Les écrivains anciens, particulièrement Pausanias, nous ont laissé tant de détails sur la manière dont se célébraient les jeux Olympiques, l'abbé Barthélemy a recueilli si complètement les textes et les a si habilement mis en œuvre dans son récit, qu'il a rendu inutile toute nouvelle recherche sur ce sujet. Aussi n'ai-je l'intention de m'arrêter que sur la partie historique qui concerne l'établissement de ces jeux ; j'y mêlerai quelques considérations générales qui n'ont point trouvé place dans le voyage imaginaire d'Anacharsis. Les Éléens prétendaient que les hommes de l'âge d'or
avaient, les premiers, érigé un temple à Olympie et qu'ils l'avaient consacré
à Kronus ou Saturne[1]. Peuplée par la
race pélasgique, comme l'Arcadie dont elle faisait primitivement partie,
l'Élide dut, en effet, adorer cette grande divinité des Pélasges, et le mont
Kronus, qui dominait la vallée d'Olympie, rappelait par son nom les droits du
dieu détrôné. Mais ce temple se réduisait probablement à un simple autel, et
le nom d'Olympie ne peut remonter à une antiquité aussi reculée. Les Doriens
l'apportèrent, dit-on, de Plus tard, cinq Dactyles ou Curètes du mont Ida, en Crète,
Hercule, Pæonæus,
Épimédés, Jasius,
Idas, apportèrent à Olympie Jupiter
enfant, c'est-à-dire son culte naissant. Dans ces temps barbares, il ne
pouvait en être différemment des époques civilisées : toute nouvelle religion
rencontre des résistances et des persécutions. Aussi une tradition
rapportait-elle que Saturne et Jupiter s'étaient disputé l'empire à la lutte.
Jupiter vainqueur fit célébrer des jeux après sa victoire : Apollon l'emporta
sur Mercure à la course et sur Mars au pugilat. Ces fables n'ont de valeur
que parce qu'elles attestent le combat des deux religions. Ceux qui veulent
que Prométhée ait régné en Élide le donnent pour protecteur an nouveau dieu,
et cette fois ils trouvent une preuve éclatante dans le mythe de Prométhée,
reconnu par toute En. outre, ces fictions semblent indiquer que les jeux Olympiques furent apportés de Crète. Hercule Idéen et les Dactyles, ses frères, les célébrèrent les premiers, d'après le témoignage de Pausanias. De là dette confusion naturelle qui attribuait au dieu l'œuvre de ses ministres. Voici d'autres faits à l'appui de cette opinion. Dans, la suite des temps, un autre Crétois ; Clyménus, qui se prétendait descendant d'Hercule Idéen afin d'être mieux accueilli en Élide, remit en vigueur les jeux oubliés, et réussit à les rendre si populaires que presque. tous les rois du pays ou des pays voisins, Endymion, Pélops, Amythaon, Nélée, Augias[2], tinrent à honneur de les renouveler. A Delphes, les premiers prêtres d'Apollon furent également des Crétois, qui, là aussi, instituèrent des jeux, les jeux Pythiques. Enfin Lycurgue rapporta vraisemblablement lui-même de Mais il est du moins certain qu'il ne faut pas attribuer à. Hercule, fils d'Alcmène, l'institution de ces jeux ; il les fit seulement célébrer de nouveau, après la défaite d'Augias et la prise d'Élis[3]. Ses chevaux, conduits par Iolas, remportèrent le prix de la course de chars. Castor fut vainqueur à la course, Pollux au pugilat : cette double victoire attacha au nom des Dioscures la gloire immortelle qui les fit dieux. Hercule lui-même ne dédaigna pas de descendre dans l'arène et de gagner la palme de la lutte et du pancrace. Jamais olympiade ne vit des concurrents plus illustres, si toutefois les Éléens n'avaient pas inventé ces traditions pour prouver l'antiquité de leurs jeux. Mais l'éclat de ces dernières fêtes fut suivi d'une interruption prolongée. En vain Oxylus, qui, pour faire oublier son usurpation, s'attachait aux vieux souvenirs et aux vieux usages, essaya-t-il de les faire revivre. Les bouleversements produits dans le Péloponnèse par l'invasion dorienne, les guerres entre les États divisés d'intérêts, les luttes intestines entre les deux races, entre la royauté et l'oligarchie, puis entre l'oligarchie et la démocratie, les émigrations des vaincus ou des mécontents, cet état de choses, violent et transitoire, était trop contraire à de semblables desseins. Les Doriens, malgré leur culte pour Jupiter Olympien, malgré la satisfaction qu'ils devaient éprouver en trouvant chez la race conquise les divinités qu'ils apportaient avec eux, furent sourds à l'appel d'Oxylus. L'histoire attribue au roi Iphitus le rétablissement solennel des jeux Olympiques, ou plutôt leur institution véritable ; car jusqu'à lui ce n'était qu'une fête locale sans périodicité. Mais il ne fit que suivre les conseils de Lycurgue, qui portait partout sa pensée de législateur. Lycurgue sentait combien la paix était nécessaire à Sparte, pour que les nouvelles lois et les nouvelles mœurs y prissent racine. Aussi vit-il surtout dans les jeux Olympiques un moyen de suspendre des guerres éternelles entre les peuples du Péloponnèse, et de rendre la paix plus inviolable, en la plaçant sous la protection de la religion. Il fit parler l'oracle de Delphes, complice acquis à l'avance à tous les projets salutaires ; il fit inviter par les Éléens tous les peuples du Péloponnèse à assister aux fêtes d'Olympie ; il traça lui-même, suivant Aristote[4], les lois de la suspension d'armes qui se devait observer alors, véritable trêve de Dieu qui devançait le christianisme. L'opinion la plus générale place en 884 le règne
