HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME SEPTIÈME

LIVRE SEPTIÈME (SUITE)

 

CHAPITRE XV. — RENVERSEMENT DE LA ROYAUTÉ

 

 

Le 10 août, vraie bataille rangée. — On s'y prépare ouvertement de part et d'autre. — Revue des forces. — Tableau d'intérieur. — Anxiété des révolutionnaires. — Nuit du 9 au 10. — Marat dans son souterrain. — Aspect du château pendant la nuit. — Le tocsin de Saint-Germain l'Auxerrois ! — Pétion entre les mains de ses ennemis. — Rapports nocturnes de Blondel. — Terreurs de Lucile Desmoulins. — Naissance de la Commune du 10 août. — Mandat à l'Hôtel-de-Ville ; sa mort. — Calomnie royaliste. — Attitude des Suisses, défenseurs du château. — Promenade fatale. — Imprudentes paroles de Marie-Antoinette. — Rôle de Rœderer. — La famille royale abandonne le château ; circonstances qui marquent son départ pour l'Assemblée. — Le trajet du jardin des Tuileries. — Louis XVI dans la loge du Logotachygraphe. — Mort de Suleau. — Effet produit sur les Suisses par le départ du roi. — Le peuple devant le château. — Caractère général du mouvement du 10 août. — Les Suisses veulent se rendre. — D'où vinrent les premiers coups de feu. — Massacre du Vestibule. — Sortie meurtrière des Suisses. — Aspect de l'Assemblée, au bruit du canon. — Louis XVI, dans la loge du Logotachygraphe, mange une pêche ; Marie-Antoinette tout entière au combat. — Ordre écrit remis à d'Hervilly ; particularités curieuses qui s'y rattachent. — Le cri : Trahison ! poussé dans tout Paris. — Apparition des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau. — Renouvellement de l'attaque. — Intrépidité des assaillants, intrépidité égale des Suisses ; ces derniers battent en, retraite. — Circonstances tragiques de cette retraite. — Napoléon dans la boutique de Fauvelet, sur le Carrousel. — La voiture de madame de Staël arrêtée. — Le peuple vainqueur. — Scènes de rage. — Scènes de désintéressement. — Scènes de magnanimité. — Mort de Clermont-Tonnerre. — Nombre des victimes. — Les Girondins dans cette grande crise. — Danton endormi ; Fabre d'Églantine le réveille, pour lui apprendre qu'il est ministre. — Paris, dans la soirée du 10 août. — Critique historique.

 

Le 10 août eut tous les caractères de la fatalité. Rien n'y fut donné à la surprise ou au hasard. De part et d'autre, on s'y prépara, lentement, solennellement, au grand jour, comme à une bataille inévitable et décisive.

Presque à la veille de l'insurrection, des pétitionnaires du Champ de Mars allaient l'annoncer en ces termes à l'Assemblée : La patrie est en danger, cela signifie : Nous sommes trahis... Il faut du fer, des piques, un appareil menaçant, partout où respirent des ennemis de l'égalité. Que les plus puissants soient atteints les premiers, et le reste épars retourne au néant.

Et ceux qui parlaient ce terrible langage s'étaient présentés, précédés d'un bâton que surmontait un bonnet rouge, avec cet écriteau : Suppression du pouvoir persécutif[1].

De leur côté, les défenseurs du trône tenaient tête au péril avec une hardiesse qui n'était pas dénuée d'espoir. La section de l'Arsenal protesta contre la dernière adresse lue par Pétion ; la ville de Nancy se déclara d'une manière formelle pour les constitutionnels, contre les Jacobins ; plusieurs conseils généraux de département se prononcèrent dans le même sens, celui de la Meuse, par exemple ; celui de l'Isère, celui de la Seine-Inférieure[2] ; enfin un événement auquel personne ne s'attendait vint prouver qu'au nombre de ses appuis la royauté pourrait compter, au besoin… l'Assemblée, oui, l'Assemblée elle-même. Le 8 août, le décret d'accusation contre Lafayette, combattu par Vaublanc et demandé par Brissot, fut rejeté par 406 voix contre 224[3].

Cette énorme majorité, accordée, au milieu du déchaînement des esprits, à un général que l'Hôtel-de-Ville, les faubourgs, les clubs, s'accordaient à dénoncer comme un traître, annonçait assez de quelle confiance les ennemis des Jacobins se sentaient encore animés. Des cris de rage, partis des tribunes, furent répétés avec un farouche délire par la foule qui environnait la salle et en inondait les abords. A leur sortie de l'Assemblée, plusieurs députés du côté droit se virent assaillis d'injures. Dumolard, Vaublanc, Daverhoult, Froudière durent chercher refuge dans le corps de garde de la cour du Palais-Royal, et n'échappèrent aux fureurs de la multitude qu'en s'évadant par une fenêtre. Mathieu Dumas fut attaqué par des femmes de la halle, foulé aux pieds, et courut risque de la vie[4]. Une belle parole vengea les Feuillants de l'humiliation de ces outrages : un d'eux, Girardin, se plaignant à l'Assemblée d'avoir été frappé, et entendant une voix qui lui criait ironiquement : Où ? répondit : Par derrière. Est-ce que les assassins frappent autrement ?[5]

Mais cette ferme attitude de quelques-uns des contre-révolutionnaires ne faisant qu'enflammer la colère de leurs ennemis, tout Paris s'agita convulsivement. Le long de la rue Saint-Honoré, vous eussiez vu défiler, avec une solennité sombre, des milliers de citoyens se tenant deux à deux et ne dissimulant pas qu'ils allaient chercher au faubourg Saint-Antoine le mot d'ordre de la patrie en danger[6]. Les Jacobins, de leur côté, s'étaient réunis dans leur salle. Chabot, selon ses propres expressions, courut y sonner le tocsin, et promit d'aller le sonner le lendemain au soir dans les faubourgs[7].

Le lendemain était le 9 août. Pour mettre à couvert la responsabilité de Pétion, les meneurs avaient résolu de le consigner chez lui. Carra l'en avait prévenu[8], et Barbaroux avait dit à la femme du maire de Paris : Si nous enchaînons jamais votre époux, ce sera auprès de vous et avec des rubans tricolores[9]. Mais cette mesure n'ayant pas encore été prise, Pétion, accablé de son rôle de magistrat populaire, se montrait un pied dans le mouvement et un pied dehors. Informé de ce qui s'était passé aux Jacobins, il mande au Comité de sûreté générale le capucin Chabot ; et là, en présence de Merlin de Thionville et de Bazire, les deux autres membres du trio cordelier : Eh bien, lui dit-il, vous aurez donc toujours une mauvaise tête ? La Gironde et Brissot m'ont promis la déchéance. Je ne veux pas de mouvement. Il faut attendre que l'Assemblée se prononce. Chabot répondit : Vous êtes dupe de ces intrigants. L'Assemblée ne peut pas sauver le peuple, et je crois que vos amis ne le veulent pas. Ainsi, le tocsin sonnera ce soir au faubourg. — Je vous arrêterai. — Vous serez arrêté vous-même. Ils se séparèrent, et Chabot se hâta d'aller prévenir le comité secret des dispositions de Pétion[10].

Encore quelques heures, et le sort de la monarchie allait être décidé. Le dimanche précédent, les personnes de la Cour avaient remarqué que, le roi et la reine assistant aux vêpres dans la chapelle des Tuileries, les musiciens s'étaient mis à tripler le son de leur voix d'une manière effrayante à ce verset du Magnificat : Deposuit potentes de sede[11] ; mais, depuis, que d'avertissements plus directs et d'une précision plus terrible ! Le roi était instruit heure par heure, presque minute par minute, des préparatifs du combat[12]. Il savait que c'était pour le lendemain. Et comment l'aurait-il ignoré ? Le 10 août n'eut rien d'un complot, ce fut une vraie bataille. De là les avis que se faisaient passer, d'un camp à l'autre, les ennemis qui s'aimaient. Un de ceux qui devaient commander l'attaque fit prévenir Peltier de prendre garde à lui, qu'elle serait sanglante[13] ; et Camille Desmoulins offrit un refuge à Suleau, auquel le liaient des souvenirs d'enfance[14].

De toutes les dames du palais, pas une n'osa y paraître dans la journée du 9. Seule avec sa belle-sœur et ses enfants, la reine ne reçut d'autre visite que celle de lady Sutherland, femme de l'ambassadeur d'Angleterre[15].

Les abords du château n'étaient point, à cette époque, ce que nous les voyons aujourd'hui. Cette vaste, cette immense place qu'on nomme le Carrousel ne comprenait pas dans ce temps-là la huitième partie du terrain qu'elle occupe de nos jours. Le Carrousel se trouvait obstrué d'une multitude de maisons plus ou moins élevées, formant des rues avec divers détours, lesquelles pouvaient être considérées comme autant de chemins couverts, par où il était facile d'arriver sans péril jusqu'à portée de pistolet de l'enceinte des bâtiments et des cours. Mais là, en cas d'attaque, le danger commençait. Car, avant d'atteindre le palais, les assaillants avaient à s'engouffrer dans d'étroits espaces où il suffisait de quelques canons tirés à mitraille sur une masse serrée pour joncher le pavé de cadavres. Au lieu d'une seule cour divisée par des bornes et des chaînes de fer, il y en avait trois de dimension à peu près égale. La plus grande, celle du milieu, s'appelait la cour Royale ; on y entrait, du côté du Carrousel, par une porte cochère confiée à un Suisse nommé Brown, qui tenait un restaurant. A gauche, en face du pavillon de Flore, était la cour des Princes, et en face du pavillon Marsan, à droite, la cour des Suisses. Or, ce qui était de nature à rendre l'accès des Tuileries, dans un jour de combat, extrêmement meurtrier, c'était la triple ligne des bâtiments à un étage qui divisaient les trois cours, bâtiments où logeaient les personnes attachées au château, mais qui pouvaient aisément se transformer en redoutes. Du côté du jardin, les arcades des galeries inférieures qui longent la terrasse, à droite et à gauche de l'entrée du vestibule, étaient fermées dans presque toute leur hauteur par des barreaux de fer, supprimés depuis pour faire place à des statues. A la place des grilles qui bordent la terrasse des Feuillants, il y avait, d'un bout à l'autre, un mur peu élevé servant de séparation entre cette terrasse et la cour du Manège, aujourd'hui la rue de Rivoli. La salle où s'assemblaient les députés occupait le fond de cette cour, à une portée de fusil de la rue du Dauphin. Pour aller du pavillon Marsan à la salle de l'Assemblée nationale, on traversait la cour des Écuries, puis la cour du Manège, d'où l'on pénétrait sur la terrasse des Feuillants par une porte latérale qui touchait au café Hollot, rendez-vous habituel des agitateurs. Du côté des Champs-Élysées, le jardin des Tuileries était défendu par un pont qui tournait sur un fossé profond, le Pont-Tournant. De sorte que le château des Tuileries se hérissait, au centre de la capitale, comme une forteresse ; et la royauté, pour peu qu'elle eût envie de recourir à la dernière raison des rois, ne pouvait être abattue que dans des flots de sang.

Les mesures de défense furent calculées de manière à rendre la lutte fatale. Mandat, constitutionnel zélé, était à la tête de la garde nationale : il donna ordre à seize bataillons de choix de se tenir prêts à marcher, et, dès six heures du soir, tous les postes du château furent triplés[16]. Le commandement de la 17e division était échu à M. de Boissieux, maréchal de camp, qui avait sous ses ordres la gendarmerie à pied et la gendarmerie à cheval. Un détachement du premier de ces deux corps fut posté dans la cour des Princes, au bas du petit escalier ; un autre, de cent cinquante hommes, eut pour destination de protéger l'hôtel de Toulouse, la caisse de l'extraordinaire, la caisse d'escompte et le trésor ; on consigna le reste[17]. Quant à la gendarmerie à cheval, commandée par MM. de Rulhières et de Verdière, elle se trouvait, aux approches de la nuit, rangée en bataille sur la grande place du Louvre. Les bataillons appelés par Mandat à défendre le trône arrivèrent successivement, et, en première ligne, celui des Filles-Saint-Thomas, plein d'ardeur et de zèle[18]. L'artillerie destinée à écraser les assaillants se composait de onze canons : l'on en plaça trois dans la cour Royale, devant la grande porte ; un dans la cour des Suisses, deux dans la cour des Princes, un devant le pavillon Marsan, un au Pont-Royal, trois vers le Pont-Tournant[19]. Ce n'est pas tout, Mandat avait posté à l'arcade Saint-Jean une force considérable qui devait lui répondre de l'Hôtel-de-Ville, et avait pour instruction de laisser passer ceux du faubourg Saint-Antoine, puis de les prendre en queue. De plus, il avait mis de l'artillerie au Pont-Neuf, de manière à empêcher la jonction du faubourg Saint-Antoine avec le faubourg Saint-Marceau.

Le roi devait naturellement compter pour sa défense sur les nobles qui se trouvaient à Paris. Deux mille cartes d'entrée leur furent effectivement distribuées par Champcenetz, gouverneur des Tuileries[20], et les portes du château restèrent ouvertes jusqu'après minuit pour les recevoir : c'est à peine s'il s'en présenta cent vingt[21] ! Encore s'ils étaient venus portant l'uniforme de la garde nationale, de manière à se confondre dans ses rangs et à l'encourager par leur exemple ! Mais non : jaloux de bien marquer, jusque dans ce moment terrible, la distinction des rangs, si chère à leur vanité, ils parurent en habit brodé, veste de satin et bas de soie blancs[22]. Quelques-uns avaient négligé d'apporter des armes, croyant en trouver dans le château ; les autres étaient armés d'espingoles, de pistolets et d'épées. Quelques-uns n'avaient que des cannes[23]. Là évidemment ne pouvait être la force du trône ! Sa vraie force, c'était le régiment des Suisses.

Ah ! pitié, pitié pour eux ! car leur âme fut intrépide et fidèle. Esclaves aveugles mais loyaux de l'honneur du soldat, martyrs désignés d'une cause qui n'était point la leur, et, dans nos tragédies civiles, acteurs nécessaires et maudits, ils sentirent tout de suite l'horreur de leur situation. Mais, bien différents de ces lansquenets du moyen âge qui tuaient, qui mouraient pour le compte du plus offrant, ils crurent, eux, avoir engagé leur foi le jour où ils avaient vendu leur sang. Quand on leur dit que le moment était arrivé d'affronter la colère d'un peuple qu'ils auraient voulu pouvoir aimer, ils tombèrent dans une tristesse profonde. Ils se tinrent prêts cependant, et lorsque la mort les vint sommer de gagner leur salaire, elle les trouva aussi fermes que le granit des Alpes, leur pays.

Déjà, le 4 août, sur un ordre envoyé de Paris en toute hâte, ils avaient dû partir de Courbevoie et de Rueil, après avoir enterré leurs drapeaux, et on les avait vus passer, marchant dans le plus grand silence, avec les mêmes précautions qu'on prend en temps de guerre en pays ennemi[24] ! Mais cette nuit-là le château ayant été tranquille, ils étaient retournés à leurs casernes. Le 8, vers les dix heures du matin, d'Erlach, capitaine de garde, remit à l'aide-major un ordre transmis par Mandat et conçu en ces termes : M. le colonel ordonne que le régiment soit rendu demain, à trois heures du matin, aux Tuileries[25]. On fit, aux casernes, le partage des cartouches. Dans son récit, le colonel Pfyffer avance que l'on ne put en distribuer que trente par homme. Ceci est inexact. Après le combat, il fut prouvé qu'on avait trouvé dans les gibernes de plusieurs Suisses morts jusqu'à soixante cartouches, ce qui montre qu'ils devaient en avoir au moins quatre-vingts chacun[26].

