Le temple de Sur trois degrés s'élève le sanctuaire, fermé de trois côtés ; il a en largeur un peu plus, en longueur un peu moins de cinq mètres. L'entrée, à l'orient, est entre deux piliers qui soutiennent l'architrave, et qui étaient réunis aux murs latéraux par une grille. Le sanctuaire est précédé d'un portique de même largeur, compos6 de quatre colonnes ioniques, fermé lui-même sur les. côtés : non-seulement la fermeture qui unissait les deux colonnes d'angle aux antes a laissé son empreinte, mais on remarque, sur les bases, que la partie qu'elle recouvrait n'a été que dégrossie. Autour du temple règne une frise haute de quarante-quatre centimètres et ornée de sculptures ; les frontons et le toit n'existent plus. Les deux portiques seuls ont encore leur plafond décoré de caissons. Tout l'édifice est construit en marbre pentélique. Le fût des colonnes est d'un seul morceau ; elles ont, avec leurs bases et leurs chapiteaux, un peu plus de quatre mètres ; leur diamètre est de cinquante-deux centimètres à la base, de quarante-trois au sommet. Comme on le voit par ces chiffres, le temple de Mais de même que les idées de Vitruve sur l'ordre ionique,
trop poétiques pour n'être point dérobées à La comparaison de l'ordre ionique et de l'ordre dorique conduit les modernes à des théories extrêmes, que les Grecs n'autorisent pas toujours. A l'un seulement, nous reconnaissons la majesté et la force ; à l'autre, nous n'accordons que l'élégance, et nous transportons en architecture comme une distinction de sexes. Si le dorique est plus sévère, l'on a vu, par le vestibule
des Propylées, que l'ionique savait, auprè3 dé lui, se dépouiller de sa
richesse et se faire simple. Non-seulement il affecte la même simplicité dans
le temple de Dans le petit sanctuaire fermé par ses grilles était la
statue de Dans son voyage en Laconie, Pausanias explique aussi
pourquoi les Athéniens avaient ôté les ailes à cette déesse : Il y a à Sparte, dit-il, un
Mars avec des fers aux pieds, statue très-ancienne, qui a été élevée
dans la même intention que Il serait curieux de voir la même idée chez deux peuples rivaux, et chacun d'eux montrant, par la manière dont il l'exprime, son caractère naturel. Les Spartiates, plus violents, choisissent l'impétueux Mars et l'enchaînent. Les Athéniens, plus politiques, préfèrent une jeune déesse et veulent la fixer dans leur ville par la ruse. Mais je crains que Pausanias aussi n'ait inventé cette explication. C'était un rapprochement naturel devant le Mars lacédémonien ; mais, loin d'Athènes, on a droit de croire plutôt à un jeu de gon imagination qu'à son exact souvenir. Pour les Athéniens, on le voit par les auteurs, la déesse
de En Attique, le dogme était plus précis encore. Minerve
était Adorée déjà sous plusieurs noms dans l'Acropole, elle
l'était en avant des Propylées sous cette nouvelle forme. Aussi croirais-je
volontiers que ce nom de Victoire sans ailes ne fut inventé qu'à une époque
postérieure, lorsque la tradition eut été obscurcie dans les souvenirs. On
oublia Minerve, on ne vit plus que Pendant que Minerve était dans le temple, gage éternel de
la puissance athénienne, sur la frise extérieure étaient représentés les
combats où elle avait assuré l'avantage à son peuple ; et, sur la balustrade
de marbre qui entourait le temple, on voyait toute la troupe des Victoires
personnifiées, messagères ailées qui, par l'ordre de Minerve, se pressaient,
s'envolaient, accouraient de toutes parts à Athènes, y répandre la joie et
l'orgueil. Il n'y aura donc point de vaine subtilité à voir dans ces diverses
compositions de développement d'une même idée : dans le temple, La frise qui courait tout autour du temple n'orne plus que deux de ses côtés. La frise du nord et celle de l'ouest sont maintenant au Musée britannique ; leurs moulages en terre cuite avaient été envoyés à Athènes ; mais en les posant, on brisa celui de l'ouest. Ces charmantes sculptures, par leur relief même et par la petitesse du monument, furent à la portée de tous les barbares qui possédèrent l'Acropole : aussi ont-elles été mutilées sans pitié. Les têtes, les bras, les ornements, tout ce qui se détachait en saillie a été brisé. S'il en reste assez aujourd'hui pour juger de leur beauté, il en reste trop peu pour qu'on puisse comprendre les sujets qu'elles représentent. Je pense surtout à la frise de la façade orientale, qui, si elle