LES PHÉNICIENS ET L'ODYSSÉE

LIVRE DOUZIÈME. — LA COMPOSITION DE L'ODYSSÉE.

CHAPITRE III. — ÂGE ET PATRIE DU POÈME.

 

 

Si l'on admet pour le poème odysséen un pareil mode de formation, il faut bien admettre aussi qu'il ne remonte pas à cette antiquité insondable, dont on nous parle d'habitude. L'Odyssée n'a rien de primitif, de barbare, de sauvage.

Au début de cet ouvrage, j'insistais déjà sur cette idée. Comme le redit fort bien M. Michel Bréal au sujet de l'Iliade, l'épopée homérique appartient à un âge de l'humanité qui est déjà loin de l'enfance ; elle représente une civilisation nullement commençante.... Quand Mme Dacier, traduisant l'Iliade, voyait partout des nobles et des princes, elle était moins loin de la vérité, elle méconnaissait moins l'esprit de cette société que nos interprètes modernes, quand ils font de ces guerriers grecs et troyens les contemporains d'un âge de sang, les types grossiers d'une époque de barbarie et de meurtre.

Il faut renoncer à la date fabuleuse qui ferait d'Homère et des poèmes homériques les précurseurs de toute civilisation grecque. Il faut revenir aux conceptions d'Hérodote, qui, là-dessus, pouvait être mieux renseigné que Wolf, Lachmann ou Zoega : Je crois que le poète était mon aîné de quatre siècles seulement. Faut-il cependant exagérer cette tendance nouvelle et faire descendre nos poèmes à une date plus basse encore ? En ce point, je crois que le zèle réformateur a entraîné M. Michel Bréal un peu trop loin.

Dans l'Iliade, M. Michel Bréal a vainement cherché quelque indice de temps et de patrie. Il croit cependant que l'Asie Mineure et le VIIIe siècle av. J.-C. furent le pays et l'âge du poète :

Une chose qui déconcerte le lecteur d'Homère, c'est l'absolu silence sur tout ce concerne le poète, sa patrie, son temps. Ce silence n'est pas une raison pour mettre la personnalité d'Homère hors de son temps et de son milieu. Les poèmes homériques ne peuvent pas être beaucoup antérieurs au temps où Thalès inaugure la philosophie ionienne, où Hécatée compose le premier livre d'histoire, où Alcman et Mimnerme créent la poésie lyrique. On a voulu placer Homère un ou deux siècles avant cet âge de grande production littéraire. Mais un tel intervalle est peu vraisemblable. Nous savons aujourd'hui que la transmission orale n'améliore pas les œuvres, mais les gâte et les déforme. Si l'Iliade avait dit subir deux siècles de transmission orale par des rhapsodes tous plus ou moins versificateurs, elle présenterait plus de remplissage, plus de répétitions, plus d'épithètes hors de leur place ; elle offrirait plus d'épisodes suspects et de parties manifestement interpolées.

Un renseignement — il est vrai, très contesté — place sous Pisistrate (561-528) l'époque où les deux épopées furent recueillies à Athènes et fixées par écrit. Quelle que soit la valeur de ce renseignement, si nous admettons à peu près cette date et si nous opposons cent cinquante ans de transmission orale, ce qui est énorme, nous sommes conduits vers le temps où les colonies grecques d'Asie étaient en pleine prospérité et jouissaient encore de leur indépendance. C'est donc au commencement du VIIe siècle qu'on peut avec vraisemblance placer l'âge d'Homère.

A la différence de l'Iliade, je crois que l'Odyssée nous peut fournir quelques indices certains de temps et de lieu.

 

I

Pour la date, j'ai peu de confiance dans les arguments invoqués par M. Michel Bréal. La tradition sur le rôle de Pisistrate est douteuse. En admettant encore que Pisistrate ait fait, au milieu ou à la fin du vie siècle, la première édition athénienne des poèmes homériques, nous savons que l'antiquité, connut, posséda et nous a transmis par fragments trois ou quatre éditions. différentes de ces poèmes, qui toutes remontaient à des temps fort anciens. Qui nous peut assurer que la première édition athénienne fut vraiment aussi la première édition hellénique ?

En admettant même cette seconde hypothèse : La transmission orale, dit M. Bréal, n'améliore pas les œuvres, mais les gâte et les déforme. Je crois qu'il faut renoncer à cette légende de la composition et de la transmission orales. Le poète de l'Odyssée nous est apparu comme un écrivain. Il n'a pu travailler que sur des documents écrits. Sans l'écriture, il est impossible de comprendre la connaissance qu'il eut de documents ou de modèles sémitiques, et l'imitation ou l'adaptation grecques qu'il en fit. Par les trouvailles de Crète et d'Orchomène, nous savons que l'écriture n'est pas d'invention ou d'importation récentes dans les pays helléniques. Les poèmes homériques sont postérieurs à cette civilisation crétoise, dont les tablettes inscrites nous sont maintenant révélées. — Mais l'écriture, dira-t-on, n'est jamais mentionnée dans le poème odysséen. — M. Michel Bréal, lui-même, a trouvé la réponse décisive à cette vieille objection :

Il y a un certain nombre d'objets, produits plus ou moins précieux de la civilisation, dont il n'est jamais parlé et auxquels le narrateur évite de faire allusion. Ce n'est pas à dire que ces objets n'aient point existé : non. Ils sont de longtemps antérieurs à la date la plus reculée qu'on puisse assigner à l'épopée grecque ; ils ne peuvent avoir été ignorés des auteurs de cette épopée.

En premier lieu, ces auteurs ont soin de ne jamais mentionner l'art de l'écriture. Pourtant il y avait beau temps que le monde en faisait usage. Non loin de la côte d'Asie-Mineure, les murs des palais d'Égypte et d' Assyrie étaient couverts d'inscriptions. Dira-t-on que cela ne prouve rien pour le monde grec ? Mais les fouilles de Crète ont mis au jour des milliers de briques couvertes d'écriture et ont révélé, non pas un, mais deux systèmes graphiques, non pas des écritures monumentales destinées à perpétuer quelques noms propres, mais des écritures courantes, servant aux usages ordinaires de la vie.

Je prie le lecteur de ne pas se méprendre sur ma pensée. Je ne veux pas dire que l'Iliade ait été fixée par l'écriture : je crois, au contraire, qu'elle a été transmise pendant un long temps par la tradition orale. Mais l'écriture existait, elle s'étalait sous les yeux des aèdes, ils ne pouvaient en ignorer l'existence, l'occasion s'est offerte maintes fois d'en parler, et cependant ils n'en disent rien, ils évitent d'en prononcer le nom.

Pas plus que de l'écriture, il n'est fait mention de statues, ni de peintures. Faut-il croire que la Grèce, que les colonies d'Asie Mineure, n'en avaient pas encore ? Mais en Crète, à Cnossos, dans cet édifice qu'on est convenu d'appeler le palais du roi Minos, on retrouve des débris de statues et de peintures remontant à une époque qu'il faut placer au moins six siècles avant Homère. Lorsqu'au début de l'Iliade, le grand-prêtre Chrysès invoque Apollon, sur l'autel duquel il a mainte fois offert en sacrifice les cuisses des taureaux et des chèvres, comment ne pas croire qu'il désigne en ces lieux et sur ces autels un dieu présent et visible, qu'il fût en bois, en pierre ou en marbre ? Quand Andromaque monte à la citadelle, se fait ouvrir le temple d'Athéna et va étendre un voile précieux sur les genoux de la déesse, comment ne pas comprendre, malgré le vague du texte, qu'il s'agit d'une statue ? Tout le monde se rappelle les descriptions enthousiastes de bijoux, d'armes, d'ornements de toute sorte, répandues dans les poèmes. Il serait singulier que l'art décoratif eût existé à l'exclusion de l'art religieux : ceux qui sculptaient si bien les boucliers ne se seraient pas essayés aux images des dieux ? Cependant, en ces quarante-huit chants, on ne rencontre pas une seule mention explicite de quelque représentation de divinité.

Il est un troisième et dernier objet dont nous voulons signaler la systématique prétérition : c'est la monnaie ; l'Iliade compte par têtes de bétail. Un chaudron bien conditionné et de taille usuelle, vaut un bœuf ; un grand trépied d'airain en vaut douze. La monnaie métallique, la drachme et la mine d'argent semblent ignorées du poète, quoiqu'elles soient bien anciennes dans le monde, puisqu'on les trouve déjà, trois mille ans avant l'ère chrétienne, dans le Code babylonien d'Hammourabi. Qui se douterait qu'on est dans le plus proche voisinage du pays même où les Anciens placent l'invention de l'argent monnayé, à savoir le royaume de Lydie célèbre par ses richesses ? Ce royaume, précisément vers le même temps, est au plus haut point d'opulence sous les rois Candaule, Gygès et Crésus. Par une inconséquence bizarre, les poèmes homériques, qui affectent d'ignorer la monnaie d'argent et de cuivre, parlent à plusieurs reprises du talent d'or, mais en laissant dans le doute s'il est compté comme numéraire ou comme poids.

En ce qui touche la monnaie, je n'accepterais pas entièrement peut-être le raisonnement de M. Michel Bréal : les poèmes homériques me semblent fort antérieurs aux temps de Candaule, Gygès et Crésus, et ces longs catalogues, où le poète odysséen nous énumère les six trépieds, les douze chaudrons, les sept amphores, etc., qu'Ulysse reçoit ou donne en présent, nous reportent tout droit aux tablettes crétoises. Telles de ces tablettes ne semblent être, en effet, que des catalogues tout pareils : le premier signe de la ligne représente soit un homme (un esclave, sans doute), soit un trépied ou un chaudron, etc., et les autres signes semblent bien, par centaines, dizaines et unités, représenter le chiffre total de ces objets emmagasinés, vendus, reçus ou donnés.

