Troubles dans le royaume. — Les États du Dauphiné. — Fuite de Mounier. — Les parlements complices de l'agitation. — Conférence chez Duport ; Lameth ouvre l'attaque contre les parlements. — Décret du 3 novembre ordonnant que les parlements resteront en vacances jusqu'à nouvel ordre. — Entrevue de Champion de Cicé et du Président de Rosambo. — Soumission publique du parlement de Paris ; protestation secrète renfermée dans un étui de fer-blanc. — Révolte du parlement de Rouen, dénoncée par Louis XVI lui-même. — Décision de l'Assemblée ; Louis XVI obtient la grâce de la chambre des vacations de Rouen. — Révolte du parlement de Metz ; sa grâce accordée au peuple. — Les magistrats de Rennes à la barre de l'Assemblée. — Mirabeau gagne la bataille des Bretons. — Fin des parlements.Par les débats qui viennent d'être rappelés, la nation se trouvait plus que préparée à la destruction des parlements : eux-mêmes ils avancèrent le moment de leur chute, en se faisant artisans de discordes. Depuis les journées d'octobre, les provinces étaient remplies de troubles. A Alençon, M. de Caraman, qui y commandait deux cents chevaux, avait couru risque de la vie, étant devenu suspect de trahison. A Vernon, la faim avait pris les armes, et, sans le dévouement d'un jeune Anglais, le directeur des approvisionnements périssait victime des défiances populaires. En Bretagne, on avait vu les populations de Brest, de Morlaix, de Landernau se lever furieuses et, l'épée haute, marcher sur Lannion pour y reprendre des voitures de grain destinées à Brest et injustement arrêtées au passage[1]. Partout, d'invisibles mains allumaient les colères, agitaient les alarmes et les soupçons. La contre-révolution, associée odieusement à la disette, attaquait Paris dans les provinces qui le nourrissent. De Tonnerre, de Crépy, de Nevers, de Rouen, il s'éleva des cris de détresse, mêlés d'étranges menaces. A Toulouse, quatre-vingt-neuf gentilshommes et quatre-vingts membres du parlement signèrent un acte où, se qualifiant ordre de la noblesse, ils osaient inviter l'ordre du clergé et l'ordre du tiers état à tout mettre en œuvre, pour rendre à la religion son utile influence, aux lois leur force, au monarque son autorité légitime et sa liberté[2]. D'un autre côté, les États de Béarn s'assemblaient. Ceux du Dauphiné, par un coup d'audace où se reconnaissaient les inspirations de Mounier et son âpre royalisme, se convoquaient eux-mêmes en trois ordres, avec doublement, comme s'il n'y eût pas eu de révolution ! Heureusement, de tous ces mouvements aucun n'eut des suites durables. La Bretagne se calma d'elle-même. Des commissaires, envoyés de Paris, apaisèrent les villes soulevées. Au jeune étranger de Vernon une couronne civique fut offerte, à laquelle s'ajouta le présent d'une épée, portant, gravée sur la lame, cette inscription : La Commune de Paris à C.J.W. Nesham, Anglais, pour avoir sauvé la vie à un citoyen français[3]. Quant à l'arrêté des nobles toulousains, il tomba sous l'ardente réprobation dont le frappèrent à la fois les municipalités de Toulouse, de Nîmes, de Pézenas et de Narbonne. Enfin, l'Assemblée nationale coupa court aux agitations du Dauphiné, en décrétant que toute assemblée d'état, quel qu'en fût le prétexte, serait suspendue. Louis XVI sanctionna ce décret le soir même. Et à Mounier, insulté, maudit, poursuivi de ville en ville et de maison en maison[4], il ne resta plus d'autre ressource que d'aller cacher à Genève le désespoir d'un crime avorté. Il y avait davantage à faire. Les parlements avaient eu la main dans toutes les récentes séditions : on résolut de les abattre. Une conférence se tint chez Duport, on y convint de la manière dont le coup devait être frappé, et l'homme qui se chargea de le frapper, ce fut Lameth. Le 3 novembre, le même jour et dans la même séance où les biens du clergé avaient été mis à la disposition de la nation, Alexandre de Lameth proposa de décréter que les parlements resteraient en vacances jusqu'à nouvel ordre et que leurs fonctions continueraient d'être remplies par les Chambres des vacations. C'était les désarmer avant le combat. Le décret passa, et Lameth put dire avec vérité, en sortant de la séance : Nous les avons enterrés vifs. La sanction du roi fut aussitôt demandée et obtenue, et Louis XVI, à la prière de l'Assemblée, expédia sur-le-champ des courriers pour la porter