Le signal du départ donné, tout le monde marcha, voulut marcher : il ne resta aux casernes que les fourriers et les malades[27]. A la Porte Maillot, une ordonnance, venant de Paris, remit au commandant un passeport dont voici le texte : Laissez passer les Suisses, pour renforcer les postes des Tuileries. PÉTION, maire. Arrivés au château, ces rudes soldats furent distribués partout où le péril donnait rendez-vous au courage. Leur nombre n'était ni de sept cent cinquante, comme l'ont assuré les uns, ni de treize cent trente, comme l'ont prétendu les autres[28] ; neuf cent cinquante, tel est le chiffre vrai, le chiffre accusé par les procès-verbaux.

Il était midi, quand on acheva d'assigner aux Suisses les divers postes qu'ils devaient occuper, et, pendant ce temps, suivi de la reine, de Madame Elisabeth, de Madame Royale, Louis XVI se rendait à la chapelle du château. On remarqua son recueillement pendant toute la durée de la messe, et qu'il tint constamment les yeux fixés sur son livre de prières[29].

Autour du palais, jusqu'au soir, la foule ne cessa de gronder. A deux Suisses en faction à la porte du Carrousel, un Marseillais, son sabre à la main, cria : Misérables ! voilà la dernière garde que vous montez ; nous allons vous exterminer[30].

Et dans cette même soirée du 9 août, la femme de Camille Desmoulins écrivait sur les feuillets d'un livre où, jour par jour, elle consignait ses impressions :

Qu'allons-nous devenir ? Je n'en puis plus. Camille, ah ! mon pauvre Camille, que vas-tu devenir ? Je n'ai plus la force de respirer. C'est cette nuit, la nuit fatale. Mon Dieu, s'il est vrai que tu existes, sauve donc des hommes qui sont dignes de toi ! Nous voulons être libres : ô Dieu ! qu'il en coûte ! Et pour comble de malheur, le courage m'abandonne. — Jeudi, 9 août[31].

Quatre mois après, de sa plume touchante et naïve, Lucile retraçait ainsi sur ses tablettes ceux de ses souvenirs qui se rapportaient à la journée du 9 :

Le 9, j'eus des Marseillais à dîner ; nous nous amusâmes assez. Après dîner, nous fûmes tous chez M. Danton. La mère pleurait, elle était on ne peut plus triste ; son petit avait l'air hébété ; Danton était résolu. Moi, je riais comme une folle. Ils craignaient que l'affaire n'eût pas lieu. Quoique je n'en fusse pas du tout sûre, je leur disais, comme si je le savais bien, qu'elle aurait lieu. Mais peut-on rire ainsi ? me disait madame Danton. — Hélas ! lui dis-je, cela me présage que je verserai bien des larmes peut-être ce soir. Sur le soir, nous fûmes reconduire madame Charpentier, parente de Danton. Il faisait beau, nous fîmes quelques tours dans la rue : il y avait assez de monde. Nous revînmes sur nos pas, et nous nous assîmes à côté du café — de la place de l'Odéon. — Plusieurs sans-culottes passèrent en criant vive la nation ! Puis des troupes à cheval, enfin des foules immenses. La peur me prit. Je dis à madame Danton : Allons-nous-en. Elle rit de ma peur, mais à force de lui en dire elle eut peur à son tour, et nous partîmes. Je dis à sa mère : Adieu, vous ne tarderez pas à entendre sonner le tocsin. En arrivant chez Danton, j'y vois madame Robert et bien d'autres. Danton était agité. Je courus à madame Robert, et lui dis : Sonnera-t-on le tocsin ?Oui, me dit-elle, ce sera ce soir. J'écoutai tout, et ne dis pas une parole. Bientôt, je vis chacun s'armer. Camille, mon cher Camille, arriva avec un fusil. Ô Dieu ! je m'enfonçai dans l'alcôve, je me cachai la figure avec mes deux mains, et je me mis à pleurer. Cependant, ne voulant point montrer de faiblesse et dire tout haut à Camille que je ne voulais point qu'il se mêlât de tout cela, je guettai le moment où je pourrais lui parler sans être entendue et lui dis toutes mes craintes. Il me rassura en me disant qu'il ne quitterait pas Danton. J'ai su depuis qu'il s'était exposé. Fréron avait l'air d'être déterminé à périr. Je suis las de la vie, disait-il, je ne cherche qu'à mourir. Chaque patrouille qui venait, je croyais les voir pour la dernière fois. J'allai me fourrer dans le salon, qui était sans lumière, afin de ne point voir tous ces apprêts. Personne dans la rue. Tout le monde était rentré[32].

 

Comme elle est vive, comme elle est forte, cette peinture des incertitudes, des découragements, du trouble et des peurs qui, non moins que le palais du roi, assiégeaient le foyer de ces hommes qu'on représente si terribles ! Ils avaient donc, eux aussi, à s'arracher à des étreintes caressantes, et à combattre le pouvoir de ces larmes de l'amour, plus irrésistibles que ses sourires ! Elle prouve, en outre, cette page charmante et triste, elle prouve combien peu les révolutionnaires étaient assurés de la victoire. Et pouvaient-ils l'être ? N'avaient-ils pas contre eux une partie de la garde nationale et son chef ? Savaient-ils au juste de quelles ressources la royauté était en mesure de s'entourer ? Leur était-il possible de prévoir ces défections du lendemain qui furent la perte du trône et leur salut ? De quoi s'agissait-il ? De pousser ou plutôt de suivre à l'attaque d'une vraie citadelle, facile à défendre et bien défendue, une multitude ingouvernable, partagée entre mille passions et mille volontés contraires, sans plan arrêté, sans guides militaires, et dont le sort risquait d'être décidé par une panique. Non, non, il n'y avait rien de certain, rien, si ce n'est la Révolution croulante, en cas de défaite, et, sous ses ruines, un tombeau pour ses défenseurs. Voilà ce que comprenait Fréron, lorsqu'il se déclarait fatigué de la vie ; voilà ce que sentait de plus en plus, à mesure que la catastrophe approchait, Danton lui-même, de qui Lucile dit qu'il était résolu le 8, et que le 9 il était agité.

A minuit, le tocsin sonna.

La nuit était d'une splendeur et d'un calme qui contrastait avec l'état des esprits. Aux rayons de la lune, la ville apparaissait toute pâle. Les immenses foules qui avaient tant effrayé Lucile venaient de s'évanouir. Les rues étaient désertes. Seulement, de mystérieux messagers, porteurs de la correspondance des sections, glissaient çà et là comme des ombres. Dans quelques quartiers, une illumination sans but ajoutait ses lueurs aux clartés de cette nuit étrange ; dans d'autres, plus reculés et sombres, il était aisé de deviner ce qui se préparait, aux lumières qu'on voyait passer et repasser derrière les vitres de certaines maisons redoutées, et aux hommes armés que, de loin en loin, on rencontrait immobiles devant leurs portes. Du fond des faubourgs, comme endormis, nul cri ne s'élevait encore ; nulle agitation discernable ne répondait à la voix des cloches ; et le tocsin qui, sonné par des mains inconnues, prolongeait au milieu du silence ses appels inutiles, semblait parler à des morts.

Errant sous les voûtes de son souterrain, Marat y attendait l'événement avec une inquiétude farouche. Tout à coup il entendit frapper à la porte du caveau. C'était une jeune femme, la comédienne Fleury, qu'un charme inconcevable avait attirée vers cet être repoussé de tous, et qui venait lui apporter son repas : un peu de café, du riz et des fruits secs. Eh bien, demanda Marat, quelles nouvelles ?Paris ne remue pas. — C'est fini, dit-il, notre cause est perdue[33].

Au palais, la plus grande confusion régnait dans les cours, parmi les gardes nationaux ; et, dans les appartements, parmi les gentilshommes. L'attitude de ces derniers était celle de la présomption ennoblie par le dévouement et le courage, à ce point qu'ils étaient convenus d'annoncer le triomphe à leurs amis, par des affidés, porteurs d'un morceau de serge blanche[34]. Au fond, ils se tenaient presque assurés de vaincre. Ils comptaient sur l'intrépidité des Suisses ; sur l'ancienne maison militaire du roi, toujours debout malgré sa dissolution légale ; sur les gardes qui en grand nombre avaient été appelés de province, précisément pour cette époque ; sur la peur de la multitude, lorsqu'on l'accueillerait à coups de canon ; sur le désordre qui ne pouvait manquer de se mettre parmi tant d'hommes rassemblés en tumulte[35]. Aussi, à voir dans les appartements, les uns aller et venir d'un pas nonchalant du palais au jardin, les autres s'étendre et s'assoupir sur les canapés, d'autres se partager en riant des pincettes qui leur devaient servir d'épée[36], nul n'aurait soupçonné la gravité de la situation.

Mais, autour du château, elle était fortement accusée par le conflit des émotions qui régnaient dans les différents postes. Déjà quelques-uns des bataillons de Mandat montraient des dispositions douteuses, et il circulait parmi les canonniers des propos où grondait une hostilité sourde.

Seuls, les Suisses présentaient un spectacle imposant. Rangés comme des murailles, et pleins d'une tristesse virile, ils attendaient en silence leur destinée.

La reine et Madame Élisabeth essayèrent, mais en vain, de goûter quelques instants de repos. Ne pouvant commander à leur agitation, elles allaient sans cesse de leur appartement à celui du roi, et passèrent toute la nuit à errer dans le palais[37]. Quant à Louis XVI, il resta longtemps renfermé avec Herbert, son confesseur[38].

Vers minuit trois quarts, le tocsin sonnant de divers côtés, et les fenêtres du château étant ouvertes, chacun s'y porta pour écouter. Et chacun de nommer la cloche qu'il croyait reconnaître[39] : ici, celle de Saint-Roch, là celle de Saint-Jacques la Boucherie, et plus près, plus près, celle de Saint-Germain l'Auxerrois. la même, ô courtisans, qui sonna il y a deux cent vingt ans, par ordre de Sa Majesté, le massacre de la Saint-Barthélemy !

Dès onze heures du soir, Pétion s'était rendu au château, livrant ainsi sa poitrine au couteau. Il eut à traverser une foule d'officiers et de gentilshommes qui le suivaient d'un œil irrité. Des paroles faites pour conduire jusqu'à son cœur la pointe des épées retentissaient à ses oreilles. Le roi le reçut dans une attitude sévère. Il paraît, lui dit-il, qu'il y a beaucoup de mouvement ?Oui, sire, la fermentation est grande. Mandat était là ; il ajouta aussitôt : C'est égal ! Je réponds de tout, mes mesures sont prises[40]. Toutefois, il se plaignit au maire de n'avoir pu obtenir des administrateurs de police de la municipalité la poudre nécessaire : Je n'ai que trois coups à tirer, un grand nombre de mes hommes n'en ont qu'un seul, et ils murmurent. Pétion répondit que le commandant général ne s'était pas mis en règle pour avoir la poudre qu'il demandait. Puis, prenant prétexte de la chaleur, qui était extrême : Il fait étouffant ici, dit-il, je vais descendre prendre l'air, et il descendit dans le jardin[41]. Là il se promena longtemps, sans témoigner aucune émotion, et en causant d'un air très-calme avec ceux qui l'entouraient. Mais derrière lui cheminait le péril. Il y en avait qui ne se gênaient pas pour dire bien haut : Nous le tenons, et sa tête répondra de tout. Le spectre de Henri de Guise semblait errer sous les fenêtres d'un autre palais de Blois. Quoique la nuit fût étincelante, la terrasse du château était dans l'ombre que projetaient les bâtiments, et, pour l'éclairer, on avait mis des lampions sur le bord des pierres. Or, comme Pétion s'approchait de cet endroit, des grenadiers des Filles-Saint-Thomas renversèrent les lampions et les éteignirent. Il était temps d'abréger cette promenade dont le terme pouvait être un meurtre : un officier municipal qui accompagnait Pétion — c'était le héros burlesque du 20 juin, c'était Mouchet — eut l'idée de courir à l'Assemblée, dont plusieurs membres tenaient séance, et de leur dire : Si vous ne mandez pas sur-le-champ le maire de Paris à votre barre, il va être assassiné[42]. Dans l'intervalle, Pétion ayant rencontré Rœderer, lui prit le bras, et ils allèrent faire un tour ensemble le long de la terrasse qui borde le quai, s'entretenant des hasards de cette nuit tragique. Ramenés au château par un bruit de rappel, ils se trouvaient au bas du grand escalier, lorsque deux huissiers et plusieurs gardes avec des flambeaux viennent notifier solennellement au maire de Paris le décret de l'Assemblée qui le mande à la barre. Il s'empresse d'obéir à cet ordre sauveur, et Rœderer remonte dans les appartements[43]. Nul doute que Pétion n'eût couru risque de la vie en cette circonstance, et c'est pourquoi, après la victoire du peuple, on suspendit au dôme du château un drapeau qui portait : Ici, le maire de Paris a manque d'être assassiné dans la nuit du 9 au 10[44].

Pendant ce temps, que se passait-il dans Paris ? Les rapports du secrétaire Blondel au procureur général syndic du département vont nous l'apprendre.

2 heures moins un quart.

Le tocsin sonne en plusieurs endroits, l'on bat la générale dans d'autres, nous l'entendons distinctement. — Nous entendons quelques cris individuels : Vive la nation ! aux armes ! Ils paraissent être dans la rue Saint-Honoré, du côté des Jacobins, mais ils sont rares. — Les observateurs sont partis depuis une demi-heure au moins. — Nous n'avons que quatre gendarmes, un brigadier et quatre ordonnances, qui sont à courir de côté et d'autre.

BLONDEL[45].

 

3 heures moins un quart.

Nos observateurs reviennent. Ils ont été jusqu'au bout du faubourg Saint-Antoine. La générale se bat sous la direction d'un bataillon qui peut être actuellement composé d'un millier de personnes armées de différentes manières, sur lesquelles peut-être cent cinquante suivent en ordre les tambours. Le fort de l'attroupement est aux Enfants-Trouvés. Toute la rue du faubourg est remplie d'hommes armés. Cependant l'attroupement ne marche pas ; il se passera encore au moins une heure avant qu'il puisse être en marche. — Ils paraissent irrités que l'Assemblée nationale ait levé sa séance avant d'avoir prononcé. — Les canons ne sont pas encore à la tête de la troupe, mais les canonniers sont tout armés près de leurs canons. — Au corps de garde de la pointe de la rue de Montreuil, on frappe à toutes les portes, et Je tocsin sonne à toutes les paroisses. Dans le reste de la ville, il n'y a que des citoyens qui paraissent se rendre à leurs bataillons. — D'autres observateurs partent pour différents endroits.

BLONDEL[46].

