ÉTUDES SUR LE PÉLOPONNÈSE

L'ART À SPARTE

CHAPITRE IV. — DESCRIPTION DE LA VILLE.

 

 

Si quelque jour, dit Thucydide, Lacédémone devenait déserte, et qu'il ne restât que les temples, et l'espace occupé par les édifices, la postérité croirait difficilement à la puissance tant vantée du peuple spartiate..... En effet, c'est moins une ville qu'une réunion de bourgs, et l'on n'a cherché la magnificence ni pour ses temples ni pour ses autres monuments ; tandis qu'Athènes..., etc.[1]

C'est ainsi que s'exprimait un Athénien, en comparant la ville de Lycurgue[2] avec la ville de Cimon et de Périclès, avec sa patrie récemment décorée des chefs-d'œuvre du grand siècle, brillante de marbres, de statues d'or et d'ivoire, de peintures innombrables et présentant à l'admiration des siècles les Propylées et le Parthénon.

Sparte était-elle, en effet, si pauvre et d'un aspect si misérable ? Lycurgue, eu ordonnant de ne travailler la charpente des maisons qu'avec la hache et les portes qu'avec la scie[3], avait-il défendu de construire pour les dieux, les rois, le sénat, des demeures un peu moins grossières ? En d'autres termes, l'architecture avait-elle été condamnée par un législateur qui admettait, la poésie, la musique, la danse ? Cet art d'utilité, j'allais dire de nécessité publique, avait-il été proscrit avec les arts superflus et dangereux qui excitent le luxe ou flattent la mollesse ?

Il n'en est rien, et il est aisé de montrer que Sparte avait autant de temples que la plupart des grandes villes grecques, qu'elle avait aussi ses places décorées de portiques et de statues, ses monuments curieux qui attiraient par leur originalité l'attention du voyageur. Nous verrons qu'il y a eu dans cette république un art, si simple qu'on le suppose, des architectes, étrangers et laconiens. Les anciens eux-mêmes étaient loin de voir Sparte d'un œil aussi dédaigneux que Thucydide, puisque Polémon, le célèbre périégète[4], avait écrit un ouvrage spécial sur ses monuments. Pausanias, bien qu'il annonce en arrivant ne vouloir décrire que les choses les plus remarquables, ne consacre pas moins de huit chapitres à cette rapide énumération.

C'est à lui que nous devons de pouvoir nous faire une idée de ce qu'était une ville dont les débris mêmes ont aujourd'hui disparu. Tandis qu'Athènes a conservé ses plus magnifiques monuments, tandis que les plus grands noms de la Grèce sont encore signalés par quelque belle ruine ou par tant de fragments épars, Sparte a péri tout entière. Car je ne compte ni les fondations d'un théâtre refait en partie par les Romains, ni un débris de pont, ni quelques murs d'époque romaine. Seul, un grand tombeau survit à l'ancienne Sparte, comme pour laisser à l'imagination le plaisir d'évoquer le nom de Léonidas.

On peut essayer, toutefois, de reconstruire, avec l'aide de Pausanias, une ville qui ne méritait point d'être effacée du monde. Nous distinguerons, autant que le permettront ses paroles, les monuments antérieurs à la décadence des institutions et des mœurs : ceux-là seuls, évidemment construits pendant les beaux siècles de l'art dorique, particulièrement les VIe et Ve siècles, nous apprendront jusqu'à quel point la législation et la politique spartiate avaient laissé l'architecture décorer la cité de Lycurgue. Athènes, rasée par Xerxès, Corinthe, détruite par Mummius, s'étaient relevées, l'une dans un âge de perfection pour l'art, l'autre dans un âge de décadence, mais toutes deux renouvelées ; la plupart de leurs vieux monuments avaient disparu. Sparte n'avait point connu ces désastres ; elle se présenta complète au voyageur Pausanias. De plus, les richesses introduites par Lysandre et Agésilas ne servirent qu'aux jouissances des particuliers, et furent stériles pour la grandeur publique ; car le mouvement que semble avoir provoqué Lysandre ne fut que l'empressement d'artistes salariés, qui devaient immortaliser l'image et les actions d'un seul homme. Les Romains, de leur côté, témoignèrent peu de faveur à Sparte, et ne s'appliquèrent point à l'embellir comme Athènes. De sorte que la ville dorienne conservait encore le caractère que lui avait imprimé son gouvernement tombé depuis plusieurs siècles. Quelques temples, quelques autels élevés aux empereurs et aux nouveaux dieux, sont faciles à reconnaître.

