ESSAI HISTORIQUE ET CRITIQUE SUR L'ÉCOLE JUIVE D'ALEXANDRIE

TROISIÈME PARTIE. — INFLUENCE DE L'ÉCOLE JUIVE D'ALEXANDRIE

 

CHAPITRE III. — INFLUENCE DE L'ÉCOLE JUIVE SUR LES PREMIERS SIÈCLES DE L'ÉGLISE.

 

 

Le christianisme, sorti de la Palestine où son divin fondateur ne voulut pas qu'il restât renfermé, comme l'avait été le judaïsme, fut porté, par les apôtres, à toutes les nations de la terre. Pendant que les uns se dirigeaient vers la Grèce et l'Italie, les autres vers les Indes et les différentes contrées de l'Asie, saint Marc, selon une antique tradition[1] confirmée par saint Jérôme[2] et saint Épiphane[3], prenait le chemin de l'Égypte. Le Sauveur du monde y était venu quelques années auparavant, mais sans pouvoir communiquer, puisqu'il n'était encore qu'un faible enfant, ni avec les descendants d'Abraham qui trahissaient les lois saintes par leur alliance avec les doctrines de la Grèce, ni avec les Égyptiens qui ne purent par conséquent lui apprendre à faire des miracles[4], par le moyen de la magie, comme le prétendait Celse. Lorsque l'Apôtre descendit lui-même sur la terre antique des Pharaons, Philon, d'après l'opinion la plus commune, venait de mourir, ou touchait à la lin de sa carrière. Dans le pays qu'il voulait convertir, l'évangéliste trouvait d'abord la population grecque que ses coreligionnaires n'avaient pu, je ne dis pas attirer dans leur religion, mais amener à s'instruire de la législation mosaïque, pour la mieux comprendre et la moins calomnier. Les Égyptiens, ces éternels ennemis de la nation sainte, avaient remporté sur elle une victoire complète. Car, ainsi que l'indiquent les histoires ; et les nombreuses inscriptions recueillies sur les monuments de l'époque des Lagides et des premiers empereurs romains, les dogmes de la Grèce s'étaient unis peu à peu à ceux des Égyptiens, ses dieux s'étaient associés à leurs dieux, dans les temples, sur les stèles, dans les vœux des voyageurs. Les Ptolémées avaient donc recueilli en partie et légué aux nouveaux maîtres du monde le fruit de leur longue patience et de leur politique tolérante. Cependant la fusion ne fut jamais complète. Le vieux génie de l'Égypte restait au fond de ses sanctuaires, et ne répondait qu'imparfaitement aux sollicitations et aux avances des Grecs. De leur côté, les philosophes par lesquels étaient alors représentées presque toutes les directions du mouvement philosophique qui avait commencé à Thalès et fini à Zénon ; le pythagorisme, le platonisme, le péripatétisme, le pyrrhonisme et le stoïcisme, ne reconnaissaient pas les divinités ridicules dont Juvénal se moquait avec tant de raison. Ils avaient sans doute des imitateurs même dans les rangs de la foule. Les écrits de Philon nous donnent une idée assez exacte des doctrines particulières enseignées dans les différentes écoles de l'ancienne capitale des Ptolémées. Comme le Platon juif voulait montrer que la sagesse des gentils n'a rien quine soit emprunté aux livres saints, il s'est emparé tour à tour des systèmes les plus en vogue à son époque. En mêlant ainsi les doctrines religieuses ou philosophiques, il donnait le premier un exemple que suivirent bientôt Ammonius, Plotin, Porphyre et les autres philosophes dont l'éclectisme devait livrer de si terribles combats au christianisme naissant. Mais alors il n'y avait encore en Égypte aucune trace des doctrines néoplatoniciennes[5].

D'autre part, saint Marc, s'il est vrai qu'il débarqua d'abord à Cyrène, dans la Pentapole, rencontrait, avant d'entrer dans la capitale de l'Égypte, les cénobites, dont Philon nous a décrit la vie contemplative, établis dans les paisibles solitudes de la Maréotide. Nous partageons l'opinion des critiques qui font des Thérapeutes, des juifs et non des chrétiens, et en placent l'origine avant l'arrivée de l'apôtre en Égypte. Rien ne nous empêche de voir dans les institutions et les doctrines des solitaires de l'Égypte et de la Palestine, en rapport sur tant de points avec celles du christianisme, le développement légitime de là révélation faite à Moïse sur le mont Sinaï. Nous ne comprenons pas les efforts renouvelés à différentes époques pour faire entrer, contre toute vraisemblance, les Esséniens et les Thérapeutes dans le sein de notre religion, ou pour leur imputer plus d'erreurs que l'on n'a peut-être le droit de leur en reprocher, ou enfin pour leur refuser des connaissances qu'ils pouvaient posséder. Pourquoi nous étonner de trouver chez les juifs, comme chez les chrétiens, des hommes qui ont porté la perfection à un plus haut degré que leurs frères, et ont été doués d'une intelligence plus profonde des mystères de la loi ?

Le futur fondateur de l'Église d'Égypte trouvait dans la capitale même, non pas le million d'Israélites dont parle Philon, mais une partie assez considérable de ceux qui s'étaient fixés depuis plusieurs siècles dans la ville d'Alexandrie. Ils avaient récemment été réduits à quitter les quartiers successivement envahis par eux, et à se renfermer, après avoir essuyé une cruelle persécution, dans la partie de la ville qui leur avait été désignée[6]. Philon, choisi quelques années auparavant par ses coreligionnaires pour plaider leur cause, à Rome, devant Caligula[7], jouissait d'une grande réputation parmi les juifs d'Alexandrie. Ils lisaient, expliquaient et commentaient ses ouvrages, en admiraient les doctrines et en partageaient les erreurs. Tout porte à croire qu'il faut rejeter la narration d'Eusèbe sur l'entrevue du philosophe avec saint Pierre, dans la capitale de l'empire[8]. Le chef de l'Église ne quitta la Judée qu'après la mort d'Hérode et ne vint à Rome que sous l'empereur Néron.

Ce tableau rapide nous a paru nécessaire pour mieux faire comprendre les causes de l'influence de l'école juive d'Alexandrie sur les opinions des premiers siècles de l'Église fondée par saint Marc dans cette même ville.

Comme son divin maître, saint Marc s'adressa d'abord aux brebis d'Israël qui s'étaient égarées. De là vient que les chrétiens furent dans les premiers temps confondus, à Alexandrie comme ailleurs, avec les Israélites[9]. Peut-être même la vérité frappa d'abord, et attira ceux qui étaient les plus dignes de la connaître tout entière. Baronius prétend que la plupart des Esséniens embrassèrent aussitôt le christianisme[10]. Pour le prouver, le savant auteur des Annales invoque le témoignage des Pères. Ils ne lui sont pas tous favorables. Saint J. Chrysostome place les Esséniens parmi les sectateurs de Theudas dont parle Josèphe, ces sicaires forcenés qui, dans leur fanatisme pour la religion juive, commirent, sous Titus, de si affreux désordres en Palestine et en Égypte[11]. La vérité ne se trouve, selon nous, ni dans l'une, ni dans l'autre de ces opinions. Tous les Esséniens ne reconnurent pas dans J.-C. le Verbe annoncé par les prophéties, mais plusieurs méritèrent certainement de passer dans une religion au vestibule de laquelle ils étaient en quelque sorte arrivés. Il en fut de même en Égypte. Les Thérapeutes et les autres Juifs ouvrirent les premiers les yeux à la lumière, et ils ne tardèrent pas à avoir des écoles dans la savante cité des Lagides.

