ALEXANDRE LE GRAND ET LES VILLES D'ASIE

 

Par Élias BICKERMANN.

Revue des Études Grecques, 1934.

Mise en page de Marc Szwajcer

 

 

Alexandre menait à la victoire les cavaliers macédoniens comme roi héréditaire ; il commandait les contingents grecs comme « Chef » (γεμν) de la Ligue Hellénique et généralissime (στρατηγς ατοκρτωρ) de ses troupes.[1] Sur les champs de bataille il est devenu, par la grâce de Niké, le maître des peuples d'Asie. Son offrande à Athana Lindia portait l'inscription : « consacrée par le roi Alexandre, quand il l'emporta par les armes sur Darius et devint seigneur de l'Asie[2] ».

Le roi des Macédoniens, l'« hégémôn » des Hellènes, le conquérant de l'Asie, voilà trois faces différentes, mais également nettes, de l'autorité dont Alexandre jouissait à l'égard des trois parties de son Empire.[3] Mais quel fut le statut des Grecs d'Asie, des citoyens des villes anciennes et célèbres d'Ionie ou d'Éolide, après la conquête ? Alexandre a-t-il respecté leur hellénisme ? Ou bien adjoignit-il ces villes à la Macédoine, comme Philippe l'avait fait pour les colonies grecques sur le littoral thrace ? Ou bien le vainqueur traita-t-il ces Hellènes, soumis au Grand Roi, de la même manière que les autres sujets de Darius ? Autrement dit : on peut se demander si les villes grecques de l'Asie-Mineure sont devenues, comme les États de la Grèce, des alliées d'Alexandre, ou ont été incorporées à la Macédoine, ou bien sont restées une partie de l'immense « royaume d'Asie ».

I

L'opinion commune est aujourd'hui que les villes grecques du continent asiatique jouirent, une fois affranchies, du même statut que les États de la mère-patrie.[4] On n'est pas d'accord seulement sur cette question accessoire : ces villes furent-elles agrégées à la Ligue corinthienne, ou bien restèrent-elles en dehors de l'Union ?

Malheureusement, cette théorie attrayante ne peut être appuyée sur aucun témoignage antique. Ce n'est qu'une doctrine moderne, avancée, semble-t-il, par Droysen,[5] et proposée par lui sans preuves ; disons mieux : soutenue par l'autorité d'une seule preuve, dont la fausseté est maintenant évidente. Droysen croyait que les villes d'Asie étaient sous Alexandre en possession du droit de monnayage et il en tira la conclusion qu'elles étaient souveraines. Mais précisément ce droit fit alors défaut, nous en sommes sûrs aujourd'hui, aux villes qui nous occupent.

Cependant, l'opinion de Droysen a fait fortune. Transmise d'une génération de savants à l'autre, sa doctrine est devenue une conviction générale. Elle est professée aujourd'hui par les érudits les plus autorisés à parler en pleine connaissance de cause de l'œuvre d'Alexandre : G. Radet[6] ; W. W. Tarn[7] ; U. Wilcken[8]. Pour faire loi, elle ne manque encore que de preuves.

Du reste, on tend actuellement à admettre la thèse selon laquelle Alexandre aurait introduit les Grecs d'Asie dans la Ligue corinthienne. Voici un exemple[9] des arguments invoqués en ce sens. Philoxénos, le « sous-chef du Littoral » asiatique,[10] transmettait les ordres d'Alexandre aux Grecs d'Asie, aussi bien qu'aux îles égéennes qui étaient dans la Confédération hellénique. On en conclut que les villes d'Asie furent aussi membres de la Ligue. Mais ce raisonnement est spécieux. Antipater représentait Alexandre devant la Ligue, mais aussi devant Sparte, les Thraces ou la Macédoine ; il serait vraiment téméraire d'en tirer la conséquence que les Lacédémoniens ou les Thraces participaient, en dépit de l'histoire, à la Société des États de Corinthe. En présence de telles indications,[11] au moins insuffisantes, U. Wilcken lui-même remarque[12] : « Il est difficile de dire comment Alexandre a organisé les Grecs d'Asie, une fois affranchis, car notre tradition est presque entièrement muette sur ce point ».

En effet, les témoignages directs font défaut pour soutenir l'« opinio communis ». Mais ils manquent aussi pour la réfuter. En ce sens, je ne puis avancer que deux arguments, qui me semblent intéressants, mais non décisifs :

Il est clair que les communautés soumises à un satrape ou un despote ne sont pas des États libres. Or, la ville grecque[13] de Gambreion en Mysie faisait partie en 326/5 de la satrapie lydienne.[14] La tradition[15] nous enseigne encore qu'en 324 Alexandre a offert à Phocion, à son choix, Mylasa en Carie, Kios, colonie de Milet, la ville éolienne d'Élaia, enfin Gergithes en Troade (ou Patara en Lycie).[16] Alexandre dispose ainsi de ces villes grecques d’Asie de la même manière et avec la même plénitude de pouvoir que son prédécesseur Artaxerxés, qui fit don à Thémistocle de Magnésie, de Myous et de Lampsaque.

Ces renseignements prouvent que les villes susdites, et naturellement d'autres encore, furent la propriété du roi, donc ne furent ni libres, ni participantes à la Ligue corinthienne. Mais cette constatation n'exclut pas la possibilité que d'autres communautés, plus heureuses, aient joui de tous leurs droits.

L'autre argument contre l'opinion commune est d'une portée plus générale. Alexandre se réserva, on le sait,[17] la frappe de l'or et de l'argent en Asie. La monnaie du roi était la seule qui eût pouvoir libératoire illimité. En conséquence, les émissions des villes d'Asie, si abondantes sous la domination perse, cessent sous Alexandre.[18] Les ateliers de Lampsaque, pour nous borner à cet exemple, ne frappent plus depuis 333 ces « Lampsacènes[19] » qui avaient jusqu'alors le meilleur cours dans le commerce mondial.[20] On émet à Lampsaque, comme à Myriandros, à Milet, à Sardes, etc.,[21] seulement des pièces au titre unitaire de l'Empire (un statère d'argent à 8,6 gr.), marquées au coin du Roi. La seule frappe qui reste aux villes est celle de la monnaie d'appoint.[22] Il n'y a que les villes en dehors de l'Empire, comme Sinope,[23] dont les espèces rivalisent avec les « Alexandrines» dans la circulation universelle.

Or, le droit de monnayage était considéré par les Grecs comme la marque de la souveraineté.[24] Les États de la Ligue corinthienne n'en furent aucunement privés ; les Athéniens ou les Locriens frappaient à leur gré sous Alexandre.[25] La perte de ce droit par les villes d'Asie exclut leur entière indépendance vis-à-vis de l'Empire.

Mais cet argument numismatique n'a qu'une valeur limitée : Il y a des degrés et des variations dans la souveraineté. Les satrapes et les villes qui émettaient de l'argent et même de l'or sous les Achéménides ne devenaient pas pour cela indépendants de l'Empire perse. D'autre part, nous avons l'exemple de la Thessalie, dont les communautés ne frappent plus après leur union avec la Macédoine[26] : elle reste pourtant un État indépendant et participe à la Ligue de Corinthe.[27] Cette preuve suffit pour qu'on admette la possibilité d'un pareil statut des villes d'Asie.

Il ne reste donc, semble-t-il, qu'à renoncer à toute certitude pour ce cas, à suspendre son jugement jusqu'à la découverte de nouveaux témoignages plus significatifs ? Mais cet aveu d'impuissance blesse le sentiment d'un historien. En effet, notre tradition sur Alexandre est d'une richesse dont l'historien de l'antiquité n'est pas souvent gratifié. Nous lisons encore Arrien, Diodore, Plutarque, Quinte-Curce, Justin, etc. Ajoutez à cela que la Vulgate même de nos sources, dont les historiens modernes tiennent généralement peu de compte, fut créée par Clitarque vers 310 déjà.[28] Il est impossible, dirons-nous, que cette tradition, variée et contemporaine, ne renferme point de renseignements utiles sur le statut des Grecs asiatiques sous Alexandre. Il faut seulement, sans doute, qu'on la prenne différemment.

II

Le problème des relations d'Alexandre avec les Grecs d'Asie est, en effet, du nombre des questions mal posées. On le considère toujours du point de vue politique, depuis G. Grote, qui louait chez Alexandre une absence complète de sentiment national,[29] jusqu'aux historiens d'aujourd'hui qui aiment à voir dans le fils de Philippe l'apôtre du panhellénisme. Mais le problème fut aussi et surtout une question de droit public. Alexandre conquiert l'Asie ; les villes grecques de cette contrée restent-elles sous le régime du pays ou reçoivent-elles un autre statut ? Examinons le dilemme.

Si ces villes furent exceptées du royaume asiatique d'Alexandre, comme le suppose l'opinion commune des modernes, sans être agrégées à la Macédoine (il serait superflu d'insister sur l'impossibilité d'une telle situation),[30] il ne reste qu'à admettre qu'elles avaient été mises sur le même pied que les États de la Grèce. L'histoire admet donc ces conclusions : « Les villes affranchies sont devenues des alliées d'Alexandre, libres et indépendantes[31] ». Ou encore : « Toutes les villes grecques du Levant devaient être aussi libres qu'Athènes[32] ».