Pausanias décrit d'abord la place publique, et c'est, dit-il en commençant sa description[5], quelque chose qui mérite d'être vu.

On sait quelle est la sécheresse de Pausanias, avec quelle froideur cet esprit curieux surtout de fables et de superstitions passe devant les plus célèbres chefs-d'œuvre. Cela mérite d'être vu est l'expression la plus forte que trouve son admiration. Le Parthénon, le Jupiter de Phidias, les fresques de Polygnote, ne sauraient lui arracher un autre éloge.

Pausanias fut donc frappé de l'aspect de l'Agora. Fut-ce de sa grandeur, de sa disposition, de la beauté des édifices ? Je l'ignore : mais le fait qu'il importe de noter, c'est l'admiration de Pausanias.

D'un côté, il vit les édifices réservés aux grands corps de l'État et aux magistrats, au sénat, aux éphores, aux gardiens des lois, aux présidents des gymnases. En avant, s'élevait le monument le plus magnifique de l'Agora[6], le portique des Perses. Le butin rapporté de Platées en avait payé la construction, et, pour rappeler éternellement le triomphe de la Grèce sur les barbares, au-dessus de la colonnade on avait placé les statues des principaux parmi les Perses. Ainsi on reconnaissait Mardonius et Artémise, la belliqueuse reine d'Halicarnasse. Ces statues, et d'autres assez nombreuses, étaient en marbre blanc. Il est vrai gué le portique avait été agrandi à une époque postérieure, et qu'on y avait ajouté des embellissements, mais sans changer le plan primitif. Les statues qui surmontaient chaque colonne n'étaient point, comme on pourrait le croire, une invention plus récente. Car, au temps de Xerxès, la sculpture était aussi florissante à Sparte qu'en aucun lieu de la Grèce ; nous le verrons plus loin. Le témoignage de Vitruve[7] ne laisse, du reste, aucun doute sur l'époque à laquelle cette œuvre si originale fut exécutée. Ce fut après la bataille de Platées que les architectes lacédémoniens imaginèrent de faire soutenir la pente du toit par des barbares à la robe trainante. Ils devancèrent les Errhéphores d'Athènes, les Télamons d'Agrigente, et résolurent, peut-être les premiers[8], un des problèmes les plus remarquables de l'art grec, l'union de la sculpture avec l'architecture.

Il est facile de restaurer par la pensée le portique des Perses. Il a deux étages : le premier est formé par une longue colonnade dorique. Les colonnes sont unies par leurs architraves ; sur ces architraves[9], et correspondant à chacune des colonnes, sont posées les statues qui soutiennent à leur tour les architraves plus ornées[10] du second étage, la corniche et le toit. Un tel monument, quel que soit le mérite d'exécution, est déjà bien remarquable par sa nouveauté.

Sur une autre partie de la place, un grand espace est réservé devant les trois statues d'Apollon Pythien, de Diane et de Latone. C'est ce qu'on appelle le Chœur. C'est là qu'avaient lieu, aux beaux temps de Sparte, les gymnopédies, et que les jeunes gens formaient des chœurs en l'honneur d'Apollon.

A peu de distance, trois temples sont rangés à la suite l'un de l'autre. Chacun d'eux est occupé par deux divinités à la fois : association familière aux âges reculés, et qui s'accorde avec les surnoms donnés évidemment aux principaux dieux dès l'établissement de l'Agora. Jupiter, protecteur de l'Agora, est adoré en commun avec la Terre ; Minerve Agora partage sa demeure avec Neptune[11], Apollon avec Junon. Il faut supposer à ces temples une grandeur, une disposition, une décoration différentes. Ils sont d'ordre dorique naturellement, mais ici présentant six colonnes de front, là deux colonnes entre deux antes ; ici précédés d'un portique, là sans péristyle et engageant leurs colonnes dans les murs de la cella. Qui ne sait combien les Grecs multipliaient, par la variété des proportions et des combinaisons, les ressources d'une architecture sévère qui n'admettait qu'un petit nombre d'éléments ?