était complète, serait peut-être également une énigme pour nous, puisqu'aucun auteur ancien n'en a parlé, mais que son état de dégradation rend inexplicable. Ceux mêmes qui ont essayé de donner des noms à toutes les figures ont été forcés d'avouer[3] qu'ils avaient sous les yeux un mythe inconnu. Vingt-quatre personnages remplissent la scène ; comme le fragment de l'angle nord-est n'a pas encore été retrouvé, on peut porter ce nombre à vingt-huit. Au milieu, on voit une femme debout, d'une taille plus élevée. Son bras gauche ramène vers le corps un bouclier ; son bras droit est étendu comme s'il avait tenu jadis une lance. Ces attributs, la place que cette figure occupe au centre du sujet, annoncent Minerve, à laquelle le temple était consacré. De chaque côté de Minerve sont deux hommes assis, l'un sur un rocher, l'autre sur un trône, les pieds posés sur un tabouret. Il est vraisemblable que, de même qu'au Parthénon et sur le temple de Thésée, les personnages assis sont des divinités. On pourrait peut-être nommer Jupiter et Neptune, ce dernier sur le rocher de l'Acropole où Minerve l'a admis à partager ses honneurs. A droite et à gauche des dieux se tiennent deux groupes composés chacun de trois femmes et de deux hommes qui se font symétriquement pendant. On peut encore conjecturer que ce sont les héros protecteurs.de l'Attique et les femmes dont le nom était consacré par les traditions religieuses. Toutes ces figures occupent le centre de l'action ; elles président, en quelque sorte, au drame qui se passe aux extrémités de la frise. Quel est ce drame ? Y en a-t-il un seul ? Y en a-t-il plusieurs ? — A sa droite, le spectateur voit une figure drapée et assise que deux femmes cherchent à entraîner ; à gauche, au contraire, trois femmes qui accourent avec un mouvement assez vif. Derrière elles, un enfant nu et ailé est tenu par deux autres femmes : on pense naturellement à l'Amour. On comprend que devant ces charmantes sculptures la curiosité s'éveille et leur demande le secret que leur mutilation a scellé. On comprend que l'imagination cherche à animer les personnages, à surprendre le drame qu'ils jouaient, lorsque la main des barbares a fait disparaître leurs pantomimes, leurs costumes, l'expression de leurs visages. L'amour de l'antiquité doit même prolonger ces efforts et ces combinaisons ; mais c'est là un plaisir personnel, et je n'ai point le droit de mettre mes fantaisies à la place de l'histoire. C'est pourquoi je relègue parmi les notes[4] une explication qui ressemble à un roman. Si le sujet de la frise orientale est un mystère, la beauté des sculptures, malgré leur état, n'échappe à personne. Les figures du milieu et des extrémités ont particulièrement souffert. On n'y peut admirer que quelques draperies, les poses, le mouvement général. Mais les deux groupes intermédiaires, composés chacun de cinq personnages qui se tiennent debout, sont beaucoup mieux conservés : les femmes n'ont perdu que la tête et une partie des bras. L'élégance des ajustements, la finesse des plis, ce mouvement si cher aux artistes grecs qui font fléchir une jambe pour donner plus de souplesse et de variété à la draperie, la tunique, qui, nouée à la ceinture par l'extrémité, se double et tombe mollement sur les hanches, tout cela se voit encore, et l'on ne sait ce qui doit étonner davantage de la délicatesse du ciseau qui a rendu ces détails sur une si petite échelle, ou de la largeur du style qui a créé une grandeur que semblaient interdire les dimensions réelles. Cette remarque s'applique également aux hommes, et surtout à ceux qui se trouvent derrière Neptune. L'un, qui pare un jeune homme, est presque entièrement nu ; un léger manteau, retenu sur l'épaule gauche, passe derrière les reins et vient s'enrouler au-dessus du genou. Le poids du corps repose sur la jambe droite ; l'autre jambe, ramenée en arrière, ne touche à terre que par la pointe du pied ; aussi le corps y porté en avant, s'appuie-t-il fortement sur un bâton ou sur une lance, le long de laquelle le bras s'allonge élégamment. La simplicité de cette pose, la beauté des formes, le sentiment et l'arrangement si parfait de l'ensemble, font de ce petit morceau un chef-d'œuvre. L'autre personnage parait au contraire d'un âge mûr, Les hanches sont peut accusées, la taille plus forte ; sa tenue est pleine de calme et de gravité. Le torse est nu, mais la partie