à toutes les cours. Les parlements résisteraient-ils ? On s'y attendait. Le bruit courut que celui de Paris se disposait à tenir ferme. C'eût été un grand embarras pour les ministres : le garde-des-sceaux, effrayé, mande en toute hâte le président de Rosambo, lui expose les dangers de la désobéissance, l'adjure de ne pas mettre encore une fois le trône au hasard d'un soulèvement populaire. Le magistrat répondit qu'il appartenait à un corps sur qui l'émeute n'avait jamais eu puissance. Il se rendit pourtant, et Paris ne tarda pas à savoir que le décret venait d'être enregistré[5]. En conséquence, la Chambre des vacations, présidée par Lepelletier de Rosambo, gendre de Malesherbes, continua ses fonctions. Mais ce qu'on ignora longtemps, c'est que les membres, au nombre de quatorze, avaient signé, pour la faire valoir plus tard, une protestation contre la transcription du décret. Cet acte fut confié au président de Rosambo, avec autorisation d'en faire usage dès que les circonstances le permettraient. Il avait été enfermé dans un étui de fer-blanc et soigneusement caché : l'infidélité d'un domestique de Rosambo en révéla l'existence quelques années après, pendant la Terreur, en des jours implacables, et les signataires périrent sur l'échafaud[6]. Le 9 novembre, l'Assemblée était attentive à un débat récemment soulevé touchant la division du royaume en départements, lorsque tout à coup une lettre du garde-des-sceaux fut apportée. C'était une dénonciation du parlement de Normandie faite à l'Assemblée par le roi lui-même. De quelle indignation les cœurs furent saisis ! La Chambre des vacations de Rouen avait enregistré, mais après avoir envoyé à Louis XVI une protestation où elle parlait à l'égard du monarque le langage du dévouement et à l'égard du peuple le langage de l'injure. La plupart des citoyens frappés d'un aveuglement absolu, les anciennes lois calomniées et avilies, leur puissance abattue sous l'outrage, le prince abreuvé de chagrins, entouré d'ingrats et captif au milieu de ses sujets égarés, voilà sous quelles couleurs la Révolution était présentée dans l'arrêté de la Chambre des vacations de Rouen. Il y était dit : La Chambre déclare que, si elle se détermine à procéder à l'enregistrement, ce n'est que pour donner au seigneur-roi de nouvelles preuves de son amour inviolable, de son respect profond et de sa soumission sans bornes, et aussi dans la crainte de contrarier les vues de Sa Majesté et d'augmenter peut-être par une juste résistance les troubles affreux qui déchirent l'État ; mais qu'au surplus il ne pourra en aucun cas être tiré de conséquence dudit enregistrement, attendu que ladite Chambre y a procédé sans liberté ni qualité suffisantes et uniquement entraînée par la force des circonstances. Venaient ensuite une insultante appréciation du décret rendu contre les parlements et l'assurance donnée au roi que les magistrats composant la Chambre des vacations de Rouen ne voulaient vivre que pour servir son autorité légitime[7]. Un arrêté pareil et motivé en ces termes avait dû paraître
ou bien criminel ou bien dangereux aux ministres, puisqu'ils avaient amené
Louis XVI à l'humiliant effort de s'en faire le dénonciateur. Ce qui est
certain, c'est que l'impression produite sur l'Assemblée fut terrible. Tous
les membres éclatèrent à la fois, depuis les plus emportés jusqu'aux plus
modérés, depuis Barère et Pétion jusqu'à Clermont-Tonnerre[8]. L'un propose
d'instruire le procès des magistrats pour cause de forfaiture ; un autre veut
que quatre commissaires soient chargés de poursuivre, au nom de la nation ;
tous sont d'avis que le roi soit remercié de son empressement à proscrire
l'arrêté séditieux. Un spectacle étrange fit diversion à ces colères. Un
homme parut à la tribune le visage profondément altéré, l'œil humide, dans
une attitude suppliante. C'était le député Frondeville, président du
parlement de Normandie. Il n'avait pris aucune part à l'arrêté, et il venait
demander grâce pour ses collègues : Jetez vos
regards, dit-il, sur ces corps antiques. Ils
ont vu un torrent d'esprit public se transporter au delà des bornes que votre
sagesse lui voulait prescrire. C'est au milieu de l'étourdissement universel
qu'ils ont fait entendre leurs plaintes. N'y a-t-il pas de la cruauté à ne
point permettre un cri de douleur à celui qui souffre ? Les magistrats que
