PARIS - DELAUNAY, PÉLICIER, EYMERY, MONGIE L'AÎNÉ, MAGIMEL - 1818.
AVERTISSEMENT. Ce Précis n'ayant point été écrit seulement pour les militaires, mais encore pour les autres classes de la société, il aurait peut-être été nécessaire de donner la définition de quelques termes techniques, dont on est forcé de se servir dans un court exposé de dispositions de batailles, et dans des raisonnements sur les principes mêmes de la guerre ; mais il faudrait pour cela écrire un traité entier, ou en :copier d'excellents qui existent. J'en ai plutôt évité l'emploi fréquent, et je m'en suis servi de manière à ce qu'ils fussent expliqués par le développement de l'idée qu'ils représentent : quelques définitions auraient été superflues pour les gens qui ont étudié le grand art de la guerre, et insuffisantes pour ceux que leur état n'a point appelés à s'instruire des règles de cette science difficile. On trouvera, du reste, ces définitions bien mieux développées que je ne pourrais le faire, sans répéter les mêmes termes, dans le Traité des grandes Opérations militaires, par le général Jomini : après avoir puisé les principes de la guerre dans la nature des choses mêmes, il a prouvé qu'elle n'était pas une science vague, en appliquant ses préceptes à un grand nombre d'exemples, J'indiquerai également l'excellent ouvrage de M. le Lieutenant-Général Rogniat (Considérations sur l'Art de la Guerre), où il fait aussi quelques savantes applications de ces règles. Je citerai, enfin, les Principes de la Stratégie, de l'Archiduc Charles, dans lesquels on reconnaît les profondes méditations d'un grand capitaine. Cet ouvrage est traduit de l'allemand et enrichi de notes explicatives ; le premier volume, assez abstrait pour les hommes qui n'ont pas déjà des connaissances étendues de l'art de la guerre, doit être un sujet de méditation pour ceux qui voudront en approfondir la grande théorie. La 13e feuille de la Carte de Ferraris, montrera, avec plus de précision, les mouvements des batailles indiquées dans ce précis, que la réduction d'une partie de cette même carte qu'on y a jointe et qui est proportionnée à l'étendue du texte. PRÉCIS HISTORIQUE, MILITAIRE ET CRITIQUE DES BATAILLES DE FLEURUS ET DE WATERLOO, DANS LA CAMPAGNE DE FLANDRES, EN JUIN 1815.Des événements extraordinaires, connus du monde entier, n'ont jusqu'à présent été pénétrés que par quelques hommes : personne, jusqu'à ce jour, n'a encore fait connaître la cause des revers éprouvés par l'armée française, dans la courte campagne de 1815. Les uns la cherchent dans la trahison qui était sans pouvoir sur l'esprit de cette armée, dont les dispositions morales et militaires auraient suffi pour anéantir les coupables desseins de tous les fauteurs d'ignominie[1]. D'autres, sans examen, ont jugé tout naturel d'attribuer la victoire à la supériorité des talents de nos ennemis. Je répondrai à cela dans le cours de ce précis, en démontrant le contraire. On n'a point cherché à diminuer la force numérique de notre armée, pour ne rien ôter au mérite du vainqueur ; on a fait de grands éloges de la bravoure des étrangers ; on a presque gardé le silence sur la valeur des Français ; on a dit en France beaucoup de mal de l'armée nationale, mais d'une voix si faible, que l'écho n'a pu franchir les murs gothiques de certains salons. Des écrits présentent un objet plus dangereux, lorsqu'ils tendent à fortifier l'erreur et à répandre le mensonge. Il en existé déjà un trop grand nombre de ce genre, dont plusieurs se distinguent par une basse méchanceté. Les circonstances ne permettaient pas à des Français, amis de leur patrie, de faire entendre la vérité, elles ne leur laissaient que là liberté de se taire, tandis qu'elles favorisaient les mauvaises intentions des hommes qui n'ont de l'honneur qu'à prix d'argent, et qui s'avilissent aux yeux de l'Europe, pour s'élever et jouer vin grand rôle dans une petite coterie. Quelques-uns ont cru plus prudent de garder l'anonyme, que de dévoiler au public leur coupable empressement à prendre l'initiative dans un récit qui semble être la justification d'un transfuge. Je veux parler d'une relation de cette campagne, sortie des presses de J. G. Dentu, L'auteur anonyme ou pseudonyme, se disant témoin oculaire[2], paraît être un ardent détracteur de la gloire et du nom français, Cette histoire, enrichie de lettres de généraux, d'officiers Anglais et Allemands, d'une formule de prière pour rendre grâce de la victoire, etc., est en outre fort ingénieusement surchargée d'une vue panoramique de champ de bataille de Waterloo, idée tout-à-fait neuve, qui fait connaître le génie de l'auteur. Elle a dû être d'un grand débit parmi les ennemis de la France et de l'armée, si j'en juge par la quatrième édition que j'ai sous les yeux. Ceux qui ont composé ce livre, après avoir critiqué les récits ou les traductions sur le même sujet, n'en tirent pas moins des matériaux pour faire trois relations qui coïncident très-bien ensemble ; et, par se charlatanisme, ils ont trouvé le moyen d'augmenter leurs pages afin de vendre plus cher. Je ne parlerai point d'une autre compilation en deux volumes in-8°, parce qu'elle est d'un homme qui a déjà été condamné par les tribunaux, pour d'autres écrits mensongers et calomnieux. Je m'attacherai particulièrement à répondre à quelques lignes sur les opérations de ces deux batailles, écrites par un militaire extrêmement distingué, et données pour exemples dans des Considérations sur l'Art de la Guerre : elles peuvent avoir de l'influence, en raison du mérite et du caractère de l'auteur, qui se fût plus appesanti sur les faits, s'il eût voulu fournir des matériaux pour l'histoire de cette campagne qu'on a défigurée. Je vais en donner une esquisse, à partir de la veille de la bataille de Fleurus. Le 15 juin, l'armée française s'avançait sur trois colonnes, venant de Beaumont, Maubeuge et Philippeville, pour déboucher par Charleroi, Marchienne-au-Pont et Chatellet ; après quelques affaires d'avant-postes, la plus grande partie' avait passé la Sambre le même jour. La division de cavalerie légère du général Domo» poursuivit vivement l'ennemi sur Charleroi ; un carré d'infanterie prussienne voulut l'arrêter en-deçà de cette ville, pour donner le temps aux siens de couper le pont sur la Sambre qu'ils n'avaient pas fait miner ; mais ils ne purent que l'endommager ; le colonel Desmichels, à la tête du 4e régiment de chasseurs, soutenu par le 9e, enfonça ce carré et lui fit quatre à cinq cents prisonniers. Le corps de cavalerie légère du général Pajol, composé de six régiments, suivait cette division pour passer le pont de Charleroi, puis il se prolongea à droite après avoir dirigé le général Clary, avec le premier régiment de hussards, sur Gosselies, où il sabra un bataillon prussien et lui prit son drapeau, Un carré d'infanterie fut également enfoncé près du bois de Lobbes par des dragons de la Garde et un escadron du 15e ; le général Letort y fat blessé mortellement. Le corps du général Pajol, excepté le régiment de hussards qui ne le rejoignit que le lendemain, s'établit le soir à Lambusart, tenant de forts postes sur sa droite, et ayant une division à la ferme de Martinroux ; celle du général Domon était placée à gauche, à la tête du bois de Fleurus. Un corps de huit régiments de dragons, aux ordres du général Exelmans, a bivouaqué en arrière de la cavalerie légère et en avant des 3e et 4e corps d'infanterie. Une division de cavalerie légère de la Garde fut s'établir à Frasnes, sur la grande route de Charleroi à Bruxelles, après avoir débouché par cette première ville ; le 2e corps d'infanterie, commandé par le lieutenant-général Reille, qui avait passé la Sambre à Marchienne, fut prendre position à Cosselies, avec la division de cavalerie légère du général Piré ; la quatrième division de ce corps d'infanterie commandée par le lieutenant-général Girard, fut envoyée à Heppignies pour observer Saint-Amand et Fleurus, occupés par l'ennemi. Les hauteurs en avant de Charleroi et de Marchienne-au-Pont, étaient garnies de troupes et d'artillerie ; le quartier-général était à Charleroi. L'auteur des Considérations sur l'Art de la Guerre[3] dit, après avoir parlé de notre marche du 15 : L'armée anglaise était cantonnée
de Bruxelles à Nivelles ; l'armée prussienne aux environs de Fleurus et de
Namur. Le projet du général français était d'aller se placer brusquement au
milieu des cantonnements de ces deux armées, d'empêcher leur réunion, et de
tomber successivement sur leurs troupes éparses avec toute la cavalerie qu'il
avait formée à cet effet en un seuil corps de vingt mille chevaux. Tout le
succès de cette opération était dans la rapidité de ses mouvements ; il
devait porter le s même jour toute son arasée jusqu'a Fleurus, par une marche
forcée de huit à dix lieues, et pousser son avant-garde jusqu'à Sombreffe, sur
la route de Namur à Bruxelles ; mais, au lieu de se hâter d'arriver au milieu
de ses ennemis, il s'arrêta à Charleroi, soit qu'il fût retardé par le
mauvais temps, soit par d'autres motifs. Les armées ennemies étaient plus éloignées et tenaient une étendue plus large que ne semble le présenter ce qu'on vient de lire[4] : c'est ce qui avait fait concevoir au général français le projet de jeter vingt mille chevaux 'à travers leurs cantonnements ; et, s'il en avait bien va la possibilité, il est à croire qu'il n'aurait point hésité pour l'exécution, surtout d'après la hardiesse qu'avait montré la cavalerie dès son premier élan. Mais il apprit que des hommes, ayant obtenu l'honneur d'être placés avantageusement dans les rangs français, s'en étaient échappés le 14, et avaient été conduits sous escorte au quartier général de Namur. Le général français dut prévenir les effets de cette trahison, en modifiant le plan de ses entreprises, effectivement le prince Blücher se fit amener les transfuges, et ils l'instruisirent de choses qui étonnaient moins ce militaire à cheveux blancs, que l'action même qui les lui faisait connaître. Le général prussien était loin d'attendre un aussi étrange message, dont les auteurs, sans mission, furent rendus garants ; et malgré tout le mépris qu'ils lui inspiraient, l'intérêt de son pays lui faisait un devoir de tirer avantage de leur défection il sut par eux qu'il n'avait pas eu instant à perdre pour réunir ses troupes ; qu'il allait être attaqué, à l'improviste, par cent cinquante mille Français. Voilà cause de la prompte réunion de l'armée prussienne sur Sombreffe, point intermédiaire entre les Anglais, afin de donner à ceux-ci, qui étaient dans une grande sécurité, le teins de se rassembler[5]. Le général français jugea fort bien qu'il ne pouvait plus lancer sa cavalerie au milieu de leurs cantonnements, mais il répara tout par des dispositions qui le mettaient à même de livrer bataille à la première armée ennemie qu'il trouverait rassemblée sur son chemin ; il continua alors de disposer la sienne en avant de la Sambre. Le 16 au matin, un corps de cavalerie composé de deux régiment de dragons, quatre de cuirassiers et deux de carabiniers, aux ordres du général Kellermann, passa cette rivière Charleroi et marcha vers Frasnes ; une division de lanciers et chasseurs du général Jacquinot avait passé à Marchienne pour se diriger à droite de la route de Bruxelles, tandis que le premier corps d'infanterie, commandé par le comte d'Erlon, débouchant par le même point, suivait la grande route. Une réserve de huit régiment de cuirassiers, précédée par les dragons, les grenadiers à cheval et l'infanterie de la Garde, avec l'artillerie, marchait sur Fleurus, toute l'armée avait successivement passé la Sambre, à l'exception du sixième corps d'infanterie qui arrivait à Charleroi. L'auteur des Considérations sur l'Art de la Guerre nous fait connaître les grands mouvements du 16, en disant : Nous nous mettons en mouvement sur trois colonnes. La colonne de gauche, forte de s trente-cinq mille hommes, prend la route de Charleroi à Bruxelles, et rencontre une partie de l'armée anglaise, en marelle pour se joindre aux Prussiens, aux Quatre-Bras, nœud de jonction des deux routes de Charleroi et de Namur à Bruxelles. On