Le bassin de Il y avait alors d'Espagne en Italie deux chemins : le
plus beau était celui de Marseille et de la côte Ligurienne ; mais il était
le plus long. Le plus court s'élevait sur les Alpes par le pays des
Vocontiens ; mais il était le plus difficile : c'est celui que prit Annibal.
Dans ce dessein, il se dirigea vers le nord, en approchant du Rhône qu'il
alla passer à quatre journées de son embouchure, pour dérober sa marche à
Scipion. Puis il remonta pendant quatre marches le fleuve sur sa rive gauche
jusqu'à l'un de ses principaux affluents ; et là, tournant à l'est, il alla
en neuf autres marches franchir les Alpes au col Taurinien, vers les sources
de Annibal arriva dans la plaine de Turin vers la fin de l'automne de l'an 218 avant notre ère, après avoir employé cinq mois et demi dans sa marche, depuis son départ d'Espagne jusqu'à sa descente en Italie : ce qui prouve qu'il citait parti de Sagonte vers le commencement du printemps. Sa marche depuis Sagonte jusqu'au Rhône est facile à
indiquer. Il parait qu'il suivit la côte de Annibal dut passer le Rhône au-dessus de ce confluent,
pour n'avoir pas deux rivières à traverser, et parce que le passage était
plus facile au-dessus qu'au-dessous. Scipion, qui cherchait à l'arrêter dans
sa marche, se porta d'abord au-devant de lui ; mais il paraît qu'il n'osa pas
traverser [Ici manquent les pages 14 et 15] à Il paraît donc vraisemblable qu'Annibal franchit les Alpes au mont Cenis ou au mont Genièvre[3], et qu'il descendit en Italie par le pas de Suze ou par celai de Fenestrelles. Il y a sur des deux routes, et plus particulièrement sur la dernière, plusieurs positions élevées, et entre autres celle du village de Balbotet, d'où l'on découvre les plaines du Pô, qu'Annibal montra à son armée, avant de descendre dans la plaine de Turin. Quoi qu'il en soit, dès que Scipion eut appris qu'Annibal avait franchi les Alpes, il envoya deux de ses légions en Espagne avec son frère Cnœus, et ramena lui-même les deux autres sur sa flotte, en côtoyant le littoral Ligurien depuis Marseille jusqu'à Pise, où il prit deux autres légions nouvellement levées en Étrurie par les préteurs Manlius et Attilius, pour marcher en toute hâte avec ces quatre légions au-devant d'Annibal qui s'avançait de Turin dans le cœur de l'Italie à marches forcées. Scipion franchit sans obstacle les Apennins au-dessus de
Lucques, et descendit dans la vallée du Pô vers Plaisance, colonie romaine.
Là, après avoir rallié à son armée plusieurs corps de cavalerie gauloise, il
passa le fleuve sur un pont de bois, et marcha droit à Annibal qui s'avançait
rapidement en côtoyant le Pô sur sa rive gauche. Les deux armées, de force à
peu près égalé et de 25 à 30 mille hommes chacune, se rencontrèrent vers le
confluent du Tésin. Scipion avait déjà passé la rivière vers Pavie sur un
pont de radeaux, et Annibal battait toute la plaine avec sa cavalerie. Les
deux généraux, en présence l'un de l'autre, se formèrent de suite en bataille[4]. Scipion plaça
sur le front de ses légions sa cavalerie gauloise et sur leurs flancs sa
cavalerie romaine, et Annibal plaça sur le front de son infanterie sa
cavalerie espagnole et sur ses flancs sa cavalerie numide. Les cavaliers des
deux armées en vinrent bientôt aux mains ; mais, pendant que la cavalerie
espagnole escarmouchait avec la cavalerie gauloise, la cavalerie numide
tourna les légions romaines qui, ayant une rivière à dos, ne purent la
repasser sans se rompre, et qui auraient été exterminées dans la plaine à
l'est du Tésin, vers Pavie, si le général romain ne se fût hâté de repasser
le Pô sur te pont de Plaisance, et de te faire couper après son passage.
