HISTOIRE DE LA GUERRE DE LA VENDÉE

TOME DEUXIÈME

 

LIVRE HUITIÈME.

 

 

Défaite de l'armée de Luçon par les royalistes. — Levée en masse des républicains. — Rassemblement général dans la Vendée. — Défaites de Santerre à Coron, de Duhoux à Saint-Lambert, des Mayençais à Torfou, de Beysser à Montaigu, et de Mieskousky à Saint-Fulgent.

 

LE PLAN de campagne adopté dans le conseil de guerre tenu à Saumur n'était que le complément du code d'extermination voté par la convention nationale, contre la Vendée. Alors commença une lutte si terrible, que tous les combats antérieurs semblent n'en avoir été que le prélude. S'il survint des incidents, ce fut moins pour suspendre tant de calamités, que pour démontrer aux hommes que certaines chances échappent à leurs calculs, et paraissent ne dépendre que du hasard. Tandis que les républicains préparaient une attaque générale, les Vendéens, moins occupés de leurs travaux agricoles, se livraient à des expéditions partielles : toutes ne furent pas sans succès.

Mécontent de la grande armée depuis l'échec de Luyon, Charette s'était retiré d'abord à Chantonay ; mais les républicains y étant retenus en forces, il s'était replié sur Legé, quartier-général, qu'il préférait à tout autre par sa position avance tapeuse. La troupe de Charette était assez bien organisée ; lui-même affectait une sorte de tenue militaire. Il avait alors pour décoration un panache blanc et une écharpe de même couleur, fleurdelisée en or, et que madame de La Rochefoucault avait brodée de ses mains. La première opération de Charette fut de se concerter avec Savin, dans l'espoir de s'emparer de Laroche-sur-Yon par surprise. Il se mit en marche, et divisa sa troupe en trois colonnes, qui, le 26 août, donnèrent en même temps Joly par Lamotte-Achard, Charette par le Poiré, Savin par les Essarts. Mais la division républicaine des Sables-d'Olonne, commandée par le général Mieskousky, était déjà sous les armes : elle repoussa les royalistes, et ne fit point de quartier. Après d'inutiles efforts, les trois chefs se replièrent dans le Bocage. Madame de Beauglie, femme d'un officier du régiment de Wals, jeune et belle, se fit remarquer dans la division de Joly. Elle marchait à la tête d'une compagnie de chasseurs à sa solde. On la vit protéger la retraite et combattre en véritable amazone. La réputation de bravoure et de galanterie qu'avait méritée Charette, la décida à le suivre, et le quartier-général de Legé redevint le séjour des plaisirs. Là cette nouvelle héroïne, réunie à la sœur de Charette, put être mise en parallèle avec madame de La Rochefoucault, moins guerrière, mais qui l'emportait par ses charmes, La tranquillité régnait dans tout le territoire soumis à Charette. Rentrés chez eux, les paysans de le Basse-Vendée faisaient paisiblement leurs moissons ; ils semblaient jouir sans trouble du fruit de leurs travaux, quand des ennemis redoutables vinrent rallumer les feux de la guerre.

Déjà les troupes de la garnison de Mayence s'approchaient de Nantes. La nouvelle de leur marche rassurait les républicains et inquiétait les royalistes du Bas-Poitou. Ceux-ci firent un appel aux braves, dont les nouveaux rassemblements se formèrent à Torfou et à Villeneuve. Leur camp, qui était commandé par MM. de Goulène, La Sécherie et Massip, s'étendait jusqu'aux Sorinières c'était un détachement de l'armée de Charette. Ce chef s'y rendit en personne avec quelques renforts, pour armer les incursions et les dévastations de Beysser, qui avait pris positions dans les landes de. Ragon, afin de couvrir Nantes. Le 31 août, les royalistes s'y présentent à portée du canon. Le général Emmanuel Grouchy les repousse d'abord, les poursuit et leur enlève ensuite, à la the d'un corps de grenadiers, leurs retranchements ainsi que les villages voisins qu'ils avaient crénelés. Revenus en forces, le 5 septembre, les Vendéens tournèrent le camp républicain vers le centre et vers la gauche, et l'attaquèrent sur deux points à la fois. Ils furent mis en fuite de nouveau par quatre mille hommes. Le même jour, la tête de la colonne de Mayence parut aux portes de Nantes, où le corps de bataille ne tarda pas à faire son entrée, après s'être formé sur deux lignes dans la prairie de Mauves. La précision de ses manœuvres et sa discipline étonnèrent les Nantais, qui accoururent en foule, et passèrent dans les rangs de ces braves, aux cris répétés de vive la république ! L’administration départementale présenta une couronne murale aux généraux et à chaque drapeau de la division. Le général Aubert-Dubayet prononça, à cette occasion, un discours martial et patriotique. A l'instant ridule, les Vendéens, revenus à la vue du camp, passent dans quelques ales que forme la Loire, et saluent les républicains par une fusillade. Les balles sifflent autour des généraux et des commissaires conventionnels. Merlin de Thionville, emporté par la fougue de son caractère, s'avance vers les royalistes, leur parle d'une voix ferme et tellement assurée qu'elle s'élève au-dessus du bruit des armes. Le silence succède à la curiosité, et bientôt les Vendéens se disent les uns aux autres que l’armée de Mayence est arrivée. Étonnés, interdits, leurs chefs ordonnèrent la retraite.

