HISTOIRE DES CHEVALIERS ROMAINS

 

TOME II

LIVRE II. — LES CHEVALIERS ROMAINS DEPUIS LA DICTATURE DE CÉSAR.

CHAPITRE IV. — LES DIX-HUIT CENTURIES DES CHEVALIERS EQUO PUBLICO AU DERNIER SIÈCLE DE LA RÉPUBLIQUE. - LES SIX ESCADRONS SACRÉS (SEX TURMÆ) SOUS L'EMPIRE.

 

 

Il n'y a rien de plus profondément humain que la religion. Si on la trouve près du berceau et près de la tombe de chaque homme, elle marque aussi de son caractère les institutions politiques à leur naissance, et, le jour de leur chute, C'est elle encore qui en recueille les débris et en consacre le souvenir. En terminant cette histoire des chevaliers romains sortis autrefois des trois tribus sacrées de Romulus, il nous faut revenir à l'institution religieuse des escadrons equo publico, par où l'ordre équestre avait commencé et par où il devait finir.

Lorsque, il y a plus de cent ans, Beaufort[1] et Lebeau[2] abordèrent ce problème si complexe de l'histoire des chevaliers romains, il était à peu près insoluble. Les textes les plus décisifs, ou n'étaient pas encore retrouvés[3], ou ne leur étaient connus que par des éditions fautives[4]. Niebuhr n'était pas né, et les révolutions de Rome, qui firent, d'un siècle à l'autre, changer le sens des mots du vocabulaire politique, étaient encore mal expliquées. Les deux savants français ne pouvaient donc voir que le mot ordo equester a désigné, tantôt la corporation religieuse des chevaliers equo publico aussi étroite dans ses cadres et presque aussi immuable que les rituels du patriciat ou l'enceinte sacrée du Pomœrium, tantôt toute la première classe des citoyens romains, qui grandit et se transforma' avec le peuple entier. Ils confondirent les chevaliers equo publico avec ceux que, pour les désigner clairement, nous avons appelés chevaliers equo privato. Leurs travaux présentent des vues sur la question, plutôt qu'ils n'aboutissent à des solutions.

Ayant l'avantage d'avoir étudié ce sujet de leurs recherches cent ans après eux, nous pouvons dire pourquoi et comment le sens des mots ordo equester a varié avec la société et l'administration romaines.

Au temps de Cicéron, la première classe des citoyens romains, celle dont les membres possédaient 400.000 sesterces, était devenue prépondérante. Ses juges dominaient les tribunaux, ses publicains exploitaient le monde. Cette première classe toute entière formait l'ordre des chevaliers romains, et dirigeait au Champ de Mars les votes de l'assemblée centuriate. Aussi, dans les écrits de Cicéron, qui essaya de s'en faire le chef, les mots ordo equester désignent toujours cette bourgeoisie italienne, qui composait la première classe du peuple romain. Quant aux dix-huit centuries des chevaliers equo publico, elles n'étaient plus qu'une fort petite partie de cette première classe, une corporation éclipsée par la grandeur de l'ordre équestre, un pâle souvenir de la Rome d'autrefois.

Mais, après la chute de la République, il entrait dans la politique d'Auguste de rendre une vie factice, une jeunesse et une couleur artificielles à cette image d'un passé trop lointain pour devenir inquiétant. Le maître reléguait au second plan le grand ordre équestre de Cicéron, cette classe dont la puissance vivait encore dans la mémoire des hommes et rappelait les dernières luttes de la liberté. Auguste prétendait recommencer le cycle de Rome, ramener cette ville prédestinée à la pensée de ses premiers jours. Le nouveau Romulus remit donc en honneur les centuries de la chevalerie equo publico. Il se plut â rétablir la pompe militaire et religieuse du 15 juillet, où cette chevalerie défilait par la voie Sacrée en costume magnifique, pour aller offrir des sacrifices aux dieux. Témoin de cette restauration, Tite-Live, qui commençait â écrire vers l'an 25 av. J.-C., emploie les mots equester ordo pour désigner la chevalerie des centuries ou des turmæ equo publico[5]. Valère Maxime, qui commence[6] son ouvrage après la mort d'Auguste, et termine son dernier livre[7] au lendemain de la mort de Séjan (31 ap. J.-C.) appelle aussi equester ordo[8] les chevaliers qui recevaient leur cheval de l'État.

Mais Tibère, esprit sérieux, lourd, sans imagination, sinon pour soupçonner, s'aperçoit qu'on ne gouverne pas les hommes avec des ombres. La Chevalerie des escadrons sacrés lui paraît plus brillante qu'utile. Il veut demander à la première classe tout entière, à celle qui possède le cens équestre, des juges, des administrateurs. Pour cela, il faut épurer cette classe, qui commence à être envahie par les affranchis. La loi de l'an 23 ap. J. -C., donne aux chevaliers le privilège exclusif de porter l'anneau d'or. Elle ne reconnaît pour chevaliers que ceux qui descendent de deux générations d'hommes libres, ayant possédé le cens équestre. Après Tibère, Caligula, Claude, Vespasien, et même Domitien, essaient d'arrêter la marée montante de toutes les impuretés sociales, qui passait par dessus cette digue trop basse des 400.000 sesterces, et souillait la chevalerie. C'est au moment où l'on essayait de faire de la première classe des citoyens une classe honnête et utile à l'administration, que Pline composait son histoire naturelle. Aussi prend-il les mots equester ordo dans le sens large que leur avait donné autrefois Cicéron, et non dans le sens restreint que leur avaient attribué Tite-Live et Valère Maxime.

Mais la tentative faite pour épurer la première classe des citoyens échoué complètement au temps de Domitien et de Trajan. Lés intrus, les indignés, lés anciens esclaves ayant plus de 400.000 sesterces, y entrent malgré les lois. La chevalerie des citoyens de la première classe s'efface et se perd au milieu de la multitude mêlée de ceux qui usurpent l'anneau d'or. Adrien fait alors un choix dans cette masse confuse. Il ne reconnaît plus pour chevaliers que ceux qu'il a décorés de l'equus publicus, et répartis dans les six antiques centuries ou turmæ, qui célébraient, le 15 juillet, la pompe religieuse de la transvectio. Suétone, qui appartient à l'époque de Pline et à celle d'Adrien, emploie le plus souvent les mots equester ordo pour désigner la première classé des Citoyens. Mais, lorsqu'il parle des cérémonies religieuses, il commence déjà à restreindre l'application de ce terme uni six turmæ. Depuis Adrien, les mots equester ordo, soit dans Gaïus, soit dans les inscriptions, comme τέλος ίππικόν, τάγμα ίππικόν dans Hérodien et dans Dion Cassius, rappellent le bataillon sacré de la Chevalerie equo publico[9].