Quoique dangereusement blessé dans le combat, et abandonné aussitôt après par
la cavalerie gauloise qui avait passé du camp des Romains dans celui des
Carthaginois, Scipion ne quitta pas le commandement de son armée, et alla
prendre position derrière la Trébia[5], en se
rapprochant des Apennins, pour conserver ses communications libres avec le
littoral de La plupart des historiens ont vanté les manœuvres de
Scipion après le combat du Tésin, et il faut avouer que ce général fit une
belle retraite, en se repliant successivement derrière la ligne du Tésin et
derrière celle du Pô et de La position, qu'il prit derrière Ainsi finit la première campagne d'Annibal en Italie, où ce général triompha par son habileté des obstacles de la nature et du courage des Romains ; mais il perdit au passage des Alpes la moitié de son armée, perte qu'il aurait pu éviter, ou du moins diminuer, s'il avait passé les Alpes plus tôt et avant l'automne. Annibal prit ses quartiers d'hiver dans la vallée du Pô, autour de Plaisance, après s'être assuré d'une place d'armes voisine, de celle de Clastidium ou Casteggio[8] ; et le printemps venu, il se disposa à traverser les Apennins pour marcher sur Rome. Deux routes y conduisaient : l’une par Ariminum ou Rimini
et par l'Ombrie, l'autre par Arétium ou Arezzo et par On a reproché à Flaminius d'avoir, mal à propos, quitté
son camp d'Arezzo et marché sur Cortone au-devant d'Annibal. Son tort ne fut
pas d'avoir marché sur Cortone, mais de s'être mis aux trousses d'Annibal,
quand il l'eut atteint, au lieu de le côtoyer on de le devancer dans sa
marche. Si Flaminius, à l'approche d'Annibal, fût resté à Cortone avec son
corps d'armée et qu'il eût détaché en avant une de ses divisions sur Pérouse,
l'armée carthaginoise, après avoir franchi, vers Sienne, le terrain âpre et
montueux qui sépare la vallée de l'Arno de celle de l'Ombrone, n'aurait pas
osé s'engager vers Chiusi dans la vallée de En effet, dès que Servilius, qui avait pris la route de Rimini, eut appris qu'Annibal suivait celle de l’Étrurie et s'avançait vers Arezzo, au-devant de Flaminius, il revint aussitôt sur ses pas, vers Pérouse, à travers les Apennins ; mats comme sa marche était ralentie par les bagages, il détacha en avant Centronius, un de ses lieutenants, avec quatre mille chevaux qui composaient presque toute sa cavalerie. Annibal n'eut pas plus tôt reçu l'avis de la marche de Centronius, qu'il envoya au-devant de lui Maharbal avec tin détachement de cavalerie espagnole et de gens de trait. A la première rencontre qui eut lieu entre les deux détachements, Centronius perdit la moitié de ses cavaliers et se retira avec les autres sur une hauteur où Maharbal les poursuivit et. les fit tous prisonniers : ce qui fit changer de direction à Servilius y qui, n'osant pas, sans cavalerie, déboucher dans la plaine, se tint pendant quelque temps en observation dans les montagnes, entre Pérouse et Spolète, et finit par prendre chasse devant Annibal, au lieu de venir au-devant de lui. La nouvelle de la bataille de Trasimène et celle de la défaite de Centronius arrivèrent à Rome presque en même temps, et y répandirent la consternation, parce qu'Annibal avançait toujours et qu'il n'y avait plus entre Rome et lui aucune armée qui pût l'arrêter dans sa marche. Cependant Annibal qui s'était avancé jusqu'à Spolète, d'où il avait été repoussé, n'osa pas marcher directement sur Rome, comme on s'y attendait : il fit le dégât dans tout le plat pays, occupa les principaux débouchés des Apennins, et traversant l'Ombrie et le Picenum à la poursuite de Servilius qui se retirait en toute hâte, à travers les Apennins, dans l'Apulie, il traversa lui-même ces montagnes et descendit sur le littoral de l'Adriatique à Adria, entre Téramo et Pescara, pour donner du repos à son armée et pour chercher à se mettre en communication par mer avec Carthage, d'où il n'avait reçu aucune nouvelle depuis son départ d'Espagne. Deux routes conduisent de Spolète dans l'ancienne Apulie :
l'une se dirige au nord par Foligno, en remontant Cependant, on a généralement blâmé Annibal de n'avoir pas
marché immédiatement sur Rome, après la bataille de Trasimène, au lieu de se
mettre aux trousses de Servilius ; mais s'il eût marché sur Rome, il eût été
vraisemblablement poursuivi par Servilius, et s'il était allé assiéger cette
capitale, il se serait exposé à être assiégé lui-même dans son camp et à se
trouver compromis entre deux armées. On l'a blâmé encore d'avoir poursuivi
Servilius jusque dans l'Apulie, au lieu de s'être arrêté dans le Picenum,
parce qu'ayant sa base d'opération dans Le sénat romain vit avec peine que Fabius eût laissé
