LOUIS XVII, SA VIE, SON AGONIE, SA MORT

CAPTIVITÉ DE LA FAMILLE ROYALE AU TEMPLE

TOME SECOND

 

LIVRE VINGT ET UNIÈME. — DÉMOLITION DE LA TOUR DU TEMPLE.

 

 

Le Temple après le départ de Marie-Thérèse. — Le public admis an Temple. — Inscriptions, blasphèmes, prières. — Le gouvernement révolutionnaire veut vendre le Temple. — Arrêté du premier Consul pour en maintenir la propriété à l'État. La démolition de la tour du Temple est résolue. — Pèlerinages au Temple. Décret de l'Empereur qui affecte le palais du Temple comme habitation au ministre des cultes. — La Restauration établit au Temple un couvent. — Conclusion.

 

Après avoir achevé le récit de la captivité du Temple, il nous reste, pour fermer cette histoire, à redire la fin du Temple lui-même, lieu consacré comme ces amphithéâtres antiques où le sang des martyrs avait coulé. Le grand sacrifice qui s'y était accompli avait appelé l'intérêt 'sur cette sombre demeure ; la prison était devenue un sanctuaire ; si la mort et l'exil l'avaient rendue vide, elle était remplie par les souvenirs de ceux qui l'avaient habitée. Les hautes vertus sont comme ces baumes pénétrants qui laissent leur parfum dans les vases qui les ont contenus.

Quelques personnes parvinrent, peu de temps après le départ de Marie-Thérèse, à visiter la tour du Temple. Des yeux avides recherchaient les traces que les prisonniers pouvaient y avoir laissées de leur passage.

Dans l'appartement de Louis XVI apparaissaient plusieurs inscriptions, mais aucune n’avait été tracée par sa main ; dans celui des Princesses, rien de la main de la Reine, sinon un memento maternel que nous transcrirons plus bas ; rien de la main de Madame Élisabeth. Ces trois martyrs, trouvant encore quelques cœurs pour s'épancher, n'avaient point dit leurs émotions à la nature froide et inanimée. Marie-Thérèse et son frère, condamnés à la solitude, avaient cherché à rendre les murs de leur prison confidents de leurs intimes pensées. Dans la chambre du Dauphin, la main de l'enfant avait laissé deux souvenirs, une fleur dessinée sur la boiserie, vers l'encoignure où avait été le poêle, et plus loin, sur un autre panneau, ces mots tracés avec un crayon ou un charbon mal taillé :

MAMAN, JE VOUS PR

Le moyen ou la force lui avaient-ils manqué pour compléter sa phrase ? La main brutale de Simon l'avait-elle interrompu ?

Quant à sa sœur, plus d'une pensée écrite par elle se trouvait dans ces lieux déserts. Sur le papier de l'antichambre, qui représentait, comme nous l'avons dit, des pierres disposées les unes sur les autres et figurées par des carrés grossièrement ombrés, on trouvait les inscriptions suivantes gravées avec une pointe d'aiguille ou des ciseaux :

Marie-Thérèse-Charlotte est la plus

malheureuse personne du monde.

Elle ne peut obtenir de savoir des nouvelles

de sa mère, pas même d'être réunie à elle

quoiqu'elle l'ait demandé mille fois.

Vive ma bonne mère que j'aime bien

et dont je ne peux savoir des nouvelles.

Plus loin on lisait cette phrase, qui avait trait.aux lectures de la jeune Princesse :

Je désire Zaïre, Alzare, Amenaïde.

En pénétrant dans sa chambre, on surprenait les effusions d'une pensée plus intime et plus recueillie. Le conventionnel Rovère rapporte que, prisonnier au Temple peu de temps après le départ de Madame, il parcourait l'appartement qu'elle avait habité, cherchant s'il n'y découvrirait pas quelques traces de son séjour. Il aperçoit deux lignes crayonnées sur la muraille ; il approche et lit :

Ô mon père, veillez sur moi du haut du ciel !

La seconde, tracée plus tard et un peu au-dessous de la première, contient les mots suivants :

Ô mon Dieu, pardonnez à ceux

qui ont fait mourir mes parents !

Rovère était du nombre de ceux-là. En lisant ces mots, il éprouva un frémissement, comme si le doigt de Dieu l'avait touché. Le remords, dit-il lui-même, me poussa hors de l'appartement.

Une inscription qu'on rencontrait au Temple vous saisissait par sa simplicité même. Dans l'embrasure de sa chambre à coucher, la Reine avait écrit au crayon :

27 mars 1793, quatre pieds, dix pouces, trois lignes.