 

Et les meneurs habituels, où étaient-ils ? que faisaient-ils ? Rien n'indique quelle fut, dans cette nuit suprême, l'action de Robespierre, ni s'il en exerça une quelconque. Marat rugissait au fond de son antre. Santerre et Westermann paraissent avoir attendu qu'il fît grand jour Barbaroux veillait, mais des motifs de prudence — c'est lui qui en convient[47] — l'avaient déterminé, lui et ses amis, à ne pas se mettre à la tête des Marseillais. Enfin, pour ce qui est de Danton et de Camille Desmoulins, voici tout ce qu'on en sait par le journal de Lucile, dont nous reprenons le récit au point où nous l'avons laissé :

Tout le monde était rentré. Nos patriotes partirent. Je fus m'asseoir près d'un lit, accablée, anéantie, m'assoupissant parfois, et lorsque je voulais parler, je déraisonnais. Danton vint se coucher. Il n'avait pas l'air fort empressé, il ne sortit presque point. Minuit approchait. On vint le chercher plusieurs fois ; enfin il partit pour la Commune. Le tocsin des Cordeliers sonna, il sonna longtemps. Seule, baignée de larmes, à genoux sur la fenêtre, cachée dans mon mouchoir, j'écoutais le son de cette fatale cloche. En vain venait-on me consoler. Le jour qui avait précédé cette fatale nuit me semblait être le dernier. Danton revint. Madame Robert, très-inquiète pour son mari, qui était allé au Luxembourg, où il avait été député par sa section, courut à Danton, qui ne lui donna qu'une réponse très-vague. Il fut se jeter sur son lit. On vint plusieurs fois nous donner de bonnes et mauvaises nouvelles. Je crus m'apercevoir que leur projet était d'aller aux Tuileries. Je le leur dis en sanglotant ; je crus que j'allais m'évanouir. En vain Mme Robert demandait des nouvelles de son mari, personne ne lui en donnait. Elle crut qu'il marchait avec le faubourg : S'il périt, me dit-elle, je ne lui survivrai pas. Mais ce Danton, lui, le point de ralliement ! si mon mari périt, je suis femme à le poignarder. Ses yeux roulaient. De ce moment, je ne la quittai plus. Que savais-je, moi, ce qui pouvait arriver ? Savais-je de quoi elle était capable ? Nous passâmes ainsi la nuit dans de cruelles agitations. Camille revint à une heure ; il s'endormit sur mon épaule[48].

 

Il fallait pourtant une direction au mouvement du lendemain. Conformément à une décision prise dans la soirée du 9 par la section des Quinze-Vingts, dont les autres quartiers avaient suivi l'initiative, chaque section nomma trois commissaires, avec POUVOIRS ILLIMITÉS POUR SAUVER LA PATRIE ; et, chose curieuse ! les choix ne tombèrent en général que sur des citoyens fort obscurs. Les seuls noms en relief dans une liste d'au moins[49] cent cinquante commissaires sont ceux de Huguenin, Rossignol, Robert, Billaud-Varenne, Hébert, Bourdon (de l'Oise), Chénier[50]. Ni Danton, ni Camille Desmoulins, ni Marat ne furent élus. La section de Marseille nomma Fabre d'Églantine, mais seulement le 10[51] ; et le 11, Robespierre fut porté sur la liste par la section des Pique[52].

A peine désignés, les commissaires se réunissent, se rendent sur la place de Grève, se présentent comme les sauveurs officiels de la patrie, traversent les rangs étonnés de la garde nationale et montent à l'Hôtel de Ville. Le conseil municipal y était en séance : il n'hésite pas à s'effacer devant ces inconnus, et la municipalité légale est aussitôt remplacée par une municipalité insurrectionnelle. Ainsi naquit la fameuse Commune du 10 août[53].

Elle n'avait gardé du pouvoir ancien que Pétion, Manuel et Danton. Ses premiers actes furent de consigner chez lui Pétion pour mettre sa responsabilité à couvert, de placer Santerre à la tête de l'armée parisienne, d'envoyer retirer du Pont Neuf les canons destinés à empêcher la jonction des deux faubourgs et d'appeler Mandat à l'Hôtel de Ville.

Il était alors quatre heures du matin. Au château, on ouvrit un contrevent du cabinet du roi pour voir d'où provenait un bruit qu'on avait entendu dans la cour. C'était la voiture du maire de Paris qui partait vide. Le jour commençait à luire. Madame Élisabeth parut à la croisée, regarda le ciel, qui était tout rouge, et dit à Marie-Antoinette : Ma sœur, venez donc voir le lever de l'aurore ![54]

Au même instant, Mandat vint dire que la Commune le faisait appeler pour la seconde fois. Parmi ceux qui lui envoyaient cet ordre redoutable, quelques-uns avaient déclaré que, sur son refus, le messager qui lui porterait la dernière réquisition devait lui porter la mort[55] ! Mandat ignorait cette circonstance ; mais il sentait bien que s'il obéissait il était perdu. Le ministre de la guerre le pressait de rester ; Rœderer lui conseillait de partir[56]. Il se décide enfin, et, accompagné de son fils, il se rend à l'Hôtel de Ville. Il arrive à la salle des délibérations, il entre… Partout des visages nouveaux. Le malheureux se trouble, il pâlit. — Pourquoi avait-il doublé la garde au château ? pourquoi avait-il donné l'ordre de faire marcher le canon ? N'avait-il pas retenu le maire au château ? n'avait-il pas dit que la tête de Pétion répondrait du moindre mouvement ? — En réponse à ces questions, Mandat parla d'un ordre du maire, qu'il prétendit avoir laissé dans ses papiers ; il fit observer que quand un bataillon marche, les canons marchent aussi ; il s'excusa sur la force des choses d'avoir pris des précautions subites pour un événement imprévu[57]. Tout à coup, une lettre est déposée sur le bureau ; on en donne lecture. Elle était ainsi conçue :

Le commandant général ordonne au commandant de bataillon de service à la Ville de dissiper la colonne d'attroupement qui marcherait pour se porter au château, tant avec la garde nationale qu'avec la gendarmerie, soit à pied, soit à cheval, en l'attaquant par derrière.

Le commandant général, MANDAT[58].

 

C'était le droit de défense déshonoré par la trahison[59]. On saisit Mandat pour le conduire à l'Abbaye ; mais, sur les marches de l'Hôtel de Ville, un inconnu s'avance et lui casse la tête d'un coup de pistolet. Le corps fut jeté dans la Seine.

On a écrit que Mandat avait reçu de Pétion l'ordre de repousser la force par la force : que cet ordre, fait pour justifier la résistance du château, il le portait sur lui, et qu'on tua l'homme pour anéantir le document[60]. Mais ceci doit être rangé parmi les nombreux mensonges dont l'esprit de parti a composé le roman royaliste du 10 août. Que Pétion, combattu entre ses sympathies pour les insurgés et ses devoirs officiels, eût effectivement donné l'ordre en question, c'est possible. D'Aubier, alors gentilhomme ordinaire de la chambre et depuis chambellan du roi de Prusse, affirmait avoir vu entre les mains de Mandat l'original de l'ordre donné par Pétion ; et plus tard, réfugié en Allemagne, il demanda inutilement un sauf-conduit aux généraux français pour venir attester le fait[61]. Mais que les amis du maire de Paris aient assassiné Mandat dans le but de lui arracher des mains, comme s'exprime Peltier, un acte de nature à compromettre leur idole, c'est ce que dément d'une manière formelle l'interrogatoire même qu'avait subi la victime. Voici la citation textuelle : Interrogé en vertu de quel ordre il a doublé la garde au château et sommé de le représenter, il a répondu : Si j'en avais été prévenu, j'aurais apporté l'ordre de M. le maire, que j'ai laissé dans mes papiers[62]. Ceux qu'on représente comme ayant donné le signal de ce meurtre savaient donc que Mandat ne portait sur lui aucun document qu'on pût ensevelir dans les flots de la Seine en même temps que son cadavre !

Le retrait des canons du Pont Neuf désorganisait la défense, la mort du commandant général semblait devoir la paralyser. Cependant, ces deux nouvelles, portées au château, n'en chassèrent pas la confiance au succès, confiance entretenue par un rapport verbal que résumaient ces mots : Le tocsin ne rend pas[63]. La vérité est qu'il avait si peu rendu, au moins pendant la première partie de la nuit, qu'à l'Hôtel de Ville on mit un moment en question si l'on n'abandonnerait pas l'entreprise, et même l'ordre fut donné de suspendre le tocsin[64].

D'un autre côté, on ne négligeait rien, au château, de ce qui pouvait animer les cœurs. La reine comptait à ce point sur une victoire, qu'elle désirait le combat comme moyen d'en imposer à l'Assemblée, et laissait percer ce désir dans ses discours[65]. A La Chesnaye, donné pour successeur à Mandat, et qui se plaignait avec humeur que les appartements fussent pleins de gens de toute espèce qui gênaient le service, elle répondit : Ce sont des hommes sûrs[66]. D'Hervilly, l'épée à la main, répandait autour de lui l'ardeur de son âme intrépide. On apporta de l'eau-de-vie aux Suisses ; et le major Bachmann, passant dans les rangs accompagné des capitaines, disait aux soldats : Avez-vous de bonnes pierres ? Vos fusils sont-ils bien amorcés ? C'est aujourd'hui qu'il faut vaincre[67].

A son tour Rœderer leur vint adresser des exhortations, que Durler, un de leurs officiers, leur répéta en allemand, et Dain, sergent de la compagnie d'Affry, les avertit que, le moment venu de faire feu, on tirerait sur ceux qui hésiteraient ; que tel était l'ordre exprès des chefs[68].

A cinq heures et demie, le roi, sur l'invitation pressante qui lui en fut faite, sortit pour visiter les postes. Comme il venait de prendre quelques instants de repos sur un canapé, sa coiffure se trouvait dépoudrée et aplatie d'un côté seulement[69] ; accident ridicule et, dans un tel moment, d'une fatalité tragique ! En habit violet, le chapeau sous le bras, l'épée au côté et les yeux rouges de larmes qu'en secret il avait versées, le seul sentiment que l'infortuné prince pût inspirer était celui de la compassion. Aux paroles singulières, décousues, qui tombaient de ses lèvres, on ne devinait que trop bien son trouble : Eh bien ! on dit qu'ils viennent. Je ne sais pas ce qu'ils veulent. Ma cause est celle des bons citoyens. Nous ferons bonne contenance, n'est-ce pas ?[70] La reine aussi laissait échapper quelques mots ; mais, humiliée sans doute de cette attitude du roi faite pour ôter le courage aux plus intrépides, elle s'efforçait visiblement d'étouffer les sanglots qui soulevaient sa poitrine[71].

A six heures, le roi étant descendu dans les cours, le tambour battit aux champs, et des cris de : Vive le roi ! s'élevèrent ; mais les canonniers et le bataillon de la Croix-Rouge ne cessèrent de crier : Vive la nation ![72] Et ce fut bien pis, lorsqu'il parcourut la terrasse, du côté du jardin, où stationnaient des gens à piques. A bas le veto ! à bas le traître ! furent les cris qui dominèrent. Le roi rentra pâle, découragé ; et la reine, passant avec l'impétuosité de son caractère d'un excès d'orgueil à un excès d'abattement, dit à sa première femme de chambre : Tout est perdu : le roi n'a montré aucune énergie, et celle espèce de revue a fait plus de mal que de bien[73].

Mais si Louis XVI était faible, Marie-Antoinette était imprudente. En présentant aux gardes nationaux les gentilshommes qui devaient combattre à leurs côtés, elle eut la mauvaise inspiration de dire : Messieurs, ce sont nos amis ; ils viennent se ranger près de vous ; ils prendront les ordres, et vous montreront comment on meurt pour son roi[74]. L'effet de ces paroles fut terrible. Deux bataillons de gardes nationaux, celui de Mauconseil et celui des Arcis, venaient d'arriver : ils rompent leurs rangs et quittent les cours pour aller prendre position sur le Carrousel avec deux canons[75]. Pour comble de malheur, un de ces nobles venus là en habit brodé, veste de salin et bas de soie blancs, s'avisa de crier : Allons, messieurs de la garde nationale, voici le moment de montrer du courage. — Nous n'en manquerons pas, répondit furieux un officier du bataillon des Thermes de Julien, mais ce ne sera pas à côté de vous que nous en donnerons la preuve. Et, faisant volte face, il entraîne sa compagnie sur la terrasse du bord de l'eau, occupée par les canonniers de la Croix-Rouge, du Finistère et du Panthéon, qui avaient déjà pointé leurs canons contre le château[76]. De sorte qu'il se trouvait menacé maintenant par beaucoup de ceux qui avaient été appelés pour le défendre !

Sur ces entrefaites, un officier municipal étant arrivé, on l'introduisit dans le conseil ; et le ministre de la justice : Mais que veulent donc les insurgés ?La déchéance. — Eh ! qu'ils la prononcent donc. La reine alors demanda : Et après, qu'adviendra-t-il ? L'officier municipal s'inclina sans répondre[77]

Pendant ce temps, Blondel écrivait au procureur général syndic, Rœderer :

6 heures moins un quart.

Des avis recueillis dans la grande -rue du faubourg Saint-Antoine, à la hauteur de la place de la rue Mauconseil, nous annoncent que l'attroupement est extrêmement divisé ; les efforts pour ranimer un rassemblement paraissent se ralentir et devenir inutiles. Il y a toujours beaucoup d'hommes armés dans les Enfants-Trouvés au faubourg, mais rien n'avance.

BLONDEL[78].

 

Ces informations n'étaient qu'à demi rassurantes. Rœderer, en habit vert tendre et tenant à la main un petit livre relié en papier tricolore, descendit dans les cours, parcourut les postes, leur lisant le texte de la loi[79], et disant : Point d'attaque, bonne contenance, forte défensive[80]. Mais elle paraissait horrible à tous ceux qu'il haranguait ainsi, cette idée d'une lutte fratricide qu'un seul coup de fusil, un seul, risquait de provoquer. Un mot courait de rang en rang : Nous ne pouvons pourtant pas tirer sur nos frères[81]. Quand Rœderer s'approcha des canonniers, la plupart s'éloignèrent comme pour éviter de l'entendre, et l'un d'eux : S'ils tirent sur nous, serez-vous là ?Oui, et non derrière vos canons, mais devant. Les collègues du procureur-syndic, qui l'accompagnaient, firent avec exaltation la même promesse. Vains efforts ! le canonnier, sans répondre, déchargea sa pièce, en jeta la charge par terre et mit le pied sur la mèche, qui était allumée[82].

Il devenait de plus en plus à craindre qu'au moment décisif, le château ne fût abandonné par beaucoup de ses défenseurs. Quel parti prendre ? Déjà, sur l'avis de Rœderer, deux des ministres se sont rendus en grande hâte dans l'Assemblée pour réclamer son assistance ; mais elle a répondu qu'elle n'est pas en nombre, soixante ou quatre-vingts membres tout au plus se trouvant alors réunis[83].

Et le péril approchait ! Une bande, peu nombreuse encore, mais déterminée, d'hommes à piques, venait de paraître sur le Carrousel, conduite par quelques Marseillais. Des coups redoublés ébranlaient la porte royale ; et tandis qu'une vingtaine de personnes se montraient hardiment à cheval sur le mur de clôture, plusieurs autres s'entretenaient du dedans au dehors sur un ton d'étroite intelligence et paraissaient fort disposés à ouvrir les portes[84]. Rœderer eut peur. Il remonte précipitamment au château pour conseiller la fuite au sein de l'Assemblée.

Le roi était assis près d'une table à l'entrée de son cabinet, les mains appuyées sur ses genoux. La reine, Madame Élisabeth, les ministres, se tenaient entre la croisée et le roi. Sire, dit Rœderer d'un ton pressant, Votre Majesté n'a pas cinq minutes à perdre, il n'y a de sûreté pour elle que dans l'Assemblée nationale. — Mais, répondit le roi, je n'ai pas vu beaucoup de monde au Carrousel. — Sire, il y a douze pièces de canon, et il arrive un monde immense des faubourgs. Un nommé Gerdret, zélé patriote, quoique marchand de dentelles de la reine, voulut appuyer le procureur-syndic ; mais, comme il élevait la voix, Marie-Antoinette lui imposa durement silence[85]. Elle était fort animée. Elle avait beaucoup pleuré, et cela se voyait à ses yeux, rouges jusqu'au milieu des joues, dit Rœderer dans son récit. Quoi ! l'on osait prétendre qu'il n'y avait pas d'autre ressource pour le roi que d'aller se réfugier humblement dans l'Assemblée nationale ! Quoi ! l'on, proposait, selon l'expression du ministre de la marine Dubouchage, de le mener à son ennemi ! Ne pouvait-il donc pas, ce roi qui avait pour armoiries des fers de lance, se montrer en soldat à des soldats et sauver sa couronne en jouant sa vie ! Comment ! ni abdiquer, ni régner, ni mourir ! Ainsi pensait la fille altière de Marie-Thérèse, que cette rude épreuve trouva tour à tour calme et éplorée, tremblante et intrépide, selon l'inspiration du moment[86]. On raconte que, lasse enfin de dévorer ses larmes, elle présenta un pistolet au roi et lui dit : Allons, monsieur, voici le moment de vous montrer[87]. Mais aucun de ceux qui l'entouraient ne dépose de ce fait, qu'elle-même nia, quatorze mois après, devant le tribunal révolutionnaire. Ce qui est plus certain, c'est qu'elle avait affirmé à plusieurs personnes de sa confidence qu'elle se ferait clouer aux murs du château plutôt que de le quitter[88]. A Rœderer, elle objecta qu'on n'était pas sans avoir des forces. Mais celui-ci insistait avec la violence de l'effroi : Madame, tout Paris marche ! Louis XVI releva la tête, regard fixement Rœderer pendant quelques secondes, puis, se tournant vers la reine : Marchons, dit-il, et il se leva[89].