La plus célèbre s'établit non loin du Musée d'Alexandrie. Elle ne prit pas, comme on l'a avancé sans fondement, la place de cette antique institution des Ptolémées ; car nous apprenons de Dion Cassius gîte la savante réunion du Musée existait encore au temps de Caracalla[12]. Cet empereur, irrité de quelques épigrammes lancées contre sa personne par des hommes accoutumés à la raillerie, et la maniant volontiers, surtout contre le pouvoir, dispersa les membres du Musée. Ils se réunirent de nouveau dans la suite, puisque Julien l'Apostat envoya dans leur célèbre institution le médecin Zénon[13]. Les premiers chrétiens d'Égypte ne furent pas d'abord des savants. L'Évangile de J.-C. fut annoncé dans cette contrée, comme dans le reste du monde, avant tout, aux pauvres et aux ignorants[14]. De là vient que les premières écoles chrétiennes d'Alexandrie furent appelées du nom modeste de διδασκαεΐον ou de παιδευτήριον qu'on donnait en Grèce aux écoles de l'enfance[15]. Mais, bientôt, après avoir été consacrée aux catéchumènes, la grande école fondée par saint Marc, comme l'insinue saint Jérôme[16], fut mise sous la direction de philosophes que le christianisme avait fait renoncer aux doctrines de Zénon ou de Platon. Athénagore ou saint Pantène enseignèrent les premiers la nouvelle religion dans cet asile qui devait devenir si célèbre. Les évêques d'Alexandrie, à la sollicitude desquels avait été confié tout ce qui concernait l'instruction et la juridiction de leur Église naissante, avaient la haute direction de ce didascalée[17], quand ils n'y enseignaient pas eux-mêmes. Saint Pantène eut pour élève et pour successeur Clément d'Alexandrie, le maître d'Origène. L'école chrétienne se maintint après lui, à travers les persécutions, sous la succession à peu près régulière d'Héraclas, de Denys, de Pierius, de Théognoste, de Serapion, de Didyme et de Rhodon[18].

Or, dans le didascalée d'Alexandrie, aux livres de l'Ancien et du Nouveau Testament, que l'on expliquait et commentait aux catéchumènes, il est probable que l'on ajoutait les ouvrages de Philon et de Josèphe. On ne regardait pas ces deux coryphées de l'école juive comme inspirés par l'Esprit-Saint, ainsi que les auteurs sacrés, mais on les considérait comme des personnages distingués par leurs talents et leurs vertus. Ils avaient récemment défendu avec courage le judaïsme attaqué par le paganisme, dans la ville même d'Alexandrie, ou à Roule par un grammairien sorti de cette ville. On pouvait se servir des armes qu'ils avaient trouvées, pour combattre, sur le même terrain, contre les mêmes ennemis. Pourquoi aurait-on hésité à le faire ? A l'exemple de leur maître, les docteurs chrétiens ne voulaient pas renier la loi de Moïse, mais s'appuyer, pour accomplir leur œuvre de régénération, sur cette religion et ses traditions par lesquelles le christianisme remonte jusqu'au berceau du monde.

Mais cette confiance accordée aux Juifs d'Alexandrie, légitime dans son principe, fut, à cause des traditions et des ouvrages sur lesquels elle s'appuya, l'origine de quelques erreurs pour les chefs du didascalée. Des œuvres où, comme nous l'avons fait voir, la vérité est souvent sacrifiée à des préjugés nationaux, ou à l'ardeur aveugle d'un prosélytisme que Dieu ne voulait pas couronner du succès, parce qu'il était prématuré, étaient des guides infidèles. Les premiers chrétiens en adoptèrent les récits inexacts et trompeurs. Ils furent, par ces intermédiaires, reportés vers l'antique école juive, qui avait, depuis Ptolémée Philadelphe, composé tant d'ouvrages apocryphes. Ils admirent et développèrent les conclusions que les faussaires avaient voulu faire tirer aux gentils. Devons-nous les accuser de faiblesse et de trop de crédulité ? Nous n'en avons point le droit. Comment, dans un siècle où la critique était si peu avancée, quand ils cherchaient, avant tout, à arracher à l'idolâtrie tant d'âmes égarées, pouvaient-ils trouver assez de temps ou assez de loisir pour discuter sérieusement la valeur de livres que l'on admettait généralement autour d'eux ? Les auteurs ecclésiastiques, que l'on a accusés d'être trop crédules, ne l'ont pas été plus que les écrivains païens de leur siècle. Athénagore, Origène, saint Basile, saint Augustin sont de beaucoup supérieurs à ces écrivains. Nous ne devons même pas nous étonner qu'en s'abandonnant à la conduite d'un peuple jusque-là dépositaire de la vérité, les premiers chrétiens de l'Égypte aient quelquefois été entraînés par des frères perfides, tout près du camp de l'ennemi, et que des expressions empruntées à Philon n'aient pas toujours rendu exactement la pensée du christianisme. L'ensemble de leurs doctrines prouve assez, du reste, qu'ils ne sont pas en tout les disciples de l'école juive, bien qu'ils en aient adopté la méthode et qu'ils ne se soient pas assez mis en garde contre ses mensonges et ses erreurs. Quand nous voyons les Juifs, malgré leurs efforts et leurs artifices, pendant plusieurs siècles, ne réussir qu'à se rendre ridicules et à moitié païens, loin de faire des prosélytes, ne sommes-nous pas obligés de reconnaître qu'un germe plus fécond que l'éclectisme de Philon avait été déposé dans la religion de Moïse, qu'une force divine avait été communiquée à ces nouveaux apôtres qui n'avaient fait qu'ajouter au judaïsme la folie de la croix et des mystères ? Il semble même qu'en Égypte, cette terre antique des miracles, Dieu, pour signaler avec plus d'éclat sa divinité, se soit plu surtout à mettre l'impuissance de l'ancienne loi, mêlée aux belles doctrines de la Grèce, en présence de la religion qui, quelques années à peine après sa naissance, comptait déjà de si nombreux enfants et avait établi des écoles dignes de rivaliser avec les plus célèbres du paganisme.

L'influence de l'école juive ne se borna pas au didascalée. Par les Pères d'Alexandrie, elle se fit sentir sur la plupart des Églises de l'Orient et sur les philosophes néo-platoniciens[19]. Un grand nombre d'illustres voyageurs vinrent sur les bords du Nil, attirés par le prestige dont l'illustre cité d'Alexandre était toujours entourée, et plus encore par la science et la vertu des chefs de catéchèses. Tel était l'éclat que jetait l'enseignement de saint Pantène, que Clément, depuis son disciple, qui avait parcouru l'univers entier, nous déclare n'avoir trouvé de repos qu'à Alexandrie, près de l'apôtre de Jésus-Christ[20]. Jules Africain nous raconte qu'il fit le voyage d'Égypte, attiré par la grande réputation d'Héraclas[21]. Saint Justin, avant d'aller enseigner à Rome, était aussi venu dans la capitale de l'Égypte[22]. Que dirons-nous d'Origène ? Le célèbre disciple de Clément répandit ses doctrines dans toutes les villes où les persécutions le forcèrent de chercher un refuge. Il enseigna, surtout à Césarée, dont plus tard fut évêque Eusèbe Pamphile, qui auparavant avait visité la patrie d'Athénagore, de Clément et d'Origène, pendant que la persécution de Dioclétien sévissait dans la Palestine[23].

Mais il est temps maintenant de montrer ce que les Pères des premiers siècles de notre ère reçurent des Juifs de l'Égypte. Nous nous contenterons de signaler rapidement les principaux caractères de cette tradition.

1° C'est dans les écrits des Pères qui ont vécu à Alexandrie, ou qui ont communiqué avec les savants catéchistes de cette capitale, que nous trouvons, comme on l'a déjà vu dans la première partie, les fragments composés par les Juifs hellénistes et attribués à des poètes et à des historiens auxquels ils n'appartiennent pas. Saint Justin, Clément d'Alexandrie, l'élève du défenseur d'Origène, Eusèbe Pamphile, ont, plus que les autres, puisé des arguments dans ces ouvrages apocryphes. Ils rappellent même souvent, par la marche qu'ils suivent dans leurs démonstrations, Aristobule, le faux Polyhistor et le faux Hécatée d'Abdère. Ils se plaisent, comme eux, à rassembler dans leurs ouvrages un grand nombre de citations empruntées aux auteurs juifs ou païens. Quelquefois, comme Athénagore, dans son Ambassade pour les chrétiens, et saint Justin, dans son livre de la Monarchie, ils s'emparent du titre des traités que Philon nous a laissés. Ils en accommodent les démonstrations au service du christianisme. Quelques-uns nous offrent de nombreux extraits du philosophe platonicien ; tous, ils le citent volontiers. A l'exemple d'Aristobule et de Philon, on commente les livres de l'Ancien Testament et surtout la Genèse. Plus tard, les Pères feront des homélies et des discours sur les Six jours, qui rappelleront encore l'auteur du traité de la Création.