Et plus bas :

Trois pieds, deux pouces.

C'était la taille de ses enfants. Elle ne devait pas les voir grandir.

Voici maintenant les inscriptions étrangères aux mains de la famille royale qu'on trouvait dans la tour du Temple.

La porte de la chambre du conseil présentait celle-ci :

Liberté, égalité.

La fraternité était absente. Sur le panneau inférieur, un portrait grotesque, qu'on disait être celui de Mathey, la pipe à la bouche, attirait l'attention.

Sur les murailles de l'escalier quelques noms étaient gravés au couteau, à la pointe du sabre ou de la baïonnette.

Dans l'appartement du Roi, qui avait été ensuite, comme nous l'avons dit, celui du Dauphin, indépendamment du mot isolé de Maman, je vous pr...., tracé par une main débile, on trouvait :

Dans l'antichambre, sur la porte de la chambre à coucher, de vieilles injures au crayon noir, parmi lesquelles le mot de tyran s'apercevait légèrement encore, avaient été effacées : mais, par-dessus, revivait, écrit en grosses lettres au crayon rouge, eti d'une main plus récente, ce nom de tyran, que la royale victime avait toujours regardé comme le plus cruel (les outrages, sans doute parce qu'il en était le plus injuste.

LE TIRAN.

Au-dessous de ce mot, le dessin d'une guillotine en fonction, tracée également au crayon rouge, avec cette explication :

Le Tiran crachant dans le sac.

Quelques coups de canif et de couteau avaient lacéré cette image et cette inscription, et ces caractères rouges, emblème de la barbarie révolutionnaire, étaient suivis de cette simple. phrase, emblème de la civilisation chrétienne :

Celui que vous injuriez ici a demandé

grâce pour vous sur son échafaud.

Dans la tourelle attenante à la chambre du Roi, et dernier asile de ses prières, on lisait sur le côté intérieur de la porte :

Sa vertu fut moins brillante,

mais elle fut plus solide que son trône.

Sur le pan de la croisée, à gauche, se trouvait ce quatrain, écrit en lignes verticales :

Quand Desèze à Tronches, à Lamoignon s'unit

Pour prendre de Louis la trop juste défense,

C'est la vertu, la raison et l'esprit,

Qui combattent pour l'innocence.

Dans l'appartement de la Reine, on lisait sur les panneaux de la porte de sa chambre ces lignes, tirées de l'Imitation de Jésus-Christ :

La gloire que le monde donne et reçoit passe en un moment, et elle est toujours suivie de tristesse.

La gloire des bons est dans le fond de leur cœur, et non dans la bouche des hommes.

La joye des justes est de Dieu et en Dieu ; leur joye est dans la vérité.

(Imit., liv. II, chap. VI.)

Dans l'embrasure de la fenêtre où Madame Royale se tenait presque toujours pendant sa captivité solitaire, on découvrait à droite, en regardant de bien près, ces mots :

Madame Veto partant pour la justice ;

puis une femme sur une charrette, et un peu plus loin une guillotine ; mais ces caractères et cette image avaient été presque entièrement effacés par le lavage. En face, un autre petit tableau ; mais de celui-là on ne voyait plus rien absolument, si ce n'était cette inscription, restée rebelle à la peine qu'on avait prise pour la faire disparaitre :

L'Autrichienne à la danse.

Auprès des souillures de ce crayon ignoble resplendissaient en gros caractères, bien lisibles, ces mots :

Mère de douleurs, priez pour nous !

Et plus bas :

Regina martyrum, ora pro nobis !

La chambre qu'avait occupée Madame Élisabeth, du temps que la Reine était encore au Temple, présentait ces deux inscriptions :

Per agoniam et passionem tuam,

Libera nos !

Per mortem et sepulturam tuam,

Libera nos !

Tel était l'aspect qu'offrait alors la tour du Temple, consacrée par la double majesté du malheur et de la vertu : ainsi la prison devenait un sanctuaire, et les cris de la haine cédaient la place aux litanies.

 

Les visites du Temple furent peu de temps tolérées. Bientôt les nouvelles phases de la révolution envoyèrent dans cette prison de nouveaux captifs ; la tyrannie révolutionnaire ne laissait point chômer les geôles. C'est ainsi qu'après le coup d'État du 18 fructidor, les membres des conseils destinés à la déportation passèrent dans cette triste demeure les dernières nuits qui précédèrent leur départ ; plusieurs représentants, qui avaient eu le malheur de voter la mort de Louis XVI, lurent alors sur la muraille la prière que Marie-Thérèse, la dernière habitante de ces lieux, avait écrite pour ceux qui avaient fait périr ses parents. Ils en furent émus : ce pardon que la fille, la sœur et la nièce des martyrs leur laissait pour adieu, était en même temps un avis que Dieu leur envoyait pour les exciter à réfléchir sur eux-mêmes.