Ayant écarté toute cause de confusion entre les deux sens d'une même expression, nous pouvons revenir à L'histoire des chevaliers des dix-huit centuries equo publico, que nous avions conduite jusqu'à l'époque du tribunat des Gracques[10].

M. Naudet, examinant un passage de la République de Cicéron[11], où il est question de ces chevaliers, dit que la conséquence que l'on peut tirer avec quelque assurance des paroles prêtées par Cicéron à Scipion Emilien, est que vers le commencement du VIIe siècle de Rome, il y avait 2.400 cavaliers d'ordonnance equo publico qui recevaient une double indemnité en argent[12]. C'est aussi la conclusion où nous sommes arrivé en comparant ce passage à ceux de Tite-Live et de Caton qui en confirment l'exactitude[13]. Rappelons seulement ici que ces dix-huit centuries de chevaliers equo publico formaient deux groupes distincts. Les douze dernières centuries, qui n'étaient point consacrées par les augures, ne contenaient chacune que cent chevaliers. Les six premières, qui étaient les centuries sacrées, pour des raisons religieuses que nous avons expliquées, contenaient chacune deux cents chevaliers. Elles représentaient, comme les six vestales, les trois tribus des Rhamnes, des Tities et des Luceres de la Rome primitive. Elles représentaient aussi les trente curies, qui étaient les subdivisions de ces trois tribus, et les trois cents sénateurs, qui étaient répartis entre les trente curies. Les sénateurs avaient même pris l'habitude de garder, après la fin de leur service, le cheval donné par l'Etat, et ils votaient avec leurs fils dans ces six centuries, qu'on appelait pour cela suffrages du Sénat.

Cette organisation dura, comme nous l'apprend Cicéron, depuis le temps des Tarquins jusqu'à la mort de Scipion andin. Ce grand homme vit avec douleur, dans la dernière année de sa vie, le Sénat, à peine vainqueur de Tibérius Gracchus, se diviser en deux partis, dont l'un, composé de ses ennemis. Des sénateurs imprudents, las de garder et de nourrir le cheval donné par l'Etat (equum publicum), demandaient un plébiscite qui les autorisât à le rendre. Ils voulaient ainsi, par économie, sortir des six centuries equo publico, et perdre l'influence que leur présence dans ces centuries leur donnait sur les votes du Champ de Mars[14].

Scipion Emilien blâmait cette imprudence que, selon l'usage des stoïciens, il qualifiait de sottise (stulte cupientibus). Mais Scipion mourut. On oublia ses avis. Les sénateurs sortirent des centuries des chevaliers equo publico, qui perdirent par là une grande partie de leur dignité et de leur autorité politique. Au temps de la candidature de M. T. Cicéron au consulat, il n'y avait plus, dans les 18 centuries des chevaliers equo publico, que des jeunes gens (adolescentuli). C'est pour cela qu'un peu plus tard, Horace, désignant par le nom de Rhamnes les chevaliers les plus nobles de ces centuries, les représente comme des jeunes gens dont le goût est tout opposé à celui des seniores[15]. Q. Cicéron, dans ses conseils à son frère sur les moyens à prendre pour obtenir le consulat, après lui avoir recommandé de s'assurer la faveur des citoyens de la ville de Rome, et surtout des municipes de l'Italie, parle ainsi des centuries de chevaliers :

Quant aux centuries de chevaliers, il me semble qu'on peut par quelques soins se les attacher beaucoup plus facilement. D'abord il faut faire connaissance avec les chevaliers des centuries ; car ils sont peu nombreux ; puis il faut les gagner. Car à cet les jeunes gens forment beaucoup plus facilement des liaisons d'amitié. Puis, vous vous ferez accompagner des jeunes gens les meilleurs, qui ont le plus de goût pour les belles lettres. Enfin, comme l'ordre équestre vous est acquis, les chevaliers des centuries suivront l'exemple de l'ordre entier, si vous prenez soin de ne pas compter seulement, sur la bonne volonté générale de l'ordre, mais de vous assurer ces centuries par des amitiés individuelles. D'ailleurs la faveur des jeunes gens, le mouvement qu'ils se donnent pour appuyer leur candidat, pour lui faire cortège, courir de tous côtés, porter des nouvelles, tout cela est à la fois utile et honorable[16].

Ainsi les chevaliers des centuries sont ici distingués de l'ensemble de l'ordre équestre, c'est-à-dire de la première classe des citoyens, dont Q. Cicéron espère qu'ils suivront l'exemple le jour du vote. Ils forment, dans cette classe, un groupe d'hommes jeunes, passionnés, actifs, mais peu nombreux et peu influents par eux-mêmes. Quels moyens employait-on pour les gagner ? Le discours pour Murena nous en donne une idée[17]. Murena, nominé consul pour l'année 62 av. J.-C., était accusé d'avoir corrompu les suffrages. Sulpicius et Caton lui reprochaient, entr'autres moyens de corruption, un repas offert par son beau-fils L. Natta, aux centuries de chevaliers. La volupté, disait Caton, ne doit entrer pour rien dans les raisons qui nous font choisir nos magistrats. Cicéron, dont, la conscience politique était moins délicate, s'étonnait qu'un candidat pût être condamné, pour avoir invité à dîner ses électeurs. Il avait tort. Dix-neuf ans après, il dut s'indigner que Antonius, frère de son plus cruel ennemi, eût réussi à s'attacher ces mêmes centuries de chevaliers par des faveurs, il est vrai, plus solides que le souvenir d'un bon repas.