Je me figure à l'extrémité de la place, et la dominant du haut de son vaste piédestal, cette statue colossale qui représente le peuple spartiate[12]. Près de là, Mercure tenant dans ses bras Bacchus enfant ; dans le fond, l'édifice qu'on appelait les anciennes Éphories. De ce côté encore sera le temple des Parques ; à sa droite, le tombeau d'Oreste ; à sa gauche, l'enceinte où les Lacédémoniens se réunissent pour les repas nommés Phidities. A l'entrée, se tiennent Jupiter protecteur des étrangers et Minerve hospitalière.

Ceux qui se rappellent l'Agora de Pompéi s'imaginent facilement combien de petits édifices, d'autels, de statues, d'inscriptions, il faut ajouter par la pensée à l'énumération de Pausanias. En tenant compte de la différence qui existe entre un municipe gréco-romain et une puissante ville dorienne, on apprend aussi à Pompéi quel système présidait à l'embellissement d'une place publique, comment les édifices et les temples se pressaient autour de ce centre, non pas avec une régularité symétrique, mais avec une apparence de désordre qui donne à l'ensemble du mouvement, de la variété, et qui n'exclut pas l'harmonie.

Trois rues principales partent de la grande place : l'une se dirige vers le couchant et traverse la place Théomélide ; les autres sont la rue de la Scias et la rue Aphétaïs.

Dans la rue Aphétaïs, on remarque d'abord les Boonètes, antique demeure du roi Polydore. Le palais des présidents des gymnases est en face, à l'angle de la rue : sa façade regarde l'Agora. A côté, se trouve un temple de Minerve, dont la statue a été consacrée par Ulysse. Après avoir vaincu ses rivaux dans la course dont Pénélope fut le prix, il éleva à Minerve trois temples, à quelque distance les uns des autres[13].

Plus, avant dans la rue Aphétaïs, on voit les monuments héroïques d'Iopus, d'Amphiaraüs, de Lélex, de Talthybius. Il ne faut point se figurer de simples tombeaux, mais des constructions considérables, comme. les savait faire l'art des premiers âges, des tours carrées, de petites pyramides, des chambres sépulcrales dont l'entrée est quelquefois élégamment décorée, comme à Mycènes, quoique leur principal caractère soit la simplicité et la puissance[14].

A quelques pas plus loin est le Ténarium, sanctuaire de Neptune Ténarien. Près de là, une statue de Minerve consacrée par Tarente et les colonies italiennes. L'Hellénium est une vaste enceinte où les députés de la Grèce se réunirent à deux époques différentes, avant la guerre de Troie et au moment des guerres médiques. Au bout de la rue, on trouve le temple de Dictynne et les tombeaux de la famille royale des Eurypontides. ici, nous sommes près du mur d'enceinte de la ville[15] ; mais ce mur est une construction récente, puisque les lois de Lycurgue ont toujours défendu que Sparte fût fortifiée. Ses seuls remparts devaient être les rangs de ses guerriers. Au contraire ; les monuments que nous avons nommés précédemment remontent, la plupart, à une haute antiquité.

Si nous revenons sur nos pas dans la rue Aphétaïs jusqu'à l'Hellénium et prenons une rue transversale, nous trouvons le temple d'Arsinoé, belle-sœur de Castor et de Pollux, le temple de Diane, voisin des corps de garde, puis le tombeau des devins éléens, le monument de Maron et d'Alphée, les plus braves parmi les compagnons de Léonidas ; enfin les temples de Jupiter Tropæus et de la grande Cybèle.

La rue de la Scias part, comme nous l'avons dit, de la place publique. La Scias, qui lui donne son nom, est une grande salle circulaire où se tiennent encore, au temps de Pausanias, les assemblées. Théodore de Samos, architecte et sculpteur célèbre, l'avait construite, et avait donné à la toiture la forme d'une tente. Ainsi, à la fin du VIIe siècle, on avait déjà réalisé à Sparte une idée que les artistes de Périclès ne firent peut-être que reproduire : car on admirait particulièrement dans l'Odéon d'Athènes la toiture, qui imitait la tente du grand Roi[16].