sortir l'armée carthaginoise de Annibal attaque le premier avec l'infanterie espagnole et gauloise qui formait le front du croissant ; mais cette infanterie, trop faible pour soutenir le choc des légions romaines, cède peu à peu le terrain et se replie sur l'infanterie africaine, lorsqu'Annibal fait avancer ses deux corps de réserve, qui sortent de derrière la ligne de bataille, l'un adroite, l'autre à gauche, débordent les légions romaines et tombent sur leurs flancs, restés à découvert par leur mouvement en avant, en même temps que la cavalerie carthaginoise, victorieuse aux deux ailes, les charge en queue. Dès lors cette lourde masse d'infanterie romaine, enveloppée de toutes parts, et prise comme dans une tenaille, ne peut plus manœuvrer en ligne et est rompue en un clin d'œil. Tous les rangs sont confondus et les légionnaires, obligés de se battre par pelotons ou individuellement, sont presque tous tués : 70 mille périrent sur le champ de bataille, et 10 mille autres, restés à la garde du camp, furent faits prisonniers. Varron fut le seul des généraux romains qui se sauva à Vénouse avec les débris de la cavalerie[19]. Servilius et Attilius périrent les armes à la main. Æmilius ayant d'abord été blessé et jeté par terre, le jeune Lentulus vint lui offrir son cheval, en le conjurant de se sauver. Non, lui dit-il, sauve-toi toi-même, et va dire à Fabius que j'ai été vaincu par mon collègue Varron, avant de l'avoir été par Annibal ; et s'élançant au milieu des légions, pour les encourager à combattre jusqu'à la mort, il fut tué lui-même près d'un puits que l'on montre encore non loin des ruines de Cannes et qui, d'après la tradition du pays, lui servit de tombeau[20]. L'armée carthaginoise ne perdit dans cette bataille que six mille hommes, 4 mille Gaulois et 2 mille Espagnols ou Africains. Annibal dut la victoire de Cannes à sa cavalerie et prouva, par un exemple éclatant, qu'une armée inférieure en nombre peut vaincre une armée plus forte, quand elle lui est supérieure en cavalerie. En général, quand on n'a pas une armée égale à celle de l'ennemi, il faut avoir une arme plus forte que lui pour suppléer par la supériorité de cette arme à l'infériorité des autres : c'est ainsi que plusieurs généraux de notre temps ont suppléé par la supériorité de leur artillerie à la faiblesse de leur infanterie. Tous les écrivains, anciens et modernes, qui ont écrit sur l'art militaire, ont vanté les manœuvres d'Annibal à la bataille de Cannes, comme ils ont vanté celles d'Alexandre à la bataille d'Arbèles. Ces manœuvres décèlent assurément un habile général ; mais elles n'eurent tant de succès, que parce que l'armée romaine était encore alors peu manœuvrière. Ce fut dans cette guerre qu'elle apprit l'art militaire à ses dépens, comme l'armée russe l'apprit depuis aux siens dans la guerre contre Charles XII. Les manœuvres que fit Annibal, ces ordres de bataille, tour à tour convexes et concaves qu'il adopta, n'ont au fond qu'une bonté relative, et présentent presque toujours autant d'inconvénients que d'avantages. L'ordre convexe est bon, lorsque l'ennemi se porte sur votre centre qui plie à propos, en cédant le terrain, parce qu'alors l'ennemi se trouve enveloppé par vos ailes ; mais si vous prenez cet ordre avant la bataille, et que l'ennemi, au lieu de se jeter sur votre centre, tombe sur vos ailes, alors ces ailes attaquées à leurs extrémités sont exposées, et vous vous trouvez dans la même situation, que si vous étiez attaqué sur vos flancs. L'ordre convexe est avantageux, après le passage d'un fleuve, lorsqu'on est forcé de refuser ses ailes pour s'appuyer au fleuve et couvrir les ponts sur lesquels on a passé ; mais si l'ennemi dirigeait alors tous ses efforts sur le saillant de votre centre, ou qu'il concentrât toutes ses attaques sur une de vos ailes, alors le centre ou l'aile attaquée pourrait être refoulée dans le fleuve. On ne peut donc adopter ces ordres divers qu'avec précaution et devant des armées peu manœuvrières, comme l'étaient encore alors les armées romaines. Il vaut mieux en général adopter l'ordre oblique ou parallèle avec une oblique sur une aile, parce qu'il vous offre l'avantage de porter vos principales forces sur un seul point de la ligne ennemie, et qu'en refusant votre aile la plus faible, vous vous en servez comme de réserve pour tenir en respect l'aile opposée de l'ennemi. Annibal ne dut donc ses victoires, et surtout celle de Cannes, qu'à l'ignorance des Romains, qui n'étaient pas encore devenus maîtres dans l'art de la guerre, comme ils le devinrent depuis. La bataille de Dès qu'on eut appris à Rome la défaite de Cannes, la consternation y fut plus grande encore qu'après la bataille de Trasimène ; mais le sénat ne désespéra pas du salut de la patrie et remercia même Varron de n'en avoir pas désespéré, en survivant à sa défaite : puis il leva une nouvelle armée de quatre légions romaines et de quatre légions alliées, qui égalait à peu près celle d'Annibal, réduite alors à 44 mille hommes, et il nomma pour la commander un dictateur dans la personne de Marcus Junius, qui choisit pour général de la cavalerie Tibérius Sempronius Gracchus. Lé dictateur eut ordre de ne plus combattre l'armée carthaginoise en bataille rangée, mais de se borner à lui faire la petite guerre, à l'exemple de Fabius, son prédécesseur. C'est ce genre de guerre qui avait fait déjà tant de mal à Annibal et qui finit par le ruiner. Le génie des plus grands hommes,
dit à ce sujet un écrivain judicieux[21], est toujours borné, et souvent un habile général ne doit
ses succès qu'à l'emploi de deux ou trois idées neuves, eu rapport avec les
circonstances ; mais lorsqu'il fait trop longtemps la guerre aux mêmes
ennemis, ces ennemis finissent par le deviner, et ils trouvent enfin des
moyens de défense proportionnés à son genre d'attaque. C'est ce qui arriva à
Annibal. A son entrée en Italie, il trouva les généraux romains habitués à
combattre sans art, dédaignant les manœuvres, et même ne sachant pas
développer leurs troupes sur un assez grand front, pour profiter de leur
nombre et de leurs armes. Ces défauts n'échappèrent pas à l'œil pénétrant
d'Annibal, qui adopta aussitôt un système de guerre calculé pour en tirer