Cependant vers le Haut-Poitou, d'Elbée, Lescure et La Rochejacquelein se concertent avec les chefs du centre, pour réparer l'échec de Luçon ; ils jugent qu'il n'y a pas un moment à perdre pour dégager le midi de la Vendée, avant de laisser commencer l'attaque générale qui se prépare vers la Loire. En conséquence, ils rassemblent aux Herbiers toutes leurs divisions pour attaquer Chantonay, où s'était imprudemment avancée l'armée de Tuncq, général devenu redoutable aux royalistes ; et pourtant disgracié par la convention. Aussi reçut-il le tribut le plus honorable qu’un guerrier puisse tenir de l'ennemi. Ce ne fut qu'après son départ de Chantonay que les Vendéens se hasardèrent d'attaquer son camp ; sorte d'hommage qu'ils n'avaient jamais rendu à aucun autre général de la république. Lecomte, chef du bataillon le Vengeur, fait récemment général de brigade, venait de remplacer Tuncq dans le commandement, Les forces qu'il avait sous ses ordres s'élevaient à huit mille hommes environ ; elles étaient postées en avant de. Chantonay. Le 4 septembre, les généraux Vendéens, réunis aux Herbiers, tinrent conseil. Un officier du Haut-Anjou, M. de Rostaing, proposa à d'Elbée de tourner l'ennemi et de le mettre entre deux feux. D'Elbée objecte que ce plan laisserait les royalistes sans retraite. M. de Rostaing insiste et proteste que les Vendéens, sont décidés à se battre à outrance son avis est adopté. En conséquence Royrand est chargé de la fausse attaque de front., tandis que Lescure, La Rochejacquelein et d'Autichamp, suivis de 20 pièces de canon tourneront le camp pour l'investir. Royrand se met le premier en marche. Le même jour, d'Elbée ordonne au gros de l'armée, qui s'élevait à près de quinze mille hommes, de se porter en avant, au soleil couché., et sans bruit, donnant la conduite de l'arrive-garde à M. de Rostaing. On marcha toute la nuit, et au point du jour la tête de la colonne fit halte, pour donner le temps à toute l'arme de se réunir très-serrée. On continua ainsi la marche, jusqu'à trois heures après midi. Arrivé par un détour à une lieue du pont Charon, dans un endroit très-fourré, on s’arrêta de nouveau, De là tout fut conduit avec une précision telle que les royalistes, se trouvant maîtres de la route de Luçon, il ne resta plus aux républicains de retraite assurée. On s'empara d'abord de toua les bagages avant qu'ils soupçonnassent l'arrivée des Vendéens. A quatre heures du soir les chasseurs de Bonchamps, encouragés par d'Autichamp et La Rochejacquelein commencèrent le feu. Les républicains ripostèrent, mais leur cavalerie refusa de donner. Une vive fusillade succédant aux coups de canon, se prolongea fort avant dans la nuit. Le général Lecomte résistait avec courage ; mais une blessure mortelle l'ayant mis hors de combat, le désordre se mit dans son camp et l'effroi s'empara des républicains. Persuadé par la manière dont les royalistes étaient arrivés sur eux, qu'ils étaient maitres de Luçon, ils prirent la fuite au hasard. Tous les corps se débandèrent, à l'exception de deux bataillons qui tinrent ferme. Mais accablés par le nombre, ils furent également contraints de se disperser et de fuir, à la faveur des ténèbres, du côté de Mareuil. De cette brave armée de Luçon il resta tout au plus quinze cents combattants. Vivres, munitions, artillerie, chariots chevaux, effets de campement, six millions en assignats, tout tomba au pouvoir des royalistes. Ce succès, il est vrai, leur coûta près de 'deux mille hommes, qui, voulant forcer les retranchements, périrent presque tous par l'arme blanche. Un seul officier resta parmi les morts c'était un jeune gentilhomme d'Oneille en Piémont, transfuge de la légion germanique nommé Augustin Le May, que sa figure intéressante et sa bravoure faisaient remarquer. La déroute des républicains fut telle, que pendant plusieurs jours on trouva partout dans les champs des prisonniers cachés, qui venaient eux-mêmes, pressés par la faim, se livrer aux paysans.

Parmi les prisonniers on reconnut plusieurs soldats du bataillon dit le Vengeur, auquel on reprochait des incendies et des massacres on les fusilla, ainsi que leur nouveau colonel, qui offrit en vain quatre cent mille francs pour sa rançon. Le camp des républicains, composé de baraques, fut livré aux flammes.

Couvert de blessures, le brave et malheureux Lecomte échappé miraculeusement des mains de l'ennemi, éleva de son lit de mort des plaintes douloureuses contre son prédécesseur. « Le général Tuncq, a quitté son poste l'avant-veille de la bataille, sans avoir fait aucune disposition pour assurer les derrières de l’armée poussée à huit lieues de Luçon, sans postes intermédiaires. Il est parti sans laisser aucun renseignement, et emportant avec lui les cartes, le livre d'ordre, les notes secrètes, toutes les piles enfin, ce qui me met hors d'état de préciser nos pertes ». Tuncq fut arrêté par ordre des commissaires de la convention ; mais il allégua qu'étant destitué, il avait à quitter l'armée, où il ne pouvait plus exercer aucun commandement.

Le général Chalbos, dans l’appréhension que les Vendéens profitassent de cette victoire pour marcher sur Fontenay qu'on ne pouvait défendre, fit sa retraite sur Niort ; mais rassuré par leur inaction et bientôt même par leur retraite vers le centre de la Vendée, il reprit sa première position.

La plupart des généraux royalistes se trouvant réunis aux Herbiers, agitèrent d'établir un nouvel ordre dans l'armée, afin de pouvoir déployer tous leurs moyens de défense. On voyait le danger s'accroître, les armées républicaines devenir plus nombreuses, et se discipliner avec de meilleurs généraux. On savait que les garnisons de Mayence, de Condé et de Valenciennes, étant restées libres de servir dans l'intérieur de la France, en vertu de leur capitulation, venaient d'être transportées en poste, soit à Angers, soit à Nantes pour combattre les Vendéens. Les circonstances étaient critiques et pressantes. On tint conseil. Le droit d'y entrer, qu'on avait restreint vers le temps de la bataille de Luçon, s'étendit de nouveau à tous ceux qui en avaient joui précédemment. D'Elbée resta généralissime ; mais on divisa la Vendée entière en quatre commandements principaux. Celui de Charette devait comprendre, vers la mer, tout le Bas-Poitou jusqu'à Nantes, quoiqu'une telle extension de pouvoir ne fût pas reconnue par tous les chefs de la Basse-Vendée. Le commandement de Bonchamps embrassa tout le pays de Mauges, le long de la rive gauche de la Loire, du cilié d'Angers. La Rochejacquelein eut le reste de l'Anjou méridional, et Lescure le Haut-Poitou, depuis Châtillon et Bressuire jusque sous les murs d'Airvaulx et de Thouars. Ce dernier commandement, qui était le plus considérable, pouvait donner jusqu'à vingt mille combattants. On voulut y réunir encore la division de Royrand, dite du centre, dont le quartier-général était le plus souvent aux Herbiers ; mais Lescure s'il opposa avec ce noble désintéressement qui le distinguait, et Royrand eut, par le fait, un cinquième commandement, composé des paysans du Camp de l'Oie, dont la réputation de bravoure n'était pas comparable à celle des autres Vendéens.

A cette aime réunion, le marquis de Donnissan fut reconnu en qualité de gouverneur général de la Vendée pour Louis LVII. Son autorité devait s'étendre sur le conseil supérieur et sur les généraux. On nomma Royrand gouverneur en second. Le prince de Talmont resta général de la cavalerie ; Bernard de Marigny et le chevalier de Perault conservèrent l'entière direction de l'artillerie vendéenne, et Stofflet continua ses fonctions de major-général. On décida aussi aux Herbiers que chaque général aurait un signe qui distinguerait son grade, et qu'il organiserait dans son commandement un corps de douze cents hommes d'élite soldés, disciplinés et permanents, à l'instar des troupes de ligne. Mais toutes Ces dispositions ne pouvaient recevoir leur entier effet qu'à la faveur d'un intervalle de repos ; au contraire, on se prépara à des combats plus fréquents, plus meurtriers que tous ceux que les deux partis s'étaient livrés jusqu'alors.

