ce qui l'attendait, c'était la mort.

Il était à peine neuf heures du soir, que déjà dans la grande rue du jardin de l'Abbaye, toute resplendissante de la lueur des flambeaux, on comptait une centaine de cadavres[118]. Et ce qu'il y avait de plus horrible, c'est qu'ils gisaient épars autour de tables que couvraient des bouteilles de vin et des verres teints de sang[119]. Là étaient deux Anglais qui, la lèvre entr'ouverte par un sourire de l'enfer, jouissaient avec délices de ce spectacle, et poussaient au massacre par des libations abominables. Tenant à la main des bouteilles et des verres, on les vit, à la clarté des torches, offrir à boire aux massacreurs, les presser même en leur portant le verre à la bouche[120]. Ah ! si ces deux étrangers abhorraient la France, ils ne pouvaient lui donner une plus funeste preuve de leur haine, ni fournir un meilleur appendice au livre de Burke contre la révolution française...

L'horloge de l'Abbaye ne marquait pas encore dix heures, lorsque les commissaires envoyés par l'Assemblée arrivèrent. Après une courte harangue, qu'interrompirent de tumultueuses clameurs, Dussaulx se hâta de dire à ses collègues : Retirons-nous ![121] Et ils se retirèrent ! Et Isnard, qui était là, garda le silence ; Isnard qui, plus que tout autre, était tenu de mourir, s'il le fallait, en protestant ; Isnard qui, du haut de la tribune, avait lancé, le 31 octobre 1791, ces paroles imprudentes et fatales : La colère du peuple, comme celle de Dieu, n'est trop souvent que le supplément terrible du silence des lois[122] ; Isnard qui, le 6 novembre de la même année, s'était écrié en parlant des prêtres : IL NE FAUT PAS DE PREUVES[123] !

De retour à l'Assemblée, Dussaulx rendit compte très-froidement de l'inutilité de sa mission, ajoutant que les ténèbres ne lui avaient point permis de voir ce qui se passait[124]. Sur quoi l'Assemblée, passant à l'ordre du jour, se remit à expédier les affaires courantes ; et à onze heures du soir, elle suspendit sa séance[125], comme si rien d'extraordinaire n'avait eu lieu !

Au même moment, les ministres sortaient du Conseil. Grandpré qui, par sa place, avait à rendre compte de l'état des prisons dans la capitale, aborde Danton et veut lui parler de ce qui se passe ; mais celui-ci, d'un ton d'impatience qu'accompagnait un geste violent : Je me f..s bien des prisonniers ! qu'ils deviennent ce qu'ils pourront ![126]

Les massacres continuèrent donc, et cela en s'étendant de l'Abbaye aux autres prisons. Maton de La Varenne était renfermé à la Force. Vers minuit, écrit-il, un nommé Burat appela Gérard, mon camarade de chambre, et lui dit ceci, que je n'oublierai jamais : Mon ami, nous sommes morts ; on assassine les prisonniers à mesure qu'ils comparaissent ; j'entends leurs cris[127].

Ailleurs, au Châtelet, les commissionnaires de la prison étaient venus, dès quatre heures du soir, dire à l'oreille aux prisonniers que quelque chose d'effrayant semblait se préparer. L'inquiétude semée par cet avertissement mystérieux redoubla, quand le guichetier annonça qu'on allait bientôt fermer. Quelques-uns regardaient, le visage collé contre une grille donnant sur le guichet. Tout à coup, ils aperçurent deux hommes à moustaches qui parlaient bas au concierge, et celui-ci qui levait. les mains au ciel. On essaya de souper ; mais en vain : le trouble était dans l'âme des pâles convives. Vers minuit, les chiens aboyèrent ; la lueur des torches illumina les corridors ; et le cri de Vive la nation ! poussé par des voix terribles, fit retentir les voûtes[128]...

L'Assemblée était rentrée en séance ; mais une invincible torpeur semblait l'avoir saisie. On a vu que son intervention s'était bornée à l'envoi de quelques commissaires ; informée par une lettre de l'abbé Sicard des dangers qu'il avait courus, elle avait décrété : L'horloger Monnot a bien mérité de la patrie 3[129], et rien de plus ; enfin, après le compte rendu de Dussaulx, elle avait tout simplement passé à l'ordre du jour : au milieu de la nuit, trois des commissaires que la Commune de son côté avait envoyés aux prisons, parurent à la barre. C'étaient Truchot, Tallien et Guiraud. Ils dirent :

Que la plupart des prisons étaient vides ;

Qu'à la Force et à Sainte-Pélagie ils avaient fait sortir toutes les personnes détenues pour dettes ;

Qu'ils avaient mis en liberté vingt-quatre femmes détenues à la Force, entre autres mademoiselle de Tourzelles et madame de Sainte-Brice ;

Que, néanmoins, ils avaient dû finir par se retirer, étant menacés à leur tour ;

Qu'à l'Abbaye, où ils s'étaient transportés pour s'opposer au désordre, le procureur de la Commune avait couru risque de la vie ;

Que quatre cents prisonniers environ avaient péri, parmi lesquels les fabricateurs de faux assignats ;

Que l'ordre était donné au commandant général d'envoyer des détachements aux prisons, mais que l'exécution de cet ordre avait pour obstacle le grand nombre d'hommes qu'exigeait le service des barrières ;

Que le peuple marchait sur Bicêtre avec sept pièces de canon ;

Que les prisons du Palais étaient absolument vides, et que fort peu de prisonniers avaient échappé à la mort[130].

On écouta cela en silence.

La journée du 3 septembre ne fut, sous tous les rapports, que la continuation de celle du 2. Même élan d'enthousiasme patriotique et militaire, même cruauté fanatique.

Le bruit s'étant répandu de grand matin que Verdun avait répondu aux sommations de l'ennemi : La ville se rendra quand il n'existera plus un seul homme pour la défendre[131], l'amour de la patrie menacée se déploya de la manière la plus noble et la plus touchante. On vit de pauvres marchandes s'offrir pour monter la garde[132]. Les jeunes citoyens attachés aux contributions publiques demandaient à se former en compagnie franche, et les élèves en chirurgie à marcher comme chirurgiens[133]. A côté de la mère qui faisait don de la croix d'or pendue à son cou, la fille donnait sa timbale d'argent[134]. Un citoyen de la section de Beaubourg fournit, comme sa part aux contributions de la guerre, son cocher, un char et deux chevaux[135]. Un autre y engagea la moitié de ses propriétés mobilières et foncières. Les élèves d'un collège envoyèrent le produit du montant de leurs prix[136]. Les acteurs de la rue Richelieu prirent, à la barre, l'engagement de se faire soldats, dès que l'imminence du danger réclamerait la clôture des spectacles[137].

En même temps arrivaient de toutes les villes circonvoisines, de toutes les communes environnantes, des lettres où on lisait que l'entraînement guerrier des populations était prodigieux ; que, dans tel village, quiconque avait la force de tenir une épée était déjà parti ou partait ; que les routes se trouvaient littéralement couvertes de volontaires en marche ; que pour les équiper, on avait eu les bijoux abandonnés sans regret par les femmes, les billets souscrits par ceux qui attendaient de l'argent, et jusqu'aux habits dont s'étaient dépouillés ceux qui n'avaient pas autre chose à offrir[138].

Et, pour ce qui est de la ferveur qui animait tous ces croisés de la religion nouvelle dans leur course haletante vers la mort, l'Assemblée en put juger par ses propres yeux, lorsque, le 3 septembre, les volontaires du district de Bourg-la-Reine, traversant Paris, obtinrent de défiler devant elle, le havresac sur le dos[139]. Chez quel peuple du monde, à quelle époque de l'histoire, l'autorité fut-elle obligée de prendre un arrêté tel que celui-ci :

Le Conseil général, considérant que l'ardeur du patriotisme entraîne en ce moment au-devant de l'ennemi tous les citoyens français ; que les ouvriers de toutes les professions s'empressent à l'envi de marcher, pour aller anéantir les ennemis de la liberté et de l'égalité ; applaudissant à leur zèle., observe néanmoins qu'un déplacement trop précipité et trop considérable nuirait également au commerce et aux moyens de fournir aux premiers besoins de nos braves défenseurs ; arrête que les serruriers, cordonniers, taillandiers, charrons et autres ouvriers des professions de nécessité première, sont invités à rester à Paris[140] !...

 

Et, en effet, les places d'enrôlement étaient encombrées ; si bien que, pendant toute cette semaine, il partit chaque jour, des murs de Paris, près de deux mille volontaires, armés et équipés[141] !

Mais, dans les prisons, pendant ce temps, quel autre spectacle !

A dix heures du matin, l'abbé Lenfant et l'abbé de Rastignac parurent dans la tribune de la chapelle qui, à l'Abbaye, nous servait de prison. Ils nous annoncèrent que notre dernière heure approchait, et nous invitèrent à nous recueillir pour recevoir leur bénédiction. Un mouvement électrique nous précipita tous à genoux, et, les mains jointes, nous la reçûmes. A la veille de paraître devant l'Être suprême, agenouillés devant deux de ses ministres, nous présentions un spectacle indéfinissable... Une demi-heure après, les deux prêtres furent massacrés. Nous entendîmes leurs cris ![142] — Qui lira les détails suivants, sans que ses yeux se remplissent de larmes ?... Nous envoyions de temps à autre quelques-uns de nos camarades à la fenêtre de la tourelle, pour nous instruire de la position que prenaient les malheureux qu'on immolait, et pour calculer, d'après leur rapport, celle que nous ferions bien de prendre. Ils nous rapportaient que ceux qui étendaient les mains souffraient plus longtemps, parce que les coups de sabre étaient amortis avant d'atteindre la tête. Eh bien, c'était sur ces horribles détails que nous délibérions[143].

 

La Force, où un tribunal s'était improvisé sur le modèle de celui de l'Abbaye, avait fourni, dans la nuit du 2 au 3, son contingent de victimes, au nombre desquelles figura, à côté de Lachesnaye, organisateur de la défense des Tuileries, au 10 août, l'abbé Louis de Bardy, accusé d'avoir, de concert avec sa concubine, assassiné et coupé en morceaux son frère[144]. Mais, vers sept heures du matin, Maton de La Varenne entendit plusieurs meurtriers, répandus sur sa galerie, dire qu'on avait fait justice des traîtres, et qu'il fallait lâcher les autres[145]. Un cri de Vive la nation ! fut la réponse des prisonniers qui restaient ; et aussitôt, le premier qui l'avait poussé fut rendu libre ; un second, reconnu innocent, fut sur l'heure emmené en triomphe[146] ; on relâcha Guillaume l'aîné, frère de l'auteur de la pétition des vingt mille, et un frère du ministre Bertrand de Molleville.

Ce dernier n'eut pas été plutôt acquitté que les tueurs, dont le bras était déjà levé sur lui, l'enlevèrent avec les transports de joie les plus immodérés[147]. A deux de ces hommes terribles, chargés de le reconduire, il offrit une poignée d'assignats : Non, répondirent-ils en les repoussant, le bonheur de vous avoir sauvé vaut mieux que ça[148]. Ils insistèrent pour l'accompagner jusque chez sa belle-sœur, auprès de laquelle il avait déclaré vouloir se rendre ; car, dirent-ils, ça nous ferait bien plaisir de vous voir contents l'un et l'autre[149].

Des circonstances tout à fait analogues marquèrent la délivrance de Maton de La Varenne. Amené devant le formidable tribunal, il se jugeait perdu, ceux qui l'entouraient paraissant avides de son sang, et l'étrange insulte Monsieur de la peau fine ayant retenti à son oreille[150]. Mais à peine le président eut-il dit, les yeux fixés sur le registre d'écrou : Je ne vois absolument rien contre lui, que tous passèrent comme par enchantement d'une férocité impatiente à des accès de tendresse. Toutes les figures se déridèrent... et je fus enlevé sur-le-champ par des hommes qui me soutinrent sous les aisselles, en m'assurant que je n'avais rien à craindre, que j'étais sous la sauvegarde du peuple. Je traversai la rue des Ballets, couverte d'une triple haie de gens des deux sexes. Chacun se pressait autour de ma voiture pour me voir, et l'on m'embrassait sans cesse par les portières. Il gagna ainsi la maison paternelle, où ceux qui l'y avaient conduit ne voulurent accepter qu'un simple rafraîchissement[151].

Noirs, noirs abîmes de la nature humaine, quel œil de philosophe vous sondera sans épouvante ? Oui, au même lieu, à la même heure où ces choses se passaient, et parmi les mêmes hommes, vous eussiez vu se dérouler la plus abominable des tragédies.

Quel est, sur cette masse de corps étendus sans vie, ce pauvre corps tout nu, ce corps de femme ? Au bout de cette pique affreuse qui passe, quelle est cette tête jeune, effrayante et charmante, dont les cheveux blonds, encore bouclés, flottent autour du bois sanglant, mais dont les yeux sont fermés, dont les lèvres pâles ne souriront plus, et dont les joues apparaissent rougies par le fard et le sang ?... Oubliée dans la prison de la Petite Force pendant la nuit du 2 au 3, Madame de Lamballe avait reçu le 3, vers sept heures du matin, la lugubre visite de deux gardes nationaux qui lui signifièrent qu'on allait la transférer à l'Abbaye. Trois lettres trouvées dans son bonnet lors de son premier interrogatoire, dont une de la reine, étaient malheureusement de telle nature, qu'au dire de Weber, elles rendaient sa perte presque certaine[152]. Mais elle croyait si peu mourir, l'infortunée, qu'elle répondit aux deux gardes nationaux : Prison pour prison, j'aime autant celle-ci[153]. Eux insistant, elle s'habilla et descendit.

Sur ce qui eut lieu ensuite, sur le juge qui interrogea la princesse, sur son attitude devant le tribunal, sur ses réponses, sur les dispositions de la foule à son égard, sur la question de savoir si elle ne périt pas sous les coups de sicaires envoyés tout exprès par le duc d'Orléans, les auteurs de mémoires et de brochures contemporains ne présentent plus qu'assertions contradictoires ou affirmations dont les documents officiels démontrent la fausseté. Il résulte, par exemple, des procès-verbaux de la Commune, qu'Hébert se trouvait au Conseil général au moment où Peltier le représente interrogeant madame de Lamballe. Selon le même auteur, qui, du reste, se tenait caché ce jour-là et ne parle que d'après des ouï-dire, la princesse aurait été sommée de jurer la liberté, l'égalité, la haine de la royauté ; à quoi elle aurait répondu : Je ferai volontiers les deux premiers serments : je ne puis faire le dernier, il n'est pas dans mon cœur ; alors un assistant lui aurait dit tout bas : Jurez donc ! sinon vous êtes morte. Mais elle n'aurait rien répondu, et comme elle faisait un pas vers le guichet, après avoir élevé les deux mains à la hauteur de ses yeux, le juge aurait prononcé le mot fatal : Élargissez madame[154]. D'autres assurent que la princesse ne répondit pas un seul mot. D'autres enfin racontent qu'elle réfuta toutes les charges élevées contre elle ; qu'elle intéressa plusieurs des spectateurs ; que des cris de grâce retentirent, et que les meurtriers s'arrêtèrent quelque temps indécis[155].

Est-il vrai que ce fut le duc d'Orléans qui fit assassiner Madame de Lamballe, pour s'affranchir d'une rente qu'il lui payait ? C'est ce qu'ont prétendu beaucoup de pamphlétaires royalistes[156]. Pure calomnie ! cette rente ne grevait que les biens de la duchesse d'Orléans, et, à cette époque, il y avait entre les deux époux séparation juridique.

Quant aux infamies sans nom, qu'à l'occasion de la mort de Madame de Lamballe, tant d'écrivains ont pris plaisir à décrire, les divers récits, dans presque tous leurs détails, se servent mutuellement de réfutation et de démenti. Ce qui est certain — et il n'était pas besoin, hélas ! que les inventions de la haine vinssent enchérir sur ces exécrables circonstances — le voici :

Le 15 floréal an IV, le fils d'un marchand papetier, nommé Petit-Manin, comparut devant le tribunal criminel, sous la prévention d'avoir assassiné Madame de Lamballe et de lui avoir arraché le cœur. Il fut acquitté ; mais il resta prouvé que le crime avait été commis par un tambour nommé Charlat ; que ce misérable s'était rendu à l'armée, pour se soustraire à toute poursuite, et que là, ses camarades, saisis d'horreur, l'avaient massacré[157].