Mais en ce qui touche l'écriture, je ne vois pas que l'on puisse opposer une objection valable aux raisonnements de notre auteur. Je ne fais toujours qu'une réserve : si la composition et la transmission de l'Iliade se peuvent expliquer en dehors de l'écriture, comme le veut M. Michel Bréal, je suis bien certain que pour l'Odyssée, il faut renoncer à l'hypothèse d'une composition et d'une transmission orales : le fond et la forme du poème odysséen impliquent l'usage d'une écriture.

 

L'Odyssée nous peut fournir, je crois, deux dates minima et maxima, entre lesquelles le poème a dû prendre naissance.

Date minima. Nous savons de source certaine que les premières colonies grecques dans la mer Occidentale sont les colonies siciliennes, dont la fondation remonte au vine siècle av. J.-C. Pour l'une de ces colonies, nous avons une date presque certaine : Syracuse dut être fondée en l'an 733 ou 734. Les historiens anciens sont formels là-dessus et nous pouvons les croire : une ville comme Syracuse devait connaître son histoire, en conserver des souvenirs, des monuments, des archives, et tel de ces monuments écrits, liste de magistrats ou de prêtres, pouvait fournir aux premiers historiens la date exacte de la fondation. Nous savons, d'ailleurs, que ces villes de Sicile avaient eu de très bonne heure leurs historiens : Hippys de Rhégium, contemporain des guerres médiques, avait composé un ouvrage sur la colonisation de l'Italie et cinq livres de Sikelika, dont il ne nous reste rien, mais dont Thucydide dut faire usage. Thucydide nous apprend qu'avant Syracuse, d'autres points de la côte sicilienne avaient été occupés par les Hellènes. Naxos, le premier de ces établissements, avait été fondée un an environ avant Syracuse[1]. C'est donc vers 735 ou 736 av. J.-C. que les Hellènes arrivèrent au détroit de Sicile pour s'y établir. Je crois que l'Odyssée est sûrement antérieure à cette date.

Du jour, en effet, où les Hellènes eurent, de leurs yeux, vu Charybde et Skylla, il me semble impossible qu'un poète ait pu leur raconter les effroyables périls de la mer Occidentale. Si le Nostos est bien la peinture tendancieuse, mais non pas imaginaire, de régions exploitées par les thalassocrates sémitiques, il ne peut être qu'antérieur à la thalassocratie grecque en ces mêmes régions. Après la fondation de Naxos, les navigateurs grecs auraient été en situation et en disposition de ne plus accepter les légendes et contes phéniciens qui leur seraient arrivés par l'intermédiaire du poète homérique. Ils auraient déjà tenu à ce conteur le langage que Thucydide tiendra plus tard aux rabâcheurs de ces légendes : Kyklopes et Lestrygons, les plus vieux habitants, dit-on, d'un canton de cette terre ! Je n'en puis dire ni la race ni le pays d'où ils vinrent, ni celui où ils disparurent. Je renvoie le lecteur aux poètes et à la connaissance que chacun petit avoir de ces gens-là[2].

L'Odyssée ne peut pas être postérieure à 736. Mais ce n'est pas d'un bond que les Hellènes sautèrent de leurs villes et mères patries à ces colonies occidentales. Avant de se fixer aux rives du détroit sicilien, ils durent employer un temps assez long, de nombreuses années, un siècle peut-être, à frayer, explorer et occuper les routes de l'Occident. L'Odyssée est encore antérieure à ces explorations : elle implique une mer hellénique s'arrêtant au canal d'Ithaque. Je doute, en conséquence, que notre poème ait pu être composé après le milieu ou la fin du IXe siècle, après 850 ou 800 av. J.-C.

Date maxima. Notre poème nous apprend qu'Hypérie a déjà été fondée et ruinée. Si Kumè de Campanie, Kumè des Opiques, est bien l'Hypérie des Kyklopes, nous possédons encore une date, sinon certaine et précise, du moins approximative et vraisemblable. Cette première fondation de Kumè devait remonter au XIe siècle finissant. Helbig, en appendice de son Épopée homérique (trad. Trawinski), a longuement discuté la date de 1049 av. J.-C., qui nous a été transmise par les Anciens pour cet événement. Ili a très nettement établi que jamais les Hellènes n'ont pu fonder au XIe siècle une pareille colonie sur cette rive campanienne.

Il n'est pas douteux, en effet, que la Kumè des Hellènes ne put être fondée qu'après Naxos et les villes siciliennes. Les Hellènes fréquentèrent le détroit de Messine et s'y établirent, avant d'arriver au pays campanien et de s'y fixer. Mais cette nouvelle Kumè des Hellènes succédait, je crois, à l'Hypérie de notre Nostos. Avant les Hellènes, d'autres peuples de la mer avaient occupé déjà cette haute guette : ici comme à Naxos et Syracuse, les Hellènes ne firent que prendre la succession de ces devanciers. Phéaciens, Leucadiens ou Leuternes, ces premiers fondateurs avaient été expulsés ou soumis par les indigènes, par les Opiques, ainsi qu'il arriva plus tard pour la seconde Hypérie, pour la Kumè des Grecs.

La seconde fois, malgré l'intrusion et l'implantation des Barbares, Kumè conserva quelques traces de son hellénisme et quelques descendants de ses colons étrangers. Ce bourg campanien, vivant désormais à la mode des Osques, suivait encore les lois et parlait ou comprenait la langue des Grecs[3]. La première Hypérie, je pense, avait dû conserver pareillement, après l'invasion des Kyklopes, quelques souvenirs, indices ou témoins de son origine sémitique. Les Hellènes ne survinrent qu'à la fin du VIIIe siècle ; mais ils purent apprendre des Kuméens eux-mêmes que la première fondation de leur ville remontait à dix générations environ, soit trois siècles, avant eux[4] : de là, cette date de 1049 dont la précision est peut-être fantaisiste, mais dont peut-être il ne faut pas tout rejeter. Encore serais-je disposé à prendre ce chiffre même de 1049 : puisque l'écriture existait, qui nous dit que les Kuméens n'avaient pas conservé quelque document chronologique, quelque liste de rois ou d'éponymes, qui leur fournissait une date certaine ?

C'est donc entre ces deux dates minima et maxima, entre la fondation sémitique de Kumè et la fondation grecque de Naxos, entre la fin du XIe et la fin du VIIIe siècle, — entre 1049 et 736 pour donner des chiffres — que l'on peut enfermer l'apparition de l'Odyssée. J'ai dit les raisons qui me faisaient remonter un peu plus haut que le VIIIe siècle. Il en est d'autres qui nous forcent à descendre un peu plus bas que le XIe. Car le poème odysséen nous dit lui-même qu'il est postérieur d'assez nombreuses années à la première fondation d'Hypérie. Cette ville étrangère, fondée sur la plage campanienne, a dû subsister quelque temps. Puis les Opiques l'ont occupée. Lés Phéaciens alors, de cap en cap, sont venus à Schérie, à Corfou. Ils s'y sont définitivement installés. Le fondateur de la ville nouvelle, Nausithoos, est mort. Aux temps odysséens, c'est déjà son fils, Alkinoos, qui règne sur les Phéaciens. Tous ces événements exigent un assez long espace de temps, un siècle peut-être et davantage.

Si donc il me fallait fixer une date précise, je reviendrais purement et simplement à l'opinion d'Hérodote : Homère est mon aîné de quatre siècles, pas plus. Mettez Hérodote au milieu du Ve siècle, vers 450 : Homère fleurira vers le milieu du IXe, en 850 environ.

 

Cette chronologie homérique concorde avec les documents grecs les plus dignes de foi. La Chronique de Paros ne mérite pas une entière créance sur les événements de l'histoire primitive. Sa date relativement ancienne devrait pourtant lui conserver quelque place dans les calculs chronologiques des érudits. Cette inscription semble avoir été gravée vers l'année 264-263 av. J.-C. : bien que cette date ne soit pas très haute dans l'histoire ancienne, encore est-il intéressant de voir quelle idée les Hellènes alexandrins se pouvaient faire de leurs origines.

Dans cette Chronique de Paros[5], l'histoire grecque commence avec Kékrops, au début du XVIe siècle av. J.-C., vers 1580.

Kadmos et Danaos surviennent à la fin du XVIe siècle, vers 1520 et 1500. Avec Danaos et ses cinquante filles, apparaît le vaisseau à cinquante rameurs. Vers la même époque, apparaît aussi le char attelé.

Le premier Minos règne sur la Crète dans le dernier tiers du XVe siècle, vers 1430.

Les mystères d'Éleusis remontent à 1400.

Les cultes et les jeux du Lycée datent d'un siècle plus tard, de 1320.

Le second Minos et Thésée règnent, et les Sept marchent contre Thèbes vers 1250.

La guerre de Troie survient en 1220.

La colonisation grecque en Asie Mineure prend place cent trente ou cent quarante ans plus tard : Nélée fonde Milet et les villes ioniennes vers 1080.

Hésiode apparaît vers 940, Homère vers 900.

