HISTOIRE DE LA GUERRE DE LA VENDÉE

TOME DEUXIÈME

 

LIVRE NEUVIÈME.

 

 

Changement de système du comité de salut public, contre la Vendée — Concentration des armées républicaines. — Elévation du général Lechelle. — Division parmi les chefs royalistes. — Batailles de Châtillon, de La Tremblaye et de Chollet. — Héroïsme et mort glorieuse de Bonchamps.

 

DEUX jours avaient suffi aux royalistes de l'Anjou pour dissiper deux armées ; la Basse-Vendée venait de voir en cinq jours quatre combats sanglants, une armée deux fois repoussée deux autres complètement défaites.

Les deux commissions conventionnelles de Saumur et de Nantes s'imputèrent réciproquement ces désastres en s'accusant tour-à-tour de s'élire écartées du plan de campagne. Philippeaux s'élevant avec amertume contre ce qu'il nommait la cour de Saumur, porta contre elle une dénonciation en forme à la convention. Deux adversaires de Philippeaux Choudieu et Richard, qui étaient à la fois ses collègues, s'étayèrent du désavantage de la position de L'armée de Saumur, et du défaut de communication avec l'armée agissante ; ce qui forçait à faire un circuit de près de cent lieues pour connaître ses mouvements. De là nulle précision, nul ensemble. « Tels sont, disaient-ils, les résultats des combinaisons du conseil de Nantes que le 16 septembre l'armée du général Canclaux se trouvait encore à plusieurs marches de Mortagne, quoiqu'elle dût y entrer ce jour-là même, aux termes du plan dont on veut s'appuyer ».

Pendant ces débats, qu'aigrissait la plus vive animosité, les corps d'armée des républicains se disposaient à rentrer dans la Vendée, pour tenter un dernier effort. On tint, à Nantes et à Saumur, des conseils de guerre séparés, où furent discutées des dispositions nouvelles. Dès le 25 septembre, la division de Mayence marchant en avant, pressée par les dépêches de Saumur, reprit Clisson et Montaigu sans rencontrer d'obstacles. Mais quel fut l'étonnement des généraux et des commissaires, lorsqu'ils eurent connaissance d'un nouveau conseil tenu le 2 octobre à Saumur, à la suite duquel on avait résolu la jonction des divisions de Luçon et de Fontenay, non pas avec l'armée du général Caudaux, mais avec celle du général Rossignol, qui del-et/ait armée attaquante. Cette jonction devait avoir lieu à Bressuire, le 7 octobre. La division de Mayence restait ainsi livrée à ses seuls moyens. La fureur de Philippeaux et de ses partisans ne connut plus de bornes ; ils accusèrent leurs collègues de Saumur d'infidélité, de malveillance, et crièrent à la trahison. « Je me souvins alors, écrivit Philippeaux, de ce que me dit Choudieu, à table, le jour de notre départ de Saumur : Vous usez, vous autres, de la faculté de penser, eh bien ! nous userons, nous, de la faculté d'agir ».

Ne se bornant pas à des plaintes, la commission de Nantes dénonça publiquement à la convention les infractions faites au plan de campagne, par l’état-major et les commissaires de Saumur. La convention s'étonna d'autant plus des suites alarmantes de l'attaque générale, que récemment encore on lui avait annoncé l’affaiblissement des royalistes, et presque la soumission de la Vendée. « On vous en a imposé, lui écrivirent les commissaires de Nantes, par des nouvelles exagérées ou mensongères. Les Vendéens ont trois armées, commandées par Charette Bonchamps et d'Elbée. Des renseignements certains portent leur nombre à cent mille au moins, dont cinquante mille bien armé et disciplinés ». C’était la première fois, dans la convention nationale que ses commissaires déchiraient le voile qui couvrait la Vendée.

Le comité de salut public, craignant de compromettre sa responsabilité, approfondit enfin les causes de tant de revers. Après une longue délibération, il arrêta un ensemble de mesures qu'il soumit à la ratification de la convention elle-même, et, comme la vérité sur la Vendée venait d'échapper, il crut cette fois pouvoir la proclamer toute entière. Barère, son organe officiel, parut à la tribune le premier octobre. Voici quelques traits de son rapport

« L'inexplicable Vendée existe encore... Ce creuset où s'épure la population nationale devrait être anéanti depuis longtemps ; il menace de devenir un volcan dangereux. Vingt fois depuis l'existence de cette rébellion, les représentants, les généraux, le comité lui, vous ont annoncé la destruction prochaine des rebelles. De petits succès étaient suivis de grandes défaites. On croyait pouvoir les détruire le 15 septembre le tocsin avait réuni vers le même but un nombre étonnant de citoyens armés, de tout âge... La terreur panique a tout frappé, tout là dissipé comme une vapeur.

« Si la Vendée a fait de nouveaux progrès, c'est par les envois fréquents et trop nombreux de commissaires de la convention ; par l'insatiable avarice des administrations militaires, qui agiotent la guerre, spéculent sur les batailles perdues, et s'enrichissent sur des las de morts. Voilà, s'écria Barère, après avoir tracé le tableau des progrès de la Vendée, voilà le chancre politique qui dévore le cœur de ta république ; c'est là qu’il faut frapper. Voilà les maux, voici les remèdes. A trop de représentons en substituer un petit nombre ; à trop de généraux, un seul général en chef d'une armée unique. Il ne faut à Farinée chargée d'éteindre la Vendée qu'une même vue, qu'un mène esprit, qu'une même impulsion ; il faut épurer les états-majors des ci-devant nobles, des hommes suspects. Les brigands doivent Ire exterminés d'ici au 20 octobre. Semblables au géant de la fable qui n’était invincible que quand il touchait la terre, il faut les enlever, les chasser de leur propre territoire pour les abattre ».

Barère fit approuver la réunion des deux armées en une seule, sous le nom d'armée de l'Ouest, et la nomination du général Lechelle au commandement en chef. Le croira-i-on ? il fit, par un décret, assigner un terme à cette guerre et la convention adopta la proclamation suivante, adressée à l'armée : « Soldats de la liberté, il faut que les brigands de la Vendée soient exterminés avant la fin du mois d'octobre ; le salut de la patrie l'exige, l'impatience du peuple français le commande ; son courage doit t'accomplir. La reconnaissance nationale attend à celte époque tous ceux dont la valeur et le patriotisme auront affermi sans retour la liberté de la république ».

Ces mesures mirent fin, dans l'armée, aux factions de Nantes et de Saumur. Tous les commissaires, excepté Bourbotte et Turreau, furent rappelés, ainsi que les généraux Canclaux, Dubayet, Rey et Grouchy. Le général Rossignol passa au commandement de l'armée des côtes de Brest et de Cherbourg, dont le quartier-général fut établi à Rennes. Le comité envoya deux nouveaux commissaires, Hentz et Prieur de la Marne. Philippeaux rentra mécontent dans le sein de la convention nationale, où bientôt son ressentiment et son irritabilité le conduisirent à l'échafaud.

Pendant que les républicains substituaient à l'anarchie meurtrière qui avait régné dans leurs opérations, l'ordre, l'unité d'action et de mouvement, sans lequel on ne peut triompher, les chefs royalistes, en se divisant, rompaient le faisceau de la confédération redoutable qui avait fait trembler la république ; désunis ils ne pouvaient plus vaincre.