inférieure du corps est étroitement serrée par un manteau dont la plus grande partie s'enroule autour du bras gauche et retombe en plis harmonieux. Le mouvement des jambes et des draperies si justes qui les couvrent rappelle singulièrement l'Aristide du Musée de Naples et le Sophocle du palais de Latran. Les trois autres côtés de la frise représentent des combats, et l'animation des sujets fait un contraste complet avec le calme majestueux de la façade. Au nord et au sud, les Athéniens sont aux prises avec des barbares que leur habillement fait facilement reconnaître. A l'ouest, comme les combattants sont nus, on est porté à croire que c'est un engagement entre les Athéniens et d'autres Grecs. Au milieu du silence des auteurs anciens, on ne peut
prétendre deviner quelles batailles les artistes ont voulu retracer. Certains
savants[5] nomment la double
victoire de Cimon à l'embouchure de l'Eurymédon, d'autres[6] Marathon et
Platée. Les premiers verraient alors sur la frise occidentale les Grecs asiatiques,
Lyciens et Cariens par exemple, qui suivaient les satrapes ; les seconds, les
alliés que le grand roi avait trouvés dans le nord de Au reste, on se demande comment les anciens pouvaient distinguer de pareils sujets autrement que par la tradition. En sculpture, la représentation d'un combat, surtout tel que l'exigeait une frise grecque, était un lieu commun, une suite de groupes qui offraient à l'art une variété et des ressources infinies, mais rien de distinctif qui marquât le temps et le lieu. Le peintre fera facilement reconnaître la bataille de Marathon par le paysage, par les marais où les Perses se précipitent, par les vaisseaux phéniciens qui essayent en vain de les recueillir ; mais tous ces détails sont interdits au sculpteur qui décore un temple. Les personnages mêmes sont sur un seul plan et ont une égale importance : ce n'est pas un combat général, mais une série de combats singuliers. Ici, il est vrai, les costumes indiquent des Perses, mais les Perses ont compté plus d'une défaite. Entre Grecs, au contraire, la couleur des manteaux, les signes peints sur les boucliers, maintenaient pour des yeux exercés la distinction des peuples ; mais les Grecs s'étaient mesurés en tant de lieux ! Enfin, si l'on retraçait des épisodes, des portraits célèbres, les contemporains seuls en avaient le secret ; les âges suivants en étaient réduits à la tradition. Faut-il nous étonner de notre incertitude, quand cette tradition nous manque ? L'art ne perd rien à cette lacune, qui ne préoccupe que l'histoire. Qu'importent le lieu, le nom, la date ? Le combat en est-il moins animé, les guerriers sont-ils moins bien groupés, leurs formes moins belles, l'imitation de la nature, dans le développement de sa force, moins parfaite ? La frise méridionale est celle qui a le moins souffert. On y compte vingt-huit figures, dont sept seulement sont devenues à peu près méconnaissables. Je n'entreprendrai point une description minutieuse qui n'apprendrait rien à personne. L'imagination se rend aisément compte d'une série d'engagements où, 'avec des mouvements et des succès divers, chacun attaque ou se défend. Le moment choisi par l'artiste est celui de la défaite. Déjà plusieurs barbares ont succombé ; étendus à terre, ils sont foulés aux pieds par les chevaux. D'autres, blessés ou désarmés, vont recevoir le coup mortel. Mais c'eût été répandre sur la composition générale trop de monotonie que de ne pas donner quelquefois aux Perses de l'énergie et une apparence d'avantage. On en voit un, en effet, d'une taille élevée, qui, de son genou, presse un Grec renversé et lève le bras pour l'achever. C'est un chef sans doute, et son courage, autant que les riches draperies. qui s'agitent autour de lui, l'ont signalé à trois Grecs qui volent au secours de leur compagnon ; un d'eux lui a même déjà saisi le bras. Malheureusement, cette partie où la composition semble avoir plus d'étendue est fort endommagée ; il en est de même de la scène suivante, où un Perse tombe avec son cheval. Dans les autres groupes, on petit admirer certains détails, particulièrement les formes des guerriers grecs, qui sont complètement nus ; car l'on ne peut compter pour un vêtement la courte chlamyde qui vole derrière leurs épaules, ou qu'ils ont enroulée autour de leur bras gauche, pour parer les coups de l'ennemi. La frise du nord, qui représente un sujet