Toutes ces dates de la Chronique de Paros sont en avance de trente ou quarante ans sur les dates que les fragments d'Ératosthène nous fournissent. Pour Ératosthène, la prise de Troie est de 1180, et la colonisation ionienne de 1044[6]. Ces dates très précises peuvent sembler fantaisistes quand on s'en tient encore aux vieux préjugés sur l'âge de l'écriture. Si l'on n'admet pas l'ancienneté de l'écriture en Grèce, il faut ne pas attacher le moindre crédit à ces renseignements. Mais nous savons aujourd'hui que les Crétois et les gens d'Orchomène écrivaient aux temps mycéniens : pourquoi ne pas admettre les conséquences de cette découverte ? Les villes grecques purent et durent avoir des listes de prêtres ou de magistrats qui remontaient fort haut. Milet, dès sa fondation, avait pu et chi inscrire les noms et l'âge de ses rois : il ne faut donc pas nous étonner que les Anciens aient connu jusqu'à l'année précise ou la ville se fonda. Pareillement, les prêtres d'Éleusis et les gardiens du Lycée pouvaient et devaient avoir une liste de leurs fonctionnaires éponymes ou de leurs vainqueurs.

On doit noter que toutes les dates, fournies par la Chronique pour les temps très anciens, nous reportent à des contrées, Arcadie, Attique, Crète, Ionie, etc., que l'invasion des Doriens épargna. Dans la Grèce dorienne, il est possible que cette descente de Barbares ait fait disparaître tous les monuments écrits de la civilisation antérieure. Mais dans le reste de l'Hellade, avec cette civilisation même, durent subsister les documents précis et les dates exactes de son histoire.

Les dates fournies par cette tradition des Hellènes concordent fort bien avec tout ce que nous apprennent les monuments. En tête de ses Mystères d'Éleusis[7], M. P. Foucart établissait le parallélisme de cette première histoire grecque avec l'histoire d'Égypte, dont nous avons des documents certains :

Les auteurs grecs et les annalistes de l'époque des Ptolémées font remonter à la plus haute antiquité les établissements des Égyptiens en Grèce. Ce qui a empêché les historiens modernes de tenir compte de ce témoignage, c'est la croyance que les Égyptiens avaient horreur de la mer, considérée par eux comme l'élément de Typhon, l'ennemi d'Osiris[8], et [nos historiens] en ont conclu que [les Égyptiens] n'ont pas pu avoir sur les Grecs une influence directe, puisqu'ils n'osaient pas se risquer sur la Méditerranée. C'est une erreur enracinée qu'il est temps de faire disparaître. Les documents et les faits montrent de la manière la plus évidente que, dès les temps les plus anciens, les Pharaons eurent des vaisseaux sur la Méditerranée ; des rapports entre l'Égypte et le monde grec ont pu exister, et ont existé en effet, plusieurs siècles avant la guerre de Troie.

Le témoignage le plus ancien remonte à la 6e dynastie. Le roi Pépi Ier transporta par mer un corps de troupes qu'il débarqua en un point situé probablement entre El-Arich et Gaza. Un roman conservé au musée de Berlin, et qui est censé se passer sous la 12e dynastie, mentionne des relations avec les peuples du nord, Hàinibou, ceux qui sont au delà, terme qui servit plus tard à désigner les Ioniens. Il est possible que le romancier ait cherché à vieillir la date de son récit ; mais l'écriture du papyrus ne permet pas de la faire descendre plus bas que la 18e dynastie. A partir de celle-ci et du règne de Thoutmès III, le grand conquérant, il est certain que les Égyptiens ont été en rapport avec les populations de la mer Égée, et même qu'ils les ont soumises à leur domination. Une stèle trouvée dans le temple d'Ammon à Karnak, maintenant au musée du Caire, nous a conservé un poème composé pour célébrer les victoires de Thoutmès III[9]. Le roi est représenté adorant le dieu, qui lui répond :

Je suis venu, je t'accorde d'écraser la terre d'Orient ; la Phénicie et Cypre sont sous la terreur ; je leur fais voir Ta Majesté couverte de ta parure de guerre, quand tu saisis les armes sur le char.

Je suis venu, je t'accorde d'écraser les peuples qui résident dans leurs ports, et les côtes de la Cilicie tremblent sous la terreur ; je leur fais voir Ta Majesté, etc.

Je suis venu, je t'accorde d'écraser les peuples qui résident dans leurs îles ; eux qui vivent au sein de la mer sont sous tes rugissements ; je leur fais voir Ta Majesté, etc.

Je suis venu, je t'accorde d'écraser les Libyens (Tahennou) ; les îles des Danaens ont au pouvoir de ta volonté ; je leur fais voir Ta Majesté, etc.

Je suis venu, je t'accorde d'écraser les contrées maritimes ; tout le pourtour de la grande zone des eaux est lié à ton poing ; je leur fais voir Ta Majesté, etc.

D'autres monuments montrent que les Égyptiens soumirent les îles de la mer Égée sous Thoutmès III. Dans le tombeau de Rekhmara, préfet de Thèbes, une série de tableaux représentent l'apport des tributs par les nations vassales de l'empire. L'un d'eux est accompagné de la mention suivante : Viennent et sont les bienvenus  les Princes de Phénicie et des lies qui sont au milieu de la Très-Verte[10].

Il est probable que les îles de la mer Égée avaient été soumises par les Phéniciens et qu'elles passèrent, en même temps qu'eux, sous l'empire des Pharaons. Ceux-ci exercèrent dans l'Archipel une domination réelle ; ils envoyaient des délégués, analogues aux missi dominici de Charlemagne, qui allaient en leur nom visiter les pays soumis, surveiller les princes vassaux et faire expédier le tribut. Nous connaissons l'un des envoyés de Thoutmès III, nommé Thoutii. Sur une patère d'or que possède le musée du Louvre, il est appelé délégué du roi en tout pays étranger et dans les îles qui sont au milieu de la Très-Verte. La domination égyptienne se maintint, pendant la 18e dynastie, sur les Phéniciens et, par suite, sur les îles de l'Archipel où les Phéniciens s'étaient établis. Les expéditions de Ramsès II étendirent encore l'empire des Pharaons dans le bassin de la Méditerranée. Sous Ramsès III (20e dynastie), les peuples de la mer formèrent une coalition pour s'emparer de l'Égypte. Leur défaite est racontée dans la grande inscription de Médinet-Abou. Parmi les envahisseurs, figure une tribu appelée Achaious, qui paraissent bien être les mêmes que les Achéens ; ils sont déjà nommés dans les monuments de Ramsès II et de Menephtah.

Les témoignages matériels sur ces rapports de l'Égypte et de la Grèce ne font même plus défaut. Des découvertes imprévues ont remis sous nos yeux la preuve des échanges qui avaient lieu entre les deux peuples. Je laisse de côté les nombreux objets sur lesquels les archéologues ne se sont pas encore mis d'accord, comme les statuettes de bronze trouvées à Mycènes, que les uns revendiquent pour la Phénicie et les autres pour l'Égypte.

Mais il n'y a pas de discussion pour le plafond de la tombe d'Orchomène, connue sous le nom de Trésor de Minyas et qui est certainement antérieure t la guerre de Troie. Dans les détails (les enroulements en spirale, les lacis, la fleur de lotus légèrement déformée, les rosettes, etc.) aussi bien que dans la disposition générale de ses ornements, la décoration de ce plafond] offre la ressemblance la plus frappante avec la décoration de tombes égyptiennes de la 18e et de la 19e dynastie[11]. Si l'on ne peut affirmer qu'elle a été exécutée par des artistes égyptiens, on est certain du moins qu'elle a été faite sur un modèle égyptien.

D'autre part, on a remarqué que plusieurs des vases représentés dans le tombeau de Rekhmara, comme apportés par les tributaires de la Phénicie et des îles de la Méditerranée, sont de même forme et de même style que les poteries dites de la mer Égée et les vases mycéniens. M. Flinders Petrie a découvert des poteries du même type à Kahun (12e dynastie) et à Gurob (18e dynastie). La botanique même fournit un rapprochement assez curieux. On a trouvé dans les tombeaux de Deir-el-Bahari des fleurs et des plantes desséchées qu'a étudiées 'Schweinfurth, le célèbre explorateur dé l'Afrique. Il y a signalé un certain lichen, ayant des propriétés médicales, qui n'a jamais poussé en Égypte et qui ne peut y pousser à cause des conditions de température, mais qu'on trouve en Crète et dans les îles de l'Archipel[12]. C'est donc de là qu'il a été apporté en Égypte. Encore aujourd'hui, ce lichen se vend dans les bazars du Caire. et c'est de Crète qu'on le fait venir, comme au temps de la 18e dynastie.

Les preuves décisives ont été fournies par les fouilles que la Société archéologique d'Athènes a poursuivies dans les tombeaux de Mycènes et qui se sont succédé dans ces dernières années. Il suffira d'énumérer ces preuves :

En 1887, scarabée portant le nom de la reine Tii, femme d'Aménophis III[13] ;

En 1888, plusieurs fragments de vases de faïence égyptienne ; sur l'un d'eux, le bas du cartouche d'Aménophis[14] ;

En 1891, deux fragments d'une plaque en terre, avec le haut et le bas du cartouche d'Aménophis III[15].

Il faut faire un certain effort pour se persuader que peut-être, dès le temps de la XIIe dynastie, certainement à partir de la XVIIIe, les peuples établis dans le bassin oriental de la Méditerranée furent unis par de fréquentes communications. Mais, lorsqu'une fois on s'est familiarisé avec l'idée d'un empire égyptien établi dans le bassin de la mer Égée et sur une partie des côtes, et ayant duré du XVIIe au XVIIIe siècle avant notre ère, on est amené à chercher quelque trace de ce fait dans les parties légendaires de l'histoire grecque. Telle est, par exemple, la tradition des Danaïdes....