C. Flavius avait imaginé d'ouvrir une souscription parmi les chevaliers romains, en faveur des meurtriers de César, et l'on comptait sur les plus riches de l'ordre équestre, pour faire réussir ce projet[18]. On ne réussit qu'à s'aliéner les jeunes chevaliers des centuries quo publico. L. Antonins fut plus adroit. Il fit voter une loi agraire, pour assurer à son frère qui, après une fausse réconciliation, se tournait contre le Sénat, la faveur du peuple et des vétérans (juin 44 av. J.-C.). Les centuries des chevaliers equo publico, appartenant en général à la noblesse, auraient pu faire quelque opposition à la loi. L. Antonius les intéressa au succès de son projet, en leur distribuant des terres. Il obtint tant de popularité qu'on lui éleva des statues, dont l'une, offerte par les chevaliers romains equo publico[19], portait cette inscription : L. Antonius patronus centuriarum equitum[20]. Cicéron se montre fort scandalisé de ce que l'ordre des chevaliers equo publico ait adopté un patron. S'il devait en adopter un, dit-il, c'était moi. Ce qui ne l'empêche pas, la même année, de solliciter l'appui de Brutus auprès des dix-huit centuries de chevaliers, pour faire réussir la candidature de son ami Lamia, qui demande la préture[21].

Ce qui avait dû altérer l'esprit politique de ces nobles centuries equo publico, dont tant de chevaliers avaient combattu César à Pharsale, c'est que le nombre de leurs membres s'était beaucoup augmenté. Au temps de la mort de Scipion Emilien, le chiffre consacré des chevaliers des 18 centuries était de 2.400. Il n'avait pas varié depuis quatre siècles. Mais Denys d'Halicarnasse, qui a vu sous Auguste le défilé solennel des chevaliers equo publico, à la fête du 15 juillet, en a compté quelquefois à peu près 5.000[22]. L'histoire ne nous dit rien de la cause d'une extension si grande donnée à des cadres qui paraissaient depuis si longtemps immuables. Mais la nature même de ces 18 centuries peut nous l'apprendre. Nous avons montré que les six premières de ces centuries, qui contenaient 1,200 chevaliers, étaient intimement unies au Sénat de 300 membres par une analogie de composition[23]. Les cadres de la chevalerie equo publico restèrent donc immuables tant que le Sénat ne compta pas plus de 300 membres, c'est-à-dire jusqu'au temps de Sylla. Mais Sylla éleva le nombre des sénateurs à 600. César le porta à 900[24]. La logique de la constitution romaine voulait que les six centuries sénatoriales equo publico fussent triplées comme le Sénat lui-même. Elles le furent, et leur effectif se trouva porté de 1.200 à 3.600 chevaliers, qui, ajoutés aux 1.200 qui restaient dans les douze dernières centuries, donnent un total de 4.800 chevaliers, que Denys indique par le chiffre rond de 5.000.

Ce changement en amena naturellement un autre, que personne jusqu'ici n'a songé à expliquer. Les six premières centuries equo publico contenant 3.600 chevaliers, tandis que les douze dernières n'en contenaient que 1.200, il y avait entre les deux parties de ce corps une disproportion choquante. Elle disparut par la fusion des douze dernières centuries, qui étaient les plus faibles, avec les six premières, qui étaient trois fois plus fortes. Voilà pourquoi, pendant tout le temps de l'Empire, on ne trouve que six escadrons (turmæ equo publico) à la place des dix-huit centuries qui avaient existé jusqu'à la fin de la République. Cette fusion, d'ailleurs, fut hâtée par une autre cause. C'est qu'au temps d'Auguste, les chevaliers de race sénatoriale, les illustres, sortirent de la chevalerie equo publico pour former, avec tous ceux qui obtenaient le laticlave, une chevalerie à part. Il ne resta au nombre des chevaliers equo publico que ceux qui n'étaient pas de rang sénatorial et qui portaient l'angusticlave et la trabée. Or, les six premières centuries n'étaient plus distinguées des douze dernières que par le privilège de représenter le Sénat et de se composer des fils ou des parents des sénateurs. Cette distinction disparut, dès que les six centuries furent privées des chevaliers illustres portant le laticlave. Dès lors, les deux parties de la chevalerie equo publico, contenant des éléments semblables, la partie la plus forte absorba la plus faible et les douze dernières centuries entrèrent dans les cadres des six premières, pour former les six escadrons ou turmæ equo publico.

Tout en cessant de représenter le Sénat, la chevalerie des six turmæ n'en conserva pas, moins la religion des six centuries sénatoriales, dont elle remplissait les cadres. Denys nous dit que les 4.800 chevaliers equo publico, dans le défilé du 15 juillet, s'avançaient divisés par tribus et par curies. Les six turmæ étaient donc l'image des six demi-tribus sacrées des Rhamnes, des Tities et des Luceres. Chacune d'elles devait, au temps d'Auguste, contenir 800 chevaliers, dirigés, à la fête du 15 juillet, par un sevir qui offrait le sacrifice aux dieux de Rome, à la Junon des curies, à Castor et à Pollux, protecteurs des chevaliers. Chaque curie devait contenir 160 chevaliers equo publico.

Comme on avait appliqué à chacune des six demi-tribus le nom de turma, par assimilation à un corps de cavalerie légionnaire, on donna aussi à chaque curie de chevaliers equo publico, le nom de décurie, qui désignait à l'armée chaque division de la turma. C'est pour cela que l'opération par laquelle l'empereur ou le censeur délégué pour le remplacer complétait les cadres de la chevalerie equo publico, s'exprimait par ces mots : Supplere decurias equitum[25], legere decurias equitum[26].

Auguste, en rétablissant les fêtes et les usages de la chevalerie equo publico, unit ensemble, comme on l'a remarqué[27], l'anniversaire religieux, le défilé du 15 juillet (transvectio), avec la revue quinquennale, que les censeurs faisaient autrefois passer aux chevaliers (census, probatio ou recognitio equitum). Cette revue avait été interrompue depuis longtemps[28]. Auguste y exerça les fonctions de censeur, en se faisant aider par des triumvirs et quelquefois par des décemvirs tirés de l'ordre du Sénat. Il infligeait de temps en temps une note d'infamie ou un blâme, mais sans éclat et sans dureté. Il nota des chevaliers equo publico qui, faisant le métier des anciens banquiers (negotiatores), avaient emprunté à un intérêt modéré, pour prêter à gros intérêts. Il ne permit jamais qu'un accusateur vînt interrompre le défilé solennel pour attaquer devant lui un chevalier. Enfin il adoucit, autant qu'il put, l'aspérité naturelle de la censure et ne prit pas même le nom de censeur. Les chevaliers equo publico qui étaient trop vieux ou infirmes furent mis à la retraite. Auguste permit même à ceux qui avaient plus de 35 ans, c'est-à-dire aux seniores, de rendre le cheval que l'État leur avait donné[29]. C'est pour cela qu'on trouve les chevaliers equo publico ; au théâtre, assis dans une partie de la salle qu'on appelle cuneus juniorum. Ceux qui y prenaient place, en l'honneur de Germanicus, qui avait été prince de la jeunesse, portèrent quelque temps le nom de coin de Germanicus[30]. Enfin, Auguste fit prendre à ces chevaliers romains le nom un peu archaïque de Celeres, parce que l'on prétendait que Romulus avait eu une garde ainsi nommée. Les chevaliers des six turmæ, en acceptant le même nom, flattaient le prince et lui décernaient, pour ainsi dire, le titre de second fondateur de la monarchie romaine, de second Romulus[31].

