HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME SEPTIÈME

LIVRE HUITIÈME

 

CHAPITRE PREMIER. — LA COMMUNE DU 10 AOÛT

 

 

Danton. — Mot farouche de David. — Marie-Antoinette et la princesse de Lamballe. — Mort de Reine Violet. — Décret sur l'élection de la Convention nationale. — La Commune du 10 août ; son caractère ; ses actes. — La famille royale au Temple. — Tribunal criminel du 17 août. — Une circulaire de Danton. — Condamnations à mort. — Fin tragique du bourreau. — Documents accusateurs découverts ; rapport de Gohier. — Actes de vigueur. — Lafayette forcé d'abandonner son armée. — Dumouriez et Couthon au camp de Maulde. — Reddition de Longwy. — Le divorce établi. — Grands hommes naturalisés Français. — Fête funéraire. — Nuit de terreur. — Lutte entre la Commune et l'Assemblée.

 

Danton était au pouvoir. Suivant un mot de lui, bien connu, un coup de canon venait de le porter au ministère.

Telle est l'impression qu'il a faite sur tous les historiens devant qui il a posé, que peu d'entre eux ont pu se défendre, en le peignant, de donner dans l'enflure. Les uns ont fait de lui un Jupiter tonnant, les autres l'ont grandi par la haine jusqu'à la hauteur sinistre du Satan de Milton.

Ce qui est vrai, c'est que de tous les personnages de la Révolution française, nul ne nous apparaît avec un caractère plus frappant.

Comme Mirabeau, Danton portait son âme sur son visage, visage imposant et sensuel, d'une laideur tour à tour attirante et terrible, visage brouillé de petite vérole, sillonné, ravagé, bouleversé, mais malgré le fauve éclair des yeux, malgré le dessin violent de la bouche, plein d'une douceur secrète.

Que Danton ait eu de grands vices, unis à de grandes passions, on le nierait en vain. L'éditeur d'une des feuilles les plus remarquables qu'ait enfantées le génie de la liberté militante[1], le cite au tribunal de la postérité comme ayant manqué de désintéressement, sinon de foi[2]. Le fait que Danton ne fut pas sans toucher l'or de la Cour, ce triste fait, si longtemps soupçonné, et, dans les Mémoires de Lafayette, affirmé d'une manière si décisive, Mirabeau se trouvait l'avoir consigné déjà dans une lettre destinée à ne voir jamais le jour, et qui lève, hélas 1 tous les doutes[3].

Il est vrai que si Danton reçut cet or corrupteur, il ne le gagna point, et n'en servit pas la Révolution avec moins d'emportement ; mais avilir dans sa propre personne la cause qu'on défend, c'est la trahir !

Nous avons entendu raconter à Godefroy Cavaignac, fils du conventionnel de ce nom, lequel tenait l'anecdote de sa mère, qu'un jour que Danton dînait avec Cavaignac et plusieurs Jacobins de leurs amis, il lui échappa de dire, dans les fumées du vin, que leur tour était venu de jouir de la vie ; que les hôtels somptueux, les mets exquis, les étoffes d'or et de soie, les femmes dont on rêve, étaient le prix de la force conquise ; que la Révolution, après tout, était une bataille, et devait, comme toutes les batailles, avoir pour résultat le partage des dépouilles opimes entre les vainqueurs. A ces mots inattendus, les convives se regardant l'un l'autre avec étonnement, et le plus rigide d'entre eux, Romme, laissant paraître sur son front l'expression d'une douleur austère, Danton, qui s'en aperçoit, se lève brusquement, et s'écrie avec un immense et sardonique éclat de rire : Mais croyez-vous donc que je ne puisse pas, si je m'en mêle, être sans-culotte tout comme un autre ? Croyez-vous que, tout comme un autre, je ne puisse pas, ajouta-t-il avec un geste cynique, montrer mon derrière aux passants ?

Tel il était : tenant de Diogène, tenant de Sardanapale ; mais avec cela, je ne sais quoi de grandiose, d'original et de fort. En parlant de ses manières, Garat l'appelle un grand seigneur de la sans-culotterie. On pourrait, en parlant de son intelligence politique, l'appeler l'homme d'État du chaos.

Fut-il cruel ? C'est à peine si ses ennemis l'ont osé prétendre. Et cependant — on va le voir — il se présente au jugement de l'histoire, le sang de septembre sur les mains ! Étrange nature ! nul homme, dans la Révolution, ne parla un plus formidable langage ; nul ne mit son cachet sur des mesures plus meurtrières ; et pourtant, dans le cœur de quiconque le juge, il est à demi absous par l'involontaire sympathie qu'il inspire. Ah ! c'est que la soudaineté de la passion, ses inconséquences, les fougueux élans, la violence elle-même, quand il est manifeste qu'elle n'est que l'égarement de la sensibilité, ont quelque chose qui attache et fascine. Or, chez qui l'amour et la haine vinrent-ils plus directement que chez Danton du fond même des entrailles ? Qu'on le suive dans sa carrière are ! Aujourd'hui, aussi dur que le destin, il dit qu'il faut faire peur aux royalistes, sachant bien quels arrêts sont enveloppés dans ces mots ; mais que lui importe ? Il ne verra pas tomber les victimes, et le bruit des sanglots n'arrivera pas jusqu'à son oreille. Que demain une femme éplorée passe devant lui, qu'une voix gémisse, pourvu qu'il soit à portée de l'entendre, le voilà désarmé subitement et attendri.

Que de fois ses fureurs apparentes ne furent qu'une sorte de généreuse hypocrisie ! Que de fois il disputa des victimes à la mort, en poussant des rugissements terribles ! Il se donnait des airs de barbare pour acquérir le pouvoir d'être humain.

Et maintenant, supposez que sous ce masque de minotaure coule une larme, une de celles qui vont au cœur parce qu'elles en viennent ; supposez-le, ce tribun si violemment pratique, tombé tout à coup dans la mélancolie, se mettant à soupirer sur ce qu'entraîne d'amertume le rude gouvernement des hommes, et se frappant la poitrine, et regrettant de n'être pas né un simple pêcheur, quoi de plus touchant, quoi de plus irrésistible ?

Peut-être aussi, osons le dire, peut-être est-il une puissance cachée, même dans les contrastes par où l'humaine faiblesse se révèle. L'infirmité de notre nature est si susceptible, que les héros parfaits l'a glacent ; elle s'effraye de ne point se retrouver en eux. Danton eut des vices, mais qui tous contrastaient en lui avec des vertus. L'adoration respectueuse dont il entourait sa jeune femme n'en parlait que mieux aux sympathies de ceux qui savaient jusqu'où pouvaient aller la brutalité de ses propos et l'essor de ses désirs. Ce qu'il y avait quelquefois de boursouflé dans sa parole, n'en faisait que mieux ressortir le caractère habituel, qui était une simplicité mâle. Son aptitude à manier les ressorts occultes, à se plier à des manœuvres diplomatiques, à s'ouvrir par l'espionnage des routes souterraines, ses ruses enfin, ne servaient qu'à donner du relief à l'impétuosité ordinaire de ses allures. Quel homme fut jamais d'une activité plus foudroyante en certains moments, et néanmoins plus paresseux ?

Ce charme et cette force mystérieuse du contraste, voilà ce que Danton posséda au suprême degré, et ce qui manqua totalement à Robespierre. Sous chaque vertu de celui-ci on sent le poli mais en même temps le froid de l'abstraction, tandis que sous chaque vice de l'autre pétille le feu de la vie. Il y a dans la figure de Robespierre une sorte d'uniformité de ton qui en rend la grandeur terne et presque sinistre ; mais prenez un de ces tableaux de Rembrandt, ruisselants de lumière parce qu'ils sont pleins d'ombre, voilà Danton.

Comme dernier trait, on pourrait ajouter que ce qui palpita dans la personne de Danton, ce fut le génie facile de la France artiste et catholique, au lieu que Robespierre eut beaucoup de la dignité anglaise et de la roideur protestante.

D'où vient donc que, dans cette même France, et à Paris, son vivant foyer, la popularité de Danton finit par céder à l'ascendant de Robespierre ? Rien ne prouve mieux qu'en dépit d'un déploiement prodigieux de passions, la Révolution française fut, avant tout, une idée, un principe. A celui qui représenta cette idée avec le plus d'élévation morale, et servit, ce principe avec le plus de rectitude, à celui-là resta la force ; si bien que, pour le renverser, quand la France eut la lassitude de son héroïsme, il fallut renverser la Révolution elle-même.