Tel encore est ce personnage de Minos, qui parait si étrange à l'époque où l'on a placé son règne. La sage législation que les traditions lui attribuent et ses actions auxquelles Thucydide lui-même reconnaît une réalité historique, l'établissement d'un empire maritime et la répression de la piraterie[16], n'ont rien qui réponde à l'état des tribus turbulentes et à demi barbares qui occupaient alors l'Hellade ; elles accusent plutôt l'influence d'un peuple bien policé et voulant assurer la sécurité des mers. Les monuments égyptiens prouvent que, à cette époque, les îles de la Grande Mer étaient soumises plus ou moins directement aux Pharaons, qu'ils y envoyaient des délégués et qu'ils en recevaient les tributs. N'est-ce pas une hypothèse, sans preuve jusqu'ici, mais n'ayant rien de choquant, que Minos a été un prince vassal de l'Égypte ?

 

Les dernières découvertes orientales et crétoises ont clairement établi le synchronisme des histoires égyptienne et grecque à partir du XVIe siècle jusqu'aux Xe ou IXe siècles av. J.-C.

Ce synchronisme commence avec Thoutmès III. C'est dans le dernier tiers du XVIe siècle av. J.-C., vers 1530, que les historiens de l'Égypte[17] placent le règne de Thoutmès III, dont les conquêtes, débordant de toutes parts la vallée du Nil, installent la suzeraineté de Pharaon sur la Palestine, la Phénicie, la Syrie, la Cilicie et les îles de la Très-Verte[18]. A partir de Thoutmès III, du XVIe au XIIe siècle, directement ou indirectement, par ses propres vaisseaux et fonctionnaires ou par l'intermédiaire et les flottes des villes phéniciennes, ses vassales, Pharaon intervient dans toutes les affaires, politiques et commerciales, de la mer Égée. Du XXIe au IXe siècle, la suprématie politique de l'Égypte s'amoindrit, puis disparait ; mais l'influence commerciale de la Phénicie se maintient : la Méditerranée levantine passe à l'obéissance d'autres thalassocrates ; elle reste longtemps encore dans la clientèle de Tyr ou de Sidon. Il faut avoir présentes à l'esprit les grandes lignes de cette histoire primitive pour bien mesurer l'influence directe, impérieuse, prolongée, constante ; que l'Égypte et la Phénicie purent exercer sur la civilisation grecque.

Le long règne de Thoutmès III (vers 1530) avait débuté, semble-t-il, par une régence de la reine Haitshopsitou. Nous connaissons les expéditions de cette reine vers le Pouanit, grâce au périple et aux peintures de Deir-el-Bahari. C'est dans ces peintures de Deir-el-Bahari que nous avons trouvé le véritable modèle de nos vaisseaux odysséens : cette galère égyptienne est bien notre vaisseau creux, à double château d'avant et d'arrière, tout différent de la galère pontée, du vaisseau à plusieurs étages, dont les Hellènes useront à l'époque classique. Durant les quatre ou cinq siècles qui suivent Thoutmès III, cette galère égyptienne pourra subir quelques modifications de détail, dans le gréement, l'armement et les formes secondaires. Elle gardera toujours son caractère essentiel de vaisseau creux. Ce n'est qu'au IXe siècle, parmi les flottes assyriennes, que nous trouverons les premiers modèles de galères pontées, de vaisseaux couverts. La Chronique de Paros nous dit que Danaos, vers 1520, aurait amené en Grèce le vaisseau à cinquante rames : le vaisseau phéacien d'Ulysse a cinquante-deux hommes d'équipage. La Chronique reporte au même temps l'introduction des chars : c'est aussi à partir de Thoutmès III que le char de guerre, — tel que les guerriers homériques le connaissent encore, — va régner sur tous les champs de bataille de l'Asie :

La vieille armée [égyptienne], celle qui avait conquis la Nubie pour les Papi ou les Ousertasen, n'avait connu jadis que trois variétés de [soldats]. L'armée nouvelle s'était adjoint, depuis l'invasion des Pasteurs, une troupe nouvelle : la charrerie.... Les chars étaient, à l'origine, de provenance étrangère. Mais les ouvriers égyptiens avaient appris bientôt à les fabriquer plus élégants, sinon plus solides, que leurs modèles. La légèreté en était la qualité maîtresse : chaque homme devait pouvoir emporter le sien sur ses épaules, sans se fatiguer.... Les Asiatiques s'installaient trois sur un même char : les Égyptiens n'y montaient jamais que deux, le gendarme, sinni, qui combattait, et l'écuyer, gazana, qui maniait le bouclier pendant l'action.... La charrerie était, comme chez nous la cavalerie, l'arme aristocratique où les princes de la famille royale s'engageaient, ainsi que les nobles et leurs enfants. On ne s'aventurait pas volontiers sut le dos même du cheval, et ce n'était guère qu'au milieu d'un combat, lorsque le char était brisé, que l'on se décidait à enfourcher l'une des bêtes pour se tirer de la mêlée[19].

Est-ce de guerriers homériques ou de guerriers égyptiens que G. Maspero nous parle ainsi ?

Par ses chars de guerre, Thoutmès III étendit son pouvoir sur le monde sémitique de l'Asie antérieure. Par ses vaisseaux creux ou par les flottes toutes semblables des Phéniciens, ses feudataires, il étendit sa suzeraineté sur la Très-Verte. Les grandes villes phéniciennes, Tyr, Berout, Gebal, Sidon, etc., existaient déjà[20]. Nous rencontrerons leurs noms dans les tablettes de Tell-el-Amarna. Si l'on voulait discuter la race de leurs habitants à cette époque, il suffirait des noms de leurs rois pour nous. renseigner : Abd-Ssrat règne à Amaourou ; Abimelek règne à Tyr, etc. Si ce ne sont pas là des noms sémitiques, je ne sais pas où nous en trouverons.

Durant un siècle et demi environ (1530-1400), la suprématie égyptienne se maintint sur terre et sur mer. Dans cet intervalle de cent cinquante ans, parmi les successeurs de Thoutmès III, figure cet Amen-hetep ou Aménophis III, dont les tombes de Mycènes nous ont livré quelques cartouches et dont la fameuse Tii fut l'épouse royale. Ce règne prend place vers 1450 et dure près de quarante ans[21]. Il compte parmi les plus prospères qu'ait vus l'Égypte thébaine. La guerre y occupa fort peu de place. Aménophis III entreprit seulement au Sud les razzias ordinaires contre les Nègres (ce sont nos Éthiopiens homériques du Levant). Les rares expéditions qu'il mena en Asie eurent pour effet, non d'ajouter des provinces nouvelles, mais d'empêcher les anciennes de remuer. L'Égypte prospéra sous ce régime pacifique. Elle n'était pas seulement le plus puissant des royaumes qu'il y eût au monde ; elle en était le plus heureux et le plus riche. La capitale, Thèbes, retira naturellement le plus gros du profit. Ses rois, devenus maîtres du inonde, y conservaient leur résidence ordinaire. Ils y criaient célébrer leurs triomphes ; ils y expédiaient leurs prisonniers et leur butin.

Aménophis III aima, dès le début de son règne, une Égyptienne qui n'était pas du sang des Pharaons, Tii. Les Égyptiennes de rang inférieur, introduites dans le harem royal, demeuraient reléguées au dernier rang : Aménophis épousa Tii, lui donna pour domaine la ville de Zâlou et fit d'elle une reine, malgré la bassesse de son extraction. Elle s'occupa des affaires de l'État, prit le pas sur les princesses de la famille solaire, figura à côté de son mari dans les cérémonies et sur les monuments.... Son fils Aménophis IV succéda. Tii, accoutumée de longue date au maniement des affaires, exerça sur lui une influence plus forte encore : sans assumer officiellement le rang de régente, elle posséda la réalité du pouvoir.

Les civilisations crétoise et mycénienne sont ou contemporaines de cette reine égyptienne ou postérieures. Car les fouilles de Mycènes nous avaient fourni un cartouche de cette reine Tii, et voici que les dernières fouilles crétoises ont eu en 1905 le même résultat. Non loin de Phaistos, au lieu dit Hagia-Triada (ancien casal Santa Trinita des Vénitiens), dans les ruines d'un tombeau à coupole, parmi des objets d'or ayant fait partie d'un collier (dont deux petits lions accroupis, identiques à ceux de la tombe VI de Mycènes, formaient les rivoirs ou les pendants), M. Halbherr a trouvé un cartouche égyptien dont il a bien voulu me donner une empreinte (avril 1903). Ayant communiqué cet empreinte à mon collègue M. A. Moret, voici la réponse que j'en reçus :

L'empreinte donne le nom de la femme royale Tii, souton himit Tii. Le nom est écrit très lisiblement, très correctement. On le retrouve, sous une forme identique, sur les nombreux scarabées gravés au nom de cette reine, qui était la femme d'Aménophis III, huitième roi de la 18e dynastie (vers 1430 av. J.-C.). Nous savons par un scarabée, gravé au moment du mariage d'Aménophis III, que Tii n'était pas de lignée royale. Le roi, qui l'a épousée par amour, a prodigué son nom sur des scarabées que l'on a retrouvés en grand nombre (cf. Wiedemann, Ægypt. Gesch., p. 390 et 393) et dont plusieurs sont au Louvre ; deux sont reproduits par G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 298 et 315. Un autre de ces scarabées, trouvé Mycènes, est reproduit dans l'Éphéméris Archaiologikè de 1887, pl. XIII, n° 21 et 21 a.