Près de la Scias est un édifice rond, qui renferme les statues de Jupiter Olympien et de Vénus Olympienne, très-ancien, puisque Épiménide l'a construit. Le tombeau et le temple de Castor sont à peu de distance. En face de Vénus Olympienne est le temple de Proserpine consacré, dit-on, par Orphée.

Ensuite s'ouvre une place carrée, entourée complètement de portiques, disposition d'une belle régularité et vraiment monumentale. C'était anciennement un marché. Des autels y sont consacrés à Jupiter, à Minerve, aux Dioscures. Tout auprès s'élèvent les temples de Bacchus, de Jupiter, et. sur une colline, le temple de Junon Argienne, tin des plus anciens de Sparte. Dans un autre temple non moins ancien, la déesse est adorée sous le nom de Vénus-Junon ; sa statue est en bois, comme toutes celles que créa la sculpture dans son enfance.

La troisième rue qui sort de l'Agora traverse la partie orientale de la ville, et particulièrement la place Théomélide. Elle passe devant le théâtre ; mais ce théâtre est postérieur aux beaux siècles, non-seulement parce qu'il est construit en marbre blanc[17] et remarquable par sa richesse, niais parce que nous savons que les lois de Lycurgue proscrivaient les représentations dramatiques. Quant aux chœurs, ils se mêlaient aux fêtes sacrées devant le temple des dieux, et les gymnopédies avaient leur place et comme leur scène réservée sur l'Agora.

En face du théâtre, sont les tombeaux de Léonidas et de Pausanias, et une grande stèle où se lisent les noms des trois cents Spartiates morts aux Thermopyles. Les enfants venaient si souvent les épeler qu'ils les savaient tous par cœur[18].

Sur la place Théomélide ou voit réunis les tombeaux de la famille royale des Agiades[19]. D'époque et d'architecture différente ; ils présentent un ensemble majestueux et plein de variété. Ainsi les morts sont mêlés partout aux vivants, et tant de monuments funèbres contribuent à augmenter le caractère austère de la ville dorienne. La même place est décorée d'une de ces leschés où les vieillards de l'antienne Sparte se réunissaient pour charmer les heures par ces sages et aimables causeries dont parle Plutarque[20]. Il faut donc se figurer la lesché des Crotanes avec de vastes salles, des poétiques, une promenade, la vue du Taygète : c'est un lieu de plaisance destiné à la vieillesse.

Dans les environs, on compte quatre temples : les temples d'Esculape, de Neptune, de Diane Éginète[21] et de Diane Issoria. Plus loin, il y en a deux autres, consacrés à Thétis et à Cérès.

Nous sommes ainsi amenés, en négligeant quelques monuments moins importants, aux vastes terrains réservés aux exercices de la jeunesse. C'est là qu'étaient le stade, les gymnases.

Hors du stade, près d'une statue très-ancienne d'Hercule, on montre la maison de Ménélas : elle appartient maintenant à un particulier. En s'éloignant encore, on aperçoit les temples des Dioscures et des Grâces, d'Apollon Carnien et de Diane. A droite, au contraire, en sortant du stade, c'est temple d'Esculape, avec une antique statue en bois d'agnus castus. On passe ensuite devant un trophée érigé par Pollux, devant les statues des Dioscures, devant le temple de Neptune Domalite, et l'on arrive au Plataniste, ainsi nommé des beaux platanes qui l'ombragent, île factice qui servait jadis de champ de bataille à la jeunesse spartiate. Deux 'ponts y conduisent : l'un porte la statue d'Hercule, l'autre celle de Lycurgue.

Auprès du Plataniste est un portique, et derrière ce portique on remarque plusieurs monuments héroïques. Deux d'entre eux donnent leur nom à la place Sébrium et à la fontaine Dorcéa qui décore cette place. A droite 'est le tombeau du poète Alcman, puis le temple d'Hélène et celui d'Hercule, qui touche aux murs de la ville.

Il faut donc revenir encore sur nos pas et repasser par le stade. Deux chemins nouveaux se présentent, le premier vers l'orient, qui mène au temple consacré par Hercule à Minerve Axiopœné ; le second qui conduit à un autre temple de Minerve, et de là au temple d'Hipposthène[22]. Vis-à-vis, une vieille statue représente Mars avec des fers aux pieds. Par cette violence, Sparte croyait enchaîner le génie de la guerre, et la victoire avec lui.