Le Temple demeura donc ce que la journée du 10 août l'avait fait, une maison d'arrêt et une caserne. Un peu plus tard on résolut de le mettre en vente. Un souvenir qui ressemblait à un remords poussait le gouvernement révolutionnaire à l'anéantissement de cette prison.

Le temps avait marché. Le Directoire n'existait plus.

Celui que cette histoire a rencontré presque adolescent sur la terrasse des Tuileries, s'indignant à l'aspect de la royauté livrée aux outrages de la populace, celui qu'elle a entrevu jeune homme foudroyant Toulon, et plus tard ébranlant Paris au bruit du canon de vendémiaire, s'était fait homme en jetant de bataille en bataille ce nom prodigieux que tous les grands échos du monde, depuis le Tibre jusqu'aux Pyramides, renvoyaient retentissant de gloire à la France.

Napoléon était assis au faite de la puissance. A son avènement au Consulat, il avait empêché l'aliénation de la maison du Temple, et n'avait pas voulu qu'elle devint une propriété privée[1] ; mais, l'œil ouvert sur le passé et sur l'avenir, l'Empereur repoussait les souvenirs qui humiliaient l'ancienne souveraineté, et il évitait ceux qui gênaient la nouvelle. Cette tour du Temple, témoin de la tyrannie populaire la plus atroce et de l'agonie royale la plus touchante, l'inquiétait doublement. Comment laisser sous l'œil du peuple une prison où le peuple avait tenu un roi captif ? comment offrir aux émotions publiques un monument qui ravivait la pensée de la dynastie ancienne ?

Il fut donc décidé que pas une pierre ne resterait debout de cette sainte tour[2], pas une de ces pierres qui avaient gardé une voix pour se plaindre, lapides clamabunt !

Le Temple redevint solitaire et silencieux. Presque toutes les personnes employées à la surveillance et au service des détenus les avaient suivis à Vincennes. Les autres avaient été congédiées. Les meubles furent disséminés dans les prisons ou dans les hospices, ou rentrèrent au Garde-Meuble. Les appartements furent entièrement dégarnis ; la tour, condamnée à périr, semblait subir elle-même la toilette des criminels promis au bourreau ; ses murailles, mises à nu, n'attendaient plus que le marteau des destructeurs.

Les matériaux à provenir de la démolition furent mis en adjudication. Cette annonce attira au Temple un nombre immense de familles qui, sous prétexte de songer à une acquisition, accomplissaient un pèlerinage.

Le vendredi, 7 octobre 1808, M. Robert Morel, propriétaire, demeurant à Paris, rue Traversière-Saint-Honoré, n° 37, se rendit adjudicataire de la tour du Temple moyennant la somme de 33.100 francs.

Témoin des pieuses sympathies qui amenaient chaque jour une foule de visiteurs dans les appartements qu'avait occupés la famille royale, l'acquéreur avait espéré qu'il trouverait une défaite extrêmement avantageuse de tous les matériaux qui, comme les cheminées, les portes, les chambranles, les lambris, les croisées, etc., pouvaient être conservés en entier et être placés ailleurs.

De plus, il avait pensé qu'une fois maître des lieux, il pourrait lever un tribut facile sar la curiosité publique ; il fit imprimer et vendit des cartes d'entrée à la tour.

Ce trafic dura peu de jours. Instruit de ce qui se passait, le ministre de la police générale lui fit défendre de laisser pénétrer dans la tour qui que ce frit et sous tel prétexte que ce pût être, fût-ce même des dignitaires. Le colonel de la gendarmerie résidant au Temple fut chargé de surveiller l'exécution de cet ordre.

M. Morel s'aperçut alors qu'il s'était trop hâté dans sa double combinaison ; l'interdiction des billets d'admission lui faisait pressentir les nouvelles entraves qui devaient l'arrêter dans ses projets. Il était évident, en effet, que le gouvernement, qui voulait anéantir les souvenirs que retraçait le Temple, ne se prêterait pas à des spéculations qui feraient revivre ces souvenirs.

Le calculateur désappointé se vit trompé dans les brillantes espérances que son entreprise lui avait fait concevoir ; les pierres qu'il avait acquises n'étaient plus que des pierres auxquelles il était défendu d'assigner une valeur morale.