En vérité, on ne voit pas comment on pourrait combiner autrement le fait que ces villes d'Asie sont restées sous la dépendance d'Alexandre avec la théorie juridique moderne, selon laquelle elles furent exceptées de son royaume asiatique. Le fait est certain, mais la théorie donne à réfléchir.

Elle présuppose implicitement que les rapports entre Alexandre et ces villes étaient réglés par des conventions ; c'est-à-dire qu'elle exige une obligation mutuelle des parties, basée sur le consentement réciproque, exprimée en un contrat synallagmatique.[33] En effet, tels étaient, dans leur aspect juridique, les rapports entre Alexandre et la Ligue corinthienne. Après la mort de Philippe, Alexandre « persuada d'abord les Thessaliens de lui accorder l'hégémonie de la Grèce par un décret commun de la Thessalie[34] ». Ensuite il gagna d'autres États grecs. A l'automne de 336, au congrès de Corinthe, il conclut le pacte de la Ligue avec les confédérés. Le traité déterminait les droits et les obligations respectives des parties contractantes.[35]

Si les villes d'Asie furent reçues dans la Ligue, elles participaient à ce traité. Disons plus généralement : n'importe quelle forme d'alliance entre Alexandre et ces villes, toute variante de la théorie selon laquelle les villes grecques ne furent pas assujetties au royaume d'Asie, présuppose que le roi et la cité en question sont parties contractantes, qui s'engagent mutuellement de la même manière qu'Alexandre et les Grecs en 336. Cette conséquence inévitable une fois tirée, examinons si les faits s'accordent avec elle.

La tradition a gardé assez de témoignages sur les relations d'Alexandre avec les villes d'Asie. Ce ne sont que de « petits faits » isolés. Pour les apprécier sous l'angle du droit public, il faut saisir leur lien juridique. Pour trouver celui-ci, il suffit de reconnaître ces deux postulats : Alexandre était en guerre contre l'État perse ; ses conceptions des lois de la guerre étaient celles de son temps. Ces principes semblent évidents ; ils sont très simples ; pourtant, quelques explications sont, je crois, nécessaires. Elles éclaireront en tout cas cette façon de poser la question.

III

Quand, à la fin de l'année 338, Philippe fonda la Ligue grecque et que celle-ci proclama à Corinthe la guerre contre la Perse, l'ordre des choses qui avait dominé deux générations grecques se trouva renversé. Car le pacte d'Antalcidas, imposé aux Grecs par Artaxerxés en 386, était depuis lors la loi constitutive du droit des gens hellénique. Tous les traités politiques entre les États helléniques pendant cinquante années avaient pris pour base cette « paix du Grand Roi ». La Macédoine y avait adhéré en 371.[36] Les Perses ont stipulé encore en 333 avec les Mityléniens : ceux-ci renverseront les stèles du pacte de la Ligue et seront amis du Grand Roi « conformément à la paix d'Antalcidas conclue avec le roi Darius[37] ».

A la veille de la guerre, le statut international des cités grecques était donc réglé par la paix de 386. Or, ce traité prescrivait que les villes grecques d'Asie et les îles de Clazomène et de Chypre appartiendraient au Grand Roi, tandis que « toutes les autres villes grecques, petites ou grandes, seraient libres et autonomes[38] ». Les limites entre le monde grec et l'Empire perse étaient ainsi clairement tracées ; l'Empire enfermait aussi bien les villes helléniques que les pays barbares.

En franchissant avec ses troupes cette frontière d'Antalcidas, Alexandre mit le pied sur la terre ennemie. Quand, au printemps de 334, sa flotte approcha enfin du rivage perse, le roi, du navire où il se trouvait, lança son javelot qui vint se fixer en terre. Alexandre sauta ensuite sur le rivage, en s'écriant qu'il acceptait des Dieux l'Asie conquise à la pointe de la lance.[39] Or, ce sol ennemi, dont la prise symbolisait et promettait la conquête de l'Asie, ce fut la terre des Hellènes, la terre dardanienne : le débarquement eut lieu au Port des Achéens.[40]

Un an après, le vainqueur d'Issos écrit à Darius : « Je possède ton pays qui m'est donné par les Dieux… ; je suis maître de toute l'Asie[41] ». Ses actions sont conformes à ses déclarations. Aussitôt après la bataille du Granique, Alexandre organise l'administration du territoire conquis : il ne change rien au système perse ; seulement, le satrape est maintenant un officier d'Alexandre.[42]

Nous touchons ici à la différence entre la campagne de Perse d'Alexandre et celle d'Agésilas en 396 ou celle des Grecs en 479. Dans ces deux dernières on ne cherchait aucunement à faire des acquisitions territoriales en Asie. Le but n'était que de libérer ou de protéger les Grecs d'Asie. « Je suis venu — déclare Agésilas à Tissapherne — afin que les cités d'Asie soient aussi indépendantes que les cités de notre Grèce.[43] » Alexandre vient pour conquérir l'Asie « la lance à la main ». A l'automne de 334 il tranche d'un coup d'épée le nœud gordien : l'empire d'Asie était prédit à celui qui le dénouerait.

A la veille de la campagne d'Alexandre, la situation légale des Grecs d'Asie différait donc d'une façon fondamentale de celle des Hellènes d'Europe et des Iles. Ceux ci étaient libres ; ceux-là étaient sujets de Darius, en vertu du traité d'Antalcidas. « Les Hellènes d'Asie feront tous partie du domaine du Grand Roi.[44] » Pendant cinquante ans cette différence de statut avait fait loi pour Je monde hellénique. La deuxième confédération athénienne était ouverte à tous les Hellènes et les Barbares, sur le continent et dans les îles, en tant qu'ils n'appartenaient pas au Grand Roi.[45] La situation de 334 est ainsi une chose, et celle de 479 ou de 396 en est une autre.

Alexandre accepte ce fait. A l'été de 330, il fait arrêter l'envoyé des Athéniens à Darius ; mais il déclare en même temps que les Sinopéens, n'appartenant pas à la Ligue corinthienne et « assujettis aux Perses, ont agi parfaitement en envoyant des ambassades à leur roi Darius[46] ».

Ainsi, Alexandre tenait compte de la différence entre les Grecs libres et les Grecs sujets perses. Elle ne semble pas néanmoins avoir été justement appréciée par les historiens modernes. On peut lire par exemple qu'Alexandre a « affranchi » les îles égéennes.[47] Pourtant, elles étaient indépendantes depuis 386. Ces îles sont entrées dans la Ligue corinthienne ; le fait est attesté pour Chios, Mytilène, Ténédos.[48] On en a tiré la conclusion que la participation à la Ligue devait être admise aussi pour les Hellènes d'Asie.[49] Ce raisonnement par analogie — un Grec en vaut un autre — ne tient pas compte de la différence du statut. Alexandre a conclu un traité avec Ténédos.[50] Le fait est bien sûr. Mais il s'agit de savoir s'il pouvait agir ainsi vis-à-vis des sujets perses conquis par lui. Voilà comment se pose, du point de vue juridique, le problème du statut des villes d'Asie sous Alexandre. Pour le résoudre, nous n'avons qu'à nous adresser aux anciens eux-mêmes. Car, on se le rappelle, c'est l'autre postulat de nos recherches : Alexandre pratiquait l’usage grec de la guerre.

IV

Pour nous, l'occupation militaire ne déplace pas les frontières. Bruxelles restait en 1914-1918 une ville belge. L'acquisition d'une partie du territoire ennemi n'est pour nous valide et définitive que par cession légale dans le traité de paix. Mais cette conception, qui exclut le fait de la conquête comme titre légitime, est moderne.[51] Propagée par les Montesquieu et les Mably, elle n'est devenue la règle du droit des gens qu'au XIXe siècle. C'était au contraire la conquête qui passait auparavant pour la meilleure manière d'acquérir la propriété. Quand les armées s'avançaient sur le territoire ennemi, il devenait aussitôt domaine du vainqueur, et ses habitants, sujets du nouveau maître. La doctrine moderne présuppose, en effet, un État homogène, national. Mais les États étaient jusqu'à la Révolution française un conglomérat de territoires, de villes, qui n'appartenaient au prince qu'en vertu de titres spéciaux et divers. La jurisprudence française sous Louis XIV opposait les acquisitions de ce roi à son domaine héréditaire comme les pays de la « nouvelle conquête » à ceux de la « conquête ancienne ».

Pour le Grec, l'unité politique c'est la cité, une « polis » ou une peuplade. L'État qui en renferme plusieurs reste toujours un corps composé, et, par sa nature même, un régime transitoire. La cité seule est constante.[52] Ainsi Milet restait aussi bien sous Crésus que sous les Césars un corps politique, gouverné par ses propres lois, une nation distincte.[53] Une conquête dissocie le conglomérat d'un Empire en ses parties simples : les cités. On comprend aisément que le déplacement de la domination survient ici, comme dans l'Europe féodale, au fur et à mesure de la conquête.[54] Il suffit d'ouvrir la Cyropédie, ce livre classique du droit de guerre hellénique au IVe siècle, pour s'en convaincre.