Trouvés à la fois en Crète et à Mycènes, dans les mêmes monuments, avec les mêmes objets, ces cartouches de la reine Tii me semblent fournir une date certaine : les civilisations mycénienne et crétoise ne sont pas antérieures de mille ou quinze cents ans, comme on nous le disait, aux XVe ou XIVe siècles av. J.-C. ; la Chronique de Paros a raison de les placer vers 1400.

Dans les mêmes fouilles, parmi les ruines d'un petit palais tout proche, au fond d'une cave servant de magasin, M. Halbherr découvrait en même temps dix-huit masses de cuivre ou de bronze, remarquables par leur poids et par leur forme. Rongées ou boursouflées par l'humidité, ces masses n'avaient pas toutes gardé le même poids exactement ; mais toutes approchaient du talent babylonien, et leur place même, ainsi que leur alignement soigneux au fond de cette cachette, montrait clairement que ces talents de bronze avaient été déposés en ce trésor, comme une réserve de richesse, une épargne, un capital (cf. la cachette du prêtre Maron dans l'Odyssée). Quant à leur forme, ces masses présentent la silhouette d'un rectangle aux faces bombées, aux lignes incurvées et concaves. Grâce à cette découverte, nous pouvons comprendre aujourd'hui la signification de certains accessoires dans telle peinture égyptienne, qui nous représente les tributaires de Pharaon. Au tombeau de Rekhmara, un tributaire à la moustache rasée, à la barbe pointue (les Achéens homériques portent aussi la barbe et rasent la moustache), offre d'une main un vase et, de l'autre, tient sur son épaule un objet rectangulaire, qu'à première vue on prendrait pour un coussin : c'est, en réalité, l'un de ces talents de bronze ou de quelque autre métal[22]. Les tablettes de Tell-el-Amarna font mention des talents de cuivre envoyés par les tributaires[23]. Je croirais donc volontiers que le début de la période minœnne, — la Chronique de Paros place les deux Minos entre le XVe et le XIIIe siècles, — correspond au règne d'Aménophis III ou à la régence de Tii.

Aménophis IV et ses successeurs maintiennent d'abord, puis laissent s'énerver la suzeraineté égyptienne sur les pays asiatiques, sur la Phénicie et ses dépendances de la Très-Verte. Les tablettes de Tell-el-Amarna nous ont livré la correspondance diplomatique de ce Pharaon. Elles nous font exactement connaître ses relations avec les villes de Syrie. Azirou, fils d'Abdashirti, chef du pays d'Amaourou, était déjà du vivant d'Aménophis III le plus turbulent des vassaux : il désolait les petits États de l'Oronte et du littoral. Il avait pris et pillé vingt villes. Il menaçait Byblos, Bérite et Sidon. Beaucoup d'autres essayaient de s'imiter. La Syrie entière n'était qu'un vaste champ clos ou l'on se querellait sans relâche. Tyr contre Sidon, Sidon contre Byblos, Jérusalem contre Lakisch, etc. Tous s'adressaient au Pharaon. Leurs dépêches arrivaient par centaines et l'on dirait à les lire aujourd'hui que la suprématie de l'Égypte était sur le point de disparaître[24].

La dix-huitième dynastie finit obscurément (vers 1400 av. J.-C.). La dix-neuvième relève le prestige égyptien. Ses armées reprennent le chemin de l'Asie, mais elles se buttent aux conquérants Khati ou hittites, et sur mer apparaissent les peuples pirates, Loukou, Danaouna, Shardanes, Aqaiousha. C'est à cette époque (XIVe siècle) que G. Maspero[25] rapporte les débuts de la Troie homérique : la Chronique de Paros est toujours concordante.

Les campagnes de Séti Ier (vers 1360) rétablissent la suzeraineté égyptienne sur la Phénicie, dont tous les intérêts commerciaux font, d'ailleurs, une dépendance de l'Égypte. Les pirates sont vaincus dans le Delta et, captifs, ils sont enrôlés pour la garde royale. On recommence l'exploitation des mines d'or voisines de l'Égypte : on en lève les cartes et plans sur papyrus[26]. Thèbes reprend une vie et une splendeur dont témoigne encore aujourd'hui l'énorme beauté de ses temples. Ramsès II (vers 1330) entre en lutte ouverte avec les Khati et leurs vassaux confédérés, Dardaniens, Myséens, Troyens, gens de Pédasos et de Girgasha, Lyciens[27], etc. ; il s'avance jusqu'à l'Oronte où il met les Khati en déroute. A son retour, il voulut qu'on retraçât sur les pylônes ou sur les murs des temples les épisodes caractéristiques de la campagne. Un poème en strophes rythmées accompagne partout ces  tableaux. Si le poète n'avait pas assisté au combat, il en avait recueilli la description de la bouche du souverain ; mais son œuvre, dit G. Maspero, n'a rien de la froideur officielle ; un souffle puissant la traverse d'un bout à l'autre et la vivifie encore à plus de trente siècles d'intervalle.

Ce Passage de l'Oronte, ce poème de Pentaouirit (nom du scribe qui le copia), est une Iliade et non pas un Passage du Rhin.... il fallut une seconde campagne pour amener les Khati à la résignation. Encore le traité de paix leur abandonna-t-il l'Asie continentale du Nord ; l'Égypte ne gardait que la côte phénicienne proprement dite, le Kharou, la Palestine, le Sinaï et l'Arabie. Le demi-siècle (1350-1300) qui suivit tut une époque de prospérité pour le monde. La Syrie respira. Elle se remit au commerce sous la garantie combinée des deux puissances égyptienne et hittite. Les caravanes et les voyageurs isolés purent la parcourir. Ce devint une sorte de lieu commun dans les écoles thébaines que de décrire les tournées, le nostos, d'un soldat ou d'un fonctionnaire égyptien. Nous possédons encore un de ces récits où le scribe mène son héros dans les cités phéniciennes, à Byblos, à Bérite, à Sidon, à Tyr, dont les poissons sont plus nombreux que les grains de sable. Les galères égyptiennes affluaient dans les ports de Phénicie, les galères phéniciennes dans les eaux de l'Égypte. Ces vaisseaux creux tiraient si peu d'eau qu'ils n'avaient aucune peine à descendre ou remonter le fleuve. Les peintures d'un tombeau nous montrent les Phéniciens arrivant à Thèbes[28].

C'est l'apogée de Thèbes, sinon de la puissance thébaine,  du moins de cette richesse, de cette civilisation et de cette littérature thébaines, dont nous avons tracé le tableau. Mais déjà le successeur de Ramsès II, Minephtah, est obligé (vers 1500) de défendre l'Égypte contre les pillards, et corsaires méditerranéens : nous avons aussi raconté les guerres heureuses de Minephtah. Cette victoire de Pharaon ne peut arrêter la décadence égyptienne, l'invasion violente ou pacifique des Peuples de la Mer, l'installation de leurs colonies ou de leurs comptoirs tout le long du fleuve.

Thèbes reste toujours la capitale, la ville la plus riche du monde ; mais elle est peuplée de fonctionnaires sémites, libyens, barbares. Elle se console dans le récit de ses gloires anciennes, dans l'admiration de ses œuvres d'art, dans la lecture de ses romans, de ses poésies amoureuses, de ses contes fabuleux : Prouti et les magiciens charment sa décadence.

Les guerres de Ramsès III (vers 1200) donnent un dernier rayon de gloire à la vingtième dynastie et à cette chute de l'empire thébain. La suzeraineté égyptienne, restaurée sur les villes phéniciennes, est cependant plus nominale que réelle. Les Libyens sont chassés du Delta. Mais par la côte asiatique et par la mer, survient une nouvelle attaque des Peuples de la Très-Verte : Les Égéens, à force d'examiner les galères phéniciennes, s'étaient instruits à l'art des constructions navales. Ils en avaient copié les lignes, imité le gréement, appris la manœuvre de vogue ou de combat. Ils pouvaient maintenant opposer aux vieux navigateurs de l'Orient une marine outillée presque aussi bien que la leur et conduite par des capitaines presque aussi expérimentés[29]. Ils s'avancèrent au long de la côte asiatique jusqu'aux parages phéniciens. Mais là, ils furent défaits par l'armée et la flotte de Ramsès III : Que la femme sorte maintenant à son gré, s'écrie-t-il, dans le récit de cette campagne : avec sa parure sur elle, qu'elle dirige ses pas où il lui plaira.

Huit ou neuf Ramsès obscurs défilent alors sur le trône. Ils ne sortent guère du pays thébain et leur pouvoir réel, même en Égypte, est intermittent. La trente et unième dynastie (vers 1100) ouvre ensuite l'irrémédiable déchéance de la Grande Égypte et du pouvoir pharaonique : les prêtres de Tanis et de Thèbes usurpent et partagent le royaume. L'empire égyptien sur l'Asie n'est plus.

La domination de l'Égypte ne s'évanouit pas sans laisser des traces profondes sur les mœurs et la constitution [des États]. Tandis que les nobles et les bourgeois de Thèbes affectaient d'adorer les Astartés ou les Baals et d'agrémenter leur langage écrit au parlé de termes empruntés aux langages sémitiques, les Syriens n'étaient pas demeurés en reste vis-à-vis de leurs vainqueurs. Ils en avaient étudié les arts majeurs, l'industrie, les cultes, et ils leur avaient emprunté au moins autant de choses qu'ils leur en avaient prêté. Le vieux fond babylonien de leur civilisation n'en subit pas de modifications trop sensibles ; mais il se recouvrit comme d'un vernis [égyptien]. La Phénicie se montra plus que toute autre région disposée à le recevoir. Les marchands phéniciens, installés à demeure dans la plupart des grandes principautés du Nil, s'y imbuaient de coutume et de religions locales, puis, de retour dans leur patrie après des années, et ils y transportaient les habitudes étrangères et les propageaient autour d'eux. Il leur fallait la  même vaisselle qu'ils avaient eue là-bas, le même mobilier, les mêmes bijoux, et les dieux n'échappèrent pas à cette rage d'imitation....