Maintenant que nous avons indiqué tous les caractères de cette restauration de la chevalerie equo publico, du temps d'Auguste, nous achèverons successivement l'histoire des deux parties de la chevalerie qu'il a séparées, de la chevalerie sénatoriale des illustres, portant le laticlave, et des six turmæ equo publico, où il n'y avait plus que des chevaliers portant l'angusticlave[32] Ces deux chevaleries n'avaient plus rien de commun que deux chefs qui, quelquefois, dans les cérémonies publiques, les conduisaient ensemble : c'étaient les princes de la jeunesse. Chacune des six turmæ avait un chef particulier qu'on appelait seoir. Quelquefois un fils ou un parent rapproché de l'empereur cumulait les deux titres et était en même temps prince des deux chevaleries et commandant d'un des six escadrons sacrés.

C'est la pourpre, dit Pline, qui sépare la curie des chevaliers[33]. Il marque ainsi la distinction du laticlave et de l'angusticlave, si nettement établie par Auguste. Dès l'an 35 av. J.-C., Octave avait réservé le laticlave aux sénateurs et, aux magistrats[34]. Plus tard, il permit aux fils des sénateurs de le porter dès l'âge de 17 ans[35]. Ces deux lois séparèrent la chevalerie sénatoriale, de la chevalerie equo publico. Aussi, dès le milieu du règne d'Auguste, on les trouve mentionnées comme deux corps distincts. En l'an 9 av. J.-C., Drusus meurt, après avoir conquis toute la Germanie jusqu'à l'Elbe, et son corps est porté au Champ de Mars par les chevaliers, tant par ceux qui font partie du corps proprement dit des chevaliers, que par ceux de race sénatoriale[36]. Dion Cassius dit encore qu'Auguste refit la fortune de plusieurs jeunes gens, tant des familles sénatoriales que des familles des autres chevaliers[37], et qu'autour de son tombeau défilèrent les chevaliers, ceux du bataillon sacré et les autres[38]. Hérodien, racontant l'apothéose de Septime-Sévère[39], dit qu'une image de cire, représentant l'empereur malade, est placée devant la porte du Palatin, après que le corps de l'empereur a été enterré. L'image de cire figure ensuite l'empereur mort. Elle est portée au Forum a travers la voie Sacrée par les plus nobles du bataillon équestre et par l'élite des jeunes gens du Sénat. Puis, de là, elle est portée au Champ de Mars, sur un bûcher autour duquel toute la chevalerie exécute des évolutions militaires. Dans ces passages et dans d'autres[40], les mots grecs τέλος, employé par Dion, τάγμα, employé par Hérodien, signifient bataillon sacré, ou régiment, et M. Naudet a bien montré qu'on ne peut les entendre, qu'en les appliquant aux six turmæ ou escadrons equo publico[41]. Les autres chevaliers, placés en dehors de cette chevalerie proprement dite, sont les chevaliers de race sénatoriale, ceux que Tacite appelle dans plus d'un passage illustres[42] et qu'il assimile aux sénateurs[43].

Lorsque l'on désignait les deux catégories de chevaliers, on disait la jeunesse des deux ordres[44]. Les deux chevaleries se réunissaient pour proclamer ou accepter les deux chefs, qu'on appela sous l'empire princes de la jeunesse.

Cette qualification, par laquelle on désignait, à Rome, du temps de la République, les fils des plus grandes familles sénatoriales ou équestres, devint, sous le règne d'Auguste, un titre officiel. Tous les chevaliers[45], c'est-à-dire ceux des six escadrons sacrés, comme ceux de l'ordre sénatorial, nommèrent ses petits-fils, les Césars Caius et Lucius, princes de la jeunesse, après avoir fait don à chacun d'un bouclier et d'une lance d'argent. Auguste avait désiré si vivement ces honneurs[46] pour ses petits-fils, qu'il n'attendit même pas qu'ils eussent revêtu la robe virile pour les leur procurer. Il était dans son douzième consulat (5 av. J.-C.), et Caius entrait dans sa quinzième année, lorsque le jeune César fut proclamé prince de la jeunesse[47]. Deux années après, Lucius, frère de Caius, arrivé au même âge, reçut le même titre[48]. Depuis ce temps-là, tous les héritiers des empereurs furent proclamés princes de la jeunesse par les deux chevaleries.

Les Césars Caius et Lucius étant morts, ce ne fut pas Tibère, héritier de l'empire, qui fut nominé prince de la jeunesse, parce qu'il était déjà tribun de la plèbe et associé à l'empire. Ce fut Germanicus[49]. Plus tard, Caligula, après sa maladie, donna ce titre à Tibère, fils du second Drusus, qu'il adopta pour frère[50]. Les deux fils de Vespasien, Titus et Domitien, pendant le règne de leur père, furent princes de la jeunesse. Mais l'aîné déposa ce titre en recevant la puissance tribunicienne, et dès l'an 72 ap. J.-C., il ne le portait plus, tandis que son frère le conservait encore[51]. Au siècle des Antonins, le titre de prince de la jeunesse prend une dignité nouvelle. Antonin le donne à Marc-Aurèle, déjà César, en l'associant à l'empire[52].

Commode, à la fin du siècle, est encore nommé prince de la jeunesse par cooptation, et l'on remarque, dans le passage qui nous l'apprend, que l'historien emploie, pour désigner les chevaliers, une expression d'un archaïsme affecté, Trossulos, qui appartient bien à cette époque de pédanterie[53].