Ce transfert de suprématie dans un pays envahi pouvait être effectué avec ou sans le consentement des habitants. Dans le second cas, la communauté en question devait être prise de force ; dans l'autre, elle se rendait, soit à merci, soit à condition. La ville emportée d'assaut (βίᾳ) était, en règle générale, abandonnée au pillage ; la population, massacrée ou réduite en esclavage. Quand Cyrus pénètre avec ses troupes à Babylone, « tous ceux qu'on rencontre sont frappés et mis à mort », «comme la ville était emportée l'épée à la main » (ς δοριαλτου τς πλεως οσης), Cyrus donne les maisons des particuliers en récompense à ses soldats et enjoint aux Babyloniens de servir les nouveaux maîtres qu'il leur donne.[55] La ville acquise moyennant une capitulation (μολογίᾳ) devait être, au contraire, ménagée. Elle restait sous le nouveau régime une « cité », un corps politique séparé. Cyrus traite de cette manière par exemple la ville de Sardes, le prince Gobryas, ou encore les Arméniens.[56]

V

Ces règles du droit des gens hellénique du IVe siècle étaient familières à Alexandre. En 335, il rasa la ville de Gètes qui ne s'étaient pas rendus, et ménagea les peuplades du sud du Danube qui lui avaient offert leur hommage.[57] Thèbes, prise d'assaut, fut pillée et l'on ne fit pas quartier aux habitants ; les survivants du carnage furent vendus en esclavage. Alexandre agit d'après les mêmes principes en Asie mineure et en Syrie, en 334-332. Les villes occupées de force furent détruites. Parménion « prit d'assaut la ville de Gryneion et réduisit les habitants en esclavage » (Diodore XVII, 7, 9). Le même malheur arriva à Tyr, à Gaza, à plusieurs citadelles de Pisidie (Arr. II, 20, 5). La cause en fut toujours la même : les habitants refusaient de se rendre. Milet faillit éprouver le même sort. Mais, quand les Macédoniens avaient fait brèche dans les murs, « les Milésiens sortirent en suppliants, se jetèrent aux pieds du roi et se livrèrent, eux et la ville » (Diodore XVII, 22, 5). Alexandre accepta cette soumission et pardonna aux Milésiens.

La soumission garantit en effet, d'après l'usage grec, la vie et la liberté des habitants, les droits de la communauté qui s'est rendue. La capitulation est mentionnée en termes formels ou d'une manière implicite pour de nombreuses localités de l'Asie Mineure et de la Syrie : Priapos (Arr. I, 12 ; 7) ; Zéleia ; les districts de l'Hellespont (Arr. I, 17, 1) ; Lampsaque (Paus. VI, 18, 2) ; Sigeion,[58] Daskylion (Arr. I, 17, 2), Sardes (Arr. I, 17, 3 ; Diodore XVII, 21, 7) ; Magnésie, Tralles, les villes d'Ionie et d'Eolide (Arr. I, 18, 1-2) ; les villes entre Milet et Halicarnasse (Diodore XVII, 24, 1), les Gariens (Arr. I, 23, 8 ; Diodore XVII, 24, 2 ; Strabon, XIV, 657 C.) ; Telmessos, Pinara, Xanthis, Patara et plus de trente citadelles de Lycie (Arr. I, 24, 3), Phasélis et la Basse-Lycie (Arr. I, 24, 5) ; Aspendos, (Arr. I, 26, 2) ; Myndos, Kaunos (Curt. III, 7, 4) ; Sidé (Arr. I, 26, 4) ; Selgé (Arr. I, 28, 1 ; Strabon XIII, 571) ; Célainai (Arr. I, 29, 3 ; Curt. III, 1, 8) ; Gordion (Arr. L, 29, 4 ; Curt. III, 1, 14), Ancyre (Arr. II, 4, 1) ; les Paphlagoniens (Arr. II, 4, 1 ; Curt. III, 1, 22), Tarse (Arr. II, 4, 5) ; Anchialos ; Soloi (Arr. II, 5, 5), Curt III, 7, 2) ; Magarse ; Mallos (Arr. II, 5, 9) ; Castabala (Curt. III, 7, 6), des citadelles de Cilicie (Arr. II, 5, 6) ; les villes de Phénicie (Diodore XVII, 40, 2 ; Iust. XI, 10, 7), telles Arados (Arr. II, 13, 7), Byblos, Sidon (Arr. II, 15, 6 ; Curt. IV, 1, 45) ; Tyr (Arr. Il, 15, 7) ; les princes de Chypre (Arr. II, 20, 3) ; des peuplades de l'Antiliban (Arr. II, 20, 5).

La capitulation s'effectuait généralement à la merci du vainqueur. Quelquefois on mentionne pourtant des articles de composition.[59] Ainsi, Aspendos reste affranchie de la garnison macédonienne, mais donne comme rançon 50 talents et des chevaux.[60] Aux habitants de Soloi, Alexandre impose une contribution de guerre de 200 talents « à cause de leurs sentiments persophiles[61] ». C'est un différend sur les conditions de la capitulation de Tyr qui provoque, en janvier 332, le siège et la ruine de la capitale du monde phénicien.[62] Les habitants d'Aspendos n'ont pas rempli les articles de la capitulation précitée ; Alexandre s'avance vers la ville, refuse de renouveler la composition rompue, mais accepte la soumission à d'autres conditions, plus lourdes pour la ville : il a vu le lieu fortifié et lui-même n'est pas préparé pour un siège de longue durée.[63] Ce sont, on le voit, toujours les circonstances concrètes de la guerre qui déterminent l'attitude d'Alexandre envers les vaincus.

Quelquefois Alexandre préférait la miséricorde à la justice de la guerre ; par exemple, il fit grâce aux habitants d'Halicarnasse ou à ceux de Tyr, réfugiés dans le temple de Malquart.[64] Mais ni sa grâce, ni sa justice ne tenaient compte de la race des vaincus. Il détruisit la Gaza des Philistins, mais « fit raser » aussi l'Halicarnasse hellénique, « prise de force[65] ». Les citoyens de la ville éolienne de Gryneion furent vendus comme esclaves aussi bien que les bourgeois de la Tyr phénicienne. Le roi pardonna aux Milésiens, mais aussi aux Mysiens de : Zéleia et aux princes de Chypre, parce qu'il « savait que ceux-ci avaient été contraints de combattre dans les rangs des Perses[66] ». L'épisode de Lampsaque est caractéristique. Alexandre refusait d'accepter la soumission. Il soupçonnait les habitants d'être favorables aux Perses. Ainsi, cette antique colonie ionienne aurait été « rasée, ses sanctuaires mis en feu, les femmes et les enfants réduits en esclavage ». Mais Alexandre, qui jurait par « les dieux grecs » de ruiner cette ville, fut déterminé à la conserver à la suite d'une ruse d'Anaximène, le célèbre rhéteur de Lampsaque.[67]

Cette revue des nombreux témoignages sur la manière dont Alexandre a pris la place de l'ancien gouvernement dans les provinces conquises donne lieu à trois remarques :

1. Alexandre applique les règles du droit grec de la guerre. Ce postulat est confirmé par tous les témoignages cités.

2. En pratiquant ces règles, Alexandre ne tient aucun compte de la race des vaincus. Il ne divise pas ceux-ci en « Hellènes » et en « Barbares », mais distingue seulement ceux qui se soumettent et ceux qui résistent. Son principe n'est pas raciste, mais impérialiste : parcere subjectis et debellare superbos.

3. Alexandre ne contracte aucune alliance avec les vaincus, soit Hellènes, soit Barbares. Ce troisième point exige des éclaircissements.

D'abord le fait même. Cette constatation n'est pas faite e silentio. Car la tradition mentionne régulièrement en termes formels la capitulation comme forme d'acquisition de la ville. Voici des exemples : « En ce temps vinrent les envoyés de Magnésie et de Tralles pour rendre ces villes[68] ». Ou bien : « Les principaux citoyens de Sardes et le commandant de la citadelle vinrent, ceux-là pour rendre la ville, celui-ci pour rendre la citadelle et le trésor[69] ». Ou encore : Alexandre « gagna Telmessos moyennant une capitulation », « acquit Pinara, Xanthos et Patara rendues à discrétion[70] ». Mais la tradition ne mentionne jamais d'alliances, de traités conclus par Alexandre en Asie Mineure. Des termes comme συμμαρα, συνθκαι, ne viennent point ici sous la plume des historiens antiques. Le roi qui contracta une alliance avec les Cyrénéens, État indépendant d'Afrique,[71] refusait en effet de traiter en égaux les sujets de Darius. D'eux il exigeait la soumission. La ville de Phasélis, colonie dorienne de Lycie, et la plupart des communautés de la Basse-Lycie avaient envoyé des ambassadeurs à Alexandre « pour conclure l'amitié (περ φιλας) ». « Mais Alexandre ordonna aux Phasélites et aux Lyciens de rendre (παραδοναι) les villes à ses agents. Tous se rendirent[72] ». Alexandre ne s'engage que dans des arrangements militaires qui déterminent des conditions de capitulation. Ainsi, il accepte la capitulation des Paphlagoniens, en leur promettant de ne pas entrer dans leur pays avec son armée et de ne pas exiger de tribut ; mais il les soumet au satrape de la Phrygie.[73]

Cette attitude d'Alexandre diffère, on le voit, de la politique de la confédération grecque de 480 envers les frères d'Asie : ceux-ci avaient été accueillis comme égaux dans l'alliance hellénique contre la Perse. Mais ils avaient abandonné la cause perse aussitôt que la flotte grecque atteignit les flots asiatiques, tandis que dans la campagne d'Alexandre les villes grecques d'Asie attendaient le dénouement des batailles pour saluer le vainqueur.[74] On pourrait, si l'on voulait, expliquer cette différence entre 479 et 334 d'autre manière ; l'essentiel, c'est qu'elle existe.