Charette s'étant mis en marche pour les Herbiers, où Lescure devait le joindre, échappa sur la route, comme par miracle, à un coup de fusil qu'un officier républicain, l'un des fuyards de Saint-Fulgent, lui tira d'une lande à vingt pas ; Charette fondit à l'instant sur son ennemi, et lui passant plusieurs fois sur le corps, l'écrasa sons lm pieds de son cheval. Ses soldats fouillèrent le bois des Quatre-Chemins, et saisirent quelques soldats qui s'étaient égarés. Près d'une centaine, surpris dans une grange, s'étant refusés à mettre bas les armes, furent massacrés.

Avant de se séparer, Charette. et Lescure étaient convenus qu'ils attaqueraient de concert y après quelques jours de repos, les postes républicains de Chantonay et de la Chataigneraye. Ce dernier surtout se trouvait si avancé dans Je Bocage, qu'il inquiétait Les cure ; aussi avait-il manifesté le désir que les premiers efforts fussent dirigés sur ce point. La grande arme e avait pourvu à la sûreté de Charrette, il était juste que Charette vint la seconder à son tour. Malheureusement une sorte d'antipathie régnait entre les insurgés du Bas-Poitou et les insurgés de la Haute-Vendée. Dans leurs prospérités comme dans leurs revers, à la défaite de Luçon comme à la victoire de Saint-Fulgent on avait vu éclater entre eux des sentiments de rivalité, d'animosité et même d'envie ; et pourtant ils appartenaient tous à la même contrée, et se battaient pour la même cause. Les soldats de Charette, qui avaient déjà imputé à l'armée d'Anjou l'échec de Luçon, s'attribuaient alors les glorieux résultats de l'attaque de Saint-Fulgent. Là des rixes avaient éclaté entre les deux armées, d'abord pour le partage x du butin, puis à cause de la brutalité de quelques soldats allemands venus de l'Anjou avec Lescure. Ces transfuges s'étaient emparés de plusieurs tonneaux de vin et d'eau-de-vie trouvés parmi les équipages des vaincus, et ne voulant pas nième en céder pour les blessés, il fallut les leur arracher avec violence. Charette avait ensuite manqué de vivres, et ses soldats s'étaient jetés sur les rations de l'autre armée, abondamment pourvue ; se plaignant avec amertume qu'on eût pris la meilleure part du butin, et qu'on portât le mépris de leur général jusqu'à méconnaître ses propres officiers. Quant au butin, ils persistaient à soutenir que l'armée du Bas-Poitou devait entrer en pariage des canons, caissons et ambulances attelés qu'on avait pris aux républicains, el qui déjà venaient de prendre la route de Mortagne, où était le dépt général. A ce convoi se trouvaient confondues, par mégarde, deux pièces de canon qui appartenaient en propre à Charette et que ce chef se hâta d'envoyer reprendre par une escorte de cavalerie. Partageant les préventions et l'aigreur de ses soldats, il parut croire qu'on cherchait à diminuer ses moyens de défense contre les nombreuses armées qui pouvaient fondre de nouveau sur lui. De pareilles impressions faisaient éclore de plus en plus les germes de mécontentement et de défiance. Charette dépêcha La Roberie à Chatillon ; pour demander impérieusement le partage de la caisse militaire enlevée aux républicains, à Saint-Fulgent, 'et qui contenait sept mille francs en assignats. Aussitôt le partage eut lieu par les soins de Lescure, qui, prévoyant les suites d'une funeste mésintelligence, fit tout pour la prévenir. Comme il était convenu que Charrette combinerait de nouveau ses forces avec celles de la grande Vendée La Roberie proposa à Lescure, de la part de son général, de se porter d'abord sur Chantonay. Malgré les motifs qui semblaient devoir faire donner la préférence à l'attaque de la Chataigneraye Lescure et ses officiers mandèrent à Charette qu'ils se faisaient un devoir de déférer à son avis ; qu'on s'en rapportait d'ailleurs à son expérience comme à ses taleras, et que le surlendemain la division Poitevine de la grande Vendée serait sans faute aux Herbiers, pour se joindre à lui. La surprise de Lescure fut égale à son dépit, quand il sut le lendemain que Charette venait de quitter les Herbiers sans l'en prévenir, et qu'il s'était dirigé sur Mortagne. Peut-être des sentiments de rivalité et d'amour-propre lui firent-ils oublier qu'il venait d'être sauvé par les chefs de l'Anjou et du Haut-Poitou : en les quittant brusquement lorsqu'il m'avait plus besoin de leur secours, il enfreignait tout ce qu'on avait arrêté pour la défense commune. Sa retraite déconcerta tous les plans auxquels il avait consenti ; aucun des chefs n'avait plus assez de forces pour reprendre l'offensive. Lescure ne fit que paraitre devant la Chataigneraye, se bornant à quelques escarmouches pour tenir l'ennemi en échec, et apprenant que Westermann marchait de nouveau sur Châtillon, il revint prendre sa position concentrée de Saint-Sauveur.

Cependant Charette, arrivé à Mortagne, s'était abouché avec Bernard de Marigny, qui y commandait en l'absence du marquis de Donnissan alors à Tiffauges. Il avait redemandé le partage du butin pris à Saint-Fulgent, et surtout les effets d'équipement et les mutilions ; Marigny ne put le satisfaire, les soldats de la grande armée s'étant tout partagé entre eux sans même attendre les ordres de leurs chefs. Charette mécontent, réduit d'ailleurs à un noyau de huit cents hommes, se retira sur son territoire, et reprit le cantonnement de Legé, où il lui fallut chercher des vivres sur les ruines d'un pays incendié et désert. Déjà Joly, Cathelinière et Savin, agités par les mêmes passions, s'étaient éloignés tes premiers pour rentrer dans leurs paroisses : chacun ayant concouru à carter le danger, se fit illusion sur l'avenir, et s'isola de nouveau, pour commander exclusivement dans son territoire. Les vues de Bonchamps étaient plus profondes ; il sentait qu'au moment où les républicains adoptaient le système des masses, il fallait leur opposer une offensive énorme, et réunir toutes les divisions vendéennes en une seule armée. C’était aussi depuis longtemps l'objet de l'espérance de d'Elbée, général en chef. Le dévoilement de La Rochejacquelein, le zèle de Lescure et la générosité de Bonchamps pouvaient sauver le parti royaliste ; l'obstination et l'aveuglement des divisionnaires du Bas-Poitou le perdirent. La discorde, qui planait sur toute la Vendée, s'agitait en tous sens. Les talents et la loyauté de Bonchamps faisaient envie à quelques chefs jaloux ; d'autres ne pardonnaient point à d'Elbée de s’être fait nommer généralissime ; ils auraient préféré Bonchamp ou Lescure ; quelques flatteurs de Talmont regrettaient qu'il n'ambitionnât point le grade suprême. Ces levains fermentaient depuis la prise de Saumur.

Dès lors il s'était formé divers partis dans l'état-major général. Les succès constants de l'arme catholique n'avaient servi qu'à augmenter les prétentions individuelles. Chaque chef voulant agir séparément, contrariait le système des masses. La Rochejacquelein, Talmont d'Autichamp, jeunes et impétueux, voulaient combattre sans relâche. D'Elbée, qui connaissait le caractère des Vendéens, prescrivait des intervalles de repos consacrés aux travaux champêtres. D'un autre côté, rien n'avait pu effacer la ligne de démarcation qui séparait la Vendée supérieure de la Basse-Vendée ; or il y eut deux armées distinctes, l'armée catholique et royale, et celle de Jésus ou du Bas-Poitou.