Thot l'ibis est, après Osiris, le plus considérable de ceux qui émigrèrent en [Phénicie]. Il conserva dans sa patrie nouvelle toute la puissance de sa voix et toute la subtilité de son esprit. Il y occupa le même poste de scribe et d'enchanteur..... On le considéra comme l'inventeur des lettres. De fait, [sa naturalisation] phénicienne coïncida avec l'une des révolutions les plus profondes de l'art d'écrire. Tyr, Sidon, Byblos, Arad avaient pratiqué jusqu'alors le plus compliqué [des systèmes d'écriture]. Comme la plupart des nations policées de l'Asie occidentale, elles avaient rédigé leur correspondance diplomatique ou commerciale en caractères cunéiformes, sur tablettes d'argile, et voici que nous les retrouvons brusquement en possession d'une notation brève et commode : [l'alphabet], en tout vingt-deux petits signes au lieu des centaines ou des milliers qu'on exigeait auparavant. L'inscription [alphabétique] de la coupe dédiée à Baal Liban remonte probablement. au temps de Hirom Ier, soit au Xe siècle. Les raisons pour lesquelles Winckler place ce monument sous Hirom II n'ont point paru convaincantes jusqu'à présent. En plaçant l'introduction de l'alphabet entre Aménothès IV au XVe siècle et Hirom Ier au Xe, et en prenant le terme moyen, soit l'avènement de la XXXIe dynastie, vers 1100, comme date possible de l'invention ou l'adoption de cet alphabet, on ne doit pas se tromper beaucoup dans un sens ou dans l'autre[30].

A mesure que la paix égyptienne disparaît de la Très-Verte, les pirates pullulent et s'enhardissent. Les marines de l'Archipel s'affranchissent de la suzeraineté égyptienne et du monopole phénicien. Les flottes de Tyr et de Sidon doivent peu à peu céder la Méditerranée orientale aux premières thalassocraties grecques. Les Phéniciens s'en vont quérir des marchés plus rémunérateurs. Les Hellènes, avec leur camelote à bas prix, leur font dans les eaux levantines une insoutenable concurrence. Fabricants de coupes en or, les Phéniciens ont besoin d'une clientèle riche, de roitelets exploitant leurs peuples de caciques ou de petits sultans vivant dans le luxe et l'apparat. Fabricants de poteries peintes, les Hellènes trouvent au Levant une démocratique à servir. C'est alors pense G. Maspero, que les Phéniciens s'aventurent dans les régions de l'Hespérie : Je ne crois pas être trop hardi en supposant que les enfants perdus et peut-être les escales régulières de Tyr et de Sidon s'étaient déjà élancées dans que les cités du Liban avaient noué des relations avec les caciques de la Bétique aux débuts du XIIe siècle avant notre ère, vers le temps où la puissance thébaine achevait de s'évanouir[31].

C'est alors que se développe autour de l'Archipel cette première civilisation grecque, dont l'Iliade et l'Odyssée nous fournissent la description. Les débuts de cette civilisation furent, sans aucun doute, antérieurs — et de beaucoup — aux poèmes homériques. Il est visible que l'Odyssée du moins (l'Iliade n'est pas l'objet de cette étude) décrit une société déjà fort ancienne, avec ses classes et castes bien établies, ses traditions lointaines, sa littérature perfectionnée, ses mœurs transmises et sa longue histoire. En plaçant — comme le veut la Chronique de Paros —la formation de cette société au début du XIe siècle (émigration néléide en Ionie), puis son développement et sa floraison épanouie au cours du XIe et du Xe siècle, nous arrivons au début ou au milieu du IXe, aux alentours de l'an 900 ou 850, pour l'âge de notre peinture homérique. C'est bien à peu près la date que nous fournissent encore Hérodote et la Chronique de Paros.

 

II

Après la date du poème, il en faut chercher la patrie. Mais si l'on admet la date proposée, les seules/côtes d'Asie Mineure, l'Ionie et les colonies voisines, peuvent â cette époque avoir été le siège de cette civilisation. C'est à la Grèce d'Asie qu'il faut reporter l'apparition de notre poème. On est conduit à cette hypothèse tant par la tradition unanime des Anciens que par l'étude même du texte homérique. Je n'insisterai pas sur la tradition. Elle est présente à toutes les mémoires : sept villes asiatiques se disputaient la naissance du poète.

La langue du poème nous peut fournir un plus sûr argument.

La langue d'Homère n'est pas moins faite pour provoquer l'étonnement. Depuis que des trouvailles faites un peu partout ont multiplié les spécimens des divers dialectes grecs, on n'a encore découvert nulle part le dialecte homérique. Participant tantôt de l'ionien, tantôt de l'éolien ou du cypriote et même de l'attique, il déroute le linguiste par l'inconstance de sa phonétique et par la bigarrure de ses formes grammaticales. Différents systèmes, ont été proposés pour expliquer cette irrégularité. En dernier lieu, on a supposé que le rhapsode changeait de dialecte selon la population devant laquelle il produisait ses vers, et que, dans la rédaction finale, il est resté quelque chose de cette perpétuelle transposition. L'explication n'est pas sans vraisemblance. Mais il faut ajouter que l'habitude de la transposition devait être fort ancienne et qu'elle avait fait naître un langage mixte où les rhapsodes avaient permission de puiser les formes à leur convenance. On composait en ce dialecte mêlé qui était la langue de l'épopée. C'est ainsi que, pendant deux siècles, nos troubadours ont composé leurs poésies en un limousin, où se rencontrent des formes catalanes, provençales et italiennes[32].

Ce dialecte mêlé, cette langue mixte de l'épopée n'a pu naître et gagner l'oreille du public que dans une région où les différents dialectes de l'Hellade, ionien, éolien, etc., voisinaient et cousinaient. Avant de s'amalgamer en cette langue des poètes, il a fallu que, longtemps, quotidiennement, ces dialectes se mêlassent dans le parler même du peuple ou dans les conversations du port et de l'agora. Sur les côtes d'Asie Mineure, avec la proximité des villes et des tribus différentes, avec le mélange d'idiomes produit par le commerce maritime, cet amalgame de dialectes se comprend aisément. Mais nulle part ailleurs je ne vois une région grecque où cette langue mixte, triomphant des résistances particularistes, serait parvenue à se faire entendre et accepter.

En quelques rencontres, il nous a semblé que le texte odysséen, ses expressions géographiques et certaines de ses orientations nous pouvaient donner un précieux indice.

L'Eubée, dans le poème, est située tout à l'extrémité de la mer ; c'est, dit-on, la plus lointaine des îles :

..... τν περ τηλοττω φσ μμεναι[33].

Ce ne peut être là qu'un langage d'Asiatiques, d'Anatoliens, pour qui l'Eubée est, en effet, la dernière, la plus lointaine pile du pont insulaire. Quand elles veulent passer des rivages ioniens ou éoliens aux ports de l'Hellade, les flottes anatoliennes cabotent d'île en ile, de Chios ou de Samos vers Amorgos, Naxos, Paros, Délos, Andros et Tinos, jusqu'à l'Eubée, ou bien elles coupent tout droit à travers la pleine mer jusqu'à ces Bouches de l'Eubée, à ce détroit de Géraistos dont Nestor parle à Télémaque. Ce détroit eubéen devait être célèbre, lui aussi ; dans le cycle des retours, avec son temple de Poséidon, où les marins venaient rendre grâce d'une si longue traversée :

. . . . . . . . . πλαγος μσον ες Εβοιαν

τμνειν, φρα τχιστα πκ κακτητα φγοιμεν.

. . . . . . . . . . . . .  ς δ Γεραιστν

ννχιαι κατγοντο· Ποσειδωνι δ ταρων

πλλ π μρ θεμεν, πλαγος μγα μετρσαντες[34].

De même, nous avons vu que Syra était au delà d'Ortygie-Délos, vers le Couchant :

ρτυγης καθπερθεν, θι τροπα ελοιο[35].

C'est encore là une expression d'Asiatiques, Anatoliens, qui, dans leurs navigations vers le Couchant, rencontrent d'abord Ortygie, puis, au delà, Syra. Pour les Hellènes de la Grèce propre, c'est Délos qui serait au delà de Syra, et c'est Chios ou Samos qui serait à l'extrémité de la mer, la plus lointaine des îles. Quand, après la victoire de Salamine, les Grecs d'Asie viennent conseiller aux Grecs d'Europe de traverser l'Archipel et de poursuivre les flottes du Grand Roi sur la côte asiatique, les Hellènes européens ne veulent s'avancer que jusqu'à Délos : au delà, ces marins inexpérimentés n'imaginent qu'épouvantes, et Samos leur semble le bout du monde, aussi lointaine que les Colonnes d'Hercule, τν δ Σμον πιστατο δξ κα ρακλας στλας σον πχειν[36].