Un autre fait, non moins certain, c'est celui de la tête de Madame de Lamballe coupée, plantée au bout d'une pique, et portée sous les fenêtres du Temple !

Nous étions à peine assis, qu'une tête au bout d'une pique fut présentée à la croisée. C'était la tête de Madame de Lamballe ; quoique sanglante, elle n'était point défigurée. Je courus vers le roi. La terreur avait tellement altéré mon visage, que la reine s'en aperçut. Pourquoi n'allez-vous pas dîner ? me dit-elle. — Madame, répondis-je, je suis indisposé. Dans ce moment, un municipal entra dans la tour, et vint parler avec mystère à ses collègues. Les cris du dehors augmentaient. Un autre municipal survint, accompagné de quatre hommes, dont un, en habit de garde national, portant deux épaulettes, et armé d'un grand sabre, insista pour que les prisonniers se montrassent à la fenêtre. Les municipaux s'y opposèrent. Cet homme dit à la reine : On veut vous cacher la tête de la Lamballe, qu'on vous apportait pour vous faire voir comment le peuple se venge de ses tyrans. Je vous conseille de paraître, si vous ne voulez pas que le peuple monte ici. La reine tomba évanouie[158]...

 

La foule se pressait aux portes, et ne s'écoula que sur une harangue habilement violente de l'abbé Danjou, ancien prêtre de l'Oratoire, homme d'une stature colossale, très-connu dans Paris sous le nom de l'abbé Six-Pieds[159].

A cette nouvelle, la Commune, pour protéger le Temple, fit attacher un ruban tricolore à travers la principale porte d'entrée[160] ; et cette fragile barrière, on la respecta religieusement.

Le trophée livide fut aussi promené sous les fenêtres du Palais-Royal. Forcé de paraître au balcon, le duc d'Orléans se rejeta aussitôt en arrière dans l'appartement, comme saisi d'horreur, et Madame de Buffon, sa maîtresse, alors près de lui, s'écria : Grand Dieu ! voilà donc comment on portera ma tête ![161]

Beaucoup d'acquittements, eurent lieu, à la Force, après le meurtre de Madame de Lamballe. On mit successivement en liberté Madame de Septeuil, Madame de. Navarre, Chamilly, valet de chambre du roi, et le frère de lait de Marie-Antoinette, l'Autrichien Weber, un des plus fanatiques ennemis de la Révolution. La délivrance de ce dernier mit vivement en relief cet élan patriotique qui, associé à des accès de rage, est le signe caractéristique des journées de septembre : Vous êtes libre, dit le président à Weber ; mais la patrie est en danger ; il faut vous enrôler, et partir sous trois jours pour la frontière. Weber hésitait, alléguant qu'il avait une mère, une sœur, qui avaient besoin de lui : La patrie, crient deux fédérés placés derrière lui, la patrie a besoin de soldats ; nous avons bien publié, nous, que nous sommes époux et pères ! Il dut prononcer le serment d'être fidèle à la nation et de mourir en défendant la liberté[162]. Son acquittement alors devint un vrai triomphe. Les gardes nationaux du faubourg Saint-Antoine raccompagnaient au cri mille fois répété de Vive la nation ! Ils faisaient tourner leurs chapeaux sur la pointe de leurs sabres, en signe de joie, et, le long de la route, on applaudissait à outrance[163]. Des femmes le voyant en bas de soie blancs, arrêtèrent avec violence les deux gardes qui lui donnaient le bras, pour leur dire : Prenez donc garde ! vous faites marcher Monsieur dans le ruisseau[164]. Et ces mêmes femmes, s'il eût été déclaré traître, eussent prononcé son arrêt en ces termes : Monsieur de la peau fine ! Non, ils n'ont point écrit l'histoire des journées de septembre, ceux qui ont omis ces rapprochements extraordinaires.

Ajoutons que le nombre des prisonniers que poursuivirent les vengeances politiques fut très-petit, comparé au nombre de ceux qu'on frappa pour des actes criminels dans tous les temps et dans toutes les sociétés. Les soixante-douze détenus qui furent tués, à la prison des Bernardins étaient tous sans exception des malfaiteurs déjà flétris par la justice civile et condamnés aux fers[165]. Le Grand-Châtelet où, sur deux cent seize détenus[166], trente seulement furent acquittés[167], ne renfermait que des criminels ordinaires. A Bicêtre, où les condamnés pour crimes firent une résistance désespérée, les prisonniers par jugement de police correctionnelle furent élargis, et beaucoup de citoyens que la misère avait relégués là ne coururent aucun danger[168]. A Sainte-Pélagie, les commissaires de la Commune firent mettre en liberté tous les débiteurs. Enfin, à la Conciergerie, le peuple relâcha les femmes, et, suivant Maton de la Varenne, soixante-treize malfaiteurs y furent mis à mort[169]. Celle prison, du reste, était devenue l'atelier où se forgeaient les armes les plus dangereuses pour la Révolution ; si bien que Durfort, membre du Comité de surveillance, ayant été chargé de l'apposition des scellés à la Conciergerie, en rapporta une malle pleine de planches destinées à la fabrication des faux assignats, et une serviette remplie de faux assignats fabriqués[170] !

C'est de la Conciergerie que quelques libellistes du temps firent le théâtre d'un supplice monstrueux et obscène, infligé, disent-ils, à une femme qu'ils nomment la belle bouquetière[171].

Pendant ce temps, la cour de l'Abbaye présentait un spectacle à faire frémir.

Dans la nuit du 2 au 3, Panis et Sergent, comme administrateurs de police, avaient signé l'ordre tragique que voici :

Monsieur, vous ferez sur-le-champ enlever les corps des personnes de votre prison qui n'existent plus. Que, dès la pointe du jour, tout soit enlevé et emporté hors de Paris dans des fosses profondes, bien recouvertes de terre. Faites, avec de l'eau et du vinaigre laver les endroits de votre prison qui peuvent être ensanglantés, et sablez par-dessus. Vous serez remboursé de vos frais sur vos états. A la mairie, ce 3 septembre, une heure du matin. — P.S. Employez des hommes au fait, tels que les fossoyeurs de l'Hôtel-Dieu, afin de prévenir l'infection.

PANIS, SERGENT[172].

 

La cour de l'Abbaye était en effet jonchée de cadavres. Conformément à l'ordre reçu de la municipalité, on fit venir des charretiers, on chargea les morts sur. des voitures, et on alla les enterrer hors la porte Saint-Jacques, bien avant dans la campagne, au pied de la première croix de fer[173].

A ces fossoyeurs de l'Hôtel-Dieu, à ces ouvriers qui avaient charge d'enlever les corps, de laver les cours, de retirer les effets trouvés sur les victimes, un salaire avait été promis. Vingt-quatre livres, tel était le prix convenu[174]. Mais s'ils n'avaient point le fanatisme barbare des massacreurs, les hommes employés à effacer les vestiges du meurtre n'avaient pas non plus le désintéressement de ce fanatisme. Un personnage en habit puce et en perruque noire — c'était Billaud-Varenne[175] — les vint sommer de ne rien distraire des effets qu'ils avaient sous la main et dont ils devaient compte à l'autorité municipale[176]. En leur parlant, il se servit, comme c'était naturel, du mot ouvriers, et leur dit de se contenter du prix convenu de vingt-quatre livres, lequel leur serait payé fidèlement. De là ce qui a donné lieu à l'assertion — mensonge des uns, erreur des autres — que la Commune, en septembre, avait régulièrement salarié l'assassinat ; que ses représentants avaient essayé de déshonorer la langue française en appelant le massacre un travail et les massacreurs des ouvriers ; que septembre, enfin, au lieu d'être un immense accès de fièvre chaude, était le crime d'une poignée de misérables gagnant leur vie à donner la mort.

Continuait à siéger, avec un calme inexorable et une autorité souveraine, Stanislas Maillard. Un des prisonniers, Jourgniac de Saint-Méard, ayant gagné le cœur d'un Provençal qui était du nombre, des tueurs, en lui adressant la parole dans le patois du midi, il s'engagea entre eux cette conversation caractéristique :

LE PROVENÇAL. Voilà le vin que tu m'as demandé : bois... Mais rappelle-toi ce que je te dis. Si tu es un prêtre, ou un conspirateur du château de M. Véto, tu es flambé ; mais si tu n'es pas un traître, n'aie pas peur, je te réponds de ta vie.

JOURGNIAC DE SAINT-MÉARD. Eh ! mon ami, je suis bien sûr de n'être pas accusé de tout cela ; mais je passe pour être un peu aristocrate.

LE PROVENÇAL. Ce n'est rien que cela, les juges savent bien qu'il y a des honnêtes gens partout. Le président est un honnête homme qui n'est pas un sot.

JOURGNIAC DE SAINT-MÉARD. Faites-moi le plaisir de prier les juges de m'écouter : je ne leur demande que cela.

LE PROVENÇAL. Tu le seras, je t'en réponds. Or çà, adieu, mon ami. Du courage ! Je vas retourner à mon poste. Embrasse-moi, je suis à toi de bon cœur[177].

 

Lorsque, la nuit suivante, Jourgniac de Saint-Méard fut, à son tour, appelé devant Maillard, bien lui en prit de se souvenir des paroles du Provençal, et d'avouer avec une franchise qui toucha les juges qu'il était royaliste ; car aussitôt Maillard dit : Ce n'est pas pour juger les opinions que nous sommes ici, mais pour en juger les résultats[178]. Et il déclara l'accusé libre, après avoir ôté son chapeau[179], en signe d'hommage rendu à l'innocence.

La vérité est que, tout odieux qu'il reste aux yeux de la postérité, Maillard fut l'homme de je ne sais quel étrange compromis entre la vengeance et la justice, la pitié et la fureur. Un prisonnier aux cheveux blanchis par les années ayant été amené devant lui, dans la matinée du 3 septembre, Innocent ou coupable, dit-il, je crois qu'il serait indigne du peuple de tremper ses mains dans le sang de ce vieillard[180]. Or, à l'instant même où Maillard parlait ainsi, le fils de ce vieillard, comme un écrivain royaliste lui en fait honneur, figurait parmi les envahisseurs de la patrie, et recevait l'ordre du Mérite militaire, dans les plaines de la Champagne, de la main du roi de Prusse[181].

Et le nom de l'accusé ? Il rappelle à la fois, ce nom, et un acte touchant de piété filiale, et une grande calomnie historique. Qui n'a présent à la mémoire le trait de Mademoiselle de Sombreuil enlaçant son père, le disputant à la mort, désarmant les meurtriers à force de courage, de beauté, de dévouement et de larmes ? Mais ce qu'on ignore, c'est qu'au sein d'une aussi noble victoire, Mademoiselle de Sombreuil paraissant sur le point de s'évanouir, un de ces hommes barbares, saisi d'une soudaine émotion, courut à elle, et lui offrit un verre d'eau sucrée et de fleurs d'oranger, sur lequel ses doigts avaient laissé la trace du sang dont ils étaient souillés[182]. Et telle est l'origine de la fable hideuse où l'on nous montre Mademoiselle de Sombreuil forcée, comme condition du salut de son père, de boire un verre plein de sang[183] !

Cependant, que faisaient les hommes investis d'une puissance populaire, le maire de Paris, les journalistes, les ministres, l'Assemblée ? Chose lamentable à dire ! ils s'abstenaient ou approuvaient.

Robespierre se contentait de gémir en secret sur des excès que son désir eût été de combattre au risque de sa popularité, au péril de sa vie[184].

Danton était entré si avant dans les fureurs de Paris, qu'il se tenait prêt, comme on va le voir, à les répandre sur la France entière.

Pétion pouvait si peu être opposé au massacre, dans la journée du 3, que, dans celle du 5, ayant à dîner Brissot, Gensonné, Duhem, il dit à des coupe-têtes qui vinrent tout sanglants, au milieu du repas, lui demander ses ordres sur quatre-vingts prisonniers de la Force : Faites pour le mieux !... et il leur offrit à boire[185].

Brissot fut, depuis, accusé publiquement par Camille dans un pamphlet fameux[186], par Fabre d'Églantine en pleine séance des Jacobins[187], par Chabot dans une brochure d'abord[188] et ensuite devant le tribunal révolutionnaire[189], de s'être écrié le 3 septembre, en présence de Danton, à propos des victimes épargnées : Ils ont oublié Morande ! accusation suspecte, il est vrai, lancée qu'elle fut par des ennemis, mais que Brissot eût sans doute relevée, si elle eût été calomnieuse !

Gorsas, que Roland avait nommé bibliothécaire national, écrivait dans son journal, une des feuilles dont le même Roland envoyait en province un certain nombre d'exemplaires[190] : Cette journée est terrible, mais juste ; elle est l'effet inévitable de la colère du peuple[191].

Dans le Moniteur, qu'il dirigeait sous l'influence du ministre de l'intérieur, Rabaut Saint-Étienne justifiait ou laissait justifier les exécutions, présentées comme nécessaires[192].

Tandis qu'on égorgeait aux prisons, Anacharsis Clootz, admis au dîner ministériel qui avait lieu chez Roland tous les lundis, y discourait longuement, au sujet des massacres, sur les droits des peuples, sur la justice de leur vengeance, sur l'utilité dont elle est pour le bonheur de l'espèce ; et Madame Roland, qui mentionne cette circonstance, ne nous apprend pas qu'aucun des convives ait protesté avec indignation. Il ennuya plus d'un auditeur, dit-elle[193].

Et la Commission girondine des Vingt et un, que fit-elle ? Rien.

Et que fit, jusqu'à huit heures du soir, l'Assemblée ? Rien, sinon qu'elle rendit un décret pour réclamer Jouneau, un de ses membres, qui se trouvait enfermé à l'Abbaye. Et lorsque Jouneau, le décret libérateur attaché sur sa poitrine, reparut au milieu de ses collègues et leur dit : Je suis sorti de ma prison aux acclamations du peuple. Ces braves citoyens m'ont accompagné avec le plus grand empressement ; leur zèle atteste le respect qu'on a partout pour vos décrets[194], l'Assemblée ne fut pas arrachée à son inertie, même par ces paroles, si propres à précipiter son intervention, en lui rappelant son influence !

Elle n'intervint que vers huit heures du soir, et encore d'une façon telle qu'il reste douteux si ce fut par respect pour cette grande cause de l'humanité, ou seulement dans un intérêt de parti.

Le Comité de surveillance, que Marat dominait, avait eu l'audace d'ordonner, ce jour-là, une descente chez Brissot, dont les papiers furent visités avec une absurde insolence, et le bruit de cette atteinte portée à la représentation nationale s'était répandu[195]. Le décret qui, voté dans la soirée du 3, sur la motion du Girondin Gensonné, sommait le Conseil général de la Commune et le commandant de la garde nationale de veiller à la sûreté des personnes et des propriétés[196], ce décret fut-il inspiré par le désir de couper court aux attentats d'un pouvoir qui semblait braver celui de l'Assemblée, et par la crainte des poignards dont la Gironde sentait la pointe arriver jusqu'à son cœur ? Tout ce qu'il est permis d'affirmer, c'est que jamais plus étrange langage ne fut tenu en face d'une situation plus terrible. Dans les considérants du décret, on parlait de haines particulières substituées à l'action de la loi, mais non pas d'égorgements commis en violation des saints droits de l'humanité ; de l'esprit des factions, mais non pas de la tête de femme promenée dans les rues au bout d'une pique ; de la nécessité de se rallier autour de l'autorité déléguée par la nation entière, mais non pas de la nécessité, bien autrement pressante, de relever et de remettre sur son piédestal la statue de la Justice, renversée dans des flots de sang ! On mettait au conditionnel la peinture des excès à réprimer : L'instant où la sûreté des personnes serait méconnue, etc. On rappelait en termes d'un vague calculé le peuple de la capitale à sa dignité, à ses devoirs, et on ne le prononçait même pas, ce mot prisons, ce mot de la situation qu'il eût fallu prononcer à tout prix, et courageusement, et bien haut[197] !