Cependant l'armée de Mayence s'était reportée, dès le 28 septembre, sur Clisson et Montaigu, sans rencontrer les royalistes. Dans sa première invasion, elle avait balayé le pays de Retz et le territoire de Charette. Cette fois, elle hissa sur sa droite l'espace qui est entre la Sèvre et la mer, soit qu'elle fût affaiblie, soit qu'elle voulût gagner promptement, et sans diversion, les points d'où l'ennemi l'avait chassé. Ce mouvement, opéré au moment même où les divisionnaires du Bas-Poitou se séparaient de la grande armée catholique, sauva Charette et perdit la Vendée. Maitres de Clisson et de Montaigu, les Mayençais, formant flèche dans le pays insurgé, se portèrent sur Mortagne, non sans crainte d'être accablés dans leur marche. Bonchamps seul les observait ; et ce fut lui, cette fois, qui réclama des secours. Il n'était pas sans espérance du côté de Charrette et de Lescure. Le premier assembla son conseil de guerre, et transmit à Bonchamps le résultat de la délibération, portant que chaque chef devait désormais défendre son territoire. Quant Lescure, il était lui-même en péril, Châtillon se trouvant menacé de nouveau par Westermann, Abandonné à ses seules forces, Bonchamps voulut néanmoins arrêter les progrès des Mayençais, en les attaquant seul à Saint-Symphorien, entre Tiffauges et Mortagne avec moins de huit mille hommes. Après deux heures d'un combat inégal, l'ennemi le força de se retirer avec perte de deux pièces de canon, de trois à quatre cents hommes et d'un de ses officiers. Cet avantage fut remporté par Kléber, sous les yeux du général en chef Canclaux, qui, à son retour au quartier-général, reçut l'ordre de son rappel. Il fut l'objet des regrets du soldat, ainsi que Dubayet, Bey et Grouchy. Les Mayençais, qui auraient pu se rendre maîtres de Mortagne, s’arrêtèrent au milieu de leurs succès, en attendant un autre général en chef.

Quelques officiers vendéens, qui ont échappé à cette cruelle guerre, m'avaient assuré que ces mêmes Mayençais, mécontents de se voir enlever leurs généraux, envoyèrent au chevalier Desessarts, alors posté à Saint-Fulgent, une députation de huit grenadiers, avec l'offre de passer tous au service des royalistes, moyennant la garantie d'une solde régulière. Ceci a été confirmé depuis dans des mémoires authentiques. Le chevalier Desessarts expédia de suite un courrier à l’intendant général de l'armée, qui communiqua sa dépêche au conseil supérieur à Châtillon, il fallait quatre cent mille livres ; à peine eût-on trouvé cette somme dans toute la Vendée. Beauvollier proposa d'y pourvoir en convertissant en monnaie les vases et argenterie d'église trouvés à Fontenay-le-Comte. Cette proposition fut repoussée, comme sacrilège, par le prieur de Saint-Laurent et par le curé de Chollet : d'ailleurs les vases sacrés n’auraient pas produit plus de vingt mille francs. Le secrétaire-général du conseil fut d'avis de donner tout ce dont on pourrait disposer, et de prendre des engagements au nom du Roi pour le reste. D'autres membres du conseil, craignant un piège, objectèrent qu’il à craindre que les Vendéens ne fussent trahis après s’être dépouillés de leurs ressources. La proposition n’eut pas de suite, ou plutôt elle précéda de bien peu de jours les désastres de la Vendée.

Le général Lechelle venait d'arriver au camp des républicains, accompagné des commissaires Hentz et Prieur de la Marne, qui l'installèrent dans le commandement en chef des deux armées réunies. Le général Canclaux lui communiqua loyalement, dans un conseil tenu à Nantes présence de commissaires conventionnels, toutes les notions acquises depuis l'ouverture de la campagne, et livra, avec un abandon généreux, celui qui le remplaçait, jusqu'au secret de ses fautes. Le général Lechelle concilia les vues de son prédécesseur avec le plan arrêté à Saumur, le 2 octobre, plan que le comité de salut public avait approuvé. Il fut donc définitivement résolu que les divisions de Saumur, de Thouars el de Fontenay se réuniraient le 7 octobre à Bressuire, pour de là marcher sur Chatillon. Lechelle partit pour se mettre à leur tête, laissant aux généraux Kléber et Vimeux le commandement des Mayençais. Tout prit dès lors plus de rectitude et d'ensemble. On ne connut plus dans l'armée républicaine ces mouvements partiels et irréguliers qui avaient presque toujours éloigné la victoire.

Déjà la division de Fontenay, commandée par le général Chalbos, après avoir été huit jours stationnaire à la Chataigneraye, s'était mise en marche pour Bressuire, chassant devant elle toua les parais royalistes, brûlant tous les villages, les hameaux, les fermes, les moulins, et préludant ainsi à la lutte sanglante qui allait s'engager. L'historien doit s'armer de courage lorsqu'il da plus à rapporter que des scènes de désolation. Celles dont je vais rendre compte révoltent par leur énorme atrocité. Il était réservé à la France de donner au monde l'exemple de la révolution la plus désespérante dans ses effets, et d'une guerre civile, sujet d'effroi pour les contemporains.

Le général Chalbos, après avoir fait sa jonction avec les divisions républicaines de Chantonay, de la Chataigneraye et de Bressuire, se vit à la tête de vingt mille combattants, et marche droit à Châtillon, sur trois colonnes. Déjà il occupait Cerisaye, et il venait de livrer aux flammes le château du Puy-Guyon, qui appartenait à Lescure. Ce chef abandonna Saint-Sauveur, pour se replier sur Châtillon ; il n'avait pu l'assembler que trois à quatre mille paysans, tous ceux des environs de Bressuire et de Cerisaye étant occupés à sauver de l'incendie leurs bestiaux, leurs effets, leurs familles. Lescure expédia courriers sur courriers pour réclamer de prompts secours. Quoique blessé, La Rochejacquelein s'empressa de venir le joindre ; Stofflet parut également avec un petit nombre d'Angevins. D'un autre côté Bonchamps et d'Elbée avaient aussi besoin de renforts vers Clisson, pour s'opposer aux Mayençais, qu'on savait à la veille de reprendre l'offensive. Talmont, alors à Chollet, insistait pour que les rassemblements qu'on formait à la hâte se dirigeassent au quartier-général de d'Elbe, L'avis contraire du marquis de Donnissan prévalut, Des détache-mens se mirent en marche pour renforcer Lescure ; la plupart n'arrivèrent qu'après le combat.

Déjà Lescure, La Rochejacquelein et Stofflet couvraient Châtillon arec six mille Vendéens postés sur la hauteur du moulin du Bois-aux-Chèvres, l'aile gauche se déployant vers les Aubiers ; ils n'avaient pu réunir que trois cents hommes de cavalerie, commandés par Beaurepaire de la Chataigneraye. A peine les républicains eurent-ils aperçu les royalistes, qu'ils firent halle un moment et placèrent l'artillerie sur une hauteur en face. Les deux armées s'avancèrent ensuite pour combattre, et bientôt le feu de la mousqueterie remplaça le feu du canon. Westermann était placé derrière le centre des républicains ; il connaissait et le théâtre de la guerre et l'ennemi qui lui était opposé. Le général Chalbos lui, ordonna d'avancer avec sa légion ; toute sa brigade le suivit. Il forma l'attaque, mais il ne put soutenir une charge très-vive d'un corps d'élite commandé par Lescure en personne. Les colonnes de droite et de gauche ployèrent aussi sous le feu des tirailleurs vendéens, qui, suivant leur usage, cherchèrent à tourner les canons. Atteint d’un coup mortel, le général Chambon s'écria : Vive la république !