Ceux de la Cour et les gentilshommes présents voulaient suivre ; Rœderer s'y opposa, sentant bien que leur présence ne pouvait que nuire au roi, tant elle était propre à irriter la fureur du peuple[90] ! Madame de Tourzel et la princesse de Lamballe furent seules admises à accompagner la famille royale. A quelques serviteurs dévoués qui insistaient, Louis XVI dit : Restez où vous êtes, et l'un d'eux se montrant disposé à désobéir par excès de zèle, le Dauphin fut employé pour le fléchir. Restez, lui cria l'enfant d'une voix caressante, papa et maman vous l'ordonnent ; moi, je vous en prie[91].

Du reste, ni le roi ni la reine ne croyaient que quitter les Tuileries dans ce moment, c'était se condamner à n'y plus rentrer ! Nous serons bientôt de retour, disait la reine[92] ; et Louis XVI, avant de partir, pria Lorimier de Chamilly, son premier valet de chambre, dont le collègue était malade, de continuer son service jusqu'à ce que la famille royale fût revenue de l'Assemblée[93].

Comme on traversait l'Œil-de-Bœuf, le roi, soit trouble, soit prudence, prit le chapeau du garde national qui marchait à sa droite et lui mit sur la tête le sien, qui était garni d'un plumet blanc[94]. Au bas du grand escalier, il dit à Rœderer : Que vont devenir toutes les personnes qui sont restées là-haut ? — Sire, elles sont en habit de couleur, à ce qu'il m'a paru. Celles qui ont des épées n'auront qu'à les quitter, vous suivre et sortir par le jardin. — C'est vrai[95]. Ainsi rassuré sur le sort des courtisans, et sans prononcer un seul mot qui se rapportât à ces pauvres soldats suisses qu'on abandonnait à leur sombre destinée, Louis XVI franchit pour la dernière fois le seuil de son palais. Il était alors huit heures et demie du matin.

On traversa les Tuileries sans obstacle jusqu'à la terrasse des Feuillants. Les membres du département formaient un cercle, au milieu duquel était la famille royale. Le roi marchait en avant, ayant à ses côtés le ministre des affaires étrangères, Bigot de Sainte-Croix ; puis venait la reine, qui donnait le bras à Dubouchage, ministre de la marine, et tenait par la main son fils qu'accompagnait madame de Tourzel. Suivaient le ministre de la justice avec Madame Royale et Madame Élisabeth, et enfin d'Abancourt, ministre de la guerre, conduisant la princesse de Lamballe[96]. L'escorte se composait d'un détachement de Suisses et de gardes nationaux des Petits-Pères, des Filles-Saint-Thomas et de la Butte des Moulins[97]. Il était tombé pendant la nuit beaucoup de feuilles que les jardiniers venaient de rassembler en différents tas, et le petit prince royal s'amusait à les pousser dans les jambes des personnes qui marchaient devant lui. Voilà bien des feuilles, dit Louis XVI, elles tombent de bonne heure cette année. Quelques jours avant, Manuel avait écrit dans un journal que le roi n'irait pas jusqu'à la chute des feuilles[98] !

A environ vingt-cinq pas de la terrasse, une députation de l'Assemblée vint au-devant du roi pour lui offrir un asile. Le perron était couvert d'hommes et de femmes fort animés. Non, criaient-ils, ils n'entreront pas. Ils sont la cause de tous nos malheurs. Il faut que cela finisse. A bas ! à bas ![99] Cette fermentation du peuple fit qu'au pied de la terrasse, vis-à-vis le passage des Feuillants, le roi et son escorte furent arrêtés pendant plus d'un quart d'heure. Le roi était ménagé : un garde national provençal lui dit, avec l'accent de son pays : Sire, n'ayez pas peur, nous sommes de bonnes gens. Seulement, nous ne voulons pas qu'on nous trahisse davantage. Soyez un bon citoyen, sireet n'oubliez pas de chasser vos calotins du château ![100] Un autre citoyen, se faisant jour jusqu'à Louis XVI, lui cria : Sacredieu ! donnez-moi la main, et f..... soyez sûr que vous tenez celle d'un honnête homme. Malgré tous vos torts, je réponds de la sûreté de vos jours ; je vais vous conduire à l'Assemblée nationale ; mais pour votre femme, elle n'entrera pas. C'estelle qui a fait le malheur des Français[101]. Cet homme venait d'exprimer d'une manière brutale et cynique, mais fidèle, un sentiment qui dominait parmi le peuple. Car c'était à la reine qu'on imputait tout le mal, et il s'élevait contre elle, du milieu de la foule, des imprécations effroyables[102]. Un sapeur, nommé Rocher, semblait à chaque instant prêt à la frapper d'un poignard qu'agitait sa main furieuse[103]. Comme on était au moment d'entrer dans l'Assemblée, ce même homme arrache le Dauphin à la reine, qui pousse un cri venu du cœur, et court poser l'enfant sur le bureau des secrétaires[104].

Louis XVI, sa famille, les ministres, s'étant placés sur les sièges destinés à ces derniers, le roi dit à l'Assemblée : Je suis venu ici pour éviter un grand crime, et je pense que je ne saurais être plus en sûreté qu'au milieu de vous, messieurs. Vergniaud présidait, il répondit : Vous pouvez, sire, compter sur la fermeté de l'Assemblée nationale ; ses membres ont juré de mourir en soutenant les droits du peuple et des autorités constituées[105].

Il y avait derrière le fauteuil du président un réduit de douze pieds carrés sur six d'élévation, où se tenaient d'ordinaire des journalistes qui assuraient avoir trouvé le moyen d'écrire aussi vite qu'on parle. On appelait ce réduit, qu'une grille en fer scellée dans le mur séparait de la salle, la loge du Logotachygraphe[106]. Le roi s'étant assis à côté du président, un membre fit observer que la Constitution défendait de délibérer en présence du roi ; sur quoi, la loge du Logotachygraphe fut désignée pour le recevoir, lui et sa famille[107].

Or, déjà le sang avait coulé à Paris ; déjà l'on y promenait, odieux trophée, au bout de onze piques, onze têtes de royalistes, qui, arrêtés pendant la nuit comme appartenant à une fausse patrouille, avaient été enfermés au poste de la cour des Feuillants, où, vers huit heures du matin, une multitude en délire accourut et les égorgea. Parmi eux se trouvaient l'abbé Bougon, homme d'une force prodigieuse ; un ex-garde du corps connu sous le nom de beau Vigier, et Suleau, ce trop fameux Suleau, dont la plume, trempée dans le même fiel où, pour une autre cause, Marat se plaisait à tremper la sienne, avait tour à tour harcelé la Révolution à Paris, à Bruxelles, à Coblentz. Les prisonniers, dès qu'ils virent la mort se dresser devant eux, la brayèrent d'un cœur indomptable. Ils périrent, mais en combattant[108]. A la tête de ceux qui les massacrèrent, et conduisant leurs coups, figurait une femme en habit d'amazone, avec deux pistolets à sa ceinture et un sabre en bandoulière[109]. C'était Théroigne de Méricourt. Tout ce dont peuvent s'offenser à jamais l'orgueil d'une femme, sa coquetterie, sa pudeur, Suleau l'avait dit de Théroigne ; et maintenant, elle avait à choisir entre faire tuer son ennemi ou l'humilier en le sauvant. De ces deux manières de se venger, elle préféra la moins fière ; pouvant monter jusqu'au dédain, elle descendit jusqu'au meurtre.

Cependant, le départ du roi avait mis la consternation au château. A quoi bon s'immoler au triomphe d'une cause qui s'abandonnait elle-même ? Des bataillons entiers de gardes nationaux allèrent rejoindre les faubourgs ou se dispersèrent[110]. Parmi les gentilshommes, quelques-uns versaient des pleurs de rage. Seuls, les soldats suisses étaient satisfaits. Tant mieux ! disaient plusieurs d'entre eux, nous ne serons pas obligés de faire feu ![111] Mais ainsi ne l'entendaient pas leurs chefs. Eux, dans leur courage insolent, ils brûlaient de combattre ; et, à l'exception du sous-lieutenant Ignace Maillardoz[112], tous ils voulaient qu'on en finît avec cette canaille[113].

Cette canaille parut : c'était le peuple.

C'était le peuple, dans la plus large acception du mot. Car la première bande des assaillants — le corps de bataille était encore loin — montrait, marchant côte à côte, des hommes de toutes les classes ; la garde civique y était mêlée aux gens à piques ; les bourgeois y fraternisaient avec les ouvriers ; les départements, représentés par les fédérés, Marseillais, Brestois, n'y faisaient qu'un avec Paris. Et par qui cette avant-garde se trouvait-elle commandée ? Par le comédien Michot, par l'architecte Lefranc, par les gardes nationaux Pavier, Chambellan, Macret, Lavillette, Pierson[114]. Pendant la nuit, les royalistes avaient répandu le bruit que l'objet de l'attaque attendue était d'assassiner le roi ; qu'il s'agissait de repousser des brigands ; que les Marseillais n'étaient pas autre chose ; que la plupart avaient été fouettés et marqués[115]. Quelle ne fut pas la surprise de ces pauvres soldats suisses, lorsqu'au lieu des brigands qu'on leur avait annoncés ils virent s'avancer des gardes nationaux[116] ! Mais la discipline était là. Le maréchal de Mailly ayant rencontré en face du grand escalier le capitaine suisse Durler, lui annonce qu'il est chargé, de la part du roi, de prendre le commandement du château. Durler alors, lui demandant ses ordres : De ne pas vous laisser forcer, répond le maréchal de Mailly. Le capitaine dit qu'on pouvait y compter[117].

Au même instant, le portier du roi ouvrait lui-même la porte Royale aux assaillants, qui entrèrent en élevant leurs chapeaux et en faisant signe aux Suisses de venir les joindre[118]. De ceux-ci, un certain nombre garnissaient les croisées : en signe de paix, ils se mettent à jeter leurs cartouches dans la cour[119]. Les assaillants la traversent, arrivent au vestibule, s'arrêtent. Émouvant spectacle ! sur chaque marche du grand escalier qui monte à la chapelle, une rangée de soldats, immobiles sous le regard sévère de leurs officiers, muets, couchant en joue la foule. S'ils tirent, le carnage, dans cet espace resserré, va être épouvantable. Westermann et les Marseillais essayèrent d'en détourner l'horreur, le premier par de vives adjurations prononcées en langue allemande[120], les seconds par cette pantomime provençale d'un effet plus puissant que la parole. Et ce ne fut pas en vain.

Ces, hommes, qui semblaient de pierre, s'ébranlent ; deux se laissent amener, puis deux autres et cela avec des larmes dans les yeux[121]. Un moment on put croire tout gagné. Déjà au sergent Blazer déclarant que les enfants de l'Helvétie n'étaient pas pour rendre leurs armes, les Marseillais avaient répondu par ce cri : Vivent les Suisses ! nous ne les désarmerons pas ![122] Mais voilà que soudain, du haut des appartements qu'occupaient les gentilshommes, des coups de feu partent et les deux Suisses qui venaient de se laisser amener tombent.

Alors, avec l'idée de trahison, la terreur, la rage, le désespoir entrent dans toutes les âmes. Au milieu de la confusion, les Suisses de l'escalier reçoivent l'ordre de faire feu, ils obéissent… et, sous le vestibule, là où venait de s'agiter une multitude d'êtres pleins du feu de la vie, il n'y eut plus qu'une pâle montagne de visages morts.

Les assaillants avaient à tirer sur des murailles ; leurs adversaires tiraient sur des hommes ; les canons du peuple grondèrent sans tuer, et tout coup venant des Suisses portait ; en un clin d'œil, la cour se trouva évacuée. Elle était jonchée de morts et de mourants[123].

Les Suisses font une sortie, conduits par Pfyffer, prennent quatre pièces de canon, s'emparent de la porte Royale et traversent le Carrousel, poussant devant eux la déroute, tandis qu'un de leurs détachements, sous la conduite du capitaine Henry de Salis, marche droit à la porte du Manège, y saisit trois canons et les amène jusqu'à la grille du château[124]. Cela fait, le second détachement alla rejoindre le premier sur le Carrousel, et les Suisses réunis, tirant de toutes parts, inondèrent la place de sang.

Un grand nombre de citoyens fuyaient en désordre ; mais il y en eut qui se montrèrent héroïques. On en vit qui, armés de simples bâtons pointus, s'avançaient vers les Suisses, lesquels, selon le mot de Pétion, faisaient un feu d'enfer[125]. Les Brestois furent admirables. Marseille, à ceux de ses enfants qu'elle avait envoyés au secours de la Révolution, n'avait demandé que de savoir mourir : ils moururent. On cita ce trait d'un Marseillais qui, en expirant, dit à un de ses compagnons, sans armes : Je te lègue mon fusil. Fouille dans mes poches, tu y trouveras des cartouches[126].

Quoi qu'il en soit, la place du Carrousel fut balayée comme l'avait été la cour Royale. Mais si les Suisses se crurent vainqueurs, ils se trompaient. C'était seulement l'avant-garde de l'insurrection qui avait donné, et les deux redoutables faubourgs s'avançaient en noires colonnes.

L'Assemblée, pendant ce temps, était livrée à une agitation à laquelle la grandeur même du péril imprima bientôt un caractère sublime. Rœderer avait fini son rapport, et l'on venait de voter un décret qui mettait les personnes et les propriétés sous la sauvegarde du peuple de Paris, lorsque tout à coup on entend une décharge de canons. Tous tressaillent. Du calme ! dit le président. N'êtes-vous pas à votre poste ? La nouvelle arrive que les Suisses ont engagé le combat. Qu'il leur soit défendu de tirer ! crient plusieurs voix. Rœderer en terminant son rapport, avait dit : On m'informe en ce moment que le château vient d'être forcé[127]. Ce fut sous le coup de ces paroles qui rendaient la royauté tout au moins incertaine de sa victoire, que Louis XVI signa la défense aux Suisses de tirer. Mais n'est-il pas trop tard ? Les coups de canon redoublent, accompagnés du bruit de la mousqueterie. Des citoyens armés paraissent à l'une des entrées de la salle. Plusieurs députés se précipitent au-devant d'eux pour leur en interdire l'accès. Le président se couvre. Au cri de vive la nation ! poussé par tous les députés, les citoyens armés se retirent. Mais comme la foule qui environne la salle augmente de minute en minute, et que la loge occupée par la famille royale peut être envahie, on arrache le grillage en fer qui sert à l'isoler, et Louis XVI lui-même s'y emploie. Or, le bruit du combat continuait, laissant ainsi toute latitude aux espérances et aux terreurs contraires. Quelle serait l'issue ? Ô liberté, est-ce l'heure de tes funérailles qu'on sonne ? Une voix proposa un serment, celui de mourir, s'il le fallait, pour le droit, qui est immortel ; et aussitôt, saisie d'un funèbre enthousiasme, l'Assemblée entière debout, la main étendue, prit cet engagement sacré, aux acclamations des tribunes palpitantes[128].