Reprenons notre récit.

Quelque décisives que dussent être les conséquences du 10 août, il semble que la famille royale n'en mesura pas, d'abord, toute l'étendue.

Nous avons décrit l'apathie de Louis XVI au milieu des événements extraordinaires qui venaient de se dérouler autour de lui : un écrivain royaliste nous a conservé un dialogue qu'il assure avoir entendu de ses propres oreilles, et qui peint d'une manière saisissante l'excès de cette apathie, rapproché de la farouche violence des passions allumées dans certaines âmes. Voici ce dialogue, qui eut lieu, le 10 août, entre Merlin de Thionville et le fameux peintre David :

DAVID. Le croirais-tu ? il m'a demandé tout à l'heure, comme je passais devant la loge où il est renfermé, si j'aurais bientôt fini son portrait !

MERLIN DE THIONVILLE. Bah ! et tu lui as répondu ?

DAVID. Que je ne ferais désormais le portrait d'un tyran que quand j'aurais sa tête dans mon chapeau.

MERLIN DE THIONVILLE. Admirable ! je ne connais pas de réponse plus sublime, même dans l'antiquité.

DAVID. Et là-dessus il a continué de manger sa pèche[4].

 

Mais, chose plus étrange, Marie-Antoinette, si ardemment préoccupée pendant le combat, parut porter gaiement le lendemain le poids de sa défaite, soit qu'un reste d'espoir agitât son cœur, soit que son orgueil répugnât à trahir le moindre abattement. De la loge du Logotachygraphe on avait fait passer la famille royale dans un petit appartement de trois pièces, situé au premier, et dont les croisées donnaient sur la terrasse des Feuillants. Or, une foule de personnes se rassemblant dans cette partie de la terrasse pour voir les captifs, la reine et la princesse de Lamballe furent plus d'une fois aperçues courant l'une après l'autre dans la chambre qui leur servait de prison. Et même il leur arriva, au bruit de grands éclats de rire qu'on entendait retentir dans l'appartement, de se pencher sur le barreau des fenêtres, et, en secouant la tête avec force, de faire tomber de leurs cheveux des nuages de poudre sur les curieux groupés au-dessous d'elles[5].

Mais le peuple ne riait pas, lui, car à la première satisfaction de la victoire avait succédé la constatation funèbre de tout ce qu'il en coûte pour vaincre un roi ! Il fallut enterrer les morts, il fallut que Paris les vît passer, les lourds tombereaux que suivent, en sanglotant, les épouses et les mères ! Dangereux spectacle, trop propre à réveiller les fureurs un moment endormies !

Le 11 et le 12, elles s'attaquèrent à des statues, ces fureurs, qui étaient à la veille d'épouvanter l'Europe, et ce fut encore une occasion de sang versé. Guingerlot, lieutenant-colonel de la gendarmerie à cheval, fut tué sur les débris de la statue de Louis XV, pour s'être écrié, pendant qu'on la mettait en pièces : Canaille imbécile, est-ce afin d'y placer l'anarchie que tu renverses la royauté de dessus son piédestal ?[6]

A la place Vendôme, Reine Violet, une des crieuses de l'Ami du peuple, une des héroïnes des 5 et 6 octobre, fut écrasée par la chute de la statue équestre de Louis XIV, à la corde de laquelle elle s'était pendue pour l'abattre[7].

A propos de cette statue de Louis XIV, brisée le 12 août 1792, on remarqua, comme une sorte de coïncidence fatidique, qu'un des pieds de derrière portait, sous le sabot, l'inscription suivante : 12 août 1692[8].

L'Assemblée législative ne suffisait plus à la situation ; elle le sentait elle-même et avait hâte de s'effacer ; dès le 11, elle posa les bases d'après lesquelles devait être élue la Convention nationale, son héritière :

La distinction entre les citoyens actifs et les citoyens inactifs fut supprimée. — Tout Français âgé de vingt et un ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu ou du produit de son travail, n'étant point en état de domesticité et ayant prêté le serment civique, fut déclaré électeur. — Enfin, tout électeur fut éligible à la seule condition d'être âgé de vingt-cinq ans[9].

La Révolution marchait à grands pas, on le voit ; cependant Je décret conservait le double degré d'élection. Robespierre y vit un danger, une violation des principes[10], et peu s'en fallut que le journal de Prudhomme n'y vît une trahison. : Peuple, s'écriait-il à ce sujet, la grande journée du 10 août est manquée pour toi. Une nation se montre sur un pied respectable quand elle grave sur l'échafaud réservé aux coupables :

Et la garde qui veille aux barrières du Louvre

N'en défend pas les rois[11].

Au reste, ce n'était plus maintenant l'Assemblée qui était à la tête du mouvement, c'était la Commune.

Sorti de son souterrain, Marat avait paru à l'Hôtel de Ville[12] ; il y était entré en triomphateur, porté sur les bras de ses blêmes séides ; et, admis sur-le-champ au nombre des dominateurs, il allait, dans les mesures révolutionnaires prises par eux, se réserver la part du sang.

Un mélange d'énergie nécessaire, de violence outrée et d'enthousiasme vraiment patriotique, voilà ce qui marqua, tout d'abord, l'action de la Commune, soumise à deux influences contraires, tour à tour inspirée par Robespierre et embrasée par Marat.

Elle fit fermer les barrières, et, pour couper court aux désertions factieuses, suspendre les passeports ;

Elle ordonna que les femmes de la reine, les officiers de divers bataillons, les machinateurs présumés des complots de la Cour, fussent interrogés sur l'heure.

Elle frappa d'incapacité civique et désarma tous les signataires des protestations, soit contre le camp de vingt mille hommes, soit contre la journée du 20 juin 1.

Elle envoya deux mille fédérés combattre à Rouen la contre-révolution, dont La Rochefoucauld-Liancourt et les royalistes groupés autour de lui attisaient la flamme.

Elle décréta nombre d'arrestations ; et ceux qu'on avait jetés en prison pour de simples propos sur le roi, la reine, Lafayette, elle les mit en liberté.

Elle remplaça la qualification de monsieur par celle de citoyen, et fit ajouter sur les actes publics, après ces mots : l'an IV de la liberté, ceux-ci : l'an 1er de l'égalité.

Sous la dictée de Marat, qui, sans attendre l'effet de ses conseils, était allé mettre la main sur l'imprimerie royale, elle décréta brutalement que les empoisonneurs publics, tels que les auteurs de divers journaux royalistes, seraient arrêtés, et leurs presses, caractères, instruments, distribués entre les imprimeurs patriotes.

Mais, en revanche, elle releva sur les places publiques les estrades destinées aux enrôlements, souffla partout l'héroïsme en même temps que la colère, et vit monter en peu de jours jusqu'à dix mille hommes la phalange sacrée des volontaires décidés à mourir pour que la patrie vécût.

Avec des cloches elle fit des armes.

Avec les bronzes des statues de saints, elle fit des canons[13].

Et ce qui étonne, c'est le grand nombre d'inconnu qui, du jour au lendemain, se trouvent appelés au partage de cette dictature sans exemple. Un des actes de la Commune avait été de concentrer son pouvoir dans un Comité de surveillance. Or, quels noms figurent sur la première liste ? Ceux — en général très-obscurs — de Mathieu, Gomé, Rossignol, Chardret, Réal, Danjou, Durfort, Jalliant, Joly, Colmar, Lenfant, Nicout, Leclerc, Duchêne et Cally[14].

Les tribuns de l'Hôtel de Ville n'étaient pas pour s'en remettre à d'autres du soin de garder la famille, royale. Le 12, Manuel, à la tête d'une députation de la municipalité, s'était rendu au sein de l'Assemblée, et sur, ce qu'il avait dit du danger manifeste de loger le roi au Luxembourg, palais qui par plusieurs souterrains conduisait dans la campagne et offrait mille facilités à une tentative d'évasion, l'Assemblée avait décidé qu'à la Commune resteraient confiés, non-seulement la garde du roi, mais encore le soin de fixer sa demeure[15]. La Commune aussitôt désigna LE TEMPLE, et .la famille royale y fut conduite le 13, par Pétion, à travers la place Vendôme, où elle eut à passer sur les débris de la statue de Louis XIV[16].

