HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME TROISIÈME

LIVRE TROISIÈME

 

CHAPITRE V. — LE POUVOIR DES PARLEMENTS DISCUTÉ.

 

 

Étranges prétentions des parlements. — Combien peu elles étaient fondées. — Origine judiciaire des parlements ; ils ne représentaient rien si ce n'est le principe monarchique, le roi est la source de toute justice, contre le principe féodal la justice est patrimoniale en France. — Usage de l'enregistrement transformé en droit de vérification. — Usurpations politiques des parlements ; ce qui rendit ces usurpations possibles ; instinct de liberté absolument indestructible. — Débats entre le pouvoir parlementaire et le pouvoir royal, également funestes à tous les deux. — Regrets tardifs des parlements ; voile levé sur leur passé ; leur irrémédiable déconsidération. — Catéchisme des parlements.

 

Entre le décret contre les prêtres et le décret contre les moines un événement grave s'était accompli : à son tour, la puissance des parlements succombait.

Le spectacle de leur agonie est un des plus singuliers de l'histoire.

En parlant du réveil des esprits sous Mazarin, c'est-à-dire quand la main de fer de l'Éminence rouge ne fut plus sur toutes les têtes, le cardinal de Retz dit :

Ce signe de vie, dans les commencements presque imperceptible, ne se donne point par Monsieur, il ne se donne point par M. le Prince, il ne se donne point par les grands du royaume ; il se donne par le parlement, qui jusqu'à notre époque n'avait jamais commencé de révolution, et qui certainement aurait condamné par des arrêts sanglants celle qu'il faisait lui-même, si tout autre que lui l'eût commencée. Il gronda sur l'édit du tarif ; et aussitôt qu'il eut seulement murmuré, tout le monde s'éveilla. On chercha en s'éveillant, comme à tâtons, les lois ; on ne les trouva plus. L'on s'effara, l'on cria, l'on se les demanda, et dans cette agitation les questions que leurs explications firent naître, d'obscures qu'elles étaient et vénérables par leur obscurité, devinrent problématiques, et de là, à l'égard de la moitié du monde, odieuses. Le peuple entra dans le sanctuaire, il leva le voile qui doit toujours couvrir tout ce que l'on peut dire et tout ce que l'on peut croire du droit des peuples et de celui des rois, qui ne s'accordent jamais si bien ensemble que dans le silence. La salle du palais profana ces mystères[1].

 

Ce que le cardinal de Retz a écrit des premiers remuements de la salle du Palais, sous Mazarin, s'applique bien mieux encore à la lutte que les parlements engagèrent contre Brienne et Lamoignon[2]. Ce fut alors que, se sentant mourir s'ils restaient eux-mêmes, ils osèrent se prétendre la nation, dont ils crurent pouvoir sans danger, ou plutôt à leur profit, proclamer l'antique et imprescriptible souveraineté. Leurs scribes se livrèrent donc de toutes parts, avec un égoïsme passionné, à l'étude de notre vieille histoire ; ils en cherchèrent les origines, perdues dans la poussière des bibliothèques ; ils publièrent pamphlets sur pamphlets ; ils entassèrent citations sur citations…, et tout cela pour prouver deux choses : la première, que le vrai souverain, en France, c'était le peuple ; la seconde, que les parlements tenaient la place de ce souverain.

Comment en douter ? s'écrièrent-ils d'une commune voix. Est-ce qu'on ne lisait pas dans la loi salique : Les Francs seront juges les uns des autres avec le prince, et ils décréteront ensemble les lois de l'avenir, selon les occasions qui se présenteront[3]. Est-ce que Charlemagne n'avait pas dit : Qu'on interroge le peuple touchant les capitules qui ont été nouvellement ajoutées à la loi, et, après que tous y auront consenti, qu'ils fassent leurs souscriptions sur les capitules mêmes, et qu'ils les confirment de leurs seings[4]. Est-ce qu'il était possible de se méprendre sur la portée de cette célèbre affirmation des capitulaires de Charles le Chauve : La loi se fait par le consentement du peuple et la constitution du roi ?[5] Et jusqu'où n'allait pas le pouvoir de ces assemblées, qu'on nommait parlements ? C'est dans un parlement que Pépin, au préjudice de la famille régnante, est placé sur le trône. C'est dans un parlement, tenu en 768, que ses deux fils, Charles et Carloman, sont appelés à régner ensemble[6]. C'est dans un parlement, tenu à Aix-la-Chapelle, en 813, que Louis le Débonnaire est élevé à l'empire[7]. C'est dans un parlement, tenu à Meaux en 869, qu'il est délibéré sur le choix du successeur de Louis le Bègue, et que la royauté est déférée à Louis et à Carloman, ses deux fils, quoique nés d'une mère répudiée[8], etc. Après, dit le sire de Villehardouin, à propos du projet d'expédition en terre sainte, prirent li barons un parlement à Soissons, pour savoir quand ils voldroient mouvoir et quand ils voldroient tourner. Le parlement de Paris, appuyé sur ceux des provinces, avait donc une filiation illustre ; il remontait donc au berceau même de la nation française ; il incarnait donc en quelque sorte l'immortel principe de la souveraineté populaire, et en face du trône il avait à opposer la majesté de tous à celle d'un seul. Que le régime des anciennes assemblées eût subi mainte modification durant le cours des âges, on n'entendait pas le nier. Mais ces changements n'avaient pu altérer le caractère auguste que le parlement tirait de son origine ; et le droit d'enregistrement dont il était resté armé contre les entreprises violentes ou injustes des monarques proclamait assez haut qu'en lui n'avait cessé de résider cette grande tradition sur laquelle reposait la vie nationale : Lex fit consensu populi et constitutione regis[9].