Quand on essaie de rajeunir les vieilles institutions par des noms plus vieux encore, c'est qu'elles sont près de périr ou de se transformer. Caracalla et Geta furent les premiers à garder pendant leur règne le titre de princes de la jeunesse. Mais, depuis ce temps-là, ce titre n'a plus qu'un rapport indirect avec l'histoire de la chevalerie. Les médailles qui le rappelaient portaient jusque là les emblèmes des chevaliers, le cheval, la lance (hasta), le petit bouclier (parma). Geta et Caracalla, princes de la jeunesse, sont représentés à pied et debout au milieu des enseignes de l'infanterie[54]. Après eux, ce titre semble synonyme de prince impérial. Il s'ajoute, comme une sorte de complément indispensable, au nom du César, fils de l'empereur régnant, que cet empereur soit un Romain qui n'a jamais régné dans Rome, comme Macrin, père du César Diaduménien[55], ou un Pannonien comme Decius[56], ou même un Goth comme Maximin[57]. Les derniers princes de la jeunesse furent Carin et Numérien, ces fils de l'empereur Carus, dont le premier gouverna l'Occident et le second, l'Orient[58]. Pour eux, le nom de princes de la jeunesse fut tout à fait l'équivalent de ce que fut, peu d'années après, sous Dioclétien, celui des deux Césars, Dioclétien, qui leur succéda, n'avait plus qu'à imiter Carus, et de plus, à partager avec un collègue le titre d'Auguste, pour fonder cette tétrarchie qui a désorganisé les armées romaines, l'ordre équestre et l'empire.

A côté de la chevalerie sénatoriale des illustres, et sous la même autorité nominale des princes de la jeunesse, vivaient toujours les six escadrons (sex turmæ) des chevaliers equo publico, portant la trabée et l'angusticlave. Chacun de ces escadrons avait pour chef un sevir, dont le titre se cumulait quelquefois avec celui de prince de la jeunesse, quoique ce cumul ne fût ni nécessaire ni même habituel. Les petits-fils d'Auguste, les Césars Caius et Lucius, furent princes de la jeunesse, et chacun d'eux fut, en même temps, sévir d'un des six escadrons sacrés. Mais ces deux titres s'ajoutent l'un à l'autre, et leur sont conférés séparément[59]. Marc-Aurèle, déjà César et associé à l'empire par Antonin, fut à la fois prince de la jeunesse et sévir d'un escadron sacré, et il présida aux jeux appelés sevirales. Mais on remarqua ce cumul de titres comme une exception[60].

Ordinairement les sévirs, qui étaient des magistrats religieux comme les préfets des féries latines ou les curions[61], étaient pris parmi les Laticlavii, quoique les six escadrons sacrés qu'ils avaient à diriger ne portassent que l'angusticlave. Ainsi, les inscriptions nous montrent des tribuns militaires ornés du laticlave, arrivant au sévirat des chevaliers romains[62]. Ceux qui n'étaient encore que tribuns angusticlaves, étaient adjoints au Sénat avant d'être revêtus de la dignité sacrée de sévir[63]. Les honneurs du vigintivirat aussi bien que les milices équestres ouvraient l'accès du sévirat. Ainsi, on devenait quelquefois sévir après avoir été triumvir capital[64] ou triumvir des monnaies[65], ou décemvir pour les affaires judiciaires[66]. Quoique cette charge semble, dans la carrière des honneurs, placée à côté de la questure ou du tribunat de la plèbe, son caractère religieux la faisait tant rechercher, qu'on la vit acceptée d'un ancien propréteur d'Arabie[67]. Un quatuorvir, qui avait exercé les fonctions de la censure pour épurer ou recruter les six[68] escadrons sacrés, se trouva honoré d'en commander un[69] comme sévir.

Les chevaliers des six turmæ célébraient des fêtes nombreuses. Leur magnifique cortége formait comme la décoration de la monarchie impériale. Tantôt ils venaient s'asseoir, à côté de la chevalerie sénatoriale, aux banquets solennels offerts par les empereurs[70]. Un des plus brillants fut celui où, en 95 ap. J.-C., Domitien invita les deux ordres. Il y admit le poète Stace, qui avait, peu d'années avant, été couronné du laurier d'or[71]. Les chevaliers des turmæ portaient au bûcher, élevé dans le champ de Mars, les corps des empereurs ou des personnes de la famille impériale, et célébraient par des évolutions militaires, et par des carrousels, les jeux funèbres qui accompagnaient l'apothéose[72]. Enfin ils avaient des jours de fête pour l'anniversaire de la naissance de l'empereur[73], ou de tous les autres jours heureux du règne, et ils sortaient au devant de l'empereur quand il revenait à Rome[74].

Mais leur plus grande fête était toujours la transvectio du 15 juillet. Elle fut célébrée sous Caligula[75], qui, dans cette cérémonie, se montra assez sévère, et retira à plusieurs chevaliers le cheval donné par l'État ; sous Claude[76], qui fut beaucoup plus indulgent, quoiqu'il eût repris le nom depuis longtemps délaissé de censeur. Sous Néron, ce fut plutôt une parade qu'une revue sérieuse et, pour la première fois, les chevaliers amenèrent leur cheval devant le tribunal impérial, après l'avoir couvert de harnais. Néron aimait mieux voir un harnais brillant, qu'examiner l'animal[77]. Vespasien, plus sérieux, essaya d'introduire dans les six escadrons plus d'honnêtes gens qu'il n'y en avait[78].

Au second siècle de l'empire, l'usage de l'anneau d'or devint vulgaire. L'ordre équestre des chevaliers equo privato ayant 400.000 sesterces, se fondit pour ainsi dire dans la niasse d'un peuple enrichi et corrompu. Il n'y eut plus alors de chevaliers officiellement reconnus que les chevaliers equo publico, inscrits dans les cadres des six turmæ, et nommés par l'empereur. Jusque-là, ces cadres ne contenaient qu'un nombre défini de chevaliers, peut-être 4.800 comme au temps d'Auguste. Adrien s'attribua le droit d'en nommer un nombre indéfini[79], comme on nomme chez nous des chevaliers de la légion d'honneur. L'equus publicus devint si bien une décoration, que cette dénomination finit par s'appliquer, non plus au cheval souvent imaginaire qu'elle désignait, mais à la personne même du décoré[80]. Comme il y eut des chevaliers equo publico de tous les pays, et même de tous les âges, on regardait comme un honneur spécial l'avantage d'avoir pris part, à Rome, à la fête de la transvectio[81].

