Ceux qui expliquent par l'influence du climat, de la paix,
de la liberté, de la grandeur publique, cette tendance qu'ont les arts à se
grouper autour d'un centre privilégié, d'une patrie commune, seraient fort en
peine d'appliquer leurs théories à Sicyone, où le ciel n'est, après tout, que
le ciel de toute Sicyone fut également célèbre par ses peintres et par ses
sculpteurs, qui n'adoptèrent pas seulement une manière particulière, niais
qui, de maître en maitre, se transmirent sans interruption les principes de
leur art. Quelque sens que l'on veuille attacher au mot école, on peut donc
dire hardiment les Écoles de Sicyone.
La sculpture, ainsi que dans le reste de Les anciens attribuaient la découverte même de la peinture à Sicyone. D'autres, il est vrai, l'attribuaient à Corinthe[1]. Mais l'on sait ce qu'il faut penser de cette prétention des Grecs, qui veulent être le principe de l'humanité tout entière. Ils devaient à l'Orient, non-seulement la connaissance des couleurs, mais les matières mêmes d'où ces couleurs étaient extraites. Ce serait ajouter bien peu à leur gloire que de prouver qu'ils ont su, les premiers, appliquer du rouge, du jaune, du bleu à des monuments ou à des statues ; les premiers, remplir d'une substance colorée les contours tracés à la pointe sur une surface unie. Les découvertes sont la condition de l'art : elles n'en sont point l'honneur. L'art véritable date des œuvres qu'il a créées. Les Grecs n'ont point inventé la peinture, mais .ils ont eu les premiers peintres. Téléphane aurait fait faire un progrès immense au dessin, si l'on pouvait conclure du texte de Pline qu'il commença à ombrer[2]. Mais il est plus vraisemblable qu'il indiqua seulement au trait les détails intérieurs de ses figures monochromes, au lieu d'en présenter une simple silhouette. Ombrer, c'eut été modeler ; et l'art était loin encore de cette science complexe. Les vases peints aideront à mieux comprendre les paroles de Pline. Sur les vases les plus anciens ou les plus grossiers, les figures n'offrent qu'un contour plein, une silhouette opaque, pour ainsi dire, qui se détache en noir sur les fonds rouges, en rouge sur les fonds noirs. Sur les vases d'une époque moins reculée ou d'une exécution plus soignée, les figures sont le plus souvent monochromes ; mais les yeux, la chevelure, les bras, les draperies, les ornements, tous les détails contenus dans l'intérieur (intus) du contour, sont tracés à la pointe. Telles l'on peut se représenter les esquisses de Téléphane. Un autre Sicyonien, Craton, pissait aussi pour l'inventeur du dessin[3] : tant, pour les Grecs eux-mêmes, les commencements de l'art étaient confus et obscurs. Après ces deux noms, l'histoire de la peinture à Sicyone nous est inconnue. Rien ne signale son progrès, aucun artiste n'est désigné : et cependant il y eut des artistes, et il y eut un progrès. Sicyone était réputée la patrie, la terre classique de la peinture[4]. L'éclat subit avec lequel se produisit son école, à la fin du cinquième siècle, suppose un passé et une tradition. C'est donc le silence des auteurs anciens qu'il faut accuser. Eupompe, contemporain de Zeuxis, de Timanthe et de Parrhasius, parut à peine[5], et une révolution se fit dans la peinture grecque. Jusque-là, on avait distingué seulement deux styles : le style helladique et le style asiatique. Mais les œuvres d'Eupompe révélaient une manière si neuve et si magistrale[6], qu'il fallut immédiatement établir une autre classification. On reconnut trois styles, ou, pour employer le mot moderne, trois écoles, l'école d'Ionie, l'école de Sicyone, l'école d'Athènes. Quel était le caractère de l'école de Sicyone ? Quelle était la manière d'Eupompe ? Déjà, par opposition au caractère bien connu des artistes, ioniens et athéniens, on lui refusera la richesse, la grâce un peu molle, les raffinements des Orientaux, ainsi que la beauté idéale, le sentiment et le tempérament exquis de qualités qui constitue l'atticisme. On sera même tenté de voir éclore à Sicyone le génie dorien[7], plus austère, plus étroit, plus lent à se manifester, mais qui réclame enfin victorieusement sa place. D'Eupompe, nous ne connaissons qu'un tableau et un précepte. Le précepte s'adressait au sculpteur Lysippe. Au début de sa carrière, incertain de la voie qu'il devait