La chute si soudaine et si profonde des parlements s'expliquerait mal, pour peu que les prétentions qui viennent d'être rappelées eussent été historiquement fondées. Mais non.

Comme Voltaire le remarque très-bien dans son Histoire du parlement de Paris, le mot parlement, une fois introduit dans notre langue, avait été employé pour désigner des choses très-différentes, depuis les assemblées de ville jusqu'aux universités[10]. C'était une expression générique, voilà tout.

Et, d'un autre côté, quoi de plus absurde que de rapprocher et confondre sous un même nom, sans tenir compte des différences d'époque, d'origine, de mœurs, d'attributions, les réunions de guerriers de la première race, les espèces de conciles de la seconde, et les assemblées de barons de la troisième ?

La vérité est que ce droit de tous d'intervenir dans les affaires de tous, n'avait jamais été pratiqué en France, au moins d'une manière uniforme, complète, régulière, systématique. Loin de là ; et ce n'est assurément pas prouver le contraire, que de mettre en avant quelques formules empruntées aux anciens textes, en leur donnant une définition et en leur attachant une importance modernes.

Aux termes de la loi salique, quiconque avait tué un Franc, devait aux parents une composition de deux cents sols, tandis que, pour le meurtre du Romain possesseur, la composition n'était que de moitié[11] ; rien ne signale mieux la ligne de démarcation que la conquête des Gaules par les Francs avait tracée entre les vainqueurs et les vaincus ; et dès lors, comment vaincus et vainqueurs auraient-ils été admis à venir siéger, en vertu d'un droit égal, dans des assemblées souveraines ?

Les guerriers francs groupés autour de leur chef et, glaive en main, consultant ensemble sur ce qui est à faire, telle est l'image fidèle des assemblées sous la race sicambre de Clovis[12].

Sous la seconde race, elles présentèrent un caractère bien différent. Pépin le Bref y ayant introduit les prélats, et les principaux chefs y ayant seuls place désormais à côté des évêques, par une suite naturelle de la dispersion des vainqueurs sur le sol, elles tinrent à la fois du corps aristocratique et du concile. Suivant le témoignage de Hincmar, les assemblées générales avaient lieu, du temps de Charlemagne, partout où il plaisait au roi de les convoquer. Le roi proposait l'objet du capitulaire, et la délibération s'ouvrait, en plein air si le temps était beau, sinon dans des. salles préparées exprès. Les évêques, les abbés et les clercs d'un rang élevé se réunissaient à part ; les comtes, les seigneurs laïques en faisaient de même. Toutefois, ils pouvaient, s'ils le trouvaient bon, siéger ensemble ; le roi se rendait au milieu d'eux. La délibération finie, on notifiait le résultat au peuple répandu dans les environs, lequel n'ayant pris aucunement part aux débats et n'y ayant pas même assisté, acclamait.

On voudra savoir, dit Boulainvilliers[13], après avoir cité Hincmar, pourquoi il ne paraît dans ces assemblées générales que deux sortes d'états, le clergé et les seigneurs, qui formaient deux chambres particulières, outre la multitude, qui, n'ayant point de part aux délibérations, n'assistait au parlement que pour les autoriser par la promesse de son obéissance, conséquence des acclamations avec lesquelles elle recevait ce qu'on appelait pour lors l'annonciation, c'est-à-dire le résultat de l'assemblée, à la tête duquel paraissait toujours le nom du souverain. Mais l'on n'ignore pas que les Français, ayant conquis la Gaule sous le règne de Clovis, y établirent leur gouvernement tout à fait séparé de celui de la nation soumise, qui, demeurant dans un état moyen entre la servitude romaine et la liberté, fut toujours regardée par les conquérants comme destinée au travail et à la culture de la terre, et non pas à partager les honneurs du gouvernement.

 

Boulainvilliers se trompe certainement et exagère en rapportant tout ici à cette distinction persistante des deux races, fondement de son système historique ; car, du passage même sur lequel il s'appuie résulte la preuve manifeste que, parmi la multitude forclose, se trouvaient, mêlés aux Gaulois, tous ceux des Francs qui n'étaient point d'une condition élevée.

Au reste, quelque limité, quelque illusoire qu'il fût, ce consensus populi ne tarda pas à être entièrement écarté, d'abord par l'interruption des assemblées nationales sous les derniers rois de la seconde race, puis par leur cessation presque complète sous les premiers rois de la troisième.

Il n'y avait donc pas de base vraiment historique aux prétentions superbes des parlements, telles qu'elles se produisirent quand la Révolution menaça. Il y a plus : l'origine judiciaire des parlements était là pour démentir hautement ce qu'ils affirmaient de leur origine politique.

De quelle formule, en effet, et de quelle nécessité relevait leur existence ? De la formule que LE ROI EST LA SOURCE DE TOUTE JUSTICE, et de la nécessité de mettre cette formule d'accord avec cette autre, qui semblait si fort la contredire : LA JUSTICE EST PATRIMONIALE EN FRANCE.

Peu de mots suffiront pour justifier notre point de vue. On se rappelle ce que Grégoire de Tours raconte du soldat frank qui, entendant Clovis réclamer, dans le partage des dépouilles, un vase que le sort ne lui avait pas assigné, leva sa hache et s'écria fièrement : Tu n'auras rien ici que ce qui t'est légitimement échu par le sort[14].