analogue, donnerait lieu aux mêmes remarques. C'est celle qui a été emportée en Angleterre, et qu'on a remplacée par un moulage en terre cuite. Les morceaux furent retrouvés par lord Elgin dans les murs d'une poudrière turque. Alors, pour la première fois, on découvrit l'erreur des anciens voyageurs, qui avaient vu ce petit temple debout et avaient parlé d'un combat d'Amazones. Le costume efféminé, les formes quelquefois délicates, l'action molle que l'artiste a donnée avec intention aux Perses, l'état de ruine[8] surtout de ces bas-reliefs, pouvaient tromper un coup d'œil rapide comme celui qu'on jetait dans ce temps-là sur les plus belles choses. Peut-être même un bouclier échancré, semblable à ceux des Amazones, un seul, que tient un Perse agenouillé, a-t-il contribué à cette illusion. Mais lorsqu'on eut retrouvé et vu de près ces marbres précieux, on reconnut que toutes les figures bien conservées étaient des hommes ; ce qui n'engageait nullement à croire que celles qui étaient ruinées fussent des femmes. LI barbe chez quelques-uns, le grand cimeterre oriental, la tiare, la tunique à manches, le vêtement plissé des jambes, ne diffèrent en rien de tout ce qu'on observe sur la grande mosaïque de Pompéi. La frise de l'ouest est également à Londres. Mais elle est presque entière, tandis que les deux tiers de celle du nord sont complètement effacés. Ce qui m'a frappé surtout, c'est le caractère général de cette bataille, qui est engagée avec une violence et une fureur que l'on ne remarque point dans les deux autres. Il est possible, je le sais, que cela tienne uniquement à ce que différents artistes ont peut-être travaillé à la frise ; un talent plus fougueux se serait chargé de ce côté. Mais ce n'est point prêter à l'art grec des beautés trop raffinées que de supposer que la sculpture suit fidèlement l'histoire. Elle fait combattre 'plus mollement ces Mèdes que l'on égorgeait par troupeaux, mais réserve toute sa force pour mettre dignement aux prises des Grecs qui ont la même force, le même courage, les mêmes armes. Ils se précipitent, en heurtant leurs boucliers, assènent des coups terribles, se disputent avec acharnement leurs morts. Pas un ne fuit, pas un ne recule ; les blessés eux-mêmes, au lieu de demander grâce, se défendent encore sous le pied qui les presse. Comme dans le Parthénon, comme dans le temple d'Apollon Épicourios
à Bassæ, la direction de la frise, sur les côtés du temple, est de l'ouest à
l'est ; c'est-à-dire que la marche du combat, partant de la façade
postérieure, aboutit à droite et à gauche du fronton principal. De sorte que
l'artiste, dans l'arrangement des personnages et de leurs poses, avait à
observer une triple convenance qui devenait une triple difficulté. Il fallait
d'abord que les combattants se fissent face les uns aux autres, sous peine de
ne pouvoir combattre. Malgré cela, on devait sentir un entraînement général
de l'action vers l'orient. Enfin g fallait, autant que possible, présenter de
face ou de trois quarts chaque personnage au spectateur, les morts eux-mêmes
: car une série de profils prête peu au développement de formes et de muscles
que l'on demande à la sculpture. Avec quel art, quelle variété, quelle
aisance surtout, l'artiste ne s'est-il pas joué au milieu de tant d'entraves
! Je ne parle ni de la nature, si exactement copiée, ni du goût, dont les
lois les plus délicates sont toujours respectées. C'est là, peut-être, ce que
n'ont pas assez remarqué ceux qui comparent la frise du temple de A Phigalie, quelque habile que soit une main qui avait
sans doute travaillé aux sculptures du Parthénon, on reconnaît une tendance
fâcheuse : le besoin de renouveler des sujets aussi usés que l'étaient alors
des combats d'Amazones et de Centaures, le désir surtout de. faire, non pas
mieux, mais autrement que les grands maîtres de l'art. De là une exagération
qui fausse la nature ; de là une recherche maniérée que le goût réprouve
toujours ; de là ces Centaures qui mordent à la gorge et ruent tout en même
temps dans les boucliers, ces Amazones aux poses prétentieuses, que l'on
renverse de cheval par les pieds, et dont les accidents sont plutôt ridicules
que tragiques. Beaucoup de détails sont tourmentés, invraisemblables, et,
lorsqu'on voit l'ensemble de ces bas-reliefs à côté des sculptures du
Parthénon, c'est alors, surtout, que la comparaison est fâcheuse[9] mais instructive.