suivre, Lysippe consultait un jour Eupompe. Celui-ci, Montrant de la main la
foulé qui passait devant eux, lui dit qu'il fallait prendre pour. maitre la
nature elle-même, et non pis un artiste[8]. L'exacte
imitation de la nature fut, en effet, le but que se proposa l'école de
Sicyone, qui chercha moins à créer des conceptions idéales qu'à reproduire la
beauté réelle et qui s'attacha surtout à la perfection matérielle et au fini
d'exécution. Lysippe, que l'on regarde comme l'élève d'Eupompe, à cause de
cette anecdote peut-être, mais surtout parce qu'il subit une influence que Quant au tableau, il représentait un vainqueur à la lutte tenant une palme. C'était donc une figure nue, de tous les sujets le plus banal à la fois et le plus difficile, qui sert d'exercice aux pinceaux novices, mais qui peut donner la mesure la plus complète d'un grand talent d'exécution. Le Vainqueur d'Eupompe devait être son chef-d'œuvre, puisque c'est le seul tableau que Pline désigne au moment où il rappelle la révolution que les œuvres de ce There produisirent dans le monde grec. Ainsi que la célèbre statue de Polyclète, c'était probablement la règle par excellence et comme le drapeau de l'école. Si les productions d'Eupompe nous sont inconnues, il sien est pas de même de celles de ses élèves et des artistes postérieurs. On y peut suivre le développement logique du principe d'exacte imitation, principe qui sacrifie l'idée à la forme, et qui donne à l'art plus de perfection que d'élévation. Les peintres de Sicyone furent des peintres d'histoire, des peintres de portraits, et même des peintres d'animaux et de fleurs ; plus d'une fois, en lisant leur histoire, on songe involontairement à l'École flamande. Ils dédaignèrent l'idéal, cette volupté de l'âme, et s'attachèrent moins à créer qu'à copier, condition qui rend une école plus durable et la soutient plus longtemps à sa hauteur première. Les génies d'imagination écrasent toujours leurs élèves, et souvent les égarent. Les génies d'imitation les forment et revivent en eux tout entiers. L'école de Sicyone, qui ne prit rang véritablement qu'au commencement du quatrième siècle, représente la troisième phase, le dernier développement de l'art grec. Elle vint à son temps ; c'est ce qui explique surtout son succès. Il n'est pas besoin de dire que la peinture, dans les questions de principes, n'a pas de chronologie et ne doit pas être séparée de la sculpture. Art plus difficile et plus complexe, elle fleurit beaucoup plus tard ; mais elle n'était qu'une application particulière du génie grec, qui s'était développé avec la sculpture, avec l'architecture, avec les lettres. Tous les principes existaient quand elle atteignit sa perfection. Ses différentes écoles purent donc les représenter simultanément. Après le principe hiératique et ses conventions, après le principe idéaliste et Phidias, le principe réaliste devait dominer à son tour. Il régna principalement dans la double école de Sicyone, où il fut érigé en système par Lysippe, aussi bien que par Eupompe et ses successeurs[9]. Pamphile, élève d'Eupompe, quoique Macédonien de naissance, avait adopté Sicyone pour patrie ; il y passa sa vie, héritier de la gloire et de l'enseignement d'Eupompe. Il fut peintre d'histoire, comme le prouvent les Héraclides suppliants, une Bataille près de Phlionte, une Victoire des Athéniens[10] ; grandes compositions où brillait cette raison qu'admire Quintilien[11], et qu'il devait à l'étude des sciences exactes. Initié à toutes les connaissances humaines, il préférait l'arithmétique et la géométrie, sans lesquelles, disait-il, l'art ne pouvait atteindre à la perfection[12]. Écrivain érudit, il composa deux traités sur la peinture et sur les peintres célèbres. Cette réunion de