Ce droit de partage, invoqué si vivement, s'étant étendu aux terres conquises, celles qui formèrent le domaine du chef s'appelèrent fiscs, celles qui échurent aux compagnons du chef s'appelèrent aleux, du mot teutonique los qui signifie sort. L'alleu dut à sa nature primitive d'être un domaine exempt de redevance, un domaine entièrement libre : on le tenait du sort et de la conquête : aux yeux du guerrier frank, c'était ne le tenir que de Dieu et de son épée. En conséquence, le propriétaire de l'alleu fut maître absolu sur sa terre et maître de ceux qu'elle nourrissait : il put y faire des règlements, y battre monnaie, y établir des impôts, y lever des troupes[15]. L'exercice de la puissance publique se trouva ainsi attaché à la possession du sol, et comme la plus belle prérogative de la puissance est le droit de rendre la justice, ce droit fut inhérent à la terre[16]. On posséda une justice de la même manière qu'on possédait un champ.

Il est vrai que toutes les propriétés, même à l'origine, ne furent pas alodiales. Presque aussitôt après la conquête, il arriva que, voulant récompenser tels ou tels de leurs compagnons, des chefs opulents leur donnèrent, au lieu d'argent, d'armes ou de chevaux, des portions de terre auxquelles, par l'effet de ce don, se lia une idée de dépendance. Les domaines concédés de la sorte ne le furent pas sans réserve : ils restèrent chargés d'une redevance ; ils ne conférèrent, d'abord, au donataire qu'une possession dont sa vie déterminait la durée et en vertu de laquelle il fut tenu, sous le nom de vassal, à suivre la bannière du donateur, son suzerain. Ce sont les domaines de cette dernière espèce qui, du cinquième au dixième siècle, portent dans les documents anciens le nom de bénéfices, du mot beneficium, bienfait, et qui à dater du dixième siècle prennent le nom de fief, des deux mots germaniques fee, salaire, et old, propriété[17]. La nécessité pour les chefs de s'assurer par des récompenses la fidélité de leurs compagnons ; la difficulté de le faire autrement que par des concessions d'immeubles, à une époque où l'argent était rare ; la tendance des propriétaires faibles et menacés à rechercher la protection de propriétaires plus puissants en les prenant pour suzerains, tout cela contribua si bien à étendre la propriété bénéficiale, qu'insensiblement les aleux disparurent ; la maxime pas de terre sans seigneur prévalut, et à la fin du dixième siècle l'enchaînement hiérarchique des bénéfices ou fiefs, déclarés déjà héréditaires par Charles le Chauve, constitua d'une manière définitive le régime féodal.

Mais cette fusion de la souveraineté et de la propriété qui, née du fait violent de la conquête et peut-être aussi du souvenir des mœurs patriarcales de la tribu germaine, avait fait le caractère de l'alleu, cette fusion cessa-t-elle d'exister ? Non : tout possesseur de fief, bien que lié à son suzerain par certaines relations de dépendance, demeura maître chez lui, dans l'intérieur de son propre domaine. Le droit de rendre la justice ne fut donc pas séparé du sol. En acquérant l'un, on acquérait l'autre ; en héritant d'une terre, on héritait du droit de justice qui y était attaché ; d'où cette formule fameuse : LA JUSTICE EST PATRIMONIALE EN FRANCE.

Telle fut la loi de la féodalité, et elle était si générale, que le roi lui-même y était soumis. Possédait-il des terres dans la mouvance de quelque seigneurie, il devenait vassal du possesseur de cette seigneurie ; seulement, il lui était loisible, en ce cas, de se faire représenter pour prêter, comme vassal, foi et hommage à son propre vassal. C'est ainsi qu'en 1284, Philippe III rendit hommage à l'abbaye de Moissac[18]. De sorte que, d'après les règles strictes du régime féodal, si le roi était justicier, c'était moins en sa qualité de roi qu'en sa qualité de propriétaire.

Mais, en face, sinon au-dessus de ce principe, il en existait un autre dont l'origine était germanique et dont les rois avaient intérêt à perpétuer la tradition. On n'avait pas oublié que, chez les Germains, le roi était le premier magistrat : Principes qui jura per pagos reddunt[19].

Ainsi deux systèmes se trouvèrent en présence : celui qui liait à la propriété l'exercice de la justice, et celui qui la faisait remonter à la royauté comme à sa source naturelle.

Or, quel moyen de concilier ces deux systèmes ? Il n'en avait qu'un : la consécration du droit de ressort.

Inutile de dire que ce fut le sujet de grandes luttes, les seigneurs n'épargnant rien pour s'arroger la juridiction en dernier ressort, et les rois, de leur côté, favorisant de leur mieux des appels par où s'augmentait leur puissance.

Le tribunal que les rois ouvrirent aux plaignants fut leur propre conseil, le même devant qui se décidaient les causes de leurs domaines particuliers, et qui les suivait partout. Désigné dans les anciens actes, tantôt sous le nom de curia regis, tantôt sous le nom de parlamentum, ce conseil fut longtemps ambulatoire : Philippe le Bel le rendit sédentaire, par l'édit de 1302, portant que, pour le bien des sujets et l'expédition des procès, il y aurait deux fois l'an, un parlement à Paris, un échiquier à Rouen, un grand jour à Troyes, et qu'un parlement se tiendrait à Toulouse, ainsi qu'il avait coutume de se tenir anciennement[20].