La tradition nous renseigne sur ce fait capital, qu'Alexandre n'a pas traité avec les villes d'Asie, mais qu'il exigea et reçut leur soumission. La théorie selon laquelle les Grecs d'Asie sont devenus ses alliés est donc caduque. Pourtant, il pourrait sembler qu'il reste un moyen de la restaurer. Ce serait en faisant la supposition suivante : Alexandre, se dessaisissant de la souveraineté conquise sur ces Grecs, aurait conclu avec eux des alliances après la conquête. Il faut dire que cette hypothèse semble tout d'abord séduisante. Alexandre faisait la guerre à Darius à un double titre : comme roi macédonien et comme chef de la Ligue Hellénique. On pourrait penser que les villes grecques d'Asie furent agrégées à la Ligue comme représentant sa part de butin.[75] Malheureusement, cette hypothèse ne s'accorde pas avec les faits.

VI

En effet, c'était en général la manière dont s'était faite leur soumission qui décidait du statut définitif des vaincus. Quelquefois, les articles de composition stipulaient des privilèges.

Ainsi, Alexandre promit aux Paphlagoniens de les libérer du tribut.[76] Mais il exigeait à l'ordinaire, semble-t-il, la capitulation à discrétion. Celle-ci garantissait, d'après l'usage grec, la jouissance du statut jusqu'alors en vigueur. La tradition historique note seulement des cas particuliers. Nous apprenons qu'Alexandre « rendit aux Sardiens et autres Lydiens les lois des Lydiens d'autrefois et leur donna la liberté[77] », qu'ils avaient perdue après une rébellion contre Cyrus.[78] Aux Éphésiens, Alexandre ordonna de payer à leur Artémis le tribut dû jusqu'alors au roi perse.[79] En Ionie et en Éolide, Alexandre « renversa les oligarchies, rétablit les démocraties, rendit à chaque ville ses lois et fit remise du tribut payé aux Perses[80] ». Parmi les autres villes, Érythrées devint « autonome et franche[81] », Priène et Naulochos « libres et autonomes[82] ». Alexandre affranchit aussi Mallos du tribut : les citoyens descendants d'Argos étaient ses parents par l'intermédiaire d'Héraclès.[83] Les villes de Phénicie restaient autonomes comme sous les Perses, mais leurs rois furent parfois changés ; « Alexandre, traitant chacun selon ses services, accorda aux uns son amitié et détrôna les autres pour leur substituer de nouveaux rois[84] ».

Ces renseignements montrent de nouveau qu'Alexandre, en réglant définitivement le sort des villes et des peuples une fois soumis, ne fut dirigé par aucun principe de nationalité. Certes, il avait des prédilections pour quelques villes grecques comme Ilion,[85] mais il obéissait à des considérations d'intérêt public, ou aussi à son bon plaisir pour élever ou dégrader les villes de son Empire. Il donna la « liberté » aux Grecs du littoral asiatique, mais aussi bien aux Lydiens. Sardes et Milet sont mises sur le même pied dans son Empire.[86] Il promettait « l'autonomie » aux Hellènes, mais aussi bien aux Arabes.[87]

La numismatique d'Alexandre illustre cette politique impériale. Les villes de l'Asie ont perdu sous lui, on se le rappelle,[88] le droit de monnayage. Certes, Alexandre tolérait quelques exceptions à cette règle de monnaie unifiée et royale dans son empire asiatique. Mais justement les ateliers privilégiés n'étaient pas grecs. Ce sont quatre villes de Cilicie (Tarse, Mallos, Issos, Soloi) qui ont gardé le droit précieux de frappe indépendante.[89] Leurs ateliers émettaient encore sous Alexandre l'argent d'après l'étalon perse, dont la valeur (11,2 gr.) était supérieure à celle de la monnaie royale. Ces pièces portaient comme avant l'effigie de Baal-Tarse et une légende en araméen, qui nommait le dieu et indiquait la ville. On admet que les intérêts commerciaux des villes susdites furent la cause de cette prérogative. En tout cas, un négociant grec de Lampsaque ou de Cyzique, atteint dans son commerce par la cessation de la frappe de sa propre ville, et qui tenait en mains ces pièces des ateliers rivaux, devait un peu douter du programme panhellénique que les historiens modernes se plaisent à trouver chez Alexandre. Il n'est donc pas vrai qu'Alexandre « règle le sort des villes d'après leur plus ou moins de grécité[90] ». Il les traite non en « hégémôn » hellénique, mais en « seigneur de l'Asie ». Le fait est peut-être singulier, mais il se rattache à un autre, beaucoup plus étrange.

La conquête de l'Asie fut l'œuvre non seulement des Macédoniens, mais aussi des contingents des confédérés grecs. Alexandre annonça lui-même sa première victoire comme celle de l'Union corinthienne. Voici la teneur de sa dédicace à Athènes après la bataille du Granique : « Alexandre, fils de Philippe, et les Hellènes, sauf les Lacédémoniens, ont pris ce butin sur les Barbares, qui habitent l'Asie » (Arr., I, 16, 7). Pourtant, ni l'Union hellénique ni les états de la Ligue ne reçoivent rien des riches dépouilles des vaincus, pas une seule ville asiatique, pas un domaine perse, rien des trésors d'Ecbatane ni de Persépolis, Alexandre accapare tout. Et personne en Grèce, même Démosthène, ne s'en plaint. Voilà quelque chose de bien surprenant. Essayons de le comprendre.

Quand les Grecs d'avant Philippe pensaient à là guerre perse, ils se proposaient comme fin l'affranchissement de leurs frères placés sous le joug du Grand Roi, l'acquisition de l'Asie Mineure, le partage des richesses de l'Orient.[91] Isocrate recommande candidement à Philippe d'entreprendre cette guerre pour rendre les Hellènes maîtres de l'Asie. Comme récompense, il promet au Macédonien la gloire. Philippe et son fils ont réalisé ce programme à rebours. Ils ont gardé pour eux l'Asie, mais ont donné aux Grecs une récompense morale. Celle « de pouvoir goûter cette joie suprême de voir leur chef établi sur le trône de Darius[92] ».

Ce n'est pas la soif des conquêtes qui décida la Ligue à entreprendre la guerre. L'assemblée de Corinthe la proclama « à cause des outrages commis par les Perses envers les Grecs[93] ». Ou, comme un historien grec formule les propositions de Philippe acceptées par l'Union : le but à atteindre, ce fut « d'obtenir réparation pour les offenses aux sanctuaires grecs[94] ». Les Hellènes faisaient la guerre à Darius III à cause des dommages subis, il y avait plus de cent cinquante ans, de Darius II et de Xerxès.

Or, l'idée des représailles, c'est le principe du talion[95] (Eschyle, Perses, 813 : κακς δρσαντες οκ λλσονα πσχουσι). Les Perses ont pillé la Grèce. Alexandre en obtient le dédommagement. Il renvoie aux Athéniens le butin emporté par Xerxès, il apaise la colère des dieux helléniques, offensés par les Perses, en dédiant les prémices des victoires. Il donne une partie du butin aux Crotoniates, parce qu'un citoyen de cette ville, seul de tous les Hellènes d'Italie, a participé à la bataille de Salamine. Avec l'argent pris sur l'ennemi il fait rebâtir Platées.[96]

Les Perses ont brûlé des villes, des temples helléniques. Alexandre en tire vengeance. Il met le feu à Persépolis, le berceau des Achéménides. Parménion, « fidèle à son rôle de Mentor[97] », désapprouve l'idée d'anéantir de cette façon son propre bien, de s'aliéner les Asiatiques. Mais Alexandre répond : « il veut venger l'invasion perse, la destruction d'Athènes, l'incendie des sanctuaires. Il veut obtenir satisfaction pour tous les maux infligés aux Grecs[98] ». Il livre « la plus hostile des cités d'Asie[99] » au pillage et laisse massacrer les habitants de cette « capitale des anciens rois de Perse » pour satisfaire aux mânes des victimes de Darius et de Xerxès.[100]

Les Perses ont envahi la Grèce. Alexandre mène les contingents grecs à Babylone, à Suse, à Persépolis, jusqu'à Ecbatane. Cette dernière capitale des Achéménides prise, la vengeance est complète. Alexandre met fin à la guerre de représailles en renvoyant les troupes des confédérés en Grèce.[101]

Une épigramme, sur l'offrande de ces soldats revenus en 330 à Thespies, exprime vivement le sentiment de la vengeance accomplie par la destruction des villes perses[102] :

Θεσπιαὶἐυρύχοροι πέμψαν ποτὲ τούσδε σὺν ὅπλοις

Τιμωροὺς προγόνων βάρβαρον εἰς 'Ασίην

Οἳ μετ' 'Αλεξάνδρου Πέρσων ἄστη καθελόντες

Στῆσαν 'Εριβρεμέτῃ δαιδάλεον τρίποδα.