 

Dans la pauvre et misérable Grèce d'Europe, que ravagent à cette époque les invasions doriennes, en cette sorte de Moyen Âge violent et sans culture, que traînent à leur suite ces invasions, je ne vois pas où les poètes auraient trouvé leur place, ni les poèmes leur auditoire. Ces Doriens, qui apparaissent alors sous les traits d'Albanais féroces et ignares, ne ressemblent en rien aux gentilshommes, protecteurs des arts, que les poèmes homériques nous révèlent :

On a appelé l'Odyssée le poème des marins et l'Iliade celui des soldats. Je ne crois pas que l'expression soit juste, au moins ne convient-elle pas pour expliquer l'origine de ces compositions. Avant de descendre dans les couches profondes, il a fallu que ces œuvres fussent d'abord acceptées et goûtées d'un auditoire assez différent. Le peuple est absent de ces vers, ou, s'il en est fait mention, c'est pour dire en un hémistiche que les peuples périssaient. L'auditoire auquel s'adressent ces longues tirades est avant tout un auditoire qui n'est pas pressé : il a le temps d'écouter, non seulement la généalogie des personnages, non seulement les discours des orateurs de la place publique ou du conseil, mais l'histoire d'un sceptre qui a passé de main en main, ou celle d'un casque qui a appartenu à plusieurs générations de héros. C'est un auditoire qui veut être amusé et distrait. Quel pouvait-il bien être ?

Si nous voulons nous faire une idée de cet auditoire, la chose est facile, car nous en trouvons le portrait jusqu'à trois fois chez Homère. Le poète s'y arrête chaque fois avec complaisance, car la scène lui est bien connue, et c'est lui-même qu'il fait paraître sous les traits de Démodokos ou de Phémios. Il ne ménage pas les louanges à son public : à l'en croire, ce ne sont pas moins que des rois porte-sceptre qui l'écoutent. La sage reine Arètè, ou bien la vertueuse épouse du roi Alkinoos, ou bien encore la reine de Sparte, la divine Hélène elle-même préside l'assemblée. Car il n'y a pas de plus grand plaisir au monde que d'être assis par longues files à une table chargée de mets, pendant qu'un chantre inspiré du ciel raconte les aventures des dieux et des héros.

C'est un auditoire instruit (si l'on peut employer ce terme) : les allusions à d'anciennes histoires sont aussitôt comprises ; il suffit de lui nommer les personnages. C'est un auditoire d'un esprit assez libre : s'il se délecte aux récits de l'Olympe, c'est sans y croire beaucoup, car on permet au poète d'en imaginer de nouveaux. Même on lui permet de s'égayer doucement aux dépens des dieux immortels

Le ton est libre, mais il n'est jamais vulgaire ni bas. Un air de courtoisie est répandu sur l'ensemble. La guerre n'a pas suspendu les rapports que se doivent entre eux des hommes bien nés. Les relations avec l'ennemi sont réglées par un code de politesse et de loyauté.... Ce n'est sans doute pas un simple hasard qui fait qu'Hector a obtenu une place au nombre des figures typiques du Moyen Âge. Je suppose que, par les traductions et les imitations, un souvenir de ces beaux endroits de l'Iliade a filtré jusqu'à nos romans de chevalerie. Le sentiment qui revient le plus souvent dans l'Iliade est l'amour de la gloire. Tous ces guerriers sont assurés que la postérité s'occupera d'eux. On a prétendu que le sentiment de l'honneur était moderne ; mais c'est là une erreur. Ce qui est vrai, c'est qu'alors l'expression pour nommer le sentiment de l'honneur n'est pas encore trouvée et que la langue est à sa recherche. Ô mes amis, dit Ajax, soyez hommes, et ayez honte les uns pour les autres dans la bataille. — Tout cela m'est à cœur, répond Hector aux supplications d'Andromaque ; mais j'ai honte des Troyens et des Troyennes aux longs voiles. Sont-ce là les idées et les sentiments d'un peuple sans culture ? En ces guerriers empanachés qui s'envoient d'orgueilleux défis et qui des deux parts mettent par-dessus tout les lois de l'honneur, je vois plutôt comme une première apparition de la chevalerie. Sauf le sentiment de l'amour, qui est l'élément nouveau ajouté par les temps modernes, on pourrait songer à des personnages du Tasse.

Mais, s'il faut dire où réside pour moi le côté le plus curieux de ces poèmes, je n'hésite pas à proclamer que c'est dans les portraits de femmes. D'abord Pénélope : ainsi que le dit un critique anglais, le romancier contemporain le plus habile n'aurait pas plus délicatement dessiné ce caractère. Andromaque ne parait qu'en deux endroits, mais sa figure est inoubliable ; les mots qu'elle adresse à son mari sont les plus touchants qu'une épouse ait jamais tirés de son cœur. Enfin ce merveilleux caractère d'Hélène, dont l'auteur de Faust a été si frappé qu'il l'a fait entrer dans ses visions de l'éternel féminin. On doit commencer à se figurer pour quel public l'aède compose ses chants. Il ne peut être question d'un auditoire réuni au hasard, d'un simple attroupement de passants : jamais, en ces conditions, les vers du chanteur n'auraient survécu. Il s'adresse en réalité à un auditoire d'élite, à ceux que lui-même il appelle les aristéés. Si nous mettons la scène à Smyrne ou à Milet, ce seront les descendants des vieilles familles, ceux qui, en tète de leur généalogie, inscrivent quelque nom de héros ou de divinité. Et, à côté d'eux, comme il est naturel en ces républiques enrichies, nous pouvons supposer les chefs de guerre et du négoce. Public mêlé, niais actif, intelligent, curieux, ami des arts. Et, pour rester dans la ressemblance des auditoires dépeints par le poète, on peut supposer, à la place de la reine Arètè, quelque Milésienne ou Smyrniote déjà familière avec le charme des vieilles légendes. Auditoire privilégié entre tous, qui eut ce rare et unique plaisir d'entendre d'abord, de la bouche du poète, le chant de la colère d'Achille ou celui des courses errantes d'Odysseus ![37]

Dans les villes d'Asie, régies par des dynastes et des aristocrates héroïques, munies d'une cour royale et de megara, de palais (plus exactement encore : de grand'salles, de salons) féodaux, enrichies par la course et la caravane, civilisées par le traditionnel contact des thalassocraties ou des commerces phéniciens et égyptiens, j'imagine facilement que nos poèmes aient pu trouver l'auditoire cultivé, courtois, qui leur était nécessaire.

Entre les villes asiatiques, l'étude de la Télémakheia nous a conduits à faire quelque choix. Les cités ioniennes d'Asie Mineure avaient pris leurs familles royales, nous dit Hérodote, les unes parmi les Lyciens descendants de Glaukos, d'autres parmi les Kaukones pyliens, d'autres enfin parmi les uns et les autres[38]. Hellanikos, traçant la généalogie de ces Kaukones pyliens, remontait à Salmoneus, à Nélée et à Nestor, dont le descendant Mélanthos était le fondateur des dynasties ioniennes. En comparant l'histoire traditionnelle de ce Mélanthos et les épisodes de la Télémakheia, nous sommes arrivés à de curieuses ressemblances : la Télémakheia nous est apparue comme l'œuvre d'un courtisan de ces royautés néléides.

C'est à l'une des cours néléides que je reporterais la patrie de notre poème odysséen. Prenez Milet ou l'une de ces villes ioniennes et vous expliquerez, je crois, le mélange de nostos grec et de périple ou poème sémitique qu'est l'Odyssée.

 

Le genre littéraire du nostos devait être fort ancien. Rien n'empêche qu'en débarquant à la côte et aux îles asiatiques, les Ioniens aient eu déjà quelques germes, quelques modèles peut-être, de ces retours d'où l'Odyssée devait sortir, comme ils avaient aussi quelques germes, quelques modèles des disputes et colères, d'où sortit l'Iliade :

L'Iliade, dit M. Maurice Croiset[39], unit les traditions achéennes d'Argos à celle de la Pthiotide thessalienne. Elle est donc comme la poésie naturelle de ces Achéens, qui se sont réunis pour fonder les colonies éoliennes d'Asie Mineure.... Kymè, qui nous est représentée comme la patrie de Kréthéis, mère du poète, peut être considérée avec vraisemblance comme le premier foyer de poésie héroïque dans la Grèce d'Asie. C'est là sans doute que, dans l'âge immédiatement antérieur à l'Iliade, les premiers chants épiques relatifs à la guerre de Troie, au roi de Mycènes, Agamemnon, au héros achéen Achille, se sont formés et répandus. C'est en ce pays éolien qu'Homère a été conçu... : le nom de sa mère fictive, Kréthéis, rappelle celui de Krétheus, un des fils d'Éole, l'un des ancêtres des tribus éoliennes. Kymè fut longtemps la position avancée de l'Éolide avant d'en être la capitale (Strabon, XIII, 3, 2) : elle tint tête aux Pélasges de Larissa ; elle bâtit contre eux la forte place de Néon Teichos qui finit par les réduire. Au milieu de ces populations guerrières, naquirent les chants rudes et belliqueux, qui furent la source prochaine des grandes inspirations de l'Iliade.

Si les disputes et colères ont pu fournir à l'Éolide les germes de l'Iliade, c'est en Ionie, je crois, que les retours devinrent une Odyssée. Les relations historiques entre Pylos et l'Ionie nous expliqueraient l'exactitude des descriptions de la Télémakheia et la naissance des Ulysséides.

Dans les villes ioniennes, parmi les émigrés pyliens, les souvenirs et la gloire de la mère patrie subsistaient. Des récits, des périples ou des retours, apportés d'outre-mer, fixaient, dans la mémoire des hommes et dans les œuvres des poètes, la topographie pylienne, les vues de Pylos et de ses alentours, son site, son mouillage et ses légendes. Aux auteurs de nostoi, Pylos et ses rois étaient une matière poétique, une donnée aussi familière que le seront plus tard Thèbes ou Mycènes et leurs familles royales aux auteurs de tragédies.