Les commissaires de la convention, voulant faire précéder l'attaque générale par ce qu'on appelait une grande mesure, et opposer à la masse des insurgés une plus forte masse, arrêtèrent qu'un tocsin général sonnerait le 12 septembre dans tous les districts environnant la Vendée ; et que tous les habitants, depuis dix-huit ans jusqu'à cinquante, prendraient les armes, et se rendraient, chacun avec des vivres pour quatre jours, auprès des divisions qui leur seraient assignées, sous peine d'être emprisonnés comme suspects. Ou eut ainsi beaucoup de paysans et peu de soldats. Jamais, depuis les croisades, on n'avait vu se réunir autant d'hommes ; près de trois cent mille, en état de porter les armes, formèrent cet énorme contingent. L'expérience ne tarda pas à prouver le danger de ces niasses irrégulières, qui jetaient partout la confusion et le désordre. Elles formèrent d'abord un cordon autour du pays insurgé ; l'inaction et le mouvement leur furent également funestes.

L'armée de Mayence, réunie à celle des otites de Brest, pénétra dans la Basse-Vendée en deux grandes divisions., et l'armée des côtes de la Rochelle se dirigea vers les points du Bocage assignés respectivement aux six divisions qui la composaient. Ainsi, huit corps d'armée, distribués sur autant de rayons du cercle, allaient, en se rapprochant des points centraux, se lier et se soutenir pour envelopper et détruire la Vendée. Soixante-dix mille hommes de troupes régulières formaient l'élite de ces forces, et précédaient la levée en masse. Dès le 9 septembre, l'armée des côtes de Brest commença ses attaques sa droite commandée par Beysser, et son corps de bataille y formé de la division de Mayence sous les ordres d'Aubert-Dubayet.

Les chefs du pays de Retz auraient cru in--digne de leur courage de se replier sans disputer le terrain. Malgré les dispositions défensives de La Cathelinière et de Pajot, Beysser emporia successivement le port Saint-Père, Pornic et Bourgneuf. Le port Saint-Père était la clef de tout le pays. Les républicains y lancèrent les premiers obus ; ce qui jeta l'effroi parmi les paysans. On vit, à cette dernière attaque, le lieutenant-colonel Targe, de la légion des Francs, se précipiter à la nage dans la Loire, le sabre entre ses dents, gagner la rive opposée, suivi d'une poignée de braves, et s'emparer, sous le feu des Vendéens, de quelques bateaux gardés par leurs soldats. Ceux-ci ne comptaient déjà plus que sur l'énergie de Charette. Il s'était retiré au Pont-James, où, sa santé s'altérant tout-à-coup, on avait craint même pour ses jours. L'aumônier des royalistes venait d'ordonner des prières publiques pour son prompt, rétablissement quand on sut qu'il était hors de danger. Déjà les courriers se succédaient pour lui annoncer les progrès des républicains. La Cathelinière, après sa déroute, s'était réfugié à Saint-Philibert, où commandait Couëtu. Ce dernier ne savait s’il devait attendre ou éviter l'ennemi ; Charette parut, et détermina les deux divisions royalistes à se replier sur Legé.

Le rassemblement des Sorinières, opposé à ta colonne de gauche, commandée par le général Grouchy, se replia également, non sans avoir tenté de défendre Vertou, qui fut pris et brûlé par los républicains, tandis que la garde nationale nantaise faisait une diversion sur Saint-Sébastien et Basse-Goulène.

Presqu'en même temps, Joly fut surpris dans son camp de la Chapelle-Palluau, par un détachement de l'armée des Sables-d'Olonne ; il perdit son artillerie, et se replia en désordre sur la division de Savin. Ce dernier s'était jet sur Legé, ce qui força Joly de regagner le Grand-Luc. Le poste de Legé ayant été renforcé par toutes ces divisions, leurs chefs réunis déférèrent provisoirement à Charette le commandement en chef. On sentait enfin que ce n'était pas éparpillés qu'on pouvait résister ou vaincre. L'armée républicaine, divisée en deux colonnes, s'avançait par les routes des Sables et de Nantes, la torche et le glaive à la main. Si le décret d'extermination ne fut pas exécuté alors, c'est qu'il fallut employer à combattre une partie du temps destiné à détruire. Toute la population du Bas-Poitou reculait cf. frayée devant les Mayençais, qu'avait devancés leur réputation d'invincibles. L'incendie indiquait leur approche. Les Vendéens, livrés à l'incertitude et aux alarmes, sortent de Legé pour y rentrer encore. Couëtu, voulant reconnaître l'ennemi avec l’avant-garde, tombe dans une embuscade au bois du Coin ; Charette le sauve et protège sa rentrée dans Legé. De tous les points de la Basse-Vendée, on venait y chercher un refuge. Les femmes traînaient sur des charrettes leurs enfants, les malades, les vieillards, et tout ce qui pouvait è Ire sauvé des mains d'une soldatesque furieuse et avide : on ne voyait partout que l'image de la désolation. Vingt y deux mille républicains s'avançaient sur Legé avec cette confiance qui est le présage de la victoire. Trop faible pour leur résister, Charette sollicite le secours de l'armée d'Anjou. D'abord on lui envoie de la poudre et des munitions, avec promesse d'un renfort. Mais il l'aurait fallu à l'instant même, tant les paysans de la Basse-Vendée étaient découragés et abattus, Les avant-postes, les gardes avancées, rien ne tenait. Charette, hors d'état de se défendre, au milieu d'un peuple épouvanté, redoutant une défaite entière et personnelle, qui peut-être eût anéanti son parti, songeait à abandonner Legé sans honte. Il assemble les principaux Vendéens, et leur dit avec assurance qu'il a regardé jusqu'alors Legé comme leur boulevard, mais que, puisqu'on leur oppose les meilleures troupes de la république, d'ailleurs supérieures en nombre ; que d'un autre côté rien n'annonce les renforts de l'Anjou, tout fait une loi de les aller chercher sur le territoire meule de la grande arme ; qu'en un mot il Faut se réunir tous pour la défense commune. Après cette harangue, il fait filer l'artillerie el tous les objets de transport sous l'escorte de mille hommes d'infanterie et de trente cavaliers, ne gardant avec lui que deux pièces de canon ; puis donnant le signal de la retraite, il voit en un clin-d'œil toute la population se disperser sur la route de Montaigu.