2° Sur le témoignage d'Aristobule et des faussaires alexandrins, les Juifs admettaient que tous les personnages les plus célèbres de l'antiquité, païenne Orphée, Pythagore, Platon, avaient puisé à pleines mains dans les livres de Moïse. Les premiers chrétiens de l'Égypte, à l'exception d'Origène, acceptèrent aussi ces traditions. Elles furent accueillies par Théodoret, évêque de Cyr. Il assure que les anciens philosophes, Phérécyde, Pythagore, Thalès, Solon et Platon ont voyagé en Égypte, et ont été instruits par les Hébreux[24]. Le fondateur de l'école italique, selon ce savant Père, aurait même reçu la circoncision, que les. Égyptiens avaient imitée des Juifs. Des Églises d'Orient ces croyances passèrent dans celles de l'Occident. Saint Ambroise semble croire qu'en venant en Égypte Platon avait surtout l'intention de consulter les lois de Moïse et les oracles des prophètes[25]. Saint Augustin avait d'abord avancé que Pythagore vit Jérémie en Égypte[26]. Il reconnut plus tard son erreur, sans cependant cesser de croire à l'influence exercée par des Juifs sur les grands philosophes du paganisme. D'autres Pères pensent que le chef de l'école italique conversa en Judée avec Ézéchiel[27].

Mais c'est du didascalée d'Alexandrie que sortit d'abord cette opinion que l'on cherche à prouver ailleurs avec plus ou moins de succès. L'élève de saint Pantène et Eusèbe Pamphile contribuèrent surtout à lui donner du crédit et de l'extension. L'évêque de Césarée consacre deux livres de la Préparation évangélique à prouver que Platon a trouvé les principaux points de sa philosophie et de sa théologie dans la législation sacrée des Hébreux[28]. C'est l'idée qui domine dans les ouvrages de Clément d'Alexandrie. Nous citerons ici quelques passages du livre Ve des Stromates. Ils ont le double avantage de montrer l'influence de l'école juive sur le didascalée, et de faire voir les caractères auxquels celle-ci reconnaissait l'imitation et le plagiat des livres de Moïse.

Jetons le plus grand jour sur les emprunts que les Grecs ont faits à la philosophie des barbares. Les stoïciens prétendent que Dieu, de même que l'âme, se compose essentiellement d'un corps et d'un esprit : vous trouverez, sans aucun doute, la même assertion dans nos Écritures. N'allez pas croire qu'en ce moment je veuille m'occuper de leurs significations allégoriques, telles que les fait ressortir la vérité savante et éclairée, qui, comme les habiles athlètes, montre une chose et en fait entendre une autre. Les stoïciens veulent que Dieu pénètre dans toutes les essences ; mais nous, nous nous contentons de l'appeler créateur, et créateur par le ministère du Verbe. Ces expressions du livre de la Sagesse leur ont fait prendre le change : La sagesse atteint partout, à cause de sa pureté. Ils ne comprennent pas que cela s'applique à la sagesse, premier sujet de la création de Dieu... Ces paroles prophétiques : La terre était invisible et informe, ont donné aux philosophes occasion de croire à une essence matérielle. Et même Épicure a été induit à croire que tout était l'ouvrage du hasard, pour n'avoir pas compris la force de ces expressions : Vanité des vanités, et tout n'est que vanité. C'est ainsi qu'Aristote en est venu à attribuer au globe de la lune une participation à la prescience divine, à cause de ce passage d'un psaume : Seigneur, votre miséricorde est dans le ciel, et votre vérité s'étend jusques aux nuages... Quant à ce qui concerne les châtiments après la mort et le supplice par le feu, c'est à la philosophie barbare que toute muse poétique, et même la philosophie des Grecs les ont empruntés. Voici en quels termes s'exprime Platon dans le dernier livre de la République : Alors des personnages hideux, au corps de flamme, qui se trouvaient là, accoururent à ces mugissements. Ils emmenèrent d'abord de vive force un certain nombre de ces criminels ; quant à Aridée et aux autres, ils leur lièrent les pieds, les mains, la tête, et les ayant jetés à terre et écorchés à force de coups, ils les traînèrent hors de la route, au travers des ronces sanglantes. Il est évident que ces hommes de feu de Platon, ce sont les anges qui punissent les scélérats dont ils se sont saisis. Celui-là, dit le Psalmiste, qui des esprits en fait ses messagers, et des flammes ses ministres... Quand les philosophes s'arrêtent à l'homme formé de terre, ils l'appellent partout un corps terrestre. Homère ne balance point à dire par forme d'imprécation :

Mais vous tous, puissiez-vous devenir eau et terre.

De même qu'Isaïe a dit : Foulez-les aux pieds comme de la boue. Les stoïciens définissent la nature comme un feu artificiel qui procède par une voie régulière à la génération. L'Écriture désigne allégoriquement comme un feu et une lumière Dieu ou son Verbe... Avant Aratus, Homère décrivant le monde d'après Moïse sur le bouclier fabriqué par Vulcain, dit :

Il y avait représenté la terre, le ciel, la mer et tous les astres qui couronnent le ciel.

Le Jupiter célébré dans les ouvrages des poètes et des orateurs n'est autre que Dieu lui-même[29]. Aristobule avait déjà dit la même chose dans son Commentaire sur Moïse.

Plusieurs chrétiens des premiers temps de l'Église ne se contentèrent pas de ranger parmi les disciples de Moïse ceux-là seuls que les Juifs d'Alexandrie leur avaient désignés. Ils en ajoutèrent d'autres à la liste déjà si nombreuse des premiers. De plus, ils se crurent quelquefois autorisés à compter comme chrétiens des hommes qui n'avaient pu connaître Jésus-Christ. Ainsi Eusèbe avança, contre toute vraisemblance, que Philon avait embrassé le christianisme. Il fit des Thérapeutes des disciples de J.-C.[30] convertis par saint Marc. Les contradictions et les assertions les plus étranges lui ont peu coûté, pour donner à sa narration une apparence de vérité. Je ne parle pas de Sénèque et de son amitié avec saint Paul ; le fameux stoïcien aurait pu voir à Rome l'apôtre des gentils. Mais que dire de Platon lui-même que l'on fit entrer dans le sein du christianisme ? Plusieurs ajoutèrent foi à la fable du tombeau de ce grand philosophe, retrouvé avec cette inscription sur la pierre qui le fermait : Ici repose le corps de Platon, mort dans le sein du christianisme. Le moyen âge accueillit ces naïves croyances. N'est-ce pas à ces antiques traditions, fortifiées par le respect qu'inspiraient des auteurs que l'on étudiait sans cesse, qu'il faut attribuer l'indulgence de Dante pour Virgile et les philosophes païens, qu'il place moins dans l'enfer que dans les Champs-Élysées, dont plusieurs d'entre eux nous ont laissé de si riantes descriptions ? Les mêmes traditions nous expliquent pourquoi Orphée se trouve si souvent sur le tombeau des martyrs, dans les catacombes de Rome, et pourquoi, dans des temps plus récents, des artistes chrétiens ont placé dans leurs tableaux et jusque sur les vitraux, ornements de nos temples, la Sibylle, Aristote et Platon, vis-à-vis des patriarches et des prophètes.