On a plusieurs preuves de cette révolution qui changea complètement la nature de l'ordre équestre. Le cens de 400.000 sesterces ne donna plus désormais le droit de figurer sur la liste des chevaliers. Ce ne fut plus qu'une condition pour que la demande de la décoration fût admissible, et classée dans les cartons des bureaux[82]. Un habitant d'un municipe avait demandé à Adrien la décoration de l'equus publicus, et se plaignait dans sa requête, qui se tournait en mémoire justificatif, d'avoir été négligé dans la distribution des faveurs impériales, parce que deux ans auparavant, sou préfet l'avait exilé de son municipe. Le postulant rappelait qu'il avait le cens équestre[83], et que le procès, cause de son exil, lui avait été suscité par la malveillance de ses esclaves. Adrien répondit : Celui qui demande le cheval que donne l'Etat, doit être exempt de reproche. Pour l'avenir, votre conduite sera votre meilleur plaidoyer.

Les empereurs ne se montrèrent pas toujours sévères dans le choix des décorés de l'equus publicus. Capitolin dit qu'Adrien nomma un chevalier qui n'avait que six ans[84]. Il est vrai que ce chevalier était Antonin-le-Pieux, qui pouvait avoir des vertus précoces. Mais une inscription nous montre, sous Antonin, un chevalier equo publico qui a reçu sa décoration à l'âge de cinq ans[85]. On choisissait des innocents à la place des hommes sans reproche. Tout le monde prétendait à la décoration, et l'ordre des chevaliers equo publico s'étendait aux municipes de l'Italie et des provinces. Nous trouvons, sous Antonin, un chevalier equo publico dans le municipe de Rudies[86], un autre, qui est édile à Pouzzoles[87]. Les provinces ont leur part dans cette distribution de faveurs. Un édile africain rapporte à Carthage, sa patrie, le titre de chevalier equo publico[88]. L'obscure ville d'Arba, sur la côte de Dalmatie, n'est pas négligée. L'édile M. Trébius reçu de l'empereur le brevet d'equus publicus[89]. Enfin les refus de décoration deviennent si rares, qu'au temps de Gaïus, des femmes faisaient à leurs maris des donations, pour élever leur fortune jusqu'à 400.000 sesterces, et pour leur permettre par là de demander l'ordre équestre, c'est-à-dire, selon l'explication d'Ulpien, le titre de chevalier equo publico[90]. En 223 ap. J.-C., la petite ville de Canouse comptait huit patrons chevaliers romains[91]. Vers ce même temps, Héliogabale, prêtre d'Émèse, qui avait été élevé à l'empire à l'âge de quinze ans, pour avoir dansé avec une grâce merveilleuse devant les troupes d'Orient, dans le temple du Soleil[92], confiait la censure à un danseur, chargé de dresser la liste des sénateurs et des chevaliers[93]. Le choix des hommes portés alors sur les listes des décorés de la chevalerie equo publico, fut tel que Lampride fait honneur à Alexandre Sévère, successeur d'Héliogabale, de n'avoir nommé chevalier aucun affranchi[94].

Ainsi, l'ordre équestre des chevaliers equo publico, répandu par la faveur ou par les caprices des empereurs dans le monde entier, aurait sans doute, comme l'ordre des chevaliers equo privato, péri par sa diffusion même. Alexandre, Sévère, qui se promettait de l'épurer, fut assassiné par les soldats et fut remplacé sur le trône par le Goth Maximin. Les institutions romaines furent brisées. L'avènement d'un brutal mercenaire est le commencement de la barbarie. Arts, littérature, lois, richesse, tout s'effondre, dans l'empire romain, pendant le demi-siècle qui sépare Maximin de Dioclétien. Lorsque, de ce chaos sinistre, on voit sortir le prince dalmate, avec sa couronne hérissée de pointes, comme celle d'un roi barbare[95], lorsqu'on lit les chroniqueurs de l'Histoire auguste, ses contemporains, on s'aperçoit que, si l'empire subsiste encore, la civilisation romaine a péri. Dioclétien n'a su que pousser Rome dans la voie qui la menait à sa ruine. Ses lois donnaient des satisfactions de toute sorte à la passion funeste des places lucratives et des titres vains. Cette passion détournait depuis longtemps les hommes de talent de la conduite des armées romaines et de la direction des affaires politiques vers les fonctions du palais et vers celles des procurateurs. Rome, fondée par la guerre, a péri pour avoir de plus en plus délaissé et méprisé le métier des armes.

Au milieu d'une hiérarchie de fonctionnaires décorés par le Xerxès de Bithynie, de noms déjà anciens, comme ceux des clarissimes et des perfectissimes, ou de noms plus nouveaux, comme celui d'egregii[96] ; on cherche les débris du grand corps des chevaliers romains, si répandu un siècle avant dans le monde. On les trouve à peine, d'abord dans ces egregii dont nous avons déjà parlé[97], puis dans certaines corporations de marchands ou d'armateurs (navicularii)[98]. Constantin et ses successeurs hésitent sur la place qu'ils doivent assigner aux chevaliers. Constantin les range après les sénateurs et les perfectissimes[99] ; Valentinien et Valens, au second rang, au-dessous du clarissimat[100].

Lé titre de chevalier, dépend, comme depuis Adrien, de la faveur impériale, quoique, dans les provinces, il y ait encore des familles équestres et des chevaliers de naissance. Mais toute cette chevalerie provinciale disparaît, et il ne reste plus guère, au IVe siècle, de corps de chevaliers que dans Rome[101], où les membres de ce corps sont soumis à la juridiction du préfet des veilleurs[102]. C'est le préfet du prétoire, ce n'est plus l'empereur qui les nomme[103].