se bat de part et d'autre avec des succès variés ; mais enfin nous obtenons le point capital, celui d'arrêter la marche des Anglais sur la route de Namur. Nos deux autres colonnes marchent, l'une sur la route de Fleurus, et l'autre à demi-lieue à droite. En dirigeant une colonne par la grand'route de Bruxelles, on n'a pas dû présumer que le général français voulût former une ligne d'opérations double : il en avait, depuis la guerre d'Italie, calculé les inconvénient et le danger, en retirant de grands avantages de semblables fautes que ses ennemis avaient commises devant lui[6] ; mais il est plus naturel de croire qu'il avait l'intention de manœuvrer sur une base concentrique contre les doubles lignes d'opérations de ses ennemis, l'une partant de Bruxelles et Gand, l'autre de Namur à Liège pour marcher au même but, ce qu'il nous fera voir lui-même par ses ordres donnés lorsqu'il eût reconnu leur situation sur le terrain. Il avait étendu la base de ses manœuvres assez pour cacher ses desseins avec ses premiers mouvements, pour circonscrire les positions de l'ennemi et cantonner ses masses, sans trop allonger les directions par lesquelles il aurait besoin de les rendre agissantes contre les têtes des colonnes anglaises, ou sur les points décisifs de la bataille qu'il allait nécessairement livrer à l'armée la plus rapprochée, et qui devait être celle des Prussiens. L'objet principal de tontes ces manœuvres était de parvenir à la séparer de sa ligne d'opérations secondaire, qui était celle de l'armée anglaise, et d'empêcher celle-ci de faire sa jonction avec les Prussiens. Il fallait alors de l'unité dans les mouvements : la colonne dirigée par la route de Bruxelles, n'était donc autre chose que l'aile gauche de l'armée française. Le général en chef n'a pu faire autrement que de se réserver le droit imprescriptible d'en disposer en tout ou en partie, afin de tenir son armée sur une ligne d'opérations simple, parce qu'elle est la meilleure, en ce qu'elle réunit toutes les forces. Le même auteur continu : Cependant
les Prussiens s'étaient rassemblés avec beaucoup de célérité ; et lorsque nous arrivons à Fleurus, à onze heures du
matin, nous trouvons leur armée en position ; la gauche à Sombreffe, sur la route
de Namur à Bruxelles, la droite à Saint-Amand, ayant son front couvert si par
le ruisseau escarpé de Ligny. Nous suivions sur leur flanc droit ; la raison
nous conseillait d'attaquer cette aile : par-là nous évitions en partie les
défilés du ruisseau, si nous nous rapprochions de notre corps de gauche, qui
se battait aux Quatre-Bras, de manière que les deux armées missent se donner
mutuellement du secours ; et enfin nous rejetions les Prussiens loin dés
Anglais, en les forçant de se retirer sur Namur. Mais le général français agit
différemment ; il attaque de front, et, après plusieurs combats sanglants, il
force enfin le défilé de Ligny avec sa réserve, et il débouche sur le centre
de l'armée prussienne, dont la retraite, favorisée par la nuit, se fait naturellement
vers les Anglais, du côté de Bruxelles, puisque nous les chassions dans ce
sens. Nous couchons sur le champ de bataille, après cette victoire sanglante
et peu décisive. Ce peu de lignes nous disent d'abord que le général français devait conserver une seule ligne d'opérations ; et nous prouverons que tel était son plan, que ses attaques de front devenaient indispensables pour obliger le général prussien, qui tenait ses troupes très-réunies, de grandes manœuvres de tactique, en le forçant d'engager le plus de forces possibles sur sa première ligne, oh il était nécessaire d'occuper fortement son attention pour lui cacher un grand mouvement stratégique qu'on voulait faire opérer, en dirigeant des masses contre son flanc droit. Je vais expliquer ces dispositions, après avoir fait connaître celle de l'ennemi ; lorsque nous l'avons approché. L'armée prussienne avait fixé sa position principale sur le plateau du Moulin de Bussy, entre Bry et Sombreffe ; elle avait avancé sa première ligne de bataille sur le ruisseau escarpé de Ligny. Le premier corps prussien, commandé par le général Ziéthen, rejeté entièrement le 15, jusqu'à Fleurus, s'était établi, le 16, sur les hauteurs entre Saint-Amand et Bry ; il avait fortement garni de troupes le premier de ces deux villages. Le deuxième corps, commandé par le major-général Pirch, venant de Namur, était en seconde ligne du premier, la droite à Bry, son aile gauche vers Sombreffe. Le troisième corps prussien, sous les ordres du lieutenant-général de Thielmann, partant de Ciney, sur la rive droite de la Meuse, s'était placé sur la route de Namur, la droite à Sombreffe, étendant sa gauche par le Point du Jour, vers Botey. Le général Bülow arrivait de Liège avec le quatrième corps, forçant sa marche par limant et Perwez-le-Marchez sur Gembloux, qu'il ne dépassa pas pour y être arrivé après que les trois autres corps forent battus. Ces trois premiers corps réunis formaient, une masse de quatre-vingt-dix mille hommes, y compris leur cavalerie. Nous ne leur avons pas opposé plus de soixante mille hommes, puisque le 1er corps, le 2e (excepté sa 4e division) et le 6e n'ont point pris part à cette affaire, comme on le verra par suite. D'après la position des corps ennemis, que je viens d'indiquer, en marchant de Charleroi sur Fleurus, nous n'arrivions pas, comme le prétend l'auteur que j'ai cité, sur le floue droit de l'armée prussienne qui était à Bry, sa cavalerie s'étendant encore bien au-delà ; mais on a déjà dû remarquer que les Prussiens étaient débordés, sur leur flanc droit, depuis le 15 et le 16 au matin par les 1er et 2e corps d'infanterie, par la cavalerie du général Kellermann, et par trois autres divisions de cette arme, en supposant qu'une portion de cette cavalerie dût opérer avec le a. corps d'infanterie, vers les Quatre-Bras. Par les seules dispositions du général français, que j'ai fait connaître jusqu'ici, on voit que son intention était d'opérer une diversion sur les Quatre-Bras, avec une portion des trente-cinq mille hommes de la colonne de gauche, pour arrêter ou ralentir la marelle des Anglais, en restant, s'il était possible, sur la défensive de ce côté-là, et de pouvoir disposer en temps et lieu d'une partie de cette colonne contre la droite des Prussiens. On ne s'éloignait même pas des principes de la guerre en ouvrant la route de Charleroi pour couvrir celle de Namur, les Anglais ne se seraient pas enfoncés de ce côté-là, eussent-ils été plus réunis, parce qu'ils se seraient isolés de l'armée prussienne ; au reste, il n'a jamais pu entrer dans la pensée du général français de donner deux batailles le même jour, en rompant sa ligne d'opérations pour former nue double ligne manœuvre, même avant de connaitre les dispositions des Prussiens. Les Quatre-Bras étaient à plus de trois lieues du premier champ de bataille oh l'on trouvait l'ennemi réuni ; et si le général français eût eu un autre but que d'occuper les Anglais, avec quelques troupes de sa gauche, il aurait agi sans motif, contre toutes les règles de la science et de l'art de la guerre qu'il connaissait depuis long-teins ; il aurait perdu l'unité de manœuvres avec l'unité d'armée, et l'initiative de tous les mouvements stratégiques, partie scientifique de la guerre dont il s'était bien rendu maitre ce jour-là, ce qui exposait l'ennemi à un danger d'autant plus grand, que les dispositions du général prussien tendaient à s'opposer à toutes les forces de l'armée française, par lesquelles il croyait être attaqué sur son front. S'il eût connu les dispositions du général français contre son aile droite, il aurait probablement porté son premier corps à Bry, au lieu de le laisser sur Saint-Amand, et l'eût fait appuyer par une réserve ; il eût éloigné davantage ses masses qui n'étaient point engagées, pour ne pas les laisser pendant toute la bataille, inutilement exposées au feu d'une nombreuse artillerie qui devait y causer de grands ravages. Les premiers rapports de l'aile gauche de l'armée française avaient confirmé au général en chef qu'il pouvait disposer du corps d'infanterie, commandé par le comte d'Erlon, et composé de plus de vingt mille hommes. Il n'a jamais pu y avoir de contrariété sur l'unité du pouvoir, mais il est important de faire remarquer ici que l'unité d'action avait été d'abord convenue. On ne devait raisonnablement point en douter ; il est néanmoins nécessaire d'en démontrer la vérité, afin que chacun puisse juger ce que je dois faire connaître dans la Suite de ce précis. Le général français, en se portant le 16 au matin sur l'armée prussienne, s'attendait à la trouver disposée à couvrir sa ligne de communication sur Namur ; mais l'ayant rencontrée, à son grand étonnement, dans un ordre contraire, il dût en être satisfait, puisque cette disposition lui permettait de concentrer ses forces en lui donnant l'avantage de conserver na ligne d'opérations simple, contre les lignes doubles des ennemis qui étaient encore éloignée de pouvoir mettre toutes leurs troupes en action sur le même point. Il connut bien vite que les Prussiens s'étaient établis eu première ligue défensive sur l'armée anglaise, qu'ils considéraient comme la base secondaire de leurs opérations, et elle n'était pas. réunie ; ses colonnes arrivaient sur plusieurs directions. Il détermina alors sois plan d'attaque, qui sera apprécié par les militaires instruits de tous les pays qui voudront l'examiner sans prévention. Ils verront dans toutes ses dispositions que j'ai déjà fait connaître, le chef-d'œuvre dit coup d'œil militaire[7]. Celles qui vont suivre en sont le complément. Il fixa de suite les points où il devait porter ses masses agissantes ; les deux premiers furent les villages de St. Amand et de Ligny ; le village de Bry devenait le point stratégique principal de la bataille ; en s'en rendant maître, il séparait les Prussiens de l'armée anglaise ; Il considéra Ligny comme la clef de la position de l'ennemi ; il réunit en avant de Fleurus une forte réserve en infanterie, cavalerie et artillerie, destinée, lorsqu'il en serait temps, à percer le centre de la ligne prussienne par ce village de Ligny, qui devenait un double point de tactique et de stratégie. Il avait d'abord expédié l'ordre à la colonne de gauche de manœuvrer par sa droite, en employant le moins de monde possible devant les Anglais ; cet ordre était si précis, qu'il attachait le sort de la France à son exécution. Nous avons dit plus haut que la 4e division du 2e corps, avait été placée le 15 au soir à Heppignies, le général la réunit au 3e corps d'infanterie pour attaquer Saint-Amand ; il envoya une division de la jeune garde en réserve à la gauche de ce village, avec celle de cavalerie légère au général Domon. Une brigade de lanciers, commandée par le maréchal-de-camp Colbert, fut placée au-delà de ces troupes, pour maintenir la communication avec l'aile, gauche. Le 4e corps fut dirigé sur Ligny avec quatre régiments de cavalerie, formant la division du général Maurin, pour appuyer l'infanterie à la droite de Sombreffe, et pour se lier avec le corps des dragons du général Exelmans, qui se porta sur Tongrénelle et en face de Tongrines ; le corps de six régiments de cavalerie légère commandé par le lieutenant-général Pajol, formant l'extrême droite de l'armée, fut s'établir à Onoz, le long de l'Orneau. Le général Français courut examiner lui-même le terrain que devait occuper la droite de son armée, où il ne voulait que contenir les Prussiens ; il fit poster à la hâte, crainte que l'ennemi ne s'en emparât un bataillon du 50e régiment d'infanterie, commandé par le colonel Lavigne — division sous les ordres du maréchal-de-camp Hulot —, dans un bouquet de bois sur une petite hauteur conique, entre Tongrénelle et Tongrines, au-delà du ruisseau de Ligny, pour soutenir les dragons d'Exelmans, qui devaient, à tout prix, empêcher les Prussiens de déboucher par Tougrénelle, où leurs tentatives furent repoussées par plusieurs charges de cette cavalerie, qui leur enleva cinq pièces de canon deux furent prises par le 5e régiment, et trois par le 13e commandé par le colonel Saviot. Ce bataillon s'est d'abord emparé de Tongrines, ce qui inquiéta beaucoup l'ennemi de ce côté-là ; il reprit le village et avança la gauche de son infanterie jusqu'à Vilret, pour s'opposer, dit le rapport prussien, à un gros corps de troupes qui s'était présenté sur ce point. En effet, ce bataillon s'est conduit, pendant toute la journée, aveu tant d'intelligence et de valeur, qu'il paraissait se multiplier ; je regrette de ne pas connaître le nom de l'officier qui le commandait pour le citer coalise un brase et bon militaire. On voit que les flancs extérieurs des deux premiers points d'attaque étaient fortement garantis contre les entreprises de l'ennemi. Ou dirigeait un feu très-meurtrier sur les deux grands points d'appui de l'armée prussienne, Ligny et St.