A son tour, Roland écrivit. Et pourquoi ? Principalement, pour se plaindre de la continuation du pouvoir de la Commune, tout en rendant hommage à ses services ; pour recommander qu'on respectât les limites respectives des autorités ; pour expliquer que le Conseil général devait se borner à délibérer, et que l'action n'était point de son ressort ; pour protester contre certaines dénonciations qui, à l'Hôtel de Ville, avaient été à mots couverts dirigées contre les ministres... Mais des horribles scènes de l'Abbaye et de la Force, que disait la lettre ? Je sais que les révolutions ne se calculent point par les règles ordinaires ; mais je sais aussi que le pouvoir qui les fait doit bientôt se ranger sous l'abri des lois, si l'on ne veut qu'il opère une entière dissolution. La colère du peuple est comparable à l'action d'un torrent qui renverse des obstacles qu'aucune autre puissance n'aurait anéantis, mais dont le débordement va porter au loin le ravage et la dévastation, s'il ne rentre bientôt dans son lit. Et après avoir déclaré en propres termes que, sans la journée du 10 août, la France était perdue ; qu'il était dans la nature des choses comme dans celle du cœur humain que la victoire entraînât quelques excès ; et que la mer, agitée par un violent orage, mugissait, encore longtemps après la tempête, le ministre, arrivant aux massacres, ajoutait : Hier... fut un jour sur les événements duquel il faut peut-être laisser un voile. Je sais que le peuple, terrible dans sa vengeance, y porte encore une sorte de justice ; il ne prend pas pour victime tout ce qui se présente à sa fureur, il la dirige sur ceux qu'il croit avoir été trop longtemps épargnés par le glaive de la loi, et que le péril des circonstances lui persuade devoir être immolés sans délai. Mais je sais qu'il est facile à des scélérats, à des traîtres, d'abuser de cette effervescence et qu'il faut l'arrêter[198].

Ainsi, c'était à huit heures, du soir, le 3 septembre, que Roland, ministre de l'Intérieur, parlait d'arrêter des égorgements commencés le 2 septembre à quatre heures, et cela dans un langage qui semblait moins propre à les flétrir qu'à les excuser, et cela noyé au milieu d'une longue sortie contre les hommes zélés, mais sans connaissances et sans mesure, qui prétendent se mêler journellement de l'administration et entraver sa marche, et qui, à l'appui de quelque faveur populaire, obtenue par une grande ardeur et soutenue par un plus grand partage, répandent la défiance, sèment les dénonciations, etc., etc.[199] Ô misères de l'esprit de parti ! dans des moments semblables, ce qui préoccupait avant tout Roland, c'était la popularité du soupçonneux Robespierre !

Et Robespierre ? ah ! ce qui l'obsédait, lui aussi, c'était la Gironde, c'était Brissot ! Car, à cette heure-là même, voici ce qui se passait dans le grand salon du ministère de la Justice.

Tous les ministres, à l'exception de Roland, s'y trouvaient rassemblés, et, avec eux, Pétion, Fabre d'Églantine, Camille Desmoulins, Manuel, Robespierre. La délibération roulait sur les périls de la France, sur la nouvelle de la prise de Verdun, qui venait d'arriver. Danton présidait. Il était vêtu d'un habit de drap écarlate, et la fermeté de son attitude contrastait avec l'anxiété qu'exprimaient autour de lui tous les visages. Théophile Mandar, vice-président de la section du Temple, entra tout à coup, et s'adressant à Danton : Toutes les mesures de salut extérieur sont-elles prises ? — Oui. — Occupons-nous donc de l'intérieur. Il fit alors la proposition d'envoyer à chaque prison un groupe de citoyens influents, pour tâcher de couper court à une frénésie qui, dit-il, souillerait à jamais la gloire du nom français. Mais, le regardant froidement, Danton lui cria : Sieds-toi, c'était nécessaire. A ces mots, Mandar se retire dans une seconde pièce où, prenant à part Robespierre et Pétion, qui l'y avaient suivi : Si demain, leur dit-il, vous consentez à m'accompagner à l'Assemblée, je lui propose d'imiter les Romains dans ces temps de crise, et, pour arrêter les massacres, de créer un dictateur. Et Robespierre de s'écrier aussitôt : Garde-t'en bien ! Brissot serait dictateur !Ô Robespierre, lui dit Mandar, ce n'est pas la dictature que tu crains, ce n'est pas la patrie que tu aimes : c'est Brissot que tu détestes. — Je déteste la dictature et je déteste Brissot. Pétion ne proféra pas une parole[200].

Il y a quelques années, nous apprîmes qu'il existait à Paris un vieillard qui avait traversé la Révolution, en avait connu familièrement les principaux personnages, et en racontait les divers épisodes avec une chaleur et une précision surprenantes dans un homme de son âge. Nous désirâmes le connaître, et nous nous fîmes introduire chez lui par un ami commun. Le jour de la visite, il était malade et gardait le lit. Quand nous entrâmes, il avait la figure tournée du côté du mur. Il ne se dérangea point en nous entendant, et, d'un ton brusque, demanda ce qu'on lui voulait. Quelques renseignements sur Robespierre, dit notre introducteur. A ce nom, et comme par l'effet d'une secousse électrique, le malade se dresse sur son séant et, sans répondre, sans nous regarder, les yeux fixés sur le fond de l'alcôve, les bras étendus, il se met à réciter la fin du dernier discours de Robespierre à la Convention ; puis, d'une voix entrecoupée de sanglots, d'une voix qu'il nous semble entendre encore : Eh ! que pouvait-il dire de mieux, le pauvre diable ? Ce transport soudain, ce violent retour d'un homme à tête chauve vers les impressions du passé, ces bras décharnés, ces larmes coulant dans les rides d'un visage flétri, cette expression même de pauvre diable[201], si affectueuse et si touchante dans sa vulgarité, tout cela formait une scène qui ne sortira jamais de notre mémoire. Quand il se fut un peu remis de son émotion, le docteur Souberbielle nous raconta, entre autres particularités qui trouveront place dans ce livre, que Robespierre ne lui avait jamais parlé des journées de septembre qu'avec horreur, et qu'un jour il s'était écrié devant lui, à propos de la barbarie de Ronsin : Du sang ! toujours du sang ! Ah ! ils finiront par y noyer la Révolution, les malheureux !

Oui, Robespierre était contre les journées de septembre, qu'il désavoua constamment, en ce qui le concernait, soit à la Convention, soit dans ses écrits. Et c'est précisément à cause de cela que l'histoire ici le condamne. Quoi ! il maudissait les massacres dans son cœur, et il ne fit rien pour les empêcher, lui, la grande autorité populaire de l'époque ! qu'était devenu le courage civil qu'il déploya dans la question de la guerre ? n'avait-il pas fait alors un triomphant essai de son influence ? Et voilà que maintenant il manquait l'occasion de rendre cette influence à jamais tutélaire, ou de s'immortaliser en la perdant ! Ignorait-il que puissance oblige ? ignorait-il qu'il est des hauteurs où l'héroïsme est de devoir rigoureux ? Danton donna dans le sophisme insolent qui a fait appeler coup d'État tout ce qui est crime d'État : eh bien, entre Danton, concourant aux massacres parce qu'il les approuve, et Robespierre ne les empêchant pas quoiqu'il les déplore, je n'hésite pas à déclarer que le plus coupable, c'est Robespierre.

Le 4, l'Assemblée poussa un cri qui dut faire tressaillir les prisonniers du Temple. Sur la proposition de Chabot, elle cria : Plus de roi ! Et il fut prêté par tous, le serment de haine éternelle à la royauté. Puis, pour qu'on ne pût soupçonner les Girondins de cette sympathie à l'égard de Brunswick, dont les imprudents appels de Carra les avaient fait croire capables à quelques imaginations défiantes, Aubert Dubayet pressa l'Assemblée de déclarer que jamais elle ne laisserait un étranger donner des lois à la France. Cette motion parlait au cœur de chacun : elle fut accueillie avec transport[202].

Le même jour arriva la nouvelle que, le 2 septembre, la ville de Verdun s'était rendue. N'ayant pu décider le conseil de défense à tenir ferme, le commandant Beaurepaire avait dit : Messieurs, j'ai juré de ne me rendre que mort ; survivez à votre honte, puisque vous le pouvez ; moi, fidèle à mes serments, je meurs libre. Et il s'était fait sauter la cervelle[203].

Ce trait d'héroïsme, qui valut aux cendres de Beaurepaire le glorieux refuge du Panthéon[204], excita dans la France entière une admiration passionnée. Et certes l'orgueil d'avoir de tels enfants était de nature à la consoler de la perte d'une ville. Mais, quoiqu'on ne connût pas immédiatement les détails de la capitulation, ils ne pouvaient qu'ajouter par le contraste à l'opprobre de ceux qui avaient passé sur ce noble cadavre pour aller tendre les clefs de la ville à l'ennemi. Ce fut donc une calamité de plus que la triste nouvelle jetée tout à coup au milieu de Paris embrasé. Elle tendait à ranimer des fureurs déjà lasses.

Aussi ce fut en vain que Roland écrivit à San terre d'employer à garantir la sûreté des personnes les forces que la loi mettait entre ses mains[205] : cet effort, louable quoique tardif[206], n'arrêta rien ; il n'arrêta rien, malgré les bonnes dispositions dont témoignait la réponse de Santerre[207]. Le torrent descendit sa pente ; les exécutions durèrent encore deux jours, et elles produisirent des monstres tels que Charlat, le garçon boucher Allaigre et le nègre Delorme, lesquels tuèrent pour le seul plaisir de tuer, et sans relâche, abritant dans le délire public, les misérables, leur lâche férocité.

L'égorgement de trente-sept femmes[208] à la Salpêtrière, repaire de voleuses et de prostituées, mais où nulle conspiration n'était à poursuivre ; le sac, on pourrait dire, de Bicêtre ; la Marseillaise devenue l'hymne de l'assassinat dans la bouche de ceux qui, le soir, à la lueur des flambeaux, la faisaient servir d'accompagnement au bruit des chars funéraires sur le pavé des rues ; le fait du jeune Maussabré montant, à l'Abbaye, le long d'une cheminée pour s'enfuir, se heurtant la tête à une grille qui lui barre le passage, et tombant à demi mort sur de la paille allumée en bas pour l'étouffer[209] ; enfin, Marat écrivant, au nom du Comité de surveillance, une circulaire destinée à plonger toute la France dans le gouffre sanglant où Paris se débat tait, et Danton la faisant partir, cette circulaire, sous le couvert du ministère de la justice[210]... voilà le tableau complet ! Je me trompe : il y avait des prisonniers à Orléans, l'ex-ministre Delessart, par exemple, et M. de Bris sac, l'ex-commandant, de la garde constitutionnelle de Louis XVI. On les entassa sur des chariots que conduisaient le Polonais Lazouski et Fournier l'Américain, et on leur fit prendre la route de Paris. Parviendraient-ils jusque-là ? Alquier, président du district du département de Seine-et-Oise, craignit que non, et courut à franc étrier prévenir Danton de veiller sur la vie de ces malheureux. Danton l'avertit brusquement de se mêler d'administrer. Les prisonniers d'Orléans arrivèrent donc, le 9 septembre, à Versailles, et n'allèrent pas plus loin que la grille de l'Orangerie... Quand les chariots entrèrent dans Paris, ils étaient vides[211] !

Peltier, qu'aucune exagération, aucun mensonge ne font hésiter quand il les juge de nature à servir ses ressentiments, s'est plu à rêver d'hommes jetés dans la Seine, de passants tués sur les ponts à coups de fusil, etc. et, avec une audace extraordinaire, il a porté à huit mille le nombre de ceux qui périrent. Eh bien, tout monstrueux qu'il était, ce chiffre n'a point paru assez frappant aux éditeurs des Mémoires sur les journées de septembre, qui lui ont substitué, d'un trait de plume, celui de douze mille huit cent cinquante deux. Heureusement, il existe deux tableaux nominatifs des victimes de septembre : l'un dressé par Maton de La Varenne, l'autre par Prudhomme ; et la liste de ce dernier, la plus complète des deux donne pour résultat, — y compris les cinquante-sept prisonniers d'Orléans, — non pas douze mille huit cent cinquante-deux, mais quatorze cent quatre-vingts[212] !

Telle est la vérité sur les journées de septembre.

Il est faux que la Commune en ait tracé d'avance le plan hideux[213], et l'ait donné à exécuter, au milieu de Paris immobile et muet, à une poignée d'assassins à gages[214]. Ah ! s'il était fondé, le système historique qui a prévalu jusqu'ici, parce qu'il fut soutenu, et par les Girondins en haine des Montagnards, et par les royalistes en haine de la Révolution, y aurait-il assez de mépris, assez d'exécration pour tous ces royalistes, pour tous ces Girondins, pour tous ces ministres, pour toute cette Assemblée, pour tout ce peuple, qui, saisis d'horreur mais tremblants de peur, auraient laissé boire tant de sang à une cinquantaine de vampires ? Et à quelle époque de l'histoire faudrait-il donc remonter, juste ciel ! pour trouver un exemple d'universelle lâcheté, comparable à celle dont la France, patrie du courage, aurait alors donné le spectacle ? Non, non, il n'en alla point ainsi. Les journées de septembre eurent le caractère d'emportement contagieux qui, au treizième siècle, avait marqué ces Vêpres siciliennes, où huit mille Français furent égorgés en deux heures. Mais quoi ! ces mêmes prisons de Paris, comme le remarque très-bien un historien anglais[215], n'avaient-elles pas déjà vu leurs dalles rougies du sang des Armagnacs, massacrés en masse par les Bourguignons ? Et les Manuel d'alors n'avaient-ils pas entendu les tueurs leur dire : Maudit soit qui aurait pitié de ces chiens d'Armagnacs ! Ils ont ravagé le royaume de France et l'ont vendu à l'Anglais. Les-journées de septembre sortirent d'un semblable excès de délire, né lui-même de l'excès du péril et de la rage. Elles furent le vertige de Paris menacé de mort, elles furent la démence de la Révolution pantelante. Elles eurent ce qui serre le cœur, ce qui consterne, mais ce qui ne s'est que trop souvent rencontré dans les annales des peuples, un caractère d'irrésistible spontanéité, qui s'associa, chose lamentable et effroyable, au plus fougueux élan de patriotisme qui fut jamais.

France, Révolution, Liberté, qu'il vous a coûté cher, cet accouplement contre nature ! Le monde ne les a plus compris, mêlés aux gémissements venus de l'Abbaye, vos chants de fraternité et de délivrance. Entre vous et lui, un voile rouge venait d'être étendu, derrière lequel disparurent momentanément, et ce que vous aviez accompli d'héroïque, et ce que vous alliez accomplir encore. Vous étiez la vie, et les peuples la cherchaient ; mais dès qu'on leur présenta le corps vivant lie à un cadavre, ils reculèrent d'effroi !

Et puis, quelle pitié de voir la philosophie devenue fanatique pour mieux décrier le fanatisme, et l'apostolat de l'humanité pratiqué à coups de lance ! Les représailles s'éternisent de la sorte ; la peine du talion passe du code de la barbarie dans celui du progrès, qu'il déshonore, et les siècles ne font plus que se venger les uns des autres. En septembre, on disait au prêtre qu'on égorgeait : Souviens-toi de la Saint-Barthélemy !...

 

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Discuter la valeur historique des divers récits auxquels ont donné lieu les journées de septembre, est une tâche qui exigerait un ouvrage tout spécial. Il y a là une véritable montagne d'erreurs à soulever. Je me bornerai donc à analyser, page par page, le travail de M. Michelet ct celui de M. de Lamartine. Nulle part, les journées de septembre n'ont été racontées avec autant de détails et d'une manière en apparence plus complète. On va voir quelles ténèbres restaient encore à dissiper, et combien se trompent ceux qui, comptant sur leurs doigts le nombre des historiens de la Révolution française, s'imaginent que l'histoire de la Révolution est faite !

 

RÉCIT DE M. MICHELET.