Vers la fin de 1808, les démolitions commencèrent ; la toiture, les charpentes, les portes et cloisons en menuiserie, les voûtes d'arêtes, les croisées, les carreaux et les parquets, furent d'abord enlevés ; ces objets furent provisoirement déposés dans les cours et dans le jardin ; achetés sur place, ils eussent été payés fort cher ; vendus sur le marché, ils n'avaient guère que leur valeur intrinsèque. Mais que faire ? Les ouvriers employés à l'œuvre de destruction étaient les seules personnes qui pussent entrer au Temple ; des marbres de cheminées et quelques décors avaient été vendus à prix d'or par leur entremise ; mais les portes impitoyablement fermées portaient un préjudice énorme à l'entrepreneur[3].

Les documents relatifs à ces faits rendent eux-mêmes témoignage de la pieuse vénération qui s'attacha à la tour du Temple lorsque, pendant les jours qui précédèrent la destruction, le donjon fut ouvert aux visiteurs qui s'y pressèrent en foule.

Nous n'avons pas tout dit à ce sujet. Des pères, des mères, des jeunes gens, entraient dans cette demeure le cœur navré, les veux remplis de larmes ; chacun rappelait les détails de cette longue agonie, de cette royale passion ; chacun expliquait comment arrivèrent au comble les misères de cette race royale.

On disait les injures, les outrages, les violences, les tortures ; on évoquait les bourreaux successifs qui venaient chaque jour, qui épiaient, qui chantaient, qui juraient ; les inquisiteurs qui fouillaient dans les appartements, dans les meubles, dans les poches, dans les paroles, dans les consciences.

On revoyait Louis XVI relevant par la grandeur chrétienne l'humiliation de la grandeur royale ; Marie-Antoinette redressant par la fierté de son âme sa majesté insultée ; et ces deux enfants, leur espérance et leur orgueil, entrés en pleurant dans la carrière du jour, comme dit Euripide ; enfin cette sœur, Élisabeth, touchant modèle d'affection et de dévouement sans bornes !

On montrait la fontaine où avait été traîné le cadavre de madame de Lamballe, la fenêtre où avait apparu la tête sanglante de cette jeune et malheureuse femme, coupable d'être aimée de la Reine. On montrait la tourelle témoin de la dernière prière, la salle de la séparation douloureuse, le lit du dernier sommeil.

On disait : C'est là qu'est mort, vieux de souffrance à dix ans, cet enfant si aimable et si beau, les délices de la France devenues le jouet du savetier Simon !

Ces murailles dont la vie s'était retirée servaient d'enseignement au monde. Comme un chirurgien qui, armé du scalpel, demande à la mort tous les indices qu'elle peut lui transmettre, le visiteur interrogeait ce cadavre de pierre.

On se sentait comme purifié en touchant à ces murailles sacrées, emportant un fragment de cet édifice qui avait recélé tant de vertus et de sacrifices.

Les travaux de démolition ne furent terminés qu'en 1811. A cette époque le palais du Temple fut restauré et modifié pour recevoir le ministère des cultes[4]. La pensée impériale avait cru ne pouvoir placer dans un tel lieu qu'une administration consacrée aux intérêts de la religion. Les événements changèrent la face des choses. Une congrégation religieuse, instituée en 1815 par Louis XVIII, et ayant pour supérieure Louise-Adélaïde de Condé, ancienne abbesse de Remiremont, transforma en couvent le château du Temple. Un saule pleureur, des arbustes, des fleurs, furent plantés sur l'emplacement de la prison de Louis XVI et de sa famille ; une barrière de bois en marqua l'enceinte jusqu'en 1848[5]. Des fleurs et des prières ! telle fut la fin de la tour du Temple

Tous ceux qui ont été enfermés dans cette tour sont morts à cette heure.

La tour elle-même a disparu.

La Princesse qui avait survécu dans cette prison à son père, à sa mère, à sa tante, à son frère, a eu depuis encore bien des larmes et bien des prières à répandre avant d'aller les rejoindre.

Elle a vu un autre frère périr sous le poignard ; elle a vu un vieillard, qui était son père, laisser tomber sa couronne ; elle a vu un enfant, (lui était son fils, découronné par l'émeute victorieuse.

Trois fois bannie de France, elle a vu trois fois la chute du trône.