talents, cette sagesse dogmatique qui a toujours séduit les Grecs, lui assurèrent une autorité assez semblable à l'autorité d'un législateur. Il sut donner à l'art un caractère si grave, si savant, et en même temps si pratique, qu'il en fit une des bases de l'éducation. Il persuada aux Sicyoniens, dont l'exemple fut bientôt suivi par toute la Grèce[13], de faire apprendre à leurs enfants le dessin avant toute autre chose, et de lui donner le pas sur toutes les études de l'homme libre. Il avait une si haute idée de la dignité et des difficultés de son art, qu'il n'admettait au nombre de ses disciples que ceux qui lui payaient un talent et s'engageaient à étudier dix ans auprès de lui. Aussi forma-t-il presque tous les grands artistes de la génération suivante. Apelle, quoique déjà célèbre, se soumit à ces conditions, et travailla avec Pamphile, puis avec Mélanthe, son successeur ; moins, dit Plutarque, pour profiter de leurs leçons que pour partager leur réputation[14]. Pamphile peignait aussi à l'encaustique : il enseigna ce procédé à Pausias. On cite encore, parmi ses œuvres, Ulysse sur son vaisseau. Mélanthe prit, après lui, la direction de l'école de Sicyone. On a vu tout à l'heure que Quintilien le confondait avec Pamphile dans un même éloge. C'était le plus sage des peintres ; Apelle lui-même, au témoignage de Pline[15], lui était inférieur pour la science de la composition. Mélanthe n'employait que quatre couleurs, comme tous les vieux maîtres, et il s'efforçait, de son propre aveu[16], de donner à ses œuvres un caractère hardi et une certaine rudesse. Ainsi, malgré le silence de la critique ancienne, on reconnaît à de légers indices l'influence du génie dorien. Un seul tableau de Mélanthe nous est connu, c'est le fameux portrait du tyran Aristrate, debout sur un char, à côté de la Victoire[17]. On prétendait que tous ses élèves, sans en excepter Apelle, y avaient mis la main. Pausias était né à Sicyone. Fils d'un peintre nommé Briès, il reçut d'abord les leçons de son père. Plus tard, il passa dans l'atelier de Pamphile, où il trouva Mélanthe et Apelle. Dans sa jeunesse, il aima une marchande de couronnes nommée Glycère. En se jouant, il copiait les fleurs dont elle était entourée et prétendait créer avec son pinceau des couronnes plus belles encore ; c'est ainsi qu'il devint un peintre de fleurs consommé. Il était pauvre alors, et Glycère le faisait vivre du produit de son petit commerce. Aussi, plus, tard, quand il fut connu, voulut-il consacrer le souvenir de ses bienfaits. Il fit son portrait et la représente tenant une couronne. Ce tableau était un de ses plus célèbres ; une simple copie fut payée deux talents par Lucullus[18]. Pausias faisait d'ordinaire de petits tableaux, exécutés avec infiniment de soin, et peignait de préférence des enfants. Ses rivaux lui reprochaient pour cette raison de travailler avec lenteur et avec effort. Piqué.de ce blâme, Pausias acheva d'une seule haleine un tableau qui fut appelé l'Œuvre d'un jour. Le sujet était encore un enfant. Ce qui prouve bien mieux, du reste, la facilité de son talent, c'est qu'il appliqua, le premier[19], la peinture à la décoration des voûtes et des plafonds. Les compartiments que l'on appelle caissons, et où l'on peignait d'ordinaire des étoiles et des palmettes, étaient particulièrement propres à recevoir de petits sujets ou des bouquets de fleurs. Pausias fit aussi de grands tableaux. Il avait appris de
Pamphile un genre de peinture où il excella, la peinture à l'encaustique. Ce
procédé offrait des ressources nouvelles dont Pausias montra le premier toute
l'étendue, et c'est par là qu'il devint surtout célèbre[20]. En même temps
que la cire prêtait son brillant à la peinture des fleurs, la solidité
qu'elle donne aux couleurs permettait à Pausias de pousser aussi loin que
possible la science du clair-obscur. C'est ce qu'a très bien dit l'auteur de
l'Histoire comparée de la Peinture[21], et ce qu'il
démontre par une interprétation aussi ingénieuse que vraie du texte de Pline.