Sous le nom de TEMPLE, on comprenait un enclos qu'entouraient de hautes murailles garnies de créneaux. Au milieu s'élevait un lourd donjon composé d'une tour carrée, de quatre autres tours rondes sur les flancs, et, vers le nord, d'un massif que surmontaient deux tourelles. L'entre-deux de ces tourelles formait une sorte de terrasse, où l'on voyait en 92 un léger treillage orné de fleurs grimpantes[17]. Du dehors, on arrivait à l'édifice par une grande porte cochère qui s'ouvrait sur une cour assez spacieuse. A droite, le long d'un mur très-élevé contre lequel s'adossait le donjon, il y avait un petit jardin. Mais dans ce terrain aride, point de plantes, point de fleurs ; rien qu'un peu de gazon flétri, et pour tout ornement quelques maigres arbustes effeuillés par le vent d'automne. Autour de l'enclos bourdonnait une active et très-équivoque population de fripiers, de banqueroutiers et de juifs.

La famille royale avait d'abord été introduite dans la partie des bâtiments dite le Palais, demeure ordinaire du comte d'Artois quand il venait à Paris ; mais le soir, après le souper, pendant lequel Manuel se tint constamment debout à côté du roi, un commissaire de la municipalité vint donner l'ordre aux personnes du service de prendre le peu d'effets en linge et vêtements qu'on avait pu se procurer et de les suivre. Ils obéirent. Un municipal les précédait une lanterne à la main. Il les conduisit au pied d'un corps de bâtiments auquel les ombres de la nuit semblaient donner des proportions gigantesques, les lit monter, par un escalier construit en coquille de limaçon, jusqu'au second étage, et les introduisit dans une pièce qu'une seule fenêtre éclairait. Un mauvais lit et trois ou quatre chaises en formaient tout l'ameublement. Le municipal, se tournant vers un des valets de chambre, lui dit : C'est là que ton maître couchera. Les serviteurs étonnés se regardèrent en silence. Le roi entra ; il était très-calme. Il détacha lui-même du mur quelques gravures peu décentes, se coucha, et s'endormit paisiblement[18].

Du 13 au 17, la question qui agita le plus les esprits fut celle de savoir par qui et comment serait exercée la justice nationale. Dès le lendemain du 10, de pathétiques élans de générosité étaient venus honorer la victoire du peuple : on avait vu dans l'Assemblée les tribunes s'attendrir au spectacle de plusieurs Suisses arrachés à la mort, et, dans l'effusion de leur reconnaissance, levant les mains au ciel pour se donner, par un serment solennel, au génie de la Liberté, au dieu de la France[19]. Mais ce jour-là même des voix sévères avaient retenti ; ce jour-là même, Lacroix avait demandé qu'une cour martiale fût formée pour juger les Suisses ; qu'on abandonnât le soin de la nommer à Santerre, et qu'elle fût tenue de juger sans désemparer, c'est-à-dire quand fumait encore le sang des citoyens morts dans le combat, c'est-à-dire quand n'étaient pas encore séchées les larmes de leurs épouses, de leurs mères. Et cette dure[20] proposition avait été immédiatement adoptée. Mais quoi ! ces malheureux soldats, qui, victimes de la discipline militaire, n'avaient fait, après tout, qu'obéir, étaient-ils donc les seuls étaient-ils les vrais coupables ? Et les auteurs, les conseillers, les fauteurs de la longue conspiration qui avait abouti à tant d'homicides, pouvaient-ils compter sur le scandale de l'impunité ? A cet égard, plusieurs députations de la Commune vinrent coup sur coup et dans un langage menaçant, interroger l'Assemblée et défier ses incertitudes. A son tour, Robespierre parut à la barre et demanda que les coupables fussent jugés souverainement en dernier ressort, par des commissaires pris dans chaque section[21]. L'Assemblée décrète aussitôt en principe qu'une cour populaire sera appelée à juger les coupables selon le mode qu'indiquera la commission extraordinaire. Elle se prononça par l'organe de Brissot, cette commission, et ses conclusions furent qu'on fit nommer par les sections, non pas un nouveau tribunal criminel, mais seulement un nouveau jury.

Ainsi, l'on conservait le personnel des juges, de ceux qui sont chargés d'appliquer la peine. L'inexorable Commune protesta. Comme magistrat du peuple, dit l'orateur d'une dernière députation envoyée par l'Hôtel de Ville, je vous annonce que ce soir, à minuit, le tocsin sonnera. Le peuple est las de n'être point vengé. Craignez qu'il ne se fasse justice lui-même[22].

C'était trop menacer : l'orgueil de l'Assemblée eut un moment de révolte contre la tyrannie étalée dans ces avertissements fastueux et sinistres ; Choudieu, tout ardent jacobin qu'il était, s'écria noblement : Je veux qu'on éclaire le peuple et non qu'on le flatte. Thuriot, après avoir signalé le danger d'asservir la justice aux impulsions de la vengeance, prononça ces belles paroles : La Révolution n'est pas seulement pour la France, nous en sommes comptables à l'humanité... J'aime la Révolution ; mais si pour l'assurer il fallait un crime, j'aimerais mieux me poignarder[23]. La résistance de l'Assemblée dura peu cependant. Une députation des citoyens nommés pour former le jury venait d'entrer, et l'orateur, d'une voix glacée, avait proféré ces mots, dont le vague épouvanta : Vous paraissez être dans les ténèbres sur ce qui se passe à Paris[24].

Le nouveau tribunal criminel fut donc formé. Les huit juges élus par les sections étaient Osselin, Mathieu, Pépin-Desgrouettes, Lavau, Dubail, Daubigny, Dervieux, et ce Coffinhal, une des futures célébrités du tribunal révolutionnaire. Les jurés furent Blandin, Leroi, Boileau, Lohier, Loiseau, Perdrix et Caillères de Lélang. Il y eut deux accusateurs publics, Lullier et Réal[25]. Robespierre avait été nommé juge, il formula son refus en ces termes : Je ne pourrais être le juge de ceux dont j'ai été l'adversaire, et j'ai dû me souvenir que, s'ils étaient les ennemis de la patrie, ils s'étaient déclarés aussi les miens[26].

Rien de plus solennel que la manière dont se fit l'installation du tribunal criminel du 17 août. Les membres, avant d'entrer en fonctions, durent tous se présenter un à un sur une estrade élevée, et là, s'adressant à la foule, chacun d'eux disait : Peuple, je suis un tel, de telle section, demeurant en tel endroit, exerçant telle profession. Avez-vous quelque reproche à me faire ? Jugez-moi, avant que j'aie le droit de juger les autres[27].

Le jour même où ce tribunal fut installé, Danton, comme ministre de la justice, adressait à tous les tribunaux, sur la marche qu'ils avaient désormais à suivre, une lettre d'une éloquence à la fois élevée et forte. Sans se poser en partisan de la loi agraire ; il y assignait pour but au progrès des sociétés humaines l'égalité de droit et de bonheur ; il y reprochait à ses prédécesseurs d'avoir recommandé l'intolérance à l'égard des croyances politiques qui ne parlent qu'à la raison, et d'avoir prêché la tolérance à l'égard de ce fanatisme religieux qui ne tombe que dans les âmes serviles et, comme l'eau, ne gagne que les parties basses. Il prononçait ce grand mot : Il n'y a que tout ce qui était peuple qui pût aimer la Révolution. Puis, après avoir fait, en une forme de style empruntée à la fougueuse manière d'Isnard, l'histoire des trahisons de la, Cour ; après avoir rappelé avec indignation comment la première décharge des Suisses était venue interrompre de fraternels embrassements, et, avec dédain, comment Louis XVI avait, fuyant son château, abandonné sa propre cause, le ministre terminait par ces sommations, d'un caractère si nouveau, adressées à tous les juges de France : Jurez l'égalité ; félicitez l'Assemblée nationale de ses décrets libérateurs ; tournez contre les traîtres, contre les ennemis de la patrie et du bonheur public, le glaive de la loi, qu'on avait voulu diriger dans vos mains contre les apôtres de la liberté. Que la justice des tribunaux commence, et la justice du peuple cessera[28].

Comme Danton n'écrivait jamais[29], il est probable que, pour cette circulaire, il avait emprunté soit la plume de Fabre soit celle de Camille.