Les sculptures du temple de J'ai fait allusion tout à l'heure aux couleurs dont avaient pu être revêtues certaines parties de la frise. Je dois dire cependant qu'il n'en reste absolument aucune trace. L'air corrosif de la mer, le marteau des Turcs, la chaux qui fixait la moitié de ces débris dans le mur d'une poudrière, ont enlevé la surface même et comme l'épiderme du marbre ; mais les restes de peinture que l'on voit sur la frise du Parthénon, sur la frise occidentale du temple de Thésée, autorisent, je crois, cette induction : Cependant, je ne parle que du fond de la frise, des armes, des draperies ; là seulement on a trouvé de la couleur. Le nu restait-il blanc ? Était-il revêtu d'une teinte légère ? C'est encore un problème. Lorsque les bas-reliefs étaient taillés dans la pierre, on ajustait aux personnages féminins des têtes, des mains, des pieds, en marbre blanc : ce n'était probablement pas pour les peindre comme on avait peint la pierre. C'est ce qui est arrivé à Sélinonte, non pas dans ces temples archaïques où l'art est encore grossier et primitif, mais dans le temple plus moderne, dont les sculptures annoncent déjà par leur beauté le commencement du siècle de Phidias. Lorsqu'en 1835 on détruisit la batterie qui s'élevait
devant les Propylées, on trouva successivement de grosses plaques de marbre
d'un peu plus d'un mètre de haut, entières ou en fragments, sur lesquelles
étaient sculptées en relief des femmes ailées. Des trous de scellement
montraient que ces plaques avaient dû être unies entre elles par les côtés et
fixées, par en bas, sur quelque surface. La tranche supérieure, au contraire,
percée de petits trous réguliers, supportait une grille de métal à laquelle
la balustrade de marbre servait de soubassement. MM. Hansen et Schaubert, à
qui revient l'honneur d'avoir découvert et relevé le temple de Plus tard, on a découvert des fragments du même genre, dont un, surtout, est assez complet et d'une grande beauté. J'ai moi-même trouvé, dans mes fouilles, trois morceaux d'une nouvelle Victoire, un pied, une draperie, une aile ; le bras d'une autre Victoire qui tient un bouclier ; le torse d'une troisième dont les deux mains semblent avoir porté ou présenté quelque objet. Tous ces fragments sont réunis dans la cella même du petit temple. C'est là que cette troupe charmante attend que la main d'un artiste la restaure et lui redonne la vie. Sur la plaque la plus considérable, on voit un taureau qui se cabre. Une Victoire, qui le masque en partie, le retient avec effort ; ses jambes sont écartées ; le corps se rejette en arrière comme pour résister à l'impétuosité de l'animal, qui l'entraîne à demi. En avant de ce groupe, une autre Victoire s'élance vivement : son bras gauche est levé en signe de triomphe, ses ailes sont étendues, ses draperies sont agitées par la rapidité de ses mouvements : on dirait qu'elle va prendre son vol. Le même sujet se retrouve sur deux bas-reliefs, à Rome et
à Florence. Celui de Florence, surtout, est une copie manifeste : seulement
je ne me rappelle pas si les femmes ont ou non des ailes ; au Vatican, elles
n'en ont pas. Lorsque ces représentations étaient ainsi détachées, on ne
pouvait y voir autre chose qu'une victime destinée au sacrifice qui
s'échappe, et deux prêtresses ou deux figures allégoriques, dont l'une
s'efforce de la retenir, tandis que l'autre s'enfuit effrayée. A Athènes, au
contraire, à côté du temple de On remarque, à la ceinture des Victoires, deux petits trous destinés à recevoir des ornements de métal. Quelque justement admiré que soit ce bas-relief ; la pose un peu théâtrale de la première Victoire, ses draperies tourmentées, trahissent une prétention à l'effet qui ne laisse point l'esprit complètement satisfait. Il y a de la, tournure, et le style est hardi, mais aux dépens. de la. simplicité. Le second cadre, dont il ne reste que la moitié, renferme
un des plus délicieux morceaux de l'art antique : La critique que je soumettais plus haut aux admirateurs de
Le propre des écoles qui commencent, non pas la décadence,