Avant Philippe le Bel, et pour juger en dernier ressort les appels des justices des seigneurs, saint Louis avait établi, outre les grands bailliages de Vermandois, de Sens, de Saint-Pierre le Moutier et de Mâcon, de petits parlements qu'on appela parloirs du roi[21] : Philippe le Bel ne faisait donc qu'avancer dans une route déjà tracée.

On peut voir, par cet exposé rapide, combien chimérique était cette éclatante filiation que s'attribuèrent les parlements, lorsqu'ils se sentirent en danger de mort. Pris à leur naissance, non-seulement ils n'avaient pas été une institution politique, destinée à servir de barrière aux rois, mais, même comme institution judiciaire, la seule chose qu'ils pussent prétendre à représenter, c'était justement la juridiction du prince contre celle des seigneurs ; c'était le droit de ressort contre la souveraineté locale du propriétaire-juge ; c'était ce principe monarchique LE ROI EST LA SOURCE DE TOUTE JUSTICE, contre ce principe féodal LA JUSTICE EST PATRIMONIALE EN FRANCE.

Une institution purement judiciaire, établie comme contre-poids à l'indépendance des juridictions féodales, voilà les parlements. A leur naissance, ils ne furent rien de plus, et leur composition même le prouve.

On sait que le parlement de Paris, par exemple, se composa d'abord d'anciens barons ; mais que la découverte des pandectes de Justinien ayant introduit dans notre jurisprudence les lois romaines et imposé aux juges des connaissances étrangères à ces guerriers ignorants, il fallut leur donner des adjoints tirés d'une classe inférieure. Peu à peu, par la négligence et la retraite des barons, les adjoints se trouvèrent investis du droit de juger, et de là vint la noblesse de robe. Que portait l'ordonnance par laquelle Philippe de Valois, en 1344, donna au parlement l'organisation qu'il a à peu près conservée depuis, jusqu'à son extinction ? Cette ordonnance portait qu'il y aurait trente juges, moitié clercs moitié laïques, dans la chambre dite du plaidoyer, — on la nomma plus tard la grand'chambre ; — quarante dans celle des enquêtes, où se jugeaient les procès par écrit, et huit aux requêtes, où étaient reçues les requêtes des parties et jugées les affaires de minime importance. Qu'y a-t-il là qui rappelle, de quelque façon que ce puisse être, ces imposantes assemblées du champ de Mars dont le parlement de Paris osait, en 1789, se proclamer l'inviolable héritier ?

Et qu'importait que le mot parlement eût été employé avant saint Louis et avant Philippe le Bel ? Voltaire le fait observer avec raison : les pairs-barons des anciens parlements y venaient du droit de leur fief et naissance ; ils ne recevaient pas de gages. Tout au contraire, dans le parlement judiciaire qui succéda aux parloirs du roi, les conseillers recevaient cinq sols parisis par jour ; ils exerçaient une commission passagère, et souvent ceux de Pâques n'étaient pas ceux de la Toussaint. Un tribunal érigé pour juger les affaires contentieuses ne ressemble pas plus aux anciens parlements qu'un consul de la juridiction consulaire ne ressemble aux consuls de Rome[22].

Maintenant, que de simple justice royale le parlement fût devenu un pouvoir politique ; que de l'usage d'enregistrer les édits afin de les conserver, il eût fait sortir le droit de les examiner, de les critiquer, d'en refuser le dépôt, et qu'ajoutant de jour en jour à l'audace de ses remontrances, il eût fini par embarrasser le trône, c'est assurément une des plus fortes marques de votre puissance sur les hommes, ô impérissable instinct de la liberté ! Le peuple, que les trop rares convocations des États généraux laissaient sans défense, voulait être protégé d'une manière permanente contre les attentats du despotisme : c'est ce qui rendit possibles les usurpations politiques du parlement ; et son contrôle eut beau être inconséquent, étroitement factieux, presque toujours égoïste, il n'en fut pas moins populaire en certaines circonstances par cela seul qu'il était un contrôle.

Aussi, comme l'opinion publique s'alluma, et quel ne fut pas le frémissement de la France entière lorsque, à la veille de la Révolution, le cardinal de Brienne et Lamoignon poussèrent droit au parlement pour le détruire à demi ! Ce fut un déluge de pamphlets ; ce fut un incroyable débordement de colères. On eût dit que dans la vie du parlement était contenue celle de la nation. Et pourtant quel mal faisaient au peuple des édits qui abolissaient l'interrogatoire sur la sellette, la question préalable, et tant d'autres usages où la folie s'alliait à la cruauté ? Quel mal faisait au peuple l'établissement d'un nouveau système destiné à enlever la connaissance de certains procès criminels à ces magistrats, aux mains sanglantes, dont les mânes de tant d'innocents racontaient l'iniquité ? Réduire la compétence du parlement en confiant, au-dessous et en dehors de lui, à quarante-sept grands bailliages le jugement en dernier ressort des affaires civiles de moins de vingt mille livres ; simplifier ainsi l'action de la justice ; en diminuer les frais ; rapprocher du pauvre le tribunal qui doit le protéger ou le venger, était-ce donc frapper le peuple, le frapper à l'endroit du cœur ? Mais, ces mêmes édits transportaient du parlement à une cour plénière placée sous la dépendance immédiate du roi, le droit d'enregistrer les ordonnances et les impôts : là fut le principe de l'émotion universelle..... On se rappelle le reste : Paris en rumeur, les provinces pleines de trouble, les parlements ligués et donnant hypocritement pour bouclier à leurs privilèges la souveraineté nationale qu'ils invoquent, les esprits ramenés au souvenir des États généraux par une seule parole qui s'égare sur les lèvres d'un parlementaire, Brienne abattu, Necker rappelé, les élections, la Révolution....