A voir le roi, en présence de ces transports, on l'eût dit complètement étranger à la situation. Esclave, comme presque tous ceux de sa race, du pouvoir des appétits physiques, il s'était fait apporter une pêche[129] qu'il mangeait tranquillement, — tous les yeux étant fixés sur lui, — pendant qu'à ses côtés la reine, le visage en feu, prêtait une oreille avide au retentissement de la fusillade. Elle croyait encore au triomphe ; elle y croyait tellement, qu'au bruit de ces mêmes canons pointés contre sa couronne, elle dit à d'Hervilly, alors auprès d'elle : Eh bien ! n'avons-nous pas bien fait de ne pas partir ? D'Hervilly répondit : Je souhaite de tout mon cœur, madame, que Votre Majesté puisse me faire la même question dans six mois d'ici ![130]

Cependant, on pressait de toutes parts Louis XVI d'arrêter le combat. Mais comment, au milieu du feu continuel des assiégeants et des assiégés, faire parvenir un ordre au château ? D'Hervilly s'offrit à le porter, si le roi voulait l'autoriser à en faire l'usage qu'il jugerait le plus avantageux[131]. En d'autres termes, d'Hervilly se réservait, ou de communiquer l'ordre s'il trouvait que les Suisses eussent le dessous, ou de le garder dans le cas contraire ! Le roi, la reine, touchés du péril qu'allait courir leur serviteur, essayèrent d'abord de le retenir ; Madame Élisabeth alla même jusqu'à le prendre vivement par le bras[132] ; mais les murmures de l'Assemblée devenant plus impérieux, Louis XVI se décida à laisser partir d'Hervilly.

Celui-ci, après divers dangers affrontés intrépidement, parvint à pénétrer jusque dans la cour des Suisses. Mais loin de parler de l'ordre du roi, il ne s'occupa que des dispositions propres à fortifier la défense[133]. Son projet était de ne faire usage de l'ordre qu'après avoir tenté tous les moyens de force possibles pour réduire les rebelles. S'il eût réussi, la sommation dont il était porteur devenait inutile. Dans le cas contraire,… l'ordre du roi qu'il aurait alors représenté eût mis Sa Majesté à couvert[134]. Cette circonstance grave, avouée par un écrivain royaliste qui la tenait de d'Hervilly lui-même, résout la question de savoir si l'ordre de cesser le feu fut un acte d'humanité, ou un calcul habile !

Malheureusement pour la cause royaliste, les choses, dans l'intervalle, avaient bien changé de face. Les fuyards de l'avant-garde s'étaient répandus dans toutes les directions, se disant victimes de la plus noire des perfidies, et criant : Vengeance ! vengeance ! Une grêle de balles a été dirigée sur nous, lorsque nous avions encore la bouche sur leurs joues[135]. Les rues, les quais, les boulevards, ne retentirent plus que d'appels furieux. Malheur désormais, malheur à ces étrangers, venus de leur pays pour massacrer des Français, sans autre but que de défendre un palais vide ! Deux fédérés de Brest s'étaient élancés à cheval dans la rue Saint-Honoré : le peuple les tua, les prenant pour des Suisses, à la couleur de leur uniforme rouge[136]. Ce fut une rage immense, universelle, irrésistible. Les gendarmes à cheval, qui campaient dans la cour du Louvre, abandonnèrent précipitamment leur poste et passèrent aux rebelles. On fit rouler un canon sur le Pont-Royal, on le pointa contre le château ; et à chaque coup tiré contre la demeure maudite, femmes et enfants battaient des mains[137].

Le faubourg Saint-Marceau s'avançait en masse : les quatre bataillons qui gardaient le Pont-Neuf le laissèrent passer. Ce n'étaient pourtant pas des gens à piques, ceux-là ; c'étaient des orfèvres, des bijoutiers, des marchands[138]. Le faubourg Saint-Antoine arrivait de son côté ; la jonction s'opéra ; et alors ce qu'il y eut en présence, ce fut : ici une poignée d'étrangers, payés pour conserver au prince qui venait de le déserter un château appartenant à la nation ; et là, Paris, tout Paris !

Les Suisses, un instant maîtres du champ de bataille, avaient regagné leur forteresse. L'attaque recommença. La fumée de la poudre obscurcissant le jour, nul ne pouvait distinguer son camarade[139] ; le peuple tirait dans les ténèbres, et contre des murs. Mais les Suisses voyaient approcher avec anxiété le moment où leurs munitions se trouveraient épuisées[140]. Ce fut ce motif, et non l'ordre écrit du roi, qui décida de leur retraite. Aussi, quel fut le langage de d'Hervilly, quand il s'aperçut de l'impossibilité de tenir plus longtemps ? Il faut vous porter à l'Assemblée, cria-t-il aux Suisses, et un écrivain royaliste avoue que le zèle de d'Hervilly pour la défense de Sa Majesté lui fit ajouter : avec vos canons[141]. De son côté, le baron de Viomesnil criait : Oui, braves Suisses, allez trouver le roi ; vos ancêtres l'ont fait plus d'une fois[142].

Les officiers suisses avaient à rallier leurs hommes ; ils firent battre l'assemblée, et, au milieu d'une grêle de balles, dit Pfyffer, parvinrent à ranger les soldats comme en un jour de parade. Au moment où les tambours battaient, un sergent, du canton de Glaris, qui venait d'avoir la cuisse fracassée par un boulet de canon, dit à ses camarades penchés sur lui : N'entendez-vous pas qu'on rappelle ? allez à votre devoir et laissez-moi mourir[143]. Car eux aussi, ils furent d'une intrépidité surprenante, ces malheureux que la discipline fit du même coup bourreaux et martyrs !

Les Suisses, en se rendant à l'Assemblée, eurent beaucoup à souffrir d'un feu très-vif qui parlait à la fois de la porte du Pont-Royal, de celle de la cour du Manège, et de la terrasse des Feuillants. Un de leurs officiers eut la cuisse cassée d'une balle : il tomba près du bassin, au pied du groupe d'Aria et Petus[144]. Enfin, ils arrivent à l'Assemblée, où le baron de Salis entre, l'épée nue à la main. On juge si la sensation fut profonde. Tandis qu'on crie : les Suisses ! les Suisses ! et que plusieurs députes cherchent à se sauver, on conduit au roi le capitaine Durler, qui lui dit : Sire, on veut que je mette bas les armes. Le roi ordonna aux Suisses de poser les armes et de se retirer aux casernes, ordre au sujet duquel Pfyffer écrit : Ce fut un coup de foudre pour ces braves soldats ; ils criaient qu'ils pouvaient encore se défendre à la baïonnette ; plusieurs pleuraient de rage[145].

Mais cela même ne mit pas un terme à l'effusion du sang. Une partie des Suisses qui occupaient les appartements, et qui, n'ayant pas eu le temps de se joindre au détachement en retraite sur l'Assemblée, descendaient du château au moment où le peuple y entrait, ne gagnèrent le jardin qu'à la faveur de deux pièces de canon laissées par Durler et qu'ils déchargèrent sur les assaillants[146]. D'autres, entendant les deux derniers coups de canon, s'étaient repliés sur le grand escalier : quatre-vingts Suisses s'y tirent massacrer, après avoir tué QUATRE CENTS HOMMES[147]. A sept des siens qui restaient encore debout, un lieutenant dit, en patois fribourgeois, que ce n'était pas la peine de survivre à de si braves gens. Il prit le fusil d'un soldat tué et se jeta dans la foule la baïonnette en ayant. Il y périt avec ceux qui l'avaient suivi[148].

Les Suisses ne furent donc pas égorgés sans défense, comme l'ont dit et répété des écrivains royalistes, aveuglés ou menteurs. Les Suisses du 10 août, ainsi que le font observer les auteurs des Fastes de la Révolution, furent tués loyalement, lorsqu'ils avaient encore les armes à la main, ou dans les premiers instants, dans l'ingouvernable ivresse d'une victoire si chèrement achetée par le sang français[149].

Et toutefois, quelle plus noble vengeance l'eût satisfait, ce sang généreux, si les soixante[150] Suisses que l'on conduisit à l'Hôtel-de-Ville, vaincus et désarmés, y eussent reçu du peuple le pardon au lieu de la mort !

Ils périrent aussi, ceux de leurs camarades que nous avons vus sortir du château par le jardin, mais ils périrent en combattant. Forcés de traverser les Tuileries, ils le firent en bon ordre, marchant sous le feu avec une lenteur héroïque, et marquant chaque halte par une meurtrière décharge. Ce fut seulement au bout de la grande allée, toute teinte de leur sang, qu'ils parurent hésiter et se séparèrent, frappés sans doute de la quantité de gardes nationaux qu'ils apercevaient unis contre eux aux hommes du peuple, et trop sûrs maintenant que ce qu'on leur avait donné à combattre, c'était la France ! Ils se séparèrent donc. Les uns prirent de côté, et se jetèrent dans l'Hôtel de la Marine, où les attendait une nouvelle lutte qui, pour eux, fut la dernière. Les autres poussèrent droit jusqu'au milieu de la place Louis XV, où ils furent chargés par la gendarmerie à cheval[151], et succombèrent, sauf quelques-uns qui parvinrent à s'enfoncer sous les arbres des Champs-Élysées, à la rencontre de fortunes diverses.

Pour ce qui est des gentilshommes rassemblés dans les appartements, il y en eut qui s'échappèrent, le long de la grande galerie, par l'escalier de Catherine de Médicis ; d'autres, gagnant la grille de la Reine, s'évadèrent deux à deux, au milieu des coups de fusil, par une petite porte en fer qu'ils réussirent à briser[152]. Peu d'entre eux restèrent enveloppés dans la défaite ; mais beaucoup de royalistes, moins marquants, avaient combattu sous l'uniforme suisse ; et c'est ce qu'on reconnut, quand on dépouilla les morts, à la finesse du linge que portaient plusieurs cadavres.

Il y avait sur la place du Carrousel une boutique qu'occupait Fauvelet, frère de Bourrienne ; un homme en sortit au moment de la prise du château : c'était Napoléon Bonaparte[153].

Sa position, à cette époque, était de celles qui précipitent au milieu des troubles une âme inquiète. Pas d'officier qui eût jamais commencé sa carrière sous de plus sombres auspices ; accusation de désertion, de trahison même, arrêts multipliés, emprisonnement, suspension, toutes les blessures dont la discipline peut frapper le front d'un soldat, tel avait été jusqu'alors son lot[154]. Renvoyé du service en 1791 pour s'être rendu, en Corse sans congé[155], il se trouvait à Paris, en 1792, dans un si profond état de misère, que, de concert avec son ancien camarade de pension Bourrienne, il avait formé, pour vivre, le projet de louer et de sous-louer des maisons ; mais cette spéculation ayant manqué, il avait dû solliciter près du ministre de la guerre sa réintégration dans l'armée ; et, en attendant, il maudissait sa mauvaise fortune, mettait sa montre en gage, et se levait chaque matin fort en peine de son dîner du jour[156].

Le Mémorial de Sainte-Hélène nous apprend que, dans la matinée du 10 août, Bonaparte quitta la rue du Mail, où il demeurait alors, rencontra rue Croix-des-Petits-Champs un groupe d'hommes hideux qui le sommèrent de crier : Vive la Nation ! se rendit ensuite sur la place du Carrousel, et alla s'établir dans la boutique de Fauvelet, des fenêtres de laquelle il suivit tout à son aise les événements de la journée[157]. Il ne joua donc d'autre rôle que celui de spectateur, et, qui plus est, de spectateur épouvanté. Car, longtemps après, sur le rocher de Sainte-Hélène, il a raconté qu'après la prise du château, s'étant aventuré dans le jardin, il fut si frappé à l'aspect de tant d'hommes renversés les uns sur les autres par la mort que, depuis, aucune de ses meurtrières batailles ne lui donna l'idée d'un pareil entassement de cadavres[158] !

Vers la même heure, madame de Staël étant sortie en voiture pour avoir des nouvelles de ses amis, le cocher fut arrêté sur le pont par des hommes qui, silencieusement, lui firent signe qu'on égorgeait de l'autre côté[159].…

Le peuple remplissant de ses colères le palais conquis, les fuites effarées, l'homicide, les derniers serviteurs du roi poursuivis de chambre en chambre, tombant à genoux, priant, mourant ; les cadavres des Suisses dépouillés, mutilés par des mains obscènes, des mains de mégères ; les chants de triomphe, le râle des agonisants, les anathèmes ; le bruit des meubles et des glaces mis en pièces ou jetés du haut des fenêtres pêle-mêle avec des corps nus ; ici, des femmes se parant, en signe de dérision, des robes de la reine, qui traînèrent dans le sang de ses défenseurs ; là, un homme emportant, comme acheté chez un fripier, l'habit de noces de Louis XVI ; d'autres, au fond des caves, couchés devant des tonneaux vides, et à demi noyés dans le sang et le vin mêlés ; enfin, le long des cours, les baraques en feu ; l'explosion des gargousses lancées par les Marseillais ; puis courant ainsi que des spectres à travers des tourbillons de flammes et de fumée, des pompiers qu'une bande de forcenés vint coucher en joue pour protéger contre eux l'incendie : telle fut, dans cette journée fameuse, la part faite à la fureur[160].

Mais, en revanche, belle et grande fut la part faite à l'humanité. Lemonnier, médecin du roi, ayant été trouvé dans son cabinet par les assaillants, ceux-ci, touchés de son calme, le conduisirent sain et sauf hors du palais, à travers une haie de baïonnettes. Laissez passer cet homme, disaient-ils, c'est le médecin du roi, mais il n'a pas peur[161]. Le maréchal de Mailly, quoique rencontré les armes à la main, fut mené en lieu sûr par un fédéré, qui, le bras déjà levé sur lui, s'était arrêté tout à coup à la vue des cheveux blancs du vieillard[162]. On épargna toutes les femmes, et Mme Campan a raconté comment elle fut sauvée, à la voix d'un homme à longue barbe, qui criait, de la part de Pétion : Grâce aux femmes ! ne déshonorez pas la nation ![163] S'il est vrai que le commandant Carle, trop connu pour le fanatisme de ses opinions, fut tué rue Saint-Honoré, sous les yeux de Santerre, et que Mme de Clermont-Tonnerre, heurtant dans la rue un cadavre, reconnut aux vêtements le corps de son mari, que des furieux, ameutés par un de ses anciens domestiques, venaient d'assassiner, il est vrai aussi que la pitié couvrit de son égide sainte un grand nombre de vaincus. Peltier, de sa plume, si calomnieuse pourtant et si violente, laisse tomber l'aveu que le nombre des Suisses recueillis, sauvés, dans le bâtiment des Feuillants et dans les maisons particulières, fut de cent quatre-vingts[164]. Or, la générosité ne cherchait pas, comme on le pourrait croire, la protection du secret, non ; et il se passa au grand jour, dans l'Assemblée, des scènes vraiment admirables, celle, par exemple, de ce citoyen qui, amenant à la barre un Suisse qu'il vient d'arracher à la mort, l'embrasse avec effusion, déclare qu'il lui faut une vengeance, et que cette vengeance sera de loger, de nourrir le malheureux soldat. Celui qui s'honora par cette déclaration touchante était si ému en la faisant, qu'il s'évanouit[165]. Il portait un nom conforme à la beauté de son âme, il s'appelait Clémence[166].