Déjà la cavalerie des républicains était à la vue de Legé et y poussait des reconnaissances. Charette toujours calme au milieu de l'orage, faisait défiler ses troupes par sa droite, et pointer deux pièces de canon contre l'avant-garde ennemie. Bientôt toute l'armée parut, marchant au pas de charge dans l'espoir d'atteindre les Vendéens. Charette eut encore le temps de faire enterrer ses canons ; et de sortir par la route de la Roche-Servière avant que les républicains eussent franchi ses premiers retranchements. Tandis que Beysser entrait à Legé, croyant y trouver les royalistes, ceux-ci précipitaient leur marche vers Montaigu. Des chariots, des équipages, des fuyards, des femmes désolées, couvraient les routes. D'un autre côté, Joly et Savin chassés d'Aizenay, se repliaient de même sur Montaigu, entrainés tous deux par Charette. Le découragement était extrême, et il ne restait plus d'autre espoir que dans l'armée d'Anjou. Charette expédia de nouveaux courriers à Bonchamps, pour hâter son arrivée : le rendez-vous était à Montaigu. Mais, dès le lendemain, il fut attaqué. D'abord les républicains s'emparèrent des hauteurs qui dominent la ville. Quoique abandonné d'une partie des siens, et malgré des torrents de pluie, Charette marcha à leur rencontre jusqu'au bourg de Saint-George, où s'engagea une vive fusillade. Mais Beysser survint par la route de la Rochelle. A la vue de cette nouvelle colonne d’attaque, l’effroi s'empare des Vendéens, qui, tournant le dos à l'ennemi, rentrent en foule à Montaigu, dans le plus affreux désordre. Les uns, trop pressés dans des rues étroites, tombent écrasés ou étouffés ; d'autres se laissent égorger par les soldats qui les poursuivent eu pas de charge, la baïonnette en avant. Mais le gros des royalistes se dégage et trouve enfin une issue. Arrivent sur eux, au galop, une vingtaine de hussards qui sabrent longtemps de droite et de gauche avant de trouver la mort. L'un d'eux, Louis-Guillaume, dit Téméraire, noir africain, renversé avec son cheval, saisit son pistolet pour se brûler la cervelle, ne voulant pas tomber vivant au pouvoir d'un groupe de Vendéens qui s'avancent pour le saisir il ajuste le premier qui se présente et le tue. L'explosion alors fait-relever le cheval ; Téméraire saute dessus, traverse le peloton de royalistes, qu'il écarte à coups de sabre, et regagne son corps sans aucune blessure. Beysser resta maître de Montaigu sans poursuivre les vaincus, dont un grand nombre venaient de perdre la vie dans la radiée. Le reste était en fuite vers Clisson et Tiffauges, par des chemins que les pluies avaient défoncés.

En huit jours, l'armée du général Canclaux, réunie aux en ais, avait fait plus que toutes les armées de l'Ouest en six mois. Le port Saint-Père, Pornic, Bourgneuf, Machecoul, Aigrefeuille, Legé, Palluau, Montaigu et, Clisson venaient d'être enlevés successivement, et de vive force, à des corps royalistes de dix, quinze et vingt mille hommes. Le danger était tout aussi pressant du côté de l'Anjou et du Haut-Poitou, menacés par plusieurs divisions de l’armée des côtes de la Rochelle.

Déjà d'Elbée avait adressé la proclamation suivante à tous les habitants de la Vendée en état de porter les armes[1] : « Accourez, pieux Vendéens ! levez-vous courageux royalistes ! levez-vous pour défendre ce que vous avez de plus cher ! Votre Dieu, votre Roi vous appellent : venez couronner vos efforts. Les puissances généreuses qui combattent pour le rétablissement de l'ordre sont aux portes de Paris ; et sous peu de jours notre bon Roi remontera sur le trône. C'est en son nom que je promets aux braves défenseurs de l'autel et de la monarchie des secours, des récompenses et l'exemption du paiement des contributions. S'il était parmi vous des lâches qui se refusassent à marcher pour une cause aussi sainte, je déclare qu'ils seraient non-seulement assujettis à des taxes rigoureuses, mais qu'ils seraient aussi regardés comme complices de la convention nationale, et punis comme tels ».

Le tocsin sonna de nouveau dans toutes les paroisses. Cernée par plus de deux cent mille hommes, dont une partie était formée des levées en masse des provinces voisines, la Vendée était en péril. Ce fut la division de Bonchamps qui, vers les premiers jours de septembre, recommença d'agir contre une des principales colonnes de cette armée immense qui venait le fer et la flamme à la main. Les Angevins se portèrent sur les roches d'Erigné, où les républicains venaient d'établir un camp qui défendait les approches des Pont-de-Cé. Une partie de l'armée vendéenne, commandé par La Rochejacquelein, avait renforcé la division de Bon champs. Après un combat opiniâtre, la position fut emportée. La Rochejacquelein donnait ses ordres dans un chemin creux, lorsque des tirailleurs s'avançant sur lui, le frappèrent d'une balle qui lui cassa le pouce en trois endroits ; il tenait un pistolet, et sans le quitter, il dit à ceux qui, le voyant couvert de sang, témoignaient de l'inquiétude : « Je n'ai que le pouce cassé ! » Toutefois il, resta sur le champ de bataille ; mais sa blessure le força de quitter l’armée le lendemain.

L'approche d'une autre colonne de républicains avait appelé du côté de Saumur la division royaliste de l'Anjou, commandée par Villeneuve du Cazau et par Stofflet. Elle se dirigea sur Doué, avec une partie de la cavalerie conduite par le prince de Talmont. Le 14 septembre, elle attaqua la division de Santerre contre ravis de d'Elbée, qui, occupé à rassembler les Vendéens à Chollet, sentait l'inconvénient des opérations partielles. Post é à Doué, Santerre, averti de l'approche des royalistes, mit, au point du jour, sa troupe en bataille hors de la ville. Les Vendéens partirent sur une seule colonne, se déployant par la route d'Angers, sous le feu du canon. A l'incertitude de leurs mouvements, les généraux de l’état-major républicain jugèrent que ni Bonchamps ni d'Elbée ne dirigeaient l'attaque, Cependant l'aile gauche plia d'abord sous le feu de la mousqueterie des Vendéens mais ceux-ci, pris en flanc par la cavalerie, tandis crue l'aile droite, commandée par le général Turreau, chargeait et rompait leur aile gauche, ils furent mis en déroute, et poussés, l'épée dans Les reins, depuis Doué jusqu'à Concourson. Stofflet reçut un coup de feu à la cuisse en ralliant ses soldats. Ce fut sa seule blessure pendant tout le-cours de la guerre, quoiqu'il ait pris part à plus de cent combats. Du reste, le succès de cette journée ne fut point dû à Santerre, mais aux dispositions du général Dambarrère, de l'arme du génie, qui indiqua la position et forma la ligne.