parti : ce fut de harceler sans cesse les Romains dans leurs marches avec des
troupes légères, pour leur faire désirer une action générale, de s'étendre et
de se déployer plus qu'eux, afin de les tourner et de les envelopper. Mais
lorsque les Romains, rudement châtiés par trois grandes défaites, se furent
corrigés à l'école du malheur, Annibal, qui avait épuisé sa science, n'obtint
plus les mêmes succès. Ce général sentit alors qu'il ne pourrait pas se soutenir en Italie, s'il n'occupait quelque place importante, qui pût lui servir de point de communication avec Carthage ; et après avoir inutilement essayé d'enlever Naples, il se jeta sur Capoue qui lui fut livrée par la trahison de Pacuvius, et où il prit ses quartiers d'hiver, en plaçant son armée derrière le Volturne, sa droite à Bénévent, sa gauche à l'embouchure du fleuve et son centre à Capoue. C'est la meilleure position que l'on puisse prendre pour couvrir l'Italie inférieure, et, si on veut concentrer cette position, on peut la resserrer entre Capoue et Caserte ; mais Capoue, qui en est comme le pivot, ayant été quelque temps après assiégée par les Romains, pendant qu'Annibal s'en était éloigné, ce général accourut à son secours, et, pour en faire lever le siège, il marcha inopinément sur Rome, passa d'abord le Volturne, puis le Liris, et côtoyant le pied des montagnes du Latium, il alla camper sur l'Anio, à quarante stades de la capitale, en poussant des reconnaissances jusqu'au temple d'Hercule, devant la porte Colline. Les Romains furent d'abord effrayés de cette marche inattendue ; mais revenus bientôt après de leur frayeur, ils sortirent eux-mêmes en armes de la ville et vinrent camper à dix stades du camp carthaginois : ce qui détermina Annibal à quitter le territoire de Rome, et même à abandonner Capoue qui se rendit aux Romains. De la diversion d'Annibal sur Rome et de la reddition de
Capoue datent les revers des Carthaginois et les succès des Romains ; mais ce
ne fut pas, comme on l'a cru sur la foi de Tite-Live, parce que l'armée
carthaginoise avait été amollie par un long repos et par les délices de La perte de Capoue ayant obligé Annibal d'abandonner De toutes les places qu'Annibal occupa dans l'Italie
inférieure, la plus importante, après Capoue qui lui assurait ses
subsistances, était Tarente qui lui ouvrait des communications faciles avec Le jeune Scipion, fils de Publius, fut chargé de cette expédition. Parmi les généraux romains, il avait compris un des premiers que l'on ne pourrait jamais relancer Annibal dans le Bruttium, où il était tout à la fois défendu par les montagnes et par la mer, et qu'au lieu d'aller attaquer le lion dans sa tanière, il fallait l'attirer sur la plage nue et dans les déserts de l'Afrique. Mais Scipion était encore trop jeune pour être nommé consul. Cependant au souvenir des services et du dévouement de son père, le peuple le nomma par acclamation ; et comme on lui reprochait sa jeunesse, Si le peuple le veut, répondit-il, j'aurai l'âge prescrit ! C'était, dit un historien moderne[24], un de ces
hommes héroïques, nés pour la gloire et la grandeur de leur pays. Rien en lui
de la vieille austérité romaine : un génie grec plutôt, et quelque chose
d'Alexandre. On lui reprochait la facilité de ses mœurs ; et dans une ville
qui commençait à goûter les arts de Il avait commencé l'apprentissage des armes en Espagne
sous Publius son père, et l'avait achevé en Italie sous les meilleurs
généraux. Dès qu'il eut été nommé consul, il demanda le commandement de Le vieux Fabius et d'autres sénateurs, qu'effrayait encore
l'ombre d'Annibal, et qui croyaient lavoir toujours errer autour des murs de
Rome, s'opposant à cette expédition, Scipion en fit lui-même les apprêts ; et
l'enthousiasme des Italiens, jaloux de voir enfin leur pays affranchi de
l'armée carthaginoise, suppléa à la mauvaise volonté du sénat. Gères lui
promit le blé nécessaire : Populonie, le fer : Arétium, les armes. Pérouse et
Clusium, le bois propre à la construction de la flotte : Tarquinie, la toile
à voiles et les cordages : Volaterre, la poix et le goudron. L'Ombrie, le
Picenum, le Samnium, l'Apulie, Avec ces secours, Scipion organisa en Sicile une armée de trois légions romaines et de trois légions alliées ou d'environ 30 mille hommes de pied et de 2.700 chevaux ; et partant du port de Lilybée avec une flotte de 40 galères et de quatre cents vaisseaux de transport, il alla descendre sur la côte d'Afrique au cap Beau, entre Carthage et Utique. Syphax et Massinissa, rois de Numidie, tour à tour alliés et ennemis de Carthage, se faisaient la guerre entre eux : Scipion rechercha leur alliance, et obtint celle de Massinissa ; mais Syphax, qui avait épousé la belle Sophonisbe, fille d'Asdrubal, penchait pour les Carthaginois. Scipion attaqua son camp à l'improviste, le força et brûla en une nuit toute son armée, campée sous des huttes de feuillage et de roseaux. Alors Massinissa entra dans la capitale de son rival, demeurée sans défense, et y enleva Sophonisbe, qu'il aimait depuis longtemps et qu'il promit d'épouser ; mais Scipion ayant réclamé la belle captive, comme une portion du butin, Massinissa, qui ne voulait pas la livrer vivante aux Romains, lui présenta une coupe de poison, qu'elle accepta comme un présent de noces, et qu'elle vida tout d'un trait[26]. Délivré de Syphax et sûr de Massinissa, Scipion alla
investir Carthage, et s'avança jusqu'à Tunis, à 120 stades de cette capitale.