Ajoutons que si l'exaltation de la vengeance et l'amour en délire de la liberté enfantèrent des actes cruels, ils ne produisirent pas du moins des passions viles. Le premier citoyen qui vint annoncer à l'Assemblée la prise du château, y apporta une boîte contenant les bijoux de la reine[167]. D'autres déposèrent dans la salle une malle pleine d'argenterie[168]. C'est à peine si dans cette immense multitude déchaînée sur un théâtre où la richesse abondait, il se trouva quatorze voleurs ; et ceux-là, le peuple indigné les traîna sur la place Vendôme, où ils furent fusillés impitoyablement comme coupables du crime d'avoir voulu déshonorer la cause de la Liberté[169].

Il était midi, quand le canon avait cesser de tonner. Sur le nombre des morts, les évaluations différèrent. Pétion pense qu'il n'alla pas au delà de quinze cents[170]. Peltier l'évalue de quatre à cinq mille[171]. Prudhomme, d'après un calcul dont il donne tous les éléments, le fixe à cinq mille quatre cent trente-cinq[172].

Pendant ce temps, à l'Assemblée, on avait vu les chefs de la Gironde, Vergniaud, Guadet, Gensonné, se relever au fauteuil, à la tribune, et passer continuellement de l'un à l'autre, dans une attitude qui ne témoignait que trop de la secrète agitation de leur cœur. Ce roi qu'ils avaient tant voulu abattre, il était là humilié devant eux, à leurs pieds ; et pleins d'un trouble auquel se joignait sans doute aussi une compassion généreuse, ils tremblaient d'avoir à porter la main sur lui ! Cette république, dont ils avaient si ardemment appelé le triomphe, elle leur souriait maintenant, et ils n'osaient la regarder en face ! On se rappelle qu'à Louis XVI entrant dans la salle, Vergniaud avait parlé de la fermeté de l'Assemblée nationale, et de sa résolution de mourir en soutenant les droits du peuple et des autorités constituées. Mais, depuis que ces paroles avaient été dites, entre les autorités constituées et les droits du peuple il s'était élevé une barrière sanglante qu'il n'était pas au pouvoir des Girondins de supprimer. Ils le sentirent avec une amertume qui dut les étonner eux-mêmes ; et un regret mélancolique, un doute suprême, sur les bords de cet abîme qui s'ouvrait, les ramenant au passé, eux les hommes d'un avenir obscur, ils n'osèrent se prononcer d'une manière décisive ni pour ni contre l'ancienne idole, déjà par terre cependant. Formation d'une Convention nationale, suspension provisoire du chef du pouvoir exécutif, nomination d'un gouverneur au prince royal, installation du roi et de sa famille au Luxembourg sous la garde des citoyens et de la loi, voilà ce que Vergniaud vint proposer[173]. C'était laisser la porte ouverte au retour de la royauté, c'était abdiquer toute initiative révolutionnaire, c'était irriter les défiances de Paris. Et, pour comble, Vergniaud fit précéder la lecture du projet de décret de cette phrase dont la tristesse, mal expliquée dans son objet, prêtait à des commentaires redoutables : Je viens au nom de la Commission extraordinaire, vous présenter une mesure bien rigoureuse, mais je m'en rapporte à la douleur dont vous êtes pénétrés, pour juger combien il importe au salut de la patrie que vous l'adoptiez sur-le-champ[174].

L'Assemblée fit ce qu'on lui demandait ; puis, elle sanctionna les décrets frappés du veto royal, décréta d'accusation le ministre d'Abancourt pour n'avoir pas exécuté le décret qui éloignait les Suisses, envoya des commissaires avec pouvoir de suspendre les généraux, et décréta des visites domiciliaires chez les gens suspects[175].

Il y avait à nommer de nouveaux ministres : l'Assemblée désigna Monge pour la marine, et Lebrun pour les affaires étrangères. Roland, Servan et Clavière étaient rappelés à leurs anciennes fonctions. Mais par qui serait représenté au pouvoir le mouvement de Paris soulevé ?…

Il était trois heures de la nuit, lorsque Camille Desmoulins et Fabre d'Églantine entrèrent chez Danton, qui était couché. Il faut, lui dit Fabre en le réveillant, que tu me fasses secrétaire du sceau. — Et moi, ajouta Camille, un de tes secrétaires. Danton, à moitié endormi, leur répondit : Mais êtes-vous bien sûrs que je sois nommé ministre ?Oui[176]. Et en effet, il avait été élu, dans l'Assemblée, par 222 voix sur 284 votants[177].

Danton était ministre, Louis XVI était suspendu.

 

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Comme tous les grands événements de la Révolution, le 10 août a été présenté sous les plus fausses couleurs et a donné lieu à de grossières erreurs, qui ont fini, à force d'être répétées, par acquérir une sorte de consécration historique.

De ces erreurs, la plupart ont leur source dans le pamphlet que Peltier lança de Londres, en 1792, sous le titre de The late picture of Paris, or a faithful narrative of the Révolution of the tenth of August.

Réfuter Peltier, — dont le récit d'ailleurs est le plus complet qui ait paru, — ce sera réfuter ceux qui, venant après lui, n'ont guère fait que le copier.

Peltier, pages 41 et 42 de son livre, commence par exalter la vertu que les soldats suisses, dit-il, avaient su conserver au milieu de la corruption de Paris, et nous parle de l'horreur que leur inspiraient nos vices. Il est peu probable qu'à cet égard Peltier en sût plus long que le major des Suisses, Backmann.

Or, voici ce que porte le n° 10 du Bulletin du Tribunal criminel du 17 août : Demandé à Backmann pourquoi les gardes-suisses, accoutumés à une discipline exacte, paraissaient depuis quelque temps abandonnés à eux-mêmes, fréquentant les cabarets et les mauvais lieux, principalement dans les rues Saint-Nicaise et de Rohan, se tenant ordinairement sous le bras, souvent pris de vin ?… — A répondu qu'il avait fait tout son possible pour maintenir l'ordre ; mais qu'il y avait des têtes qui n'étaient pas saines, et que ce n'était point sa faute.

Peltier pouvait donc se borner à dire que les Suisses déployèrent beaucoup de courage, ce qui est très-vrai. Mais en faire des saints, pour avoir le droit de les pleurer comme martyrs, franchement c'est pousser trop loin la licence du zèle royaliste.

Peltier raconte, p. 147, que deux cents gentilshommes coururent à l'Œil-de-Bœuf, se ranger autour de la royauté pour la défendre ; mais ce qu'il oublie, et ce qui résulte de la déclaration de l'intendant de la liste civile, M. de Laporte, devant le Tribunal criminel du 17 août (voyez le n° 1 du bulletin de ce tribunal), c'est que M. Champcenetz, gouverneur des Tuileries, avait distribué, pour les défenseurs présumés du château, un nombre de cartes qui ne s'élevait pas à moins de deux mille ! Deux cents sur deux mille, c'est peu !

Peltier, p. 181, parle des mesures prises par Mandat pour disperser le peuple sans effusion de sang. Le lecteur peut juger de la vérité de cette assertion, en se rappelant la lettre où Mandat ordonnait qu'on laissât passer le peuple, pour le dissiper, en l'attaquant par derrière !

Suivant Peltier (voyez p. 197 et 198), Louis XVI et Marie-Antoinette se seraient montrés aux défenseurs du château et leur auraient parlé avec tant de majesté, tant de courage, que des larmes auraient coulé de tous les yeux, et que les assistants auraient été sur le point de renouveler le serment sublime des Hongrois à Marie-Thérèse : Moriamur pro rege nostro. Mais Peltier n'était pas là ; et Rœderer, qui y était, nous donne de l'attitude de Louis XVI, en ces circonstances, une idée toute contraire. Quant à Marie-Antoinette, Rœderer s'exprime ainsi : La reine, dans cette nuit fatale, n'eut rien de viril, rien d'héroïque, rien d'affecté ni de romanesque ; elle fut femme, mère, épouse en péril ; elle craignit, elle espéra, s'affligea, se rassura. (Voyez le récit de Rœderer, t. XVI, p. 456 de l'Histoire parlementaire). Interrogerons-nous un autre témoin, le très-violent royaliste Georges Duval ? Il ne fait parler la reine que pour gémir de l'imprudente inconvenance de quelques-unes de ses paroles ; et de Louis XVI, il dit : Son air et son maintien étaient faits pour ôter le courage aux plus intrépides. (Voyez les Souvenirs de la Terreur, t. II, ch. XVII, p. 118 et 119.)

Un des traits caractéristiques du 10 août, ce fut l'alliance spontanée de la bourgeoisie et du peuple contre la royauté, et voilà ce que n'ont garde de faire remarquer ni Peltier ni ses plagiaires. Rien de plus certain, cependant. D'après le récit du royaliste Maton de La Varenne (Histoire particulière, etc., p. 130 et 131), la première attaque était commandée par des gardes nationaux, dont il donne les noms ; et devant le tribunal criminel du 17 août (voyez le Bulletin de ce tribunal, n° 10), un caporal suisse dépose que, dans la nuit du 9 au 10, on leur annonça l'arrivée des brigands des faubourgs pour assassiner le roi ; mais qu'au jour, n'ayant vu paraître que des bataillons de gardes nationaux, ils commencèrent à s'apercevoir qu'ils avaient été induits en erreur.

Peltier assure, p. 222, que les soldats suisses parurent violemment émus du départ du roi pour l'Assemblée. La vérité est que ce départ leur fit plaisir, parce qu'ils en conclurent qu'ils n'auraient point à se battre. Tant mieux ! nous ne serons pas obligés de faire feu ! tel est le propos que rapporte, comme l'ayant entendu tenir par plusieurs de ses camarades, un caporal suisse, qui, après le 10 août, eut à comparaître devant le tribunal criminel. (Voyez le Bulletin de ce tribunal, n° 10.). De la déposition de ce même caporal il résulte que, si les Suisses ne craignaient point la mort, la nécessité d'égorger un peuple qui ne leur avait fait aucun mal n'en était pas moins odieuse à leurs yeux ; que, dans la nuit, on leur distribua de l'eau-de-vie pour les exciter ; que les capitaines, passant dans leurs rangs, cherchaient à les animer de plus en plus par des paroles telles que celles-ci : Avez-vous de bonnes pierres ? vos fusils sont-ils bien amorcés ? C'est aujourd'hui qu'il faut vaincre ! Le déposant ajoute : Le sous-lieutenant Maillardoz était le seul qui s'opposât à ce qu'on fit feu. Ce sont là des circonstances du plus haut intérêt : elles prouvent que ces malheureux soldats suisses ne se seraient pas battus, s'ils n'y eussent été forcés par leurs officiers. Hommes du peuple eux-mêmes, ils sentaient bien qu'on leur ordonnait de faire feu sur leur propre cause. Ils tombèrent martyrs, non de leur attachement pour le roi, dont ils se souciaient fort peu, mais de ce code du meurtre aveugle : la discipline ! Il va sans dire que tout cela est soigneusement masqué, soit dans le récit de Peltier, soit dans celui du colonel Pfyffer, et l'on devine pourquoi.

Par qui furent frappés, dans l'attaque du château, les premiers coups ? Voici comment Peltier, parlant de ce qu'il n'a pas vu, raconte les faits : Le peuple, en entrant dans la cour, criait, avec d'horribles imprécations : A bas les Suisses ! Les Suisses, du haut des fenêtres, répondirent, non par des signes d'amitié, mais en agitant leurs chapeaux et leurs mains, pour indiquer aux séditieux de se retirer. (The late picture, etc., p. 224.)

Avant de pousser plus loin, remarquons que ce récit se trouve formellement contredit par le témoignage, assurément peu suspect, du colonel suisse Pfyffer, qui assure que les Marseillais entrèrent, non pas, comme Peltier l'affirme avec tant d'assurance, en criant : A bas les Suisses ! mais, au contraire, en faisant signe aux Suisses de venir les joindre. (Voyez le récit du colonel Pfyffer, t. II, des Mémoires de Weber, note J des Éclaircissements historiques.) Or, cette assertion du colonel Pfyffer, témoin et acteur dans l'événement, concorde avec le récit de Pétion. (Voyez Histoire parlementaire, t. XXI, p. 442.) Quant à l'interprétation donnée par Peltier aux signes que faisaient les Suisses, elle est réfutée d'une manière péremptoire par un autre témoin, acteur aussi dans l'événement, le capitaine des canonniers de garde au château, lequel s'exprime ainsi : Je vis le peuple dans la cour Royale, faisant signe aux Suisses de se rendre. Par un signe que ceux-ci firent, nous comprîmes qu'ils le désiraient. Aussitôt, avec confiance, nous entrâmes, etc. (Voyez ce récit, t. XVII, p. 308, de l'Histoire parlementaire.)

Revenons au tableau tracé par Peltier : Une douzaine de sans-culottes s'avancèrent jusqu'au pied du grand escalier, où ils s'emparèrent du premier factionnaire suisse, et, après lui, de cinq autres. Leur procédé consistait à lancer aux soldats des piques recourbées, au moyen desquelles ils les accrochaient par leurs uniformes et les tiraient à eux, au milieu de bruyants éclats de rire. Encouragée, la masse du peuple se précipita, cassa la tête aux cinq Suisses, qui étaient déjà prisonniers et désarmés. Sur quoi M. de Castelberg, repoussant la force par la force, ordonna le feu, etc. (The late picture, etc., etc., p. 225.)

Ce prétendu fait me paraît avoir été bien légèrement adopté par MM. de Lamartine et Michelet. D'abord, Peltier, qui en général manque de logique dans ses mensonges, oublie tout à fait, en racontant ce détail, qu'il vient lui-même de dire un peu plus haut : La ferme attitude des Suisses frappa les assaillants d'une telle frayeur, qu'ils reculèrent (p. 224). On comprend mal comment des hommes si épouvantés n'ont rien de plus pressé que d'aller attaquer, en éclatant de rire, les hommes qui les épouvantent ! Il y a mieux, si une provocation à ce point irritante et insultante avait eu lieu de la part du peuple, d'où vient qu'il n'en serait fait aucune mention par le colonel Pfyffer, si bien placé pour tout voir, et si intéressé à rejeter tous les torts sur les assaillants ? Et comment concilier cet ignominieux traitement fait à des soldats armés jusqu'aux dents, avec le cri que le même Pfyffer met dans la bouche des Marseillais : Vivent les Suisses ! nous ne les désarmerons pas. (Voyez ce récit à la suite des Mémoires de Weber, t. II, note J.) Et comment le concilier avec le rapport d'un autre témoin, acteur dans ces scènes, lequel affirme, d'accord en ceci avec Pétion, que les Suisses, sollicités de ne pas faire feu, s'ébranlèrent ; et même que deux d'entre eux, l'ayant reconnu, le prirent par-dessous les bras en pleurant. (Voyez le récit du capitaine des canonniers de garde, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 308.)

De quel côté vint donc l'attaque, en ce qu'elle eut de meurtrier ? Le colonel Pfyffer, dans son récit, glisse là-dessus le plus vite qu'il peut ; mais le n° 9 du Bulletin du Tribunal criminel du 17 août va nous l'apprendre :

Un caporal suisse dépose que leur peloton se mit en devoir de retourner dans le corps de garde de la cour de Marsan ; qu'il avait déjà fait environ vingt pas, lorsque le peuple, qui remplissait les cours, fut fusillé, ainsi que le peloton qui se trouvait en ce moment sur le grand escalier près la chapelle ; que LES DITS COUPS PARTAIENT DES APPARTEMENTS, sans qu'on sût quels étaient ceux qui les avaient tirés ; que c'est ce qui les obligea, eux Suisses, de se défendre, parce que des citoyens, qui croyaient que c'étaient eux qui avaient fait feu, tiraient sur eux de tous les côtés.