d'Iphitus, cent huit ans avant que les Éléens inscrivissent la victoire de
Corœbus sur leurs registres et fondassent l'ère des olympiades. Pourquoi les
Grecs ne les comptèrent-ils pas dès le règne d'Iphitus ? Est-ce parce qu'ils
ne savaient alors ni fixer leur histoire ni se créer des annales ? Ou bien l'idée
de Lycurgue testa-t-elle longtemps stérile, et les jeux Olympiques ne
commencèrent-ils qu'un siècle après à attirer le concours enthousiaste de
toute Ainsi, nous voyons deux périodes bien distinctes dans l'histoire de la fondation des jeux olympiques. La première est fabuleuse et composée de traditions recueillies dans le pays. Si on ne refuse pas toute croyance à ces traditions, il en résulte que ces cérémonies, apportées de Crète avec un dieu nouveau, n'eurent dans le principe qu'un caractère sacré, destinées à attirer les populations du voisinage autour du dieu, à rendre son culte aimable et populaire, et à tourner la curiosité au profit de la religion. Ce but une fois atteint, au milieu des guerres et des malheurs d'une époque barbare, les fêtes n'offrent plus qu'intermittence et obscurité. Cependant elles avaient laissé des traces profondes dans les souvenirs du peuple ; car tous les rois intelligents de l'Élide, tous ses conquérants, tinrent à honneur de les faire célébrer, et il se trouva une ville, Pise, qui aima mieux périr que de renoncer à les présider. La seconde période, au contraire, est tout historique, et
la pensée politique a pris la place de la pensée religieuse. Il serait
ridicule de prêter à Lycurgue la charité qui a dicté au christianisme la
trêve de Dieu, ou les chimères de ceux qui rêvent le désarmement des peuples
et la paix universelle. Mais, tout en reconnaissant qu'il a été conduit
surtout par l'égoïsme national et le désir des Athéniens. Chacun, en
retournant dans son pays, comparait ces jours de délices et d'union aux
tristes journées que leurs divisions leur avaient faites, et on se jurait de
tout faire, dans les assemblées, au sénat, pour y mettre un terme. En
ramenant avec des honneurs inouïs ses athlètes vainqueurs, chaque peuple ne
ramenait-il pas en triomphe Voilà peut-être ce que Lycurgue avait entrevu, espérant
que cette influence salutaire des jeux Olympiques s'accroîtrait avec les
années et avec le progrès des mœurs. Mais un caractère aussi léger, aussi
mobile que le caractère grec ne pouvait conserver longtemps l'impression de quelques
heures. A peine était-on de retour, et déjà le rêve s'était évanoui : les
intérêts et les vieilles querelles reparaissaient, les chefs ambitieux
reprenaient leur ascendant, les orateurs parlaient, les assemblées
s'agitaient, et bientôt les préjugés et la guerre avaient reconquis leurs
droits imprescriptibles. L'histoire ne prouve que trop combien ces éternelles
divisions, pour lesquelles Les jeux Olympiques, pour avoir manqué le but impossible
qui leur avait été fixé, n'en eurent pas moins une grande action sur
l'adoucissement des mœurs, sur la diffusion de la civilisation et des
lumières, en mettant en contact les peuples les plus arriérés avec ceux qui
devançaient glorieusement le siècle. On n'y admirait pas seulement la force,
la beauté, l'adresse du corps ; le génie y trouvait aussi la publicité et la
gloire. Les œuvres d'art innombrables que chaque ville apportait à Olympie,
le peuple de statues qui remplissait l'Altis, les écrits qui se récitaient
sous les portiques, n'était-ce pas la lutte des intelligences à côté des lut
tes gymnastiques ? La palme était plus belle : c'était l'immortalité. Là, les
Grecs se contemplaient avec orgueil les uns les autres et puisaient ce
sentiment de nationalité qui leur faisait tant mépriser les autres nations.
Là aussi, ils payaient leurs dettes communes aux sauveurs et aux bienfaiteurs
de la commune patrie. C'est là que Thémistocle recevait la plus délicieuse
des récompenses, et qu'enivré par les regards et les applaudissements de Quand une sage et généreuse pensée a été déposée dans une institution, il n'appartient qu'au temps d'en développer les bienfaits ; mais alors même qu'il la détourne de son but, c'est toujours à un bien qu'elle aboutit, comme par une consolante fatalité. |
[1] Pausanias, Elid., l. I, c. VII.
[2] Dans le onzième chaut de l'Iliade, Nestor raconte qu'Augias retint les chevaux et le char que son père Nélée avait envoyée en Élide, pour y disputer le prix de la course et le trépied promis au vainqueur.
[3] Pausanias, Elid., I, c. VIII.
[4] Aristote cité par Plutarque, Vie de Lycurgue, § I.
[5] Pausanias, Elid., I, c. VIII.