vous poursuivez ne doivent-ils pas être accablés de chagrin quand ils perdent
leur état et leur existence ?... Des
magistrats livrés à la fureur du peuple, fugitifs, expatriés, séparés de
leurs familles… A ces mots, l'orateur s'arrête, profondément ému ; sa
voix s'éteint ; il fond en larmes[9]. L'Assemblée, un
moment attendrie, mais non calmée, rendit le décret suivant : L'Assemblée nationale, considérant que l'arrêté pris le 6 de ce mois par la Chambre des vacations du parlement de Rouen et qui lui a été communiqué par les ordres du roi est un attentat à la puissance souveraine de la nation, a décrété et décrète : 1° Que M. le président se retirera devers le roi, pour le remercier, au nom de la nation, de la promptitude avec laquelle il a proscrit cet arrêté et réprimé les écarts de ladite Chambre ; 2° Que cette pièce sera envoyée au tribunal auquel est attribuée provisoirement la connaissance des crimes de lèse-nation, pour le procès être instruit contre les auteurs, ainsi qu'il appartiendra ; 3° Que le roi sera supplié de nommer une autre Chambre des vacations, prise parmi les autres membres du parlement de Rouen, avec les mêmes pouvoirs et les mêmes fonctions que la précédente, laquelle enregistrera purement et simplement le décret du 3 novembre, et ledit décret sera porté incessamment à la sanction du roi[10]. Le parlement de Rouen fut effrayé ; il s'humilia, il se
rejeta sur le mystère dont l'acte qui avait offensé l'Assemblée nationale
devait rester enveloppé. Le roi, de son côté, intervint comme médiateur. De
sa propre main, il écrivit à l'Assemblée nationale, lui exprimant le vœu que
toute poursuite fût abandonnée. Le roi peut être
indulgent, s'écria Alexandre de Lameth… il
usera de cette indulgence quand l'affaire sera jugée. Lameth veut
continuer, sa voix se perd dans un orage de rumeurs diverses. Il faut ajourner, dit Prieur. Le baron de Menou
ajoute : Si les magistrats que nous avons décidé de
poursuivre obtiennent leur grâce, il n'y a plus qu'à absoudre tous les
criminels de lèse-nation, actuellement détenus. Mais le comte de
Grillon : C'est le roi qui vous a dénoncé le délit
des magistrats de Rouen ; refuser la grâce qu'il vous demande serait de la
barbarie. Alors Gleizen rappelle avec quelle bonté Louis XVI avait
accordé aux prières de l'Assemblée le pardon des citoyens par qui avaient été
forcées les prisons de l'abbaye de Saint-Germain. A ce souvenir, plusieurs
députés se lèvent en tumulte, leur émotion se répand de proche en proche et
on décrète que le vœu du roi devient celui de l'Assemblée[11]. Quelques jours après, second arrêté séditieux rendu par le parlement de Metz, et nouvelle lettre annonçant à l'Assemblée l'annulation de cet arrêté par décision du conseil. Or, les magistrats de Metz ne s'étaient pas contentés, comme ceux de Rouen, d'une protestation secrète : ils affichaient leur révolte. Ils ne s'étaient pas bornés à d'artificieuses accusations : c'était sans détour et en termes insolents, qu'ils déclaraient privés de toute liberté et les représentants du peuple et le roi. A Rouen, la Chambre des vacations seule avait élevé la voix. A Metz, le cri de guerre venait d'être poussé audacieusement par toutes les chambres assemblées. Les soldats de Bouillé étaient là !... La représentation nationale avait-elle été jusqu'alors bien véritablement libre ? Voilà ce que le vicomte de Mirabeau, dans la séance du 17 novembre, osa mettre en doute pour justifier le parlement de Metz. Était-il extraordinaire que les quinze mille hommes qui étaient allés inviter le roi à venir à Paris eussent paru le forcer à s'y rendre ? Voilà ce que le vicomte de Mirabeau osa demander sur le ton de la plus insultante ironie. Je propose, dit Robespierre, que le discours de l'orateur soit imprimé : il prouvera que vous êtes libres. Barère voulait que, sans plus attendre, on supprimât le parlement rebelle et qu'on en livrât les membres au comité des recherches. Les conclusions de Barnave furent moins rudes. Combinées avec d'habiles excuses que présenta Rœderer et qu'appuya Émery, elles déterminèrent un décret qui appelait le parlement de Metz à la barre de l'Assemblée dans un délai de huit jours[12]. Mais, cette fois encore, la clémence l'emporta. Les magistrats s'étant rétractés avec de grands témoignages de repentir, la Commune de Metz intercéda en leur faveur, et tout fut dit[13]. Ceux de