Analyser les brochures sérieuses ou légères, savantes ou satiriques, — qu'enfanta par myriades cette période de luttes préliminaires entre la royauté et le parlement serait presque impossible ; leur seule énumération suffirait pour fatiguer la plume de l'historien : Lettre d'un ancien mousquetaire à son fils. — Le vrai d'Éprémesnil. — Les abeilles de la Seine. — Conférence entre un ministre et un conseiller. — Lettre de Robin Ier, roi des îles Sainte-Marguerite, petites maisons et mers adjacentes à Louis XVI, roi de France. — Avis au tiers état de la part des solitaires de Passy. — L'échappé du palais ou le général Jacquot perdu. — Le charnier des Innocents[23], etc., etc. Au fond, rien dans ces pamphlets qui n'eût été déjà dit soit par le parlement dans ses protestations, soit par Maupeou dans ses discours, lorsqu'en 1771, l'énergique chancelier, ne pouvant avoir raison des magistrats rebelles, prit le parti de les remplacer. Mais combien, depuis lors, la-forme des attaques était devenue plus directe, plus vive, plus ardemment accusée ! Comme tout cela-sentait déjà la Révolution ! Et comme il était aisé de prévoir que le parlement et la royauté tomberaient ensemble dans le gouffre béant aux bords duquel ils luttaient avec une égale imprudence !

Écoutez ceux du parlement :

Non, il n'est pas vrai que la constitution de la monarchie française soit ou ait jamais été despotique de droit. Même au plus fort de l'anarchie féodale, dans des temps de confusion et de ténèbres, des parlements- furent assemblés, comme une solennelle protestation contre la légitimité de l'arbitraire au sein du chaos. Philippe-Auguste se jugeait-il maître absolu des destinées de la France, lorsqu'en 1204 il faisait ratifier, à Villeneuve-le-Roi, par un parlement, l'ordonnance intitulée stabilimentum feudorum ? Louis VIII croyait-il ne relever que de ses caprices, lorsqu'en 1223 il disait : Sachez que, par la volonté et le consentement des archevêques, comtes, barons et chevaliers du royaume, nous avons fait établissement sur les juifs, lesquels ont juré d'observer ceux dont les noms suivent[24]. Et Louis IX se considérait-il comme au-dessus de tout contrôle, lorsqu'en 1230, au camp d'Annecy, il soumettait à l'approbation d'un parlement et présentait à la signature des membres l'acte par lequel le comte de Bretagne était déclaré déchu de la tutelle de son fils[25] ? Parce qu'il est devenu sédentaire sous Philippe le Bel et perpétuel sous Charles VI, le parlement a-t-il cessé d'être la prolongation de cette glorieuse chaîne d'assemblées libres dont le premier anneau se rattache au berceau de la monarchie ? Le droit primitif de la nation de concourir aux lois a pu être obscurci, il a pu être injustement restreint, jamais il n'a été perdu, et il s'est conservé aux mains du parlement par la vérification des lois nouvelles, contrôle sacré, garantie nécessaire, dont la suppression serait à la fois le plus grand des scandales et le plus grand des périls. La question, d'ailleurs, n'est-elle point tranchée par tant d'aveux éclatants, émanés des rois eux-mêmes ? Louis XI disait au duc de Bourgogne qu'il désirait aller à Paris pour faire publier leurs appointements en la cour du parlement, parce que c'est la coutume de France d'y faire publier tous accords : autrement, seraient de nulle valeur[26]. Dans une circonstance grave, Henri II faisait savoir à Charles-Quint : que la vérification était requise tant de disposition et de droit que par les ordonnances et usances du royaume[27].

La vérification des lois est un droit tellement inhérent à la constitution de la monarchie, que les États de Blois chargèrent leurs députés de déclarer au roi de Navarre qu'il fallait que les édits fussent vérifiés et comme contrôlés ès cours du parlement, devant qu'ils obligent à y obéir, lesquelles cours, combien qu'elles ne soient qu'une forme de trois-états raccourcie au petit pied, ont pouvoir de suspendre, modifier et refuser lesdits édits[28]. Et comment méconnaître ce pouvoir quand on le trouve formellement consacré par l'article CCVII de l'ordonnance de Blois, attestant la vérité des modifications apportées par les cours souveraines à divers édits de Henri III ? D'où cette maxime de Papon, parlant des cours de parlement : Ce sont des compagnies expertes au fait de justice, constituées et dressées pour le bien public, et qui représentent les États de France, depuis quelque temps que l'on a fait perdre l'usage d'assembler et ouïr lesdits États[29]. Que prétendent donc ceux qui osent attribuer aux rois une autorité sans bornes ? Ils ne prennent pas garde que ce qui est sans bornes arrive bientôt à être sans appui ; ils oublient qu'il n'y a que Dieu qui puisse subsister par lui seul, et il convient de leur mettre sous les yeux ces belles paroles du cardinal de Retz : Les Mirons, les Harlays, les Marillacs, les Pibracs et les Fayes, ces martyrs de l'État qui ont plus dissipé de factions par leurs bonnes et saines maximes que l'or d'Espagne et d'Angleterre n'en a fait naître, ont été les défenseurs de la doctrine pour la conservation de laquelle le cardinal de Richelieu confina M. le président de Barillon à Amboise ; et c'est lui qui a commencé à punir les magistrats pour avoir avancé des vérités pour lesquelles leur serment les obligeait à exposer leur vie. Les rois qui ont été sages et qui ont connu leurs véritables intérêts, ont rendu les parlements dépositaires de leurs ordonnances, particulièrement pour se décharger d'une partie de la haine et de l'envie que l'exécution des plus saintes, et même des plus nécessaires, produit quelquefois. Ils n'ont pas cru s'abaisser en s'y liant eux-mêmes ; semblables à Dieu, qui obéit toujours à ce qu'il a commandé une fois[30].