Hors des limites de la ville, dit M. Naudet[104], il n'y avait plus de chevaliers romains dans le monde. C'est là, en effet, qu'ils devaient durer le plus longtemps. Ils avaient à Rome le berceau, le sanctuaire de leurs vieilles institutions. L'usage de la transvectio se maintint pendant les siècles les plus troublés. Caracalla[105], Héliogabale[106], Alexandre Sévère[107], célébrèrent encore cette fête, et passèrent en revue les chevaliers equo publico. Sous Gallien[108] et Aurélien[109], l'ordre équestre figure encore dans les solennités publiques, et monte au Capitole avec le Sénat et les soldats, pour remercier les Dieux. En 326 ap. J.-C., la fête de la transvectio du 15 juillet allait se célébrer. Elle n'était plus seulement un défilé de l'ordre équestre. Elle était devenue pour les Romains une fête populaire, nationale, où l'on protestait par des hommages éclatants aux Dieux de l'empire, contre les progrès du christianisme. Constantin, sortant du concile de Nicée, venait d'arriver à Rome. Il refusa de s'associer aux sentiments du peuple et de guider la procession. Le païen Zosime raconte avec indignation que l'empereur chrétien, lorsque les soldats montèrent au Capitole, insulta impudemment le cortége, et manifesta son mépris pour la sainte cérémonie[110]. Constantin ne put se méprendre sur les sentiments de haine qu'il inspirait aux Romains. Il résolut de donner à Rome païenne une rivale. Il jeta les fondements de Constantinople.

La capitale délaissée avait perdu sa royauté. Elle allait perdre sa religion et ses fêtes sacrées. La solennité du 15 juillet, dernier souvenir de la gloire de la chevalerie romaine, disparut. Mais les Vestales entretenaient encore l'antique foyer de Rome. Gratien, en faisant enlever du Capitole la statue de la Victoire, si chère aux païens, confisqua les biens des Vestales. En vain les Romains réclamèrent par la bouche de Symmaque, qui fit parler Rome elle-même, insultée dans sa vieillesse par ses enfants oublieux de tant de gloire[111]. Les Vestales ne trouvèrent grâce, ni devant la sévérité chrétienne de saint Ambroise, que leur luxe scandalisait[112], ni devant la verve railleuse du poète chrétien Prudence[113]. Théodose, vainqueur d'Arbogast, dispersa le collège des prêtresses de la plus ancienne Déesse des Romains. Le Cycle romain était fermé. L'invasion d'Alaric approchait, au moment où s'éteignait pour toujours le feu sacré de Vesta, autour duquel s'étaient formées, sous les rois, les tribus des Rhamnes, des Tities et des Luceres, et les trois premières centuries des chevaliers romains.

 

 

 



[1] Beaufort, La République romaine, II, 2, La Haye, 1766.

[2] Lebeau, Mém. de l'Académie des Inscriptions et belles lettres, 1761, t. XXVIII. Le travail de Beaufort était antérieur à celui de Lebeau, et avait obtenu un prix de l'académie des Inscriptions, en 1753.

[3] De republica, II, 20. Institutes de Gaïus, IV, 27.

[4] Tite-Live, I, 36. Disc. de Caton sur les æra equestria, dans Priscien. V. sur ces deux passages notre volume Ier, p. 383 et 388. M. Mommsen, Hist. romaine, trad. Alexandre, t. IV, p. 69-52, renouvelle cette confusion. Les tenues equo publico ont été à Rome un titre réel ; ceux d'equo privato sont une désignation moderne, exprimant une qualité négative, c'est-à-dire l'absence de la qualité que représentent les mots equo publico. C'est ainsi que chez nous on pourrait distinguer les officiers et les soldats, en décorés et non décorés, quoique personne ne prenne ce dernier titre.

[5] Tite-Live, IX, 38, XXI, 59, XXIV, 18, et XXX, 18, an 203 av. J.-C.

[6] Val. Maxime, II, 6, n° 8. Cf. II, 2, n° 9.

[7] Val. Maxime, IX, 2, externi n° 4.

[8] Liv. II, 9, n° 7.

[9] Excepté quand ces auteurs font un contresens sur l'histoire du passé, mais l'idée qu'ils expriment, vraie ou fausse, est toujours la même.

[10] V. Volume Ier, liv. Ier, ch. 1-4 ; II, ch. 2, et ch. 4, § 4, n° 2 et 3.

[11] Cicéron, de rep., II, 20.

[12] Naudet, De la noblesse et des récompenses d'honneur chez les Romains, p. 32.

[13] Vol. Ier, liv. Ier, ch. 1 et 2, et ch. 3, § 2.

[14] Cicéron, de rep., IV, 2. Cf. Chevaliers romains, vol. Ier, liv. II, ch. 2, § 2. Cf. Aulu-Gelle, III, 4.

[15] Horace, Art poétique, v. 341.

[16] Q. Cicéron, de petitione consulatus, 8.

[17] Cicéron, pro Murena, 26 et 35. Ce discours a été prononcé par Cicéron, consul, à peu près deux ans après que Q. Cicéron eût composé son traité sur la demande du consulat.

[18] Corn. Nepos, vie d'Atticus, 8.

[19] Cicéron, Philippique, VI, 5.

[20] Cicéron, Philippique, VII, 6.

[21] Cicéron, Ad. fam., liv. XI, ep. 16, Cf. Post red. in sen. or., 5.

[22] Denys, VI, 13.

[23] Vol. Ier, liv. Ier, ch. 2, § 2, et § 3, conclusions.

[24] Dion Cassius, XLIII, 47.

[25] Suétone, Tibère, 41.

[26] Tacite, Annales, III, 30.

[27] Cf. Ovide, Tristes, II, 541.

[28] Plutarque, Crassus, 13.

[29] Suétone, Vie d'Auguste, 37, 38, 39. Cf. Ovide, Tristes, II, v. 541.

[30] Tacite, Annales, II, 32.

[31] V. t. Ier, Ier, ch. 2, § IV.

[32] Stace, Sylves, l. V, carmen 2, v. 12, dit au fils d'un lieutenant de Corbillon :

Non sanguine eretus

Turmali, trabeaque Remi, nec paupere claro.

Augustam sedem et Latii penetrate senatus

Advenu pulsasti.

Stace flatte ici le laticlave au dépens des turmæ.

Ibid., liv. IV, carmen 5. Il dit à Septimius de Leptis, grand-père de l'empereur Sévère, qui était chevalier equo publico, et portait l'angusticlave :

Contentas areto lumine purpuræ

Cerscis . . . . . . . . . .

. . . Sunt Urbe, romanisque turmis

qui Libyam decorant alamni.

[33] Pline, H. N., IX, 60.

[34] Dion Cassius, XLIX, 16.

[35] Suétone, vie d'Auguste, 38.

[36] Dion Cassius, LV, 2.

[37] Dion Cassius, LV, 13.

[38] Dion Cassius, LVI, 42.