Le tribunal criminel du 17 août entra aussitôt en fonctions. De Laporte, intendant de la liste civile ; d'Angremont, maître de langues de la reine ; un certain Salomon, convaincu d'avoir fabriqué de faux assignats dans la prison de la Force[30], et enfin le journaliste Durozoy, furent successivement condamnés à mort.

L'échafaud avait été dressé sur la place du Carrousel, et l'on avait fait sortir de la prison de la Conciergerie, pour exécuter les condamnés, les trois frères Sanson, arrêtés eux-mêmes précédemment, par ordre de la Commune, comme ayant dû pendre les patriotes au profit de la Cour, si la Cour l'eût emporté[31].

De Laporte et Durozoy moururent avec courage.

Le dernier avait reçu dans son cachot, la veille de son exécution, une lettre de femme qui ne contenait que ces quelques lignes : Mon ami, préparez-vous à la mort. Vous êtes condamné, et demain. Je m'arrache l'âme, mais vous savez ce que je vous ai promis. Adieu. Le malheureux baisa cette lettre plusieurs fois. Hélas ! dit-il, elle en souffrira plus que moi ! Et il se mit à pleurer[32]. Mais devant les juges toute sa fermeté lui revint. Il entendit son arrêt sans changer de visage, et en sortant du tribunal il fit passer au président une lettre qui ne contenait que ces mots : Un royaliste tel que moi devait mourir un jour de Saint-Louis[33].

Vint ensuite l'exécution de Vimal, de l'abbé Sauvade et du libraire Guillot. Une circonstance épouvantable marqua cette exécution, faite à la lueur des flambeaux. Au moment même où le bourreau, tenant à la main la tête d'un des suppliciés, la montrait au peuple, il fut tellement saisi d'horreur, qu'il tomba mort sur la place[34].

Ces premiers coups, frappés l'un après l'autre, semblaient annoncer une rigueur inexorable. Mais le tribunal du 17 août se relâcha soudain de sa sévérité, à ce point que Dossonville fut acquitté, attendu qu'il était convaincu d'avoir trempé dans le complot du 10, consistant à allumer la guerre civile, mais qu'il ne l'avait pas fait à dessein de nuire. Quelque singulière que fût la forme de ces considérants, l'auditoire se mit à applaudir vivement, à la grande stupéfaction de l'accusé, qui s'attendait si bien à mourir, que, pendant la délibération, ayant demandé à boire un verre de vin, il dit à celui qui le lui présenta : Ah ! monsieur, ce verre de vin est le dernier que je boirai de ma vie[35].

Le vieux d'Affry, commandant des Suisses, fut aussi mis hors de cause. Il s'était abstenu dans la journée du 10, et ce fut avec un véritable transport de joie que le peuple accueillit cet acquittement[36].

Pendant ce temps, une commission, composée de membres de l'Assemblée et de membres de la Commune, procédait à l'inventaire des papiers de la liste civile, et le résultat de ses découvertes, sur-le-champ publié, montrait combien étaient réelles les trahisons depuis si longtemps imputées à la Cour. Les documents accusateurs qu'au nom de la commission de recherches, Gohier lut à la tribune, ou qui furent produits les jours suivants, étaient :

1° Une lettre des princes à Louis XVI, prouvant que ce dernier connivait sous main avec ses frères et les émigrés, au moment même où, dans ses proclamations, il invoquait contre leur résistance l'intérêt de la patrie, les liens de la famille et les lois de l'honneur ;

2° Des mémoires d'imprimeur contenant une longue nomenclature des libelles imprimés, aux frais de la liste civile, non-seulement contre les Jacobins, mais contre l'Assemblée nationale ;

3° Une lettre adressée de Milan, le 27 avril, au secrétaire de l'intendant de la liste civile, dans laquelle on se félicitait de ce qu'en déclarant la guerre au roi de Bohême et de Hongrie, les imbéciles législateurs avaient donné dans le panneau et s'étaient mis la corde au cou. La lettre, trouvée dans les papiers du roi, se terminait ainsi : Guerre aux assignats ; la banqueroute commencera par là. On rétablira le clergé, les parlements... Tant pis pour ceux qui ont acheté les biens du clergé !

4° Une note spécifiant, de la part de la minorité constitutionnelle de l'Assemblée, le dessein secret de suivre le roi, dans le cas où il se déterminerait à quitter Paris pour ne pas dépasser la limite prescrite par la Constitution ;

5° Plusieurs pièces constatant que Louis XVI avait continué de solder ses anciens gardes du corps, et que, le 6 du mois d'août 1792, Septeuil, trésorier de la liste civile, avait payé, sur un bon du roi, les dépenses des princes émigrés[37].

Il est aisé de concevoir à quel degré de fureur les passions révolutionnaires durent être portées par la publication de ces documents, envoyés d'une manière officielle aux départements et aux soldats, lus par ordre du gouvernement à la tête de chaque compagnie et dans toutes les chambrées, dénoncés dans tous les journaux, commentés dans toutes les tavernes, hurlés dans tous les carrefours !

L'Assemblée elle-même, qui aurait tant voulu que la modération lui fût permise, se sentit entraînée sur la pente de l'indignation publique. Et comment, au milieu de l'ébullition générale, serait-elle restée silencieuse, immobile, glacée, lorsque précisément lui arrivait la nouvelle que Lafayette se préparait à marcher sur Paris ; qu'il venait de faire arrêter à Sedan les trois commissaires envoyés à l'armée du Nord, Kersaint, Péraldi et Antonelle ; qu'Arthur Dillon, un de ses lieutenants, était décidé à le suivre ; que Luckner lui avait écrit : Comptez sur moi, et disait à ses soldats : Mes camarades, il est survenu un accident ; mon ami Lafayette a fait arrêter les commissaires, et il a bien fait ?[38] Il fallait que l'Assemblée fît acte de vigueur ou consentît à périr.

Déjà, le 15, elle avait décrété que Louis XVI, la famille royale, les femmes des émigrés, leurs enfants, seraient les otages de la nation contre les invasions ennemies ; déjà elle avait mis en accusation Barnave, Alexandre Lameth, Duportail, Duport-Dutertre, Tarbé, Montmorin, Bertrand de Molleville ; le 18, elle fulmina contre Lafayette. Le département des Ardennes est déclaré en hostilité avec la loi ; tous les fonctionnaires de Sedan sont rendus responsables de la sûreté des trois commissaires arrêtés ; ordre est donné de mettre la main sur les principaux administrateurs de cette ville, et trois nouveaux commissaires, Quinette, Gaudin, Isnard, partent avec pouvoir de requérir partout, soit les citoyens, soit les soldats[39].

Lafayette essaya, mais en vain, d'ébranler ses troupes. Averti de son impuissance par ces cris, les seuls qui répondirent à ses exhortations militaires : Vive la nation ! vive l'Assemblée nationale ! vive la liberté et l'égalité ! il ne lui restait plus d'autre parti que de fuir. Dans la nuit du 19, accompagné de Bureau de Puzy, Latour-Maubourg, Alexandre Lameth et Gouvion, tous officiers feuillants, il quitta précipitamment son armée. Traverser inconnu les postes ennemis et gagner la Hollande, tel était son espoir[40]. Libre, qu'eût-il fait ? Peut-être se serait-il laissé aller à tirer l'épée. et contre qui ? Heureusement pour son honneur, il fut reconnu aux avant-postes autrichiens et arrêté. On sait le reste. Transféré de prison en prison, il finit par être jeté dans les cachots d'Olmutz, où sa gloire demeura enveloppée et préservée dans son infortune.