-Amand ; ce dernier était d'une grande importance pour elle, parce qu'il formait la tête de sa ligne défensive, et devait être le pivot de tous les mouvements stratégiques que son général projetait, dans l'espoir du concours de l'armée anglaise ; il était également essentiel pour nous, puisqu'il liait l'armée avec son aile gauche-il fut d'abord enlevé ; mais le général ennemi l'ayant attaqué de nouveau avec de très-grandes forces, fit croire un moment au général français que le sort de la journée était là, et il voulut y faire diriger le premier corps d'infanterie, qu'il supposait en marche., plutôt que d'y employer sa réserve qui était plus près, et qu'il destinait à une attaque décisive sur Ligny ?mais les affaires se rétablirent sur ce point, par le moyen d'une batterie placée à gauche, par les soins du lieutenant-général Drouot, et qui prenait les colonnes ennemies à revers. L'ennemi s'acharnait alors à disputer, le village de Ligny, où il renouvelait sans cesse ses attaques par des troupes fraîches, et s'en était encore rendu maitre pour la cinquième ou sixième fois. La 4e division du 2e corps se porta contre St.-Amand et Ligny ; ce fut là que l'intrépide général Girard, qui la commandait, reçut une blessure mortelle ; il fut transporté à Paris, oh sa famille reçut son dernier soupir. Elle pleure encore ce brave, dont l'épée était toute sa fortune ! ! ! Les ordres envoyés à l'aile gauche avaient été communiqués, selon les instructions, au commandant du 1er corps d'infanterie, en réserve derrière Frasnes, près de Villers-Peruin, qui se mit d'abord en marche ; il était déjà assez près du village de Bry, lorsqu'il reçut successivement plusieurs contre-ordres de la gauche, il obéit malheureusement au dernier et rétrograda. Un maréchal-des-logis de la gendarmerie d'élite, venant de l'aile gauche, avait fourni une occasion sûre de renvoyer de nouveaux ordres expédiés pour la seconde ou troisième fois, et aussi précis que les premiers ; pour les faire parvenir avec célérité, ou fit donner au cheval frais à ce sous-officier, afin qu'il pût servir de guide au colonel Forbin-Janson, qui fut chargé de les porter. Le général français attendait impatiemment les premiers coups de canon sur Bry, qui était le signal convenu, pour se porter rapidement à Ligny, dont il avait rapproché sa réserve. Une ardeur très-funeste, plus mal calculée encore, dans les mouvements de la gauche, prolongeait le retard de ce signal trop longtemps espéré ; il coûtait à l'armée française un sang précieux, qu'on versait avec une grande bravoure sur la ligue d'attaque, contre les Prussiens, défendue par toutes les forces de l'ennemi, qu'il y avait successivement engagées. On ne pouvait plus retarder l'issue de la bataille, puisque l'armée anglaise était en marche et que le jour s'écoulait. Le général français tenait depuis longtemps en son pouvoir les moyens de la terminer, il se porta lui-même sur Ligny avec sa réserve ; la cavalerie tourna le village, tandis que l'infanterie de la garde le traversait en colonne, elle n'y perdit presque personne, et la bataille fut gagnée ; mais la nuit était survenue, le général fiançais n'obtint qu'une portion de la victoire qu'il avait si bien préparée, à l'insu du général prussien. Le corps ennemi qui occupait encore les hauteurs entre Bry et St.-Amand se retira parle premier de ces villages. Si le ensuite d'Erlon, qui revint trop tard, se fût emparé de Bry, le corps de Ziéthen, fatigué d'un long combat, qui lui avait fait éprouver de grandes pertes, se serait vu entouré et réduit à mettre bas les armes. L'armée prussienne aurait été en grande partie détruite et entièrement dispersée ; elle aurait infailliblement perdu la majeure partie de son matériel : une cavalerie nombreuse qui n'avait presque rien fait de la journée, ne lui eût pas donné le temps de se reconnaitre ; elle se fût trouvée dans une situation plus désastreuse qu'après la bataille d'Iéna.... à moins que l'armée anglaise n'eût voulu se dévouer pour secourir son alliée. Le lendemain le général français fit de très-vifs reproches au commandant du premier corps d'infanterie, sur l'énorme faute qu'il avait commise la veille, en discontinuant de marcher sur le village de Bry, conformément à ses ordres ; faute qui, prétendait-il, — pour me servir de ses propres expressions — avait compromis le salut de la France. M. Giraud, qui n'a pas gardé l'anonymat, et dont la plume nous parait aussi impartiale qu'elle est française, nous dit[8] : Nous ne sommes point de ceux qui s'acharnent après le malheur ; mais l'amour et la recherche de la vérité, nous forcent à douter, que le commandant de l'aile gauche ait mis dans cette affaire cette activité, ce dévouement, cette prévoyance qui l'ont signalé dans d'autres occasions. Peu empressé, autant qu'on en peut juger, de servir Napoléon, et ne s'étant déterminé à combattre que pour préserver la France d'une invasion ennemie, il ne parait pas avoir porté sur-le-champ de bataille cette ardeur, qui est souvent elle seule la première cause de la victoire. Il ne s'est point assez inquiété de connaître le terrain où il devait opérer, de se procurer des notions certaines sur la force de son ennemi. Il n'a point montré, en un mot, assez de circonspection dans sa marche, ni assez de tactique dans l'emploi des diverses armes qu'il e avait à sa disposition. Il avait cependant assez de forces pour battre l'avant-garde qui lui v était opposée. M. Giraud ne comprend point parmi ces forces, le premier corps d'infanterie, puisqu'il dit plus haut, page 25 : Le comte d'Erlon, avec le premier corps, était en réserve en avant de Marchienne. Ce corps, ainsi placé, formait naturellement l'arrière-garde des corps destinés à la principale attaque, et c'est par lui que Napoléon devait, en cas de besoin, se faire soutenir. Cette remarque est importante, comme on le verra bientôt ; l'inspection seule d'une carte suffit pour la confirmer. Il ajoute page 29. Le commandant de l'aile gauche devait observer les forces que les Anglais pouvaient porter sur les Quatre-Bras. Ils y présentèrent peu de monde. Etant allé lui-même à midi les observer, il jugea leur mouvement de peu d'importance, et il resta persuadé que l'armée anglaise n'aurait pas le temps d'y arriver. Cette opinion, qui était aussi celle du général en chef, fut confirmée par les rapports qu'il reçut de l'aile gauche, tandis que lui-même manœuvrait contre les Prussiens. Après nous avoir fait connaître qu'on avait engagé imprudemment,
et avec trop peu de précautions des têtes de colonne sur la position des Quatre-Bras, M. Giraud continue, page 32 : Le feu des Anglais était terrible, et il fallut recourir à
d'autres dispositions. Ce fut alors que le commandant de l'aile gauche,
qui avait cru d'abord l'ennemi moins nombreux qu'il ne l'était réellement,
passant peut-être avec la même précipitation à l'opinion contraire, songea
vers quatre heures de l'après-midi, à se faire appuyer par le premier corps.
Qu'on se souvienne que ce corps était à près de trois lieues en arrière du
champ-de-bataille[9] ; que jusque-là le commandant de l'aile gauche ne s'était
point préparé pour une affaire sérieuse ; qu'il n'avait point dû par
conséquent considérer ce corps comme sa réserve ; que d'ailleurs son
éloignement celui aurait pas permis d'espérer qu'en quelque moment qu'il
l'appelât, ce corps arriverait assez tôt pour coopérer à un à mouvement décisif
; qu'ainsi son absence ne devait influer en rien sur les dispositions qui lui
restaient à prendre pour rétablir un combat où jusqu'ici, il faut l'avouer,
on ne reconnut pas la prévoyance d'un vieux général. Ce fut dans ces circonstances que le général Kellermann, déployant sa valeur accoutumée, fit une charge brillante avec une brigade de son corps, composée des 8e et 11e régiments de cuirassiers. Le 8e, commandé par le colonel Garavaque, ouvrit la charge en colonne par pelotons, et traversa la ligne des Ecossais ; le cuirassier Lami, de la 5e compagnie de ce régiment, enleva un drapeau à l'ennemi. Le général en chef, en faisant complimenter le colonel Garavaque, sur le courage qu'avait montré le 8e, fit accorder cent louis de récompense au cuirassier Lami. Le 11e, commandé par le colonel Courtier, seconda parfaitement le 8e, en chargeant lui-même avec une grande intrépidité ; mais le feu que cette brigade reçût de l'infanterie anglaise, embusquée dans le bois de Possu, l'a forcé de tourner bride assez précipitamment. Le général Kellerman n'eut son cheval tué sous lui, et se retira à pied. Un petit nombre de cavaliers, changeant leur retraite en fuite, portèrent le trouble en arrière parmi quelques bagages qui furent pillés ; cette fuite, dit M. Giraud, fut attribuée à la mauvaise conduite d'un chef d'escadron qui manqua de tête, ou plus probablement de bonne volonté, et qui fuyant à toute bride et frappant ce qui se rencontrait sur son passage, portait au loin le signal du désordre, en criant partout : SAUVE QUI PEUT ! Si cela est vrai, il est bon de signaler cet homme à toute l'armée française, afin qu'oïl puisse le reconnaître. Ceux qui étaient restés devant l'ennemi ignoraient cette fuite de quelques hommes entraînés. La brigade s'était ralliée. En lisant une lettre du 26 juin 1815, qui se termine par ces mots : J'attends de la justice de Votre Excellence ; et de son obligeance pour moi, qu'elle voudra bien faire inscrire cette lettre dans les journaux, et lui donner la plus grande publicité. (Ce qui fut fait en effet.) On verra qu'un lieutenant avait conçu un plan de campagne contraire à celui du général et qu'il voulût agir dans ce sens. Cette lettre fut écrite à Fouché, et s'exprime en ces termes : Le 16, je reçus l'ordre d'attaquer les Anglais dans leur position des Quatre-Bras ; nous marchâmes à l'ennemi avec un enthousiasme difficile à dépeindre : rien ne résistait à notre impétuosité ; la bataille devenait générale, et la victoire n'était pas douteuse, lorsqu'au moment où j'allais faire avancer le er corps d'infanterie, qui, jusque-là, avait été laissé par moi en réserve à Frasnes, j'appris que le général en avait disposé, sans m'en prévenir, ainsi que de la division Girard du corps, pour les diriger sur St.-Amand, et appuyer son aile gauche qui était fortement engagée contre les Prussiens[10]. Le coup que me porta cette nouvelle fut terrible ; n'ayant plus sous mes ordres que trois divisions an lieu de huit sur lesquelles je comptais, je fus obligé de laisser échapper la victoire, et malgré tous mes efforts, malgré le dévouement de mes troupes, je ne pus parvenir dès lors qu'à me maintenir dans ma position jusqu'à la fin de la journée. Vers neuf heures du soir, le 1er corps me fut renvoyé par le général en chef, auquel il n'avait été d'aucune utilité : ainsi vingt-cinq à trente mille hommes ont été pour ainsi dire paralysés, et se sont promenés pendant toute la bataille, l'arme au bras, de la gauche à la droite, et de la droite à la gauche, sans tirer un coup de fusil. Il m'est impossible de ne pas suspendre un instant ces détails, pour vous faire remarquer, M. le Duc, toutes les conséquences de ce faux mouvement, et, en général, des mauvaises dispositions prises dans cette journée. Par quelle fatalité, par exemple,
le général en chef, au lieu de porter toutes ses forces contre lord
Wellington, qui aurait été attaqué à l'improviste, et ne se trouvant point en