D'après la loi des représailles, on exerce une violence semblable à celle qu'on a éprouvée. Thaïs l'Athénienne somme Alexandre de « livrer aux flammes le palais de Xerxès, puisque Xerxès a brûlé Athènes[103] ». Mais les Perses n'ont pas retenu un pouce de terre grecque. L'Union hellénique ne reçoit pas un pouce de la terre perse.

Alexandre la relient pour lui-même, en vertu d'un autre droit : celui de la victoire. Son maître, Aristote, exprime la conviction commune en disant[104] : « Les biens du vaincu appartiennent, on l'affirme, au vainqueur ». Et c'est Alexandre qui « a soumis » — comme on lit dans un décret athénien de 306/7 — « toute l'Asie et d'autres parties du monde[105] ».

Mais voici mieux, écoutons Alexandre lui-même. En décembre 333, après la victoire d'Issos, il reçoit le message de Darius qui lui propose la paix (« l'alliance et l'amitié ») et se plaint que Philippe et Alexandre aient ouvert les hostilités contre la Perse. La réponse d'Alexandre est très significative.[106] Le Macédonien tient à établir que la Perse est responsable, du conflit actuel, il divise l’énumération des griefs en deux parties, dont chacune conclut : vous avez commencé les hostilités. La première partie s'occupe de l'époque de Xerxès : vos ancêtres ravagèrent la Macédoine et le reste de la Grèce, n'ayant reçu de nous aucun outrage. Moi, hégémôn des Hellènes, j'ai passé en Asie pour tirer vengeance des Perses parce que c'est vous qui avez commencé. Alexandre parle ici, on le voit, en chef de la Ligue corinthienne. Mais ensuite viennent les motifs de plainte macédoniens et contemporains : le secours prêté aux Périnthiens, en 340, l'agression en Thrace, l'instigation de l'assassinat de Philippe, les tentatives pour soulever l'Hellade contre Alexandre. A cause de cela « j'ai entrepris la guerre, puisque tu avais ouvert les hostilités ». Alexandre parle maintenant en roi de Macédoine. Le motif vengeance manque dans cette partie. C'est le danger imminent de la part des Perses qui justifie la guerre. Alexandre en tire les conséquences. « Ayant vaincu d'abord tes généraux et tes satrapes, maintenant toi-même et ton armée, je tiens le pays qui m'est donné par les dieux ». « Je suis le seigneur de l'Asie entière. » Darius a essayé de faire perdre le Macédonien en Europe. L'Argéade victorieux supplante maintenant l'Achéménide sur le trône de Cyrus.

Alexandre a libéré les Grecs d'Asie en cette qualité de maître du pays conquis. Il gagnait les villes helléniques, dans sa marche vers la Carie, par ses bienfaits : « Il les exempta du tribut — dit Diodore — et leur assura la démocratie en proclamant qu'il faisait la guerre aux Perses pour libérer les Grecs[107] ». Ce passage de Clitarque a semble-t-il, donné l'essor à l'imagination des savants ils ont échafaudé la théorie selon laquelle Alexandre vint en Asie pour faire des Hellènes de là-bas ses alliés. On a oublié le mot de Tacite[108] : « ceterum libertas et speciosa nomina praetextuntur, nec quisquam alienum servitium et dominationem sibi concupivit, ut non eadem ista vocabula usurparet ».

La théorie moderne se base, en vérité, sur un double malentendu. D'abord la « liberté » est ici le synonyme de la «démocratie ». L'expression de Diodore, le passage parallèle d'Arrien,[109] les inscriptions de Priène du temps d'Alexandre[110] ne laissent aucun doute là-dessus. Alexandre renverse partout les oligarchies et établit le régime populaire.

Le deuxième malentendu vient de la confusion d'un statut de facto avec le statut de jure. Plusieurs villes grecques d'Asie (mais aussi parfois des villes barbares) furent « libres » sous Alexandre. L'étendue de cette liberté ressort d'un passage d'Arrien (I, 27, 4). Alexandre ordonne, pour châtier les Aspendiens, « qu'ils obéissent au satrape imposé par lui et versent tous les ans des tributs aux Macédoniens ». Ces Pisidiens n'étaient donc pas d'abord soumis au satrape ni taillables. Les villes grecques reçoivent des privilèges de cet ordre.

En premier lieu, elles sont exemptes de la juridiction et des ordres du satrape. Une ville « provinciale » comme Mylasa nomme en tête de ses actes publics le roi et le satrape.[111] La ville de Priène met comme date : « les Priéniens étant autonomes[112] ».

Secondement, elles n'apportent pas de tribut. Elles en sont dispensées et par cela exemptes du contrôle des trésoriers royaux.[113]

Ensuite, elles sont dispensées de garnison royale.[114] Enfin, elles sont régies démocratiquement : Alexandre, on se le rappelle, donna aux cités grecques d'Asie la constitution démocratique

Les droits de ces villes furent ainsi justement ceux-là même qui étaient reconnus à chacun des confédérés dans le pacte de Corinthe : la liberté, l'autonomie, l'affranchissement d'impôt et de garnison.[115] Mais cette ressemblance de situation de facto dissimule la différence fondamentale du statut juridique.

La liberté des États de la Ligue est originelle. C'est la souveraineté qu'Alexandre ne peut ni donner ni enlever. Il peut infliger des châtiments aux rebelles de Chios, mais il lui est impossible de faire disparaître la souveraineté de cette cité confédérée.[116] La liberté ne s'éteint ici que quand la cité cesse d'exister. Tel fut le cas des Thébains.

La « liberté » des villes d'Asie est, au contraire, secondaire. Elle prend son origine dans le droit de conquête, et n'a d'autre cause que la volonté d'Alexandre.

« C'est une loi éternelle— dit le Cyrus de Xénophon[117] — chez tous les hommes, que, quand on prend une ville, tout ce qui s'y trouve, corps et biens, appartient au vainqueur. »

Alexandre peut ainsi prendre ou donner une partie du territoire d'une cité soumise[118] ou faire présent d'une telle cité à un tiers.[119] Mais il a aussi bien le plein pouvoir de renoncer à l'exercice d'un ou de plusieurs de ses droits en faveur d'une ville. Ilion, qui n'était qu'une bourgade,[120] fut élevée par Alexandre au rang de cité, et Alexandre « ordonna à ses fonctionnaires de la tenir pour libre et franche[121] ».

Ainsi, il octroie la liberté à telles ou telles cités soit grecques soit barbares (les Lydiens, les Phéniciens), et à des peuples de son royaume asiatique. Cette liberté peut être très étendue : Milet donne en 330 le droit de bourgeoisie aux Olbiopolitains, qui ont battu : le général d'Alexandre il y a peu de temps et ont conservé leur indépendance.[122] Mais elle reste précaire et par cela révocable. Alexandre châtie d'abord Soloi et accorde ensuite à la ville « la démocratie[123] ». Il octroie d'abord l'exemption à Aspendos, puis, comme châtiment, lui reprend ce privilège.[124] Les Cariens, d'abord autonomes, furent ensuite attribués à une satrapie.[125]

La différence fondamentale du statut entre un État indépendant et une ville libre du royaume asiatique, disons entre Mytilène et Naulochos, se manifeste, le mieux dans le formulaire diplomatique. Mytilène est unie avec Alexandre par un traité bilatéral (celui de la Ligue corinthienne), qui lui garantit dans le premier paragraphe[126] « là liberté et l'autonomie ». Naulochos aussi est libre, mais cela par la volonté unilatérale d'Alexandre. Ce n'est pas un pacte juré et réciproque qui-reconnaît la liberté à Naulochos, mais une ordonnance du roi[127] : « De la part du roi Alexandre. Que ceux des habitants de Naulochos qui sont Priéniens soient libres et autonomes, en possession de toutes leurs terres et de toutes leurs maisons dans la cité ainsi que du territoire de celle-ci. » La liberté de Mytilène est un fait du droit international grec ; celle de Naulochos, un fait du droit administratif de l'Empire d'Alexandre, Cette explication du statut des Grecs privilégiés d'Asie est attestée par les intéressés eux-mêmes. On lit dans un décret encore inédit de Colophon[128] : « le roi Alexandre et Antigone ont concédé au peuple la liberté ». Quelque cinquante ans après, les ambassadeurs érythréens ont exposé à Antiochus I que «leur ville fut autonome sous Alexandre et Antigone ». Le roi répond : « Comme nous désirons n'être pas surpassés en bienfaits, nous maintenons votre autonomie et vous accordons l'exemption des impôts[129] ». On le voit : les Érythréens, comme auparavant les Colophoniens, s'aperçoivent parfaitement que leur « autonomie » sous Alexandre aussi bien que sous Antiochus se fondait exclusivement sur la faveur du prince.