Les Carthaginois se voyant ainsi resserrés autour de leurs murailles,
rappelèrent Annibal de l'Italie. Ce général embarqua son armée, réduite alors
à 30 mille hommes au plus, sur une flotte de transport, dans une rade voisine
de Crotone[27],
tourna Sans rejeter formellement ces conditions, Scipion répondit en peu de mots et avec dignité que ce n'était pas aux vaincus à faire la part des vainqueurs, et qu'il fallait que Carthage se mît à la discrétion de Rome ou que le sort décidât laquelle de Rome ou de Carthage demeurerait la maîtresse de l'univers. Les deux généraux se séparèrent sans rien conclure ; et, dès le lendemain, ils rangèrent dans la plaine de Zama leurs armées en bataille, mais avec tant d'art, dit emphatiquement un auteur ancien, que si Mars eût été présent, il n'eût rien trouvé à reprendre dans la disposition des deux armées. Scipion rangea la sienne, suivant l'usage des Romains, sur trois lignes[28], et plaça à la première les cohortes des hastaires, formées en manipules de douze hommes de front sur dix de hauteur, en laissant entre les cohortes un intervalle égal à leur front ; à la seconde ligne, éloignée de 30 toises de la première, les cohortes des princes ; et à la troisième, éloignée de 60 toises de la seconde, les cohortes des triaires. Mais au lieu de placer les cohortes delà seconde et de la troisième ligne derrière les intervalles de la première et de la seconde, suivant l'usage, il les plaça les unes derrière les autres, pour laisser passer dans les intervalles les éléphants des Carthaginois. Lœlius avec la cavalerie italienne commandait l'aile droite, Massinissa avec la cavalerie numide l'aile gauche, et Scipion se plaça lui-même au centre, à la tête des légions. Annibal se rangea aussi, à l'exemple des Romains, sur trois lignes, sa cavalerie sur les ailes, et sa troisième ligne, composée de ses vieilles bandes d'Italie, à une grande distance des deux autres, pour la tenir en réserve et s'en servir au moment décisif ; et comme il avait plus d'infanterie que les Romains, et surtout plus de cavalerie, il étendit davantage sa première ligne, qui était couverte par ses éléphants, pour chercher à déborder l'armée romaine ; mais dès que Scipion se fut aperçu qu'Annibal manœuvrait pour le tourner, il exécuta lui-même, au milieu de l'action, la manœuvre hardie de faire sortir ses princes et ses triaires de derrière ses hastaires, en faisant marcher les uns par le flanc droit, les autres par le flanc gauche, et en ne formant ainsi de ses trois lignes qu'une ligne unique : mouvement audacieux qui déconcerta le général carthaginois et donna la victoire aux Romains[29]. Scipion ne perdit dans cette bataille que 1.500 légionnaires ; mais les Carthaginois y eurent près de vingt mille hommes lues et presqu'autant de prisonniers. Annibal lui-même eut de la peine à se sauver, et il se retira avec les débris de sa cavalerie à Hadrumète ; d'où il passa sur une barque à Carthage, pour engager le sénat carthaginois à signer la paix sans différer. On dit même qu'un sénateur s'y opposant, parce qu'il en trouvait les conditions trop dures, Annibal le précipita de son siège ; et comme le sénat trouvait ce procédé contraire au respect qui lui était dû, le vieux général s'excusa sur ce qu'étant sorti de Carthage à l'âge de neuf ans et n'y étant rentré qu'après 36 ans d'absence, il espérait qu'on lui pardonnerait son emportement en faveur de son zèle, ajoutant qu'il lui paraissait bien extraordinaire qu'on marchandât la paix, quand on n'avait plus aucun moyen de faire la guerre. La paix fut alors conclue[30], mais à des conditions honteuses pour Carthage, qui fut obligée de livrer sa flotte et de payer un tribut aux Romains. La flotte fut brûlée dans le port, sans que ni le sénat ni le peuple ne proférassent une seule plainte ; mais quand il fallut payer le tribut, le peuple se souleva et les sénateurs se mirent à pleurer comme des enfants : ce qui indigna Annibal. Vous avez supporté, leur dit-il d'un ton sévère, qu'on brûlât vos vaisseaux : la honte publique ne vous a pas arraché un soupir, et aujourd'hui, ajouta-t-il avec un sourire amer, vous pleurez sur votre argent[31]. Rome et Cartilage présentaient alors un aspect bien
différent. Rome, malgré tout le butin qu'elle avait amassé dans ses guerres
contre les autres peuples d'Italie, était encore une ville pauvre, purement
agricole et ne faisant quelque commerce qu'avec Que l'on se représente ici un vieux guerrier, comme Annibal, d'un caractère fier et indomptable, grandi dans la guerre et pour la guerre et en connaissant toutes les ruses et les combinaisons, vainqueur^pendant seize ans en Italie de toutes les armées romaines, et maintenant vaincu tout d'un coup, dans son propre pays et presque sous les murs de Carthage, par un jeune général et par une armée nouvellement levée, qui triompha des vieilles bandes carthaginoises, moins encore par son courage que par ses belles manœuvres, et l'on pourra se faire une idée du dépit d'Annibal et de sa haine profonde contre les Romains. Aussi consacra-t-il le reste de sa vie à leur chercher des ennemis par tout l'univers. Rentré à Carthage, après la paix, avec les débris de son armée, il