Mais à ces considérations, tirées de l'histoire et de la politique, les défenseurs de l'absolutisme royal répliquaient avec emportement :

Qui êtes-vous donc pour vous poser en tuteurs des rois ? Est-ce que ce n'est pas d'eux que vous tenez votre existence ? Et la plénitude du pouvoir réside-t-elle ailleurs que dans la main qui l'a communiqué ? A travers la nuit des âges écoulés, vous vous cherchez une majestueuse origine ; mais nous savons trop vos commencements, et qu'il n'y eut jamais rien de commun entre un tribunal comme le vôtre, chargé de rendre la justice, et ces anciennes assemblées, dont aussi bien la trace fut vite perdue, qui se tenaient, non pas en face du trône, mais autour ou au-dessous. Vous faites de la vérification des ordonnances une des bases fondamentales de la monarchie… Chose étrange, quand on se rappelle que vous avez puisé ce prétendu droit de vérifier les édits dans l'usage de les enregistrer, et que cet usage vient de ce qu'un beau jour un greffier du parlement, nommé Montluc, imagina de composer, pour sa commodité particulière, un registre fidèle, exemple aussitôt suivi par les rois, dont le greffe du parlement garda ainsi les volontés ! Usurpation n'est pas droit, et il vous est interdit d'ignorer que, pendant plus d'un siècle, vos prédécesseurs ne firent qu'enregistrer purement et simplement les édits. Louis XI fut le premier qui permit des remontrances, mais sans que cette tolérance entraînât le droit de refuser l'enregistrement et de peser de la sorte sur la politique. Aussi que répondit, en 1484, le premier président Jean de La Vacquerie au duc d'Orléans, sollicitant la régence et soufflant l'intrigue : Le parlement est pour rendre la justice au peuple : les finances, les guerres, le gouvernement du roi ne le regardent pas. Si, depuis, la réunion de la pairie au parlement encouragea et servit l'ambition de cette cour ; si, sous François Ier, au moment même où les charges devenaient vénales, elle osa, pour la première fois, intervenir en matière de finances ; si, non contente d'avoir combattu le concordat de ce prince, et d'avoir, plus tard, essayé ses forces contre Henri IV, à propos de l'édit de Nantes, elle poussa la résistance, pendant la minorité de Louis XIV, jusqu'à mettre tout Paris en ébullition ; si son opposition aux plans financiers de Law, au ministère de Maupeou, aux réformes de Lamoignon, tient tant de place dans l'histoire de nos troubles, cela ne prouve qu'une chose : l'ardeur du parlement à sortir de son domaine. Des princes, tels que Henri II, ont bien pu se réfugier, en certaines circonstances, derrière la nécessité de l'enregistrement, comme moyen d'éluder l'effet de conventions diplomatiques, onéreuses ou regrettées ; mais de semblables artifices il n'y a rien à conclure dont vous soyez autorisés à vous prévaloir. Et que vaudrait donc, en présence de vos prétentions, la maxime : Si veut le roi, si veut la loi ? A quoi répondrait cette formule des édits : De notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, disons, ordonnons, déclarons, voulons et nous plaîtcar tel est notre plaisir ? Les vraies règles fondamentales de la monarchie, les voilà ! Il serait monstrueux qu'en payant la finance de vos charges, vous eussiez acheté le pouvoir de paralyser l'action du gouvernement du roi. Vos charges ? Elles ont toujours été considérées comme vacantes, au moment de la mort du prince, jusqu'à confirmation de son successeur par lettres patentes : quelle plus éclatante démonstration de votre absolue dépendance à l'égard du monarque ? Si le refus d'enregistrement, avait eu la vertu de tout arrêter, vous n'auriez pas été les officiers-du roi, mais ses maîtres. Heureusement les LITS DE JUSTICE étaient là pour vous ranger à l'obéissance, et les successeurs de Henri IV ont su se rappeler, quand il l'a fallu, ces rudes paroles de lui au parlement : Je suis roi, je veux être obéi. La justice est mon bras droit ; mais si la gangrène est au bras droit, le gauche doit le couper. Quand mes régiments ne me servent de rien, je les casse[31].

Ce combat intellectuel, entre le parlement et la cour, très-animé avant et pendant la convocation des États, avait perdu tout son intérêt par la réunion des trois ordres en assemblée nationale, par les prodigieuses réformes de la nuit du 4 août, par l'établissement d'une constitution d'où sortait un monde nouveau et par les conditions nouvelles qui étaient faites à la royauté. Que devenait la prétention du parlement à représenter, au moins indirectement, les droits anciens de la nation, quand la représentation directe, permanente, éclatante de ces droits se trouvait consacrée par l'existence d'une assemblée saluée souveraine ? que pouvait signifier, comme garantie des libertés publiques et comme frein de la royauté, l'usage de l'enregistrement transformé en droit de vérification, quand au monarque, dépouillé du pouvoir législatif, il ne restait plus que la dérisoire ressource du véto suspensif ?