Lescure éprouva aussi un échec à Thouars. S'étant cantonné à Bressuire et aux environs après la bataille de Chantonay, il observait les mouvements de L'ennemi, tant du côté de Parthenay que de celui de Thouars, quand il eut, avec le corps républicain qui se formait dans cette dernière ville, deux engagements sans résultats décisifs. A peine est-il instruit qu'une levée en masse du district s'y rassemble, qu'il conçoit le projet de la dissiper. Les gardes nationales et les levées y étaient au nombre de plus de vingt mille hommes. Le 14 septembre, Lescure, à la tête de deux mille Vendéens d'élite, fie dirige sur cette masse irrégulière qu'un coup de main pouvait disperser. Il marche d'abord sur Airvaulx, pour donner le change sur ses intentions ; et reversant tout-à-coup sur Thouars y serait entré victorieux, si les Vendéens, moins attachés à leurs préjugés eussent profité des ombres de la nuit. Mais Lescure ne put vaincre leur répugnance pour les combats nocturnes. Il ne s'avança qu'au point du jour sur le pont de Vrine, s'en empara, et pénétrant dans le faubourg, dissipa la levée en masse, qui couvrit la plaine de ses fuyards. Il allait se rendre maitre de la ville, quand le général Bey parut tout-à-coup avec sa division, formée die troupes régulières. A cet aspect inattendu, Lescure rallie ses soldats acharnés à la poursuite des vaincus, présente un front menaçant, et après avoir opéré, sous le feu des républicains étonnés, la première retraite que les Vendéens aient effectuée en bon ordre, il revint établir son quartier-général aux Aubiers. Ce fut à ce combat que périt, les armes à la main, une paysanne de Courlay, nommée Jeanne Robin. Depuis l'origine de la guerre, elle n'avait cessé de combattre avec le plus grand courage, dormant lieu, avant et après sa mort, à des bruits populaires. C'était, selon les républicains, Jeanne de Lescure ; elle seule avait soulevé les districts de Thouars et de Châtillon. Selon les Vendéens, c'était une femme miraculeuse, la Jeanne-d'Arc de la Vendée.

Cependant Charette, accablé par les troupes sorties de Nantes, venait d'expédier un courrier au conseil supérieur, pour annoncer que le Bas-Poitou, envahi, était mis à feu et à sang, et que les paysans effrayés ne tenaient plus nulle part ; il réclamait de prompts secours. Le courrier arriva de nuit à Châtillon. Le secrétaire-général (P. Jagault) se hâta de communiquer les dépêches à quelques membres du conseil et aux officiers présents ; l'alarme fut générale. On savait déjà que plusieurs divisions de troupes de ligne, suivies par des masses énormes, cernaient ta Vendée, et qu'il n'existait plus aucun rassemblement capable d'arrêter les républicains. Repoussés à Doué, livrés au découragement, les paysans de l'Anjou et du Haut-Poitou venaient de rentrer dans leurs paroisses respectives. Quant aux chefs, ils étaient encore incertains s'il fallait attendre ou attaquer. Le secrétaire-général, qu'électrise le danger, rédige rapidement une proclamation aux Vendéens, où il fait sentir la nécessité de se réunir sans délai, et de chasser un ennemi qui s'avance pour tout détruire. Plein de résolution et de courage, il part lui-même pendant la nuit, se rend aux Aubiers où est le quartier général de Lescure relève les esprits abattus et inspire aux chefs une confiance nouvelle. Secondé par plusieurs officiers, il parcourt les paroisses poitevines, fait sonner le tocsin de toutes parts, et appelle les Vendéens au combat. Dès le lendemain, trente mille paysans se réunissent à Châtillon ; l'espérance renaît dans tous les cœurs, et l'armée file sur Chollet.

D'Elbée y avait convoqué à la hâte un conseil de guerre, pour délibérer sur les moyens de résister à l'agression générale des républicains. Leurs troupes nombreuses et aguerries, fileurs marches combinées, les dévastations dont ils laissaient partout des traces, faisaient appréhender la ruine entière de la Vendée. Les esprits étaient dans la plus violente exaspération. Les généraux se montraient décidés vaincre ou à périr. Bonchamps parut au conseil le bras en écharpe. La Rochejacquelein, retenu par sa blessure, était le seul chef de la grande armée qui n'y fût pas. D'abord on décide qu'on ne fera pas de prisonniers, les Mayençais devant être considérés comme violant une capitulation où la Vendée se trouvait implicitement comprise. On agite ensuite quel sera le plan général de défense ou d'attaque. Les généraux ne croyaient pas impossible de vaincre. Placés au centre du cercle, dans un terrain presque inaccessible, les Vendéens pouvaient rassembler soixante mille combattants pour se porter à propos sur les points menacés ; au contraire, les républicains n'ayant que des divisions isolées et pouvant à peine se porter mutuellement du secours, se trouvaient exposés par là au choc des masses royalistes.

Cet aperçu saisi par Bonchamps, servit de base au plan qu'il soumit au conseil, Il consistait à se placer au centre des mouvements de l'ennemi, pour le laisser s'engager dans le Bocage, et à prendre ensuite l'offensive contre chacune de ses divisions, avec des forces supérieures. On eût alors profité de sa défaite pour opérer une diversion en Bretagne, en effectuant le passage hardi de la Loire, avec un corps de dix à douze mille royalistes. « Si les républicains, ajoutait Bonchamps, forment des masses pour nous accabler, c'est qu'ils ont enfin trouvé le secret de nous vaincre. Hâtons-nous de repousser l'armée de Mayence, qu'on prétend si formidable ; mais surtout songeons à nous garantir de l'acharnement de nos ennemis, qui se recrutent sans cesse, malgré leurs défaites, tandis que chacune de nos victoires s'achète par la vie de plusieurs de nos braves que nous ne pouvons remplacer ! Divisons les forces qu'on nous oppose ; portons la guerre au-delà même de la Loire, et par une diversion habile, déconcertons les projets des républicains. La Bretagne nous appelle ; les Anglais nous offrent des secours, marchons ; agrandissons nos destinées ! c'est trop longtemps nous bercer du rétablissement de la monarchie par les puissances étrangères : à nous seuls doit en appartenir la gloire. La position des coalisés ne nous est pas plus connue que celle de notre ennemi commun. Atteindrons-nous jamais le but de nos généreux efforts sans sortir de ces forêts, de ces ravins impénétrables qui nous séparent du reste des hommes ? Franchissons le fleuve, et que la France étonnée nous voie parcourir la Bretagne en vainqueurs. Une armée vendéenne s'y grossira de tout ce qui aime encore son Dieu et son Roi. Maîtres d'un port sur l'Océan, nous donnerons la main à nos alliés et à nos princes ; nous acquerrons enfin cette consistance politique sans laquelle nous n'atteindrons jamais le but de nos efforts. Surtout craignons d'attendre, pour passer la Loire, que la fortune vienne à changer ; alors il ne serait plus temps. »

D'Elbée opposa aux vues de Bonchamps des considérations puisées dans la nature de cette guerre et dans les habitudes des Vendéens. « Jamais ils ne renonceront, dit-il, au sol qui les a vus naître, et il serait imprudent de les entraîner dans une expédition lointaine sur des promesses vagues. La Loire doit rester une barrière pour garantir les frontières du nord de la Vendée. Pour vaincre, il suffira de diriger, avec habileté et promptitude, les rassemblements vendéens sur un terrain favorable, et de les réunir ou de les diviser à propos. Gardons-nous, par des vues trop ambitieuses, de dépasser le but au-delà duquel serait notre ruine. La raison nous défend d'envahir ; songeons moins à dompter la république qu'à nous affermir par des victoires. Redoublons d'efforts, et bientôt, grâce à la Providence, nous saurons marquer le poste où tout bon Français doit se rendre. Formons d'abord autour de nos champs et de nos familles, une enceinte impénétrable, où nos femmes, nos enfants, nos vieillards puissent trouver encore la sécurité et jouir des charmes du repos ».