s'y fit nommer Suffète, et pour mettre sa patrie en état de recommencer la lutte, il entreprit de réformer son gouvernement. Il abattit l'oligarchie du sénat, rendit au peuple les droits qu'on lui avait ravis, étouffa toutes les factions qui se disputaient le pouvoir ; et portant dans les dépenses publiques une main impitoyable, il mit de l'ordre dans les finances, et apprit au peuple que sans de nouveaux impôts il pouvait payer le tribut aux Romains et se préparer des ressources pour l'avenir. Il employa les loisirs de ses vieux soldats à creuser autour de la ville de nouveaux ports et à planter sur la cote d'Afrique ces arbres précieux qui produisent l'olive et qui couvraient la côte opposée de l'Italie : il encouragea l'agriculture et le commerce, ménagea à sa patrie des alliances avec les rois grecs, successeurs d'Alexandre, et la destina à devenir un jour le centre et le lien d'une ligue générale de tous les peuples contre le peuple romain. Ainsi finit l'expédition d'Annibal, qui apprit aux Romains à vaincre, à force d'être vaincus, et qui eut pour eux le même résultat qu'eurent depuis pour les Russes les expéditions de Charles XII et de Napoléon. Ce fut Pyrrhus, élevé à l'école d'Alexandre, qui commença l'éducation militaire des Romains ; et ce fut Annibal, nourri de toute la science des Grecs et le premier tacticien de son temps, qui l'acheva[33]. Mais si Annibal déploya dans la guerre contre les Romains de grands talents militaires, il fit dans la conduite de cette guerre plusieurs fautes qui lui devinrent funestes. Sa marche à travers les Alpes et sa descente dans le Piémont sont des faits d'armes auxquels on ne peut rien comparer, si ce n'est la marche et la descente de Napoléon en Italie : toutefois si le général carthaginois attaqua très-bien l'Italie, il ne sut pas s'y maintenir. Annibal n'avait que deux moyens de se maintenir en Italie
: celui d'occuper, à la tète de la péninsule, la vallée du Pô, en s'y
recrutant de troupes gauloises et en s'ouvrant un port de |
[1] Une armée consulaire était composée de deux légions romaines et de deux légions alliées ou italiques, chacune de 4 à 5 mille fantassins et de 2 à 5 cents cavaliers, ou d'environ neuf dixièmes d'infanterie et d'un dixième de cavalerie.
[2]
Quelques militaires très-instruits, parmi lesquels on pourrait citer un nom
célèbre, croient qu'Annibal passa le Rhône devant Tarascon, sans passer
[3]
Mon opinion, qui est le résultat de mes observations sur les lieux et de la
comparaison des auteurs anciens, est qu'Annibal passa le Rhône vers Avignon,
qu'il le remonta sur sa rive gauche jusqu'à Valence, vers son confluent avec
l'Isère, qu'ensuite il remonta l'Isère sur sa rive gauche jusque vers Grenoble,
puis
[4] Le combat du Tésin dut se livrer entre le village de Travédo et celui de Limido, vis-à-vis Pavie.
[5]
Il paraît qu'il établit son camp entre Plaisance et Niviano, sur la rive droite
de
[6]
Il paraît que la bataille se donna près du village de Casaliggio, sur la rive
gauche de
[7]
Pour avoir une idée de la formation des légions romaines en bataille, on peut
voir ce que j'ai dit dans
[8]
Casteggio, entre
[9]
Ce champ de bataille est facile à reconnaître sur le chemin de Cortone à
Pérouse, au nord du lac de Trasimène. En approchant du lac, on passe un
ruisseau qui descend des montagnes situées au nord, et qui parcourt un vallon
irrégulier d'un mille et demi de long, au sortir duquel on entre dans le défilé
où l’on voit le village de Passignano ; et à un mille et demi plus loin, on
passe un autre ruisseau sorti des montagnes qui sont situées à l’est, et sur
lesquelles on s'élève par une pente douce, quand on va à Pérouse. Il y a
environ trois milles italiens d'un ruisseau à l'autre : c'est à peu près
l'espace que pouvait occuper l'armée romaine en colonnes de marche. Cette armée
était inférieure en nombre à l'armée carthaginoise. La première, composée de
quatre légions, ne devait pas avoir, même avec tous les renforts qu'elle avait
reçus, plus de 30 mille hommes, tandis que la seconde, composée dès la bataille
de
[10]
On concilie ainsi les historiens anciens qui font aller Servilius, les uns
directement en Apulie, et les autres indirectement et en passant par Otricoli,
pour y remettre ses légions à Fabius, qui en rassembla quatre autres à Tibur.
J'ai suivi de préférence Polybe, d'après lequel Fabius n'ôta le commandement à
Servilius que sur les frontières de
[11] Cette armée était composée de deux armées consulaires, de quatre légions chacune ou de 40 mille hommes au moins, sans y comprendre les troupes légères ; tandis que celle d'Annibal, qui n'était à Trasimène que de 40 mille hommes, et qui avait perdu à cette bataille 1.500 hommes, sans avoir reçu depuis aucun renfort, ne pouvait pas excéder en nombre l'armée romaine. Il est vrai que quelques auteurs n'ont compté dans l'armée du dictateur que quatre légions ; mais ils ne comptaient que les quatre légions romaines, sans compter les quatre légions alliées. Il faut, pour se faire une idée juste de la force d'une armée romaine, avoir égard à la composition de cette armée qui était toujours mi-partie romaine et mi-partie alliée. Je l'ai exposé ailleurs.