Les Séleucides continuaient en effet la politique de privilèges d'Alexandre. Ils donnaient volontiers des privilèges à leurs villes, mais refusaient obstinément de leur accorder un statut international. La guerre d'Antiochus III contre les Romains est née d'un conflit sur ce point : le roi ne consentait pas à ce que les Romains garantissent l'autonomie de trois villes en Asie Mineure.[130] Il proclamait ses bonnes dispositions : il accordera sans retard la liberté à ces villes « au moment où il deviendra évident pour eux-mêmes et pour tous les autres que cette liberté n'est pas arrachée grâce aux circonstances, mais obtenue par grâce du roi[131] ».

Antiochus appuyait son refus sur un argument historique : « Les Éoliens et les Ioniens sont accoutumés à obéir, même aux rois barbares[132] ». En effet, les Séleucides imitaient les dispositions d'Alexandre, mais celui-ci continuait simplement la politique des Achéménides à l'égard des villes d'Asie. Hérodote raconte que Cyrus refusa de conclure une convention jurée avec les Ioniens et les Éoliens, mais exigea leur soumission. Il fit exception seulement pour Milet.[133] Cyrus suivit en cela, semble-t-il, la méthode employée déjà par Crésus[134] et par les rois assyriens.[135]

La même pratique de l'autonomie tolérée fut appliquée ailleurs dans le monde grec. C'était une formule commode parce que flexible pour exprimer les rapports entre le prince et les cités dépendantes. Denys l'ancien n'était en Sicile que président d'une confédération des villes grecques[136] : « ρχων τς Σικελας ». Mais il était maître des villes helléniques de l'Italie vaincues par lui. Il changeait ici les frontières de villes soumises et accordait l'autonomie précaire.[137] Le Sénat romain accepta ces pratiques grecques. La libertas sine foedere des Romains, c'est la même chose que l'autonomie octroyée.par les Denys, les Alexandre, les Antiochus. Les Romains l'ont reportée ensuite en Grèce, en Asie Mineure. En 180 Scipion écrit aux Hérakléotes[138] : « nous vous accordons la liberté comme aux autres cités qui ont fait leur soumission ».

VII

On peut résumer en quelques mots le résultat de ces recherchée sur les rapports entre Alexandre et les villes d'Asie.

Alexandre conquit l'Empire perse. Les sujets de Darius, peu importe de quelle race, furent, par conquête, soumis à Alexandre. Celui-ci accorda la « liberté » à quelques villes grecques et barbares du royaume, suivant en cela la pratique des Achéménides. Cette liberté, qui dérivait du « bon plaisir » du prince et n'avait pour fondement qu'un acte unilatéral de lui, qui demeurait donc révocable, diffère ainsi essentiellement de la liberté originelle et garantie par traités des États grecs de la Ligue corinthienne. C'est la même différence qu'entre les civitates foederatae et les civitates liberae sine foedere sous la domination romaine. Car les Romains, ainsi que les Séleucides, ont agi de la même manière qu'Alexandre à l'égard des villes conquises.

Le lien juridique qui attachait les villes d'Asie à l'État dont elles faisaient partie est ainsi resté le même de Cyrus jusqu'aux Césars, et leur liberté ne fut, pendant toute cette période, que la precaria libertas des vaincus : Leges autem a victoribus dici, accipi a victis (Curt. Ruf., IV, 5, 7).

 

 

 



[1] Cf. H. Berve,. Das Alexanderreich (1926), I, 228 ; M. Scheele, Strategos Autokrator (Diss. Leipz., 1932), 12.

[2] Chr. Blinkenberg, Die lindisr.he Tempelchronilc (H, Lietzmann, Kleine Texte, n° 131), l. 104 : βασιλεὺς 'Αλεξανδρος μάχαι κρατήσας Δαρεῖον καὶ κύριος γενόμενος τᾶς 'Ασίας ἔθυσε τᾶι 'Αθάναι τᾶι 'Αινδίαι.

[3] Je renvoie aux pages magistrales d'U. Wilcken, Alexandre le Grand, ch. IX (p. 248 de la traduction française). Cf. Jouguet, L'impérialisme macédonien, 87, sur les trois-mondes qui forment l'Empire d'Alexandre.

[4] Cf. par exemple B. Niese, Gesch. d. griechisch.u. makedon. Staaten, I (1893), 162 ; K. J. Beloch, Griechische Geschichte, IV, 1² (1925), 15 ; Ernst Meyer, Die Grenzen der hellen. Staaten in Kleinasien (1925), 8 ; H. Berve, Alexanderreich (1926), I, 250 ; J. Kaerst, Gesch. d. Hellenismus, I 3 (1927), 344 ; P. Jouguet, L'impérialisme macédonien (1921), 100. Cf. ci-contre, n. 1 ss.

[5] J. Droysen, Histoire de l'hellénisme (trad. franc.), I, 233 ss. Mais déjà L. Flathe, Gesch. Makedoniens, I (1832), 286, suppose que l'autonomie des Grecs d'Asie fut décidée dans l'assemblée de la Ligue de Corinthe.

[6] G. Radet, Alexandre le Grand (1931), 46 ss.

[7] Cambridge Ancient History, VI, 371.

[8] Sitzungsber. d. Preussisch. Akad., 1922, 105 ss., et Alexandre le Grand (trad. fr.), 97.

[9] Berve, op. cit., I, 250.

[10] Cf. Beloch, op. cit., IV, 1, 14, n. 2.

[11] F. Miltner, Klio, 1932/3, 44, a déjà montré l'insuffisance des autres preuves de la théorie courante.

[12] U. Wilcken, Alexandre le Grand, 97.

[13] Cf. la loi sur le deuil de cette ville (Sylloge 3, 1219 = Michel, 520 = Jnscr. jurid. grecq., I, p. 18) et son monnayage (E. Babelon, Traité, II, 94 ; H. v. Fritze, Die antiken Muenzen Mysiens, I, s. v.

[14] Sylloge, 311 = Michel, 1360 = Insc. jurid. grecq., I, p. 257 : texte d'un bail, daté βασιλεύοντον 'Αλεχάνδρου, ἔτει ενδεκάτωι, Μενάνδρου σατραπεύοντος, ἐπὶ πρυτάνιος 'Ισαγόρου. Cf. les en tête des décrets de Mylasa sous Artaxerxès- (Sylloge, 167 = Michel, 471) : ἔτει'Αρταξέξευς βασιλεύοντον, Μαυσσώλου ἐξαιθραπεύοντος.

[15] Plut. Phoc, 18 : Alexandre ἐκέλευσε τεττάρων πόλεων ἐν ΑσίΚιου, Γεργίθου, Μυλάσων, 'Ελαίας, μίαν ἣν ἄν αἱρῆται, παραδοῦναι τ Φοκίωνι. Sur la date de l'offre, cf. Berve, op. c., II, 403.

[16] Aelian. Var. hist., I, 25.

[17] Voir en dernier lieu, Berve, op. c., I, 318.

[18] Il vaudrait mieux dire qu'Alexandre unifia la frappe, en imposant aux ateliers locaux un titre, un étalon et une effigie identiques. Cf.. E. T. Newell, Numism. Chron., 1915, 298 : « here ewer city… where a mint had previously existed, was allowed to continue coining ; with the proviso, however, that the issues should henceforth conform in types, weigths and dénominations with the regular coinage of the empire ». Cf. encore ibid., 1919, 64. Les renseignements sur le sujet qu'on trouve chez P. Gardner, A history of the ancient coinage (1918), 430 ss., sont extrêmement confus et pour la plupart faux. L'auteur manque des connaissances chronologiques et historiques nécessaires. Il croit par exemple que Sinope, Herakleia du Pont, Amisos appartenaient à Alexandre (cf. sur la situation de ces villes, Ernst Meyer, Die Grenzen d. hellen. Staaten in Kleinasien, 12).

[19] Agnes Baldwin, Americ. Journ. of Numism., 1924, 65.

[20] K. Regling, Real-Encycl., XII, 589.

[21] E. T. Newell, Amer. J. of Numism., 1919, 32 ; Id., Alexander Hoards, II (Numismatic Notes and Monographs, n° 19, 1923), pl. IV, 3 et 4.

[22] Cf. B. V. Head, Hist. Nummorum² (1911), 777 ; E. T. Newell, Journ. of Numism., 1918, 88 : K. Regling, Münzen von Priene (1927).

[23] Cf. W. Waddington, E. Babelon, Th. Reinach, Recueil gén. des monnaies d'Asie Mineure, I (2e éd.), s. v., et E. T. Newell, Amer. J. of Numism., 1918, 111 ss.

[24] Cf. A. M. Andreades, A history of Greek public finance, I (1933), 97.

[25] P. Gardner, History of ancient coinage (1918), 427.