[39] Hérodien, IV, 2, an 211 ap. J.-C.

[40] Dion Cassius, LIX, 2. LXI, 9. XXIII, 13.

[41] De la noblesse chez les Romains, p. 82-83.

[42] Annales, IV, 58 et 68. XI, 4.

[43] Annales, II, 59.

[44] Suétone, Tibère, 35.

[45] Monument d'Ancyre, 3e colonne, Cf. trad. par M. G. Perrot, n° 14. Equites autem romani universi principem javentatis utrumque eorum parmis et hastis argenteis donatum appellaverunt. Universi equites, comme l'expression d'Hérodien, IV, 2, toute la chevalerie, veut dire : les deux catégories de chevaliers, ceux du sénat, comme ceux des six turmæ.

[46] Tacite, Annales, I, 3.

[47] Zonaras, X, 35.

[48] Dion Cassius, LIV, 18 et LV, 12.

[49] Ovide, ex Ponto, II, 5, v. 11.

[50] Suétone, Caligula, 15. Dion Cassius, LIX, 8.

[51] Orelli, t. 1er, p. 181, n° 743. Cf. Eckhel, de doctr. nummorum veterum, p. 375. Le prince qui recevait la puissance tribunicienne, était désormais, non plus héritier de l'empire, mais empereur.

[52] Dion Cassius, LXXI, 35. Orelli, Inscr., t. 1er, p. 210, n° 930.

[53] Lampride, Hist. auguste, Commode, I, 2. Commodus inter trossulos princeps juventutis cooptatas quum togam sumpsit. C'est là le texte rectifié par une conjecture de Saumaise, adoptée par Casaubon et par Juste-Lipse. Les plus vieilles éditions et la principale, celle d'Henri Estienne, 1588, t. III, p. 867, portent inter tres solos principes juventutis, ce qui ne peut avoir de sens.

[54] Eckhel, de doctr. nummorum veterum, VIII, p. 376-378.

[55] Orelli, Inscr., I, p. 217, n° 942.

[56] Orelli, Inscr., I, p. 225, n° 995.

[57] Orelli, Inscr., I, p. 221, n° 965.

[58] Orelli, I, p. 233, n° 1045.

[59] Zonaras, X, 35.

[60] Dion Cassius LXXI, 35. Orelli, Inscr., n° 930.

[61] Le titre de sevir turmæ est souvent donné à un ancien préfet des féries latines. Orelli, Inscr., n° 3045 et 2761, ou à celui qui devenait prêtre de Rome et d'Auguste ou Curion (Ibid., n° 731-732).

[62] Orelli, Inscr., I, p. 90, n° 133 et p. 414, n° 2379.

[63] Orelli, Inscr., I, p. 386, n° 2258.

[64] Orelli, Inscr., n° 3046.

[65] Orelli, Inscr., n° 2379. Un sévir s'intitule vigintivir des monnaies, parce que le triumvirat monétaire faisait partie du vigintivirat. Ibid., n° 2761.

[66] Orelli, Inscr., n° 3045.

[67] Orelli, Inscr., 3044.

[68] Orelli, Inscr., n° 731-732.

[69] Les inscriptions mentionnent des sévirs du 1er, du 2e et du 5e escadron des chevaliers equo publico. Orelli, n° 2379, 3045, 3046. Gruter, p. 393,6 et. p. 1093,7.

[70] Dion Cassius, LVII, 12 ; LIX, 11 ; LX, 7 ; LXVII, 9 ; Martial, VIII, 50.

[71] Stace, Silves, IV, 2, v. 32.

[72] Dion Cassius, LV, 2 ; LVI, 42 ; LIX, 11 ; LXXIV, 5 : Suétone, V. d'Octave, 100, Caligula, 15.

[73] Suétone, Octave, 57.

[74] Dion Cassius, LI, 20, et LVIII, 4.

[75] Suétone, Caligula, 16 ; Cf. Dion. LIX, 9.

[76] Suétone, Claude, 16.

[77] Dion Cassius, LXIII, 13. C'est dans ce passage que le mot τέλος est appliqué aux chevaliers soumis à la recognitio. Ce qui prouve qu'il désigne les six turmæ.

[78] Suétone, Vespasien, 9.

[79] Adrien suivit le conseil que Dion LII, 19, suppose donné à Auguste.

[80] Orelli, Inscr., 3055.

[81] Orelli, Inscr., 3052.

[82] La bureaucratie commence avec Adrien. Il invente les scrinia.

[83] Dosithée, Sentences d'Adrien, 6.

[84] Capitolin, Vie d'Antonin, 4.

[85] Orelli, Inscr., 3053.

[86] Orelli, Inscr., 134.

[87] Orelli, Inscr., 1229.

[88] Orelli, Inscr., 3040.

[89] Guill. Henzen, 3e vol. de la coll. Orelli, Turin, 1856, IV, n° 3275.

[90] Gaïus, Digeste, 21, 1 : De Donatione inter virum et uxorem, § 24. Ulpien, 7, 1, sur la même loi.

[91] Fabretti, Inscr., p. 598, n° 9.

[92] Hérodien, trad. de Léon Halévy.

[93] Hérodien, V, 7.

[94] Lampride, Vie d'Alexandre Sévère, 19.

[95] Voir les monnaies de Dioclétien.

[96] Naudet, De la noblesse chez les Romains, 98-100.

[97] Cod. Théodosien, XIII, 5, 16. Cf. Orelli, fasc., 4020.

[98] V. plus haut, milices équestres ; Cf. Cod. Théod., VI, 36. Les chevaliers sont exemptés de la torture.

[99] Cod. Théodosien, II, 17.

[100] Cod. Justinien, XII, 32.

[101] Cod. Th., VI, 36, de equestri dignitate.

[102] Cod. Th., XV, 14, 3.

[103] Cod. Th., de eq. dign., 36.

[104] Naudet, De la noblesse chez les Romains, p. 136.

[105] Dion Cassius, LXXVIII, 4.

[106] Hérodien, Héliogabale, V, 7.

[107] Lampride, Alex. Sévère, 15. Cf., ch. 57.

[108] Trebellius Pollio, Gallien, 8.

[109] Vopiscus, Aurélien, 12.

[110] Zosime, II, 29.

[111] Symmaque, lib. X, epist. 54, 287.

[112] St Ambroise, t. II, 828.

[113] Prudence, contre Symmaque, lib. II.