[12] Le mont Massique, voisin de la mer, est entre Carinnola, Sessa et Téano ; et le mont Ériban ou Gallican est sur la rive droite du Volturne entre Calvi et Cajazzo.
[13] Il paraît qu'Annibal sortit de l'Apulie par Bénévent, qu'il y rentra par Bovianum ou Bojano, et que l'armée romaine le suivit en le côtoyant, à moins qu'on n'aime mieux croire que l'armée romaine sortit de l'Apulie par Bojano, et qu'elle y rentra par Bénévent : ce qu'on peut également inférer du texte de Polybe.
[14] Gério était à l'ouest de Manfrédonia et au nord de Lucéra, près du village de Dragonara, sur le Frento.
[15] Polybe ne compte ordinairement que deux légions dans chaque armée consulaire ; mais il n'y comprend pas les deux légions alliées, ou il les comprend parmi les troupes auxiliaires. La légion alliée avait le même nombre de fantassins que la légion romaine ; mais elle avait trois fois plus de cavaliers, en sorte que lorsqu'il y avait dans la légion romaine 200 cavaliers, il y en avait 600 dans la légion alliée, et 900 quand il y en avait 300 dans la légion romaine. Dans cette campagne les légions romaines furent portées à 5.000 fantassins et à 300 cavaliers, au lieu de 4000 fantassins et 200 cavaliers qu'elles avaient dans les campagnes précédentes. Voy. Polybe liv. III, chap. 23.
[16] La marche d'Annibal de Turin à Plaisance, en côtoyant le Pô sur sa rive gauche, de Plaisance à Lucques à travers les Apennins, de Lucques à Florence en remontant la rive droite de l'Arno jusqu'à Fiésole, de Florence par Sienne à Pérouse, à travers le val de Chiana, et de Pérouse par Foligno à Spolète, est facile à suivre ; mais sa marche de Spolète, à travers les Apennins, à Adria sur le golfe Adriatique, n'est pas facile à débrouiller. Annibal ne put pas trop s'écarter ensuite de la route d'Adria par Chiéti à Lucéra et de Lucéra à Cannes, après avoir fait sa pointe en Campanie, parce que cette route est tracée entre l'Adriatique et les Apennins : en sorte qu'on peut regarder la marche d'Annibal de Turin à Cannes, à quelques variations près, comme certaine ; mais sa marche dans l'Italie inférieure est très-incertaine, et je n'ai pas eu la prétention de l'indiquer. Ainsi, avec une carte sous les yeux, on peut suivre Annibal dans sa marche depuis Sagonte jusqu'à Cannes, en suivant la route de Valence par Tortose et Tarragone à Perpignan, de Perpignan par Narbonne, Montpellier et Nîmes à Roquemaure, au-dessus d'Avignon, de Roquemaure, où elle coupe le Rhône, par Orange et Montélimar à Valence, de Valence par le pont de Royans à Grenoble, de Grenoble à Briançon à travers le mont Lautaret, de Briançon à Turin à travers le mont Genèvre, de Turin à Plaisance en côtoyant la rive gauche du Pô, de Plaisance à Lucques à travers les Apennins, de Lucques à Fiésole près de Florence, en remontant la rive droite de l'Arno, de Florence par Sienne à Pérouse, de Pérouse à Foligno, et après la pointe sur Spolète, de Foligno, à travers les Apennins, par Ascoli ou Teramo à Adria ; enfin d'Adria par Lucéra à Cannes, en suivant le littoral de l'Adriatique.
[17] Quelques écrivains, et entre autres le général Frédéric Guillaume, pour ne pas faire tourner à l'armée romaine le dos à la mer, et pour ne pas la séparer de ses communications avec Canose, lui font donner la bataille sur la rive gauche de l'Ofanto, vers le village de San Cassano, contre le texte de Polybe, et même contre la tradition des gens du pays, qui montrent encore aux voyageurs le lieu où périt le consul Æmilius, près d'un puits voisin des ruines de Cannes. Les vieilles armures, que l’on déterre encore tous les jours près de ces ruines, ôtent toute vraisemblance à cette opinion : on ne peut pas même l'appuyer sur le texte de Tite-Live, qui dit qu'Annibal assit son camp près de Cannes, et que les Romains occupèrent la partie inférieure de la plaine, ayant le vent du midi ou le Volturne en face.
[18] Il paraît que les généraux des deux armées dérogèrent dans cette bataille aux usages de leur pays, et qu'Annibal rangea ses troupes seulement sur dix hommes de hauteur, au lieu de les ranger sur seize, à la manière des Grecs, tandis que les généraux romains, au lieu de ranger leurs manipules sur seize hommes de front et sur dix de hauteur, les rangèrent sur seize de hauteur et sur dix de front, et qu'ils mirent moins d'intervalle entre les légions : c'est ce que l’on peut conjecturer du récit de Polybe et de celui de Tite-Live.
[19] Presque tous les cavaliers légionnaires furent tués dans cette bataille, parce qu'ils ne suivirent pas leur usage ordinaire de charger en caracolant, et de revenir ensuite à la charge par une double conversion. La plupart d'entre eux restèrent où le choc les avait placés, et mirent pied à terre pour combattre avec plus d'avantage : ce qui fit dire à Annibal, lorsqu'on vint le lui rapporter, qu'il les aimait autant ainsi démontés, que si on les lui avait livrés pieds et poings liés. On sait que les cavaliers légionnaires ou chevaliers romains avaient pour marque distinctive un anneau d'or, et on rapporte qu'Annibal fit ramasser sur le champ de bataille plusieurs boisseaux de ces anneaux : tant fut grande la perte de la cavalerie romaine.