3° On peut déjà conclure de ce que nous avons dit plus haut que les docteurs chrétiens d'Alexandrie accueillirent favorablement la philosophie et les lettres grecques. Ils ne pouvaient les repousser, puisque, d'accord en cela avec les Juifs de la même ville, ils voyaient un reflet de la sagesse hébraïque dans les ouvrages les plus vantés, et des plagiaires dans ceux qui les avaient composés[31]. Du reste, le divin législateur ne condamne pas toute science et toute sagesse profane. Saint Paul reconnaît que certaines vérités sont accessibles aux philosophes, et jamais le christianisme n'a enseigné que la raison de l'homme ait été anéantie par le péché originel, au point de n'être plus qu'un instrument de mensonge et d'erreur. L'oubli de ces principes fut en tous temps la cause d'attaques injustes contre une science que la plupart des Pères de l'Église ont cultivée avec soin, depuis les Pères d'Alexandrie jusqu'à saint Bernard et Bossuet. Aristobule et Philon s'étaient livrés à l'étude de la philosophie. Ce dernier même l'avait appelée le vestibule et le portique qui conduit à la véritable sagesse : les chrétiens imitèrent son exemple, ils reproduisirent souvent sa pensée. Athénagore, saint Pantène, Clément, Origène, Héraclas, saint Denys, Achilias et Pierius accueillirent volontiers certaines doctrines de Platon et de Pythagore[32]. Saint Pantène, s'il faut en croire Eusèbe, leur avait préféré celles de Zénon[33]. Mais les chefs du didascalée n'introduisirent point, par une connivence coupable, de nouvelles doctrines dans le sanctuaire de la vérité, et ne corrompirent pas le christianisme par l'admission de dogmes qui n'en étaient pas le développement légitime ; voilà ce qui les distingue de ceux dont ils suivaient les traces. Ils étaient avant tout et restaient toujours disciples de J.-C. Mais ils se croyaient le droit de recueillir le bien de leur maître partout où ils le trouvaient. Ils rassemblaient toutes les parcelles de la vérité tombées sur des terres étrangères, afin de ne faire de ces éléments épars, sans liens apparents, qu'un seul faisceau également fort et lumineux. Fixés sur le roc inébranlable de la vérité révélée, les docteurs de l'Église d'Alexandrie ont pu, avec moins de danger que Philon, s'adresser à toutes les philosophies anciennes, chercher à rapprocher les hommes, en unissant des doctrines qui paraissaient en tous points opposées et irréconciliables, dans le Verbe divin, cette source de toute vérité, ce foyer de toute lumière, d'où s'échappent sans cesse les rayons qui ont illuminé les Grecs et les barbares[34].

Ne nous étonnons donc pas d'entendre Clément d'Alexandrie appeler, avec le Platon helléniste, la philosophie la souveraine des sciences et des arts[35], et Origène l'estimer aussi nécessaire à la théologie, c'est-à-dire à l'explication scientifique de la doctrine chrétienne, qu'elle l'est à la géométrie, à la musique, à la grammaire, à la rhétorique et à l'astronomie[36]. Ce n'est point là, malgré quelques erreurs que nous signalerons, une transaction aux dépens de la vérité. Ils distinguent entre les philosophies et ne les admettent pas toutes indifféremment[37]. Cette science ressemble à la noix, dont tout n'est pas bon à manger[38]. Elle doit servir d'introduction au christianisme. S'il était possible que tous les hommes abandonnassent les affaires de la vie pour se livrer à la philosophie, disait Origène, on ne devrait pas suivre d'autre route que celle-là. On n'en trouverait que plus facilement dans l'Évangile les dogmes que l'on doit croire, on n'en expliquerait que plus aisément les énigmes des prophètes, les paraboles de l'Évangile et les autres nombreux symboles ou commandements[39]. Ailleurs il avance qu'un homme sage ne rejettera pas ce qu'un philosophe chrétien aura écrit sur la religion, qu'il ne sera ni trompé ni embarrassé ; car ce n'est pas la vraie philosophie qui jette dans l'erreur, mais l'ignorance[40]. Donne-moi des maîtres qui enseignent la philosophie, disait-il encore, je n'éloignerai pas d'eux les enfants. Une fois formés et instruits à leur école, je les élèverai plus haut, jusqu'à la doctrine de Jésus-Christ, jusqu'à cette philosophie sublime, inconnue du vulgaire, qui-rend compte de tout ce qu'il y a de plus difficile et de plus nécessaire, et qui s'inspire des oracles des prophètes et des enseignements de Jésus et de ses apôtres[41]. C'est ce qu'il faisait dans son école d'Alexandrie[42] ; c'est aussi ce qu'il fit plus tard à Césarée, selon le témoignage de son plus célèbre disciple[43]. La grande école chrétienne d'Alexandrie tout entière avait adopté et suivi cette méthode ; car l'illustre professeur, attaqué par ses nombreux détracteurs, leur répond : En enseignant la philosophie, je suivais l'exemple du savant Pantène, qui avait, avant moi, rendu service à de nombreux disciples par la connaissance profonde de sciences diverses. J'imitais encore Héraclas, qui siège aujourd'hui parmi les prêtres de l'Église d'Alexandrie et que j'avais rencontré chez un professeur de philosophie dont il suivait les leçons depuis cinq ans déjà, quand je vins me joindre à lui[44]. De la capitale de l'Égypte, ce goût pour la philosophie et les lettres grecques se répandit dans presque toutes les Églises d'Orient. De là l'opposition des auteurs ecclésiastiques contre ceux qui, comme Tertullien, Hermias, Methodius, repoussaient la sagesse profane et s'emportaient en violentes invectives contre ceux qui la cultivaient. La lutte avait commencé plusieurs siècles auparavant entre Alexandrie et Jérusalem, entre les hellénistes et les hébraïsants ; mais alors les accusations étaient. justes et les reproches fondés ; Aristobule et Philon se laissaient vaincre par la philosophie, sans faire sortir le judaïsme de l'obscurité, tandis que les Pères étudièrent la sagesse profane pour l'assujettir à la foi et léguer au monde des œuvres qui feront toujours son admiration.

4° Photius accuse Philon d'avoir donné à Origène l'amour des allégories qui passèrent ensuite dans le christianisme[45]. Nous avons vu déjà que le Platon juif n'est pas l'inventeur d'un système d'interprétation qui existait avant lui et dont les écrivains inspirés et les auteurs de la Mischna ont fait usage à Jérusalem, où son influence ne se fit pas sentir. Le disciple de Clément d'Alexandrie faisait remarquer à Celse, qui ne trouvait pas les Écritures susceptibles d'admettre l'allégorie, qu'on rencontre dans l'Ancien Testament comme dans le Nouveau des passages impossibles à expliquer, si l'on n'y a recours[46]. Lorsque Asaph, dit le célèbre catéchiste, veut rapporter, dans le livre des Psaumes, les faits contenus dans l'Exode et les Nombres, il use de ce préambule pour montrer que la lettre des livres saints n'est qu'une espèce d'emblème : Mon peuple, écoutez ma loi, prêtez l'oreille aux paroles de ma bouche ; je l'ouvrirai pour parler en paraboles ; je publierai les secrets des siècles passés, toutes les choses qu'e nous avons vues, que nous avons apprises, que nos pères nous ont racontées. Si la loi de Moïse, continue-t-il, n'avait pas un sens intérieur et caché, le prophète ne dirait pas non plus, dans la prière qu'il adresse à Dieu : Retire le voile qui couvre mes yeux, et je contemplerai les merveilles de la Loi. Mais il savait bien qu'il y a un voile d'ignorance sur le cœur de ceux qui lisent sans pénétrer dans le sens mystique, et que ce voile se lève lorsqu'on se renferme en soi-même, afin d'écouter la voix de Dieu qui nous instruit[47].

Ce n'est donc point la honte de leurs doctrines et l'impossibilité de leur donner un sens raisonnable qui -ont porté les Juifs à inventer, dans des siècles postérieurs, l'interprétation allégorique, et les chrétiens à l'employer après eux. Ils l'ont reçue d'une tradition antique et respectable. Photius est sur ce point dans l'erreur aussi bien que Celse réfuté par Origène. Mais ils seraient restés l'un et l'autre dans la vérité, s'ils s'étaient bornés à attaquer l'abus que l'école juive d'Égypte et les écrivains ecclésiastiques de la même contrée ont fait quelquefois des allégories. De part et d'autre nous remarquons, en effet, des interprétations forcées, des explications quelquefois ingénieuses ou propres à édifier, mais sans solidité. Par le stratagème de l'allégorie, les Juifs alexandrins avaient mis les gentils d'accord avec leur religion ; par le même artifice, les Pères de l'école chrétienne d'Égypte firent de la sagesse des poètes et des philosophes païens comme un reflet de celle du Nouveau Testament.