mesure, a-t-il regardé cette attaque comme secondaire ? Comment, après le
passage de la Sambre, a-t-il pu concevoir la possibilité de donner deux batailles
le même jour ? C'est cependant ce qui vient de se passer contre des forces
doubles des nôtres, et c'est ce que les militaires qui l'ont vit ont encore
peine à comprendre. Au lieu de cela, s'il avait laissé un corps d'observation pour contenir les Prussiens, et marché avec ses plus fortes masses pour m'appuyer, l'armée anglaise était indubitablement détruite entre les Quatre-bras et Gennage, et cette position, qui séparait les deux armées a alliées, une fois en notre pouvoir, donnait au général la facilité de déborder la droite des Prussiens, et de les écraser à leur tour. L'opinion générale en France, et surtout dans l'armée, était que le général ne voulait s'attacher qu'à détruire l'armée anglaise, et les circonstances étaient bien favorables pour cela ; mais les destins en ont ordonné autrement[11]. Des considérations pénibles ne permettent pas d'examiner scrupuleusement cette lettre ; elles m'eussent même empêché d'en extraire une citation, si on pouvait faire connaitre des vérités qui intéressent tant de monde, en racontant des choses sans s'appuyer sur des faits, puisque personne n'a été à même de tout voir. D'ailleurs, ce que j'ai dit précédemment ; peut lui servir de réponse, quant aux faits ; je me bornerai donc à quelques réflexions sur les possibilités qu'elle suppose. En admettant que le projet de mouvement sur Gennape qu'elle indique, eût dû produire un ben résultat, ce n'était point le plan du général en chef ; et son plan fut-il mauvais, il valait encore mieux d'adopter, que d'en créer un second à part et sans son aveu, ce qui tendait nécessairement à détruire l'ensemble de ses combinaisons. D'abord, l'occasion de livrer bataille aux Prussiens s'est présentée d'elle-même, puisqu'ils furent les premiers que nous avons rencontrés sur notre chemin, et qu'à la guerre on doit saisir toutes les occasions et chercher à en profiter ; et puis, est-il convenable, qu'avec cent et quelques mille hommes, on puisse faire une marche de flanc à une lieue d'une aile d'une armée ennemie au moins d'égale force, pour se porter, à quatre ou cinq lieues en arrière, sur une seconde armée ennemie qui n'était pas encore rassemblée, en faisant observer la première, réunie sur une route qui conduisait sur le flanc des colonnes françaises. L'armée qui était en marche sur les Quatre-Bras, pouvait se retirer par toutes les directions qu'elle suivait pour se réunir, sans qu'il nous fût possible de faire des détachements pour la poursuivre ; les Prussiens, formés sur une grande route, nous auraient fait perdre l'avantage de l'initiative des mouvements qu'ils pouvaient saisir h leur tour, pour se porter sur les derrières ou sur un flanc de notre armée. Ce mouvement sur les Anglais n'aurait pu se faire que dans le cas où les Prussiens eussent été à cinq ou six lieues de nous, pour la sûreté de notre ligne d'opération, afin de ne pas devoir changer celle de retraite, en abandonnant notre première communication : il fallait enfin que les Prussiens fiassent plus éloignés de nous que les Anglais ; et il existait le contraire. Un général fait très-bien de courir sur une armée ennemie dispersée, ou qui n'est pas encore réunie, lorsqu'il n'en rencontre pas une autre sur sa route, qui lui offre la bataille qu'il doit accepter, surtout lorsqu'il est lui-même en mesure de la donner. On concevra facilement pourquoi le 1er corps d'infanterie a été paralysé le 16, et s'est promené deux fois, l'arme au bras, de la gauche à la droite et, en dernier lieu, de la droite à la gauche, sans tirer un coup de fusil ; ce n'était certainement pas l'intention du général en chef, puisqu'il entrait dans son plan de le faire agir sur un des points décisifs de la bataille. Et, supposant des fautes de tactique à l'aile gauche, elles ne pouvaient pas entraîner la perte des mouvements stratégiques de la bataille principale, puisque ces fautes auraient eu lieu sur un point qui en était trop éloigné ; mais elles ne pouvaient non plus, par la même raison de l'éloignement, erre réparées que par le bon emploi des forces qui se trouvaient là, et par le parti qu'il fallait savoir tirer du terrain. Les fautes provenaient, sans doute, de mouvements trop précipités, sans s'inquiéter de ce qui devait se passer à droite, et avant d'voir reçu des ordres successifs exigés par les dispositions de toutes les forces de l'ennemi, elles ne devaient point être rachetées aux dépens des combinaisons du général, en détournant les troupes des lignes stratégiques déterminées, qui sont des distances à parcourir, hors du rayon visuel de l'ennemi, par rapport à la ligne de manœuvres de l'armée, pour s'emparer d'un point qui donne de la supériorité sur cet ennemi, en portant une masse de forces sur un de ses flancs, ou sur une autre partie faible de sa ligne, tandis qu'on l'occupe ailleurs ; on faisait de bien plus grandes fautes encore que celles qu'on voulait réparer, en arrêtant ces mouvements décisifs. Toutes les manœuvres au contraire devaient être subordonnées à ces lignes, se modifier selon leurs directions, avoir pour but de les couvrir et de les protéger : car la tactique n'étant que la méthode d'ordonner, de conduire et d'engager les troupes au combat, n'obtiendrait souvent aucun bon résultat, si elle n'était soumise à la stratégie, qui est l'art de les diriger sur les points avantageux et décisifs d'in champ de bataille, qu'on appelle points stratégiques. Je crois donc pouvoir dire qu'un échec même éprouvé à gauche, ne devait pas empêcher le corps d'arriver sur le village de Bry, puisque le général en avait donné l'ordre, et qu'alors ce mouvement entrait dans le plan de la bataille principale ; il convenait beaucoup mieux que les troupes de gauche se retirassent sur le 1er corps, cela ne nuisait à rien ; nous avons vu d'ailleurs qu'il n'était point en mesure de porter de prompts secours aux Quatre-Bras. Les fautes commises le 16 pouvaient être rachetées le 18, si l'aile droite eût bien secondé le général dans ses mouvements des 17 et 18, si celui-ci en eût reçu des rapports exacts et aussi prompts que cela pouvait se faire ; car il a dû croire que l'armée prussienne s'était retirée sur Namur ou sur Wavre ; a-t-il fait une faute, comme quelques militaires le prétendent, en détachant un corps pour la suivre par la rive droite de la Dyle, tandis qu'il marchait sur la rive gauche ? L'armée ennemie n'était point détruite : un de ses corps n'avait point combattu, la rivière dont nous suivions le cours, est couverte de ponts de pierres : il y en a un à Moustier, un à Limelette, un à Limalle, un à Wavre, et l'infanterie peut encore passer au moulin de Bierge et 'autres. Les trois premiers ponts se trouvent dans l'espace d'une forte lieue, et le plus éloigné n'est qu'à deux lieues de Wavre. L'auteur des Considérations sur l'Art de la Guerre, faisant connaître le mouvement du 17, dit : Nous nous mettons en marche sur deux colonnes. La colonne principale, après avoir rallié les troupes qui s'étaient battues la veille aux Quatre-Bras, suit la route de Bruxelles, et trouve, à l'entrée de la nuit, l'armée anglaise en position au village de Mont-Saint-Jean. Notre colonne de droite, forte de trente mille hommes, chargée de suivre les mouvements des Prussiens, incertaine de leur direction[12], s'arrête à Gembloux, non loin du champ de bataille de la veille. La colonne de droite était composée des 3e et 4e corps d'infanterie ; de la division du général Teste, détachée du 6e corps ; des six régiments de cavalerie légère, commandés par le lieutenant-général Pajol ; d'un corps de huit régiments de dragons, sous les ordres du général Exelmans ; de la division du lieutenant-général Maurin, formée d'un régiment de hussards, un de chasseurs et deux de dragons. Cette colonne qui avait une nombreuse artillerie, était forte de trente-cinq mille hommes ; elle s'arrêta effectivement à Gembloux, à deux lieues de Sombreffe, et toutes les troupes qui la composaient, formaient la droite et une partie du centre à la bataille de la veille. La division Teste était arrivée, à huit heures du soir, sur le plateau, en face de Sombreffe, où elle avait bivouaqué. Dès le matin du 17, la cavalerie légère du général Pajol s'étant portée sur la route de Namur, prit dix pièces de canon et beaucoup de bagages à l'ennemi, après avoir sabré et dispersé les hussards qui les escortaient. Je commandais une brigade de dragons du corps d'Exelmans ; je fus envoyé comme tête de colonne derrière la cavalerie légère pour la soutenir en cas de besoin ; je ne dépassai pas Barrière, village sur la route, près de l'Orneau qui coule de Gembloux, et j'appris là, par les habitants, qu'un gros de cavalerie ennemie avait suivi, en désordre, cette route la nuit avec des voitures ; mais que l'armée prussienne se retirait par Wavre, et qu'il y avait encore beaucoup de monde à Gembloux. J'en rendis compte et je reçus l'ordre de me, porter de suite sur Gembloux. J'étais devant cette ville avec ma brigade, à neuf heures du matin, ou, accompagné de généraux instruits, nous vîmes un corps prussien, que nous jugeâmes être de plus de vingt mille hommes, bivouaqués en arrière, tenant une ligne de vedettes en avant de lui sur l'Orneau. C'était évidemment l'arrière garde chargée de protéger la retraite des colonnes qui devaient être dans ce désordre que cause toujours un mouvement forcé et commencé pendant la nuit, à la suite d'une bataille perdue ; c'était enfin le corps de Bülow qui était arrivé très-tard dans cette position et s'y était établi. Les restes des deux premiers corps prussiens s'étaient retirés par Mont Saint-Guibert, et le troisième par Walhain. On avait envoyé la division d'infanterie du général Teste pour appuyer le général Pajol sur la route de Namur ; elle prit d'abord position sur les hauteurs de Mazy, elle suivit ensuite la marche de la cavalerie légère jusqu'à Saint-Denis. Ce corps se trouva sur le flanc gauche des Prussiens qui étaient à Gembloux ; ceux-ci firent tranquillement leur retraite entre deux et trois heures après midi, par Sart-à-Walhain et Tourrinnes, dans la direction de Wavre, en éclairant les bois de Bus et de Maleves. La division de dragons du général Chastel traversa Gembloux une heure après le départ de Bülow ; elle reçut ordre de s'arrêter au moulin à vent, à une petite lieue au-delà de la ville, où elle resta jusqu'à la nuit. On fit cantonner les huit régiments de dragons dans les villages et fermes en avant et à droite de Gembloux, à l'exception pourtant de la première brigade de la division Chastel, commandée par le maréchal de camp Bonnemains, qu'on envoya à Walhain vers la chute du jour ; ce général fit connaître, par de doubles rapports, la marche des Prussiens sur Wavre. Le 5e régiment de dragons, commandé par le colonel Chaillot, fut envoyé en même temps à Perwez-le-Marchez ; cet officier, qui entend bien la guerre, apprit positivement encore, par des prisonniers qu'il avait faits dans sa marche et par les paysans, que les colonnes prussiennes et les hommes dispersés étaient dirigés à Wavre, et il en rendit compte Bar-le-champ. Les 3e et 4e corps d'infanterie restèrent à Gembloux ; la division Teste, avec la cavalerie du général Pajol ; revinrent de St.