[20] Tite-Live différant de Polybe sur plusieurs circonstances de cette bataille, j'ai suivi de préférence ce dernier. Il paraît que l'historien latin n'écrivait le plus souvent que sur des traditions, quand il abandonnait l'historien grec ; et de là la cause la plus ordinaire de ses méprises.
[21] Le général Rogniat dans ses Considérations sur l'Art de la guerre, in-8°, p. 603.
[22]
Il paraît que cette bataille se donna entre
[23] Quid debeas, ô Roma, Neronibus, — testis flumen Metaurum, et Asdrubal — derictus etc. Horace, l. 4, od. 4. Néron fit en six jours la route de Canose à Fano, qui est de 270 milles italiens. Il fit donc près de 45 milles par jour : ce qui prouve que ses troupes furent transportées sur des chariots.
[24] M. Michelet dans son Histoire Romaine, liv. II, chap. 5, t. 2 : ouvrage enrichi d'idées neuves et où les principaux traits de l'histoire romaine sont habilement mis en relief.
[25] Voy. ibid. Histoire Romaine de M. Michelet.
[26] Voy. ibid. Histoire Romaine de M. Michelet.
[27] Annibal s'embarqua en un lieu nommé maintenant li Castelli et autrefois Castra Annibalis, au sud de Crotone et près du promontoire Japigium, entre le golfe de Tarente et relui de Squilace.
[28] Voyez la formation des armées romaines et leur manière de combattre, dans ma Théorie des Gouvernements, liv. V, ch. 7, 1823, imprimerie de Firmin Didot.
Dans l'origine la centurie était composée de dix décuries ou de cent hommes, et elle était formée sur dix hommes de hauteur et sur dix de front : en sorte quelle avait autant de rangs que de files, et quelle formait un carré plein ; mais quand la centurie eut été réduite à 60 hommes, et que l’on eut accouplé deux centuries pour en former un manipule, on rangea le manipule sur dix hommes de hauteur et sur douze de front. La formation sur dix rangs était le fondement de l'ordonnance romaine ; mais les généraux y dérogeaient quelquefois, en donnant au manipule seize hommes de hauteur, quand ils voulaient faire combattre la légion en phalange. Il faut connaître ces différentes formations, pour avoir une idée juste de la manière de combattre des Romains.
[29] Dans cette bataille, il y eut deux combats successifs. Dans le premier combat, la première et la seconde ligne carthaginoise furent enfoncées par les légions romaines, combattant en phalange, les princes derrière les hastaires et les triaires derrière les princes ; mais dans le second combat, où il fallut attaquer la troisième ligne carthaginoise, qui formait la réserve d'Annibal, et qui était composée des vieilles bandes d'Italie, Scipion ne put l'entamer qu'en la débordant ou eu portant les princes et les triaires sur le même front que les à as ta ires et eu étendant ce front ; et alors, pendant que les légions romaines attaquaient de front et de flanc les vieilles bandes d'Annibal, la cavalerie de Lœlius et celle de Massinissa, victorieuses aux deux ailes, les prirent en queue. Cette manœuvre décida la victoire : c'est une des plus belles qui aient été faites dans les armées romaines jusqu'au temps de Scipion, où l’on commençait à imiter la savante tactique des Grecs. Jusque-là les Romains avaient su très-bien combattre en ligne, mais ils n'avaient pas su se déployer. Scipion est le premier général romain qui ait donné à Zama l'exemple de ces beaux déploiements, en faisant d'abord marcher les princes à la queue des hastaires et les triaires à la queue des princes, ou en combattant en colonne, et ensuite en portant par une marche de flanc les princes et les triaires sur le même front que les hastaires, ou en combattant en ligne, pour déborder ou du moins pour égaler le front de l'ennemi. Scipion adopta tour à tour à Zama ces deux ordres de bataille, dans le premier combat l'ordre profond, et dans le second l'ordre étendu. C'est ce changement de dispositions, au milieu de l'action, qui déconcerta Annibal, et qui fit a Scipion cette réputation militaire que n'éclipsa pas même depuis celle de César. Voy. Polybe, lib. V, cap. I. Folard ne s'était pas fait une idée juste de ces manœuvres ; et voilà pourquoi, dans son lourd commentaire sur Polybe, il n'a pas bien su les expliquer.
[30] Par cette paix, les Carthaginois furent traités sans pitié, parce que dans les négociations on avait été indigné de leur mauvaise foi, passée depuis en proverbe sous le nom de foi punique. Rome avait l'habitude de traiter les vaincus avec plus de générosité, tant pour sa propre dignité que pour ne pas paraître insensible aux malheurs de la condition humaine, et pour éviter de s'attirer ainsi la haine des autres nations.
[31] Voy. l'Histoire romaine de M. Michelet, au chap. 5, déjà cité.
[32] Voy. ibid. Histoire romaine de M. Michelet.
[33] Les Carthaginois n'eurent aucun système de tactique jusqu'au temps du Lacédémonien Xanthippe, un de leurs meilleurs généraux, et ils adoptèrent ensuite la tactique grecque que le père d'Annibal et surtout Annibal lui-même approprièrent au génie africain.