Dumouriez était alors au camp de Maulde, à la tête de vingt-trois bataillons et de cinq escadrons seulement ; il s'occupait à discipliner sa petite armée[41], en attendant que les circonstances vinssent ouvrir un champ plus large à sa fortune militaire et à son génie. Auprès de lui se trouvait un pauvre paralytique, auquel il s'était attaché, à cause de ses douces manières, de ses vertus domestiques[42], et d'un air de sensibilité que son histoire, du reste, ne démentait pas. Car, s'il était perclus des deux jambes, c'était pour s'être égaré, jeune encore, dans une visite nocturne à une femme qu'il aimait, et s'être enfoncé jusqu'au milieu du corps dans un terrain marécageux d'où il ne parvint à se tirer qu'après de longs efforts[43]. Ce martyr de l'amour, c'était Couthon. Ami dévoué, Couthon agissait de son mieux sur l'esprit des commissaires de l'Assemblée pour faire nommer Dumouriez au commandement général des deux armées qui couvraient la frontière, lorsque cette nomination arriva soudain, apportée de Paris par un courrier[44]. L'intention de Dumouriez était d'ouvrir la campagne en Belgique. Mais l'Alsacien Westermann, envoyé au camp de Lafayette et accouru de Sedan en toute hâte, venant annoncer qu'il s'agissait, non plus de tenter, mais de repousser une invasion ; que l'ennemi foulait déjà notre sol ; que, de ce côté, l'armée se montrait au désespoir et prête à se débander ; qu'il n'y avait pas enfin un moment à perdre, Dumouriez prit la route de Sedan, où bientôt nous le retrouverons.

Cependant, que faisait l'Assemblée ? Décret transportant. à Cayenne tout ; prêtre non assermenté qui, dans un délai de quinze jours, ne serait pas sorti du territoire français ; décret ordonnant la séquestration de tous les biens des émigrés ; décret appelant tous les citoyens de chaque section, sans distinction aucune, dans les rangs de la garde nationale, et donnant à cette milice une organisation révolutionnaire[45] ; voilà quelles vives mesures l'Assemblée était en train de prendre, lorsqu'on apprit que la ville de Longwy, investie le 20 par le duc de Brunswick et le général Clairfayt, venait de se rendre.

Les bourgeois de cette ville, saisis d'effroi à la vue d'un bombardement, avaient sommé le commandant Lavergne de capituler, et celui-ci, complice caché de l'émigration, s'était empressé d'ouvrir les portes, quoique la place fût défendue par une garnison de deux mille hommes, et n'eût encore subi ni brèche ni assaut.

La trahison parut manifeste. Dans les papiers de Lavergne, on trouva une lettre signée Allebrade, qu'on lui adressait du camp ennemi, et qui contenait ces exhortations dégradantes : Tu ne balanceras pas sans doute entre le parti de servir la cause du roi, ou d'être le stipendié de Pétion. Tu sais que ta femme est désolée, qu'elle t'a écrit plusieurs fois. Je suis chargé, de la part du roi et du duc de Brunswick, de te déclarer que ton zèle ne restera pas sans récompense, etc.[46]...

Mais l'indignation de l'Assemblée n'avait pas attendu, pour éclater, la découverte de ce document accusateur. Pour un soldat, pour un Français, n'était-ce pas déjà trahir que de se laisser vaincre sans combat ? L'Assemblée publia cette proclamation lacédémonienne :

Citoyens, la place de Longwy vient d'être rendue ou livrée ! Les ennemis s'avancent. Peut-être se flattent-ils de trouver partout des lâches ou des traîtres : ils se trompent. La patrie vous appelle, partez[47].

En même temps, elle décrétait ce qui suit :

Tout citoyen qui, dans une ville assiégée, parlera de se rendre, sera puni de mort[48].

Et le sentiment exprimé par ce décret sublime était si général, que lorsque, dans la séance du 29 août, on vint lire un rapport des officiers, sous-officiers et soldats du troisième bataillon des Ardennes, où l'exposé des causes qui réduisaient à l'impuissance les défenseurs de Longwy aboutissait à cette question : Que pouvaient-ils faire ? plusieurs voix répondirent spontanément : Mourir ![49]

On décida :

Que la ville de Longwy serait rasée ;

Que ses habitants seraient, pendant dix ans, privés du droit de citoyens français ;

Que les commandants des places assiégées pourraient désormais faire démolir la maison de quiconque parlerait de se rendre pour éviter le bombardement ;

Que ceux qui ne marcheraient pas à l'ennemi seraient obligés de remettre leur fusil aux citoyens en route pour la frontière[50].

Une nouvelle levée de trente mille hommes compléta la série de ces mesures, vraiment dignes du génie de la liberté qui les inspirait.

Ce qu'il ne faut pas oublier, c'est qu'au milieu de tant d'agitations, de luttes, de périls et de colères, la France ne cessa pas un instant d'être la nation des belles et fortes idées, la nation pensive. Car, tandis qu'elle confiait le salut public à l'exécution de lois que Sparte n'aurait pas désavouées, l'Assemblée, sur la motion d'Aubert-Dubayet, décrétait le divorce comme premier pas vers l'égalité de l'homme et de la femme[51] ; et, donnant notre pays pour patrie à une pléiade de grandes intelligences ou de grands cœurs dont s'honorait alors l'humanité, elle décernait le titre de citoyens français à Priestley, Payne, Bentham, Wilberforce, Clarkson, Mackintosh, David-Williams, Gorani, Anacharsis Clootz, Campe, Corneille Pauw, Pestalozzi, Washington, Hamilton, Madison, Klopstock, Schiller, Kosciuszko[52].

Ainsi, pendant que les rois essayaient d'ameuter l'univers contre la Révolution française, elle se montrait, au sein des éclairs, professant avec d'inconcevables alternatives de calme et de passion, le culte de ces trois choses qui sont tout l'homme : la pensée, le sentiment, l'action !

Le 27 août, Paris prit le deuil. Ce jour-là, ce fut la fête des morts. Elle eut Sergent pour ordonnateur et M.-J. Chénier pour poète. Cette fois encore, la musique était de Gossec. On ne vit jamais rien-de plus effrayant et de plus sombre. Le sarcophage des victimes du 10 août, traîné lentement à travers la ville par des bœufs, à la manière antique ; la longue procession des orphelines et des veuves en robe blanche avec ceinture noire ; le cavalier qui agitait dans les airs, écrite sur un drapeau, une liste de massacres ; les mânes des citoyens immolés à Nancy, à Nîmes, à Montauban, à Avignon, à la Chapelle, à Carpentras, au Champ de Mars, évoqués tous à la fois et comme invités aux funérailles des martyrs de la veille ; le glaive porté par la statue de la loi ; les nuages de parfums autour des cercueils ; les cris rauques des hommes à piques, les lamentations des femmes[53]..., tout cela n'était que trop de nature à précipiter le peuple dans les voies de la fureur. Le choix même de l'emplacement y contribuait. Car cet emplacement, c'était le jardin des Tuileries, avec ses arbres déchirés par les balles, ses parterres flétris, ses fleurs brisées sur leurs tiges, ses statues de marbre coiffées du bonnet rouge. Et le colossal obélisque sur lequel on lisait cette inscription, si frappante par son laconisme : Silence ! ils reposent ! où s'élevait-il ? Sur le grand bassin, c'est-à-dire entre ce palais dont les dalles, portaient encore la trace du sang, et cette place du Carrousel où, quelques jours auparavant, la peine de mort avait tué le bourreau !

Pour comble, il arriva que des royalistes osèrent, en dépouillant de leurs draperies, pendant la nuit, les statues de la Liberté et de la Loi, insulter à la douleur publique[54]. A quelles mesures, après cela, ne pouvait-on pas s'attendre ? Le lendemain, Danton, dans la séance du soir, se présente à l'Assemblée et dit :

C'est par une convulsion que nous avons renversé le despotisme : ce n'est que par une grande convulsion nationale que nous ferons rétrograder les despotes. On a fermé les portes de la capitale, on a eu raison ; il était important de se saisir des traîtres ; mais y en eût-il trente mille, il faut qu'ils soient arrêtés demain. Nous vous demandons de nous autoriser à faire des visites domiciliaires. Il doit y avoir dans Paris quatre-vingt mille fusils en état... Tout appartient à la patrie, quand la patrie est en danger.

 

Et aussitôt l'Assemblée décrète les mesures demandées par Danton[55].

A la Commune de fixer le moment où les visites domiciliaires seraient opérées : elle choisit la nuit, celle du 29 au 30 ; et le 29, dès six heures du soir, Paris, aux rayons du soleil couchant, apparut tout à coup plein de solitude et de silence. Personne dans les rues, personne dans les promenades ; les boutiques fermées ; aux barrières, pour les gardes, des Marseillais ; sur la rivière, tous les batelets et jusqu'aux bateaux des blanchisseuses remplis d'hommes armés ; au haut et au bas des escaliers qui descendent à la Seine, sur les berges, le long de chaque quai, des sentinelles.