Rouen avaient dû leur grâce au roi ; ceux de Metz la durent au peuple. Tant d'indulgence avait ses périls : à son tour le parlement de Bretagne leva la tête, et cela avec une affectation particulière d'arrogance. Ici, les juges étaient des nobles. Depuis cent ans, la magistrature de Rennes avait exclu de son sein, par des arrêtés secrets, les membres des communes[14], et tel était son orgueil que, dans le dernier siècle, elle était allée jusqu'à défendre aux États de la province de s'assembler[15]. Aussi sa résistance au décret du 3 novembre fut-elle beaucoup plus violente que celle des autres cours. La Chambre des vacations de Rennes refusa purement et simplement d'enregistrer le décret ; elle déclara qu'elle ne remplirait pas les fonctions judiciaires ; enfin, le roi lui ayant envoyé deux lettres consécutives de jussion, elle n'en tint compte. A cette nouvelle, l'Assemblée ordonne la formation d'une nouvelle Chambre des vacations, et elle mande à sa barre la Chambre réfractaire. Le temps était passé où les Broussel étaient triomphalement portés, selon l'expression du cardinal de Retz, sur les bras des peuples ! De Rennes, de Nantes, de Vannes, de Saint-Malo, un cri puissant était parti qui à la désobéissance des magistrats donnait le nom de trahison. Autour d'eux, la garde nationale avait couru aux armes et grondait. Il fallut se rendre. Le 8 janvier 1790, ils comparurent devant l'Assemblée. Les tribunes étaient encombrées de spectateurs impatients de savoir quelle sentence serait rendue contre ces derniers représentants de l'ancien monde, et de quel air ils la recevraient. Ils se présentèrent, pleins d'une sérénité dédaigneuse, l'œil assuré, le front haut, et, au dire d'écrivains contemporains[16], semblant exprimer par leur attitude le sentiment du doge de Gênes dans les galeries de Versailles : Ce qui m'étonne le plus ici, c'est de m'y voir. C'était l'abbé de Montesquiou qui présidait en ce moment l'Assemblée. Il parla comme parle la force quand il lui plaît d'être indulgente. N'oubliez pas, dit-il à ces juges, maintenant accusés, n'oubliez pas que vous comparaissez devant les pères de la patrie, toujours heureux de pouvoir en excuser les enfants, et de ne trouver dans leurs torts que des égarements de leur esprit et de simples erreurs. La Houssaye, président de la Chambre des vacations de Rennes, s'étudia, dès les premiers mots de sa réponse, à écarter l'idée qu'en paraissant devant l'Assemblée, ses collègues obéissaient au peuple. Il les montra se pliant à une telle démarche dans l'unique but de marquer leur déférence au roi. Il expliqua leur refus d'enregistrer par l'impossibilité où était la Chambre des vacations de hasarder, au nom du parlement, ce que le parlement en corps avait seul droit de faire. Il invoqua les privilèges de la Bretagne et ses capitulations, les testaments, les contrats de mariage du duc François, de la duchesse Anne, de François 1er. Il rappela les traités qui liaient la Bretagne à la France, comme s'il se fût encore agi de deux nations distinctes ! Il feignit d'ignorer que, depuis longtemps, c'était dans le cœur de la France que battait celui de la Bretagne ! Il ajouta, en terminant[17] : Cette circonstance illustrera mon nom et celui de mes collègues. L'histoire dira que nous avons bravé les dangers plutôt que d'étouffer le cri-de l'honneur et de la conscience. Un jour, les Bretons, désabusés, rendront hommage à nos principes. Heureux si mon âge, si une santé chancelante me permettaient de voir ce jour et de prouver encore que je fus toujours digne de porter les titres précieux de sujet fidèle et de véritable citoyen ! C'était la mort qui parlait devant la vie. Quelques-uns s'émurent, comme s'ils eussent entendu résonner dans le lointain la voix affaiblie de Mathieu Molé ; la plupart furent révoltés d'un langage par où se trahissait le sacrilège dessein de ressusciter le fédéralisme provincial et de déchirer le sein de la grande patrie française. A Maury, à Cazalès, à d'Éprémesnil, défenseurs obstinés des parlements, Barnave et Le Chapelier, Lanjuinais et Barère répondirent victorieusement au milieu des clameurs de l'Assemblée, au milieu du mugissement des tribunes. Mais l'athlète incomparable dans cette lutte, ce fut Mirabeau. Quoi ! ces mêmes magistrats qui, durant tant de siècles, s'étaient efforcés de dominer les rois par le peuple et le peuple