Le rôle de Robespierre en septembre, nous l'avons dessiné dans le chapitre qui précède. Ce rôle, — et là fut précisément le grand tort de Robespierre, — se réduisit à gémir en secret et à laisser faire. Deux fois seulement, il apparait sur la scène : le soir du 1er septembre, pour demander, conformément à un décret récent de l'Assemblée, que le Conseil général soit modifié par voie élective ; que ceux-là seuls soient chargés de l'administration municipale qui n'ont point perdu la confiance publique ; qu'en un mot, le pouvoir soit remis au peuple ; et le soir du 2 septembre, pour déplorer l'état de la France, en mettant au nombre de ses périls cette conspiration en faveur du duc de Brunswick, dont Carra s'était fait le portevoix téméraire. Eh bien, qui jamais aurait cru cela possible ? C'est de ces deux circonstances que M. Michelet tire les matériaux de tout un laborieux échafaudage de suppositions tendant à établir la complicité directe de Robespierre dans des événements auxquels il ne prit aucune espèce de part, qu'il désavoua constamment pour son compte personnel, et au sujet desquels il put faire solennellement, du haut de la tribune nationale, sans rencontrer de contradicteur, la déclaration suivante : Ceux qui ont dit que j'avais eu la moindre part aux événements de septembre, sont des hommes ou excessivement crédules, ou excessivement pervers. Quant à l'homme qui a cru pouvoir alors imprimer impunément que je les avais dirigés, je me contenterais de l'abandonner au remords, si le remords ne supposait une âme. (Voyez la séance du 5 novembre 1792.)

Mais examinons comment M. Michelet procède ici : rien de plus curieux.

Page 117. D'abord, il suppose que, dans la bouche de Robespierre, ces mots : remettre le pouvoir au peuple, signifiaient s'en rapporter à l'action révolutionnaire des masses, en appeler au peuple contre l'Assemblée. Quoi ! c'était s'en rapporter à l'action révolutionnaire des masses, que de demander la réélection parfaitement légale des membres du Conseil général ! Quoi ! il était extraordinaire de conclure un discours sur les élections par ces mots qui sont synonymes de l'appel électoral au peuple : remettre le pouvoir au peuple ! Quoi ! Robespierre en appelait à ce même peuple contre l'Assemblée, en pressant une réélection que l'Assemblée venait d'ordonner par décret, c'est-à-dire en provoquant ce que l'Assemblée voulait avec ardeur ! Quoi ! Robespierre fut l'auteur des journées de septembre pour avoir manifesté le désir de voir modifier, à la veille des massacres, ce pouvoir de la Commune auquel, très-injustement d'ailleurs, M. Michelet les attribue ! En vérité, c'est à n'y pas croire. Comment ! parce que, le soir du 1er septembre, Robespierre a dit, à propos des élections à faire, qu'il fallait remettre le pouvoir au peuple, et à cause de cela seulement, M. Michelet nous déclare que Robespierre atteignit et dépassa les plus violents ; que s'il ne fit rien en actes, il fit beaucoup en paroles, et que ce jour-là, les paroles étaient des actes, qu'il ne reparut plus, l'AFFAIRE UNE FOIS LANCÉE ! (Voyez p. 125.)

Page 122. M. Michelet commet une erreur de fait, lorsqu'après avoir dit que la proposition de Robespierre de remettre le pouvoir au peuple ne passa pas, mais que, néanmoins, la Commune imprima, répandit son discours, il ajoute : Grave circonstance qu'attestent les originaux, archives de la Seine, et que ni Barrière ni Buchez n'ont conservée dans leurs extraits. J'en demande bien pardon à M. Michelet ; mais cette circonstance a été parfaitement conservée par Buchez, car voici ce qu'on lit dans son Histoire parlementaire, t. XVII, p. 357 et 358 : MM. Bernard et Lépine sont nommés commissaires, à l'effet de hâter et de surveiller l'impression du discours et de l'adresse de Robespierre, chez Duplain, imprimeur, aux frais de la Commune.

Pages 124 et 125. De ce que Panis fit entrer au Comité de surveillance l'exterminateur Marat, M. Michelet conclut que Robespierre est responsable de tout ce que Marat fit en septembre ! Et pourquoi ? Parce que Panis, dit-il, était l'homme de Robespierre ; parce qu'un jour, devant Barbaroux et Rebecqui, il l'avait proposé comme dictateur. Mais d'abord, il est au moins douteux que Panis ait jamais proposé Robespierre pour dictateur. Lorsque, à la Convention, dans la séance fameuse du 25 septembre 1792, Barbaroux parla de ce fait, Panis lui donna, du haut de la tribune, le démenti le plus formel, et ce démenti, Barbaroux ne le releva point. C'est ce qu'en tout cas M. Michelet aurait dû ne pas omettre ! Et puis, comment concevoir que Robespierre ait vu avec plaisir l'introduction de Marat au Comité de surveillance ? Est-ce que Robespierre ne regardait pas comme funestes à la Révolution les fureurs de Marat ? est-ce qu'il ne le lui avait pas dit à lui-même, dans une entrevue célèbre que celui-ci a rapportée ? et n'est-ce pas justement parce que Robespierre réprouvait l'exterminateur Marat, que le second avait déclaré le premier dépourvu des qualités d'un homme d'État ?

Autre crime de Robespierre, selon M. Michelet : le soir du 2 septembre, il dénonça une conspiration en faveur du due de Brunswick ! Et pourquoi donc ne l'aurait-il pas fait, alors qu'il parlait sur les dangers de la France ? Est-ce que c'était là un vain fantôme de son imagination ? est-ce que cette conspiration, que Billaud-Varenne dénonça, lui aussi, n'existait pas ? est-ce que Carra, dans sa feuille, n'avait pas tout récemment proposé le due pour successeur à Louis XVI ? est-ce qu'on ignore aujourd'hui que Brunswick avait un parti en France, et que sa répugnance à pousser l'invasion sur Paris vint du secret espoir dont on l'avait flatté ? Il est vrai que Carra était Girondin ; mais cette considération devait-elle empêcher Robespierre de signaler, lui, sentinelle avancée de la Révolution, ce qu'il croyait un danger public ?

Page 148. Avait-il nommé, dit M. Michelet, Roland et les autres ? On ne le sait. On sait le contraire ; car, s'il les avait nommés, le procès-verbal de la Commune n'aurait point manqué de le constater. Il les désignait si bien, ajoute M. Michelet, que tout le monde les nommait. Et la preuve qu'il en donne, c'est que le 2, le 3 et le 4, toute la question débattue dans la Commune fut de savoir si elle allait lancer un mandat d'arrêt contre le ministre de l'Intérieur. Or, ceci est une erreur grave, une erreur matérielle. J'ai sous les yeux les comptes rendus des séances de la Commune du 2 septembre, de la nuit du 2 au 3, du 5, du 4, comptes rendus qu'on peut lire dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 355-368, p. 388-396, et t. XVIII, p. 249-259. Eh bien, non-seulement la question d'arrêter le ministre n'est pas débattue, mais il n'est pas dit un seul mot qui le concerne. Le 4, mais le 4 seulement (voyez le discours de Pétion du 29 octobre), Marat fit lancer contre Roland, non par la Commune, mais, ce qui n'est pas la même chose, par le Comité de surveillance (voyez les Mémoires de madame Roland, t. I, p. 102, édit. P. Faugère), un mandat d'arrêt que la Commune ne ratifia point, que Danton fit annuler aussitôt, et dont celui qui aurait pu s'en effrayer n'eut pas même alors connaissance (ibid.). Donc, si, dans sa lettre du 3 à l'Assemblée, Roland n'osa pas condamner avec toute la vigueur d'une âme honnête les attentats de septembre, ce ne fut pas du tout, comme M. Michelet l'explique, parce qu'il était placé sous le poignard (p. 187).

Page 149. Avec tout aussi peu de fondement, M. Michelet écrit : Pour mieux paralyser Roland, le 2 septembre, deux cents hommes entourèrent le ministère de l'Intérieur, criant, demandant des armes. D'abord, cette scène n'eut pas lieu le 2 septembre, mais seulement le 4. Car, madame Roland, qui la raconte dans ses Mémoires, t. I, p. 100 et 101, se trompe évidemment elle-même en lui assignant la date du 2 septembre. Elle suppose, en effet, que les deux cents hommes étaient envoyés par les auteurs du mandat d'arrêt, dont elle parle comme ayant été lancé préalablement. Or, le mandat lui-même ne fut lancé que le 4 septembre, selon le témoignage formel de Pétion. Les erreurs de ce genre ne sont pas rares chez madame Roland, qui écrivit ses Mémoires de souvenir ; mais un historien grave est tenu de les rectifier, surtout quand elles sont de nature a consacrer de faux jugements sur les hommes et sur les choses. Quant à attribuer la démarche de ces fougueux visiteurs au parti pris de terrifier Roland, de le paralyser, rien de moins vraisemblable. Est-ce qu'on n'était pas alors dans un moment de fièvre patriotique et militaire ? est-ce qu'il n'y avait pas des milliers de citoyens s'armant ou cherchant à s'armer pour courir à la frontière ? — Mais pourquoi ces hommes s'adressaient-ils au ministère de l'Intérieur ? — Roland lui-même l'explique, en mentionnant le fait dans sa lettre du 13 septembre aux Parisiens. (Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVIII, p. 29) : Parce que ils avaient été chez le ministre de la Guerre, absent pour le moment. Aussi bien, que dit madame Roland dans ses Mémoires, t. I, p. 102 ? Elle avoue que l'anecdote, racontée par elle, immédiatement après, à un cercle nombreux de ministres et de députés, fut prise par la plupart comme le résultat fortuit des circonstances et de l'effervescence des esprits. Roland était ministre de l'Intérieur : empêcher les égorgements au péril de sa vie, ou donner sa démission avec éclat, tels étaient les devoirs de sa charge. Et ce n'est point en donnant une extension arbitraire à une dénonciation parfaitement fondée en elle-même, et où il n'était nommé en aucune sorte, qu'on l'absoudra de ne les avoir pas remplis.

Page 151. Étrange système d'absolution générale, aux dépens d'un homme ! Pour justifier autant que possible l'inaction des ministres girondins, et montrer qu'ils ne pouvaient rien, ayant été atteints la veille, percés, et de part en part, des traits mortels de Robespierre, — on sait à quoi cela se rapporte — M. Michelet assure que, par le seul fait de la conspiration de Brunswick dénoncée, le peu de pouvoir moral que conservait encore le ministère se trouva anéanti. En effet, dit-il, on crut, on répéta que la Commune déclarait le pouvoir exécutif déchu de la confiance nationale. Mais sur quelles bases s'appuie cette assertion, écrite par l'historien en lettres italiques, et présentée comme la constatation d'un bruit universellement répandu ? M. Michelet cite une section de l'île Saint-Louis qui alla demander à l'Assemblée ce qui en était. Mais de ce simple fait, de ce fait particulier qui montre que, parmi l'immense quantité de rumeurs diverses en circulation dans ces heures de trouble, une de ce genre était parvenue à la section de l'île Saint-Louis, est-on autorisé à conclure que tout Paris croyait le pouvoir déchu de la confiance nationale, de par la Commune ? Cependant, que fait l'Assemblée interrogée à cet égard ? Elle répond unanimement : Non ! Non ! Sur quoi, les pétitionnaires promettent la plus entière soumission à toutes les décisions de l'Assemblée. Et c'est avec ce texte sous les yeux que M. Michelet écrit : Cette négation n'eut aucun effet sur l'opinion. Les ministres restèrent brisés. Mais allons plus loin. A quel moment se rapporte cette dénonciation de la conspiration de Brunswick sur laquelle M. Michelet revient sans cesse, à tout propos, avec un acharnement si extraordinaire, et de laquelle serait né le bruit semé dans tout Paris que le pouvoir exécutif était indigne de la confiance publique aux yeux de la Commune, bruit qui aurait provoqué la démarche de la section de l'île Saint-Louis ? Quand cette députation parut à la barre-de l'Assemblée (voyez l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 348), il était six heures du soir. Or, le discours de Robespierre à la Commune ne fut prononcé qu'a la fin d'une longue séance dont les procès-verbaux fixent le commencement à quatre heures du soir. De sorte que, lorsque la section de l'île Saint-Louis se présenta à l'Assemblée, Robespierre n'avait pas encore, selon toute apparence, pris la parole à l'Hôtel de Ville !

Page 132. M. Michelet dit que, le 2 septembre, les furieux bavards qui prêchaient la théorie de Marat coururent les assemblées de sections à peu près désertes, et que, quant aux mesures générales, il semble que leurs paroles n'aient pas trouvé assez d'écho ; qu'il n'y eut que deux sections, celle du Luxembourg et la section Poissonnière, où la proposition d'un massacre ait été accueillie : deux sur quarante-huit. Ce qui est vrai, c'est que sur neuf sections dont on possède les délibérations relatives aux événements de septembre, quatre seulement prirent des arrêtés favorables aux massacres. (Voyez Histoire de la Terreur, par M. Mortimer-Ternaux, t. III, p. 475 et suiv.) Mais le discours de Pétion, du 29 octobre, prouve que ces. dispositions à la vengeance étaient générales, et cite une section qui, dès le 23 août, était venue en députation au Conseil de la Commune, déclarer que les citoyens, indignés des retards apportés dans les jugements, forceraient les portes des prisons et immoleraient à leur vengeance les coupables qui y étaient renfermés. A la section des Thermes, la proposition du massacre fut faite formellement. Maton de La Varenne dit (Histoire particulière, p. 310) que à la section des Postes, le commissaire de la Commune désigna tous les prisonniers comme émissaires du roi de Prusse et provoqua contre eux la fureur du peuple.  Méhée, dans sa Vérité tout entière, écrit : Courons aux prisons ! Ce cri terrible, j'en atteste tous les hommes impartiaux, retentit à l'instant d'une manière spontanée, unanime, universelle, dans les rues, dans les places publiques, dans tous les rassemblements. Or, cette brochure, publiée en haine des journées de septembre, a un grand poids dans la question de la spontanéité et de l'unanimité populaires, comme le fait très-bien observer M. Dupont (de Bussac), p. 353, des Fastes de la Révolution. Enfin, dans son Histoire de la Révolution, M. Villiaumé assure de visu, p. 239, du t. II, qu'une foule de registres des sections sont lacérés à l'endroit des 2 et 3 septembre, ces sections ayant voulu, après le massacre, faire disparaitre la trace de la part qu'elles y avaient prise.

Page 134. Le discours de Vergniaud, du 2 septembre, que M. Michelet cite comme hardi, était au contraire en harmonie avec les passions du moment, et de nature à les enflammer. Il est bien hasardé de prétendre que le grand orateur voulait perdre dans l'élan militaire la panique et la terreur ! Singulier moyen d'empêcher la panique et la terreur, que de montrer les ennemis marchant sur Paris en laissant derrière eux les places fortes, et de rappeler par quelles trahisons les terreurs paniques étaient semées ! Pour ce qui est de l'élan militaire, il n'avait nul besoin d'être excité. Il fut immense et parallèle au mouvement du massacre. Les places d'enrôlements étaient encombrées. A compter de ce moment, dix-huit à vingt mille volontaires sortirent tous les jours des murs de Paris. L'enthousiasme militaire était si grand que, le 8 octobre, le Conseil général dut faire observer aux citoyens qu'un déplacement trop précipité et trop considérable nuirait également et au commerce et aux moyens de fournir aux premiers besoins des défenseurs de la patrie. Parler enthousiasme militaire devant l'enthousiasme militaire, ce n'était pas hardi, c'était habile. Ce qui eût été hardi, c'eût été de crier bien fort que la victoire devait s'honorer par l'humanité, et c'est ce que Vergniaud ne dit pas !

Page 139. De ce qu'au moment où le canon se fit entendre, des hommes armés, et non une masse de peuple, des soldats, des fédérés de Marseille ou d'Avignon pénétrèrent dans la prison de la mairie, et dirent aux prisonniers qu'il fallait aller à la mairie, M. Michelet conclut que le Comité, par une autorisation au moins verbale, livra les prisonniers à la mort. Mais est-ce que les fédérés n'étaient pas une masse de peuple ? Est-ce qu'ils formaient la milice du Comité ?