La terreur qu'éprouvèrent les royalistes fut immense, et deux d'entre eux, qui se cachaient alors dans Paris, ont légué à l'histoire le souvenir de leurs impressions[56]. Les fantômes de la Saint-Barthélemy venaient de se dresser devant quiconque se sentait suspect. Les uns couraient demander refuge à un ami, qui, tremblant pour lui-même, n'osait les accueillir ; les autres allaient s'enterrer dans quelque cabaret des faubourgs, ou se blottir dans des alcôves de prostituées. Il y en eut qui, cherchant asile au fond des hôpitaux et de leurs dortoirs, imaginèrent de s'y coucher à côté des malades[57].

Quelques-uns néanmoins déployèrent du sang-froid, témoin le procureur Séron, qu'on arrêta se montrant en robe de chambre à sa croisée et y jouant de la flûte[58].

Il était une heure du malin, lorsque les visites domiciliaires commencèrent. Des patrouilles de gens à piques, de soixante hommes chacune, étaient dans chaque rue. Aux angles de tous les carrefours, des groupes de sentinelles arrêtaient l'imprudent qui s'aventurait dans la ville. Les maisons soupçonnées, celles des signataires de la pétition des vingt mille, furent fouillées avec une curiosité farouche et désintéressée ; on n'y cherchait pas de l'or, mais du fer. Peu de jours avant, une fouille ayant été faite, par ordre de la municipalité, chez Beaumarchais, signalé comme ayant dans sa maison un amas caché de fusils, il écrivait à sa tille, dans le récit de ce qui s'était passé : Samedi 11, vers huit heures du matin, un homme est venu m'avertir que les femmes du port Saint-Paul allaient amener tout le peuple. Après sept heures de la plus sévère recherche, la foule s'est écoulée aux ordres de je ne sais quel chef. Mais pas un binet de perdu ! Une femme, au jardin, a cueilli une giroflée : elle l'a payée de vingt soufflets ; on voulait la baigner dans le bassin des peupliers[59].

Deux mille fusils, voilà tout ce que produisirent les visites domiciliaires[60].

Quant aux personnes arrêtées — et elles étaient au nombre d'environ trois mille — on les conduisit aux sections, en général pour la forme ; car la plupart furent relâchées le lendemain. Parmi les prisonniers se trouva le père Lenfant, confesseur du roi[61].

Quoique la mesure des visites domiciliaires eût été décrétée par l'Assemblée elle-même, elle s'étonna et s'alarma de la vigueur avec laquelle la Commune-y avait procédé. Aussi bien, depuis le 10 août, l'Hôtel de Ville avait déployé une intelligence révolutionnaire et une puissance d'action dont les anciens dominateurs prenaient ombrage. Que cette puissance, ne se fût pas toujours renfermée dans les bornes de la légalité stricte, régime des temps calmes, c'est certain. Née d'un orage, c'était un orage qu'elle avait reçu mission de gouverner. Nul doute qu'il n'y eût flagrant péril et violence extrême à faire afficher, par exemple, aux portes de chaque prison, les noms des prisonniers, à faire dresser la liste des électeurs aristocrates de tel ou tel quartier, à menacer de mort les vendeurs d'argent, Mais il ne faut pas croire, comme l'ont avancé sans preuves quelques historiens, que Paris fût ainsi tombé sous la dictature sans frein du premier venu, et que le rétablissement de l'ordre public n'entrât pour rien dans les préoccupations de la nouvelle Commune. Elle déployait certes autant de sagesse qu'elle avait montré d'énergie, lorsqu'elle décrétait en quelque sorte le respect des propriétés particulières ; lorsqu'elle protégeait les domiciles des artistes logés au Louvre, que le peuple prenait pour des courtisans ; lorsqu'elle invitait les citoyens à ne point tirer des coups de fusil dans Paris ; lorsqu'elle ordonnait que la ville fût illuminée toute la nuit, jusqu'à invitation contraire[62] ; lorsqu'elle recommandait l'exécution du décret de suppression des costumes ecclésiastiques, attendu que, mal vus du peuple, ils pouvaient exposer à quelques insultes ceux qui les portaient[63]. Les premières lignes de l'arrêté qui prescrit, sur ce point, l'obéissance à la loi, sont remarquables : L'assemblée générale de la Commune, considérant que le premier de ses soins est de rétablir l'ordre public[64] ; etc.

Il est juste aussi d'ajouter que, si elle fut terrible à l'égard des royalistes, et, à l'égard des fabricateurs de faux assignats, inexorable, cela ne l'empêcha point de prendre certaines mesures que commandaient l'humanité et l'équité, témoin la commission qu'elle nomma pour surveiller les soins à donner aux blessés du 10 août, el celle qu'elle institua pour visiter les prisons et recueillir tous les renseignements propres à assurer la justification de l'innocence[65].

Mais l'Assemblée, jalouse d'un pouvoir qui menaçait d'éclipser le sien, se sentait naturellement disposée, et à grossir les fautes ou les violences de la Commune, et à fermer les yeux sur l'importance de ses services. Pour neutraliser son influence, elle avait déjà, dès le 11, ordonné la reconstitution du département par voie d'élection, et il s'était engagé, sur ce terrain, entre les deux autorités rivales, une lutte qui n'était pas encore close d'une manière définitive, lorsque survinrent deux faits dont l'Assemblée s'empara en toute hâte.

Au nombre des amis de la Gironde, et, plus particulièrement, de Brissot, figurait Girey-Dupré, esprit plein de sève, cœur intrépide. Irrité, comme tous ceux de son parti, de l'ascendant de l'Hôtel de Ville, il se répandit dans le Patriote français, en attaques qui se trouvèrent dépasser la limite de la justice. La Commune, disait-il dans son numéro du 28 août, a arrêté de faire des visites domiciliaires, pour forcer les citoyens à donner leurs fusils ou à marcher.

Cette imputation avait un caractère doublement répréhensible. D'abord, il n'était pas vrai que les visites domiciliaires eussent été décrétées par la Commune, elles l'avaient été par l'Assemblée ; ensuite, il n'était pas vrai que la mesure eût pour objet de forcer les citoyens à donner leurs fusils ou à marcher ; et une pareille erreur dans un pareil moment, si elle se fût accréditée, pouvait, en faisant croire au désarmement général de la population, créer un véritable danger public[66].

La Commune prit aussitôt l'arrêté suivant :

Le Conseil général arrête que l'éditeur du Patriote français sera mandé à la barre demain à 11 heures, pour s'expliquer sur une imposture qu'il a imprimée dans sa feuille sur le compte du Conseil général de la Commune.

HUGUENIN, Président ;

MÉHÉE, Secrétaire[67].

 

Girey-Dupré avait derrière lui l'Assemblée ; il savait que les Girondins ne l'abandonneraient pas ; c'était, d'ailleurs, un homme de courage : il répondit, par une lettre très-noble, très-agressive : Vous m'avez mandé à la barre ; je ne m'y rends pas, parce que vous n'aviez pas le droit de m'y mander... Si vous vous croyez insultés ou calomniés, il est des tribunaux où je vous attends. Si vous avez voulu essayer votre pouvoir contre les écrivains patriotes, et détourner, en les effrayant, la vérité qu'ils doivent dire au peuple, et qu'ils lui diront, vous avez mal choisi l'objet de cette épreuve. Je suis fermement résolu à défendre jusqu'à la mort la liberté individuelle et la liberté de la presse que vous attaquez, les droits de l'homme auxquels vous attentez, les droits du peuple que vous usurpez. Il finissait en sommant la Commune de motiver l'objet de sa plainte, se déclarant prêt, soit à soutenir la vérité, s'il l'avait dite, soit à rétracter une erreur, si elle lui était échappée[68].

Précisément, il arriva que, le lendemain de cette correspondance, un officier municipal[69], chargé d'apposer les scellés dans les maisons suspectes, fut averti de se transporter chez M. Pont-Labbé, qui avait son appartement au Garde-Meuble. Il s'y rendit, et ayant trouvé dans le Garde-Meuble un petit canon d'argent, appelé canon de Siam, dont l'enlèvement par la multitude lui fut signalé comme fort à craindre, il le fit prendre et déposer à la section du Louvre[70].