Invoquer un témoignage plus formel et qui, dans la circonstance, eût plus d'autorité, serait difficile. Eh bien, ce témoignage, tout le confirme. Comment s'exprime, dans son rapport, le commandant des canonniers de garde au château des Tuileries ?

.... En m'en retournant pour monter dans le château, afin d'engager les autres Suisses à venir, j'aperçus que, sur le balcon, les Suisses jetaient leurs cartouches. Je fis signe de cesser, pour éviter une foule immense qui se bousculait pour les ramasser ; et, poursuivant jusqu'au perron de la chapelle, avec plusieurs de mes camarades, j'en pris deux autres. J'entendis leurs officiers qui leur défendaient de nous suivre. Je persistai à amener ces deux Suisses, en répondant aux officiers très-brusquement. A peine avais-je commencé à descendre, qu'un feu considérable commença à se faire par les Suisses tant intérieurement qu'extérieurement. J'eus l'affreux spectacle devoir un des Suisses que je tenais, tué à côté de moi, et l'autre blessé. La terreur, la rage, le désespoir s'emparèrent de mon âme ; je me sauvai à travers les balles qui sifflaient à mes oreilles ; et passant sur les corps morts, je volai à mes pièces qui étaient restées au Carrousel, pour venger mes frères assassinés par des monstres qui les avaient attirés par la confiance de s'unir ensemble. Signé LANGLADE, capitaine des canonniers du 3e bataillon, 6e légion ; FLEURY, sergent-major ; SIMON et CHARLAT, sergents ; RENET, DUBUT, BOUDET, BAROY, SIDOT. (Voyez ce rapport, p. 309, t. XVII de l'Histoire parlementaire.)

Et, à son tour, que dit le commandant de garde au poste des appartements de Louis XVI ?

Un bataillon de fédérés et de citoyens, arrivé le premier, requit les Suisses de se ranger du parti du peuple. Ceux-ci répondent par des signes d'amitié ; ils tendent la main aux citoyens, plusieurs arborent le bonnet de la liberté. Mais tandis que les citoyens se livrent à une douce illusion, des coups de canon tirés du château sillonnent l'armée du peuple ; un nombre considérable, parmi lesquels on compte cent Marseillais, tombe sur le carreau. Horrible perfidie, qu'il faut moins imputer aux Suisses, en général, qu'aux exécrables artifices de leurs chefs et de la cour, etc. (Voyez ce rapport, ubi supra, t. XVII, p. 320 et 321.)

On comprend, d'après cela, quelle dut être la fureur du peuple. De là le mot répandu dans Paris : Une grêle de balles a été dirigée sur nous, lorsque nous avions encore la bouche sur leurs joues. Mot que l'auteur du compte rendu, qui se lit dans le Moniteur, affirme avoir entendu prononcer lui-même par plusieurs fédérés bretons.

La vérité est donc que les soldats suisses ne demandaient pas mieux que d'éviter la cruelle nécessité d'un combat pour une cause qui n'était point la leur ; qu'à la vue du peuple entrant dans la cour, ils lui firent des signes d'amitié ; que, là-dessus, les hommes du peuple s'avancèrent avec confiance ; qu'à des adjurations toutes sympathiques, quelques soldats répondirent en se laissant emmener ; que, furieux d'une défection qui allait devenir contagieuse, les officiers suisses et les nobles postés dans les appartements s'empressèrent de faire feu ; que le peuple se crut trahi, et tomba naturellement, à cause de cela même, dans les transports de rage qui se donnèrent carrière après le combat.

Certes, je n'ai ni tu ni voilé les lamentables scènes qui naquirent de ces transports de rage, et je n'en suis que plus autorisé à dénoncer l'effronterie avec laquelle tant d'écrivains ont présenté les Suisses du 10 août comme ayant été purement et simplement égorgés, alors qu'ils ne pouvaient se défendre. Si jamais victoire fut disputée d'une manière terrible et coûta cher au vainqueur, ce fut assurément celle qu'au 10 août remporta le peuple. On a vu combien furent meurtrières et la première décharge des Suisses, si imprévue, et leur première sortie : qu'on jette les yeux sur le récit du colonel Pfyffer, sur ce récit où il nous montre ses soldats, dans un seul poste, tuant quatre cents hommes avant de céder (voyez la note J, à la suite des Mémoires de Weber, t. II), et l'on aura une idée de l'intrépide mais furieux acharnement que ces malheureux esclaves de la discipline militaire apportèrent dans la lutte, une fois engagée ! Non, non, ils ne furent pas égorgés comme un paisible troupeau : ils tombèrent, les armes à la main, dans des flots de sang versés par eux-mêmes, au service d'un roi qui fuyait le champ de bataille où on allait mourir pour lui !

 

A l'époque où nous tracions les lignes qui précèdent, réfuter Peltier nous paraissait suffisant pour faire justice des calomnies à l'aide desquelles les royalistes se sont efforcés de dénaturer complètement la physionomie de ce grand acte du peuple, de cet acte d'énergie, de dévouement et de courage désespéré qui s'appelle, dans l'histoire, le 10 août, et qui sauva la France de l'invasion étrangère. Mais depuis, M. Mortimer-Ternaux, dans une Histoire de la Terreur, destinée à inspirer l'horreur de la Révolution française, s'est attaché à combattre, à nier même la nécessité absolue du 10 août, si éloquemment mise en lumière par notre illustre confrère, M. Michelet. Pour atteindre ce but, M. Mortimer-Ternaux affirme :

1° Que le 10 août fut l'œuvre d'une conspiration ;

2° Que l'insurrection ne compta dans ses rangs que la lie du peuple de Paris et des fédérés ;

3° Qu'il n'y eut pas véritablement de lutte, et que le chiffre des morts parmi les insurgés fut insignifiant.

Constatons d'abord que M. Mortimer-Ternaux veut bien reconnaître que les bravades et les jactances des meneurs de l'émigration n'avaient fait qu'augmenter, et qu'ils étaient arrivés à leurs fins en faisant déclarer par l'Europe, en armes, une guerre à mort à la Révolution française (Histoire de la Terreur, t. II, p. 166) ; et que son impartialité d'historien l'oblige à mettre sous les yeux de ses lecteurs les provocations insensées des ultraroyalistes, qui peuvent expliquer, mais non justifier, bien des colères et bien des crimes. (Ibid., p. 114.)

En présence de l'envahissement de la France par l'étranger, des provocations des royalistes et de la connivence avérée de Louis XVI avec eux, il nous parait insensé, nous l'avouons, d'attribuer l'insurrection du 10 août à une conspiration. Mais, sur ce point, comme sur les autres assertions de M. Mortimer-Ternaux, après les témoignages cités dans notre propre récit, nous laisserons à un contemporain, à un combattant du 10 août, membre de l'Institut, le soin de répondre. La Révolution du 10 août, dit M. Moreau de Jonnès, ne fut point une conspiration, ce fut un soulèvement populaire qui n'avait point besoin de l'obscurité, puisque un mois avant qu'il éclatât, ses desseins étaient révélés hautement à la tribune, sur la place publique et par les cent voix des journaux. Le combat de cette journée fut un duel, un duel à mort proposé et accepté ; ce ne fut ni une surprise ni un guet-apens, comme on l'a prétendu. Les préparatifs de la défense se firent ouvertement, comme les dispositions de l'attaque. (Aventures de guerre au temps de la République, t. I, p. 61. — Une bataille à Paris. Paris, 1858.)On a prétendu qu'une conspiration avait préparé la journée du 10 août. Il n'en est rien. Le peuple seul, sans aucun chef, sans guide, sans instigation, opéra une révolution afin de sauver le pays des trahisons du gouvernement royalIl n'existait d'autre conspiration que l'unanimité et la volonté du peuple. (Ibid., p. 105 et 106.)

Sur les éléments de l'insurrection, si outrageusement calomniés par M. Mortimer-Ternaux, voyons également ce que dit M. Moreau de Jonnès : Toutes les classes d'habitants de la capitale prirent leur rang dans l'attaque des Tuileries, et lors de notre halte à la Grève, à huit heures du matin, on comptait vingt bataillons de la garde nationale représentés par des détachements plus ou moins nombreux. (Ibid., p. 107.)L'élite de la garde nationale marcha dans cette journée ; et sur mille hommes inscrits aux contrôles de la section des Minimes, il y eut plus de six cents combattants. (Ibid., p. 78.) — Le 10 août fut un effort suprême de la population parisienne et des fédérés, de la bourgeoisie et du peuple pour sauver le pays et la Révolution de 1789 d'une oligarchie qui pactisait avec l'étranger, et qui allait nous faire éprouver le sort de la Pologne. (Ibid., p. 109)Je me joignis, pour retourner au Marais, aux grenadiers du quartier Popincourt, avec qui je m'étais déjà trouvé de serviceces grenadiers, qui s'étaient comportés dans le combat comme les meilleures troupes d'élite des monarques de l'Europe, étaient des bourgeois, des marchands, des pères de famille, des rentiers, de mœurs fort douces, d'habitudes modéréesils avaient pris les armes, parce qu'ils étaient indignés que la cour des Tuileries ne cessât, depuis quatre ans, de nous tromper et de nous trahir. L'un d'eux, riche boulanger, qui était mon voisin, et qui peut-être vit encore, me disait, dans la cour Royale, au milieu du feu le plus vif : C'est un grand péché pourtant que de tuer ainsi des chrétiens, mais, du moins, ceux-là n'ouvriront pas la porte aux Autrichiens. (Ibid., p. 108.)

Or, cette participation de la garde nationale parisienne à l'insurrection, voici comment M. Mortimer-Ternaux la raconte : Certains bataillons se dirigent sur le château, d'autres vers l'Hôtel de Ville ; beaucoup, par prudence, et ne sachant vers quel côté pencher, restent dans leur quartiers ; mais naturellement, comme il n'y a ni ordre, ni discipline, ils fournissent à la défense et à l'insurrection des soldats isolés. (Histoire de la Terreur, t. II, p. 237.)

Quant aux fédérés, qui se placèrent si glorieusement à la tête de nos colonnes, dit M. Moreau de Jonnès, et qui allèrent à la frontière la défendre contre l'étranger, et moururent la plupart sur le champ de bataille, ignorant les calomnies dont ils devaient être noircis devant la postérité (Aventures de guerre, etc., t. I, p. 109 et 94), M. Mortimer-Ternaux n'a trouvé rien de mieux que d'établir entre eux la distinction la plus arbitraire ; les uns sont pour lui : les braves qui, par leur courage, sauvèrent la France de l'invasion étrangère ; les autres : les misérables qui empruntèrent le masque du dévouement patriotique pour se livrer impunément au meurtre et au pillage. (Histoire de la Terreur, t II, p. 105.) Ces derniers, il les qualifie du nom de pseudo-fédérés, oubliant à dessein que ceux qui se trouvaient à Paris, au 10 août, aussi bien que ceux qui s'étaient déjà rendus au camp de Soissons ou aux armées, avaient été élus dans leurs départements comme les plus ardents patriotes et les plus fermes soldats, et que, ni les uns ni les autres, n'étaient des hommes quelconques, des volontaires pris au hasard. Parmi ces pseudo-fédérés, les Marseillais, par le rôle important qu'ils jouèrent au 10 août, devaient nécessairement se trouver exposés, plus que tous autres, à la colère de M. Mortimer-Ternaux ; aussi n'hésite-t-il pas à déclarer qu'ils n'étaient que des bandits émérites expédiés par les sociétés populaires du Midi, pour renverser la Constitution et plonger la France dans l'anarchie. (Histoire de la Terreur, t. II, p. 142.) M. Mortimer-Ternaux appuie ce jugement hasardé sur le témoignage de M. Blanc-Gilly, député des Bouches-du-Rhône qui certes, dit-il, devait les connaître ; mais il se garde bien de citer l'opinion diamétralement opposée de Barbaroux, — qui n'est point un Montagnard, celui-là ! — et qui, lui aussi, devait certes connaître les Marseillais ! Et à ce propos, nous protestons hautement contre l'étrange interprétation donnée à notre pensée par M. Mortimer-Ternaux, lorsqu'il prétend que nous avons exprimé sur les fédérés marseillais une opinion qui se rapproche de la sienne, en les appelant des aventuriers intrépides. Ajoutons enfin que M. Moreau de Jonnès affirme, lui, que les fédérés de Marseille étaient des militaires expérimentés et des hommes d'élite. (Aventures de guerre, etc., t. I, p. 109.)

M. Moreau de Jonnès, qui assistait à la prise des Tuileries, et combattait dans les rangs de la garde nationale, a écrit : Cette bataille fut la plus meurtrière de toutes celles de la Révolution livrées sur la place publique. (Ibid., p. 109.)Le peuple fit irruption dans les cours à neuf heures un quart ; à neuf heures et demie, le feu commença sous le vestibule et continua contre la foule, sans résistance, pendant une demi-heure. L'attaque des Tuileries, par l'armée de l'insurrection, n'eut lieu qu'à dix heures moins quelques minutes. A midi, la place était emportée de vive force et l'ennemi fuyait de toute part. (Ibid., p. 104.)

M. Mortimer-Ternaux n'en triomphe pas moins en déclarant que le palais de la royauté ne fut pas enlevé de vive force, mais abandonné par ordre do Louis XVI, et que le total des morts, du côté du peuple, dans toutes les phases de la lutte, ne s'est pas élevé à plus de cent, celui des blessés grièvement à plus de soixante. (Hist. de la Terreur, t. II, p. 325.)

Or, le roi ne fit donner aux Suisses l'ordre de cesser le feu qu'après avoir entendu le rapport du procureur-syndic Rœderer, annonçant à l'Assemblée que le château était forcé. (Hist. parlement., t. XVII, p. 12 et 13.) Et quant au chiffre de cent soixante insurgés tués ou blessés dans la journée du 10 août, mis en avant par M. Mortimer-Ternaux, d'après des pièces officielles, incomplètes de son aveu, il ne mérite vraiment, pas qu'on s'y arrête. Est-il admissible, en effet, que les décharges des Suisses sur l'avant-garde de l'insurrection, sous le vestibule et sur la place du Carrousel, et pendant l'attaque du château par l'armée insurrectionnelle qui dura deux heures, n'aient fourni que cent soixante victimes ? Poser la question, c'est la résoudre. Ce chiffre est d'ailleurs démenti par l'affirmation du colonel Pfyffer, que quatre-vingts Suisses repliés sur le grand escalier s'y firent massacrer après avoir tué quatre cents hommes. Il est vrai que M. Mortimer-Ternaux cherche à infirmer le témoignage du colonel Pfyffer, en faisant remarquer qu'il ne se trouvait plus au château au moment de l'envahissement. Mais alors, pourquoi M. Mortimer-Ternaux s'appuie-t-il, dans son récit de ce qui se passa aux Tuileries, sur la relation même du colonel Pfyffer ? Je l'ai déjà dit : Prudhomme, grand collecteur de détails minutieux et statistiques, fixe avec beaucoup de précision, et d'après des calculs dont il donne les éléments, le nombre des morts à cinq mille quatre cent trente-cinq. Peltier — un royaliste ! — l'évalue de quatre à cinq mille. (Voyez Histoire générale et impartiale, etc., t. IV, p. 74, d'une part, et d'autre part, The late picture, etc., p. 281). Et Napoléon, qui, au 10 août, joua le rôle de spectateur, et de spectateur épouvanté, que nous apprend-il ? Il racontait, sur le rocher de Sainte-Hélène, qu'après la prise du château, s'étant aventuré dans le jardin, il fut si frappé de l'aspect de tant d'Hommes renversés les uns sur les autres, que, depuis, aucune de ses batailles ne lui donna l'idée d'un pareil entassement de cadavres. (Voyez Mémoires de Las Cases, t. V, p. 129). — Il faut donc reconnaître que M. Ernest Hamel n'a été que juste en disant : Le ridicule du chiffre (donné par M. Mortimer-Ternaux) n'est égalé que par le ridicule des calculs pris, par cet auteur, pour base de son évaluation. (Histoire de Robespierre, t. II, p. 570, note 1. — Paris, 1866.)