-Denis, par Bossières, s'établir à Mazy ; la division Maurin resta près de Gembloux, sur la rive droite de l'Orneau. Le quartier-général demeura dans cette ville. La colonne principale marchait à grand pas, par la route de Bruxelles, sur les traces d'une armée, dont une petite partie avait combattu la veille ; elle fut, ce jour-là, établir son quartier-général à la ferme de Caillou, près Planchenoit. Depuis les Quatre-Bras, la division Domon avait été détachée pour éclairer la rive gauche de la Dyle, et pour reconnaître le pays entre cette rivière et la route de Bruxelles ; le 4e régiment de chasseurs poussa jusqu'au pont de Moustier ; ses tirailleurs échangèrent, à cette hauteur, quelques coups de carabines avec des cavaliers prussiens qui ne parurent pas vouloir s'engager ; ce régiment se retira, la nuit, sur sa division, bivouaquée à droite du quartier-général. Il n'y avait pas de difficulté pour l'aile droite d'aller le 17, s'établir à Walhain, puisqu'une brigade de cavalerie a pu le faire. Cette colonne avait été détachée, pour suivre une armée battue ; nous avons dit qu'elle était composée de troupes, qui, la veille, formaient le droite et une partie du centre de l'armée victorieuse ; elles avaient peu de marche à faire ; elles étaient assez nombreuses et bien disposées pour attaquer vivement un ennemi en retraite et le précipiter sur Wavre oh il aurait trouvé son pont-d'or : les colonnes ennemies étaient désunies et éparses ; ses masses, démolies parle canon da 16, enfoncées le même soir par les cuirassiers français, avaient laissé échapper une infinité de fuyards, dont les bois et les villages des deux rives de la Dyle étaient t'emplis, et que la cavalerie prussienne ramassait et dirigeait sur Wavre. Les flanqueurs du corps de dragons de l'aile droite, en trouvèrent encore beaucoup dans la marche tardive du 18, vers la route de Louvain à Namur ; ils ramenèrent des détachements, l'un ayant un officier à sa tête. Il arriva une fiole de ces fuyards à Namur, à Liège, et je pourrais peut-être dire à Anvers, même après la bataille du 18. Tous ceux qui connaissent les premiers principes de la guerre, savent combien il est important de poursuivre sans relâche une armée battue, encore épouvantée de sa défaite, qui a perdit son ensemble, et dont la combinaison centrale a cessé d'être en harmonie avec la force qui consiste dans la réunion de toutes ses parties, alors sans rapports immédiats entre elles, ni avec la volonté qui devait les faire agir ; ceux-là, dis-je, demanderont pourquoi, lorsque, le 17, à neuf heures du matin, on eut reconnu un corps prussien à Gembloux, le 4e corps d'infanterie, qui était resté en position à Ligny, n'a pas été mis de suite en mouvement pour marcher avec les huit régiments de dragons d'Exelmans, et attaquer ce corps prussien, tandis que celui du général Vandamme, avec la division de cavalerie du général Maurin, s'échelonnant sur le 4e, et manœuvrant par sa gauche, se seraient portés sur Walhain ; quand surtout le général Pajol était à St.-Denis avec une division d'infanterie, six régiments de cavalerie légère et vingt pièces de canon. Ce général, qui fait bien la guerre, qui sait inspirer une grande confiance à ses troupes, se trouvait dans une situation heureuse pour opérer sur le flanc gauche de Bülow, ayant avec lui un point d'appui pour manœuvrer sur la même ligne d'opération de l'aile droite, par le secours de son infanterie également commandée par un bon général. Pajol eut certainement mis Bülow dans un grand embarras, si le commandant de la colonne de droite eût ordonné une attaque que notre marche rendait oblique : comment alors ce général prussien aurait-il pu arriver au pont de Wavre, poursuivi et pressé sur ses deux flancs, puisqu'on pouvait encore lui jeter douze régiments de cavalerie sur sa droite. Toutes nos troupes étaient sous la main ; et les autres corps des Prussiens étaient déjà éloignés, et ne cherchaient point à perdre de temps. La poursuite d'une petite colonne ennemie, dispersée et jetée sur la route de Namur, semblait avoir porté exprès un corps français assez considérable ; dans la matinée du 17, à Saint-Denis ; quel parti on pouvait tirer de cette marche ! elle ne servit qu'à déterminer plutôt la retraite de Bülow, qu'on avait observé dans sa position, pendant cinq à six heures, sans brûler une amorce avec ses avant-postes. On ne l'a pas même suivi dans sa retraite, lorsqu'il lui a plu de la faire, et le bruit seul du canon, ce jour-là, aurait empêché l'armée prussienne de recueillir dix mille hommes qui se sont retrouvés le lendemain dans ses rangs. Si cette colonne de droite eût marché, avec cette vigueur qui convenait à sa force et à sa situation ; si elle se fit seulement avancée jusqu'à la hauteur de pont de Moustier, que l'ennemi aurait dû détruire, le prince Blücher, battu la veille, aurait jugé qu'il avait derrière lui un corps nombreux, et comme, dans ses rapports, il prétend avoir été attaqué, le 16, par cent trente mille combattants, il aurait cru, sans doute, être suivi le 17 par cinquante mille hommes ; il aurait réfléchi à quel danger il s'exposait, avant de faire sa marche de flanc, le 18 au matin sur Waterloo. Le général anglais eût peut être appris trop tard qu'il se pouvait recevoir les secoua qui lui étaient promis. Car dans la matinée du 17, l'armée prussienne réunit à peine trente mille hommes de ces trois premiers corps, qui en comptaient quatre-vingt-dix mille le 16 au matin ; elle en avait, tout au plus quarante mille le 18. Son quatrième corps qui ne prit aucune part à l'affaire, comme nous l'avons vu, était resté intact. Cette armée, telle qu'elle était alors, a pli seulement se rassembler à Wavre, laissant une arrière-garde à la Barraque, afin de couvrir les ponts par lesquels il lui rentrait toujours des hommes que rassurait le calme de la journée. Le 18, la colonne de droite se porta en avant, dans l'ordre et dans les directions suivantes : Le général Pajol, avec l'infanterie et la cavalerie sous ses ordres, partit de Mazy à cinq heures du matin, pour marcher par St-Denis, Grand-lez et Tourrines, où il devait attendre de nouveaux ordres. Les huit régiments de dragons du corps d'Exelmans se sont mis en route à huit heures du matins, et pesant par St-Martin, ils ont prolongé leur marche jusqu'à la route de Namur à Louvain. Les 5e et 4e corps d'infanterie furent mis en mouvement entre neuf et dix heures du matin, en une seule colonne, qui marchait par Walhain, sur Wavre, éclairée, vers la Dyle, par la division de cavalerie du général Maurin. Ce lieutenant-général ayant été blessé, le 16 au soir, le maréchal-de-camp Vallin avait pris le commandement de sa division ; la colonne n'était encore qu'au village de Walhain lorsqu'elle entendit les premiers coups de canon du Mont-Saint-Jean. Le lieutenant-général Gérard, commandant le 4e corps, fut d'a vis qu'il fallait marcher au canon par la rive gauche de la Dyle, afin d'opérer sur la même base avec l'armée principale, qui était en action. Ce conseil était conforme aux bons principes de la guerre, par la seule raison qu'il aurait fait diminuer l'étendue du front de l'armée, et qu'en outre, s'il eût été suivi, il mettait l'aile droite en communication avec les troupes engagées, afin d'être à même de les soutenir ou d'en recevoir des secours : on trouve bien vite les moyens de se développer lorsqu'on est réuni. Cet avis était encore donné bien à propos, puisqu'on arrivait à hauteur du pont de Moustier, qu'on pouvait passer, en poussant des reconnaissances en avant, sur ceux de Limelette et de Limalle ; mais un autre conseil prévalut, et l'on fit l'énorme faute de se porter en masse sur le point de Wavre. Le 3e corps d'infanterie, qui marchait en tête, rencontra une petite arrière-garde ennemie à la Barraque, petit village en avant des bois de Sarats et de Warlombront ; il y eut un léger engagement, où l'ennemi présenta peu de résistance. On se trouvait alors en mesure de passer la Dyle par Moustier et par Limelette, en faisant reconnaître Wavre ; le canon de gauche n'avait pas cessé de nous appeler. Quelques coups tirés à la Barraque, avait fait revenir le corps d'Exelmans sur Dion-le-Mont, pour appuyer l'infanterie derrière laquelle il marcha sur Wavre. Nous arrivâmes vers deux heures après midi, devant cette ville, où le corps de Vandamme essaya de s'ouvrir un passage par le pont ; celui de Gérard fusait la même tentative sur le moulin de Bierge. La division de cavalerie, commandée par le maréchal-de-camp Vallin, observait les Ponts de Limelette et de Limalle, qui sont très-rapprochés l'un de l'autre ; le corps des huit régimes de dragons resta derrière, et à droite de l'infanterie du 3e corps, à attendre qu'on lui eût ouvert un passage ; le général Pajol était Tourrines. Le lieutenant-général Gérard insistait alors pour tourner la forte position de Wavre, en passant le pont de Limalle, et presqu'aussitôt il fut blessé assez dangereusement devant le moulin de Bierge. Le 18, continue l'auteur des Considérations sur l'Art de la guerre, nous employons toute la matinée, jusqu'à midi, à développer notre armée, et à nous préparer au combat. Nous avions cinquante-cinq mille combattants, non compris notre colonne de droite, de trente mille hommes, qui, dès le matin, était partie de Gembloux pour suivre la marche des Prussiens sur la route de Wavre. Cette colonne, séparée du reste de l'armée par la rivière fangeuse de la Dyle, resta près de Wavre, à près de trois lieues du champ-de bataille, a éloignement fatal au succès de la journée ! le combat s'engage à midi au Mont-St.-Jean, et nous sommes privés de ce corps de trente a mille hommes, que le général français semble Je avoir oublié loin de lui, par un aveuglement e ou une présomption sans exemple ; et cette colonne, reste stupidement sur la rive droite de la Dyle, au lieu d'accourir vers le bruit du canon, pour prendre part à la bataille ; au lieu du moins de marcher vivement sur les traces des Prussiens, qui passent la Dyle à Wavre et viennent renforcer l'armée anglaise. Nous verrons que la colonne de droite n'était point oubliée du général français, et que ci elle e resté stupidement sur la rie droite de la Dyle, c'est qu'elle l'a bien voulu ; ce n'était pas faute de ponts : elle en avait laissé trois à sa gauche pour arriver sur Wavre, et l'ennemi aurait dû les faire rompre, avant d'oser entreprendre sa marche de flanc à travers de longs défilés, s'il eût connu les forces qui le suivaient. Je crois devoir rapporter ici un passage où M. Giraud dit, page 4 : Ce qui reste certain, c'est que le général en chef connut le danger, qu'il chercha à l'écarter, et que ce ne fut point, comme on l'a dit, en aveugle, sans avoir rien prévu, rien calculé, qu'il se jeta sur les Anglais. En effet, mieux instruit des manœuvres des Prussiens, il dépêcha au commandant de la colonne de droite, l'ordre de les suivre le plus vivement qu'il pourrait et de déboucher sur Wavre.... Pour donner le temps au chef de cette colonne de prendre l'importante position qui lui était assignée, le général tint lui-même sans agir, l'armée en bataille. A une heure, il a dû penser que l'aile droite s'était mise en mesure de contenir les Prussiens, et il donna de son cité le signal de l'attaque. L'ordre de suivre les Prussiens le plus vivement qu'on pourrait, et de déboucher sur Wavre, ne voulait pas dire de s'arrêter, le 17, à Gembloux et de chercher à déboucher par Wavre le 18 ; c'est pourtant ce que nous avons fait. On ne trace point à l'armée, et devant l'ennemi, des feuilles de route telles qu'en donnaient les commissaires des guerres à des détachements qui rejoignaient leurs corps par lieues d'étape : la marche dépend alors des événements et des circonstances ; le général doit savoir les distinguer et les saisir. Le conseil donné par le général Gérard, au village de Walhain, en est une preuve. Les mouvements irrésolus de la colonne de droite, dans la journée du 17, ne peuvent pas être considérés comme une marelle ; ce n'était qu'une grande manœuvre de niasses, dans rate espace de deux lieues, pour se concentrer sur Gembloux, où l'on ne fut réuni qu'assez tard, ce qui semblait préparer, pour le lendemain, un mouvement stratégique dont en voulait dérober les préparatifs à l'ennemi. Mais cette lenteur doit être regardée comme une faute énorme ; quand on connaît la marelle rapide de In colonne principale sur la route de Charleroi à Bruxelles, et lorsque celle de droite, qui ne traînait pas de pontons à sa virile, n'avait point cherché d'abord à s'assurer d'on pont sue la Dyle, qu'à la vérité elle n'a point en envie de passer. Si ces premières fautes, et le retard du 18 au matin ont trompé le prince Blücher sur les forces qui le suivaient, il le fut encore par les rapports de lord Wellington, qui lui disaient : qu'il avait toute l'armée française en tête, et qu'il s'attendait à tout montant à être attaqué... En lisant les rapports prussiens, en voit que le 18, à huit heures du matin, le prince Blücher est parti de Wavre, avec ses plus grandes fortes, pour se diriger cers les Anglais, laissant son troisième corps chargé de la défense de cette cille si celte marche de flanc ne fut pas faite sous les veux dé l'aile droite de l'armée française, c'est qu'à la même heure elle sortait à peine sis ses cantonnements de Gembloux. Le commandant de cette aile droite et le général prussien se faisaient réciproquement beau jeu ; Ce denier en a profité sans le connaître, mais non sans crainte pendant sa marche. Le même jour, vers six heures du soir le feld-maréchal Blücher reçut la nouvelle que le général de Thielmann, qui commandait le troisième corps prussien, était attaqué à Wavre par un corps ennemi très-considérable, et que déjà on se disputait le possession de la ville ; mais le prince jugea très-bien qu'il ne pouvait pas rétrograder, et dit que le succès de la journée dépendait de l'issue du combat du Mont-St.