Les chefs du didascalée ont si bien senti qu'ils faisaient en cela cause commune avec leurs devanciers, qu'ils se sont faits les apologistes et les admirateurs de la méthode arbitraire des Juifs d'Alexandrie attaquée par les païens. Celse voyait une folie étonnante et une stupidité sans exemple dans les hommes qui cherchaient des rapports entre des choses où l'on ne saurait en trouver la moindre trace : Il veut sans doute parler, disait Origène, des écrits de Philon ou de quelques autres écrits plus anciens, tels que ceux d'Aristobule. Mais je serais fort étonné s'il avait jamais lu ces livres qui, pour l'ordinaire, me semblent rencontrer si heureusement, qu'ils pourraient donner de l'admiration aux philosophes mêmes de la Grèce : car non-seulement l'expression en est pure et nette, maison trouve aussi une justesse merveilleuse dans ces pensées et dans ces dogmes que Celse prend pour des fables[48].

En justifiant ainsi le Juif péripatéticien et l'auteur des Allégories de la Loi, Origène justifiait Athénagore, et Clément d'Alexandrie, son maître, qu'il dépassa de beaucoup dans la voie où il s'engagea après eux avec son génie ardent et sa vive imagination. Il emprunte les comparaisons mêmes de Philon pour relever l'excellence de l'explication allégorique. Le sens littéral est comme le corps de J.-C. que les incrédules voient, et le sens mystique, comme la Divinité unie à la nature humaine, et qui n'est vue que des saints. L'un est l'écorce dure de l'amande que la verge d'Aaron produisit, et l'autre le fruit délicieux qu'on ne goûte qu'après avoir cassé l'amande. Aussi changea-t-il comme Philon toute l'histoire de la création en allégorie ; il lui est arrive même, comme à son modèle, de traiter quelquefois de mythe le récit. Il prétendit que J.-C. n'aurait jamais permis à ses disciples de lire l'histoire des guerres d'Israël, s'ils n'en avaient expliqué allégoriquement tous les points[49].

De telles exagérations nous font comprendre les accusations dont Origène fut assailli, lorsqu'il voulait percer le sens caché des Écritures. On conçoit que ses amis eux-mêmes l'aient accusé et quelquefois abandonné, sous prétexte qu'il creusait inutilement des puits, pendant que la vérité doit se trouver à la surface de la terre[50]. De plus, à l'aide du système large et complaisant des symboles et des emblèmes, on pouvait facilement voir partout la sagesse révélée et faire ressortir de toute espèce de doctrines, en les tourmentant, des rapports avec la nouvelle religion. Clément d'Alexandrie s'autorisait de cette sorte à appeler la doctrine de Pythagore une philosophie hébraïsante[51]. Origène, et après lui Eusèbe[52], se donnaient la facilité devoir la description de l'origine de l'univers dans ce passage de Platon : Les dieux, après la naissance de Vénus, célébrèrent un grand festin dans lequel Poros s'enivra. A la fin du repas, la Pauvreté vint à la porte du palais pour mendier les restes. Elle trouva Poros dans le jardin, profondément endormi… Vénus, dit l'évêque de Césarée avec Origène, est la nature qui parut alors. Le festin montre l'abondance de biens dont la nature fut enrichie. Vous trouvez dans Poros Adam qui s'abandonne au plaisir, qui s'en enivre. La Pauvreté, c'est le malin esprit qui profite de cet état pour le tenter. C'est toujours par le moyen du même artifice, si familier à Philon, que l'on a pu voir, dans un passage du Banquet[53] où, selon Basnage, on ne trouve rien qui soit digne d'un philosophe, à plus forte raison de l'admiration des chrétiens, une paraphrase de la Genèse sur la création de la femme et un véritable plagiat de Moïse[54].

On a poussé, dans nos temps modernes, la complaisance encore plus loin. Hésiode, Ovide, a-t-on dit, ont fait leurs dieux des anciens patriarches ; ils ont tiré leurs fables des plus belles vérités de l'Écriture. Socrate n'aurait pas été condamné à mort, s'il n'avait pas trouvé l'unité de Dieu dans les livres saints. Aristote y a puisé les plus beaux traits de sa morale[55]. Au XVIIe siècle, le savant évêque d'Avranches croyait encore que Pan, Apollon, Priape, Esculape, Prométhée, Cécrops, Minos, Amphion, Éaque, Rhadamanthe, enfin, toute la foule des génies, des demi-dieux ou des personnages fabuleux, n'étaient autre chose que Moïse, et par l'allégorie il réussissait à en donner des preuves dont plusieurs personnes se déclaraient satisfaites.

Ce sont là les prétentions de l'école juive poussées jusqu'à leurs dernières limites. Nous ne pouvons pas, il est vrai, ranger ces amis outrés des allégories parmi . les imitateurs de Philon. Il est possible qu'ils ne l'aient pas même connu. Mais ils se sont laissé conduire par les chefs de l'école chrétienne d'Égypte, qui suivaient eux-mêmes les traces du Juif platonicien.

Ceux-ci ont en effet souvent reproduit les allégories du philosophe alexandrin elles-mêmes. Nous pourrions ajouter, qu'en cela, ils ont été imités par une foule d'auteurs du moyen âge. Nous nous bornerons à citer ici quelques exemples des emprunts nombreux faits par les membres du didascalée à l'école juive.

Philon et Clément d'Alexandrie comparent l'un et l'autre Agar à la philosophie et Sara à la vertu. De même que la première est la servante de la seconde, ainsi la sagesse profane doit rester soumise à la vérité qui vient d'en haut. Abraham demeure longtemps avec Sara sans postérité, c'est-à-dire — d'après l'auteur des Stromates, marchant presque pas à pas à la suite de son modèle —, que le chrétien ; tant qu'il cultive seulement la sagesse divine, ne produit pas de fruits abondants. Abraham, avec le consentement de Sara, s'unit à Agar. Il présente alors l'image du chrétien qui doit étudier la sagesse de ce monde, ou la philosophie, la sagesse divine ne s'y opposant pas. Enfin Abraham, après que sa servante eut donné le jour à Ismaël, eut bientôt un fils de Sara elle-même. Il faut comprendre par là que lorsque le chrétien joint les sciences humaines à là sagesse divine, il peut étendre au loin les victoires du christianisme et être très-utile à l'Église[56].

Clément d'Alexandrie et Philon voient également dans l'arche où Noé se renferme avec sa famille une image du monde que l'intelligence seule peut comprendre, tandis qu'il est inaccessible aux yeux du vulgaire et des ignorants. Le vêtement du grand pontife est encore le symbole du monde qui tombe sous les sens. L'auteur des Stromates trouve, comme Philon, une signification symbolique aux trois cent soixante sonnettes suspendues à la robe du grand prêtre des Juifs. Seulement le Platon d'Alexandrie découvrait dans l'harmonie de l'airain un symbole de l'accord qui règne entre la terre et l'eau figurées par les fleurs et les grenades, ornements du vêtement pontifical ; d'après Clément d'Alexandrie, les sonnettes annonçaient d'avance le nombre d'années qui séparaient le monde de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ[57].

Les chefs du didascalée avaient encore puisé-dans Philon leur confiance en la vertu des chiffres et des lettres. Ils ont :eu, dans la suite, un grand nombre d'imitateurs. Il n'est presque pas d'auteurs ecclésiastiques au moyen âge qui n'ait eu sur ce point sa théorie particulière, son système favori. Ceux qui écrivirent à Alexandrie, s'attachent le plus souvent aux nombres mêmes célébrés par le Juif imitateur de Pythagore et de Platon, et leur reconnaissent les mêmes propriétés.

5° On a attribué des erreurs monstrueuses aux Pères de l'Église et aux auteurs ecclésiastiques qui vécurent en Égypte ou furent en rapport avec les docteurs du didascalée, principalement à Clément d'Alexandrie et à Origène. Selon Photius[58], le livre des Hypotyposes, que nous n'avons plus, était rempli des opinions les plus étranges et de doctrines contraires à celles de l'Église catholique. Les œuvres que nous possédons du disciple de saint Pantène font justice de toutes les exagérations, pour ne laisser aux accusations que leur véritable valeur. Nous dirons même, sans prétendre le justifier entièrement, puisqu'il a été condamné par plusieurs conciles, qu'Origène ne s'est pas laissé entraîner dans tous les égarements qu'on lui a reprochés plus tard. Il faut se rappeler qu'il a compté des amis dévoués et des défenseurs ardents parmi les évêques les plus distingués par leur science et par leur vertu, et qu'il n'a cessé lui-même de se plaindre des hérétiques, qui dénaturaient les paroles échappées à l'ardeur de l'improvisation dans le didascalée, ou qui altéraient ses ouvrages pour mettre sous son puissant patronage des doctrines impies. Il paraît toutefois hors de contestation que les œuvres des deux plus célèbres représentants de l'école chrétienne d'Égypte présentent, dans certains passages, des idées, contredites à la vérité dans d'autres, et contraires à l'ensemble de leur enseignement, mais qui sont comme des réminiscences des erreurs de Philon.