Pausias, en effet, avait composé un tableau admiré par les Grecs, et plus
tard par les Romains, qui l'emportèrent en Italie et le placèrent sous les
portiques de Pompée. C'était un Sacrifice de bœufs. Se proposant. de faire
voir dans toute sa longueur une des victimes, il l'avait présentée, non pas
de côté, mais de face, c'est-à-dire en raccourci. Ordinairement,
continue M. Fortoul, quand on voulait montrer qu'un
objet était en saillie, on le peignait de couleurs claires, et on le faisait
ressortir en l'entourant de couleurs noires. Mais Pausias peignit son bœuf
tout noir ; il fit ainsi un corps de l'ombre même, par laquelle, artiste
souverainement habile, il sut représenter avec une solidité égale les parties
planes et celles qui fuyaient[22]. On voit, par ce témoignage précieux de Pline, que Pausias
possédait deux talents bien différents des peintres renommés : celui de raccourcis
les plus hardis, et celui de ces ombres lumineuses que les modernes ont tant
estimées sous le nom de clair-obscur. Ce tableau fut le modèle des nombreux artistes qui se firent, comme on dirait aujourd'hui, peintres d'animaux. Pausias était proprement l'inventeur de ce genre : Mais, ajoute Pline, si beaucoup l'imitèrent, personne ne l'égala. On reconnaîtra le même talent d'exécution dans les peintures qui ornaient le Tholos d'Épidaure, petit édifice circulaire en marbre blanc. D'un côté, l'on voyait l'Amour tenant une lyre, son arc et ses flèches à ses pieds ; de l'autre, l'Ivresse, tenant une bouteille de verre. Ce qui paraissait merveilleux, c'est qu'à travers la bouteille transparente on distinguait les traits de la femme[23]. Je ne puis toutefois m'empêcher de remarquer que Pausias n'aborda jamais la. grande peinture, la peinture d'histoire, comme ses prédécesseurs ; ou plutôt il l'aborda une fois et sans y réussir. Les habitants de Thespies l'avaient chargé de décorer un mur peint jadis par Polygnote, et qu'il avait fallu reconstruire. Son œuvre, comparée à celle du vieux maitre, fut jugée bien inférieure, parce qu'il s'était essayé dans un genre qui n'était pas le sien[24] ; c'est-à-dire qu'il lui avait fallu traiter une grande composition, héroïque ou historique, sujet nouveau pour lui : les critiques de ses rivaux en font foi. Car je ne puis attribuer son infériorité, ainsi qu'on l'a fait, à un changement de procédé ou de style. Entre la peinture ordinaire et l'encaustique, la différence n'est pas telle qu'un talent aussi souple et aussi fécond en inventions que celui de Pausias se trouve embarrassé. Quant à supposer qu'il s'était efforcé de reproduire le style, la manière de Polygnote, c'est là une idée tout à fait moderne. Nous ne pratiquons si facilement le pastiche aujourd'hui que parce que nous n'avons plus ni écoles, ni véritables traditions. Non, il vaut mieux avouer que Pausias, entré tard dans l'atelier de Pamphile, suivit pas la méthode sévère et, en quelque sorte didactique que les chefs de l'école avaient adoptée. Malgré ses succès, il montre déjà les dangers de l'imitation exacte ; elle s'éprend trop vivement de la nature, elle se laisse entraîner par le plaisir d'en reproduire des faces nouvelles, et, après avoir copié des athlètes ou des héros, elle se joue avec des animaux et des fleurs. La tradition classique, l'enseignement fut conservé bien plus pur par Mélanthe. Lorsque Pamphile fut mort, ce fut auprès de Mélanthe, et non pas auprès de Pausias, qu'Apelle vint continuer son noviciat. Le fils même de Pausias, son élève, Aristolaüs, semble être rentré, par une sorte
de réaction, dans la voie dont Pausias s'était écarté. Il peignit aussi un Sacrifice
de bœufs, peut-être à ses débuts, pour imiter le chef-d'œuvre paternel.