-Jean, et que la victoire sur ce point principal devait faire oublier l'échec de Wavre. Le général prussien, avait cru et croyait encore, que le 3e corps, commandé par le général Vandramme, marchait seul sur Wavre, et que tout le reste de l'armée française émit réuni devant les Anglais. Une lettre de lord Wellington au comte Bathurst, datée de Cateau, le 22 juin 1815, dit également : Le 3e corps, qui comme j'en ai informé V. S. dans mes dépêches du 19, avait été détaché pour observer l'année prussienne, resta jusqu'au 20 dans les environs de Wavre. Il fit alors sa retraire par Namur et Dinant. Ce corps est le seul qui soit resté entier. D'après ce qu'on vient de lire, il n'est personne qui ne tire des conséquences fâcheuses du peu de marche de la entrante de droite, le 17 ; de la prudence, ou pour mieux dire, de la timidité qu'elle a n'outrée pendant la même journée devant Bülow, et de son départ tardif le 18e, des cantonnements de Gembloux. Toutes ces fautes ont de donner une grande sécurité à l'ennemi et le fortifier dans sou erreur sur le nombre des troupes qui marchaient sur ses traces ; elles n'ont sans doute pas peu contribué à faire prendre au général prussien la détermination hardie et généreuse de marcher au secours de son allié ; mais quel immense avantage pouvait en tirer l'armée française, si, aux premiers coups de canon qui se firent entendre à Walhain, le commandant des troupes, sur la rive droite de la Dyle, animé de cette force d'âme, de cette fermeté de caractère, premières vertus d'un général doué du coup-d'œil militaire que doit avoir un grand capitaine vieilli dans le métier des armes, et qui lui faisant deviner les desseins de l'ennemi par ce qu'il a fait lui-même, le porte aux entreprises audacieuses sans le secours d'un conseil, qui pour être bon, devrait se composer d'hommes connaissant bien la guerre, et n'étant point jaloux de la réputation de celui qui commande ; si ce général eût saisi l'à-propos, ce secret de la victoire, en interprétant ses ordres selon la mobilité des circonstances, s'il eût enfin bien conçu les dispositions du général en chef, qui étaient faciles à deviner, il se fur porté rapidement sur le pont de Moustier pour se rattacher à la ligne intérieure de l'armée, en poussant de fortes reconnaissances de cavalerie par les deux rives de la Dyle pour protéger le passage de cette rivière. On eût alors connu bien vite la marche des Prisa-biens ; on prenait une direction concentrique, au lieu de suivre une ligne divergente en se portant à Wavre, et certes, le général anglais qui s'était arrêté au Mont-St.-Jean, pour avoir compté sur le secours de ses alliés, aurait été bien déçu dans ses espérances. Les colonnes prussiennes, prévenues dans leur marche, ou attaquées eu flanc dans les longs défilés de Chapelle-St.-Lambert et de Lasne, auraient eu assez de besogne pour se défendre, sans vouloir porter un secours hier nécessaire à lord Wellington ; car le feld-maréchal Blücher nous dit encore dans son rapport : Le désordre se mettait dans les rangs anglais. La perte avait été considérable ; les réserves avaient été avancées en lignes la position du duc était des plus critiques. Le feu de mousquetterie continuait le long du front ; l'artillerie était retirée en seconde ligne ; déjà l'ennemi se croyait sar de la victoire. Le commandant français de la colonne de droite n'ignorait pas la marche de l'armée principale sur la route de Charleroi à Bruxelles. A peine eut-on entendu les premiers coups de canon de la gauche, la progression en fut ai rapidement croissante, qu'elle nous fit bientôt connaître qu'il y avait une grande affaire engagée de ce côté là. Quel dessein alors a pu lui faire prendre la détermination d'éloigner trente-cinq mille hommes de la bataille, en les portant devant Wavre, le nez sur une rivière ? on s'écartait davantage par cette marche, tronque le coure de la Dyle et la route de Bruxelles semblent former les deux côtés d'un angle, dont le sommet serait vers les Quatre-Bras un était déjà bien convaincu que l'armée prussienne ne s était point retirée sur Namur. Pouvait-on supposer qu'elle eût prolongé sa retraite au-delà de Wavre ? ou devait-on croire qu'elle était toute entière derrière la Dyle sur ce point-là ? le première supposition n'était pas vraisemblable, puisqu'on se battait à notre gauche ; mais, eût elle même paru possible, il fallait faire observer Wavre et marcher au canon ; la seconde supposition devait faire présumer que les Prussiens se lieraient par leur droite aux Anglais ; et dans ce dernier cas, il fallait encore passer la Dyle pour s'opposer, du moins, à ce que cette armée ennemie ne mît aucune part à l'action de gauche, dont le canon nous annonçait sans cesse toute l'importance. Au lieu de cela, nous avons tous marché sur Wavre, sans même avoir reconnu le pont de Moustier ; nous avons resté une partie de la journée à lancer des boulets de bas en haut, contre une position formidable au-delà d'une rivière, que par tout ailleurs nous eussions déjà pu passer sans brûler une amorce. Mais on a dirigé des attaques successives d'infanterie contre le pont de Wavre et le moulin de Bierge, où l'on perdit du monde inutilement sur les deux seuls points que l'ennemi pouvait défendre avec avantage. Les quatre cinquièmes de notre infanterie ne pouvaient pas être engagés devant Wavre, et dix-huit régiments de cavalerie étaient à ne rien faire, et en partie jetés en arrière et à droite où il n'y avait personne ; car, indépendamment du corps de Pajol, qui était à Tourinnes, je reçus l'ordre d'envoyer un régiment de ma brigade (le 17e de dragons, colonel Labiffe), en reconnaissance vers la route de Louvain à Namur, et le moyen de bien assurer la droite et les derrières de ce corps eût été le passage de la Dyle. Pendant que nous perdions des moments précieux devant Wavre, et que nous nous occupions ai mal à-propos de notre droite de général français, informé de ce que nous aurions dû connaître mieux que lui, avait fait parvenir des ordres par des détours à travers un pays libre, où nous n'avions pas voulu pénétrer. La lettre du commandant de la colonne de droite, datée de Dinant le 20 juin 1815, qui en est l'accusé de réception, est en même temps la critique de nos fausses manœuvres ; il est dit dans cette lettre : Ce n'est qu'après les sept heures du soir, le 18 juin, que j'ai reçu la lettre du duc de Dalmatie, qui me prescrivait de marcher sur Saint-Lambert, et d'attaquer le général Bülow...... Dans cet état de choses, impatient de pouvoir déboucher sur le mont Saint-Lambert, et coopérer au succès de nos armes, dans cette journée si importante, je dirigeai sur Limalle la cavalerie de Pajol, la division Teste, et deux des divisions du général Gérard, afin de forcer le passage de la Dyle, et de marcher contre le général Bülow. Mon mouvement sur Limalle prit du temps, en raison de la distance[13] ; cependant j'arrivai, as j'effectuai le passage, et les hauteurs furent enlevées par la division Vichery et la cavalerie. La nuit ne permit pas d'aller loin, et je n'entendais plus le canon du côté où vous vous battiez. La division de cavalerie, commandée par le général Vallin, passa d'abord le pont de Limalle vers six heures du soir, sans éprouver de résistance ; elle fut suivie, une heure après, par la division Vichery, et enfin de tout le quatrième corps. A quatre heures après-midi, on envoya des ordres au général Pajol, à Tourinnes ; il n'arriva à Limalle que vers huit heures, avec sa cavalerie. La division Teste, qui suivait d'assez près, se porta, par le même pont de la Dyle, sur les hauteurs de droite, pour appuyer l'attaque du village de Rosieren, qui fut enlevé à l'ennemi entre neuf et dix heures du soir, ce qui nous rendit maîtres de la route de Wavre à Bruxelles. Le corps du général Vandamme était toujours devant Wavre, et avait porté une de ses divisions vis-à-vis le moulin de Bierge ; le quartier-général fut établi à Limalle. Le 19, à trois heures du matin, le général de Thielmann, voulant rétablir sa communication avec Bruxelles, attaqua les troupes françaises sur Rosieren et Bierge ; le peu de forces qu'il pouvait y employer furent facilement repoussées, Vandamme faisant alors passer une de ses divisions par le moulin de Bierge, que l'ennemi avait dé dégarnir pour se porter en arrière et défendre sa droite. Ce fut le même jour, sur les hauteurs du village de Bierge, que le général Penne, qui commandait une brigade de la division Testé, trouva une mort glorieuse : il emporta les regrets de tous les braves, parmi lesquels il occupait une place distinguée. Le corps de dragons venait aussi de passer le pont de Limalle, lorsque, vers les neuf heures du matin, l'arrivée d'un aide-de-camp du général Gressot vint noms apprendre les malheurs de la gauche. On voulut eu vain en cacher la cause ; chacun connut dès-lors les fautes de l'aile droite, et en gémit. On ne pouvait plus les réparer ; il fallut songer à la retraite ; elle n'était pas à comparer à celle des dix mille, après la bataille de Cunaxa : nous n'étions pas éloignés de nos frontières, et nous n'avions à parcourir qu'une contrée d'amis : l'accueil généreux de la ville de Namur ne sera jamais oublié par ceux qui en furent les témoins. Cette ville, naguère française, reçut et traita nos blessés comme ses propres enfants ; nous ne saurions trop le répéter à toute la France : Namur, a bien mérité de notre patrie ? Quelques transfuges, échappés de nos rangs, arrivèrent dans Cette ville la veille de la bataille de Fleurus ; ils y furent honnis ! Sept régiments de dragons du corps d'Exelmans, avec les blessés et l'artillerie de réserve, se portèrent rapidement sur Namur pour s'assurer du pont de Sambre ; les premiers entrèrent dans cette ville le même jour à quatre heures du soir. L'infanterie a resté en position devant Wavre jusqu'à minuit, appuyée et éclairée, à sa droite, par le corps de cavalerie du général Pajol ; à sa gauche, par la division aux ordres du général Vallin ; le 20e régiment des dragons du corps d'Exelmans, marchait avec les colonnes du centre. Cette infanterie arriva à Namur, le 20, dans la matinée, après avoir livré plusieurs combats très-sanglants aux Prussiens qui la suivaient avec ardeur, et dans lesquels le 20e de dragons, commandé par le colonel Bricqueville, fit quelques belles charges, reprit deux pièces de canon qui avaient été abandonnées un moment au pouvoir de l'ennemi, auquel il enleva en outre un obusier. La division Teste resta chargée de la défense de la ville, ce qu'elle fit, sans canon, jusqu'à six heures du soir, contre le troisième corps prussien, qui y perdit vainement près de trois mille hommes. Testa ne quitta Namur que lorsque tout fut évacué et que les hauteurs de Bou-vigne et de Dinant étant déjà occupées par nos troupes. L'ennemi ne nous fit suivre en deçà de Namur que par quelques éclaireurs. Le quartier-général s'était porté à Dinant. Je me sens entrainé à faire ici quelques réflexions star les résultats des fausses manœuvres de notre aile droite, et sur les conséquences de sa position, prise contre toutes les règles de la tactique et de la stratégie ; dans