mais le raffinement de l'art, c'est l'inégalité. Les difficultés qu'elles se
créent à plaisir, pour en triompher, deviennent parfois des écueils, et l'effet, qu'elles poursuivent avec amour, a ses
caprices et ses fuites. Mais lorsque le but est heureusement atteint, l'œuvre
a une beauté qui frappe, parce qu'elle a voulu frapper, et un charme d'autant
plus puissant qu'il a été plus cherché. L'artiste a rêvé, sous des voiles
transparents[11],
un beau corps dont les formes pures se dessinent, s'accusent, se révèlent, en
paraissant se cacher, mélange de volupté et de pudeur. Il a voulu traduire
cette illusion sur le marbre. — Eh bien ! il a admirablement réussi. Dès
lors, la recherche est devenue un art infini et une grâce idéale. Ce n'est
plus la grande école de Phidias ; mais la beauté n'a-t-elle qu'un principe et
qu'un moule, dans la nature comme dans l'art ? Après La tête de Une quatrième Victoire, moins complète que les autres, se présente de profil, et rappelle, par sa pose, In Victoire des monnaies béotiennes. Droite et calme, elle étend son bras mutilé comme si elle avait présenté une couronne. Un voile léger, mais chaste, dessine ses formes pleines de fermeté. Les plis tournent sur la hanche, serrés entre les deux jambes, dont l'une fléchit gracieusement. Il y a dans cette sculpture plus de simplicité que dans les précédentes ; un goût sévère lui donnera peut-être la préférence. Je ne décris point les fragments plus petits qu'on a trouvés encore, des ailes, des membres nus ou drapés, des ornements : ici, une épaule percée de trous réguliers pour recevoir un ajustement de métal ; là, les pieds croisés d'une femme assise, ou bien un autre pied qui s'est posé sur un rocher (l'Acropole ? ) ; plus loin, un sein sur lequel des bandelettes croisées serrent la tunique, comme dans les statues de Diane. Partout de l'art, de la variété, de la délicatesse, mais partout aussi la plus complète obscurité. Ces Victoires qui s'envolent, arrivent, se posent sur l'Acropole, délient leurs sandales, sont levées, sont assises, tendent des couronnes, représentent-elles un seul mythe, une seule action ? Ou bien accourent-elles des différents points du monde et viennent-elles se ranger autour de la grande Victoire, de Minerve, dont elles sont les messagères ? Quand le peuple athénien monte l'escalier des Propylées, lui disent-elles par leur pose allégorique, par des inscriptions, ou par la seule force de la tradition : Je suis Marathon, je suis Salamine, je suis l'Eurymédon ; je viens de Thrace, je viens de Lesbos, je viens de Sphactérie. Flatteurs muets, que l'on imitait moins éloquemment à la tribune de Pnyx. Que cette balustrade soit postérieure au temple lui-même, c'est ce dont on se convaincra facilement, en comparant ses sculptures avec celles de la frise ; non-seulement le style, mais le principe même en est tout différent. Autant que nous pouvons nous faire une idée des époques de l'art grec et de la manière de ses grandes écoles, les Victoires sont plus près du siècle de Lysippe que du siècle de Phidias. Aussi l'opinion de M. Ross n'a-t-elle rien d'invraisemblable. Il croit que cette décoration fut ajoutée par l'orateur Lycurgue, ce grand administrateur qui s'était proposé Périclès comme modèle, qui amassa dans le trésor public six mille cinq cents talents de plus que lui, et enrichit Athènes de monuments et d'œuvres d'art de toute sorte. Il est également impossible de déterminer avec certitude
l'époque à laquelle le temple de Les observations suivantes, au contraire, disposent à le croire antérieur à la construction des Propylées : 1° Le silence de Plutarque, qui énumère et loue si longuement les travaux de Périclès ; 2° La situation de la terrasse qui supporte le temple ; elle est unie au mur d'enceinte, dont un de ses côtés n'est que le prolongement : c'est le mur qui regarde le midi, et qui fut construit par Cimon ; 3° Les traces de remaniement qu'offre cette terrasse, au-dessous de l'escalier des Propylées : on dirait qu'on l'a taillée et réduite pour l'amener à l'alignement général, et que d'un rectangle on en a fait un trapèze ; les assises du bas, en effet, par leurs saillies inégales et leur rudesse, ressemblent singulièrement à l'intérieur d'un massif de maçonnerie qu'on aurait mis à découvert ; 4° L'affleurement des degrés du temple au nord et à l'est avec les bords de la plate-forme, tandis que du côté opposé il reste un espace libre. Il y a là quelque chose d'étroit, de gêné : on semble avoir réduit la terrasse jusqu'à la dernière limite, pour la faire rentrer dans le plan général ; 5° La disposition du petit temple, qui se présente