Le centre des républicains ayant été enfoncé, leur droite ébranlée, leur gauche entièrement rompue, les royalistes crurent tenir la victoire, et poursuivirent Westermann au moment où les grenadiers de la convention arrivaient pour le soutenir. Alors faisant un mouvement sur sa droite, ce général culbuta l'aile gauche des Vendéens et la mit en déroute. En même temps le général Chalbos rétablit le combat, et enfonça leur droite avec le même succès. Deux mille Angevins-, conduits par le chevalier de la Sorinières, arrivèrent, mais trop tard, au secours des Poitevins, : ils furent entraînés. En vain La Rochejacquelein et Le cure résistent encore avec une poignée de braves ; une balle frappe la main de Lescure ; Durivault, l'un de ses officiers, reçoit un coup de feu dans la poitrine ; le chevalier de Beauvollier et Stofflet sont enveloppés dans un chemin creux par des chasseurs ennemis. Stofflet saute à bas de son cheval, et gagne le champ voisin : un chasseur l'arrête, il se dégage à coups de sabre. En même temps le jeune Beauvollier renverse, à coups de pistolets, deux volontaires qui s'avançaient pour le saisir. Mais Westermann poursuit déjà les fuyards avec deux mille cavaliers d'élite, et le même jour, à cinq heures du soir, il entre triomphant, pour la seconde fois, à Châtillon. Le conseil supérieur était en fuite vers Chollet ; ses papiers tombèrent au pouvoir de Westermann. Il y trouva le plan de campagne du 2 septembre, que les royalistes avaient pris dans les bagages de Santerre à Coron.

Les soldats de Lescure errèrent dans les campagnes, la plupart vers les Aubiers, pour se soustraire au fer des républicains. Ceux-ci, après avoir pillé Châtillon, saccagèrent et brûlèrent les paroisses des Aubiers, Saint-Aubin, Neuil et Rorthais. Comme à leur première irruption, ils avaient pris position entre Châtillon et Mortagne. Mais songeant plutôt à marauder qu'à leur propre sûreté, ils négligeaient ou abandonnaient leurs avant-postes.

Cependant l'armée royale s'était réunie à Chollet dès le lendemain du combat du moulin aux Chèvres. Bonchamps et d'Elbée, mesurant la grandeur du péril qu'entrainait le découragement des Vendéens, joignirent Lescure avec de nouvelles forces, et marchèrent en avant. L'ardeur des Vendéens était extrême ; tous les officiers blessés qui pouvaient monter à cheval, étaient à la tête des colonnes, entre autres Bonchamps, La Rochejacquelein, et Duchaffaut, tous trois le bras en écharpe. Aux approches de Châtillon, leurs soldats manœuvrèrent comme pour une surprise, et les avant-postes républicains, mal gardés, mal défendus, furent enlevés en un clin d'œil. Le choc fut si violent que tout céda devant l'impétuosité des royalistes, et que ces mêmes républicains, victorieux deux jours auparavant, furent mis en pleine déroute, sans même avoir pu se ranger en bataille. Un massacre horrible eut lieu en avant de la ville. Là, canons, caissons, vivres, bagages, tout est abandonné aux paysans royalistes : selon leur coutume, ils se chargent de butin et se gorgent d'eau-de-vie, trouvée en abondance parmi les bagages, comme pour célébrer, dans l'excès des liqueurs et d'une joie bruyante, un triomphe si subit. Plongés bientôt dans l'ivresse, n'écoutant plus la voix de leurs chefs, ils se dispersent ou se gardent mal, et ne songent qu'à jouir de la victoire par la licence.

Les républicains fuyaient en désordre sur la route de Bressuire, où Beaurepaire s'était élancé vivement à leur poursuite, mais seulement à la tête d'une centaine de cavaliers vendéens. Sorti le dernier de Châtillon, Westermann, qui couvrait la retraite, avait abattu, d'un coup de sabre, un soldat royaliste qui s'était attaché la queue de son cheval. Il n’avait plus trouvé, rangés en bataille sur la route, que les grenadiers de la convention ; tout le reste fuyait. Il ordonna aux grenadiers de battre aussi en retraite ; ils s'y refusèrent, voulant mourir à leur poste. Westermann emploie la menace pour se faire obéir ; puis il fait mettre plusieurs de ces braves en croupe derrière les cavaliers de sa légion, el se met aussitôt en marche. Déjà la nuit couvrait l'horizon de son ombre, quand il trouva, non loin de Bressuire, le général Chalbos, qui venait de rallier huit à neuf cents hommes. Il court à ce général et lui dit, en lui présentant son sabre : « Tout le monde m'a abandonné, je ne veux plus servir avec des lâches ». Les soldats l'entourent et jurent qu'ils ne le quitteront plus. « Eh bien ! s'écrie Westermann, si vous aimez encore la république, retournez avec moi à Châtillon, reprendre ce que nous avons laissé, ou mourir avec moi ». II amène avec lui cent hussards des plus résolus, fait mettre en croupe autant de grenadiers, ordonne au reste de le suivre, et court droit à Châtillon. Dans sa marche, il rencontre et culbute la cavalerie de Beaurepaire, qui s'était abandonnée à la poursuite des vaincus. Vainement ce chef se met en défense ; il n'a plus qu'une vingtaine de cavaliers, qui succombent ; lui-même reçoit douze coups de sabre sur la tête, et doit à quelques braves qui se dévouent, de ne pas rester parmi les morts. La troupe de Westermann fond ensuite au galop sur les avant-gardes royalistes, qu'il trouve ou dispersées ou endormies. Il taille en pièces tout ce qu'il rencontre, pénètre dans Châtillon en criant vive le Roi ! trouve les Vendéens épars, étendus ivres morts, et en fait un horrible massacre. L'obscurité, les cris, les gémissements, le tumulte, l'épouvante et les flammes qui commencent à gagner la ville, empêchent les Vendéens de se reconnaître et de se rallier ; ils s'entre-tuent, le sang ruisselle dans les rues étroites de Châtillon, encombrées de cadavres, et deux cents républicains, ivres de vengeance et de carnage, arrachent la victoire à trente mille royalistes. À peine leurs chefs eurent-ils le temps de monter à cheval pour se sauver, abandonnant les drapeaux et un énorme butin. Westermann les poursuivit avec sa cavalerie, et brûla, en leur présence, le village du Temple. De retour à Châtillon, il n'y trouva plus ni infanterie ni le général Chalbos. Irrité de voir Châtillon abandonné, il résolut, dans sa colère, de détruire une ville si souvent funeste aux républicains. Sa cavalerie mit pied à terre, acheva de piller, d'incendier les maisons, et rejoignit ensuite l'armée près de Bressuire.

La reprise de Châtillon avait plutôt consterné qu'affaibli les royalistes, qui d'ailleurs n'avaient pas perdu un seul canon. Après avoir rallié les fuyards et reçu quelques détachements, ils s'y présentèrent de nouveau en force. Au lieu d'ennemis à combattre, ils ne trouvèrent plus qu'une ville en feu et des milliers de cadavres à demi-brûlés ou écrasés sous les décombres. L'image de la désolation les arrêta, et, la rage dans le cœur, ils se donnèrent rendez-vous à Mortagne.