Cette gloire de Pylos entraînait avec elle la renommée des deux Bouches de l'Occident : Bouches de Zante et Bouches d'Ithaque. C'étaient elles qui, jadis, conduisaient les marines pyliennes jusqu'aux extrémités de la mer farinière. C'était par les Bouches des Iles Pointues, que les Pyliens allaient jadis à la dernière porte du zophos. Au delà d'Ithaque, les Pyliens connaissaient déjà de réputation — peut-être — un rivage thesprote, puis une grande île, aux deux ports de laquelle on arrivait, après avoir longé l'embouchure d'un fleuve en cascade et reconnu la silhouette d'une montagne en demi-cercle. Au delà de cette île, ils avaient entendu raconter — peut-être — que les vaisseaux se changeaient en pierres, telle la Roche du Croiseur Noir. Aussi les Pyliens ne se lançaient pas encore vers ces parages redoutés. Le seul héros d'Ithaque, le Malin, en était jamais revenu.

Dans la tradition de Pylos, on comprend la place éminente que dut avoir ce Malin. Derniers Achéens au seuil de l'Océan mystérieux, les seules gens d'Ithaque pouvaient fournir aux Pyliens quelques renseignements sur ces épouvantes ; seuls, ils osaient se risquer parmi ces monstres et ces dangers. Les périples pyliens devaient attribuer à Ithaque une juste prééminence sur toutes les îles du Couchant. Les chants et poèmes pyliens devaient accorder aux héros et héroïnes d'Ithaque, Ulysse, Laerte, Télémaque et Pénélope, etc., la première place auprès de leurs Nélée, Nestor, Pisistrate, etc. Les retours pyliens devenaient ainsi des Ulysséides. Quand notre poète entreprit son Odyssée, la tradition pylienne de Milet lui pouvait donc fournir tous les sites et personnages grecs, qu'il allait mettre en jeu. Reste le périple ou le poème phénicien, qu'il intégra dans les Ulysséides pyliennes.

Hérodote nous dit que Thalès de Milet, le premier philosophe ionien, descendait d'une famille originairement phénicienne, ce qui signifie que Thalès appartenait, non pas à une famille émigrée directement de Phénicie en Asie Mineure, mais à l'une de ces familles kadméennes célèbres parmi les villes d'Asie. Le même Hérodote, en effet, nous apprend que des Kadméens — c'est-à-dire des Phéniciens hellénisés déjà par un long séjour en Béotie — avaient pris part à l'émigration des Ioniens. Ces Kadméens se répartirent dans les villes néléides. Leurs descendants y semblent avoir tenu une place importante[40]. A Priène, que la présence de ces Kadméens fit appeler aussi Kadmé, un autre des Sept Sages, Bias, était pareillement issu d'une famille kadméenne. A Milet, ce fut un Kadmos qui, le premier, écrivit des livres d'histoire ; sa Fondation de Milet passait pour le premier livre en prose des Grecs. Diogène Laërce nous dit avoir copié dans Hérodote, Douris et Démocrite que le père de Thalès, un certain Examias ou Examyoulos, appartenait au genos des Thèlides, qui sont les Phéniciens les plus nobles parmi les descendants de Kadmos et d'Agénor[41]. Quelques auteurs racontaient pourtant que, né hors de Milet, Thalès y était venu avec un exilé de Phénicie. Thalès n'avait pas eu de maitre ; mais il avait, dit-on, vécu en Égypte parmi les prêtres[42].

On a voulu parfois retrouver un vocable sémitique sous la transcription grecque Examias, Examyas ou Examyoulos, que les Anciens nous transmettent pour le nom du père de Thalès[43]. Je crois inutile de recourir à cette hypothèse. Il me suffit que ces Kadméens aient conservé le souvenir de leur origine phénicienne : entre la Phénicie et leurs nouvelles patries ioniennes, ils ont pu jouer le même rôle que les Néléides entre ces mêmes villes et Pylos.

Grand bazar de l'Anatolie, ou venaient converger toutes les routes de terre et de mer, Milet vit certainement les vaisseaux levantins accourir dans son port et les marchands ciliciens, phéniciens, égyptiens, etc., installer chez elle des comptoirs ou même un quartier — on disait alors : un camp — étranger. Comme la Memphis d'Hérodote, Milet eut alors son Camp des Sidoniens ou des Tyriens. Ces Phéniciens, qui ne régnaient plus en maîtres absolus sur la mer ni sur le commerce, conservaient pourtant une grande part des échanges. Ils habitaient à demeure dans ce Camp de Milet, autour de quelque sanctuaire national, περιοικουσι δ τ τμενος τοτο Φονικες Τριοι, καλεται δ χρος οτος συνπας Τυρων Στρατπεδον[44]. Ils y conservaient leurs mœurs et leurs cultes, usaient entre eux de la langue maternelle, lisaient ou chantaient les écrits et poèmes nationaux[45]. Entre ces Phéniciens du Camp et les Hellènes de la ville ou du voisinage, les Kadméens étaient tout désignés pour servir d'intermédiaires. Ces Kadméens, qui se vantaient de leur descendance phénicienne, durent mettre à la mode les produits, les usages, les sciences et les arts de la race supérieure, divine. dont ils se proclamaient les fils : peut-être usaient-ils eux-mêmes de la langue des dieux, comme dit le poète odysséen ; ils instruisaient peut-être leurs enfants et se délectaient eux-mêmes à la lecture de phéniciens.

 

A la cour de ces rois néléides, dans l'entourage de ces aristocraties kadméennes, voilà comment j'imagine, vers 900 ou 850 av. J.-C., l'apparition de cet admirable poème, œuvre d'un grand artiste, d'un habile et savant écrivain que les siècles ont salué du nom d'Homère.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Voir Brunet de Presle, Les Établissements des Grecs, p. 72.

[2] Thucydide, VI, 2.

[3] Strabon, V, 243 ; Diodore Sic., XII, 76.

[4] Cf. Strabon, VI, p. 267.

[5] Je cite d'après l'édition J. Flach.

[6] Cf. Mueller, Herod., éd. Didot, supplément, p. 105.

[7] Mémoires de l'Académie des Inscript. et Belles-Lettres, XXXV, p. 5 et suiv.

[8] Chæremon, cité par Porphyre, De abstin., IV, 8. — Plutarque, De Iside et Osir., 52.

[9] Ph. Virey, Notice des principaux monuments exposés au musée de Gizeh, n° 213. Le Caire, 1893.

[10] Ph. Virey, Tombeau de Rekhmara, dans les Mémoires de la mission du Caire, t. V.

[11] Perrot, Histoire de l'art, t. VI, p. 545, lig. 220.

[12] Schweinfurth, Ueber Pflanzeureste aus altægyptischen Græbeen, dans les Berichte der Deutschen botanischen Gesellschaft, 1884, p. 571, n° 45.

[13] Έφημερίς άρχαιολ., 1887, pl. 15, n° 21.

[14] Έφημερίς άρχαιολ., 1888, p. 156.

[15] Έφημερίς άρχαιολ., 1891, p. 18 et pl. 15.

[16] Thucydide, I, 4. Cf. Hérodote, III, 122.

[17] Cf. E. A. Wallis Budge, Books on Egypt and Chaldea, XII, p. 29 et suiv.

[18] Cf. sur tout ce qui va suivre, G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 210 et. suiv.

[19] G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 215-218.

[20] G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 111 et suiv.

[21] Tout ce qui sa suivre est copié ou résumé de G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 296 et suiv.

[22] Cf. G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 2135.

[23] Lettres du roi d'Alasia (Chypre ?), H. Winckler, die Thontafeln, p. 81.

[24] G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 329-330.

[25] Cf. G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 363 et suiv.

[26] Cf. G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 374-375.

[27] G. Maspero, Hist. Anc., II, 389.

[28] G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 407.

[29] G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 465.

[30] G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 369-.73.

[31] G. Maspero, Hist. Anc., II, p. 586 et 588.

[32] Michel Bréal, Revue de Paris, 15 février 1903.

[33] Odyssée, VII, 322.

[34] Odyssée, III, 174-179.

[35] Odyssée, XV, 404.

[36] Hérodote, VIII, 152.

[37] Michel Bréal, Revue de Paris, 15 février 1903.

[38] Hérodote, I, 147.

[39] Hist. Littérat. Grecque, I, p. 400.

[40] Hérodote, I, 146 et 170 ; Strabon, XIV, p. 635 et 636.

[41] Diogène Laërte, I, 22.

[42] Laërte, I, 22 et 37.

[43] Decker, de Thal., 9.

[44] Hérodote, II, 112.

[45] Cf. les fondachi des villes levantines au Moyen Age. Les concessions, accordées dans les villes aux colonies des républiques commerçantes de l'Occident, se composaient soit d'un terrain à bâtir, soit d'un certain nombre de maisons, d'une rue entière ou d'une partie considérable de la ville. L'ensemble des propriétés d'une nation commerçante était désigné sous le nom de ruga ou vicus de telle ou telle nation. On y avait un vaste entrepôt, fundicum, fundicium. Les besoins religieux n'étaient jamais négligés : on dédiait les églises au saint patron de la mère patrie. Nous trouvons pour les Vénitiens des églises de Saint-Marc à Tyr, à Acre et à Béryte. W. Heyd, Commerce au Levant, trad. Raynaud, I, p. 152-155.