[26] B. V. Head, op. c., 291.

[27] Sur la situation juridique de la Thessalie, cf. Berve, o. c, I, 235.

[28] Voir F. Jacoby, Fragm. griechisch. Histor., ad n° 137.

[29] G. Grote, Hist. de la Grèce (trad. fr.), XVIII, 315.

[30] Cette hypothèse n'est proposée par personne. L'Asie ne fut pas incorporée au royaume de Macédoine. Cf. Wilcken, Alexandre le Grand, 248 ss.

[31] W. Tarn, Cambr. Anc. Hist., VI, 371 : « The liberated cities became his (sc. Alexander) free and independent allies ».

[32] Th. Birt, Alexander der Grosse, 103 : « Alle Griechenstädte der Levante sollten so frei wie Athen dastehen ».

[33] Je n'ai trouvé chez aucun auteur moderne des explications concrètes sur la forme légale des rapports entre Alexandre et ses alliés supposés d'Asie. Mais cf. p. ex. Wilcken. Sitsungsber. d. Preuss. Akad., 1922, 107, n. 2.

[34] Diodore, XVII, 4, 1 : Πρώτους δὲ Θετταλουςλόγοις φιλανθρώποιςἔπισε τὴν πατροπαράδοτον ἡγεμονίαν τῆς *ελλάδος αὐτ συγχωρῆσαι κοιν Θετταλίας δόγματι. Cf. Wilcken, op. cit., 107.

[35] Cf. Wilcken, Sitzungsber. Preuss. Akad., 1929, 301 ss. ; F. Schehl, Jahreshefle Oesterr. Arch. Inst., XXVII (1931), 115 ss.

[36] Amyntas signa le pacte de 371, Eschine, II, 32.

[37] Arrien, II, 1, 4.

[38] Cf. Wilcken, op. c., 292.

[39] Diodore, XVII, 17, 3 : πρῶτος τῶν Μακεδόνων ἀπὸ τῆς νέως ἠκόντισε μὲν τὸ δόρυ, πήξας δ'εἰς τὴν γῆν καὶ αὐτὸς ἀπὸ τῆς νέως ἀφαλλόμενος παρὰ τῶν ἀπεφαίνετο τὴν 'Ασίαν δέχεσται δορίκτητον. Cf. Justin, XI, 5-6 : primus Alexander iaculum velut in hostilem terram iecit… hostias caedit, precatus ne se regem illae terrae invitae accipiant. Arrien, I, 11, 6 : λέγουσι δὲ καὶ πρῶτον ἐκ τῆς νεὼς σὺν τοῖς ὅπλοις ἐκθῆνα αὐτὸν εἰς τὴν γῆν τὴν 'Ασιαν.

[40] G. Radet, Notes sur l'histoire d'Alexandre, I (1923), 1 ss.

[41] Arr., II, 14, 7 : ἐπειδὴ δὲ μάχῃ νενίκηνα πρότερον μὲν τοὺς σοὺς στρατηγοὺς καὶ σατράπας, νῦν δὲ σὲ καὶ τὴν μετὰ σοῦ δύναμιν, καὶ τὴν χώραν ἔχω, τῶν θεῶν μοι δόντων κ. τ. λ. Cf. G. Radet, op. c., 46 ss.

[42] Arr., I, 17, 1. Cf. Wilcken, Alexandre le Grand, 96.

[43] Xén., Hell., III, 4, 5.

[44] Philoc. ap. Didym., in Demosth., c. 7, 21 (la proposition perse en 392) : Τοὺς τὴν 'Ασίαν οἰκοῦντας Ελληνας ἐν βασιλέως οἴκῳ πάντας εἴναι συννενεμένους.

[45] Sylloge, 147 = Michel, 86.

[46] Arr., III, 24, 4 : τοὺς δὲ Σινωτέων δὲ ἀπῆκεν, ὅτι Σινωπέις οὔτε τοῦ κοινοῦ τῶν Ελλήνων μετεῖχον, ὑπὸ Πέρσαις τε τεταγμένοι οὐκ ἀπεικότα ποιεῖν ἐδόκουν παρὰ τοῦ βασιλέως σφῶν πρεσβεύοντες.

[47] J. Kaerst, Gesch. d. Hellenism., I, 345.

[48] Sylloge, 283 = Michel, 33 ; Arr., II, 1, 1 ; II, 2, 2.

[49] J. Kaerst, l. c.

[50] Arr., II, 2, 2 : τὰς στὴλας τὰς πρὸς 'Αλέξανδρον καὶ τοὺς Ελληνας γενομένας σφίσι.

[51] Voir E. Nys, Le droit international, II (1912), 38 ss.

[52] Fustel de Coulanges a admirablement décrit et expliqué ce système politique (La cité antique, Livre III, ch. xiv).

[53] Cf. Hiller v. Gaertringen, Real-Encycl., XV, s. v. Miletos.

[54] Le droit grec exigeait de plus un renoncement formel du propriétaire. Voir mes remarques dans Hermès, 1932, 52.

[55] Xén. Cyr. VII, 5, 26 ss.

[56] Xén. Cyr. III, I, 6 ; IV, 8, 1.

[57] Arr. I, 4, 5.

[58] Cf. F. Baumbach, Kleinasien unter Alexander d. Gr. (Diss. Iena, 1911), 21.

[59] La convention avec Selgé (Arr. I, 28, 1) fut, semble-t-il, aussi un accord sur capitulation. Cf. Strab. XIII, 571 c.

[60] Arr. I, 26, 3.

[61] Arr. II, 5, 5.

[62] Arr. II, 17, 7.

[63] Arr. II, 27, 4.

[64] Arr. I, 23, 4 ; II, 24, 5.

[65] Arr. I, 23, 6 : τὴν πόλιν εἰς ἔδαρος κατασκάψας. Strab. XIV, 657 C.

[66] Arr. I, 17, 2.

[67] Paus. VI, 2, 31.

[68] Arr. I, 18, 1 : ἐνδίδοντες τὰς πόλεις.

[69] Arr. I, 17, 3 : Σαρδέων ἤκον παρ' αὐτὸν Μιθρίνης τε φρούραρχος τῆς ἀκροπόλεως τῆς ἐν Σάρδεσι καὶ Σαρδιανῶν οἱ δυνατώτατοι, ἐνδίδοντες οἱ μὲν πόλιν, δὲ Μιθρίνης τὴν ἄκραν καὶ τὰ χρήματα.

[70] Arr. I, 24, 4 : Τελμισσέας μὲν ὁμολογία προσηγάγετο ... Πίναρα καὶ Ξάνθον τὴν πόλιν καὶ Πάταρα ἐνδοθήντα ἔλαβεν.

[71] Diodore XVII, 49, 3 : φιλίαν καὶ συμμαχίαν συνέθετο πρὸς αὐτούς.

[72] Arr. I, 24, 5 : Φασελιτῶν πρέσβεις ἤκον περὶ φιλίας ... καὶ ὑπὲρ τῶν αὐτῶν ἐπικηρυκευόμενοι ἐπρέσβευον Λυκίων τῶν κάτω οἱ πολλοί. 'Αλέξανδρος δὲ Φρασηλίτας τε καὶ Λυκίους παραδοῦναι τὰς πόλεις τοῖς ἐπὶ τούτ στελλομένοις ἐκελευσε.

[73] Arr. II, 4, 1 ; Curt. III, 1, 22. Cf. encore Arr. I, 29, 2.

[74] Un envoyé d'Asie est venu à Alexandre, peut-être en 336 (H. Berve, Alexanderreich, II, 131) pour l'inciter à commencer la guerre contre les Barbares (Plut., Adv. Col., 32, p. 1126 d ; Philostr., V. Soph., 1, 13). Cet Éphésien, Dellos ou Dias, était, semble-t-il, délégué par la faction démocratique à Éphèse. Cf. Arr., I, 17, 10.

[75] Telle semble être la pensée de Wilcken (Alexandre le Grand, 248).

[76] Curt., III, 1, 23 : datis obsidibus tribulum quod ne Persis quidem tulissent, pendere ne cogerentur, impetraverunt.

[77] Arr., I, 17, 4 : Σαρδιανοὺς δὲ καὶ τοὺς ἄλλους Λυδοὺς τοῖς νόμοις τε τοῖς πάλαι Λυδῶν χρῆσθαι ἔδωκε καὶ ἐλευθέρους εἴναι ἀφῆκεν.

[78] Hérod., I, 157.

[79] Arr., I, 17, 10 : τὴν ὀλιγαρχίαν καταλύσας δημοκρατίαν κατέστησε τοὺς δὲ φόρους ὅσους τοῖς βαρβάροις ἀπέφερον τῇ 'Αρτέμιδι συντελεῖν ἐκέλευσεν.

[80] Arr., I, 18, 2 : καὶ τὰς μὲν ὀλιγαρχίαν πανταχοῦ καταλύειν ἐκέλευσε, δημοκρατίας δὲ ἐγκαθιστάναι καὶ τοὺ νόμους τοὺς σφῶν ἑκάστοις ἀποδοῦναι, καὶ τοὺ φόρους ἀνεῖναι ὅσους βαρβάροις ἀπέφερον.