On résolut de marcher sans délai vers le Bas-Poitou, pour repousser l'arme de Mayence, contre laquelle Charette ne pouvait résister seul. Du succès de cette lutte allait dépendre le sort de la Vendée entière. Le curé de Saint-Laud bénit l'étendard royal qu'avait fait broder madame de Lescure et anima les soldats par un discours pathétique. Forte de vingt mille hommes, l'armée catholique et royale, conduite par d'Elbe, Bonchamps et Lescure, se dirigea vers Tiffauges au secours de Charette.

Tandis que ces trois chefs, animés par leur résolution généreuse, s'avançaient vers le Bas-Poitou, l'armée de Saumur, qui venait de repousser Stofflet et Talmont à Doué, recevait l'ordre de marcher en avant sur Chollet, ordre émané du général Rossignol, ou plutôt de l'état-major de Saumur. Là on s'imaginait que les royalistes ne s'étaient jetés sur Doué que par suite des progrès de l'armée sortie de Nantes, qui les chassait devant elle. Le général Rossignol, autant par les conseils des généraux et des commissaires qui l'entouraient, que par le succès inattendu que son armée venait d'obtenir, pressa les généraux Santerre et Duhoux d'accélérer leur marche ; en même temps il expédia aine colonnes de Luçon et de Fontenay l'ordre inconcevable de reprendre leur première position. Le général Chalbos obéit, et rétrograda. L'alarme et la consternation se répandirent dans son corps d'armée ; on y cria à la trahison, et la levée en masse déserta. Il est vrai que Rossignol révoqua aussitôt cet ordre qualifié par lui de malentendu. Mais le parti de Nantes crut apercevoir dans l'état-major de Saumur l'intention de transgresser le plan de campagne, au risque de tomber dans le faux et malheureux système des attaques séparées.

Le corps d'armée de Santerre parut sur deux colonnes, L'une à Vihiers, l'autre à Gomord chacune vit les Vendéens se replier précipitamment saris prendre aucune position. Les républicains bivouaquèrent, dans la nuit, en avant de Villiers, près du château de Condray-Montbault, ayant leurs avant-postes à. une demi-lieue de Coron. C'est là que, le. 18 septembre, s'établit leur avant-garde pour attaquer le village le lendemain.

Il ne restait plus à Chollet qu'une réserve de ex mille Vendéens, et presque aucun officier Stofflet et La Rochejacquelein étant retenus par des blessures récentes. Le péril paraissait imminent vers Coron, comme vers Tiffauges. Le conseil supérieur ordonne aussitôt à Piron de se mettre à la tête de la réserve, et d'aller repousser l'armée de Santerre. Piron, surnommé le héros de Vihiers, depuis sa brillante victoire de juillet précédent, marcha avec confiance vers le théâtre de sa gloire, secondé par Villeneuve du Cazau et par d'autres officiers pleins d'ardeur. Il n'avait pu réunir en tout que dix mille hommes et trois pièces de canon, s'inquiétant peu s'il aurait à combattre une armée supérieure. Son avant-garde occupa Coron, avec ordre de se replier à la vue des républicains, pour les attirer et leur faire abandonner les hauteurs. Santerre donne dans le piège. Il prescrit au général Turreau d'entrer dans Coron. Son corps d'arme se met aussitôt en bataille sur la hauteur de la ville, à une demi-lieue du village, tandis que les Vendéens se déploient à l'opposite, sur les hauteurs du Bois-de-la-Roche, ayant Coron et la route de Vezin en face. Les tirailleurs républicains s'éparpillent et fouillent le village. Piron forme aussitôt le croissant, et balance, avec trois pièces de huit placées au centre, l'effet de l'artillerie des républicains, mise en batterie sur la grande route, Alors Santerre fait avancer de nouvelles troupes et quelques pièces d'artillerie légère pour soutenir ses tirailleurs ; mais cet ordre est exécuté avec tant de trouble, qu'on traîne tout le parc d'artillerie. Le village, encaissé entre deux hauteurs, en est engorgé, et le mouvement des troupes ralenti. Quand on voulut dégager le terrain et retirer les canons, les volontaires, aux prises avec les royalistes, ne se voyant pas soutenus, fléchirent. Ce mouvement acheva de rompre leur ligne. Le désordre se manifestant de tous côtés, devint le signal d'une déroute générale ; chacun alors chercha son salut dans la fuite, et les Vendéens fondirent sur les fuyards. La levée en masse, encore plus frappée de terreur, fut aussi la plus maltraitée. Tous ceux qui périrent ne tombèrent pas sous le fer des royalistes ; un grand nombre succomba de frayeur et de fatigue. L'épouvante fut telle parmi les républicains, que plusieurs, dans la poursuite, se serrant de trop près s'entre-tuèrent. Tout fuyait, lorsque sur les hauteurs de Concourson, en avant de Doué, deux bataillons tinrent ferme, et arrêtèrent les débris de l'armée. Les généraux vaincus prirent position à Doué. Leurs pertes étaient immenses. Piron s'était emparé de vingt-quatre pièces de canons tout neufs, de dix-neuf caissons attelés, de soixante barils de cartouches, de trois mille fusils et d'une prodigieuse quantité de piques, dont la levée en masse avait jalonné la route en fuyant. Telle fut la fameuse défaite de Coron, plus connue sous le nom de déroute de Santerre. Ce fut dans les bagages de ce général que les Vendéens trouvèrent le plan de campagne arrêté à Saumur, et qui fut envoyé aussit8t au conseil supérieur. On y remarquait cette phrase que l'armée commandée par Sancerre ne devait pas quitter Saumur, et qu'elle ferait toujours assez de bien si elle ne faisait point de mal. Cet homme, qui jamais ne put se signaler dans cette guerre, que par son incapacité et par' sa présomption, ne fut pas même recherché pour avoir transgressé le plan de campagne, tant les révolutionnaires de Paris le protégeaient.