A peine y furent-ils réunis., que tes armées de Mayence et de Luçon marchèrent sur eux, menaçant à la fois Mortagne et Chollet. Le danger était imminent ; il fallait de grands efforts pour opposer une digue au torrent des républicains l'aveugle destin en décida autrement. Charette persista dans son système d'isolement et d'abandon : en vain les généraux de la grande armée vendéenne lui dépêchent courriers sur courriers, pour le presser d'attaquer les Mayençais en flanc ou sur leurs derrières ; il ne répond à aucune lettre, et abandonne la Haute-Vendée à ses propres forces, pour se livrer à la stérile expédition de Noirmoutier. Toutefois rien ne put abattre la courageuse constance de d'Elbée, de Bonchamps, de La Rochejacquelein et de Lescure leur sollicitude se portait vers les préparatifs d'une bataille générale. Dans ces terribles conjonctures, Bonchamps rappela de nouveau au conseil la nécessité d’une diversion sur la rive droite de la Loire, soit pour détourner l'attention de l'ennemi, soit pour se ménager une retraite en cas d'échec. Au moment même des plus grands succès de la Vendée, ce chef avait toujours été d'avis de faire passer en Bretagne dix mille hommes avec de l'artillerie, pour y déterminer enfin l'insurrection que la levée du siège de Nantes avait fait avorter. Là on aurait vu cette petite armée de royalistes se grossir de tous les mécontents de la province, et ce double soulèvement devenir redoutable aux républicains, alors engagés dans le siège de Lyon, l'attaque de Toulon, les troubles du Calvados et de Bordeaux et les vicissitudes effrayantes d'une guerre étrangère presque générale. Revenant à. son idée favorite, Bonchamps proposa de nouveau de passer la Loire avec sa division seule, et de soulever la rive droite, qui ne demandait plus qu'un chef et le signal des combats ; niais les autres généraux, notamment d'Elbée, n'envisagèrent ce plan que sous le point de vue d'une séparation impolitique des forces vendéennes : ils en ajournèrent encore l'exécution.

Cependant l’armée républicaine de Luçon, après avoir chassé devant elle, aux Herbiers, trois à quatre mille Vendéens du centre commandés par Royrand, s'avançait en force vers Montagne, dans l'intention de s'y réunir à l'aile droite de l'armée de Mayence, et là de livrer bataille aux royalistes. Mais ceux-ci évacuèrent la ville précipitamment, soit que la position ne leur fût point favorable, soit que le temps leur manquât pour concentrer toutes leurs divisions et en venir à une action générale. Ils y laissèrent quatorze à quinze cents prisonniers républicains, qui presque aussitôt recouvrèrent la liberté. L'horreur et l'infection des cachots les avaient changés en autant de spectres, et l'impression de l'air faillit leur donner la mort. Ainsi que Châtillon, Mortagne fut livré aux flammes par les deux corps républicains, dont la jonction, opérée là sans obstacle, le 14 octobre, fut imputée à l'inaction de Charette. Les deux troupes réunies s'élevaient ensemble quinze mille combattants, masse d'autant plus redoutable qu'elle traînait sur ses pas l’incendie, le ravage et la mort. Les malheureux Vendéens, chassés de toute part, se réfugiaient successivement vers Chollet ; mais tous ne purent joindre d'Elbée, un grand nombre ayant trouvé l'ennemi déjà maitre de la campagne.

Réunie enfin au-delà de Tiffauges et de la Sèvre, l'armée royale couvrait Chollet, bien décidée à défendre ce boulevard de la Vendée. De tous côtés il arrivait des renforts ; Bonchamps amenait quatre à cinq mille hommes, et Royrand tout ce qui venait d'échapper aux Herbiers.

L'aile droite, sous les ordres de d'Elbée et de La Rochejacquelein, s'étendait vers le bourg de la Romagne, que les républicains venaient d'incendier ; le corps de gauche était posté sur les hauteurs de Saint-Christophe-du-Bois, se prolongeant jusqu'au village de la Tremblaye ces deux ailes formaient comme deux armées à part, soit à cause des localités, soit pour mieux s'opposer à une double agression de l'ennemi, qui pouvait tourner Chollet par Tiffauges. Lescure, jusqu'à l'arrivée d Bonchamps, qui s'avançait avec sa division pour se joindre à lui, prit seul le commandement de l'aile gauche.

Le plan des royalistes consistait à reprendre l'offensive, en attaquant les républicains dans leur marche sur Chollet, dont les rassemblements vendéens couvraient les approches. L'attaque étant même décidée pour le 14 octobre, Bonchamps devait tomber inopinément sur le flanc gauche des républicains, par le chemin de Tiffauges, tandis que Lescure s'engagerait dans la même manœuvre par la route de Mortagne. Quant à l'aile droite, tenue comme en réserve, elle aurait pu ensuite frapper un coup décisif. Mais la marche des républicains fut plus lente que ne l'avaient d'abord supposé les royalistes ; et d'ailleurs Bonchamps ne trouvant plus aucune division vendéenne dans Chollet, ne put joindre assez tôt l’armée royale.

Ce fut seulement le lendemain i5 octobre que le général en chef Lechelle donna l'ordre à l'armée de Luçon, faisait soutenir par l'armée de Mayence, de se porter rapidement sur Chollet, tandis que son corps de gauche ne ferait qu'une fausse attaque sur l'aile droite des royalistes, vers le bourg de la Romagne. Les têtes de colonnes étaient toutes en mouvement et s’avançaient en hâte, lorsqu'on vint avertir Lescure, dont la division était postée dans le village de la Tremblaye, à moitié chemin de Chollet à Mortagne, que l'ennemi apparaissait en force dans les avenues du château même de la Tremblaye. Aussitôt il se porte en reconnaissance avec le jeune Beauvollier, monte sur un tertre, et découvre, à vingt pas de lui, l'avant-garde républicaine. « En avant, mes amis ! s'écrie-t-il aussitôt ». Au même instant il tombe sans connaissance, frappé d'une balle près le sourcil gauche et qui sort derrière l'oreille. Mais telle est l'impulsion qu'il vient de donner aux paysans vendéens, que ceux-ci s'élancent avec tant d'intrépidité sur l'ennemi, qu'ils passent sur le corps de leur général sans le voir, et font tout reculer devant eux. Les républicains reviennent à la charge en plus grand nombre, et déjà le canon gronde sur la grande route et annonce une bataille. Cependant deux officiers de Lescure, Beauvollier et Renon l'arrachent sanglant des mains de l'ennemi, et le transportent à Beaupreau. La chute de ce chef, blessé mortellement, jeta l'alarme parmi les Poitevins ; mais ils furent soutenus par la division de Bonchamps, qui, arrivée à la hauteur de Saint-Christophe-du-Bois, assaillit à son tour les républicains. Ceux-ci, fatigués par plusieurs marches pénibles, et déconcertés par deux attaques consécutives, plièrent de nouveau : toutefois le conventionnel Turreau les rallia, aidé de son collègue Carrier, dont la funeste apparition dans la Vendée doit faire époque ; il pressa la marche des Mayençais, que conduisait Beaupuy. Par un circuit, ce général tourna, avec sa division, l'armée catholique restée sur une hauteur d'accès difficile ; ensuite il fondit brusquement sur le village de la Trembla e. Une attaque aussi subite étonna les Poitevins ; ils plièrent à leur tour, découragés d'ailleurs par la perte de Lescure. Déjà la division de Luçon, enhardie par les manœuvres des Mayençais, avait repris l'offensive. Les royalistes ne reconnaissant plus les républicains, qui jusqu'alors avaient presque toujours fui devant eux, prirent l'épouvante et se rompirent en désordre, laissant le champ de bataille couvert de morts. Poursuivis sur la grande route de Mortagne à Chollet, ils ne s'arrêtèrent que dans cette dernière ville ; sa situation en amphithéâtre, sur un côteau environné de bois, leur offrait une position militaire. Quelques chefs, entre autres La Rochejacquelein, soutenaient qu'il fallait s'y défendre et recommencer la bataille ; mais on ne put y retenir les Vendéens, qui, épouvantés, se replièrent en hâte sur Beaupreau où d'ailleurs Bernard de Marigny avait déjà fait filer l'artillerie et les caissons. Cependant, comme on sentit la nécessité de laisser au moins une arrière-garde Chollet, Marigny reçut l'ordre, dans la nuit même, d'y faire revenir l'artillerie à cheval, qui, le lendemain 16 octobre, soutenue par la cavalerie, fit des démonstrations de défense, pour laisser le temps à l'armée de se rallier Beaupreau.