l'après-midi du 18 juin, qui a fait errer le général en chef dans son plan d'attaque, calculé sur les mouvements présumables de plus de trente mille hommes, sur lesquels il devait compter. Qu'a-t-il dû penser, en effet, lorsqu'à huit heures du soir les Prussiens arrivèrent en force sur le flanc droit de son armée ? Devait-il croire qu'une colonne française se serait séparée de lui pour s'en éloigner de quatre lieues, sans y être contrainte-par aucun mouvement de l'ennemi, et qu'elle se serait placée de manière à ne pouvoir ni porter ni recevoir des secours, mais à être obligé de faire une retraite excentrique au moindre échec. Car, en supposant encore que les Prussiens n'eussent pas marché vers les Anglais, le corps de droite les plaçait en ligne défensive sur cette autre armée ennemie, tandis qu'il formait une ligne d'opérations extérieure, hors des points par où il devait communiquer, et assez éloigné par sa position du reste de l'armée pour que les Prussiens, devenant alors maîtres de leurs mouvements, pussent prendre l'initiative pour isoler ce corps français et lui livrer sans inquiétude une double bataille, en s'avançant sur les ponts de Limalle et de Limelette. Une armée qui se divise pour courir en même temps deux chances séparées, sur deux champs de bataille, sans rapport entre eux, mais qui laissent toutes les communications à ses ennemis, perd la moitié de sa force avec l'unité d'action, s'expose à faire écraser l'une des deux parties, si l'ennemi manœuvre habilement, et c'était le cas dans lequel nous nous placions devant Wavre. Si le général français eut connu la position de cette aile droite, rien ne l'empêchait, dans la nuit du 18, de venir, avec un peloton de cavalerie, la rejoindre par le pont de Moustier, et, à la tête de trente mille hommes frais et bien disposés, que ne pouvait-il pas entre- prendre contre des ennemis bien plus étonnés de leur bonheur que certains de la victoire ? si, avec vingt mille hommes bien déterminés, il fût venu fondre sur les derrières de ses ennemis, peu réunis alors, et occupés à poursuivre avec abandon, parce qu'ils ne trouvaient plus d'obstacles, que d'espérances n'aurait-il pas rendues à la patrie désolée ! ... Mais l'aile droite de l'armée française étant livrée à elle-même, le 19 au matin, et privée de toute espèce de renseignements ; ayant, par ses propres fautes, détruit toutes les combinaisons qui donnent de la force aux armées, elle s'était mise dans la dure nécessité de ne songer qu'à faire, le mieux possible, la plus mauvaise retraite sur les premières places frontières de la France, ce dont elle s'est bien acquittée. Si le général français eût osé croire encore que son aile droite, dont il n'avait aucune nouvelle, arriverait intacte le us juin à Givet, il serait venu en prendre le commandement, .et, connaissant tout le mal qu'il avait fait à l'ennemi, au lieu de détourner, comme en l'a fait, son infanterie par Reims, il eût accouru reprendre en masse la ligne d'opération à Laon ; là, il aurait pu réunir beaucoup de mande ; il aurait donné à son armée le temps de se reconnaître, et à la France celui de réfléchir. La capitale n'aurait point été étourdie par l'arrivée subite des troupes étrangères, et la désastreuse capitulation de Paris n'aurait point eu lieu, L'armée française avait encore les moyens de marcher de nouveau sur Bruxelles, et l'ennemi aurait été réduit à une retraite bien difficile pour sortir de France. De misérables aventuriers qui se disent Français, avaient cru rendre service à nos ennemis en leur livrant le Pont -le-Pecc ; ils avaient assuré la destruction du reste de l'armée prussienne, et celle de son alliée, si des hommes, qui croyaient gouverner la France, n'eussent point enchaîné le courage d'une aimée outragée d'être trahie et vendue aux intérêts de quelques coupables, qui voulaient se racheter aux dépens de l'honneur de leur pays : l'armée française n'avait trempé dans aucun complot ; elle était nationale comme elle l'est aujourd'hui ; elle était sensible à la gloire !... elle s'est laissé sacrifier parce qu'elle l'a cru nécessaire au bien de sa patrie elle avait plus d'une fois prouvé qu'elle pouvait mourir pour elle. L'emploi prématuré de la cavalerie française à la bataille de Waterloo, qu'on regarde avec raison comme une grande faste, a paru s'être fait successivement à la suite d'une charge de celle des Anglais, et non par un ordre général ; on aurait pu la retirer au lieu de faire appuyer une entreprise aussi courageuse, qui devint funeste, quoique ses chocs eussent ébranlés et même enfoncés plusieurs carrés ennemis. On a, il est vrai, trop souvent abusé de la promptitude des mouvements de cette arme, et fatigué les chevaux avant la fin de la bataille, où ils deviennent si nécessaires quelle qu'en soit l'issue. On peut, avec certitude, se résumer à dire que l'armée française devant Waterloo, telle qu'elle était le 18, aurait vaincu les Anglais, si les Prussiens ne fussent arrivés à leur secours par une marche hasardeuse, entreprise sans assez connaître ce qui se passait ; marche dont le chef de cette année nous a donné depuis un exemple sorts Paris, mais avec plus de sécurité. Ce mouvement du 18, qui devait faire éprouver les plus grandes pertes aux restes de l'armée pros-sienne, si la colonne française de droite eût opéré militairement et avec la hardiesse qui convenait à sa force et à sa situation, a changé la scène de Waterloo, qui devait être le tombeau de l'armée anglaise. C'est avec raison que le feld-maréchal Blücher désirait que cette bataille portât le nom de la Belle-Alliance[14], puisque ce fut tout près de cette ferme que s'est prononcé le mouvement des Prussiens qui a seul déterminé tu victoire ; mais le général anglais a jugé à propos de la baptiser du nom de Waterloo. Les Français, à qui la victoire fut infidèle, après avoir donné des noms à cent batailles, avaient désigné cette dernière sous celui du Mont-Saint-Jean. L'armée anglaise, qui se trouvait dans lima possibilité de ramener un canon de la bataille, ni du faire une retraite de colonnes par des routes encombrées, eut été détruite rivant Par rivée des Prussiens, si le général fronçais n'eut pas attendit en vain et aussi longtemps la coopération de son corps de droite : il n'aurait pas été obligé de se priver, à. la fin de la journée, de quinze à vingt mille hommes qu'il employa contre les Prussiens[15], tandis que trente-cinq mille restaient inutiles devant Wavre. Les rapports ennemis, faits alors, n'ont pas dissimulé qu'il existait ce jour là un désordre affreux derrière l'armée anglaise. Effectivement, entre Waterloo à Bruxelles, l'artillerie et les caissons culbutés, les bagages abandonnés per les domestiques et les cantiniers pour se sauver ; des chevaux tués et estropiés encombraient les routes sur lesquelles les fuyards se battaient pour se frayer un passage ; à la fin, il était impossible à un homme à cheval de traverser la forêt de Soigne, sur la grande chaussée qui conduit à Bruxelles ; des prisonniers français en ont été témoins, et les habitants du pays le certifient à qui veut l'entendre, comme ils me l'ont dit à moi-même, depuis, sur les lieux. Les blessés, qu'on ne pouvait plus transporter, remplissaient cette forêt, qui cachait aussi bien des gens épouvantés. Le tumulte s'était prolongé jusqu'à Anvers, et s'étendait déjà vers la Hollande ; les routes, qui y conduisent, étaient couvertes de voitures et d'une foule si grande qui se sauvait à pied et à cheval, qu'il ne suffisait pas, dans la nuit suivante, d'offrir beaucoup d'argent pour entrer dans une maison et surtout pour y coucher. Des officiers anglais blessés, qui arrivèrent à Anvers avec des femmes de généraux, ont annoncé que tout était perdu, et un convoi d'artillerie, qui fut envoyé par ordre supérieur sur cette ville, est la preuve que d'autres le croyaient également. L'émigration de Bruxelles avait été si forte et si précipitée, que, pour cent guinées, on ne pouvait plus obtenir deux chevaux pour aller jusqu'à Anvers. Une des relations du témoin oculaire nous fait connaître, entre autres détails minutieux, que le 19, à trois heures du matin, lady Fitz-Roi Sommerset reçut à Anvers la nouvelle du gain de la bataille, apportée par un exprès venu de Waterloo, ce qui causa un étonnement général, et, fit renaître la joie et le courage parmi bien des personnes désolées, qui ont accouru à Paris, à la suite des bagages du vainqueur, pour partager le triomphe.... Je citerai en outre, pour preuve de la situation désespérée dans laquelle se trouvait l'armée anglaise, les paroles mêmes du noble lord qui a modestement avoué qu'il n'avait jamais été si près de sa perte. A la vérité, si sa seigneurie gagnait encore deux batailles comme celle de Waterloo, les trois États unis auraient de la peine à recruter seuls ses armées Les pertes en hommes, des deux armées alliées furent doubles de celle de l'année française, et ce sont les Prussiens qui en ont perdu le plus[16]. Quelques personnages s'étaient plu, seulement à exagérer la perte des Français, et à l'apprécier à leur manière ; mais le ministère anglais, à qui on n'a pu dissimuler l'étendue des siennes, a eu soin de distraire les habitants de Londres par une exposition pompeuse, dans la rue Saint-James, d'objets curieux trouvés sur le champ de bataille ; savoir : Grand nombre d'armes, de
cuirasses, d'ordres, de décorations, de boulets, etc. L'épée que Bonaparte portait dans
l'action. Le béton du maréchal Ney. Le baudrier, brodé dans un goût
exquis, et appartenant à la dignité de grand maréchal. Le magnifique baudrier donné au maréchal Bertrand, par Napoléon. La garde-robe de Napoléon, capturée par les Prussiens, consistant en superbes habits de cérémonie, parfaitement brodés, épées de grande parure, etc. La totalité de son costume au Champ-de-Mai. La garde-robe de l'impératrice Marie-Louise contenant des vêtements d'une splendeur et u d'une magnificence extraordinaires. Des baudriers, des sabres, etc., de manufactures turques, présentés à Bonaparte, quand il était en Egypte, par les Bey, etc., etc. Scott, Battle of Waterloo, imprimée et publiée à Londres, en septembre 1815. Cette parade n'a
pas besoin de commentaire, mais le bon sens voulait qu'on n'imprimât pas des
mensonges aussi grossiers : d'après les rapports des généraux ennemis, les
seules troupes de Blücher ont poursuivi les Français, parce que les Anglais
étaient trop fatigués, et n'avaient pas eu le terne de manger depuis le matin. Les hussards prussiens sont
ceux qui ont dû prendre ces objets précieux,
à l'exception, bien entendu des boulets et des cuirasses : comment se fait-il
donc qu'ils ont été plutôt exposés dans la rue Saint-James, à Londres, que
dans la Frideric-Strasse à Berlin[17] ? C'est pourtant
dans de telles rapsodies que l'éditeur qui a recueilli la relation
fallacieuse du témoin oculaire, ou du pseudonyme, a été chercher (page 50) un complément
très-nécessaire, et, ajoute-t-il, nous osons
croire que désormais notre collection servira de base à l'histoire de cette
guerre mémorable. C'est ainsi que cet éditeur a composé un volume
in-8° de 297 pages, dont la 4e édition se vend encore aujourd'hui cinq