obliquement sur la façade des Propylées. Tout en l'ouvrant vers l'orient, on
eût pu le tourner un peu plus vers le nord et le rendre perpendiculaire au
grand édifice qu'il précédait. L'orientation des temples n'était pas
déterminée par des procédés très-rigoureux. Le Parthénon en fournit la preuve
; car son axe fait avec l'est un angle plus écarté que l'axe du temple de 6° L'inégale largeur des deux ailes des Propylées, qui semblerait s'accommoder aux exigences de constructions antérieures, c'est-à-dire du temple et de sa plate-forme ; 7° Une statue d'Alcamène, qui était placée auprès du
temple de Toutes ces remarques prises isolément, n'ont qu'une faible portée ; réunies, elles se fortifient l'une par t'autre et concourent à former, non pas une preuve, mais une probabilité. Du moment qu'on ne peut attribuer un monument à Périclès, on se reporte naturellement au temps de Cimon. Lui aussi avait la passion des arts ; lui aussi embellit Athènes de temples, de portiques, de jardins ; seulement il ne les payait pas avec l'argent des alliés, mais avec les dépouilles des Perses. C'est Cimon qui a donné l'impulsion à ce grand siècle que remplit injustement un seul nom. Précisément il fit construire la muraille qui regarde le midi, et l'on sait par un écrivain latin[15] qu'il ne fortifia pas seulement cette partie de l'Acropole, mais qu'il l'orna. Enfin, l'examen du temple lui-même fournit encore quelques
indices. la frise rappelle la frise orientale du temple de Thésée, par son
style, par son fort relief et par certaines parties de la composition qui
sont presque semblables. Or, l'on attribue avec raison à Cimon la
construction du temple de Thésée. On retrouve au-dessus du pronaos ces
figures débout ou assises, aux poses calmes, aux belles draperies, ces
groupes de combattants, si animés au contraire, que l'on admire sur
l'entablement du temple de Pour le caractère de l'architecture, la conformité du
temple de Faute de données, l'analogie pourrait faire croire les
colonnes de La terrasse qui sert (le soubassement au temple est en pierre ; mais du côté des Propylées, elle se termine par une corniche de marbre blanc ; et des trous régulièrement disposés sur trois rangs, dans toute la hauteur, servaient vraisemblablement à sceller le revêtement de marbre qui se raccordait avec la corniche. Peut-être aussi avait-on attaché à la muraille des armes, des trophées, souvenirs glorieux de différentes victoires. Du côté de l'ouest, dans l'épaisseur du mur, deux niches sont ménagées, d'inégale profondeur, séparées par un pilier isolé du mur[16]. Lorsque M. Leake vit l'Acropole, ces niches étaient
murées, car les Turcs croyaient que l'intérieur du massif était rempli de
sable, et qu'en cas de siège il suffisait de les ouvrir pour que le sable
s'écoulât et découvrit une entrée dans la citadelle. C'est probablement cette
idée qui a fait imaginer à M. Leake[17] un sanctuaire
souterrain, où étaient honorées en commun deux divinités, chacune avec sa
porte particulière, Néanmoins on continua à les regarder comme consacrées à
Cérès et à Pausanias d'abord, en montant à la citadelle, énumère les
temples qu'il rencontre sur sa route, celui d'Esculape, le tombeau