En rentrant dans le quartier du Théâtre, ou aperçoit une nouvelle lesché. Je ne sais pourquoi on l'appelait Pœcile. Était-elle décorée de peintures comme le Pœcile d'Athènes, ou bien construite avec des marbres de couleur variée ? Dans les deux cas, il y a lieu de la croire postérieure au siècle de Périclès. Car les lois de Lycurgue proscrivaient la peinture, et le mélange des marbres est un goût romain.

En se rapprochant du Théâtre, on aperçoit un temple d'Esculape, le plus somptueux[23] de tous ceux que les Lacédémoniens ont consacrés à ce dieu. A quelques pas de là, sur une petite éminence, est un vieux temple d'une construction curieuse. Car il a deux étages, exemple unique dans l'architecture grecque. Au premier, est une statue en bois de Vénus armée ; au second, une statue en cèdre de Vénus Morpho. Cette dernière est assise, la tête voilée et les pieds enchaînés, symbole des vertus domestiques et de la fidélité conjugale.

Le temple d'Hilaire et de Phœbé se trouve dans le voisinage. Il renferme encore deux statues de style archaïque. Cependant le visage de l'une d'elles a été refait d'après les règles d'un art plus moderne.

De là jusqu'aux portes de la ville, on trouve seulement quelques monuments héroïques[24].

Dans le quartier du Marais, on doit signaler d'abord le temple élevé à Lycurgue par ses concitoyens. On lui rendait les mêmes honneurs qu'à un dieu, et le sévère Aristote[25] ne trouvait pas que ces témoignages de reconnaissance eussent rien d'exagéré. De ce côté sont les tombeaux de Théopompe, d'Eurybiade, le vainqueur de Salamine.

On nomme proprement Marais une place consacrée à Diane Orthia. C'est devant la statue de la déesse, apportée de Tauride par Iphigénie, que l'on fouettait les enfants jusqu'au sang.

L'acropole de Sparte est peu élevée ; elle n'a ni la force des acropoles d'Argus et de Corinthe, ni la richesse de l'acropole d'Athènes. Cependant, les Spartiates n'ont pas négligé d'embellir un lieu que les villes grecques soignaient religieusement, comme leur berceau, leur refuge et le sanctuaire de leur divinité protectrice.

Parmi les différents édifices qui décorent l'acropole, le plus remarquable est le temple de Minerve Chalciœcos. Il est en bronze, ainsi que la statue de la déesse[26], et a été construit à la fin du VIe siècle par le Lacédémonien Gitiadas, qui était à la fois poète, sculpteur et architecte. L'artiste ne s'est pas contenté d'imaginer un monument si extraordinaire[27] ; il a représenté de tous côtés sur le bronze une série de grands. sujets. En outre, dans l'acropole de Sparte, comme dans celle d'Athènes, un temple est consacré à Minerve Ergané, déesse des arts.

Deux portiques tournés, l'un vers le midi, l'autre vers le couchant, c'est-à-dire regardant tous deux la plaine de Laconie et la longue chaîne du Taygète, ne sont pas un des moindres ornements de la ville haute. Ils sont anciens, car ils existaient déjà au temps de Lysandre, qui y a consacré deux victoires portées par deux aigles : ce sont les victoires d'Éphèse et d'Ægos-Potamos.

Entre le portique du midi et Minerve Chalciœcos, s'élève le temple de Jupiter Cosmétas, et devant le temple, le tombeau de Tyndarée. A gauche de Minerve Chalciœcos, on trouve le temple des Muses et celui de Vénus Guerrière, qui renferme des statues en bois aussi anciennes que tout ce qu'on peut voir en Grèce. A droite aussi est un Jupiter en bronze, la plus ancienne statue qu'on connaisse de ce métal. Elle est composée de morceaux travaillés séparément et ajustés avec des clous. C'est l'œuvré de Cléarque de Rhégium.