Enfant sous les verrous, Marie-Thérèse priait, pleurait, espérait. Après tant de désastres et de révolutions, son rôle et sa mission ne furent pas changés : jusqu'au dernier jour elle a prié, pleuré, espéré. Survivant à tant de ruines, ruine elle-même, elle a gardé, comme toute âme pure, confiance dans la justice de Dieu ; elle a attendu sans impatience les réparations certaines de la postérité et de l'éternité.

Et cependant, après avoir assisté à tous les malheurs de sa patrie, elle a assisté, dans ses dernières années, à un spectacle plus effroyable encore : elle a entendu glorifier les meurtriers de son père. Elle a vu des poètes et des historiens passer de la pitié des victimes à la louange des assassins ; elle a vu des hommages publics décernés à l'homme qui avait usé la guillotine, qui avait rempli de tètes humaines le panier du bourreau, et qui, les mains souillées de sang, offrait à l'Être suprême une gerbe de fleurs !

L'histoire indignée n'acceptera ni ce bouquet ironique ni cette honteuse réhabilitation, elle les jettera ensemble à terre et les foulera sous ses pieds. La date de 1793 pèsera éternellement sur le cœur de la France. On ne fera jamais une mémoire sacrée d'un souvenir sanglant et exécrable.

Daigne cette sainte que le ciel a reçue[6], et que l'histoire retrouve au lit de mort, comme au Temple, avec une prière pour la France, me pardonner d'avoir humblement rapporté les détails que j'ai pu recueillir d'elle-même sur les afflictions de sa famille et sur les siennes !

J'ai essayé de ranimer quelques épisodes que la rouille du temps n'avait point encore entièrement effacés. Je bénirais Dieu si ma tâche sur la terre avait été de réveiller ces souvenirs dans les âmes.

J'ignore les desseins de Dieu sur l'avenir de mon cher pays ; j'espère qu'il le protégera toujours et qu'il conservera dans le cœur de nos enfants l'amour de la patrie, ce feu sacré des grandes âmes ; mais lors même qu'il aura anéanti les dernières parcelles de la royauté française et précipité les siècles sur les siècles, les héroïques souvenirs de la tour du Temple resteront debout.

Il y eut là quelque chose d'une grandeur morale que l'antiquité n'a pas connu.

La tragédie grecque a-t-elle rien de comparable à ce drame de nos annales ? Qu'est-ce qu'Agamemnon vulgairement égorgé, auprès de ce Roi de France solennellement couché sous le couteau de la Convention ? Astyanax précipité des tours d'Ilion peut-il être comparé au fils des grands Rois lentement abruti par un misérable ? La veuve de Priam se crevant les yeux, qu'est-elle auprès de la veuve de Louis XVI raccommodant sa robe blanche pour monter à l'échafaud ?

Le cri de douleur étouffé en 1793 dans cette tour se prolongera à travers les âges ; et, sans qu'elles aient besoin d'un Homère, ces grandes victimes de l'athéisme moderne, ce Roi, cette Reine, cet enfant, disparus avec nos autels dans la tempête, revivront en un deuil éternel dans la pensée des hommes, angéliques martyrs que nul poète ne peut louer, ayant été eux-mêmes leurs sublimes panégyristes dans les testaments de leur piété, de leur pardon et de leur amour.

 

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NOTE

 

Il réclama une indemnité. Sa requête, ambiguë et contournée, explique sa position essentiellement fausse et difficile dans cette affaire :

A Monsieur le conseiller d'État, préfet du département de la Seine.

Monsieur le conseiller d'État,

Le sieur Robert Muret a l'honneur de vous exposer que, le 7 octobre 1808, il s'est rendu adjudicataire des matériaux à provenir de la démolition de la tour du Temple, par les motifs qu'il va vous déduire.

Aussitôt qu'il fut instruit du projet d'anéantissement de cet édifice, il se rendit sur les lieux pour en faire la visite et les calculs approximatifs de la valeur des matériaux ; il n'y aperçut pour l'adjudicataire, même en prenant l'objet au prix de l'estimation de l'architecte des Domaines, aucune spéculation avantageuse à faire.

Cependant l'exposant, animé plutôt par l'intérêt du gouvernement, qu'il eut toujours à cœur, que par son intérêt particulier, cédant ensuite, il ne peut vous le dissimuler, au désir d'être l'instrument de la destruction d'un édifice qui marquait dans les monuments de l'antiquité par les différentes destinations que divers siècles lui avaient attribuées, fit plusieurs démarches dont le résultat fut qu'il pouvait se rendre adjudicataire à un prix bien supérieur à l'estimation, sans nuire à ses intérêts personnels.