[81] OGIS, 223, 23 = Michel, 37.

[82] OGIS, 1 = Hiller v. Gaertringen, Inschr. v. Priene, A.

[83] Arr., II, 5, 9.

[84] Iust., XI, 10, 7.

[85] Strab., XIII, 593.

[86] Sylloge, 273 = A. Rehm, Delphinion, 135.

[87] Arr., VII, 20, 1.

[88] Ci-dessus.

[89] E. T. Newell, Americ. Journ. of Numism., 1918, 84.

[90] ) G. Radet, Alexandre le Grand, 61.

[91] Cf. Wilcken, Sitzungsber. Preussisch. Akad., 1929, 296 ss.

[92] Plut., Alex., 37. Traduction de G. Radet, Notes sur l'histoire d'Alexandre, II, 107.

[93] Diodore, XVII, 4, 9 : στρατεύειν ἐπὶ τοὺς Πέρσας ὑπὲρ ὤν εἰς τοὺς Ελληνας ἐξήμαρτον. Cf. Polyb., III, 6, 12 ; Cic. de rep., III, 15.

[94] Diodore, XVI, 89, 2 : πρὸς Πέρσαςπόλεμον ἄρασθαι καὶ λαβεῖν παρ' αὐτῶν δίκας ὑπὲρ τῆς εἰς τὰ ἱεπὰ γενομένης παρανομίας.

[95] Cf. R. Hirzel, Themis, Dike und Verwandtes (1907), 190 ; G. Glotz, Dict. des antiq., s. v. poena, c. 525 b.

[96] Plut., Alex., 34. Cf. J. Kaerst, Gesch. d. Hellenismus, 13, 325.

[97] Radet, op. c., 101.

[98] Arr., III, 18, 20.

[99] Diodore, XVII, 70, 1.

[100] Radet, op. c., 96 ss.

[101] Cf. Kaerst, op. c., 407.

[102] Ant. Pal., VI, 344 ; Hiller v. Gaertringen, Historische griech. Epigramme, 19.

[103] Plut., Alex., 38 : ὑποπρῆσαι ... τὸν Ψέρξου τοῦ κατακαύσαντος τὰς 'Αθήνας οἴκον.

[104] Arist., Polit., 1255 a 6 : τὰ κατὰ πόλεμον κρατούμενα τῶν κρατούντων εἶναί φασιν.

[105] Sylloge, 326 = Michel, 117 : 'Αλε[ξάνδρωι Θηβῶν ἐπικρατήσα]ντι καὶπᾶσαν τὴν 'Ασίαν κ[αὶ ἄλλα δὲ τῆς οἰκουμένης μ]έρη καταστρεψαμένωι.

[106] Arr., II, 14.

[107] Diodore, XVII, 24, 1.

[108] Tac. Hist., IV, 73. En 336, les Thébains invitaient les Grecs à se joindre à eux et au Grand-Roi « pour libérer les Hellènes » de la domination d'Alexandre (Diodore, XVII, 9, 5).

[109] Cité ci-dessus.

[110] Inschr. v. Priene, n° 2-4.

[111] Lebas-Waddington, 111, 387. Cf. Sylloge, 311 (Lagina).

[112] Inschr. v. Priene, 2 : Πριηνέων αὐτονόμων ὄντων.

[113] La nature de la σύνταξις; mentionnée dans l'ordonnance d'Alexandre sur Nautochos (Inschr. v. Priene, 1 = OGIS, i, l. 11 : τῆς δὲ σύνταξεων ἀφίημι τὴν Πριηνέων πόλιν) reste obscure. Cf. A. M. Andréadès, Histoire des finances grecques (en grec), II, 1 (1930), 36.

[114] Cf Berve, Das Alexanderreich, I, 249.

[115] Cf. Wilcken, Sitzungsber. Bayerisch. Akademie, 1917, n° 10, p. 7.

[116] Cf. Sylloge, 283 = Michel, 33 ; Arr., III, 2, 7. Pour faire révoquer un décret de bannissement Alexandre écrit une lettre de recommandation pour le délinquant au gouvernement de Chios (REG, 1909, 193).

[117] Xén., Cyr., VII, 5, 73 : νόμος γᾶρ ἐν πᾶσιν ἀνθρώποις ἀίδίονἐστιν ὅταν πολεμούντων πόλις ἁλῷ τῶν ἑλόντων εἶναι καὶ τὰ σώματα τῶν ἐν τῇ πόλει καὶ τὰ χρήματα.

[118] Sylloge, 307 = Michel, 461 (Iasos) : Γόργος καὶ Μιννίον ... ὑπὲρ τῆς μικρῆς θαλάσσης διαλεχθέντες 'Αλεξάνδρωι βασιλεῖ ἐκομίσαντο καὶ ἀπέδοσαν τῶι δήμωι. Cf. encore Curt. IV, 8, 13 ; Ernst Meyer, Grenzen d. Hellenist. Slaaten in Kleinasien (1925), 62.

[119] Voir ci-dessus.

[120] Sylloge, 188 = Michel, 523.

[121] Strab ; XIII. 593 : 'Αλέξανδρον δὲ ... προσαγορεῦσαι πόλιν καὶ οἰκοδομίαν ἀναλαβεῖν προστάξαι τοῖς ἐπιμεληταῖς ελευθέραν τε κρῖναι καὶ ἄφορον.

[122] Sylloge, 286 = A. Rehin, Delphinion, 289. L'inscription est expliquée par S. Zébélev, Bullet. Acad. de Russie, 1929, 427 ss.

[123] Arr., II, 5, 8 ; II, 12, 2.

[124] Arr., I, 26, 2 ; 26, 5 ; 27, 1.

[125] Ps. Arist., (Oecon., II, 31 ; Arr., VII, 23, 1.

[126] Ps. Démosth., XVII, 8.

[127] Inschr. v. Priene, 1 = OGIS, 1 : βασιλέων 'Α[λεξάνδ]ρου. Τῶν ἐν Ναυλόχωι [κατοικούν]των ὅσοι μέν ἐισι [Πριηνεῖ]ς α[ὐτ]ο[νό]μους ε[ἶναι καὶ ἐλευθ]έρους ἔχ[οντ]ας [τὰ γήτεδα κ]αὶ τὰς οἰκίας τὰς ἐν [π]όλει πά[σα]ς καὶ τὴγ χώραν.

[128] Παρέδωκεν αὐτῶι (sc. τῶι δήμωι) 'Αλέξανδρος βασιλεὺς τὴν ἐλευθερίαν καὶ 'Αντίγονος. L'inscription est signalée par Ch. Picard, Éphèse et Claros (1923), 635.

[129] OGIS, 223, 34 = Michel, 37 : καὶ ἐπειδὴ οἱ περὶ Θαρσυνόντα κ. τ. λ. ἀπέφαινον διότι ἐπὶ τε 'Αλεξάνδρου καὶ 'Αντιγόνου αὐτό[ν]ομος ἧν καὶ ἀφορολόγητος πόλις ὑμῶν, καὶ οἱ ἡμέτεροι πρόγο[νοι] ἔσπευδον ἀεὶ περὶ αὐτῆς, θεωροῦντες τούτους τε κρί[ναν]τας δικαίως καὶ αὐτοὶ βουλόμενοι μὴ λειπέσθαι ταῖς ἐυερ[γες]ίαις τὴν τε αὐτονομίαν ὑμῖν συνδιατηρήσομεν ἀφορο[λογ]ήτους εἶναι συγχωροῦμεν.

[130] Voir mon étude sur le Bellum Antiochicum (Hermes, 1932, 47).

[131] Liv., XXXIII, 38, 5.

[132] App., Syr., 12.

[133] Hérod, I, 141 ; 169.

[134] Cf. Ed. Meyer, Gesch. d. Altertums, III. 32 s. ; Hillerv. Gaertringen, Real-Encycl., XV, 1595.

[135] P. Koschaker, Mitteil. d. Vorderasiat. Gesellsch., XXVI, 3, p. 73 s, a déjà comparé l'autonomie des colonies séleucides à la liberté précaire des villes assyriennes. Je ne connais son travail que par une remarque de F. Cumont, C.-R. Acad. Inscr., 1932, 251, n. 3.

[136] Sylloge, 128 = Michel, 82 ; Sylloge, 163 = Michel, 90. Cf. Diodore, XIV, 47, 5 ; 78, 7 et, pour le titre de Denys, encore L. Wickert, Real-Encycl., IV A, 1512. Les princes du Bosphore Cimmérien jouissaient d'une situation analogue. Cf. M. Rostovzeff, Cambr. Anc. Hist., VIII, 568.

[137] Diodore, XIV, 105, 4.

[138] Sylloge, 618 (cf. les corrections de M. Holleaux, Riv. di filol., 1924, 39) : συγχωποῦμεν δὲ ὑμίν τήν τε ἐλευθερίαν καθόσι καὶ ταῖς ἄλλαις πόλεσιν, ὅσαι ἡμῖν τὴν ἐπιτροπὴν ἔδωκαν.