En effet, l'armée républicaine, qui, n'osant pénétrer dans Chollet pendant la nuit, avait bivouaqué au milieu des cadavres, trompée le lendemain par le bruit du canon de l'armée royale, s'avança lentement et gagna les hauteurs qui dominent la ville les éclaireurs n'y entrèrent qu'avec une extrême précaution, après la retraite de la cavalerie des Vendéens. Au même instant les divisions de Fontenay, victorieuses à Châtillon, parurent aussi à la vue de Chollet, conduites par les commissaires Fayau, Bourbotte et Bellegarde. Dès-lors la concentration de toutes les divisions républicaines fut entièrement consommée. Jamais on n'avait réuni une armée si aguerrie et si nombreuse, au centre même de la Vendée.

Tandis que la jonction de toutes les forces républicaines s’opérait autour de Chollet, la confusion et le désespoir étaient au comble à Beaupreau parmi les royalistes. Le conseil s'assembla pour délibérer à la hâte. Altérés par les pertes qui venaient d'éclaircir leurs rangs, aussi bien que par l'opiniâtreté d'un ennemi jusque-là si facile à décourager, les chefs vendéens sondèrent la profondeur de l'abîme, Plus le danger était imminent, moins ils semblaient pouvoir s'accorder, chacun voulant faire prévaloir son avis, lorsqu'il n'eût fallu qu'une volonté unique.

On ne se dissimula point toutefois que la perte de Chollet pouvait entraîner la destruction de la Vendée entière ; que, pour tenter un dernier effort afin de chasser les républicains, il n'y avait pas un instant à perdre ; et que le succès n'était pas impossible l'armée étant nombreuse et les soldats animés, soit par la vengeance, soit par la nécessité de vaincre. L'avis de livrer une grande bataille n'étant point contesté, Bonchamps, qui ne voyait aucun lieu de retraite en cas de revers, insista de nouveau pour qu'on s'assurât le passage de la Loire, afin de pouvoir se jeter en Bretagne, comme dans un refuge : il réitéra l'assurance que toute cette province se joindrait à la cause de la Vendée. Talmont appuya fortement la proposition de Bonchamps ; il protesta que la présence seule d'un corps royaliste suffirait pour soulever non-seulement la Bretagne, mais encore la province du Maine, ou la fermentation était au comble ; il promit des renforts puissants dans ses immenses propriétés de Vitré, de Laval et de la Gravelle.

La proposition de Bonchamps fut adoptée mais trop tard. On détacha à l'instant même un corps de quatre mille Bretons et Angevins, sous les ordres de Talmont et de Dol-Joux, avec un train d'artillerie et de munitions., à !'effet de forcer le passage de la Loire à Saint-Florent, et d'occuper Varades. Déjà une partie des compagnies bretonnes confiées à d'Autichamp, étaient postées à Saint-Florent même, où elles trouvaient des approvisionnements avec bien plus de facilité que dans le Bocage, eu proie alors à toutes les horreurs de la guerre. Ces causes éloignées avaient accoutumé à ridée d'une diversion sur la rive droite.

En se séparant ainsi d'une partie de leurs forces, à l'approche d'une grande bataille non-seulement les royalistes s'affaiblirent, mais ils perdirent encore de leur persévérance. Était-il possible, en effet, si le sort des armes leur était contraire, qu'ils ne portassent pas leurs regards vers le fleuve dont on leur préparait le passage ? Quoiqu'il en soit, vainqueurs ou vaincus, ils étaient désormais décidés à combattre à outrance.

Le 17 octobre, à l'aube du jour, d'Elbée, Bonchamps, La Rochejacquelein, Donnissan, Royrand, Stofflet et un plus grand nombre de chefs secondaires se mirent en marche sur Chollet, la tête de quarante mille royalistes, soutenus par l'espoir d'y surprendre les républicains.

Ceux-ci occupaient toutes les positions au dehors de Chollet, du côté de Beaupreau. L'armée de Mayence se trouvait placée au centre et en première ligne, appuyant sa gauche sur les bois qui sont à l'ouest, vers Saint-Léger. L'aile droite, formée par la division de Fontenay couvrait les hauteurs qui dominent la ville à l'est ; en seconde ligne se trouvait l'armée de Saumur. On tenait prête aussi une réserve de quatre mille hommes, composée des régiments de la Marck, de Beauvoisis, d'Aunis, de Normandie et du cent neuvième, commandée par le général Haxo, dont cette journée allait commencer la réputation. Moins confiant qu'attentif, le général en chef Lechelle avait fait mettre bas les havresacs, en donnant l'ordre que chacun eût à se tenir à son poste. Cette précaution sauva peut-dire l'armée ; car à peine les généraux, assemblés avec les commissaires conventionnels, eurent-ils résolu de marcher à la rencontre des royalistes, que ceux-ci, arrivant tout-à-coup, se précipitent sur les avant-gardes avec la rage du désespoir, La générale est aussitôt battue sur tous les points de la ligne et en un instant l'armée républicaine se trouve rangée en bataille dans les landes de Begrolle, en avant de Chollet, du côté de Beaupreau. Là les deux armées en vinrent à une action générale, l'une des plus décisives de tonte à guerre.