Tels furent les deux faits qui servirent de prétexte à l'Assemblée pour essayer de briser la Commune ; et il fallait absolument que cette insupportable tyrannie dont on faisait tant de bruit ne fût pas tout à fait ce qu'on disait, puisque, malgré le vif désir que l'Assemblée avait de la prouver, elle n'en put fournir que ces deux preuves. Les Girondins crièrent à la violation de toutes les règles, parce qu'un officier municipal, dans un moment où le peuple était déchaîné, avait pris sur lui de mettre en sûreté un objet appartenant à la nation ! Ils crièrent à la violation de la liberté individuelle, à propos de Girey-Dupré, — non pas arrêté, mais mandé pour donner des explications nécessaires, — eux qui venaient de voter la violation du domicile de plusieurs milliers de citoyens, eux qui ne trouvaient rien à redire à l'arrestation de tant de suspects, pris, dans une seule nuit, comme en un coup de filet !

Et telle est la force de l'esprit de corps, que les Girondins rencontrèrent ici dans plusieurs de leurs collègues, en dehors même de leur parti, de véhéments auxiliaires. Dans la séance du 30, où fut lue la lettre de Girey-Dupré, Choudieu attaqua vivement la Commune ; et Cambon déclara que, si ses membres ne pouvaient représenter les pouvoirs qu'ils tenaient du peuple, ils étaient des usurpateurs. Roland, de son côté, venait d'annoncer que, si on ne mettait fin au système de désorganisation entretenu par la Commune, il ne répondait pas de l'approvisionnement de Paris. Gensonné se plaignit de l'investissement de l'Hôtel de la Guerre ; Grangeneuve demanda que l'ancienne municipalité reprît ses fonctions ; et enfin, sur un rapport de Guadet, l'Assemblée décréta l'élection d'une municipalité nouvelle[71].

Seulement, par une contradiction fort étrange, on ne frappait celle dont on ne voulait plus, qu'en déclarant qu'elle avait bien mérité de la patrie.

Le même jour, dans la séance du soir, l'officier municipal qui avait enlevé le canon du Garde-Meuble comparaissait à la barre. Il expliqua sa conduite en termes à la fois si fermes, si respectueux et si décisifs, que Bazire demanda à l'Assemblée de lui témoigner solennellement sa satisfaction. Mais Lacroix et Grangeneuve insistant pour de tout autres conclusions, l'Assemblée se décida à renvoyer l'affaire à l'examen du Comité de surveillance. Puis, sans désemparer, et sur le rapport de Vergniaud, elle annula le mandat d'amener lancé contre Girey-Dupré, comme attentatoire à la liberté individuelle et à la liberté de la presse[72].

A ce dernier décret avait été ajoutée une clause qui enjoignait à la Commune de se renfermer, à l'égard des mandats d'amener et d'arrêt, dans les bornes prescrites par la loi sur la police générale et sur la sûreté de l'État. Charlier demanda le renvoi à la Commission extraordinaire, pour simple explication de la partie relative aux mandats d'amener. Vergniaud fit observer alors, bien sûr que rien n'était plus propre à irriter l'orgueil de l'Assemblée, que Huguenin, président de la Commune, avait été mandé à la barre et n'avait point obéi. Mais, dit aussitôt un ami de Danton, Thuriot, cet ordre n'est peut-être point parvenu à la Commune, et il pourrait, avoir des inconvénients dangereux. A quoi Marbot répliqua par ces fières et dures paroles : Je demande qu'un membre de l'Assemblée qui a peur d'un représentant de la Commune de Paris, laisse faire ceux qui ont du cœur[73].

Les passions étaient vivement excitées, et, sur la motion de Larivière, on venait de décider que Huguenin, qui d'abord n'avait été que mandé à la barre, y serait amené séance tenante, lorsque parut, conduite par Pétion, une députation de la Commune.

Tallien s'avance et d'une voix ferme : Législateurs, les représentants provisoires de la Commune ont été calomniés, ils viennent vous demander justice. Il déclara ensuite :

Que la Commune avait reçu mandat de sauver la patrie, et qu'elle l'avait sauvée ;

Que ses actes étaient revêtus d'une grande sanction, celle du peuple ; que, par elle, les membres de l'Assemblée étaient remontés à la hauteur d'un peuple libre ;

Qu'elle n'avait donné aucun ordre contre la liberté des bons citoyens, et se faisait gloire d'avoir pour le salut de l'État, arrêté les conspirateurs ;

Que si l'administration, et notamment celle des subsistances, était désorganisée, il en fallait accuser les administrateurs, absents à l'heure du péril.

Nous avons fait des visites domiciliaires, ajouta-t-il ; qui nous les avait ordonnées ? Vous[74].

Il y avait dans ce discours laconique et hautain une phrase qui alors ne fut point remarquée, mais dont, plus tard, beaucoup d'historiens, royalistes ou non, se sont armés pour prétendre que les journées de septembre furent le résultat d'une préméditation infernale. Cette phrase, la voici : Nous avons fait arrêter les prêtres perturbateurs ; ils sont enfermés dans une maison particulière, et, sous peu de jours, le sol de la liberté sera purgé de leur présence[75]. Mais les historiens auxquels cette preuve a paru si concluante, ont oublié que l'Assemblée à qui s'adressait Tallien, venait précisément de rendre un décret prononçant la peine de la déportation contre tous les prêtres non assermentés ![76] Le mot de Tallien n'était pas horriblement équivoque, comme l'assure un écrivain moderne[77] ; il ne soulevait donc pas ce que ce même écrivain appelle un coin du voile ; il ne prouvait donc pas que les meneurs étaient décidés à garder la dictature, s'il le fallait, par un massacre[78].

Après Tallien, Manuel, prenant la parole, fit remarquer combien il était contradictoire, de la part de l'Assemblée, de briser un pouvoir qu'elle reconnaissait avoir bien mérité de la patrie[79].

La réponse du président fut d'une modération qui touchait à la faiblesse. Le fédéralisme, cet expédient, depuis si fatal aux Girondins, y perçait déjà dans ce cri, timidement hasardé : Que dirait la France, si Paris, cette belle cité, voulait s'isoler du reste de l'empire ?[80] Le président termina sa courte allocution en promettant que la pétition de la Commune serait examinée et en invitant les députés à la séance.

En cet instant trois citoyens ayant été admis à la barre, un d'eux demande qu'il soit permis au peuple, qui attendait à la porte, dit-il, de défiler dans la salle. Cette requête, motivée sur le désir de voir les représentants de la Commune et suivie de la promesse menaçante de mourir, au besoin, avec eux, parut une insulte à l'Assemblée. Plusieurs membres s'écrièrent que la députation ne courait aucun péril, et comme le pétitionnaire répondait à la proposition de Lacroix d'admettre seulement vingt personnes, que, dans ce cas, le peuple n'était pas libre. — Sommes-nous libres, nous ? répliqua Lacroix indigné. Les pétitionnaires n'osent insister, ils se retirent. Il y eut un moment de silence et d'attente. Manuel était sorti, il rentre et annonce qu'au lieu où l'Assemblée pouvait croire qu'il y avait un attroupement, il n'a trouvé que trois ou quatre très-coupables pétitionnaires, dont il a sur-le-champ ordonné l'arrestation. A cette nouvelle, l'Assemblée se calme, le président remercie Manuel de son zèle, et la séance est suspendue[81].

Le 31 août, dans la séance du soir, Huguenin comparaissait à la barre, et s'excusait de n'avoir pas obéi plus tôt au décret qui l'y mandait sur ce qu'il ne l'avait connu que par les papiers publics. Il fut admis aux honneurs de la séance, mais on renvoya son explication à la Commission extraordinaire[82].

D'épouvantables événements interrompirent cette lutte.

 

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Dans son Histoire de la Terreur, M. Mortimer-Ternaux veut, à tout prix, rejeter sur Robespierre une part de la responsabilité des massacres de septembre. Aussi n'hésite t-il pas à lui attribuer une adresse à l'Assemblée législative, rédigée par Tallien, et après avoir cité le passage de cette adresse relatif aux prêtres perturbateurs, passage dans lequel quelques historiens, avant lui, ont fort à tort, comme nous l'avons prouvé, voulu voir un témoignage de la préméditation des journées de septembre, il ajoute en note : Cette menace avait été froidement préméditée ; Robespierre l'avait insérée de sa main dans l'adresse dont Tallien avait été chargé de donner lecture. (Histoire de la Terreur, t. III, p. 175.)