Aussi, les parlements n'avaient-ils pas tardé à se repentir de leurs attaques contre le trône. Consternés du tour qu'avaient pris les événements, désespérés d'un triomphe qui, par rapport à eux, ressemblait tant à un suicide, et convaincus qu'ils avaient été ces pêcheurs de Montaigne qui battent et brouillent l'eau pour d'autres pescheurs, ils auraient bien voulu revenir sur leurs pas, raffermir ce qu'ils avaient ébranlé, sauver le trône afin de se sauver eux-mêmes. Vains regrets, égoïstes autant que tardifs ! Ils étaient perdus, irrévocablement perdus ; ils n'avaient pu déchaîner l'opinion publique sans la subir, mettre le pouvoir des rois en discussion sans y mettre le leur propre, et, dans ce grand livre de l'histoire qu'ils avaient tenu ouvert, les imprudents ! c'était leur condamnation qu'on avait lue. Là, ils étaient apparus tantôt insolents, tantôt rampants, selon qu'ils avaient eu affaire à la faiblesse ou à la force ; debout devant Anne d'Autriche, Louis XIV enfant, Louis XIV mort, debout devant l'insouciant patron de Dubois, le voluptueux Louis XV, l'incertain Louis XVI. Mais à genoux devant Henri IV, Richelieu et Louis XIV, devenu homme. En matière religieuse, leur intolérance janséniste avait souvent dépassé le fanatisme du clergé, puissance rivale ; en matière criminelle, ils avaient maintenu la sellette, le secret, les tortures ; et, de Dubourg à Calas, leur route était marquée par une longue traînée de sang.

Ce n'est pas que, du milieu de ces robes rouges, d'imposantes et austères figures ne se fussent détachées de loin en loin ; mais c'était trop peu pour le rachat du passé. Et alors même que Voltaire, vengeur de Calas, n'aurait pas rempli tout le dix-huitième siècle du bruit de son indignation, alors même que Beaumarchais, s'attaquant à la corruption des juges, n'en aurait pas immortalisé le déshonneur, était-il possible que la Révolution laissât transmettre plus longtemps, par vente et par héritage, cette fonction, auguste et sainte entre toutes : rendre la justice ?

Ajoutons que le libertinage de la régence et celui du règne de Louis XV avaient singulièrement altéré les mœurs parlementaires. A côté des conseillers à tête chauve, en qui se perpétuaient la roide dévotion du jansénisme, sa morgue, son orgueil, il y avait nombre de jeunes magistrats, qui, se piquant d'imiter la cour, faisaient concurrence aux abbés galants, couraient les ruelles et tiraient vanité d'une dépravation d'emprunt. Le mépris public ne se cacha plus, les dénonciations se multiplièrent, les attaques devinrent mortelles.

Parmi les innombrables pamphlets du temps, en voici un qui mérite d'être reproduit, au moins en partie, parce qu'il caractérise, d'une manière exacte, sous une forme populaire et vive, le rôle politique des parlements :

D. Qu'êtes-vous de votre nature ?

R. Nous sommes des officiers du roi, chargés de rendre la justice à ses peuples.

D. Qu'aspirez-vous à devenir ?

R. Les législateurs et par conséquent les maîtres de l'État.

D. Comment pourriez-vous en devenir les maîtres ?

R. Quand nous aurons à la fois le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, qui pourrait nous résister ?

D. Comment vous y prendrez-vous pour en venir là ?

R. Nous aurons une conduite diverse avec le roi, le clergé, la noblesse et le peuple.

D. Comment vous conduirez-vous d'abord avec le roi ?

R. Nous tâcherons de lui ôter la confiance de la nation, en nous opposant à toutes ses volontés, en persuadant aux peuples que nous sommes leurs défenseurs et que c'est pour leur bien que nous refusons d'enregistrer les impôts.

D. Le peuple ne verra-t-il pas que vous ne vous êtes opposés à certains impôts que parce qu'il vous les aurait fallu payer vous-mêmes ?

R. Non, parce que nous lui ferons prendre le change, en disant qu'il n'y a que la nation qui ait le droit de consentir les impôts ; et nous demanderons les États généraux.

D. Si, malheureusement pour vous, le roi vous prend au mot et que les États soient convoqués, que ferez-vous ?

R. Nous chicanerons sur la forme et nous réclamerons la forme de 1614.

D. Pourquoi cela ?

R. Parce que, selon cette forme, le tiers état sera représenté par des gens de loi, ce qui nous assurera la prépondérance.

D. Mais les gens de loi vous haïssent ?

R. S'ils nous haïssent, ils nous craignent.

D. Pouvez-vous espérer que le clergé entre dans vos vues, lui qui sait que vous êtes ses ennemis ?

R. Nous ne ferons avec le clergé qu'une alliance passagère ; nous lui persuaderons qu'il est perdu si le tiers état a de l'ascendant ; nous lui ferons comprendre que nous nous soucions encore moins que lui de payer les impôts et qu'il faut nous allier pour les rejeter sur le peuple.

D. Comment vous conduirez-vous avec la noblesse ?

R. Nous lui promettrons de soutenir ses privilèges.

D. Ne craignez-vous pas que le peuple ne vous pénètre et qu'il ne s'indigne de ce que vous le sacrifiez, sous prétexte de le défendre ?

R. Le peuple n'a ni consistance parce qu'il est désuni, ni persévérance parce qu'il ne sait pas s'entendre.

D. Vous ne voulez donc pas sincèrement les États généraux ?

R. Non.

D. Et si le roi et la nation s'accordent à vouloir les États généraux dans une forme plus populaire que celle de 1614, que ferez-vous ?