En effet, il avait la parole de plusieurs entrepreneurs qu'ils se rendraient sur les lieux avant l'exploitation commencée, pour traiter sur place de tout ce qui pourrait être à leur convenance ; d'autres personnes proposaient d'acquérir les constructions, garnitures et décors de différentes pièces entières. C'est d'après ces données, qui lui assuraient un débit prompt et avantageux, qu'il se détermina à s'en rendre adjudicataire.

L'intérêt du gouvernement assuré par le prix, bien supérieur à l'estimation, auquel il avait porté cette démolition, tout devait être permis à l'exposant pour assurer le sien.

Il est notoire qu'un objet adjugé devient à l'instant même la propriété de l'adjudicataire, et qu'il reste le maitre d'employer tous les moyens licites de faire et d'employer tous les ressorts de son industrie pour en tirer le parti le plus avantageux possible.

Cependant l'exposant avait à peine fait ses dispositions préliminaires pour commencer ses travaux, c'est-à-dire sept jours après l'adjudication, qu'un ordre de S. E. le ministre de la police générale, transmis à M. le préfet de police, lui est signifié par son inspecteur général.

Cet ordre portait défense expresse de laisser pénétrer dans la tour qui que ce fin et sous tel prétexte que ce pût être, fût-ce même des dignitaires. Il fut non-seulement signifié à l'acquéreur, mais même au colonel de la gendarmerie résidant au Temple pour en surveiller l'exécution.

Cet ordre, qui ne laissait plus entrevoir à l'exposant qu'une perte certaine de 15 à 20,000 francs, n'en a pas moins été ponctuellement exécuté..

La démolition s'opère ; rien ne se vend ; les matériaux de toutes espèces, tels que portes, chambranles, lambris de hauteur d'appui, alcôves, parquets, croisées, volets, etc., la plus grande partie décorant et garnissant les appartements du petit Temple, ainsi que la tour, sont déposés dans l'enceinte qui l'environne, exposés aux pluies, à la gelée, et par conséquent dépérissent journellement. Il est notoire que ces divers objets n'ont de valeur réelle qu'autant qu'ils sont vendus sur place. Et comment pouvaient-ils l'être, même les pierres et les moellons ? Le bruit s'était bientôt répandu dans le publie que l'entrée de la tour était interdite ; il en a écarté tout le monde et notamment les entrepreneurs.

Mais s'il est impossible de se refuser à la vérité bien frappante qu'il résulte de cet ordre du gouvernement une perte considérable pour l'exposant, il devient également indispensable de lui accorder une indemnité proportionnée à sa perte.

A ces causes, l'exposant, plein de confiance dans les principes de justice qui vous animent, vous prie, monsieur le Conseiller d'État, de vouloir bien prendre en considération la position fâcheuse où il se trouve, et d'ordonner qu'une expertise contradictoire fixe l'indemnité démontrée bien légitime à laquelle il a droit de prétendre par les motifs qu'il vient d'avoir l'honneur de vous déduire.

Salut et respect,

MOREL.

Paris, ce 23 janvier 1809.

Renvoyé ait directeur des Domaines nationaux de l'intérieur de Paris (M. Eparvier), pour qu'il transmette des renseignements et son avis.

FROCHOT.

Paris, le 31 janvier 1809.

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Le préfet du département de la Seine, après avoir demandé au directeur des Domaines nationaux de l'intérieur de Paris des renseignements et son avis sur cette réclamation, écrivit au ministre de la police la lettre suivante :

4e Division. — 1er bureau.

Indemnité réclamée par le sieur Morel, adjudicataire de la démolition de la tour du Temple.

30 mai 1809.

Le conseiller d'État, préfet, à Son Excellence le comte de l'Empire, ministre de la police générale de l'Empire.

Le sieur Morel, adjudicataire par procès-verbal du 7 octobre 1808 de la démolition de la tour du Temple, moyennant la somme de 33.100 fr., m'a présenté une pétition à l'effet d'obtenir une indemnité proportionnée aux pertes qu'il dit avoir éprouvées dans cette opération.

Sa réclamation est fondée sur ce que, sept jours après l'adjudication, un ordre émané de Votre Excellence par l'intermédiaire de M. le conseiller d'État, préfet de police, lui a intimé la défense expresse de laisser pénétrer dans l'intérieur de la tour qui que ce fat, et sous quelque prétexte que ce pût être, et que cette mesure, en l'obligeant de transporter la totalité de ses matériaux hors de l'enceinte de la tour, l'a privé du bénéfice que la majeure partie de ces matériaux lui dit infailliblement procuré, s'il avait eu la liberté de les vendre sur place.