Ainsi Clément d'Alexandrie, qui rejette expressément, dans le sixième livre des Stromates[59], l'éternité de la matière, et admet, dans un autre endroit, qu'elle a été créée, non pas par un démiurge[60] différent de Dieu, mais par la volonté du Tout-Puissant[61], oublie ailleurs son propre sentiment et semble passer dans l'école juive pour reconnaître, avec Philon et les philosophes de l'antiquité, une matière incréée à laquelle Dieu donna la forme, la vie et le mouvement[62]. Il avance, trompé par l'auteur du traité des Allégories de la Loi, que ces paroles de la Genèse : La terre était invisible et informe, donnèrent aux sages de l'antiquité l'idée de l'éternité de la matière[63]. Dans un autre passage, il ne blâme pas Héraclite d'Éphèse et ne rejette pas son opinion sur le monde que n'a créé ni un Dieu, ni un homme, mais qui a été, est, et sera toujours, feu perpétuel ayant le privilège de s'allumer et de s'éteindre tour à tour[64].

Origène n'est pas moins explicite que son maître sur la création e nihilo. La nier est à ses yeux une absurdité des plus révoltantes[65]. Et, plus loin, il sacrifie à son tour, sans doute à son insu, aux traditions des Juifs alexandrins[66]. Clément croyait encore, avec l'école juive de l'Égypte, qu'après certaines périodes d'années, la forme de cet univers sensible périrait pour renaître ensuite[67]. Son opinion a été partagée par Origène[68] et par Eusèbe Pamphile[69]. L'élève d'Ammonius et de l'auteur des Stromates croyait, de plus, à un monde antérieur au nôtre, et à la préexistence des âmes[70], qui n'étaient attachées à une chair corruptible que pour avoir abusé jadis de leur libre arbitre dans une vie meilleure[71]. Certaines intelligences supérieures, auxquelles, comme Philon, il donne le nom d'Anges, ont été placées par lui dans le soleil, la lune et les étoiles, qui leur servent comme de corps[72]. Ces astres sont doués de raison, ils connaissent Dieu, le louent et le prient ; ils sont. sujets au péché et par conséquent au jugement de Dieu[73].

Clément d'Alexandrie s'était, avant Origène, montré sur ces différents points, mais d'une manière moins tranchée, le disciple de l'école juive[74]. En outre, il admettait les idées éternelles et prototypes du fondateur de l'Académie, et, comme Philon, il a prétendu que les philosophes de la Grèce les avaient tirées des livres de Moïse[75]. Égaré par son guidé infidèle, il a cru que la chute des anges était la punition de leur commerce avec les filles des hommes, et que les géants étaient issus de cette monstrueuse alliance[76].

La doctrine de Clément d'Alexandrie et d'Origène sur le Verbe, souvent d'accord avec celle du christianisme[77], devient inexacte et sent l'arianisme quand ils se laissent aller au courant de la tradition. juive, qui les entraînait vers le platonisme de Philon. Le savant père Petau remarque, en effet, que, chez les auteurs ecclésiastiques qui ont vécu dans le didascalée, ou sous l'influence de ses docteurs, le Verbe n'est pas toujours représenté comme égal au Père[78]. Ainsi que chez le Juif platonicien, il est pour ces auteurs la première manifestation des puissances divines, le premier-né, le premier archange, un Dieu inférieur créé par le Père auquel il est soumis[79].

On ne sera pas étonné que, dans des siècles où l'Église n'avait pas encore fixé le langage de la foi ni marqué bien nettement les limites de l'orthodoxie catholique, de telles divergences éclatent chez les docteurs mêmes les plus célèbres. Elles nous montrent le besoin que le christianisme avait de l'autorité infaillible donnée à saint Pierre et à ses successeurs, et la sagesse du Sauveur du monde qui a institué cette autorité pour mettre un terme aux hésitations, arrêter les irrésolutions et diriger les meilleures intelligences, promptes à s'égarer, quand elles sont livrées à leurs propres forces. Ce n'est pas la doctrine qui était alors incertaine et changeante, mais les hommes qui étaient faibles, comme ils le seront toujours. Il fallait, au contraire, que le christianisme fût bien complet dans ses dogmes pour que des hommes tels qu'Origène, accusés de passer dans le camp du mensonge et de l'erreur, loin de songer à crier contre l'innovation, ne pensassent qu'à se justifier et à décliner la responsabilité des doctrines qu'on leur attribuait.

6° On apprécie bien mieux d'ailleurs toute l'étendue des dangers qui menaçaient le christianisme naissant et les écueils cachés de toutes parts sous les pas des Pères de l'Église, quand on jette un coup d'œil sur les hérésies, si nombreuses autour d'eux, qu'à peine pourrait-on les compter. Or, c'est, selon saint Théophile, Origène et Tertullien, la philosophie païenne introduite d'abord dans le judaïsme par l'école d'Alexandrie, qui fut cause de tous les désordres dont nous apercevons le désolant tableau auprès du berceau de l'Église naissante de J.-C. Ce n'était pas, il est vrai, la philosophie qui prépare à la doctrine royale[80], mais celle qui n'est que le bruit des folies et des chimères d'une foule de faux sages, inventeurs de vaines fictions et de ridicules inepties[81], que l'apôtre saint Paul appelait inanem fallaciam[82]. Mais, telle fut la fausse sagesse qui donna naissance à toutes les hérésies gnostiques. Les précurseurs et les principaux chefs de ces sectes absurdes, impies, souvent ridicules, ont eu pour la plupart des rapports avec Alexandrie. Simon le Magicien, Cérinthe, Valentin, que saint Irénée place à la tête de tous les gnostiques, Basilide et son fils Isidore, et une foule d'autres, ont habité la capitale de l'Égypte, ou ont connu les doctrines des Juifs habitants de cette cité. Aussi, à travers la diversité des doctrines de ces sectaires qui se sont appelés Ophites, Basilidiens, Valentiniens, Caïnites, Sethiens, etc., reconnaît-on des principes généraux et des tendances identiques qui annoncent une influence commune. Tous s'accordent à admettre l'éternité de la matière, naturellement mauvaise et principe de tout mal ; à attribuer, par conséquent, à des divinités inférieures, sorties de Dieu par émanation, et appelées Éons, la création du monde et de l'homme ; à faire du Verbe le premier de ces esprits émanés de la substance divine ; à nier la liberté de l'homme. Tous ils font sortir leurs rêveries des Écritures qu'ils expliquent par le moyen des allégories. Ils mêlent les doctrines de Pythagore, de Platon, d'Aristote, de Zénon à celles des Égyptiens et des Parses. Or, ce sont là les doctrines de Philon, poussées jusqu'à leurs dernières conséquences ; c'est sa méthode appliquée en Égypte, en Asie-Mineure, en Italie, en Syrie, et consistant à mêler au christianisme les dogmes de ces différentes contrées, comme le Juif alexandrin avait allié à la religion du Sinaï les doctrines qui régnaient dans la capitale des Lagides.

Lorsque le christianisme fut sorti vainqueur de sa lutte avec le gnosticisme, il fut encore déchiré par une hérésie qui avait aussi pris naissance dans les écoles juives de l'Égypte.

Nous avons vu que les doctrines de Platon sur le Verbe, introduites par Philon dans le judaïsme, avaient quelquefois égaré les chefs du didascalée. Arius, placé lui-même parmi les docteurs de l'école chrétienne d'Alexandrie[83], poussé par l'orgueil, cause ordinaire de la révolte contre tous les pouvoirs, voulut imposer comme dogme à toute l'Église l'héritage impur de l'éclectisme du Juif platonisant.