Mais ses autres tableaux annoncent un style tout différent ; en effet, ils le
firent ranger parmi les peintres les plus graves, les plus sévères. Ils
représentaient Épaminondas, Périclès, Médée, Méchopane, ou Méchophane, un autre élève de Pausias, loin de suivre l'exemple du maître, se jeta, à son tour, dans l'excès opposé. L'antiquité ne nous a signalé aucune de ses œuvres. Mais nous savons qu'il avait adopté une manière savante qui ne plaisait qu'à un très-petit nombre d'amateurs et que les artistes seuls pouvaient comprendre. Généralement ses tableaux paraissaient d'une couleur dure et désagréable : on lui reprochait de prodiguer le jaune[26]. Pline range parmi les élèves de Pausias Socrate, qu'il oppose à Méchophane, parce qu'il. était aussi goûté du public que Méchophane l'était peu. L'on admirait son Esculape avec ses trois filles, son Jason, et l'on riait fort devant son Paresseux, qui tressait une corde de joncs et laissait son âne la manger à mesure. On conçoit le succès d'un pareil sujet : c'est tout à fait ce que nous appelons un tableau de genre. Pline nomme encore Mnasithéus. Jusqu'au temps d'Aratus, la tradition de l'école nous échappe,
sans qu'elle paraisse, pour cela, avoir été interrompue ; car nous la retrouvons
alors et toujours florissante, même quand l'art dépérit dans le reste de Néalcès est le talent le plus saillant, c'est le maître
parmi les peintres qui entourent Aratus[27]. Il passait pour
un artiste habile, ingénieux, spirituel[28]. Il avait un jour
pris pour sujet un Combat naval entre les Égyptiens et les Perses ;
mais, comme le théâtre du combat était le Nil, dont les eaux, sont de la même
couleur que la nier, il fallait faire comprendre ce détail géographique. Il y
réussit en ajoutant un âne qui buvait dans le fleuve et un crocodile qui le
guettait. Les Grecs goûtaient fort ces finesses. Peut-être sera-t-on plus
touché des larmes qu'il versa quand Aratus, dont il était l'ami[29], voulut détruire
le portrait du tyran Aristrate, ce chef-d'œuvre de Mélanthe et de ses élèves.