Je prie Votre Excellence de vouloir bien me faire connaître si la mesure dont le sieur Morel excipe a effectivement eu lieu, et si, comme il l'annonce, elle n'a pu recevoir son exécution sans influer sur le produit de la vente des matériaux.

Dans le cas de l'affirmative, l'adjudicataire serait peut-être fondé à réclamer une indemnité ; mais, d'après les motifs qui donnent ouverture à sa réclamation, cette indemnité ne paraitrait pas devoir ètre à la charge de l'administration des Domaines.

Je vous prie, Monseigneur, de vouloir bien me faire connaitre ce que Votre Excellence aura décidé à cet égard.

J'ai l'honneur, Monseigneur, de saluer Votre Excellence avec respect,

FROCHOT.

Le ministre répondit :

2e division. — N° 2,233, série II.

Paris, le 17 juin 1809.

J'ai reçu, Monsieur, la lettre que vous m'avez adressée le 30 mai dernier, relativement à l'indemnité que réclame le sieur Morel, adjudicataire de la démolition de la tour du Temple.

Il est vrai que j'ai fait défendre de laisser pénétrer personne dans la tour qui avait servi précédemment de maison d'arrêt. Cette mesure a eu pour objet de faire cesser l'affluence des personnes qui s'y portaient pour y voir les appartements, et qui se permettaient à cette occasion des réflexions souvent très-déplacées. Elles y étaient admises avec des cartes que le sieur Mord avait fait imprimer à cet effet, et qu'il vendait. Sous ce point de vue, les ordres que j'ai donnés ont pu lui être préjudiciables, puisqu'ils l'ont privé du profit qu'il retirait de la vente de ses cartes. Mais son adjudication ne lui donnant pas le droit de faire de la tour du Temple un objet de curiosité, et lui imposant, au contraire, l'obligation de la démolir, la mesure que j'ai ordonnée n'a pu que lui faciliter l'exécution de son marché, puisqu'elle éloignait les curieux qui pouvaient gêner les ouvriers dans leurs travaux ; elle ne peut, sous aucun prétexte, donner au sieur Morel le droit de réclamer une indemnité.

J'ai l'honneur de vous saluer.

Le sénateur, ministre de la police générale,

FOUCHÉ.

A M. le conseiller d'État, préfet du département de la Seine.

Le lecteur aura remarqué les termes de cette lettre, qui, malgré ses ambages, laisse apercevoir plus de choses qu'elle n'en veut montrer.

 

FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME

 

 

 



[1] Égalité. — Liberté.

MINISTÈRE DE LA POLICE GÉNÉRALE.

Extrait du registre des délibérations des Consuls de la République.

Paris, le 9 thermidor l'an VIII de la République une et indivisible.

Les Consuls de la République,

Vu l'article 84 de la loi du 28 germinal an VI, qui autorise le gouvernement à mettre à la disposition du ministre de la guerre les propriétés nationales non soumissionnées pour y établir les casernes de gendarmerie ;

Considérant que la maison du Temple est nécessaire au casernement des brigades de gendarmerie nationale établies à Paris ;

Arrête ce qui suit :

ARTICLE Ier.

Il est sursis à la vente de la maison du Temple jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné.

ARTICLE II.

Cette maison continuera d'être employée au casernement des brigades de gendarmerie de Paris.

ARTICLE III.

Les ministres de la guerre, des finances et de la police générale sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l'exécution du présent arrêté.

Le premier Consul,

BONAPARTE.

Par le premier Consul,

Le secrétaire d'État,

HUGUES MARET.

Pour copie conforme,

Le ministre de la police générale,

FOUCHÉ.

——————————

Le ministre des finances au citoyen préfet du département de la Seine.

Paris, le 13 thermidor an VIII de la République française une et indivisible.

Je vous envoie, citoyen préfet, une ampliation, signée de moi, d'un arrêté des Consuls du 9 thermidor présent mois, qui ordonne la suspension de la vente de la maison nationale du Temple, et porte que cette maison continuera d'être employée au casernement des brigades de gendarmerie à Paris. Veuillez bien vous conformer à ses dispositions.

Je vous salue,

GAUDIN.

NOTA. — Cette maison est affichée pour être vendue presque à l'instant. Il est instant de donner les ordres nécessaires pour empêcher la vente.

——————————

Liberté. — Égalité.

Le ministre de l'intérieur au citoyen Dubois, préfet de police du département de la Seine.