Pages 139 et 140. M. Michelet présente le premier acte du massacre sous de très-fausses couleurs. Suivant lui, il y aurait eu dessein machiavélique par le Comité et par les massacreurs à ses ordres, de faire paraitre l'égorgement des prêtres un acte spontané du peuple. Pour cela, pendant le trajet des voitures, ils auraient cherché à irriter la foule d'une part, à provoquer les prêtres de l'autre ; enfin, près de la prison, ils auraient lance des coups de sabre et de pique au travers des voitures, d'où le coup de canne donné par un des prisonniers, prétexte attendu, etc. Tout ceci, sauf l'affaire du coup de canne, est calqué sur le récit de l'abbé Sicard. Mais il faut remarquer que l'abbé Sicard était dans la première voiture, et n'a pu voir conséquemment ce qui se passait dans la dernière. Son témoignage ici a donc beaucoup moins de poids que celui de Méhée qui affirme avoir suivi les voitures, et qui certes ne saurait être accusé de partialité à l'égard des meurtriers de septembre. Or, voici le récit de Méhée : Un des prisonniers, sans doute aliéné, passe son bras à travers la portière et donne un coup de canne sur la tête d'un des fédérés qui accompagnaient ; celui-ci furieux tire son sabre, etc. (La Vérité tout entière, par Méhée.) Maton de La Varenne atteste le même fait. Encore si M. Michelet avait suivi l'abbé Sicard jusqu'au bout, puisqu'il le choisissait pour guide ! Mais non. L'abbé Sicard écrit : La cour était pleine d'une foule immense. On entoure nos voitures ; un de nos camarades croit pouvoir s'échapper ; il s'élance au milieu de la foule ; il est aussitôt égorgé. Un second fait le même essai ; il fend la presse, et allait se sauver ; mais les égorgeurs tombent sur cette nouvelle victime. Pourquoi l'abbé Sicard et deux autres prêtres qui se trouvaient dans la même voiture furent-ils épargnés alors ? Probablement parce qu'ils n'essayèrent pas de fuir. De tout cela M. Michelet ne dit pas un mot ; il ne dit pas que les premières victimes durent leur malheur à une tentative de fuite. On sent l'importance d'une telle omission !

Pages 142 et 143. M. Michelet reconnait que l'enquête qu'on fit plus tard contre les septembriseurs ne mentionne ni les fédérés du Midi, ni la tourbe populaire, que nous avons vue d'abord figurer sur la scène sanglante de l'Abbaye. Les gens désignés par l'enquête sont des personnes du voisinage, tous marchands de la rue Sainte-Marguerite et des rues voisines : fruitiers, savetiers, horlogers, limonadiers, etc., etc. Mais comment ne voit-il pas que ceci ruine de fond en comble le système qui consiste à attribuer le massacre à un plan concerté d'avance par le Comité de surveillance et exécuté par des soldats, comme il le dit p. 139, fédérés de Marseille ou d'Avignon, lesquels auraient reçu de ce comité l'autorisation, au moins verbale, de tuer les prisonniers ?

Page 153. M. Michelet se demande ce que dit Danton dans la nuit du 2, et il répond : Je ne peux pas croire qu'il ait déjà accepté la pleine responsabilité du crime. Le succès était encore trop douteux. M. Michelet a sans doute ignoré le mot de Danton à Grand pré, le 2 au soir, à onze heures : Je me f..s bien des prisonniers ! qu'ils deviennent ce qu'ils pourront. (Voyez les Mémoires de madame Roland, t. I, p. 27 et 103, note 1. — Édition P. Faugère.)

Pages 168 et 169. Pour indiquer comment le vol en vint à se mêler au massacre, M. Michelet écrit : Le commencement fut modeste. Dans la soirée du 2, ou la nuit du 2 au 3, plusieurs de ceux qui tuaient à l'Abbaye, n'ayant ni bas ni souliers, regardèrent avec envie les chaussures des aristocrates. Ils ne voulurent pas les prendre sans être autorisés ; ils montèrent à la section, demandèrent la permission de mettre à leurs pieds les souliers des morts. La chose ayant été obtenue facilement, l'appétit leur vint, etc. Ce fait, M. Michelet l'a emprunté, sans le dire, à la relation de l'abbé Sicard, qui le présente ainsi (p. 110 des Mémoires sur les journées de septembre) : Un de ces bourreaux. entre dans l'enceinte où délibérait le comité : Je viens vous demander, pour nos braves frères d'armes qui égorgent ces aristocrates, s'écrie-t-il, les souliers que ceux-ci ont à leurs pieds. Nos braves frères sont nu-pieds, et ils partent demain pour les frontières. Ces mots : et ils partent demain pour les frontières ; ces mots prononcés par les mêmes hommes que l'abbé Sicard montre, dans la page qui précède, venant déposer sur la table du comité les bijoux, les portefeuilles, et jusqu'aux mouchoirs trouvés sur les morts ; ces mots qui donnent à la demande un caractère si complètement exclusif de l'idée de vol. voilà ce que, dans l'emprunt fait au récit de l'abbé Sicard, M. Michelet oublie.

Page 170. Il est vivement à regretter que, adoptant la version royaliste qui représente le massacre comme ayant été salarié, M. Michelet ait écrit : A l'Abbaye, Billaud-Varenne insista seulement pour qu'on sauvât les dépouilles. Toutefois, comme toute peine mérite récompense, il promit aux ouvriers un salaire régulier. Cette mesure, très-odieuse, et qui impliquait une approbation, n'en eut pas moins un bon effet ; du moment qu'ils furent payés régulièrement, ils travaillèrent beaucoup moins, se donnèrent du bon temps et se ralentirent. C'est évidemment dans la Vérité tout entière de Méhée, et dans l'Histoire particulière de Maton de La Varenne, que M. Michelet a puisé une partie de son récit. Mais un rapprochement plus attentif des documents divers et une plus sévère analyse des données historiques lui eussent épargné le malheur d'appuyer de son nom une imputation aussi fausse qu'odieuse. Suivant Méhée et Maton de La Varenne, Billaud-Varenne, arrivant à l'Abbaye, aurait dit aux exécuteurs : Respectables citoyens, vous venez d'égorger des scélérats et de sauver la patrie. La France tout entière vous est redevable. La municipalité ne sait comment s'acquitter envers vous. Sans doute le butin et la dépouille appartiennent à ceux qui nous ont délivrés des traitres. Mais sans croire pour cela vous récompenser, je suis chargé de faire payer sur-le-champ vingt-quatre livres à chacun de vous. Remarquons d'abord que, dans sa relation, l'abbé Sicard prête à Billaud-Varenne un tout autre langage. D'après l'abbé Sicard, Billaud-Varenne aurait dit à ses ouvriers : Mes amis, mes bons amis, la Commune m'envoie vers vous pour vous représenter que vous déshonorez cette belle journée. On lui a dit que vous voliez ces coquins d'aristocrates, après en avoir fait justice. Laissez, laissez tous les bijoux, tout l'argent et tous les effets qu'ils ont sur eux, pour les frais du grand acte de justice que vous exercez. On aura soin de vous payer, comme on en est convenu avec vous. (Voyez la Relation de l'abbé Sicard, p. 134 des Mémoires sur les journées de septembre.) Si, dans un récit où l'on ne doit pas naturellement s'attendre à trouver beaucoup d'impartialité et de sérénité, l'abbé Sicard n'a pas à son tour exagéré ou altéré les paroles de Billaud-Varenne, c'est ce que nous n'examinerons pas ici ; qu'il nous suffise de faire observer combien sa version diffère de celle de Méhée et de Maton de La Varenne. Il ne s'agit plus, dans la version de l'abbé Sicard, de ceux qui exécutent les prisonniers, mais bien de ceux qui dépouillent les morts, besogne dont la Commune avait effectivement chargé certains ouvriers, au prix convenu de vingt-quatre livres, mentionné par Billaud Varenne. Et de ceci la preuve officielle se trouve écrite dans les COMPTES DE LA COMMUNE, où on lit : A Mazuyer, guichetier, qui a été chargé de retirer les divers effets trouvés sur les individus morts, vingt-quatre livres. (Voyez les Comptes de la Commune, p. 312 des Mémoires sur les journées de septembre.) Peltier, Maton de La Varenne, l'abbé Sicard, s'accordent à raconter comme quoi les corps furent enlevés dans la matinée du 3 septembre ; et cet enlèvement eut lieu en vertu de l'ordre suivant de la municipalité : Monsieur, vous ferez sur-le-champ enlever les corps des personnes de votre prison qui n'existent plus. Que, dès la pointe du jour, tout soit enlevé et porté hors de Paris dans des fosses profondes, bien recouvertes de terre. Faites avec de l'eau et du vinaigre laver les endroits de votre prison qui peuvent être ensanglantés, et sablez par-dessus. Vous serez remboursé de vos frais sur vos états. A la mairie, ce 3 septembre, une heure du matin. — P. S. Employez des hommes au fait, tels que les fossoyeurs de l'Hôtel-Dieu, afin de prévenir l'infection. — LES ADMINISTRATEURS DE POLICE, PANIS, SERGENT. Ces hommes au fait, ces fossoyeurs de l'Hôtel-Dieu, les ouvriers chargés d'aller prendre des voitures, d'enlever les cadavres, de laver les cours, de retirer les effets qui se trouvaient sur les individus morts pour les remettre au Conseil général, voila ceux qu'on était convenu de payer, et ceux à qui Billaud-Varenne vint le rappeler, afin de les empêcher de rien garder pour eux dans les effets des morts qu'ils avaient charge de dépouiller. C'est, du reste, ce qui résulte positivement de la déclaration du citoyen Jourdan, qu'on n'accusera certes pas d'avoir voulu diminuer l'horreur des journées de septembre. Il raconte (p. 148 et 149 des Mémoires sur les journées de septembre) que, dans la matinée du 3, sept ou huit massacreurs vinrent lui demander (il présidait la Section des Quatre-Nations) leur salaire. Quel salaire ? leur dit-il. Le ton d'indignation avec lequel il leur fit cette demande les déconcerta. Mais, soit qu'ils fussent, comme Jourdan le crut, du nombre des massacreurs ou non, c'était si peu au fait du massacre qu'était promis un salaire, que, selon le récit du même Jourdan, ces hommes ajoutèrent aussitôt : Nous avons passé notre journée à dépouiller les morts. L'auteur, faisant alors intervenir Billaud-Varenne, lui met dans la bouche le langage que voici : Il nous fit un grand discours pour nous prouver l'utilité et la nécessité de ce qui s'était passe. Il finit par nous dire qu'en venant à notre comité, il avait rencontré plusieurs des ouvriers (ce sont ses expressions) qui avaient travaillé dans cette journée, lesquels lui avaient demandé leur salaire ; qu'il leur avait promis que nous leur donnerions à chacun un louis. (Voyez la Déclaration du citoyen Jourdan, p. 149 des Mémoires sur les journées de septembre.) Maintenant, qu'on lise et qu'on relise les COMPTES DE LA COMMUNE, où toutes les dépenses de ces fatales journées sont détaillées avec tant de minutie, on n'y découvrira pas un article qui se rapporte à un salaire quelconque donné aux exécuteurs. Certes, jamais démonstration ne fut plus complète. Mais veut-on encore une preuve ? Nous l'empruntons à la dissertation lumineuse de M. Dupont (de Bussac) sur les journées de septembre : Divisez, dit-il, 1463 — total des prétendus salaires payés aux exécuteurs — par 24, vous aurez le salaire de soixante personnes, plus une fraction de 23 livres. Comme on a exécuté chaque jour dans cinq ou six prisons, il suivrait de là que les soixante exécuteurs auraient dû se partager entre toutes les prisons, c'est-à-dire qu'il n'y aurait eu qu'une dizaine d'hommes à chaque prison, ce qui est démenti par tous les documents. (Voyez les Fastes de la Révolution, p. 377.)

De tout ce qui précède, il résulte invinciblement que, si le sang des victimes de septembre fut versé dans les transports d'un abominable délire, il ne fut pas du moins payé aux forcenés qui le versèrent ; il en résulte invinciblement qu'il n'y eut de salariés que les hommes de peine employés à faire disparaitre les traces du meurtre ; qu'il était conséquemment tout simple que Billaud-Varenne, en parlant d'eux, les appelât des ouvriers ; qu'on l'a calomnié en prétendant qu'il désignait ainsi les massacreurs, ce qui eût été en effet déshonorer la langue française ; qu'il fut coupable de croire de tels égorgements utiles ou nécessaires, mais qu'il fut coupable de cela seulement. Hélas ! c'est bien assez !

Pages 171 et 172. M. Michelet déclare en note que le fait de l'horrible supplice infligé à la bouquetière n'est pas très-sûr. Et il ajoute que M. Labat a cherché inutilement son nom sur le registre d'écrou de la Conciergerie. Pourquoi donc alors, dans le texte, donne-t-il ce fait, qui n'est pas sûr, et ses épouvantables détails, comme une révélation de la tendance monstrueuse qu'il caractérise en ces termes : Plusieurs, on le voyait trop, jouissaient à tuer ? De pareils événements n'ont besoin, ce me semble, ni d'être dramatisés, ni d'être enlaidis !

Page 173. La Commune, dit M. Michelet, n'avait plus aucune raison de désirer qu'on tuât... Elle tenait terrassés l'Assemblée, la presse, Paris. Nous démontrerons et surabondamment, dans notre critique du récit de M. de Lamartine, combien est faux le point de vue qui fait des massacres de septembre l'exécution d'un système froidement conçu par la Commune.

Page 189. Quelle que soit la tendresse de M. Michelet pour Danton, c'est, hâtons-nous de le dire, avec la plus haute et la plus généreuse éloquence qu'il lui reproche d'avoir envoyé aux départements la circulaire de Marat. Danton, écrit-il, eut peur devant Marat. Cette parole est mieux que dure, elle est belle. Seulement, l'explication n'est pas admissible. Trop de faits — nous les avons mis en lumière — démontrent que Danton considérait le massacre des prisonniers comme un coup d'État nécessaire ; et ces fait, pour avoir été omis par M. Michelet, n'en restent pas moins acquis à l'histoire.

En résumé, ce qui est à reprendre dans le récit de M. Michelet, c'est : 1° D'avoir très-injustement, tranchons le mot, étendu à Robespierre la responsabilité d'un attentat qui lui fit horreur ; 2° d'avoir essayé par toutes sortes d'omissions et d'hypothèses, de laver la mémoire de Danton de ce sang dont il reste souillé, d'après ses propres aveux, aux yeux de la postérité ; 3° d'avoir jeté sur la conduite des Girondins dans ces journées un voile complaisant ; 4° d'avoir, transgressant les lois de la certitude historique, chargé les couleurs de l'affreux tableau ; 5° d'avoir noirci la Commune outre mesure ; 6° d'avoir fait salarier les massacreurs ; 7° d'avoir présenté ce qui fut un accès d'effroyable délire comme le fruit d'une préméditation infernale.

 

RÉCIT DE M. DE LAMARTINE.