Sans perdre un moment, Piron, averti de la marche d'un autre corps d'armée qui pénétrait par les Ponts-de-Cé, détacha une partie de son infanterie et toute sa cavalerie au secours de la division royaliste réunie à Chemillé, sous le commandement du chevalier Duhoux. Elle était serrée de près par ce même corps d'armée, sorti d'Angers sous les ordres d'un autre Duhoux, qui servait la république avec zèle. Ce général venait de passer le Layon sans obstacle, croyant avoir chassé les royalistes devant lui au pont Barré, parce qu'un de leurs détachements avait simulé une retraite en désordre. Le chevalier Duhoux, à la tête de onze mille Vendéens, trouva les républicains dans la position de Beaulieu. La nouvelle de la défaite de Coron commençait à s'y répandre. L'autre Duhoux disposa ses troupes en tirailleurs sur trois colonnes l'une sous Beaulieu, l'autre sous le pont Barré, la troisième dans un enfoncement coupé par des chemins vicinaux. D'abord les deux ailes des royalistes plièrent, soit que ce mouvement fût concerté, soit que le premier feu des républicains fit trop de ravage dans leurs rangs. Mais le centre, que dirigeait le chevalier Duhoux en personne, courut sur les bataillons républicains, qui, se voyant à demi-portée de l'ennemi, tournèrent le dos sans combattre. Deux autres bataillons, ceux de Jemmapes et d'Angers, tinrent et furent hachés. Les bagages, engagés dans des chemins affreux tombèrent, avec l'artillerie, au pouvoir des royalistes, auxquels il ne fallut que deux jours pour gagner deux batailles. La levée en masse abandonna ses armes. Cinq cents pères de famille, tant d'Angers que des environs, ayant été tournés au pont Barré, par une colonne vendéenne conduite par Cadi et la Sorinières, y furent presque tous égorgés. Dans son bulletin officiel, le conseil supérieur éleva la perte des républicains à quatre mille tués, blessés ou faits prisonniers. Le général Duhoux fut traduit au tribunal révolutionnaire. On l'accusa non-seulement de négligence et d'impéritie, mais d’intelligences criminelles avec le chevalier Duhoux, son neveu, qui venait de le battre. On prétendait que ce lieutenant de d'Elbée avait dit aux Vendéens à Chalone : « Prenez patience, mon oncle aura soin de ne pas nous laisser manquer de munitions ». Mais c'était plutôt jactance qu'un signe de connivence perfide ; le chevalier Duhoux, brave et évaporé, eût dédaigné de tels moyens de vaincre.

On était tout aussi indigné contre Santerre, qui, après avoir rangé processionnellement son armée à Coron, avait placé dans un ravin son artillerie, avec laquelle les Vendéens le foudroyèrent après s'en être emparés : on lui reprocha aussi d'avoir négligé les hauteurs du bois de la Roche, malgré l'avis des guides. De si graves reproches n'ayant point eu de suites, Santerre parvint à se faire oublier. On a exagéré ses forces dans la journée de Coron ; son armée ne s'élevait guère qu'a huit mille soldats de troupes régulières, auxquels étaient joints dix à douze mille hommes de la levée en masse. Le général Duhoux avait encore moins de troupes sous ses ordres, mais il est sûr que l'un et l'autre ; au lieu de tenir contre les Vendéens, ne trouvèrent de sarclé que dans une fuite honteuse.

Tandis que les divisions républicaines et les levées en masse étaient repoussées et dispersées sur les routes de Saumur, d'Angers et de Thouars, la Basse-Vendée se trouvait toute envahie par les Mayençais, par le corps d'année de Beysser, sertis de Nantes, et par la division des Sables-d'Olonne. Ces trois corps d'armée marchaient par des routes différentes. Maître de Montaigu et de Clisson, le général en chef Canclaux se dirigeait sur Mortagne.

Cependant Charette avait réuni toutes ses forces à Tiffauges. Le ciel éclaircit, on distribua des vivres en abondance, et l'armée du Bas-Poitou se trouva réparée. Charette la rangea en bataille, et chaque division défila en bon ordre. A la vue d'un si grand nombre de combattants, il sentit renaître l'espoir. « Camarades, dit-il à ses soldats, c'est ici qu'il faut vaincre ou périr. Sauvez votre pays d’une entière destruction ; si vous fuyez, tort est perdu, et vous ne me verrez plus à votre tête. » Cette courte harangue releva le courage, et chacun se promit de faire son devoir. Des officiers, de l'armée d'Anjou arrivèrent pour annoncer les renforts : tous les chefs tinrent conseil. On résolut d'attendre la principale colonne mayençaise, qui suivait la ligne de la Sèvre pour occuper Tiffauges et Mortagne. Le lendemain, l'incendie du bourg de Torfou annonça, l'approche.de l'ennemi.