Néalcès demandait sa grâce ; Aratus se montrait républicain implacable ;
enfin le peintre tout en pleurs s'écria : Faisons la
guerre aux tyrans et non à leurs monuments. Épargnons le char et Cet amour, ce culte de l'art était général à Sicyone ; il explique comment, malgré la décadence générale, la peinture y florissait toujours et conservait, sans altération, une beauté, dit Plutarque, qui là seulement semblait impérissable[31]. On cite encore de Néalcès sa Vénus[32], et l'on racontait sur son Cheval écumant la même fable[33] que sur l'Ialysus de Protogène. Une éponge lancée avec colère aurait produit ce. que le pinceau était impuissant à obtenir. Ces légendes, aussi charmantes qu'invraisemblables, ne sont, chez les Great, que des tours délicats, des raffinements d'admiration. Néalcès avait une fille nommée Anaxandra, qui cultiva aussi la peinture[34]. Son broyeur de couleurs, Erigonus, prit dans son atelier un tel goût pour l'art et le cultiva avec tant de succès, qu'il forma à son tour un élève célèbre, Pasias. Léontiseus était à peu près contemporain de Néalcès, puisqu'il fit le portrait d'Aratus. Il peignit, en outre, une Joueuse de lyre. Vers le même temps vivait Arcésilaüs, peintre, quoique son père Tisicrate fût sculpteur. Un autre contemporain de ces artistes, c'est Timanthe, qu'il ne faut pas confondre avec
l'auteur du Sacrifice d'Iphigénie. Il avait représenté On citera encore, sans pouvoir déterminer l'époque à laquelle ils vivaient, Thalès, dont Diogène de Laërte admire le style large et grandiose[36], et qu'il faudrait peut-être, pour cette raison, rapprocher du temps de Pamphile et de Mélanthe, Néoclès et son élève Xénon. Ces deux derniers n'étaient point des peintres obscurs ni sans mérite, car Pline a recueilli leurs noms. Mais nous n'avons sur eux aucun détail. Je ne sais même si Néoclès était Sicyonien. Xénon, son élève, l'était : c'est le seul indice. Tous ces artistes, quoi qu'en dise Plutarque, étaient loin des maitres, et le siècle des Ptolémées n'était plus le siècle d'Alexandre. Les Grecs d'alors le savaient bien, et lorsque Aratus, bon connaisseur en peinture[37], voulait acheter par des présents les secours de Ptolémée ne commandait point des tableaux à Néalcès, à Timanthe, à Léontiseus, mais il envoyait au puissant roi d'Égypte les œuvres de Pamphile et de Mélanthe, dépouillant sa patrie de ses richesses les plus précieuses. Je suis persuadé, du reste, que nous ignorons tout un grand côté de la peinture à Sicyone, et que les Romains l'ignoraient également : je veux parler de la peinture monumentale. Les maîtres sicyoniens, peintres d'histoire, étaient éminemment propres à décorer les édifices de ces œuvres dont l'exécution rapide est souvent mieux inspirée que le soin et le fini de l'atelier. On ne doit rien conclure de l'échec de Pausias à Thespies. Pausias fut plutôt un novateur que le représentant d'une école didactique et constante dans ses principes. Après tout, s'il fut vaincu, ce fut par Polygnote, par un grand maître, par un mort, c'est-à-dire par un de ces rivaux que préfère toujours aux vivants le respect ou la malignité des hommes. Les preneurs de villes sont le fléau des arts : Démétrius ne le prouva que trop à Sicyone. La ville fut détruite pour être rebâtie sur la hauteur ; alors disparurent ou furent dispersées les peintures qui décoraient les monuments de cette autre Athènes. Lamia, savante et éprise du beau comme l'étaient les grandes courtisanes de l'antiquité, lui rendit aussitôt son Pœcile. Mais ce triste événement explique le silence des critiques alexandrins, et surtout le silence de Pline. |
[1] Picturam Græci affirmant alii Sicyone, alii apud Corinthios repertam. (Pline, H. N., XXXV, 5.)
[2] Sine alto etiamnum colore, jam tamen spargentes lineas intus. (Pline, H. N., XXXV, 5.)
[3] Athenag., Leg. pro Christ., 14, p. 59, éd. Dechair.
[4] Diuque fuit illa patria picturæ. (Pline, XXXV, 40.)
[5]
Vers
[6] Ipsius auctoritas tanta fuit, ut divisent picturam in genera tria, quæ ante eum duo fuere, helladicum et quod asiaticum appellabant. Propter hunc, qui erat Sicyonius, diviso Helladico tria facta sunt : Ionicum, Sicyonium, Atticum. (Pline, XXXV, 36).