Ce qui frappe tout d'abord dans le récit de M. de Lamartine, c'est l'omission de toutes les causes générales qui amenèrent et rendirent possible la sanglante catastrophe. La trahison et les prodigieuses terreurs semées par les calculs de la trahison même, la reddition infâme de Longwy aggravée par la désertion en masse de Royal-Allemand et des hussards de Lauzun, la soudaine nouvelle des révoltes de la Vendée au souffle des prêtres, le scandale de certains acquittements, la déclaration du plus noir des complots sortie du fond même des prisons, les renseignements funèbres publiés par le Moniteur comme pour mieux appuyer les sauvages prédications de Marat, le discours enflammé de Vergniaud, l'annonce de l'arrivée des Russes par le ministre Lebrun, la proclamation signée de tous les ministres et affichée sur tous les murs où se lisaient ces mots sinistres : Vous avez des traitres dans votre sein. Ah ! sans eux le combat serait bientôt fini... voilà les circonstances qui, rassemblées, groupées dans nos souvenirs comme elles le furent dans la réalité, expliquent le fatal délire dans lequel Paris fut précipité. Pour peu qu'on les rejette dans l'ombre, comme a fait M. de Lamartine, l'horreur des journées de septembre se trouve naturellement centuplée. Et maintenant, supposez que tous ces meurtres vous soient racontés l'un à la suite de l'autre, sans intermittence, sans point d'arrêt, sans la moindre indication des choses héroïques qui se passèrent dans le même temps, et qui viennent reposer un peu l'âme oppressée ; supposez qu'on oublie une foule de détails touchants comme ceux qui marquèrent l'acquittement de Jourgniac de Saint-Méard et la délivrance du frère de Toulongeon ; supposez qu'on oublie cette remarquable parole de Maillard : Ce n'est pas pour juger les opinions que nous sommes ici, c'est pour en juger les résultats ; supposez que, tout en reconnaissant dans un endroit, que ce Maillard épargna tous ceux qui lui fournirent un prétexte de les sauver, on dise de lui ailleurs : qu'il aimait le sang, qu'il portait les têtes, qu'il arborait les cœurs, qu'il dépeçait les cadavres... de quel inexprimable mélange de dégoût et d'effroi le lecteur ne restera-t-il pas saisi à jamais ! Eh bien, tel a été le système suivi par M. de Lamartine. Tout le long de 123 pages — édition de Bruxelles, Wouters frères — on ne voit que cadavres tombant sur des cadavres, on n'entend que le râle de victimes agonisantes, si bien qu'on se demande, à la fin, s'il ne faut pas rayer du livre des humains le peuple dont la vie a pu contenir ces scènes de l'enfer. Et, pour les décrire, le procédé de M. de Lamartine a été bien simple. Sans vérifier les allégations diverses, sans comparer les documents contradictoires, sans éclairer enfin l'histoire par l'analyse, il n'a fait que mettre en faisceau tous les hideux détails épars dans les pamphlets des plus violents royalistes, depuis Peltier jusqu'à Georges Duval.

S'agit-il, par exemple, de l'égorgement des prêtres conduits à l'Abbaye ? M. de Lamartine n'examine pas s'il est vrai, comme Méhée, qui était présent, l'affirme, que cet égorgement fut la suite d'un coup de canne asséné par un prêtre sur la tête d'un fédéré ; il n'examine pas s'il est vrai, comme l'abbé Sicard en convient, que les premiers prêtres massacrés le furent pour avoir essayé de s'enfuir : non ; il ouvre les Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 216, et de ce livre où le fiel déborde, de ce livre qui n'est qu'un épanchement de rage contre-révolutionnaire, il tire la scène qu'on lit dans la page 194 de son Histoire des Girondins, sans oublier les hurlements de joie des bourreaux dont parle Georges Duval, et qu'il traduit, lui, par les éclats de rire de la populace ! Or, on sait qu'un des traits les plus frappants de cette tragédie de septembre est la joie que la foule témoignait à chaque acquittement et le silence morne avec lequel chaque sentence de mort était accueillie. Il existe à cet égard des documents décisifs, que nous avons déjà cités, et qu'opposer aux témoignages réunis de Jourgniac de Saint-Méard, de l'abbé Sicard, de Maton de La Varenne, qui tous s'accordent à déclarer qu'après leur acquittement, ils furent portés en triomphe par les égorgeurs eux-mêmes ?

Nous avons raconté l'histoire vraie du prétendu verre de sang offert à mademoiselle de Sombreuil ; voici la version de M. de Lamartine, p. 254 : On accorde à la fille la vie de son père, mais à un horrible prix ; on veut qu'en signe d'abjuration de l'aristocratie, elle trempe ses lèvres dans un verre rempli du sang des aristocrates. Mademoiselle de Sombreuil saisit le verre d'une main intrépide, le porte à sa bouche et boit au salut de son père. Ce geste la sauve. Et, de la sorte, l'acte de compassion auquel cette fille généreuse dut la vie de son père, se trouve transformé en un acte de cannibalisme !

Mais ce qui rend le récit de M. de Lamartine complètement inexact au point de vue de l'impression vraie à produire sur l'âme du lecteur, c'est le procédé qui lui a fait rassembler en un seul coin du tableau, et raconter sans solution de continuité, des horreurs auxquelles une foule de faits admirables, qu'il omet, firent diversion. Entre le premier et le dernier acte, n'y a-t-il donc eu, pour les unir, que des égorgements, encore des égorgements, et toujours des égorgements ? Quoi ! on ne nous fait grâce ni d'une tête coupée, ni d'une goutte de sang répandue, ni d'un cri féroce, ni d'un coup de pique ; et la prodigieuse affluence des volontaires demandant à partir pour le camp, et les actes par où la Commune s'égala presque au Sénat romain menacé par l'ennemi, et les dons de toutes parts déposés sur l'autel de la patrie, et les élèves des écoles se formant en compagnies franches, et les femmes s'offrant pour monter la garde, et les citoyens vendant leurs maisons, jusqu'à leurs meubles, pour fournir aux frais de la guerre, toutes ces grandes choses qui se passèrent pendant le massacre même, toutes ces choses héroïques qui n'ont rien du roman, elles, et dont le souvenir nous a été conservé, non par des pamphlets, mais par des procès-verbaux, voilà ce qu'on oublie de dire juste à l'endroit où il fallait le dire de toute nécessité pour l'honneur de la France, plus encore, pour l'honneur de la nature humaine ! Nous ne saurions trop le répéter : en matière d'histoire, il est des omissions, ou même de simples déplacements de faits, dont la portée est pire que celles des affirmations les plus erronées.

Du moins si, chez M. de Lamartine, les principales affirmations étaient exactes ! Mais non. Le suivre pas à pas nous mènerait trop loin ; nous n'examinerons donc pas ici s'il n'a pas enflé outre mesure le rôle de Danton, amoindri outre mesure celui de la Commune, effacé celui de la Gironde, de cette même Gironde dont il écrivait spécialement l'histoire : l'erreur que nous avons surtout à cœur de détruire, parce qu'elle est très-sérieuse de sa nature, et qu'elle domine tout le récit de M. de Lamartine, c'est celle qui se produit si carrément dans la phrase suivante de la page 184 : Des actes et des pièces irrécusables attestent que, pour cette convulsion populaire, prédite et acceptée sinon provoquée par Danton, tout fut prémédité et préparé d'avance, exécuteurs, victimes, et jusqu'aux tombeaux.

Voyons, en suivant page par page le livre de M. de Lamartine, quels sont ces actes et ces pièces, qu'il affirme irrécusables, sans du reste indiquer ses sources, sans nommer ses autorités. Dans les Fastes de la Révolution, ouvrage qui malheureusement est resté inachevé, M. Dupont (de Bussac) publia, il y a quelques années, sur les journées de septembre, un lumineux travail qui confirme de tout point nos propres recherches et dont nous nous aiderons ici.

Page 184. Quel est le conciliabule que M. de Lamartine amène sur la scène dans cette page de son livre ? quel est ce conciliabule dont le mystère aurait couvert les délibérations, et où cependant on saurait que Danton, faisant un geste horizontal, s'écria d'une voix âpre et saccadée : Il faut faire peur aux royalistes. L'auteur place ce conciliabule avant la fameuse mesure des visites domiciliaires, celle qui fut exécutée dans la nuit du 29 au 30 août ; et, dans son récit, les visites domiciliaires figurent comme le résultat des délibérations mystérieuses en question et le premier acte du drame des massacres. Il y a là deux erreurs. 1° La mesure des visites domiciliaires fut, comme nous l'avons raconté au long dans le chapitre qui précède, votée par l'Assemblée elle-même, sur la motion de Danton il est vrai, mais très-volontairement, très-ouvertement, et sans la moindre prévision du massacre des prisonniers ; 2° le fait des visites domiciliaires ne se peut en aucune façon lier à l'hypothèse que les journées de septembre furent préméditées soit par la Commune en masse, soit par son comité de surveillance. Car, dans ce cas, le Comité de surveillance ou la Commune aurait maintenu la fermeture des barrières, ce qui n'eut pas lieu. Fermées pendant les visites domiciliaires, elles furent rouvertes après, et ne furent fermées de nouveau que le 2 septembre, lorsque la nouvelle du siège de Verdun fut venue mettre tout en fermentation, et pour faciliter l'exécution du décret de l'Assemblée, qui prononçait peine de mort contre quiconque refuserait de servir de sa personne ou de remettre ses armes. Les visites domiciliaires opérées dans la nuit du 29 au 30 août se rattachent si peu au prétendu complot du massacre des prisons, que, dans la séance du 30 au matin, le Conseil général de la Commune se déchargea sur les diverses sections du soin d'examiner les citoyens pendant la nuit, et qu'il alla même jusqu'à décider que tous les citoyens qui avaient signé la pétition des vingt mille seraient désarmés et mis en liberté. Mais nous reviendrons sur ce point.

Page 184. M. de Lamartine rappelle' l'aveu que, plus tard, Danton fit de sa participation aux journées de septembre. De sa participation, oui. Mais le débat ne porte pas là-dessus, il porte sur le fait de la préméditation, ce qui est bien différent. Danton ne fit-il que s'associer à un mouvement vertigineux de la colère publique, ou bien prépara-t-il l'assassinat au sein d'un conciliabule, directeur systématique de meurtres ? Voilà le point en question. Or, jamais ce fait de la préméditation ne fut avoué par personne, pas même par Marat. Que dis-je ? ce Marat qui, loin de se défendre de ses appels au meurtre, aimait à s'en vanter, traite d'insinuation perfide et d'imposture, dans son Journal de la République, l'hypothèse qui rejette sur le Comité de surveillance de la mairie ce qu'il appelle les exécutions populaires de septembre. (Voyez le n° 12 du Journal de la République, octobre 1792.)

Page 185. Quelques jours avant le massacre, s'il en faut croire M. de Lamartine, Maillard aurait été chargé de retenir les tombereaux nécessaires pour charrier les cadavres. Il y a plus : dès le 28 août, à six heures du matin, DEUX AGENTS du COMITÉ DE SURVEILLANCE se seraient présentés chez le fossoyeur de la paroisse Saint-Jacques du Haut-Pas, lui auraient enjoint de prendre sa bêche et de les suivre, auraient déplié une carte, marqué la place d'une fosse profonde, remis la somme nécessaire au salaire des ouvriers, et recommandé que l'ouvrage fût achevé le quatrième jour. Rien de plus dramatique, de plus fantastique même. Mais où M. de Lamartine a-t-il pris tout cela ? Puisqu'il s'est abstenu de le dire, nous le dirons, nous. Cette scène, si bien arrangée, se trouve, presque mot pour mot, dans les Souvenirs de la Terreur, de Georges Duval, t. II, chap. XXI, p. 223 et 224. Or, le libelliste Georges Duval, qui prétend avoir retracé tout simplement dans son livre ce qu'il a vu ou entendu, donne-t-il le fait dont il s'agit comme étant à sa connaissance personnelle ? Nullement. A-t-il été présent à l'entrevue du fossoyeur et des deux émissaires ? Point du tout. Indique-t-il du moins de qui il tient ces étranges détails ? Non. Or, dit-il, il arriva que le 28 août 1792, à six heures du matin, etc. Malheureusement pour l'auteur, il existe dans les COMPTES DE LA COMMUNE un article qui donne à une partie essentielle de l'anecdote un démenti assez formel. Cet article porte : Ordonnance du 1er octobre, au profit de Char..., entrepreneur des carrières, pour journées des ouvriers employés tant à dépouiller les cadavres qui ont été apportés dans le lieu appelé la Tombisoire, au Petit-Montrouge, que pour les descendre par un puits de service sous la carrière existante sous cet emplacement... Ce ne fut donc pas au fossoyeur que fut remise la somme destinée au salaire des ouvriers, et il n'est pas vrai qu'on paya cette somme d'avance. Qu'après ou pendant le massacre, la municipalité ait ordonné des fouilles au petit Mont-Rouge pour l'inhumation des corps que ne pouvaient recevoir les cimetières de Clamart et de Vaugirard, c'est là une mesure de police administrative qui s'explique du reste par la nécessité d'éviter l'entassement des cadavres et de prévenir l'infection. Donc, ce qu'il faudrait prouver ici, pour établir la préméditation, c'est que les fouilles furent effectivement commandées le 28 août. La simple assertion de M. Georges Duval, fausse sur les deux points qui viennent d'être indiqués, suffit-elle à cet égard ? On va juger de l'exactitude de cet écrivain en matière de dates. On sait que le décret relatif aux visites domiciliaires fut exécuté dans la nuit du 29 au 30 août. Eh bien, M. Georges Duval, qui fut pourtant au nombre des personnes arrêtées, place ces mêmes visites dans la nuit du 28 au 29, p. 199, chap. XX, t. II, de ses Souvenirs de la Terreur. Un mot encore. Les deux personnes qu'il introduit auprès du fossoyeur, il les qualifie, chap. XXI, p. 223, DEUX INCONNUS, et M. de Lamartine traduit DEUX AGENTS DU COMITÉ DE SURVEILLANCE !

Pages 185 et 186. A l'exemple de plusieurs de ses devanciers, M. de Lamartine présente un certain nombre de mises en liberté qui eurent lieu aux approches du 2 septembre comme une preuve de la préméditation. Comment ! c'est là une preuve ! Est-ce qu'il n'y eut de prisonniers relâchés qu'à ce moment ? Est-ce que les prisonniers, comme on en voit un exemple dans le récit de Maton de La Varenne, intitulé Ma résurrection, n'avaient pas l'habitude de faire agir en leur faveur leurs amis du dehors ? Est-ce qu'il n'existe aucun témoignage montrant que beaucoup de ces mises en liberté furent le résultat de démarches faites, soit par des Feuillants, soit par des Girondins ? Est-ce que madame de Staël n'obtint pas la liberté de M. de Jaucourt, et Condorcet celle de Lally-Tollendal. (Voyez Considérations sur la Révolution française, IIIe, partie, chap. X.) Il ne faut pas oublier, d'ailleurs, ainsi que M. Dupont (de Bussac) le fait remarquer dans les Fastes, p. 381, que déjà plusieurs fois, le peuple avait menacé les prisons ; que le 23, une section avait demandé la mort des malheureux qui y étaient renfermes. Les bruits sinistres qui pénétrèrent jusqu'au fond des cachots ; le mot de Sergent à madame de Fausse-Lendry, qui, le 29 août, voulait se constituer prisonnière, pour secourir son oncle : Vous commettez une imprudence, les prisons ne sont pas sûres ; les paroles que Maton de La Varenne met dans la bouche d'un gendarme : Il y a environ huit jours que les prisonniers ont manqué de la sauter ; gare que ça n'arrive ! tout cela, loin de prouver que les massacres naquirent d'un complot, prouve exactement le contraire. Il était tout simple, dès que la fureur populaire menaçait les prisons, que le bruit en courût. La préméditation eût été discrète : la fureur ne pouvait l'être.

Page 186. M. de Lamartine ne croit pas possible que les demi-mots, les confidences équivoques, les signes d'intelligence entre des conjurés qui siègent, qui délibèrent, qui agissent presque à découvert en face les uns des autres, dans un conseil de cent quatre-vingts membres, aient échappé à Pétion. Fort bien ! Écoutez donc ce que Pétion vous déclare solennellement, dans son discours du 29 octobre 1792. Ces assassinats furent-ils commandés, furent-ils dirigés par quelques hommes ? J'ai eu des listes sous les yeux, j'ai reçu des rapports, j'ai recueilli des faits : si j'avais à prononcer comme juge, je ne pourrais pas dire : Voilà le coupable ! (Histoire parlementaire, t. XXI, p. 106.)