francs, et se trouve classée sur un catalogue de livres militaires, page 46. Il me reste à indiquer un dernier rapport qui nous fait bien connaître la détresse de l'armée anglaise, le 18, persuadé que l'on ne s'inscrira pas en faux contre le témoignage d'un des plus zélés admirateurs du duc de Wellington, qu'il dit avoir vu répandre des larmes de douleur. L'auteur de ce rapport paraît s'être rendu très-utile, quoiqu'il n'ait pas été blessé légèrement, ou n'a point reçu de contusion comme MM. les généraux Vincent et Pozzo-di-Borgo[18] desquels je n'ai cependant pas vu de rapport. Mais j'ai lu celui du général Alava[19] qui partagea tous les dangers de sa grâce, lui deuxième au moins de sa nation, puisqu'il conclut par recommander à la bienveillance de son souverain le capitaine N. de Miniussir, du régiment des tirailleurs de Doyle, qui, dit-il, se comporta avec une grande vaillance pendant l'action, et qui fut blessé en ralliant les troupes de Nassau dans le jardin et en les faisant retourner à leur poste. M. le général espagnol a vu, je pense, pour la première fois des troupes prussiennes se présenter au combat ; il a remarqué, et il a reconnu que l'armée du prince Blücher attaquait la droite de l'ennemi avec son impétuosité accoutumée. Il place la déroute de l'armée française, dans cette journée, au-dessus de celle de Vitoria. M. le général Alava aurait-il oublié les déroutes espagnoles d'Espinosa, de Sommo-Sierra, d'Uclès, d'Almonacid, d'Ocagnia, de Ciudad-Réal, de Médelin, d'Alba-de-Tormes, de la Guevora, etc., etc., etc., quoiqu'il dit probablement figuré dans quelques-unes. Je me suis borné à dire ce qu'on ne pouvait pas omettre, pour l'honneur de l'armée et la gloire du nom français, sans vouloir porter préjudice à la réputation militaire des autres nations. Le temps permettra à l'histoire de faire connaître toute la vérité. Il fallait répondre à ces hommes dont l'opinion s'adapte à toutes les circonstances, et qui ont des allures réglées sur la marche des événements. J'ai opposé les principes et des faits aux écrits de ceux qui vendent leur pensée pour se rendre l'écho des passions du jour ; qui s'empressent d'être les premiers à mentir sur des opérations d'armée dont ils ne connaissent pas plus les causes que les moyens. Tout le monde veut penser et écrire la guerre, peu d'hommes la comprennent bien, beaucoup ne savent en juger que les résultats, sur lesquels ils élèvent des réputations à quelques homme, pour détruire celles des autres ![20] Je ne prétends pis avoir écrit la courte campagne de 1815, qui pourrait, peut-être, fournir matière à un assez gros volume ; je n'ai eu d'autre but que d'en Il ire connaître les dispositions militaires n et de signaler les trois grandes fautes qui ont été faites par deux généraux, et qui furent la cause de nos malheurs. La première est celle du 16, qui a arrêté le mouvement du 1er corps d'infanterie, se portant sur un des points décisifs de la bataille contre les Prussiens, et qui a, en même teins, neutralisé la cavalerie, qui aurait agi avec cette masse. La seconde vient de la marche lente et timide du corps de droite, le 17, au lieu de la poursuite rapide et vigoureuse d'un ennemi battu et en retraite. Le retard, les incertitudes de la marelle du 18, à l'aile droite et les fausses manœuvres de ce même côté, ont produit le fatal résultat de la troisième ; cette dernière, la plus grande de toutes, qui a duré autant que le jour, a placé le désastre là oh devait être le triomphe. D'après les conséquences que j'ai tirées de ces trois fautes, qui ont dû nécessairement en faire commettre d'autres, conséquences que je crois pouvoir présenter comme vraies, il sera facile au lecteur dé faire la part de chacun. Je lui ai montré les faits et je lui livre mes réflexions ; je lirai moi-même avec plaisir celles qui seront plus exactes que les miennes. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Quelques hommes inutiles et intrigants, mauvais citoyens ou militaires nuisibles aux armées, ont cherché à se faire un mérite d'événements inattendus ; et, sans rougir de leur fourberie, sans être honteux de leur lâcheté, pénétrés de leur impuissance, ils ont eu la mauvaise foi de s'attribuer en partiels cause de ces événement, ou de s'en déclarer les moteurs. Les uns, placés dans de fausses positions, contre leur prévoyance, en s'abandonnant au destin qui ne leur semblait pas prospère, se sont jetés, au hasard, du calé où ils ont cru perdre le moins. Les autres, tirant parti de la nullité dans laquelle on les avait laissés, malgré leurs sollicitations, en désertant les rangs du malheur pour courir vers le parti victorieux, ont raconté des mensonges qu'ils nommaient, en termes honnêtes, des révélations ; et, par de sourdes menées, par de perfides manœuvres, tous ont cherché à flétrir, à éloigner des hommes francs et recommandables, qu'ils ne voulaient point rendre les témoins de leurs fausses démarches, afin de ne pas être dévoilés par eux, et la plupart ont obtenu des récompenses. D'autres, enhardis par la conduite des premiers, et portant bien plus loin leurs prétendons, se sont santés d'avoir découvert et livré les plans de campagne des Français ! De telles assertions n'ont de prix qu'aux yeux de l'ignorance.
On pouvait faire connaitre la marche de l'armée, sa ligne d'opérations, qui était la distance à parcourir des frontières de France à l'ennemi. Ce n'était un secret que pour les contrées éloignées du théâtre de la guerre, puisque les premiers mouvements de l'armée française pouvaient être indiqués d'avance par l'emplacement même de ses ennemis. On pouvait sans doute annoncer son approche aux Prussiens, aux Anglais, s'ils eussent été assez mal servis pour l'ignorer. Quant ans plans, chaque bataille a le sien qui se fait sur le terrain ; en présence de l'ennemi, et par rapport à ses dispositions, Il se calcule sur la ligne d'opérations qui se change en ligne de manœuvres ; le général ne peut pas lui-même deviner ce plan il faut qu'il sache le concevoir à l'instant, et l'exécuter à propos.
En un mot, un plan de campagne n'est autre chose que le dessein de vaincre ou de conquérir en marchant vers un but donné, ce qu'on nomme l'objectif de la guerre. Cette marche qui est rarement un secret, est soumise aux moyens de guerre qu'on peut faire connaître à l'ennemi, ce qui ne l'empêche pas d'être battu, si ses moyens ne balancent pas les nôtres, ou si nous savons en faire un meilleur usage que lui, en profitant mieux des circonstances qui sont de tous les moments dans le cours d'une campagne, et qu'on ne peut calculer d'avance : il appartient de les bien connaître à l'expérience et à la science militaire, qui demande de longues et de profondes études.
Il y a eu, à la vérité, des trahisons de courage et de devoir, si je puis m'exprimer ainsi, de la part de ceux qui courent après les commandements, qui sont excellents quand tout va bien, mais qui, dans les revers, évitent le péril, épouvantés du sort qui les attend ; loin de se montrer supérieurs au danger, par l'ascendant du courage qui lait braver la mort, ils n'ont point cette force d'âme et de caractère qui inspire de la confiance, et fait partager un noble dévouement à ceux qui doivent leur obéir les soldats savent tout braver, quand leurs chefs ont la force d'en donner l'exemple et de savoir mourir.
[2] Combien de gens font-ils des récits de bataille,
Dont ils se sont tenus loin...
MOLIÈRE, Amphitryon.
[3] Ouvrage imprimé à Paris, en 1816.
[4] L'armée anglaise occupait Nivelle, Soigines, Braines-de-Comte, Enghein, Grammont, Ninose, Audenarde, Gand et Bruxelles. L'armée prussienne avait ses premières troupes en avant de Charleroi, occupant cette ville, Marchienne-au-Pont, Châtelet, Fleurus, Namur, Ciney, Liège, Hannut, etc.
[5] Il faut rendre justice au général prussien, sur la détermination de réunir son armée à Sombreffe. Sa marche fut rapide, savante et hardie. Ses alliés ont dû y attacher un très-grand prix. Les deux généraux ennemis doivent des remercîments aux transfuges. Ils ont contrais toute la trahison exécutable envers l'armée française, dont ils ont pourtant exagéré l'état de situation, faute de le bien connaître ; mais, en annonçant son approche, qui était encore ignorée de ses ennemis, ils doivent applaudir de lui avoir enlevé de grands avantages.
[6] Voyez Jomini, Traité des grandes opérations militaires, chapitres XXXIV et XXXVI.
[7] Le coup d'œil militaire est le génie de la guerre ; il est d'un grand secours à l'officier d'artillerie, pour bien diriger ses pièces ; il est de la plus grande importance à l'officier de cavalerie, pour faire une charge à propos ; il est nécessaire au colonel, au maréchal-de-camp, au lieutenant-général d'infanterie, pour bien placer leurs troupes pour attaquer un Sillage, un bois, etc. ; il est indispensable à l'officier d'écot-major, pour asseoir un camp dans un lieu favorable ; où chaque arme se trouve dans le terrain qui lui convient. Mais le coup-d'œil militaire d'un général en chef embrasse le plan de toute une campagne, en prévoit les événements et les prépare. Il plane sur les contrées gel doivent devenir le théâtre de la guerre. Il s'y rend maure du cours des fleuves, pour les franchir ou s'en faite une barrière d'airain devant ses ennemis, et fixe les champs de batailles.
Si l'esprit et le bon sens sont les premières dispositions pour avoir ce coup-d'œil, le général d'armée l'acquiert par de profondes études auxquelles la philosophie et l'histoire deviennent nécessaires ; il le fortifie par de fortes méditations ; l'expérience de tous les jours, acquise sur le terrain même, le raffine et le perfectionne. On peut être un bon général, parce qu'on a l'habitude et l'instinct de la guerre, mais on ne sera jamais ou grand capitaine si on ne possède pas le coup d'œil, cette transcendance militaire, à un haut degré, et qui n'est au reste que la juste application des principes de l'art de la guerre et de la science qu'il exige.
[8] Précis des journées des 15, 16, 17 et 18 juin 1815, chez Alexis Emery, imprimé en 1815.
[9] Il n'était pas si éloigné qu'il est dit là.
[10] Il n'y avait pas deux armées ; l'aile gauche se composait de tout ce qui s'était porté sur la route de Charleroi à Bruxelles ; mouvement obligé par la configuration du théâtre de la guerre.
[11] Si le général français, dont la base d'opérations était toute la frontière de France du côté de la Belgique, se fut déterminé à choisir l'Escaut de préférence à la Sambre, pour y porter sa ligne d'opérations, et qu'il eut marché sur Mons au lieu de déboucher par Charleroi, il aurait pu alors commencer ses mouvements contre les Anglais, et tomber ensuite sur la droite des Prussiens, mais tout cela entrainerait encore d'autres suppositions.
[12] Le 17, à neuf heures du matin, les rapports d'avant-gardes de la colonne de droite avaient indiqué la direction des Prussiens ; à midi, on en avait la certitude, et tous les renseignements pris et donnés jusqu'à la nuit ont été la confirmation des premiers.
[13] En marchant sur Wavre, nous ayons passé à une demi-lieue des ponts de Limelette et de Limalle.
[14] Rapport prussien, signé le général Gneisenau.
[15] Il y envoya le sixième corps, la jeune garde, une partie de la cavalerie légère, avec l'artillerie de réserve.
[16] Dans le premier rapport envoyé à Londres, on avoue 851 généraux et officiers de tous grades, tués ou blessés, non compris les Belges et les Hollandais. Une histoire de cette campagne, intitulée : la Guerre de l'Europe coalisée contre la France, en 1815, par le lieutenant-colonel prussien de Plotho, porte la perte de l'armée anglaise, avec les auxiliaires, à 19.476 hommes, et celle des Prussiens à 33.120 hommes, en tout 52.596 hommes. On doit bien penser que ces calculs ne sont point exagérés : le nombre de 831 officiers anglais et hanovriens, tués ou blessés, en supposant une proportion de 25 soldats pour un officier, porterait la pute de en deux là seulement à 20.775 hommes. Tout ce qui est blessé est perte pour le lendemain de la bataille ; les estropiés ou amputés ne reparaissent plus dans les rouge, et en outre, beaucoup d'hommes comptés parmi les blessés n'existent plus vingt-quatre heures, ou quelques jours après.
[17] Rue de Frédéric ; elle traverse la ville de Berlin d'use extrémité à l'autre.
[18] Rapport de Wellington au Comte Bathurst.
[19] Lisez le supplément à la Gazette de Madrid, du 13 juillet, 1815.
[20] Je sais que le Prince d'Orange, depuis Roi d'Angleterre, a été mis par les historiens au rang des habiles généraux. On peut, sans scrupule, mettre la réputation militaire de Guillaume III, au rang des réputations usurpées. Une chose qui contribua beaucoup à élever ce Prince dans l'opinion de ses contemporains, fut sa rivalité avec Louis XIV, devenu la haine de l'Europe, après avoir fatigué 40 ans son admiration. Pour déprimer ce monarque, on affecta d'exalter son antagoniste ; on en fit un grand homme dans les choses même où il était au-dessous de la médiocrité. Et les historiens ont été dupes de ce jeu des passions humaines. — DELAISSAC, de l'Esprit militaire, page 262.