Plus loin, s'élève l'édifice qu'on appelle le Pavillon : sa forme, mais non ses proportions, rappelle la Scias. Du même côté, est le temple de Minerve Ophthalmitide ou plutôt Optilétide, comme disaient les Doriens de Sparte[28]. Lycurgue le bâtit en souvenir de l'émeute où il perdit un œil.

Je citerai, en finissant, quelques temples que Pausanias a passés sous silence, et dont par conséquent on ignore la position : les temples de Jupiter Hellénien et de Minerve Hellénienne[29], le temple des Furies[30], celui de Pasiphaé[31], les temples de la Crainte, de la Mort, du Rire[32]. Ce dernier, Lycurgue l'avait consacré lui-même, comme pour déclarer que ses lois ne chassaient point de Sparte tout ce qui rend la vie plus douce et plus aimable.

 

 

 



[1] Thucydide, I, 10.

[2] Sparte n'avait pas de fortifications, et son circuit était de quarante-huit stades (deux lieues environ). Les puissantes murailles d'Athènes, avec les longs murs qui les reliaient au Pirée, avaient cent quarante-huit stades de tour (plus de six lieues).

[3] Plutarque, Vie de Lycurgue, XIII.

[4] Athénée, XIII.

[5] Lacon., XI.

[6] Pausanias, Lacon., XI.

[7] Les Lacédémoniens agirent de la même manière, lorsque, sous la conduite de Pausanias, fils de Cléombrote, ils défirent avec une poignée d'hommes, à la bataille de Platée, l'armée innombrable des Perses. Après avoir triomphé avec gloire, ils firent servir les dépouilles de l'ennemi à l'érection d'un portique qu'ils appelèrent Persique, trophée qui devait rappeler aux générations futures leur courage et leur victoire. Vitruve, I, 1.

[8] Itaque ex eo multi statuas Persicas sustinentes epistylia et ornamenta eorum collocaverunt. (Vitruve, I, 1) Il faut remarquer que les Caryatides furent également imaginées après les guerres médiques, et que Caryes est une ville de Laconie.

[9] Pausanias, Lacon., XI.

[10] Il faut supprimer la frise, comme au petit portique de l'Érechthéion d'Athènes. L'entablement complet eût trop chargé la tête des statues.

[11] La réunion de Minerve et de Neptune dans le même temple est un usage qui se retrouve dans toute la Grège, et particulièrement à Athènes dans l'Érechthéion.

[12] Pausanias, Lacon., XI.

[13] Pausanias, Lacon., XII.

[14] Tels sont les monuments héroïques qu'on trouve à Mycènes, à Ligourio (près d'Épidaure), à Sparte même (le tombeau de Léonidas).

[15] Pausanias, Lacon., XII.

[16] Plutarque, Vie de Périclès, XIII.

[17] Pausanias, Lacon., XIV.

[18] Plutarque, Vie de Lycurgue.

[19] De même, à Vérone, on voit réunis sur une place les tombeaux des seigneurs de Vérone. Les Campi-Santi en Italie, loin d'offrir la tristesse de nos cimetières du Nord, sont quelquefois la plus belle décoration d'une ville ; ainsi à Naples, à Pise.

[20] Vie de Lycurgue, XXV.

[21] On sait que Sparte accueillit les Éginètes chassés de leur île par les Athéniens.

[22] Hipposthène vivait vers la 37e olympiade. Il remporta plusieurs fois le prix de la lutte à Olympie. L'oracle ordonna qu'on lui rendît les mêmes honneurs qu'à Neptune. (Pausanias, Lacon., XV.)

[23] Pausanias, Lacon., XV.

[24] Ceux de Chilon, un des sept sages, d'Athénæus, de Doriens.

[25] Aristote, cité par Plutarque, Vie de Lycurgue, XXXI.

[26] Pausanias, Lacon., XVII.

[27] On ne peut citer d'analogue en Grèce que le troisième temple de Delphes. Encore l'attribuait-on à Vulcain, et il avait été détruit dès les temps fabuleux. (Pausanias, Phocid., V.)

[28] Plutarque, Vie de Lycurgue, XI.

[29] Plutarque, Vie de Lycurgue, VI.

[30] Hérodote, IV, 149.

[31] Plutarque, Vie de Cléomène, VII.

[32] Plutarque, Vie de Cléomène, IX et Vie de Lycurgue, XXV.