par les rois, on les retrouvait encore s'honorant de leur rébellion ! Mais qu'espérait donc leur audace ? Contre une révolution qui avait brisé tant de résistances bien autrement vigoureuses, où était leur force ? S'étaient-ils figuré par hasard qu'ils feraient prévaloir leurs vieilles transactions locales, œuvre de la violence ou de la ruse, sur le magnanime contrat auquel avaient souscrit tous les Français ? Allaient-ils arrêter dans sa course la liberté de la nation et faire reculer ses destins ? Mirabeau continua sur ce ton, pendant plus d'une heure et demie, avec une incroyable véhémence de conviction et de colère. Le lendemain, il était malade ; son œil gauche s'était enflammé ; il ressentait des douleurs intolérables : on dut le saigner. Mais, bien décidé à ne pas perdre ce qu'il appelait la bataille des Bretons, il se transporta le jour suivant à l'Assemblée, où, quoique très-souffrant et les yeux couverts d'un bandeau, il prit la parole jusqu'à cinq fois[18]. Qu'était-ce donc que cette bataille des Bretons ? Comment ! Mirabeau ne s'apercevait pas qu'il employait la une vigueur immense à frapper ce qui avait déjà cessé d'être ! Il ne sentait pas qu'il foulait aux pieds des ombres ! Je voyais, écrivait-il confidentiellement au comte de La Marck, et je vois encore dans cet événement, c'est-à-dire la révolte des magistrats de Rennes, l'anéantissement de la Révolution... si nous ne prenons pas un parti noble et décisif[19]. Il y avait loin de ce langage des épanchements intimes à la confiance altière que Mirabeau venait de déployer à la tribune. Eh ! qu'importait un vote, plus ou moins décisif, contre une institution épuisée ? La Révolution n'était pas aux ordres de l'Assemblée ! Le 11 janvier 1790, les magistrats bretons furent de nouveau mandés à la barre pour y entendre leur arrêt. Il se fit un grand silence, et, d'une voix calme, le président leur lut le décret suivant : L'Assemblée nationale, improuvant la conduite des magistrats de la Chambre des vacations de Rennes et les motifs qu'ils ont allégués pour leur justification, déclare que leur résistance à la loi les rend inhabiles à remplir aucunes fonctions de citoyens actifs jusqu'à ce que, sur leur requête présentée au corps législatif, ils aient été admis à prêter le serment de fidélité à la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi[20]. Les condamnés saluèrent l'Assemblée gravement et se retirèrent sans prononcer une parole. Les parlements n'étaient pas encore abolis de droit ; mais, à dater de ce moment, ils le furent de fait. Ainsi tombèrent ces compagnies, si longtemps puissantes et redoutées. En appesantissant sa main sur elles, comme elle le faisait dans le même temps sur les prêtres, la bourgeoisie travaillait à compléter l'œuvre de sa domination, tout en faisant les affaires du peuple. Il ne reçut néanmoins de cet événement qu'une impression légère. Les parlements, depuis l'entrée en scène des États généraux, avaient tant perdu de leur importance ! Ils ne tombaient pas d'assez haut pour que leur chute fît beaucoup de bruit. |
[1] Voyez, pour les détails, l'Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. III, chap. XIV.
[2] Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. IV, ch. II.
[3] Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. IV, ch. II.
[4] Mémoires de Ferrières, t. I, liv. V, p. 365.
[5] Droz, Histoire du règne de Louis XVI, t. III, appendice, p. 140.
[6] Vie de Malesherbes. — Voyez le texte de cette protestation dans l'Histoire de la Terreur, de M. Mortimer-Ternaux, t. I, p. 305.
[7] Moniteur, séance du 9 novembre 1789.
[8] Moniteur, séance du 9 novembre.
[9] Moniteur, séance du 10 novembre.
[10] Moniteur, séance du 10 novembre.
[11] Moniteur, séance du 12 novembre.
[12] Moniteur, séance du 17 novembre.
[13] Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. IV, chap. II, p. 61. Édition de 1792.
[14]
Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. IV, chap. VI, p. 159.
[15]
Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. IV, chap. VI, p. 160.
[16] Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. IV, chap. VI, p. 163.
[17] Moniteur, séance du 8 janvier 1790.
[18] Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck, t. I, p. 450.
[19] Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck, t. I, p. 450.
[20] Moniteur, séance du 11 janvier 1790.