Paris, le 26 thermidor an VIII de la République française une et indivisible.

J'ai reçu, Citoyen, votre lettre du 9 thermidor, relativement à la vente de la maison nationale du Temple.

J'ai communiqué, tant au ministre des finances qu'à celui de la guerre, vos observations sur les inconvénients de l'aliénation de cet édifice, ainsi que vos vues sur sa destination,

Je vous salue,

L. BONAPARTE.

[2] Le 3 juin 1808, l'ordre suivant fut adressé à Fauconnier, concierge de la maison d'arrêt du Temple :

Paris, le 3 juin 1808.

Le sénateur, ministre de la police générale de l'Empire, ordonne au concierge de la maison du Temple de remettre les prisonniers confiés à sa garde à M. Pâques, inspecteur général dit ministère, qui est chargé de les faire transporter dans le donjon de Vincennes ; après cette remise, il se transportera à Vincennes pour y recevoir lesdits prisonniers, dont il continuera de rester chargé dans cette nouvelle prison.

FOUCHÉ.

Les prisonniers remis à M. Piques étaient au nombre de dix-sept. Voici les noms de ces derniers habitants du Temple :

David, prêtre.

Lavillate, propriétaire.

Garrez de Mézières, ancien officier.

Begon de la Rouzière, propriétaire.

Collin, dit Cupidon, domestique.

Vaudricaurt, rentier.

De Rousse de Puyvert, rentier.

Polignac (Armand), vivant de son bien.

Polignac (Jules), vivant de son bien.

Bournisac, propriétaire.

Laneuville, prêtre.

Chassuart ou Chassour, distillateur.

Daniaud-Duperrat, négociant.

Conchery, employé.

Anerweck, cultivateur.

Montmayeux, professeur de mathématiques.

Tilly-Blaru, ex-propriétaire à Saint Domingue.

[3] Voir la note à la fin de ce livre.

[4] Extrait des minutes de la secrétairerie d'État.

Au palais impérial de Saint-Cloud, le 3 août 1811.

Napoléon, Empereur des Français, Roi d'Italie, protecteur de la Confédération du Rhin, médiateur de la Confédération suisse, etc., etc. ;

Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

ARTICLE Ier.

Le palais du Temple, à Paris, sera restauré, mis en état et meublé, pour servir à l'habitation du ministre des cultes et à l'établissement de ses bureaux.

ARTICLE II.

Un jardin, dépendant de l'hôtel du ministre des cultes, sera ouvert sur l'emplacement de la tour.

ARTICLE III.

Les réparations et mise en état du bâtiment et la plantation du jardin seront à la charge du ministère de l'intérieur, et devront être terminées cette année, de manière que le ministère des cultes puisse y être établi avant le 1er janvier 1812.

Les dépenses de l'ameublement seront supportées par le ministre des cultes.

ARTICLE IV.

Le ministre de l'intérieur fera faire sur-le-champ le devis des réparations et mise en état du palais et jardin.

ARTICLE V.

Nos ministres  de l'intérieur et des cultes sont chargés de l'exécution du présent décret.

NAPOLÉON.

Par l'Empereur : le ministre secrétaire d'État,

Le comte DARU.

Pour ampliation,

Le ministre de l'intérieur, comte de l'Empire,

MONTALIVET.

Pour copie conforme,

Le chef du premier bureau du secrétariat,

VERNEUR.

——————————

Le ministre de l'intérieur à M. le préfet de la Seine.

Paris, le 4 décembre 1811.

Monsieur le comte,

J'ai l'honneur de vous faire passer ci-incluse une ampliation du décret impérial-du 3 août dernier, qui affecte le palais dit du Temple à l'habitation de S. E. le  ministre des cultes, et à l'établissement de ses bureaux.

Vous verrez, Monsieur le comte, par l'art. II de ce décret, que les jardins et dépendances du ministère des cultes doivent être formés sur l'emplacement qu'occupait la tour du Temple, et que, par conséquent, la vente de cet emplacement, indiquée au 6 de ce mois, ne petit avoir lieu.

Je vous invite, en conséquence, à prendre de suite les mesures nécessaires pour empêcher cette vente, qui, aux termes du décret de S. M., n'aurait pas dû être affichée.

MONTALIVET.

[5] Une rue, ouverte à cette époque, divise en deux parties le jardin du Temple, et empiète sur l'emplacement même de la tour.

[6] Marie-Thérèse-Charlotte de France, duchesse d'Angoulême, est morte à Frohsdorf, près de Vienne, le 19 octobre 1851.