Pages 191 et 192. M. de Lamartine dit que le peuple a besoin qu'on lui rédige sa colère ; que le cri de Paris, le 2 septembre, sortit d'un mot d'ordre de Marat et de Danton ; que le plan de massacre fut concerté comme un plan de campagne ; que les hasards mêmes en étaient prévus et combinés !... Et il va jusqu'à ranger au nombre des mesures calculées pour souffler la fièvre à la ville. Quoi ! Les nouvelles désastreuses des frontières ! Comme si la ville de Longwy s'était rendue, comme si celle de Verdun était assiégée, comme si les Prussiens marchaient sur la capitale, juste pour servir le machiavélisme de la Commune de Paris ! Qu'il nous suffise de rappeler ici ce qu'écrit dans la Vérité tout entière, Méhée, témoin oculaire, et fort hostile aux septembriseurs : Courons aux prisons ! ce cri terrible, j'en atteste tous les hommes impartiaux, retentit à l'instant d'une manière spontanée, unanime, universelle, dans les rues, dans les places publiques, dans tous les rassemblements.

Page 201. M. de Lamartine raconte la mort de l'abbé Lenfant, mais sans mentionner aucune des circonstances caractéristiques qui font de cette mort un des plus forts arguments contre l'hypothèse de la préméditation. On a vu, dans le chapitre qui précède, que l'abbé Lenfant était le frère de Lenfant, membre du Comité de surveillance ; que celui-ci voulant sauver son frère, Panis et Sergent s'associèrent à ce projet ; que, pour cela, ils signèrent la proclamation qui ordonnait de juger tous les prisonniers, à l'exception de l'abbé Lenfant ; que le peuple se refusa à cette exception, sans le moindre égard pour le prétendu Comité directeur des massacres, et passa outre. Comment expliquer, dans l'hypothèse de la préméditation, que le membre du Comité de surveillance, avec l'ardent désir de sauver son frère, l'eût laissé emprisonner le 30 août, et n'eût songé à lui que lorsqu'il était déjà sous le couteau ? Et, d'autre part, si les tueurs n'étaient que des salariés aux ordres du Comité directeur des massacres, d'où vient que les recommandations de ce formidable pouvoir à ses séides furent à ce point méprisées ? Jourgniac de Saint-Méard raconte que, le 3 septembre, on fit une proclamation que le peuple eut l'air d'écouter avec défaveur, et que, dans la nuit du 3 au 4, on fit une nouvelle proclamation qui fut généralement huée. (Voyez Mon agonie de trente-huit heures, p. 31 et 38, des Mémoires sur les journées de septembre.) La fureur des massacreurs n'était donc pas une affaire de discipline ! Ils n'étaient donc pas la comme des gens que l'on a salariés pour donner la mort ! Ainsi que M. Dupont (de Bussac) le dit avec beaucoup de raison, p. 570 des Fastes : La prétendue direction du Comité de surveillance est un mensonge historique. Ce comité n'avait d'influence, de même que tous les pouvoirs révolutionnaires d'alors, qu'à la condition de marcher dans le sens des nécessités ou des passions du moment.

Page 209. Les égorgeurs des prêtres renfermés dans la prison des Carmes s'étant trouvés être des hommes bien vêtus, armés de fusils de chasse, et appartenant sans aucun doute aux classes aisées de la société, il était difficile de les comprendre dans la nomenclature des bourreaux à gages. Que fait M. de Lamartine ? Il suppose que les directeurs du massacre craignirent l'ascendant des prêtres sur le bas peuple, et recrutèrent conséquemment dans les écoles, dans les clubs, dans les lieux de débauche, en vue de la prison des Carmes, une bande plus raffinée d'assassins, des exécuteurs volontaires, des hommes que la haine de la superstition poussait d'eux-mêmes à l'assassinat des prêtres. Mais si la présence de ces forcenés aux Carmes s'explique tout naturellement par l'excès d'une fureur volontaire et par la haine de la superstition, qu'est-il besoin de l'expliquer par je ne sais quel choix hideux, arbitrairement attribué aux prétendus directeurs du massacre ? Et pourquoi, d'un autre côté, ces directeurs du massacre ne craignirent-ils l'ascendant des prêtres sur le bas peuple qu'à propos de la prison des Carmes ? Est-ce qu'il n'y avait pas aussi des prêtres à l'Abbaye, à Saint-Firmin, à la Force ?

Nous ne pousserons pas plus loin cette analyse ; nous ne relèverons pas toutes les erreurs de détail que M. de Lamartine a commises, comme lorsqu'il met au nombre des épisodes du massacre le suicide de M. de Chantereine, lequel suicide, selon Jourgniac de Saint-Méard qui le raconte, avait eu lieu le 22 août, c'est-à-dire dix jours avant. (Voyez Mon agonie de trente-huit heures, ch. II.) L'espace nous manque. Mais puisque nous avons entrepris l'examen approfondi de la question si importante qui se rattache au fait de la préméditation, qu'il nous soit permis d'ajouter quelques observations qui lèveront tous les doutes sur la solution historique à donner à ce problème.

L'existence de listes de victimes dressées à l'avance, de ces listes dont on a tant parlé, sans les avoir jamais produites, est une fable si ridicule, si victorieusement démentie et par l'ensemble des faits et par chacun de ces faits pris à part, qu'elle vaut à peine l'honneur du débat. Ô merveille ! les prisonniers doivent être mis à mort par des exécuteurs payés, sur des listes dressées ad hoc, où chaque victime est désignée à l'avance, marquée d'un signe fatal, condamnée d'une manière irrévocable, et voilà que l'égorgement a lieu, non sur ces listes, mais sur les registres d'écrou ; et voilà que les meurtriers aux gages des Sylla de l'Hôtel de Ville, se mettent à faire le triage des prisonniers, les interrogent, les jugent, et, d'après leurs réponses, selon la diversité des cas, les déclarent coupables ou les renvoient absous ! Il est bien vrai que Louvet, dans une brochure publiée au mois de novembre, accusa Danton de lui avoir dit : Je me suis fait donner les listes des prisons et l'on a effacé ceux qu'il convenait de mettre dehors. Mais alors même que Danton aurait dit que les listes des prisons lui faisaient croire qu'elles ne renfermaient pas d'innocents, parce qu'en effet les sections avaient dû mettre en liberté ceux qui avaient été reconnus tels, est-ce qu'il résulterait de ? que des listes avaient été dressées précisément en vue d'un massacre projeté à la Commune ? Si tel avait été le sens des paroles de Danton, d'où vient que Louvet ne les lui jeta pas à la face, lorsque tonnant, à la tribune, contre les journées de septembre, il fut interrompu par ce cri de Danton : Je suis inattaquable ?

Veut-on, du reste, savoir à quoi s'en tenir sur la bonne foi de Louvet ? Que le lecteur médite le passage suivant que nous empruntons au judicieux auteur des Fastes de la Révolution, p. 377 : Dans sa brochure du 5 novembre 1792, Louvet prétend que, pendant une des journées de septembre, des individus se présentèrent chez Roland pour demander leur salaire. Ils étaient porteurs d'un mandat à peu près conçu en ces termes : Il est ordonné à M. Vallet-de-Villeneuve, trésorier de la ville, de payer à ... (ici quatre noms), la somme de douze livres chaque, pour l'expédition des prêtres de Saint-Firmin. Louvet a bien soin de tronquer cette pièce, parce que les derniers mots sont le démenti de l'interprétation qu'il donne à ce mandat. Voici la fin textuelle de la pièce en question : Pour prix du temps qu'ils ont mis à l'expédition des prêtres de Saint-Firmin, pendant deux jours, suivant la réquisition qui est faite aux commissaires de la Commune par la section des Sans-Culottes qui les a mis en ouvrage, ci... 48 l. L'omission de ces mots, pendant deux jours, était très-importante pour Louvet. Comme tout le monde savait que les exécutions de Saint-Firmin furent terminées presque aussitôt que celles des Carmes, c'est-à-dire dans la soirée du 2 septembre, il eût été clair que ce salaire ne s'appliquait pas au massacre des prisonniers, mais à l'enlèvement des cadavres, ainsi qu'au lavage des cours et des bâtiments du couvent. Tel est ici le sens du mot expédition. Enfin, comme aucun autre mandat relatif à l'expédition des prêtres de Saint-Firmin ne se trouve dans les comptes, il en faudrait donc conclure que ces quatre hommes avaient seuls tué les quatre-vingt-douze prêtres de Saint-Firmin et absous les quinze autres !

Il faut s'arrêter. Le système d'analyse historique que nous venons de suivre, appliqué à Peltier, à Weber, à Maton de La Varenne, à l'abbé Sicard, etc. nous mènerait trop loin. Comme nous le disions en commençant, c'est une montagne d'erreurs à soulever. D'ailleurs, ce qui précède suffit pour montrer s'il est vrai que l'Histoire de la Révolution est faite, ainsi que tant de gens se l'imaginent !

 

Dans l'intervalle qui s'est écoulé entre la publication de ce volume et sa réimpression, M. Mortimer-Ternaux a publié un récit des journées de septembre (Histoire de la Terreur, t. III) qui, je lui en demande bien pardon, est un tissu, à peine concevable, d'erreurs. J'avais entrepris de les relever, mais je me vois contraint d'y renoncer pour le moment, m'étant aperçu qu'il n'est pas une page de ce récit où la vérité n'ait a se plaindre, soit d'une assertion démentie par les faits, soit d'une hypothèse gratuite, soit d'une interprétation arbitraire, soit d'une réticence calculée, soit d'une omission systématique. Comment, dans une note, faire justice d'une histoire écrite de la sorte ? Il y faudrait un volume. Cette réfutation qui sera, — je l'affirme, — décisive et définitive, je la réserve pour la prochaine édition du présent ouvrage, laquelle sera suivie d'un grand travail critique sur les histoires de la Révolution.

 

 

 



[1] Tout ceci affirmé par l'homme le plus en état de bien connaître alors la situation militaire, c'est-à-dire par Dumouriez. Voyez ses Mémoires, t. II, liv. V, chap. VI, p. 385 et 386

[2] Mémoires de Dumouriez, Liv. V, chap. V, p. 382.

[3] Mémoires de Dumouriez, t. II, liv. V, chap. II, p. 345.

[4] Mémoires de Dumouriez, Liv. V, chap. VI, p. 386.

[5] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 443.

[6] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 435.

[7] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. I, p. 442.

[8] Mémoires de Dumouriez, Liv. V, chap. V, p. 385.

[9] Mémoires de Dumouriez, Liv. V, chap. VI, p. 391.

[10] Ce sont les propres expressions dont se sert Barbaroux Voyez ses Mémoires, p. 37.

[11] Déposition de Fabre d'Églantine, dans Je procès des Girondins. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 84 et 85.

[12] Déclaration de Vergniaud, dans le procès des Girondins, ubi supra.

[13] Fastes de la Révolution, p. 344.

[14] C'est ce que faisait, par exemple, Durand de Maillane, qui l'avoue dans ses Mémoires, p. 47-49.

[15] Voyez le rapport de Bazire, du 6 novembre 1792.

[16] Ce n'est pas de Montmorin, l'ex-ministre, qu'il s'agit ici.

[17] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 8.

[18] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 8.

[19] Ami du Peuple, n° du 19 août 1792.

[20] Histoire de la Révolution, p. 346.

[21] Histoire de la Révolution, p. 348.

[22] Moore, cité par Carlyle. Voyez The French Révolution, vol. III, p. 29. (Édition Tauchnitz.)

[23] Nuit du 2 au 5 septembre, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — 936. 7. British Museum.

[24] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, p. 18, des Mémoires sur les journées de septembre.

[25] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, p. 15, des Mémoires sur les journées de septembre.

[26] C'est ce que fait observer M. Dupont (de Bussac) dans son excellent travail sur les journées de septembre. Voyez les Fastes de la Révolution, p. 348.

[27] Procès-verbaux de la Commune, séance du 1er septembre 1792.

[28] Procès-verbaux de la Commune, séance du 1er septembre 1792.

[29] Procès-verbaux de la Commune, séance du 1er septembre 1792.

[30] Procès-verbaux de la Commune, séance du 1er septembre 1792. Voyez, sur ces circonstances ; qui ont donné lieu aux interprétations les plus extraordinaires et les plus fausses, la note placée à la suite de ce chapitre.

[31] Procès-verbaux de la Commune, séance du 2 septembre 1792.

[32] Procès-verbaux de la Commune, séance du 2 septembre 1792.

[33] Procès-verbaux de la Commune, séance 2 septembre 1792.

[34] La Vérité tout entière, de Felhemesi (anagramme de Méhée fils), récit reproduit in extenso, dans l'Histoire parlementaire, t. XVIII, p. 156-180. Nul n'était mieux placé que Méhée pour bien connaitre les événements, et son langage est celui d'un homme complètement hostile aux septembriseurs. Au surplus, pour la discussion d'un point si important et obscurci avec tant d'art, nous renvoyons le lecteur à la note placée à la suite de ce chapitre.

[35] Prudhomme, Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution française, t. IV, p. 91-93. — Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[36] Compte rendu de la séance du 2 septembre 1792, Histoire parlementaire, t. XVII, p. 342.

[37] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 337-341.

[38] Compte rendu de la séance du 2 septembre 1792, Histoire parlementaire, t. XVII, p. 340 et 341.

[39] Fastes de la Révolution, p. 350.

[40] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 346 et 347.

[41] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 347 et 348.

[42] Méhée fils, La Vérité tout entière, p. 166, ubi supra. — Prudhomme, Histoire générale et impartiale, p. 90.

[43] Moniteur, n° 247.

[44] Maton de La Varenne, Histoire particulière, etc., p. 310.

[45] Maton de La Varenne, Histoire particulière, etc., p. 310.

[46] Voyez, à cet égard, la note placée à la suite de ce chapitre.

[47] Madame Paysac de Fausse-Lendry, Quelques-uns des fruits amers de la Révolution, p. 72 des Mémoires sur les journées de septembre.

[48] Ainsi que le raconte madame de Fausse-Lendry. Madame Paysac de Fausse-Lendry, Quelques-uns des fruits amers de la Révolution, p. 72 des Mémoires sur les journées de septembre.

[49] Voyez ce qui se passa à l'hôtel de la Force dans Ma résurrection, par Maton de La Varenne, et ce qui se passa au Châtelet, dans la relation intitulée : Nuit du 2 au 3 septembre.

[50] Voyez le récit de Maton de La Varenne, p. 146 de l'Histoire parlementaire, t. XVIII.

[51] Nuit du 2 au 3 septembre, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — 936, 37. British Museum.

[52] L'abbé Sicard, dans sa Relation. Voyez p. 100 des Mémoires sur les journées de septembre.

[53] Méhée fils. Voyez son récit, p. 147 de l'Histoire parlementaire, p. 167.

[54] Voyez le récit de Peltier, t. II, p. 241.

[55] Relation de l'abbé Sicard, ubi supra, p. 100.

[56] Dans son Histoire des Brissotins.

[57] L'abbé Sicard, p. 101.

[58] C'est ce que suppose Méhée fils, dans son récit, p. 167, ubi supra.

[59] Méhée fils, La Vérité tout entière sur les journées de septembre, p. 167. Méhée rapporte cette circonstance pour l'avoir vue. Il suivait les voitures. L'abbé Sicard, qui était dans la première et ne pouvait savoir ce qui se passait derrière lui, n'en parle pas. Voyez, au surplus, sur cette scène, la note placée à la suite de ce chapitre.

[60] Méhée fils, La Vérité tout entière sur les journées de septembre, p. 167.

[61] Relation de l'abbé Sicard, ubi supra, p. 102.

[62] Relation de l'abbé Sicard, ubi supra, p. 102.

[63] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[64] Relation de l'abbé Sicard, p. 105 et 106.

[65] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[66] Nous empruntons ce détail caractéristique à M. Michelet, qui l'a tiré d'une pièce des archives de la police, à lui communiquée par M. Labat. Malheureusement, M. Michelet n'a pas vu dans cette circonstance la conclusion qui y est naturellement renfermée. Nous renvoyons, sur ce point, le lecteur à la note qui termine ce chapitre.

[67] Relation de l'abbé Sicard, p. 110 des Mémoires sur les journées de septembre.

[68] Relation de l'abbé Sicard, p. 110 des Mémoires sur les journées de septembre.

[69] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, ubi supra, p. 24.

[70] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, ubi supra, p. 24.

[71] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 15.

[72] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 15.

[73] Mon agonie de trente-huit heures, p. 25, ubi supra.

[74] Méhée fils, La Vérité tout entière sur les journées de septembre, p. 169, ubi supra.