Il s'appuie sans doute sur la tradition qui l'a égaré, quand il dit : Conformément à la croyance des élus de Dieu, de ceux qui ont l'expérience de Dieu, des fils des saints, des orthodoxes, de ceux qui ont reçu l'esprit de Dieu ; moi, leur compagnon, j'ai appris ces choses des hommes participants de la sagesse, qui, instruits par Dieu, sont sages en toutes choses. Ayant les mêmes sentiments, moi, j'ai marché sur leurs traces, moi, dis-je, le célèbre, qui ai tant souffert pour la gloire de Dieu, et qui, éclairé de Dieu, ai reçu la sagesse et la connaissance[84]. Du reste, les principes sur lesquels il s'appuie, ressemblent à ceux que nous connaissons déjà. Dieu n'a pu créer le monde directement, et sans intermédiaire ; car il est indigne de la Divinité d'agir immédiatement sur une vile matière, incapable de supporter son action[85]. Il s'est servi, dans cette œuvre, d'un être intelligent et actif, d'un ordre supérieur[86]. Cet être, élevé au-dessus de la création, parce qu'il existait avant elle, est le Logos, le Verbe, ou la sagesse. Le Fils de Dieu n'a donc pas toujours existé, il fut un temps où il n'était pas, il n'était pas avant d'être fait[87]. Il y a un grand nombre de vertus, et de vertus de Dieu, dit-il encore, et le Logos, le Fils, n'est qu'une de ces vertus, un de ces verbes[88].

Il est facile de reconnaître la filiation de semblables doctrines. Ainsi l'éclectisme alexandrin de Philon, que l'on a représenté comme le principe fécond qui a donné au christianisme la naissance et la vie, a été plutôt la cause de troubles profonds dans l'Église et d'attaques assez violentes pour la faire succomber, si elle n'avait été soutenue par le bras du Tout-Puissant.

7° Enfin l'école juive exerça aussi, au moins indirectement, son influence sur l'école philosophique d'Alexandrie, sur Ammonius, et par lui, sur Plotin, Porphyre, Jamblique[89]. En effet, le maître du premier de ces philosophes, le pythagoricien Numenius, connaissait Philon : il avait médité ses ouvrages. Il les admirait tellement qu'il est tenté d'y chercher plutôt que dans Platon le véritable type du platonisme.

Les philosophes éclectiques, en s'appuyant sur les allégories et les symboles, firent entrer dans le paganisme les vérités du christianisme. Ils renouvelèrent donc, pour vivifier les doctrines païennes, le stratagème employé par les Juifs alexandrins, pour souiller les doctrines de Moïse. Ils transformèrent les Sages de la Grèce pour en faire les maitres des chrétiens, comme auparavant, les imitateurs d'Aristobule, après avoir altéré, en aveugles, leur législation, avaient changé les philosophes grecs en disciples de Moïse. Les Israélites d'Égypte avaient abaissé le Dieu créateur et maitre de l'univers, en le comparant au Jupiter des gentils ; les païens relevèrent leurs divinités, en les représentant semblables à celle des chrétiens[90], Les Juifs oublient la tradition sublime de leurs pères sur l'auguste Trinité, pour ne voir dans la seconde personne du mystère que le Logos de Platon ; les néoplatoniciens attribuent à Platon la connaissance du Verbe des chrétiens[91]. Tandis que les premiers substituaient la morale toute humaine des stoïciens à la morale divine de leur législateur, les seconds apposaient à leurs doctrines le cachet de la religion révélée.

Le meilleur culte, disait Porphyre dans sa lettre à Marcella, que tu puisses rendre à Dieu, c'est de former ton âme à sa ressemblance. On n'atteint à cette ressemblance que par la vertu ; car la vertu seule élève l'âme vers la patrie d'où elle est issue. Il n'est rien de grand après Dieu que la vertu, mais Dieu est plus grand que la vertu. Celui qui pratique la sagesse pratique la science de Dieu ; sans être toujours en prières et en sacrifices, il montre sa piété par ses œuvres. Car on ne se rend pas agréable à Dieu en se réglant sur les préjugés des hommes et sur les vaines déclamations des sophistes ; c'est l'homme lui-même, par ses propres œuvres, qui se rend agréable à Dieu, qui se divinise en conformant son âme à l'être qui jouit d'une incorruptible béatitude. L'impie n'est pas tant celui qui n'honore pas les statues des dieux, que celui qui mêle à l'idée de Dieu toutes les superstitions du vulgaire. Pour toi, persuade-toi qu'on ne peut se faire une idée assez élevée de Dieu, de sa béatitude et de son incorruptibilité. Le plus grand fruit de la piété, c'est d'honorer la Divinité et notre patrie céleste ; non que Dieu ait besoin de notre culte, mais sa sainte et bienheureuse majesté nous invite à lui offrir nos hommages. Il ne peut être nuisible de sacrifier sur les autels ; il ne peut être utile de s'en abstenir. Mais celui qui honore Dieu dans la pensée qu'il a besoin de nos hommages, déclare, sans le savoir, qu'il est supérieur à Dieu... N'altère pas la notion de la Divinité par les préjugés du vulgaire. Sache que l'âme bien réglée et pleine de l'esprit divin, entre en union avec Dieu, car le semblable s'unit nécessairement au semblable. Quant aux victimes de la foule insensée, ce sont des aliments pour la flamme, et ses offrandes une proie pour les sacrilèges. Mais toi comme je te l'ai dit, fais de ton propre cœur le temple de Dieu[92].

Après avoir rendu en quelque sorte chrétiens les-grands hommes de l'antiquité, Orphée, Pythagore, Platon, et s'être, à leur insu, tant rapprochés eux-mêmes de la religion de Jésus-Christ, les néo-platoniciens se donnèrent la facilité d'accuser le christianisme de plagiat et de refuser de passer dans les rangs des hommes dont ils croyaient posséder depuis longtemps les doctrines. Celse renvoyait les adorateurs de Jésus-Christ à Orphée et à Platon, et Plotin leur disait : Les Grecs avaient avant vous parlé, avec clarté et simplicité, des efforts de l'âme pour sortir de la caverne et pour s'élever insensiblement à la contemplation du vrai. Des dogmes qui composent la doctrine de ces novateurs, les uns sont dérobés à Platon ; les autres, qui constituent leur doctrine propre, sont contraires à la vérité. C'est ainsi que les jugements, les fleuves des enfers, les transmigrations des âmes, les trois principes du monde intelligible, l'Être, l'Intelligence et le Démiurge, l'âme elle-même, sont empruntés aux paroles de Platon dans le Timée... C'est à Platon qu'il faut rapporter toutes ces doctrines, si l'on veut dire la vérité. Tout ce que les anciens nous ont transmis sur les choses intelligibles sera toujours regardé comme ce qu'il y a de meilleur et de plus savant par ceux qui ne se laissent pas séduire à l'erreur[93].

Les Juifs d'Égypte, guides infidèles qui ont, comme nous l'avons vu, fait tomber certains auteurs ecclésiastiques dans les erreurs de la philosophie païenne, et causé plusieurs des hérésies qui déchirèrent le christianisme, ces Juifs ont donc encore suscité le plus grand obstacle à sa propagation. C'est sous leur influence que le paganisme, pour combattre une religion divine, ranima sa puissance expirante, en se parant des ornements de la vérité apportée au monde par Jésus-Christ, et se revêtit en quelque sorte des armes du christianisme. Depuis Celse et Porphyre jusqu'à Julien, et jusqu'à l'édit de Justinien qui anéantit l'école d'Alexandrie, l'erreur imita, pour se maintenir, l'exemple que les Israélites d'Égypte avaient donné les premiers pour convertir les gentils dont ils étaient environnés. Dans la capitale des Lagides, l'école juive a formé les nuages que certains esprits ont cru remarquer autour du berceau du christianisme. Elle a voulu, dans Alexandrie, opérer la fusion de toutes les doctrines, qui s'étaient donné rendez-vous en cette vaste cité, et elle a corrompu la loi de Moïse ; mais à Jérusalem la vérité-restait intacte dans le sanctuaire du judaïsme, et c'est de là qu'elle sortit pour éclairer et transformer le monde.