 

 

 



[1] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 442 et 443.

[2] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 442.

[3] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 442.

[4] Souvenirs de Mathieu Dumas, t. II, p. 451 et 452.

[5] Montjoie, Histoire de Marie-Antoinette, p. 361.

[6] Histoire de la Révolution, par deux Amis de la Liberté, t. VIII, 3e époque, p. 142.

[7] Déposition de Chabot, dans le procès des Girondins.

[8] Observations de Pétion sur la lettre de Robespierre.

[9] Mémoires de Barbaroux, chap. IV, p. 42.

[10] Déposition de Chabot, dans le procès des Girondins. Elle se trouve confirmée par ce fait décisif que Pétion donna à Mandat l'ordre de repousser la force par la force, et par le témoignage de Pétion lui-même qui, dans ses Observations sur la lettre de Robespierre, dit qu'il fut résolu à favoriser le mouvement, aussitôt qu'il sut qu'il était général.

[11] Mémoires de madame Campan, t. II, chap. XXI, p. 240.

[12] Maton de la Varenne, Histoire particulière des événements qui ont eu lieu en France, pendant les mois de juin, juillet, août et septembre 1792, p. 81.

[13] Maton de la Varenne, Histoire particulière, p. 77.

[14] Fleury, Études révolutionnaires. — Camille Desmoulins.

[15] Histoire de la Révolution, par deux Amis de la Liberté, t. VIII, 3e époque, p. 149,1796-7.

[16] The late picture of Paris, or a faithful narrative of the Revolution of the tenth of August, by Peltier, p. 145. London, 1792.

[17] Peltier, The late picture of Paris, p. 145 et 146.

[18] Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, 3e partie, chap. IX.

[19] Peltier, The late pictute of Paris, p. 174.

[20] Déclaration de Laporte, intendant de la liste civile, devant le tribunal du 17 août. Voyez le Bulletin de ce tribunal, n° 1, dans la Bibliothèque historique de la Révolution, p. 193.

[21] Lettre d'Emmanuel Aubier, ex-gentilhomme de la chambre de Louis XVI à Mallet du Pan. — Peltier lui-même ne porte pas à plus de deux cents le nombre des gentilshommes réunis dans l'Œil-de-Bœuf. Voyez son récit, p. 147.

[22] C'est un ardent royaliste, témoin oculaire, qui l'avoue. Voyez Souvenirs de la Terreur, par Georges Duval, t. II, chap. XVII, p. 118.

[23] Peltier, The late picture of Paris, p. 221.

[24] Récit de la conduite des Suisses à la journée du 10 août 1792, par le colonel Pfyffer d'Altishoffen, à la suite des Mémoires de Weber, t. II, p. 11. Note J.

[25] Récit de la conduite des Suisses à la journée du 10 août 1792, par le colonel Pfyffer d'Altishoffen, à la suite des Mémoires de Weber, t. II, p. 11. Note J.

[26] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 9. — Voyez, au reste, la démonstration historique de ce point, dans la note placée à la suite de ce chapitre.

[27] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, t. II, p. 11. Note J.

[28] M. Michelet, par exemple, t. IV, chap. I, p. 14.

[29] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, chap. XVII, p. 113.

[30] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, chap. XVII, p. 115.

[31] Ed. Fleury, Études révolutionnaires. — Camille Desmoulins et Roch Marcandier, t. I, p. 258.

[32] Ed. Fleury, Études révolutionnaires. — Camille Desmoulins et Roch Marcandier, p. 259-261.

[33] Esquiros, Histoire des Montagnards.

[34] Histoire abrégée de la Révolution, par l'auteur du Règne de Louis XVI, t. II, p. 93.

[35] Récit du 10 août, par Pétion. — Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 441.

[36] Mémoires de madame Campan, t. II, chap. XXI, p. 245. — Voyez aussi, à ce sujet, les Souvenirs de la Terreur, par Georges Duval, t. II, chap. XVII, p. 119.

[37] The late picture of Paris, or a faithful narrative of the Revolution of the tenth of August, by J. Peltier, p. 185.

[38] The late picture of Paris,  by J. Peltier, p. 185.

[39] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[40] Récit du 10 août, par Pétion. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 137.

[41] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[42] Récit de Pétion.

[43] Voyez, en les rapprochant, le récit de Pétion, et, dans la Chronique de cinquante jours, celui de Rœderer.

[44] Récit de Pétion.

[45] Voyez les documents relatifs à la journée du 10 août, dans la Revue rétrospective, n° 3, 2e série, mars 1835.

[46] Voyez les documents relatifs à la journée du 10 août, dans la Revue rétrospective, n° 3, 2e série, mars 1835.

[47] Mémoires de Barbaroux, chap. V, p. 66.

[48] Voyez, dans Fleury, Études révolutionnaires, t. I, p. 261 et 262.

[49] Il y eut des sections qui élurent plus de trois commissaires.

[50] Voyez le tableau général des commissaires des quarante-huit sections, dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 410-422.

[51] Histoire parlementaire, t. XVI, p. 411.

[52] Histoire parlementaire, t. XVI, p. 420.

[53] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 408 et 409.

[54] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[55] Récit de Pétion.

[56] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[57] Procès-verbal de la Commune de Paris, séance du 10 août 1792.

[58] Procès-verbal de la Commune de Paris, séance du 10 août 1792.

[59] Dans son Histoire de la Terreur, t. II, p. 276, M. Mortimer-Ternaux trouve que Mandat était dans son droit en ordonnant d'attaquer par derrière, de toutes les manières possibles, les colonnes d'insurgés allant assaillir le château. Soit, mais le peuple n'était-il pas dans son droit aussi, en se débarrassant du commandant des forces qu'il allait combattre ?

[60] The late picture of Paris, t. I, p. 180 et 181.

[61] Maton de La Varenne, Histoire particulière des événements qui ont eu lieu en France, pendant les mois de juin, juillet, août et septembre 1792.

[62] Procès-verbal de la Commune de Paris, séance du 10 août 1792.

[63] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[64] Histoire parlementaire, t. XVI, p. 408.

[65] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[66] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[67] Voyez l'interrogatoire de Bachmann, dans le Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 10. — Déposition d'un caporal suisse.

[68] Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 10, Déposition d'un soldat suisse.

[69] Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, chap. XVII, p. 117. — L'auteur était présent.

[70] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 117.

[71] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 117.

[72] Peltier lui-même en convient. Voyez The late picture of Paris, p. 190.

[73] Mémoires de madame Campan, t. II, chap. XXI, p. 244.

[74] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 118. — L'auteur entendit ces paroles, et il ne faut pas oublier que son témoignage est celui d'un ardent royaliste.

[75] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 118.

[76] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, p. 119.

[77] Les deux amis, t. VIII, 3e époque, p. 184.

[78] Documents relatifs au 10 août, dans la Revue rétrospective, n° 3, 2e série, mars 1835.

[79] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, chap. XVII, p. 117

[80] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[81] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[82] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[83] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[84] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[85] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[86] Voyez la note mise par Rœderer lui-même au bas de son récit, t. XVI, p. 456 de l'Histoire parlementaire.

[87] Les deux amis, t. VIII, 2e époque.

[88] The late picture of Paris, by Peltier, p. 200. — Maton de La Varenne, p. 106. — Mémoires de M. Hue, à la suite du Journal de Cléry, note A.

[89] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[90] Récit de Rœderer, Chronique de cinquante jours. — Mémoires de Weber, t. II, chap. V, p. 226.

[91] The late picture of Paris, by Peltier p. 200.

[92] The late picture of Paris, by Peltier p. 200.

[93] Maton de La Varenne, C'est un fait, dit-il, que nous tenons de ce fidèle sujet, qui a péri sur l'échafaud le 25 juin 1794, et dont nous partagions les fers à l'hôtel de la Force, lors des sanglantes journées de septembre. Histoire particulière, etc., p. 109.

[94] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[95] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[96] Maton de La Varenne, Histoire particulière, etc., p. 108 et 109.

[97] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, chap. XVII, p. 122.

[98] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[99] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[100] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[101] Rapport fait à l'Assemblée nationale par le commandant de garde au poste des appartements de Louis XVI, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 316 et 317.

[102] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, chap. XVII, p. 122. — Il faisait partie du cortège.

[103] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, chap. XVII, p. 122 et 123.

[104] Georges Duval, Souvenirs de la Terreur, t. II, chap. XVII, p. 122 et 123. — Voyez aussi Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[105] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 10.

[106] Et non du Logographe, comme il est dit presque partout. Voyez sur ce point Les deux amis, t. VIII, 3e époque, p. 174.

[107] Rœderer, Chronique de cinquante jours.

[108] Voyez pour les détails Peltier, The late picture of Paris, p. 210-215.

[109] Les deux amis, t. VIII, 3e époque, p. 168.

[110] Récit du colonel Pfyffer. Voyez note J des Mémoires de Weber, t. II, p. 360.

[111] Déposition d'un caporal suisse. Voyez le Bulletin criminel du 10 août, n° 10.

[112] Déposition d'un caporal suisse. Voyez le Bulletin criminel du 10 août, n° 10.

[113] Voyez le rapport du capitaine des canonniers de garde du château, Histoire parlementaire, t. XVII, p. 308.

[114] Maton de La Varenne, Histoire particulière, etc., p. 130 et 131.

[115] Rapport du capitaine des canonniers de garde, Histoire parlementaire, t. XVII, p. 304.

[116] Déposition d'un caporal suisse. Voyez Bulletin du tribunal criminel du 17 août, n° 10.

[117] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 361.

[118] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 361.

[119] Rapport du commandant des canonniers de garde au château, Histoire parlementaire, t. XVII, p 309.

[120] Récit de Pétion, dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 442.

[121] Rapport du canonnier de garde, ubi supra, p. 308.

[122] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 362.

[123] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 363.

[124] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 363.

[125] Voyez son récit dans l'Histoire parlementaire, t. XVI, p. 444.

[126] Histoire parlementaire, t. XVI, p. 445.

[127] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 12 et 13.

[128] Voyez, en les rapprochant, le Moniteur ; l'Histoire parlementaire, t. XVII ; les Mémoires de Ferrières, t. III, p. 194 ; les Mémoires de Bertrand de Molleville, t. II, p. 159 et 160, etc., etc.

[129] Maton de Varenne, p. 116.

[130] Bertrand de Molleville, Mémoires particuliers sur le règne de Louis XVI, t. II, p. 160 et 161.

[131] Ce sont les propres expressions de Bertrand de Molleville. Mémoires particuliers sur le règne de Louis XVI, t. II, p. 162.

[132] Bertrand de Molleville, Mémoires particuliers sur le règne de Louis XVI, t. II, p. 162.

[133] Bertrand de Molleville, Mémoires particuliers sur le règne de Louis XVI, t. II, p. 164.

[134] Bertrand de Molleville, Mémoires particuliers sur le règne de Louis XVI, t. II, p. 165.

[135] Compte rendu du Moniteur. L'auteur de ce compte rendu affirme avoir entendu prononcer ces propres paroles à plusieurs fédérés bretons qui, dans cette journée, avaient perdu beaucoup de leurs camarades.

[136] The late picture of Paris, by Peltier, p. 228.

[137] Moore, Journal during a residence in France, cité par Carlyle. Voyez The French Revolution, vol. II, chap. VII, p. 365.

[138] The late picture, etc., p. 185.

[139] Rapport du commandant de garde, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 317.

[140] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, t. II, p. 364.

[141] The late picture of Paris, by Peltier, p. 236,

[142] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 364.

[143] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 364.

[144] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 355.

[145] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 365 et 366.

[146] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 337.

[147] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 368.

[148] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 369.

[149] Armand Marrast et Dupont, p. 333.

[150] Soixante, suivant les uns ; quatre-vingts, suivant les autres. Voyez d'une part, les Mémoires de Ferrières ; d'autre part, Les deux amis.

[151] Récit du colonel Pfyffer, à la suite des Mémoires de Weber, p. 368.

[152] Récit des événements du 10 août, par Soulavie, à la suite des Mémoires de Ferrières, t. III, p. 485 et 486.

[153] Mémoires de Las Cases. t. V, p. 129.

[154] Quarterly Review, December 1853 : We doubt whether there could be found an officer who contrived to shirk so completely all regimental duty, and who had the ill-luck to get into such a succession of disagreeable scrapes : charges of desertion and even of treason, arrest, imprisonment, suspension, two or three dismissals.

[155] Quarterly Review, December 1853.

[156] Mémoires de Bourrienne, t. I, p. 49-52.

[157] Mémoires de Las Cases, t. V, p. 129.

[158] Mémoires de Las Cases, t. V, p. 129.

[159] Madame de Staël, Considérations sur la Révolution française, IIIe partie, chap. X.

[160] Voyez, en rapprochant les témoignages : Les deux amis, t. VIII, 3e époque, p. 197 et 198 ; l'Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes commis pendant la Révolution, par Prudhomme, t. IV. p. 67-69 ; Montgaillard, Histoire de France, t. III, p. 150 et 151 ; les Mémoires de Ferrières, t. III, liv. XII, p. 197 et 198 ; l'Histoire abrégée, par l'auteur du Règne de Louis XVI, t. Il, p. 85, etc., etc., sans parler de Peltier et de Maton de La Varenne, dont les affirmations ne seraient certes pas une garantie suffisante.

[161] Prudhomme, ubi supra, p. 70. — Histoire abrégée, etc., t. II, p. 86.

[162] Soulavie, Récit des événements du 10 août, à la suite des Mémoires de Ferrières, t. III, p. 486. — L'auteur était un royaliste exalté.

[163] Mémoires de madame Campan, t. II chap. XVI, p. 250.

[164] The late picture of Paris, p. 254.

[165] Procès-verbal de l'Assemblée, séance du 10 août.

[166] Ce nom, qui méritait certes d'être mentionné, ne se trouve point dans le compte rendu de la séance du 10 août, qui se borne à noter la circonstance, mais il nous a été fourni par un auteur contemporain, dont le livre abonde en détails précieux. Voyez l'Histoire abrégée de la Révolution, par l'auteur du Règne de Louis XVI, t. II. p. 90.

[167] Voyez l'Histoire abrégée de la Révolution, par l'auteur du Règne de Louis XVI, t. II, p. 92.

[168] Histoire abrégée de la Révolution, par l'auteur du Règne de Louis XVI, t. II, p. 92.

[169] Les deux amis, t. VIII, 3e époque, p. 199. — Histoire abrégée, etc., p. 85. — Prudhomme, ubi supra, p. 74 et 75.

[170] Voyez son récit, Histoire parlementaire, t. XVI, p. 445.

[171] The late picture, etc., p. 281.

[172] Histoire générale et impartiale, etc., t. IV, p. 74. — Un témoin oculaire, M. Moreau de Jonnès, établit le nombre total des morts de la journée du 10 août à 1,998, chiffre qui se rapproche de celui donné par Pétion, et de celui de 2.000, affirmé par Tallien, devant M. Moreau de Jonnès. — Voyez, Aventures de guerre au temps de la République, — Une bataille à Paris, t. I, p. 101-103.

[173] Voyez les articles du projet de décret, dans l'Histoire parlementaire, t. XVII, p. 18 et 19.

[174] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 18 et 19.

[175] Voyez la séance du 10 août, Histoire parlementaire, t. XVII.

[176] Prudhomme, ubi supra, p. 75.

[177] Histoire parlementaire, t. XVII, p. 27