R. Nous pousserons la noblesse et le clergé à protester et nous protesterons nous-mêmes.

D. Que résultera-t-il de là ?

R. Que le roi sera arrêté, que les peuples seront divisés.

D. Pour diviser les peuples et les aveugler, comment vous y prendrez-vous ?

R. Eh ! n'avons-nous pas à nos ordres les suppôts du palais, les cours des aides, les chambres des comptes, des juges partout répandus, tous les gens de robe ?

D. Dans un siècle aussi éclairé que celui-ci, il est bien difficile de faire illusion à la nation !

R. Si nous ne pouvons pas tromper, nous pouvons faire trembler. On sait assez que nos vengeances sont implacables. Nous brûlons les écrits, nous décrétons les auteurs, nous intimidons les citoyens par le pouvoir de les accuser sous le nom de notre procureur général, par le pouvoir de les poursuivre, de les juger et, dans les vingt-quatre heures... de les pendre.

D. Si l'on vous dit que vos décrets sont plus despotiques que les lettres de cachet contre lesquelles vous avez tant déclamé, que répondrez-vous ?

R. Nous ne répondrons pas, nous détournerons la question et tonnerons contre le despotisme : sûr moyen de masquer le nôtre[32].

 

 

 



[1] Mémoires du cardinal de Retz, t. I, liv. II.

[2] Voyez dans le IIe tome de cet ouvrage, au chapitre intitulé : Fatalité des États généraux, les détails de cette lutte.

[3] Baluze, t. II, p. 78.

[4] Capitulaires, t. I, p. 331. Édit. de Pist.

[5] Lex consensu populi fit et constitutione regis. Capitulaires, t. II, p. 178.

[6] Ap. sancti Dyonisii capit, t. I, p. 187.

[7] Boulainvilliers, Lettres sur les anciens parlements de France.

[8] Boulainvilliers, Lettres sur les anciens parlements de France.

[9] Ces considérations, éparses dans une multitude de brochures parlementaires, se trouvent fort lourdement, mais assez complètement résumées dans un opuscule intitulé : Conférence entre un ministre et un conseiller. Voyez la Collection méthodique des pièces relatives à la Révolution française. — Parlements. — British Museum.

[10] Voltaire, Histoire du parlement de Paris, t. XXVI des œuvres, ch. I, p. 8. 1785.

[11] Si quis ingenuus hominem Francum aut Barbarum occiderit, qui lege salica vivit, octo mille denariis, qui faciunt solidos ducentos, culpabilis judicetur. Si Romanus homo possessoroccisusfuerit solidos 100. Lex salica, tit. LXV, art. 1, 7 et 8.

[12] Voltaire. t. XXVI des œuvres, chap. I, p. 8.

[13] Boulainvilliers, Lettres sur les anciens parlements de France, Lettre II.

[14] Nihil hinc accipies, nisi quæ tibi sors vera largitur. Gregor. Turonen., lib. II, cap. XXVIII.

[15] Bouquet, Le Droit de France éclairci, p. 259. Paris, MDCCLVI.

[16] Bouquet, Le Droit de France éclairci, p. 281.

[17] Certains historiens publicistes font dériver l'expression fief, feodum, du mot latin fides. Mais cette étymologie est beaucoup moins probable et moins généralement admise que celle que nous avons adoptée.

[18] Chateaubriand, Analyse raisonnée de l'Histoire de France, t. I des œuvres complètes, p. 668. Furne, 1834.

[19] Chateaubriand, Analyse raisonnée de l'Histoire de France, p. 671.

[20] Propter commodum subditorum nostrum et expeditionem causarum, proponimus ordinare quod duo parlamenta Parisiis, duo scacaria Rotomagi, dies Trecensis, bis tenebuntur in anno, et quod parlamentum Tolosa tenebitur, sicut solebat tencri temporibus retroactis. Édit du 28 mars 1302.

[21] Voltaire, Histoire du parlement de Paris, t. XXVI des œuvres, ch. II, p. 16. 1785.

[22] Voltaire, Histoire du parlement de Paris, chap. III, p. 22.

[23] Collection méthodique des pièces relatives à la Révolution française. — Parlements. — British Museum.

[24] Nouveau recueil des ordonnances, p. 47.

[25] Collection de Martène, t. I, p. 1239.

[26] Paroles citées dans la Lettre des avocats au parlement de Toulouse à monseigneur le garde des sceaux, dans la Collection méthodique des pièces relatives à la Révolution française. — Parlements. — British Museum.

[27] Les instructions de Henri II à son ambassadeur sont citées in extenso dans la Protestation des officiers du parlement d'Aix.

[28] Mémoires du duc de Nevers, t. I, p. 448.

[29] Notaires de Papon, IIIe et dernier livre du général des rescrits.

[30] Mémoires du cardinal de Retz, t. I, liv. II, p. 131 et 132. Édition de Genève.

[31] Ceci n'est qu'un très-rapide résumé des attaques contenues dans une immense quantité de brochures antiparlementaires, parmi lesquelles nous en citerons deux plus particulièrement remarquables : l'une intitulée Sentiment de Henri IV sur l'indissolubilité du parlement ; l'autre intitulée Lettre d'un mousquetaire à son fils, dans la Collection méthodique des pièces relatives à la Révolution française. — British Museum.

[32] Catéchisme des parlements, dans la Collection méthodique des pièces relatives à la Révolution française. — Parlements. — British Museum.