Dépourvus d'artillerie, les royalistes commencent la fusillade à demi-portée de carabine et au pas de course. Bientôt Bonchamps et d'Elbée dirigent tous leurs efforts contre l'aile droite commandée par le général Chalbos, tandis que La Rochejacquelein et Stofflet entament l'attaque avec fureur vers le centre. Pour la première fois les Vendéens marchent en colonne serrée comme la troupe de ligne, précédés par leurs plus habiles tirailleurs. Malgré la résistance de l'aile droite, malgré l'ardeur des commissaires de la convention, la troupe de Chalbos fut enfoncée. Le général Bard reçut une blessure en chargeant avec les grenadiers ; Carrier lui-même eut un cheval tué sous lui. La masse victorieuse des Vendéens s'éparpillait en demi-cercle, se jetant à droite et à gauche de la ligne des républicains, tandis que La Rochejacquelein et Stofflet poussaient en avant. Leur choc fut tellement rude, que les Vendéens pénétrèrent jusqu'au faubourg de Chollet. Tous les efforts pour les repousser furent d'abord inutiles. Quelques demi-brigades s'élancèrent sur les phalanges de Stofflet, mais rien ne put leur rendre l'avantage du combat. Déjà les volontaires de la seconde ligne poussaient le cri fatal de sauve qui peut ! Déjà le parc d'artillerie était au pouvoir de La Rochejacquelein et de Stofflet, et on tournait les canons contre l'armée républicaine, dont une moitié, frappée de terreur, allait prendre la fuite, quand le général Haxo, par une manœuvre prompte et hardie, passa entre Chollet et un ravin profond, vint, avec la réserve, surprendre les royalistes en flanc, et reprendre tous les canons. Dans cette vive attaque, il culbute les meilleures troupes de Stofflet et tue, sur leurs pièces, les artilleurs vendéens. En même temps, le général Bard, couvert de blessures, rallie les grenadiers de l'aile droite, et leur dit, en montrant la division de Mayence qui chargeait les royalistes : « Camarades ! souffrirez-vous que les Mayençais viennent vous arracher le fruit de cette journée ? Voulez-vous passer pour des lâches ? A moi, grenadiers ! marchons, chargeons encore une fois les rebelles, et je vous promets la victoire ». Aussitôt les grenadiers fort volte-face et reforment leur ligne. Pourtant quelques demi-brigades, exposées un feu meurtrier, lâchent, encore le pied. Bonneval, à coups de crosse, essaie de ramener les fuyards. Alors une compagnie encore incertaine bat la charge, et la division entière marche au feu. Les grenadiers fondent, la baïonnette en avant, sur cette masse énorme qui venait de percer la ligne. Partout on se mile, on se serre, on se saisit ; le champ de bataille devient une arène de gladiateurs forcenés qui semblent ne plus chercher que la mort. Tandis que le choc des républicains est soutenu et même repoussé, le général Beaupuy ordonne à la cavalerie des Mayençais une seconde charge, s'élance dans les rangs ennemis, et abat, à coups de sabre, tout ce qui se présente. Les Vendéens furieux, ne pouvant atteindre les bommes, s'attachent aux chevaux et roulent avec eux. Ici l'intrépidité de Beaupuy et de ses cavaliers, au centre la valeur des grenadiers, triomphent de l'acharnement, des royalistes. En vain d'Elbée, Bonchamps, Desessarts, d'un côté ; Stofflet, La Rochejacquelein, Royrand de l'autre, cherchent à ranimer leurs troupes ébranlées quelques lèches avaient déjà regardé en arrière et parlé hautement de fuir vers la Loire ; leurs cris étouffent la voix des braves. Un sentiment de trouble et de vertige s'empare des Vendéens découragés ; tout ce qui est saisi d'effroi, tout ce qui craint la mort se débande et court vers Beaupreau. Les efforts héroïques de d'Elbée, de Bonchamps, de La Rochejacquelein ne peuvent plus rien contre ce découragement universel ; ils appellent en vain la cavalerie : le plus grand nombre est en fuite. Ces trois illustres chefs voulant se sauver par un prodige ou s'ensevelir glorieusement sous les ruines de leur parti, parcourent les rangs éclaircis, rallient environ deux cents cavaliers et les plus intrépides fantassins. Tous se groupent autour des trois généraux, et attendent, sans presque nul espoir de vaincre, le signal de la charge : ils s'élancent dans les rangs ennemis au cri de tue les républicains ! cri de rage qui est suivi de nouveaux massacres. Tous se précipitent sur les vainqueurs comme des animaux furieux et déchainés, hissant partout des traces de sang et de carnage. Le vaillant Beaupuy, emporté par trop d'ardeur, se trouve bleui& entouré d'ennemis ; un cavalier vendéen l'attaque ; Beaupuy lutte en combat singulier et le renverse d'un coup de gabare. Les grenadiers mayençais chargent, au milieu même de la cavalerie, les soldats de d'Elbée et de Bonchamps ; tout est confondu, rangs, drapeaux, chefs, soldats ; amis et ennemis s'entrechoquent, se mêlent et ne se reconnaissent que pour se fusiller à bout portant, ou pour s'égorger à coups de sabre et de baïonnette. Beaupuy pare un grand nombre de coups il est entouré, pressé de tous côté, ; trois chevaux sont tués sous lui ; de nombreux escadrons arrivent et le dégagent Bonchamps et d'Elbée, cernés à leur tour, voient la mort moissonner tout ce qui les entoure. A calté deux, Laroche-Courbon est frappé d'une balle. Eux-mêmes sont renversés, chacun d'un coup de feu, Bonchamps dans les intestins et d'Elbée dans la poitrine ; ils seraient restés parmi les morts, si Lyrot et Piron n'eussent tout bravé pour les tirer des mains de l'ennemi. Tous deux arrivaient l'instant sur le champ de bataille, à la tête d'une division qui marchait à grands pas, mais trop tard, au secours de la grande armée.

Selon d'autres mémoires, Bonchamps aurait été frappé avant d'Elbée, au moment où il donnait l'ordre de diriger l'aile droite vers le centre, devenu le point décisif ; il n'était mime pas exposé au feu de l'infanterie ; ce qui fit soupçonner que le coup était parti de ! la main d'un traitre, Quoique blessé, Bonchamps voulut remonter à cheval, mais ne pouvant se soutenir, ses soldais formèrent à la hâte un brancard, où ils le placèrent pour le transporter à Beaupreau ; ils le suivaient pleins d'admiration et en versant des larmes. D'Elbée, épuisé par la perte de son sang, fut également porté à Beaupreau, puis à Noir-moutiers. On ajoute que ce ore fut qu'après avoir vu tomber ces deux chefs, que les vendéens se livrèrent au plus funeste découragement, et que la bataille, gagnée jusqu'alors, changea de face. Mais ces dernières circonstances sont peu susceptibles d'être éclaircies, et encore moins confirmées, aucuns des principaux acteurs de dette grande scène sanglante n’ayant survécu à la guerre civile. La bataille étant perdue sans ressources, les débris de l’armée royale coururent en Tordre vers Beaupreau, laissant dix mille morts, moissonnés et deux jours sur les hauteurs et dans les champs de Chollet et de Mortagne, L'armée victorieuse, au lieu de poursuivre les fuyards, rentra dans Chollet la torche à la main et en marchant dans le sang. On mit les manufactures au pillage les ballots de mouchoirs, les chevaux, le bétail, rassemblés en grand nombre, tout fut partagé ; un bœuf, un cheval, étaient donnés à vil prix par les soldats, qui ne s'occupaient qu'à grossir leur butin, au lieu de poursuivre les vaincus, en fuite vers la Loire. Westermann, arrivé de Châtillon après la bataille, se hâta de suivre leurs traces : un corps d'infanterie prit la même direction pour l'appuyer et le soutenir.

Déjà le torrent des fuyards avait entraîné La Rochejacquelein jusqu'à Beaupreau. Devenu l’âme de son parti, ce jeune guerrier, dont le courage indomptable s'alliait toujours à la modestie la plus simple, se vit engagé sous ces funestes auspices dans le passage de la Loire, qu'il désapprouvait. Sa première pensée fut de couvrir et d'assurer sa retraite. Il laisse d'abord une forte arrière-garde à Beaupreau, lui ordonne de se défendre avec vigueur, et de se porter ensuite rapidement sur les bords du fleuve ; mais l'effroi glaçait tous les esprits. Peu de Vendéens auraient attendu l'ennemi à Beaupreau, si la plupart, accablés de fatigue, n'avaient chercher le repos au milieu même des dangers. Ils cédaient à peine aux douceurs du sommeil, que l'infatigable Westermann, à la faveur des ténèbres, et après avoir égorgé trois avant-postes, pénètre au pas de charge dans la ville meure, renversant, taillant en pièces unie partie de l'arrière-garde. Ceux qui peuvent échapper au carnage prennent la fuite, après avoir tiré le canon d'alarme, abandonnant dix pièces d'artillerie, trente mille rations de pain, un magasin à poudre et beaucoup de prisonniers. Cen était fait des Vendéens, si les soldais de Westermann avaient poussé jusqu'à Saint-Florent ; mais épuisés par tant de marches et de combats, ils éprouvèrent la nécessité du repos, qu'ils semblaient ne trouver que dans les excès et le pillage. Les généraux républicains, en ne poursuivant pas immédiatement, sur les bords du fleuve, les royalistes saisis d terreur, laissèrent échapper les gages de la victoire. Le général Haxo pressent ait cette faute. Resté à la garde du parc d'artillerie, qu'il avait reconquis avec tant de gloire. Et prêt à marcher avec la réserve, il dit à ses soldats, impatiens d'agir : « Camarades, sans doute qu'on ne laissera point aux royalistes le temps de délibérer ni de se rallier, et que demain la Loire leur servira de tombeau ». En effet, par un dernier effort, on aurait pu aisément les y précipiter ; car, malgré l'activité et l'énergie de La Rochejacquelein, leur retraite n'était qu'une fuite désolante.