 

CONCLUSION.

1° Les Juifs d'Alexandrie n'ont pas cessé de se livrer à des travaux littéraires, depuis le règne de Ptolémée Soter jusques au temps de Philon. Ils ont commencé par la traduction des livres de l'Ancien Testament en grec ; ils ont ensuite composé des poésies sous le nom d'Orphée, de Linus, d'Homère, d'Hésiode, d'Eschyle, de Sophocle, d'Euripide, de Ménandre, de Diphile, de Philémon, des Sibylles ; puis des histoires qu'ils ont faussement attribuées à Aristéas, à Hécatée d'Abdère, à Cléodème, à Arta pan, à Cornélius Alexandre Polyhistor ; enfin ils ont fait des interpolations dans les œuvres des philosophes, de Mercure Trismégiste, de Phocylide, de Pythagore.

2° Ces travaux marquent à la fois le but que poursuivirent les Juifs établis dans la capitale des Lagides et les ruses différentes successivement employées par eux pour l'atteindre. Les Israélites veulent convertir les Grecs à leur religion ; pour y réussir, ils font des grands hommes de l'antiquité grecque des plagiaires de la loi mosaïque ; ils font des personnages illustres de la Judée les premiers auteurs de la sagesse profane ; ils attaquent les Égyptiens qui s'opposent au succès de leur prosélytisme ; ceux-ci les calomnient à leur tour et les persécutent. Les mêmes travaux indiquent aussi la nature des rapports des Juifs de l'Égypte avec leurs frères de la Palestine.

3° L'école juive d'Alexandrie paraît n'avoir eu aucune influence ni sur les païens, ni sur les Juifs de Jérusalem qui restèrent à l'abri des erreurs de Philon et de ses coreligionnaires établis sur les rives du Nil ; mais elle a laissé des traces dans les ouvrages des Pères des premiers siècles de l'Église d'Égypte, surtout dans ceux de Clément et d'Origène.

 

FIN DE L'OUVRAGE.

 

 

 



[1] Eus., Hist. eccl., l. II, c. XVI.

[2] Catal. Vir. illust., c. XXXVI, p. 107.

[3] Adv. hær., l. II, p. 428.

[4] Orig., contr. Cels., l. I.

[5] Vacherot, Hist. de l'école d'Alex., t. I, préf. p. IV.

[6] Phil., Adversus Flaccum, t. II, p. 525.

[7] Phil., De leg. ad Caïum, t. II, p. 573.

[8] Eus., Prép. év., l. VIII, c. XVII.

[9] Orig., contr. Cels., l. V.

[10] Baron., Ann., t. I, p. 629.

[11] Josèphe, Bel. jud., l. VII, c. XXIX et sq.

[12] Hist. rom., lib. LXXVII, c. 7, 22.

[13] Jul., Epist. 45.

[14] Orig., contr. Cels., l. III.

[15] Eus., Hist. eccl., l. V, c. X.

[16] Catal. Vir. illustr., c. XXXVI, p. 107.

[17] Guericke, De schola catech., p. 15 et sq.

[18] Guericke, De schola catech., p. 108.

[19] Vacherot, Hist. de l'école d'Alexandrie, t. I, p. 167.

[20] Strom. I, p. 274.

[21] Jul. Afr., Chr.

[22] S. Just., Cohort. ad Græcos, p. 47.

[23] Eus., Hist. eccl., l. VIII, c. VIII.

[24] Theod., Serm. 4 ad Grœcos, p. 471, 472, 486.

[25] Ambr., in Psalm. CXVIII, Serm. 2, 4, 5, 43, et lib. De fuga sæculi, l. VIII.

[26] Aug., Civ. Dei, l. VIII, c. XI.

[27] Clem. Alex., Str. I, p. 223.

[28] Eus., Prép. év., l. XI et XII.

[29] Clem. Alex., Str. V, p. 431.

[30] Eus., Prép. év., l. II, c. XVII.

[31] Clem. Alex., Str. V, p. 401.

[32] Eus., Hist. eccl., l. VI, c. XVIII-XIX.

[33] Eus., Hist. eccl., l. V, c. X. Hieronym., De script. eccl., c. XXXVI.

[34] Clem. Alex., Str. I, p. 204.

[35] Clem. Alex., Str. I, p. 207.

[36] Orig. Epist. ad Greg. Thaum., vol. I, p. 30.

[37] Clem. Alex., Str. I, p. 231.

[38] Clem. Alex., Str. I, p. 209.

[39] Contr. Cels., l. I, c. III, p. 476.

[40] Contr. Cels., l. III.

[41] Orig., contr. Cels., l. III.

[42] Eus., Hist. eccl., l. VI, c. III, XVIII et XIX.

[43] Greg. Thaum., Orat. in Orig., c. VI, XIII-XVI.

[44] Eus., Hist. eccl., l. VI, c. XVIII-XIX.

[45] Cod. CV, p. 150.

[46] Orig., contr. Cels., l. IV.

[47] Orig., contr. Cels., l. IV.

[48] Orig., contr. Cels., l. IV.

[49] Orig., contr. Cels., l. IV.

[50] Orig., in Exod., hom. I et II, in Gen., h. XIII.

[51] Clem. Alex., Str. V, p. 408.

[52] Eus., Prép. év., l. II, c. II. Cf. Plat., Sympos., p. 201

[53] Eus., Prép. év., l. XII, c. III.

[54] Basnage, Hist. des Juifs, t. II, p. 958.

[55] Macé, Abrég. chron. et hist. de l'Anc. et du Nouv. Testament.

[56] V. Guericke, Schola christ. Alexandriæ, p. 14.

[57] V. Guericke, Schola christ. Alexandriæ, p. 14.

[58] Bibl. gr. Cod. CIX, p. 285, éd. Rothom.

[59] Clem. Alex., Str. VI, p. 846.

[60] Clem. Alex., Str. IV, p. 571.

[61] Clem. Alex., Str. I, v. 347.

[62] Joan. Clericus, Epist. crit., ep. I, p. 12 et 13.

[63] Joan. Clericus, Epist. crit., ep. I, p. 12 et 13.

[64] Clem. Alex., Str. V, p. 437.

[65] De princ., II, 1, 4, p. 78, et Comm. in Gen., vol. II, 2, 3.

[66] De princ., III, 5, 3, p. 449.

[67] Clem. Alex., Str. V, p. 437.

[68] Orig., in Is., LXVI, 22.

[69] Eus., Prép. év., l. XI, c. XXXIII et sq.

[70] Orig., In Matt., l. XV, 44 et sq. Cf. Phil., De Abraham, t. II, éd. Mang. p. 37, 604.

[71] De princ., I, 7, 4, p. 72.

[72] Comm. in Job.

[73] Hom. IV, 2 in Ezech. v. III. Cf. Phil., t. II, éd. Mang. p. 213.

[74] Guericke, l. c., p. 186, 187 et sq. et 141 sq.

[75] Str. V, p. 425 et 433.

[76] Phot., Bibl. Cod. CIX, p. 285, éd. Rothom.

[77] Petav., Theol. dogm. de Trinit., l. I, p. 16, 19.

[78] Petav., Theol. dogm. de Trinit., l. I, c. III et IV.

[79] Petav., Theol. dogm. de Trinit., l. I, p. 11, 13, 19 sqq.

[80] Clem. Alex., Str. I, p. 263.

[81] Clem. Alex., Exh. ad gentes, p. 49.

[82] Epist. ad Coloss., c. II, 8.

[83] Guericke, l. c., p. 442.

[84] Arius ap. Ath., Orat. I, n. 6.

[85] S. Ath., Orat. II, contr. Ar., II, 24 et 30.

[86] Ath. Ib. Orat. I, n. 5.

[87] Ar. ap. Ath., Orat., I, n. 5.

[88] Arius ap. Ath., Orat., II, n. 37.

[89] Vacherot, Hist. de l'école d'Alex., t. I, p. 167.

[90] Plotin. Enn. V, VIII, 13, 12.

[91] Vacherot, t. I, l. III, ch. I.

[92] Porphyre, Epist. ad Marcellam, 16-19.

[93] Plot. Enn. II, IX, 6.