M. Mortimer-Ternaux commet là une erreur inconcevable. On en va juger :

Le 30 août 1792, le Conseil général de la Commune avait chargé Robespierre de la rédaction d'une adresse destinée à rendre compte, non pas à l'Assemblée nationale, mais aux quarante-huit sections de Paris, de la conduite de la Commune depuis le 10 août. (Registres des procès-verbaux de la Commune. — Archives de la Ville, V. 22, Carton 0. 7. 0.) De cette adresse il ne sera plus question que le surlendemain, c'est-à-dire le 1er septembre. Eh bien, M. Mortimer-Ternaux, après avoir affirmé qu'elle était destinée à l'Assemblée nationale, nous montre Robespierre lisant, le 31 août, son adresse rédigée pendant la nuit (Histoire de la Terreur, t. III, p. 169). Or, les registres des délibérations de la section de la Place Vendôme témoignent qu'il présidait, en ce moment-là même, sa section réunie en assemblée primaire (Archives de la Préfecture de police) ; et les registres des procès-verbaux de la Commune font foi que Robespierre ne parut pas au Conseil général dans la séance du 31 août ; et que son nom n'y fut pas même prononcé. (Archives de la Ville, ubi supra.)

Que dit, en effet, le procès-verbal de la séance du 31 août ? Que le Conseil général, ne voulant pas laisser sans réponse les inculpations dont la Commune a été l'objet devant le Corps législatif, on discute la mesure d'une députation à l'Assemblée nationale ; il est arrêté qu'elle sera de quarante-huit membres ; que le maire se mettra à sa tête ; que M. Tallien portera la parole... M. Tallien se retire pour RÉDIGER l'adresse à l'Assemblée nationale... M. Tallien fait lecture de SON adresse... et le Conseil général en a arrêté l'impression, etc. (Archives de la Ville, ubi supra.)

En présence de ces témoignages, les inculpations de M. Mortimer Ternaux s'écroulent d'elles-mêmes, Étrange façon d'écrire l'histoire que celle qui consiste à attribuer à un homme, pour mieux vouer sa mémoire à l'exécration, la paternité d'une œuvre à laquelle il est demeuré parfaitement étranger ! Je n'en dis pas davantage. — Voyez, pour plus amples renseignements, sur le point dont il s'agit, l'excellente Histoire de Robespierre, de M. Ernest Hamel, t. II, p. 396-402. Paris, 1866.

 

 

 



[1] Prudhomme, éditeur des Révolutions de Paris.

[2] Voyez l'Histoire impartiale, etc., de Prudhomme, t. IV, p. 64 et 65.

[3] Voyez cette lettre tirée de la Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck.

[4] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 126 et 127. — Note de l'auteur : M.-F. P***, homme de lettres, encore aujourd'hui existant, confirmerait au besoin ce que j'avance, car lui aussi a entendu ce propos.

[5] Montgaillard, Histoire de France, t. III, p. 167.

[6] Prudhomme, Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution, t. IV, p. 22.

[7] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 177.

[8] Montgaillard, Histoire de France, t. III, p. 166.

[9] Décret du 11 août.

[10] Dernier numéro du Défenseur de la Constitution.

[11] Révolutions de Paris.

[12] Voyez, dans le tome II de l'Histoire de la Révolution, par M Villiaumé, aux pièces justificatives, la lettre de Sergent-Marceau à l'auteur, n° 2.

[13] Voyez, pour les actes ci-dessus résumés, les procès-verbaux mêmes de la Commune du 10 août.

[14] Fastes de la Révolution, p. 336.

[15] Voyez la séance du 12 août, dans le Moniteur de cette époque.

[16] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 175.

[17] Nous empruntons ces particularités à un auteur qui a vu ce qu'il décrit ici, à Georges Duval. Voyez Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 362.

[18] Mémoires de M. Hue, à la suite du Journal de Cléry, note B.

[19] Voyez, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 34, la séance du 11 août, sept heures du matin.

[20] Qui croirait que M. Michelet, t. IV, p. 66 et 67, trouve ce conseil violent en apparence, humain en réalité ? Et le plus curieux, c'est qu'il en fait honneur à Danton, toujours par voie d'hypothèse : Je serais porté à croire que Lacroix exprimait la pensée de Danton.

[21] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 80.

[22] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 91.

[23] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 92.

[24] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 93.

[25] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, chap. XX, p. 183.

[26] Moniteur du 18 août 1792.

[27] Bulletin du tribunal du 17 août, n° 5, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — 193. British Museum.

[28] Voyez le texte de cette lettre reproduite in extenso dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 294-301.

[29] C'est ce que nous apprend Garat dans ses Mémoires.

[30] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 1.

[31] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 191.

[32] Jourgniac de Saint-Méard, Mon agonie de trente-huit heures, dans les Mémoires sur les journées de septembre, p. 16.

[33] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n°3.

[34] Moniteur, compte rendu de l'exécution du 27 août 1792.

[35] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 4.

[36] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 5.

[37] Voyez le rapport de Gohier, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 96 et 97, et les comptes rendus officiels des séances des 15, 16 et 17 août 1792.

[38] Fastes de la Révolution, par Marrast et Dupont, p. 338.

[39] Fastes de la Révolution, par Marrast et Dupont, p. 338.

[40] Toulongeon.

[41] Mémoires de Dumouriez, t. II, liv. V, chap. IV, p. 363 et 364.

[42] Mémoires de Dumouriez, t. II, liv. V, chap. V, p. 370.

[43] Mémoires de Dumouriez, note des éditeurs.

[44] Mémoires de Dumouriez, p. 373.

[45] Fastes de la Révolution, par Marrast et Dupont, p. 339.

[46] Rapport de Guadet à l'Assemblée sur la reddition de Longwy, dans la séance du 31 août 1792.

[47] Histoire parlementaire, t. XVII, p, 126 et 127.

[48] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 126.

[49] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 148.

[50] Fastes de la Révolution, par Marrast et Dupont, p. 340.

[51] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 158.

[52] Fastes de la Révolution, p. 340.

[53] Voyez, pour les détails, les Révolutions de Paris, n° CLXIV.

[54] Voyez, pour les détails, les Révolutions de Paris, n° CLXIV.

[55] Fastes de la Révolution, p. 40.

[56] Peltier et Georges Duval. Voyez le récit du premier reproduit dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 215 et 216, et celui du second, t. II des Souvenirs de la Terreur, p. 194-200.

[57] Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 195.

[58] Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 196.

[59] Extrait d'une lettre de Beaumarchais à sa fille, dans les Mémoires sur les prisons, t. I, p. 182. Collection Berville et Barrière.

[60] Fastes de la Révolution, p. 240.

[61] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 216.

[62] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 188.

[63] Arrêté du 12 août 1792.

[64] M. Michelet, grand détracteur de la Commune du 10 août, ne dit pas un mot de tout cela. Voyez son livre, t. IV, chap. III.

[65] Voyez le texte de cet arrêté, dont M. Michelet ne parle pas, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 189.

[66] M. Michelet, dans sa partialité systématique pour la Gironde, passe tout cela sous silence, et se borne à dire : Non contente de fouler aux pieds toute liberté individuelle, la Commune poursuivit Girey-Duprey pour un article de journal ! T. IV, p. 101.

[67] Extrait du registre des délibérations de la Commune, 28 août, l'an IV de la liberté et le 1er l'égalité.

[68] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 153.

[69] Et non pas un quidam se disant membre de la Commune, comme l'écrit M. Michelet, t. IV de son Histoire de la Révolution, p. 102.

[70] A la section du Louvre, et non pas chez lui, comme dit M. Michelet, t. IV, p. 103. — Voyez la déclaration de l'officier municipal devant l'Assemblée, séance du soir, 30 août 1792.

[71] Séance du 30 août 1792.

[72] Voyez le texte de ce décret dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 163.

[73] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 164.

[74] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 167.

[75] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 167. — Voyez la note critique placée à la fin de ce chapitre.

[76] Décret rendu le 19 août 1792 et définitivement rédigé le 26.

[77] M. Michelet, t. IV, p. 104 de son Histoire de la Révolution.

[78] M. Michelet, Histoire de la Révolution, t. IV, p. 104.. — Au reste, nous aurons occasion bientôt de revenir sur ce point important.

[79] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 167.

[80] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 168.

[81] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 169.

[82] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 172 et 173.