[75] Voyez la liste nominative des victimes, publiée par Prudhomme, dans son Histoire générale et impartiale, etc., t. IV.

[76] Histoire générale et impartiale, etc., t. IV, p. 109.

[77] T. II, p. 249.

[78] Roch Marcandier, Histoire des hommes de proie, dans l'Histoire parlementaire, t. XVIII, p. 192. — Ce qui contredit formellement le récit de Peltier, p. 248 du t. II.

[79] D'après M. Alex. Sorel, le nombre des prêtres détenus aux Carmes était de 159, dont 115 furent massacrés et 44 s'échappèrent ou furent épargnés. — Voyez le Couvent des Carmes sous la Terreur, p. 138 à 145, et 179 à 181.

[80] Roch Marcandier, ubi supra, p. 195.

[81] Pas un de ces faits qui ne soit officiellement constaté. Voyez la séance de l'Assemblée du 2 septembre 1792.

[82] Voyez l'arrêté de la Commune cité plus bas.

[83] Procès-verbaux de la Commune, séance du 2 septembre au soir.

[84] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[85] Procès-verbaux de la Commune, séance du 2 septembre 1792, — Séance du soir.

[86] Procès-verbaux de la Commune, séance du 2 septembre 1792, — Séance du soir.

[87] Procès-verbaux de la Commune, séance du 2 septembre 1792, — Séance du soir.

[88] Procès-verbaux de la Commune, séance du 2 septembre 1792, — Séance du soir.

[89] Séance du 2 septembre, six heures du soir. — Voyez Histoire parlementaire, t. XVII, p. 348.

[90] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[91] Considérations sur la Révolution française, IIIe partie, chap. V.

[92] Considérations sur la Révolution française, IIIe partie, chap. V.

[93] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 350.

[94] Déposition de Chabot, dans le procès des Girondins, Histoire parlementaire, t. XXX, p. 47.

[95] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 350.

[96] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 350.

[97] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 350.

[98] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 350.

[99] Déposition de Chabot dans le procès des Girondins, ubi supra.

[100] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, p. 25 et 26 des Mémoires sur les journées de septembre.

[101] La Vérité tout entière, t. XVIII, p. 170 et 171 de l'Histoire parlementaire.

[102] Méhée, auquel nous avons emprunté le récit de cette scène, ne donne pas le nom du commissaire de la Commune qu'il met en scène. Mais le récit de l'abbé Sicard, voyez p. 134 des Mémoires sur les journées de septembre, et le rapport de Tallien, dans la nuit du 2 au 3, prouvent qu'il s'agit ici de Manuel.

[103] Maton de La Varenne, Histoire particulière, etc., p. 329.

[104] Maton de La Varenne, Histoire particulière, etc., p. 329.

[105] Ce sont les propres termes qu'emploie Jourgniac de Saint-Méard. Voyez Mon agonie de trente-huit heures, p. 41 et 42 des Mémoires sur les journées de septembre.

[106] Mon agonie, etc., p. 40.

[107] C'est ce qui arriva notamment à Jourgniac de Saint-Méard. Voyez sa relation, ubi supra, p. 49.

[108] Relation de Jourgniac de Saint-Méard, p. 45.

[109] Méhée, La Vérité tout entière, etc., p. 175 de l'Histoire parlementaire, t. XVIII.

[110] C'est ce que fit particulièrement remarquer Pétion, dans son discours du 29 octobre 1792.

[111] De tout ceci les preuves abondent, et sont absolument irrécusables. Voyez, en les rapprochant, la relation de Jourgniac de Saint-Méard, p. 54 des Mémoires sur les journées de septembre ; celle de Maton de La Varenne, p. 154 et 155 du t. XVIII de l'Histoire parlementaire ; celle de Toulongeon, racontant ce qui est arrivé à son frère, ibid., p. 284 ; celle de Weber, racontant ce qui lui est arrivé à lui-même, t. II de ses Mémoires, p. 264 et 265.

[112] La Vérité tout entière, p. 172 et 173, ubi supra.

[113] La Vérité tout entière, p. 174.

[114] La Vérité tout entière, p. 174-177.

[115] La Vérité tout entière, p. 176.

[116] Ministre des affaires étrangères jusqu'en novembre 1791, Montmorin envoyait, en avril et mai 1792, après la déclaration de guerre à l'Autriche, les plans de campagne au comte de Mercy-Argenteau, ministre plénipotentiaire d'Autriche dans les Pays-Bas (Voyez Correspondance entre Mirabeau et Lamarck, t III, p. 248 et suivante.)

[117] La Vérité, etc., p, 175.

[118] Déclaration du citoyen Jourdan, p. 145 des Mémoires sur les journées de septembre.

[119] Déclaration du citoyen Jourdan, p. 146.

[120] Déclaration du citoyen Jourdan, p. 147 et 148.

[121] Déposition de Chabot dans le procès des Girondins. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 48.

[122] Voyez le sixième volume de cet ouvrage, livre VII, chap. IV.

[123] Voyez le sixième volume de cet ouvrage, livre VII, chap. IV.

[124] Cela ne l'empêcha pas, comme le fait très-bien remarquer l'auteur des Fastes de la Révolution, p. 358, de publier plus tard, à la tête de sa traduction de Juvénal, une préface où il fait un tableau effrayant de ce qu'il prétend avoir vu à l'Abbaye.

[125] Voyez la séance du 2 septembre, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 352.

[126] Mémoires de madame Roland, t. I, p. 27 et 103, note 1. Édition P. Faugère.

[127] Ma résurrection, p. 148 du t. XVIII de l'Histoire parlementaire.

[128] Voyez la Nuit du 2 au 3 septembre, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — 936, 7. British Museum.

[129] Relation de l'abbé Sicard, p. 109 des Mémoires sur le 2 septembre.

[130] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 353 et 354. Le fait que fort peu de prisonniers avaient échappé à la mort était inexact, comme on le verra plus loin.

[131] Séance du 3 septembre 1792. — Séance du matin. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 369.

[132] Séance du 3 septembre 1792. — Séance du matin. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 369.

[133] Séance du 3 septembre 1792. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 369.

[134] Séance du 3 septembre 1792. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 369.

[135] Séance du 3 septembre 1792. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 376.

[136] Séance du 3 septembre 1792. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 376.

[137] Séance du 3 septembre 1792. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 376.

[138] Lettre du département de l'Aube, lue à l'Assemblée par Regnault-Beaucaron, dans la séance du 3 septembre 1792. — Lettre des commissaires nationaux envoyés dans le département de Seine-et-Marne et départements voisins. — Lettre des commissaires envoyés dans les départements de Seine-et-Oise, Eure, Calvados, Seine-Inférieure.

[139] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 376.

[140] Procès-verbaux de la Commune. Séance du 8 septembre.

[141] Fastes de la Révolution, p. 378.

[142] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, dans les Mémoires sur les journées de septembre, p. 28 et 29.

[143] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, dans les Mémoires sur les journées de septembre, p. 30.

[144] Maton de La Varenne, Ma résurrection, t. XVIII, p. 149 de l'Histoire parlementaire.

[145] Maton de La Varenne, Ma résurrection, t. XVIII, p. 152 de l'Histoire parlementaire.

[146] Maton de La Varenne, Ma résurrection, t. XVIII, p. 152 de l'Histoire parlementaire.

[147] Mémoires particuliers de Bertrand de Molleville, t. II, chap. XXIX, p. 216.

[148] Mémoires particuliers de Bertrand de Molleville, t. II, chap. XXIX, p. 217.

[149] Mémoires particuliers de Bertrand de Molleville, t. II, chap. XXIX, p. 217.

[150] Maton de La Varenne, Ma résurrection, t. XVIII, p. 154 de l'Histoire parlementaire.

[151] Maton de La Varenne, Ma résurrection, t. XVIII, p. 154-156 de l'Histoire parlementaire.

[152] Mémoires de Weber, t. II, aux Éclaircissements historiques, p. 349. Nul historien ne parle de ce fait, si ce n'est M. Dupont (de Bussac), dans les Fastes de la Révolution, p. 364.

[153] Maton de La Varenne, Histoire particulière, p. 396.

[154] Peltier, t. II, p. 306. — C'est aussi la version de Maton de La Varenne, qui ne pouvait rien savoir à cet égard, puisqu'il avait déjà quitté la prison, et qui ne fait ici que copier Peltier. Voyez Histoire particulière des événements, etc., p. 396, 399.

[155] Roch Marcandier, Histoire des hommes de proie, dans l'Histoire parlementaire, t. XVIII, p. 197.

[156] Roch Marcandier donne ceci comme un ouï-dire, Peltier, t. II, p. 306. — Quant aux Deux amis, ils n'hésitent pas à présenter les meurtriers de madame de Lamballe comme ayant été particulièrement payés par le duc d'Orléans. Voyez les Mémoires de Ferrières, t. III, note K.

[157] Voyez la lettre de Lebègue, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — 936, 7. British Museum.

[158] Journal de Cléry, p. 18 et 19.

[159] Montgaillard, Histoire de France, t. III, p. 202.

[160] Journal de Cléry, p. 21.

[161] Maton de La Varenne dit que la pique qui soutenait la tête de la princesse de Lamballe resta plantée sous les fenêtres du Palais-Royal. Voyez Histoire particulière des événements, etc., p. 395-398.

[162] Mémoires de Weber, t. II, chap. V, p. 263-265.

[163] Mémoires de Weber, t. II, aux Éclaircissements historiques, p. 348.

[164] Mémoires de Weber, t. II, aux Éclaircissements historiques, p. 348.

[165] Voyez la liste nominative de Prudhomme, dans son Histoire générale et impartiale, etc., t. IV.

[166] Voyez la liste nominative de Prudhomme, dans son Histoire générale et impartiale, etc., t. IV.

[167] Coup d'œil sur Paris, suivi de la nuit du 2 au 3 septembre.

[168] Révolutions de Paris.

[169] Histoire particulière des événements, etc., p. 401.

[170] Moniteur, n° 321.

[171] On peut voir les immondes détails de ce supplice, dans le pamphlet trop complaisamment reproduit par des historiens graves, de Roch Marcandier, p. 198 du t. XVIII de l'Histoire parlementaire. — Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[172] C'est cet ordre important, omis par tous les historiens, excepté par un des auteurs des Fastes de la Révolution, M. Dupont (de Bussac), qui explique la nature du salaire payé dans les journées de septembre, salaire qui ne fut pas du tout, comme on l'a dit et répété, celui du meurtre. Voyez, du reste, à cet égard, la note placée à la suite de ce chapitre.

[173] Relation de l'abbé Sicard, p. 116 des Mémoires sur les journées de septembre.

[174] Voyez les Comptes de la Commune. A Mazuyer, guichetier, qui a été chargé, etc. 24 livres.

[175] Méhée, La Vérité tout entière, p. 178, du t. XVIII de l'Histoire parlementaire. — Relation de l'abbé Sicard, p. 134 des Mémoires sur les journées de septembre. — Déclaration du citoyen Jourdan. Ibid., p.149.

[176] Voyez, sur le langage de Billaud-Varenne et le sens de ses paroles, la discussion des divers récits dans la note placée à la suite de ce chapitre.

[177] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, p. 35 et 36 des Mémoires sur les journées de septembre.

[178] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, p. 50.

[179] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, p. 53.

[180] Le Patriote français.

[181] Peltier, t. II, p. 284.

[182] Je tiens ce fait de Madame de Montmahou, née Roussel, qui elle-même le tenait de Mademoiselle de Sombreuil. Et ce qu'il y a de plus curieux, c'est que Mademoiselle de Sombreuil racontait la chose pour prouver que les hommes de septembre, tout cruels qu'ils furent, n'étaient point absolument inaccessibles à la pitié. — Voyez la note critique placée à la fin de ce chapitre.

[183] Il est à remarquer que ni Peltier, ni Maton de La Varenne, ne parlent de ce conte atroce, eux si ardents à tout exagérer, à tout noircir, et dont la rage- contre-révolutionnaire ne recule devant aucun mensonge. Les Révolutions de Paris disent expressément que Mademoiselle de Sombreuil fut portée entre les bras rougis de sang de la multitude avec tous les égards dus à son sexe et à l'innocence. Et ce qui confirme la version que nous avons donnée ci-dessus, d'après une autorité en qui nous avons une confiance absolue, c'est cette phrase qu'on lit dans la déclaration du citoyen Jourdan : Les verres dégouttaient le sang dont étaient fumantes les mains des cannibales qui buvaient dedans. — Voyez, p. 146, des Mémoires sur les journées de septembre.

[184] Voyez plus loin.

[185] Dans le procès des Girondins, ce fait fut articulé une première fois par Chabot, sans rencontrer de contradiction. Chabot y étant revenu dans une seconde déposition, Brissot nia cette fois. Mais Fabre d'Églantine vint, à son tour, certifier le fait comme le tenant de Duhem, un des convives. Duhem, dont la probité ne fut jamais soupçonnée, dut comparaître, et affirma que tout s'était passé comme Chabot et Fabre l'avaient dit, et cela en présence de Brissot qui, pour le coup, garda le silence. Voyez le procès des Girondins dans l'Histoire parlementaire, t. XXX, aux p. 49, 71, 88 et 106.

[186] Histoire des Brissotins, p. 41.

[187] Séance du 7 novembre 1792.

[188] François Chabot à Jean-Pierre Brissot.

[189] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 49.

[190] Comme il résulte du compte qu'il rendit des 10.000 francs à lui confiés par l'Assemblée législative, le 18 août, pour répandre des écrits propres à éclairer sur les trames criminelles des ennemis de l'État.

[191] Voyez le Courrier des départements à cette date.

[192] Voyez le Moniteur, à cette date.

[193] Mémoires de Madame Roland, t. I, p. 106. Édition P. Faugère.

[194] Voyez la séance du 5 septembre, t. XVII de l'Histoire parlementaire, p. 373 et 374.

[195] Voyez l'Extrait du procès-verbal des recherches, etc., dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 430.

[196] Extrait du procès-verbal des recherches, etc., dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 380.

[197] Voyez les considérants de ce décret du 5 septembre 1792, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 379.

[198] Voyez cette lettre, reproduite in extenso, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 382-386.

[199] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 383.

[200] Prudhomme, Histoire générale et impartiale, etc., t. IV, p. 123-129. — Prudhomme raconte le fait comme le tenant de Mandar lui-même, qui l'autorisa à le nommer.

[201] L'expression était encore plus énergique.

[202] Voyez la séance du 4 septembre 1792, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 437.

[203] Histoire parlementaire, t. XVIII, p. 55.

[204] Décret du 14 septembre 1792.

[205] Voyez le texte dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 430.

[206] La lettre porte la date du 4 septembre. Madame Roland manque donc, ou de sincérité, ou de mémoire, lorsque, dans son livre, t. I, p. 100, elle prétend que son mari écrivit à Santerre, aux premiers signes d'agitation.

[207] Voyez le texte dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 430 et 431.

[208] Voyez la liste nominative dressée par Prudhomme, dans son Histoire générale et impartiale, etc., t. IV.

[209] Mon agonie de trente-huit heures, dans les Mémoires sur les journées de septembre, p. 48.

[210] Mémoires de madame Roland, t. I, p. 110. Édition P. Faugère.

[211] Pour les détails du massacre des prisonniers d'Orléans, voyez, dans les Mémoires sur les journées de septembre, p. 363 et suiv., le procès-verbal des événements du 9, dressé d'après le récit de M. le maire et de plusieurs officiers municipaux. — Voyez Prudhomme, Histoire générale et impartiale, t. IV, p. 180-184.

[212] Voyez Histoire générale et impartiale, t. IV.

[213] Voyez, dans l'Histoire de la Révolution, par M. Villiaumé, t. II, n° 385, la note de Sergent-Marceau, relative au 2 septembre.

[214] Mon père, qui m'a souvent parlé des journées de septembre avec l'horreur qu'elles inspirent à tout le monde, ne croyait pas qu'elles eussent été délibérées et combinées. Mémoires sur Carnot, par son fils, t. I, p. 254.

[215] Carlyle, The French Revolution, vol. III, p. 52.