Le passage du fleuve venait de leur étire ouvert et assura. On se battait encore à Chollet le 17 octobre, que déjà un grand nombre de fuyards couraient vers Saint-Florent sans s'arrêter. L'un d'eux vint annoncer le premier aux chasseurs des compagnies bretonnes de Bonchamps, la défaite de l'armée, et détermina ainsi le passage. D'Autichamp n'hésite pas ; il est animé du désir d'exécuter le projet favori de son général. A l'instant mante quatre cents chasseurs, conduits par le brave Gourdon, l'un des plus valeureux officiers de Bonchamps se rassemblent pour tenter l'entreprise ; ils seront soutenus par autant d'Angevins, que commandent MM. de Turpin et de Scépeaux, et par l'artillerie de Saint-Florent. Aucun obstacle ne peut les arrêter ; ils veulent à tout prix s'emparer de Parades, sur la rive droite du fleuve. On vit alors une poignée de braves voguant d’ile en ile, sur quelques barques légères, fondre à l'improviste mais en plein jour, sur huit cents républicains chargés de défendre ce poste. Surpris et attaqués avec une vigueur extraordinaire ceux-ci lâchent honteusement le pied, pour se réunir non loin de là, an cantonnement d'Ancenis. C'est l'officier général, qui commandait le cantonnement, qu'on imputa depuis, avec raison, tous les malheurs qui fondirent sur trois provinces. A peine d'Autichamp eut planté l'étendard royal Parades, qu'il revint sur la rive gauche, attendre tes ordres de Bonchamps, dont il ignorait la destinée, et auquel même il avait expédié un courrier pour l'informer du succès de son attaque.

Il ne tarda pas à Aire renforcé lui-même par le détachement qu'amenait Talmont. Ce prince, chargé d'assurer le passage du fleuve avec quatre mille hommes, se dirigeait vers Saint-Florent, lorsqu'il reçut, à minuit, la nouvelle de la perte de la bataille. Il en prévit les suites fatales, et hâtant sa marche vers les bords du fleuve, il y trouve d'Autichamp : « Tout est perdu, lui dit-il. — Ma troupe, répond d’Autichamp, vient de passer la Loire et d'emporter Varades. — Je venais dans le même dessein, ajoute Talmont ». Ces deux chefs se concertent et ordonnent toutes les dispositions nécessaires pour que l'armée, qui accourait dans le plus grand démordre, pût effectuer le passage sans délai et sans obstacles. Il n'y avait plus un instant à perdre. Avec des groupes de fuyards venant de Chollet et de Beaupreau, et qui se succédaient sans interruption, arrivait presque toute la population de la Haute-Vendée, qui se précipitait sur Saint-Florent, dans l'espoir de franchir le fleuve et d'échapper au fer et au feu de l'ennemi. Les cris de douleur des femmes, des enfants, des vieillards et des mourants, rendaient plus déchirant ce spectacle de désolation et d'alarme. Une morne consternation saisit la multitude à l'aspect de Bonchamps et de Lescure, blessés à mort et portés par leurs soldats. Les fuyards leur servaient d'escorte, moins occupés de leurs propres dangers que de la triste destinée de ces deux chefs. L'armée entière par un mouvement désordonné, se précipitait vers Saint-Florent ; on y amenait aussi de Chollet cinq mille prisonniers républicains ; neuf d'entr'eux venaient d'être fusillés en route, pour avoir cherché à s'évader. On ne pouvait ni les traîner plus loin sans danger ni leur faire traverser le fleuve : on les enferma dans l'église de Saint-Florent. Les Vendéens, la rage dans le cœur, demandent à grands cris l'égorgement des prisonniers. « Vengeons-nous, s'écriaient-ils ! Vengeons-nous, il en est temps ! Voyez la flamme dévorer nos villes, nos hameaux, nos moissons ! Usons de représailles, puisque nos barbares ennemis ne nous font aucun quartier. Serions-nous assez imprudents pour laisser derrière nous cinq mille ennemis de plus ? Tuons-les ! Massacrons les républicains !... » Ce cri devint général. Les officiers royalistes eux-mêmes, partageant cette animosité cruelle, délibèrent sur le sort des prisonniers, et dans un premier mouvement, sont d'avis de les vouer à la mort. C'est une horreur ! dit, d'une voix affaiblie, Lescure qui gisait dans la chambre du conseil. Quand on parla de donner l'ordre d'exécuter ces malheureux, nul ne voulut s'en charger. C'est une affreuse boucherie, disait l'un ; je ne ferai point l'office de bourreau, s'écriait l'autre. Une telle représaille, ajoutaient plusieurs d'entr'eux, porterait les républicains à redoubler de cruauté ; ils ne laisseraient aucune créature vivante sur la rive gauche ; d'ailleurs ces hommes, prisonniers depuis plusieurs mois, n'ont point participé aux massacres et aux incendies. Cependant la tourbe furieuse des Vendéens tournait les canons pour les mitrailler. Rien ne semblait pouvoir les soustraire au massacre, lorsque le généreux Bonchamps, en proie aux douleurs d'une blessure mortelle, entend ces cris de vengeance et de rage ; il ranime ses forces défaillantes, appelle ses officiers, plongés dans l'affliction, sollicite et obtient de leur dévouement la grâce de tant de malheureux. D'Autichamp se jeta, dit-on, à ses genoux, et Bonchamps lui serrant la main, lui dit : « Vas, sois l'organe et l'exécuteur de ma dernière volonté ». Il courut aussitôt pour remplir ce devoir sacré. Mais comment en imposer à cette multitude féroce qui veut le massacre ? La voix mourante de Bonchamps ne pouvant ne faire entendre, un roulement annonce une proclamation. Les plus mutins accourent ; ils écoutent. C’est un ordre donné par Bonchamps aux portes du tombeau ; il veut qu'on respecte la vie des prisonniers. Au nom de Bonchamps, le recueillement succède à la fureur ; on verse des larmes ; les canons, déjà braqués, sont détournés. De tous côtés on entend crier : « Grâce ! grâce ! Sauvons les prisonniers, Bonchamps le veut, Bonchamps l'ordonne » ! Il est obéi. Telle fut la dernière action de ce héros chrétien, transporté le même jour au hameau de la Meilleraye, dans une île de la Loire, il y expira presqu'aussitôt. Son âme in cible et généreuse quitta la terre, emportant, pour consolation le salut de cinq mille victimes. Ses restes furent déposés dans l'église de Varades, vis-à-vis Saint-Florent, qui est encore rempli de son nom. Assez de témoignages, d'ailleurs, confirment ce dernier trait de sa vie, sur lequel, depuis ma première version, on avait essayé de répandre le doute[1].

 

 

 



[1] Voyez, à la fin du volume, Pièces justificatives, n° II.