d'Hippolyte, les statues de Vénus populaire et de Lysistrata s'est enfermée dans la citadelle avec les femmes athéniennes, et fait bonne garde à la porte pour empêcher les désertions, qui commençaient, déjà. Tout d'un coup elle s'écrie : Femmes, femmes, venez à moi, accourez promptement ! UNE FEMME. Qu'y a-t-il, dis-le-moi ? pourquoi cries-tu ? LYSISTRATA. Un homme ! je vois un homme qui court comme un forcené. UNE FEMME. Où donc est-il ? LYSISTRATA. Près du temple de Cérès Chloé. UNE FEMME. Oui ! je le vois ! Mais qui ce peut-il être ? LYSISTRATA. Regardez ! Quelqu'une de vous le connaît-elle ? MYRRHINE. Oui, certes, moi ! c'est mon mari Cinésias. Ainsi, Cinésias est bien en dehors de l'Acropole, lorsqu'il est auprès du temple de Cérès, puisque les femmes ont le temps de le voir accourir, de le regarder, de s'interroger, de se répondre. Ensuite, Myrrhine et Lysistrata peuvent encore s'entendre pour leur malin complot : LYSISTRATA. Tu dois alors le tromper, le brûler, le torturer MYRRHINE. Sois tranquille : c'est mon affaire. LYSISTRATA. Eh bien ! je reste auprès de toi pour t'aider à l'enflammer et à le jouer. Vous autres, éloignez-vous. Alors seulement Cinésias, dont la course est si furieuse, arrive auprès d'elles. Enfin, si l'on doutait encore, voici un passage de
Thucydide qui me parait décisif : La citadelle et le
quartier qui s'étend à ses pieds, du côté du midi, étaient jadis toute la
ville. En voici la preuve : dans l'Acropole même, on voit les temples de
différents dieux, et ceux qui sont en dehors de l'Acropole sont situés,
presque tous, au midi de la ville, par exemple, le temple de Jupiter
Olympien, celui d'Apollon, celui de L'usage, on le comprend, n'était pas de désigner le temple
par les deux noms. Il parait qu'au temps du scoliaste on disait, par
abréviation, le temple de Cérès, comme Aristophane dit le temple de Chloé, et
Thucydide le temple de Quant aux surnoms des deux déesses, voici la réponse assez ridicule de Pausanias : Ceux qui veulent en savoir la raison, dit-il, peuvent la demander aux prêtres. |
[1]
1723, traduction de
[2]
Ce fut bien
[3] ..... Scheint jeder Versuch einer weiter eingehenden Deutung aufgegenben werden zu müssen (Die Akropolis von Athen, par MM. Ross, Schaubert et Hansen, page 13).
[4]
Je me suis rappelé, devant cette frise, la fable inventée par Aristophane que raconte
Athénée : les dieux donnant à
[5] Ross, Schaubert et Hansen, Die Akropolis, p. 15.
[6] Leake, Appendix XV, p. 533.
[7] The democratic jealousy of the Athenians would hardly have permitted so direct and immediate an honour been conferred on Cimon. (Leake, ibid., p. 533.)
[8] ..... fregio carico di bassi rilievi di ben effigiate figurine, ma mancanti tutte della testa. (Corn. Magni, p. 55.)
[9] Pendant que Phidias, Alcamène et Panænus ornaient le temple d'Olympie, des sculpteurs d'un moindre mérite allèrent, avec Ictinus, en Arcadie. Leur œuvre m'a toujours semblé trahir la prétention d'éclipser Phidias lui-même.
[10] M. Ross l'appelle Die Sandalenbinderinn ; mais on fait difficilement un nœud avec une seule main, tandis qu'on le défait très-aisément. C'est un détail, du reste, peu important.
[11]
Le pendant de cette Victoire, bien propre à montrer comment le même principe
mène à des résultats différents, ce sont ces étranges statues des élèves du
Bernin, qui remplissent une chapelle de Naples, Santa-Maria della Pietà de'
Saogri :
[12]
Les filles de Balbus avaient les cheveux dorés ;
[13] P. 14 et 18.
[14] M. Pittakis, conservateur des antiquités d'Athènes, qui ignore, du reste, quand cette peinture parut pour la première fois. Il est bon de faire remarquer que les artistes de tous les pays passent des journées entières, des mois, dans l'Acropole, dessinant, peignant, mesurant les ruines à leur aise. Les sculptures ne sont point enfermées, mais réunies dans la cella ouverte et toujours accessible du petit temple.
[15] His ex manubiis Athenarum arx, qua ad meridiem vergit, est ornata. (Corn. Nepos, Cimon, 2.)
[16] Elles ont 2 m. 32 de hauteur. Celle du nord a 1 m. 18 de largeur, 1 m. 22 de profondeur ; celle du midi a 1 m. 31 de profondeur, 1 m. 67 de largeur.
[17] At the foot of the wall are two doors conducting into a smal grotto or excavated chamber. This chamber is probably the adytum of Ceres and Tellus. The two doors are well appropriated to the two deities. (P. 303.)