[7] Il n'est pas sans intérêt de rappeler que la tragédie était née à Sicyone. Là, pour la première fois, on avait substitué à la représentation des mystères bachiques un drame héroïque, les malheurs d'Adraste. (Suidas, Θέσπις.)
[8] Naturam ipsam imitandam esse, non artificem. (Pline, XXXIV, 19.)
[9] On a compté quelquefois le célèbre Timanthe parmi les peintres sicyoniens. Eustathe (ad Il. XXIV, v. 163) dit, en effet, qu'il était de Sicyone ; mais Quintilien (II, 13) croit qu'il était de Cythnos. La ressemblance des deux mots a pu tromper Eustathe, surtout si l'on tient compte de l'iotacisme de son temps. Comme il y eut, en outre, un peintre du même nom à Sicyone, contemporain d'Aratus, l'erreur était d'autant plus naturelle. Du reste, le caractère du talent de Timanthe, qui cherchait surtout le sentiment et le pathétique, n'a rien de commun avec l'école de Sicyone.
[10] Pline, XXXV, 36. Aristophane, Plut., V. 385 et le Scoliaste. — Suidas, in v. Πάμφιλος.
[11] Ratione Pamphilus et Melanthius. (XII, c. 10.)
[12] Primus in pictura omnibus litteris eruditus, præcipue arithmetice et geometrice, sine quibus negabat artem posse perfici. (Pline, XXXV, 6.)
[13] Et hujus auctoritate effectum est Sicyone primum, deinde et in tota Græcia, ut pueri ingenui omnia ante graphicen, hoc est picturam in buxo docerentur, recipereturque ars ea in primum gradum liberalium. (Pline, XXXV, 6.)
[14] Vie d'Aratus, XIII.
[15] Pline, XXXV, 36.
[16] Diogène Laërte, in Polemone, l. IV.
[17] Plutarque, Vie d'Aratus, XIII.
[18] Pline, XXXV, 40.
[19] Idem et lacunaria primus pingere instituit : nec cameras ante eum taliter adornari mos fuit. (Pline, XXXV, 40.)
[20] Pamphilus... non pinxisse solum encausta, sed etiam docuisse traditur Pausian Sicyonium, primum in hoc genere nobilem. (Pline, XXXV, 40.)
[21] Études d'Archéologie et d'Histoire, par M. H. Fortoul, t. I, p. 250 et suivantes.
[22] Pline, XXXV, 40.
[23] Pausanias, Corinth., XXVII.
[24] Pinxit et ipse penicillo parietes Thespiis, quum reficerentur, quondam a Polygnoto picti : multumque comparatione superatus existimabatur, quod genere non suo certasset. (Pline, XXXV, 40.)
[25] Pausiæ filius et discipulus Aristolaus e severissimis pictoribus fuit, cujus sunt Epaminondas, Pericles, Medea, Virtus, Theseus, imago atticæ Plebis, boum immolatio.
On s'accorde à placer Aristolaüs vers la cent dix-huitième olympiade.
[26] Sunt quibus et Mechopanes, Pausiæ discipulus, placeat diligentia, quam intelligant soli artifices ; alias durus in coloribus et site multus. (Pline, XXXV, 40.)
[27] Néalcès doit être place de la cent trentième à la cent trente-sixième olympiade.
[28] Pline, XXXV, 40.
[29] Plutarque, Vie d'Aratus, XIII.
[30] Plutarque, Vie d'Aratus, XIII.
[31] Plutarque, Vie d'Aratus, XIII.
[32] Pline, XXXV, 40.
[33] Pline, XXXV, 36.
[34] Didym. ap. Clem. Alex., Strom.,
IV, p. 381.
[35] Plutarque, Vie d'Aratus, XXXII.
[36] Il l'appelle μεγαλοφυής. (I, 38.)
[37] Plutarque, Vie d'Aratus, XXXII.