C’était le 19 septembre, jour même où le chevalier Duhoux dispersait une division républicaine à Beaulieu. Toutes les forces de la Basse-Vendée réunies étaient en bataille sur le bord de la grande route de Tiffauges à Chollet, faisant face à Torfou. Charette détache d'abord la Roberie avec deux cents cavaliers et trois cents fantassins, pour reconnaitre l'ennemi, qui, après avoir emporté le village de Boussey, d'où il avait chassé un poste assez faible de Vendéens, venait d'emporter aussi Torfou et de ranger deux bataillons en avant du village. Kléber, si célèbre depuis, était à la tête des six mille hommes formant l'avant-garde de cette armée d'invasion, avant-garde composée de ces mêmes Mayençais soldats aguerris et intrépides. Ce ne fut pas sans peine qu'il réunit ses soldats, au moment où ils pillaient et brûlaient Torfou. On commença à escarmoucher de part et d'autre ; mais à la première charge, la cavalerie de Charette plia, ce qui jeta aussitôt le désordre dans Les rangs vendéens : des taches prirent la fuite. On se dispersait déjà de tous côtés, lorsque les femmes des environs de Tiffauges, voyant pour la première fois les flammes dévorer leurs habitations, s'arment de fourches, de bâtons, et se précipitent au-devant des fuyards, en s'écriant : « Lâches, qu'êtes-vous venus faire ici ? Retournez au combat, ou vous mourrez par nos mains !... » Mais l'alarme et le souvenir des premiers revers avait produit un commencement de déroute que rien ne semblait pouvoir arrêter. L'armée de Charette n'avait plus que le refuge incertain de Mortagne, quand parut la grande armée d'Anjou. La division de Bonchamps formait l'avant-garde ce chef se faisait porter sur un brancard, voulant, dans cette occasion décisive, combattre en personne, malgré sa blessure. D'Autichamp était à ses c8téS, animant les soldats qui tombèrent sur les fuyards du Bas-Poitou, et les ramenèrent à la charge. Se voyant soutenus, ils reprirent leurs rangs et firent face à l'ennemi. Les Mayençais, à leur tour, s’étonnèrent de l'arrivée d'une nouvelle troupe et de son attitude imposante. Les soldats de l'Anjou contrastaient, par leurs habits gris-bleus, avec ceux de Charette, couverts d'habits-bruns. Pendant quelques minutes, les républicains et les royalistes s'observèrent, comme pour en venir à une bataille rangée. Kléber donna le signal de l'attaque, et les bataillons républicains s'avancèrent, ayant en Oie une compagnie de sapeurs qui ouvrait un passage à travers champs ; die n'était déjà plus qu'à une portée de fusil de la grande route, lorsque d'Elbe, Bonchamps et Lescure ordonnèrent une charge générale de cavalerie. Charette franchit à cheval haies et fossés, donnant tête baissée dans le premier bataillon qu'il rencontre : sa troupe le suit, et se précipite avec tant de fureur et des cris si affreux, qu'un un instant ce bataillon est enfoncé-Kléber, qui reçut le choc à la tête de sa colonne, tomba percé de coups ; ses grenadiers l'arrachèrent de la mêlée. Toutefois ne perdant pas de vue la bataille, il se fit porter dans les rangs, et resserra sa ligne en colonne, pour faire face de tons côtés. Déjà toute l'infanterie royaliste avait pris part au combat, devenu général. Vingt mille Vendéens s'efforçaient d'investir Torfou et de rompre les colonnes des républicains, qui de droite et de gauche Lisaient un feu de file meurtrier et reprenaient l’offensive. Dans ce moment décisif, on vit Lescure mettre pied à terre, saisir une carabine, et charger à la tête de dix-sept cents Vendéens de la paroisse poitevine des Echaubroignes : c'étaient les grenadiers du Poitou. Ils résistèrent à l'ennemi et se battirent en ligne. Bonchamps vint aussi prendre part au combat avec toute sa division ; alors commencèrent à. se répandre en foule, sur la gauche des républicains, une nuée de tirailleurs ro estes, qui, protégés par les haies, par les accidents d'un terreux couvert et inégal tournaient et enveloppaient les colonnes de l'ennemi : les Angevins achevèrent de porter le désordre dans ses rangs. Ses canons, d'ailleurs engagés dans des chemins étroits et raboteux, devenaient inutiles. Quant au bout de trois heures de combat, une vive fusillade se fut engagée tout-à-fait sur les derrières de l'artillerie, les républicains manœuvrèrent pour la défendre ; mais leurs colonnes, resserrées dans des chemins creux, n'en furent que plus exposées au feu des royalistes : le désordre fut alors à son comble. Un bataillon de la Nièvre, qui gardait les canons, plia sous le nombre ; les canonniers furent tués sur leurs pièces et les canons enlevés. Bientôt le bruit de cet avantage retentit d'un bout à l'autre de l'armée royale, qui courut tout entière sur les républicains, sans avoir besoin d’être excitée par ses chefs. Mais les Mayençais se faisaient hacher plutôt que de rendre les armes. Kléber et ses principaux officiers parvinrent, par leur sang-froid, à prévenir une déroute complète. La retraite se fit partout en bon ordre. Malgré le poids de leur butin, malgré les chemins difficiles et le nombre toujours croissant de leurs ennemis les Mayençais ne reculaient qu'à petits pas, se remettaient en ligne au moindre espace qui leur permettait de s'étendre, et faisaient des feux de file semblables au roulement des tambours. Si les Vendéens déconcertaient leurs manœuvres en se glissant, de droite et de gauche, le long des haies et des fossés ; si, tirant sans relâche, à vingt pas de leurs rangs, ils les entamaient sur quelques points et les attaquaient de tous côtés, alors ils pressaient un peu plus leur marche, mais toujours avec ordre, et par intervalle présentaient un front menaçant. Trois fois la cavalerie vendéenne revenant à la charge, s'élança sur leurs bataillons, et trois fois un feu meurtrier et les baïonnettes croisées l'en écartèrent. Mais à la vue de l'artillerie conquise, d’une partie du butin abandonné, à l'aspect de tant d'ennemis morts et couvrant la terre, le délire s'empara des Vendéens et tous voulurent participer à la victoire. Poursuivis avec acharnement dans l'espace de trois lieues, les Mayençais eussent infailliblement succombé, sans le dévouement du lieutenant-colonel Schouardin, des chasseurs de Saône-et-Loire. Arrivé an pont de Boussay, Kléber lui. dit : « Faites-vous tuer là avec votre bataillon. — Oui mon général, répond Schouardin », Il pose sur le pont deux pièces de huit, demeure immobile à ce poste périlleux, et assure la retraite en mourant avec une centaine de ses soldats.

Pendant que ce brave servait ainsi de rempart aux Mayençais, le général en chef Canclaux marchait de Clisson, au secours de Kléber, avec deux brigades commandées par les généraux Dubayet et Vimeux. Arrivées à Getigné, elles prirent un instant l'offensive, niais sans pouvoir recouvrer les canons et les obusiers pris au commencement de l'action. Les généraux royalistes ployèrent toutes leurs forces et conservèrent le champ de bataille.

Tel fut le célèbre combat de Torfou. Deux mille républicains et six cents royalistes y perdirent la vie. On ne fit pas de prisonniers. Les deux partis ne s'étaient point encore battus avec autant d'acharnement. Merlin de Thionville, commissaire de la convention, s'étant trouvé au milieu du feu, Rifle, son aide-de camp, tomba, percé de coups, à ses côtés. Le sang coula pendant sept heures. Après la bataille, les royalistes occupèrent Tiffauges, et les vaincus Corrélèrent à Clisson, dans le dessein de continuer leur retraite, après qu'ils auraient rallié les fuyards et réuni leurs convois. Instruits, par un espion, du projet des Mayençais, les trois chefs royalistes convinrent que le surlendemain, 22 septembre, ils les attaqueraient de nouveau à Clisson de trois côtés différents. Par une attaque subite et combinée, ils conçurent l'espoir de détruire entièrement ce corps d'arme redoutable. Bonchamps prit aussitôt la route de Chollet, pour de là tourner Clisson, et combattre au jour convenu.

Le soir même Charette et Lescure se décidèrent à marcher sur-le-champ contre les huit mille républicains commandés par Beysser, qui s’étaient emparés de Montaigu le 16 septembre. Ils jugèrent cette opération urgente, soit que les restes des Mayençais, encore étourdis de leur défaite, leur donnassent peu d'inquiétude, soit qu'il leur part plus pressant de se débarrasser de Beysser, qui pouvait déranger leur plan ultérieur, soit enfin qu'ils crussent revenir à temps sur Clisson et participer à l'attaque combinée., Le 20, ils se mirent en marche sur trois colonnes ; Joly commandait l'avant-garde, Lescure le corps de bataille, et Charette s'avançait par la route de Nantes. Le général Beysser venait de recevoir l'ordre de quitter sa position pour se joindre aux Mayençais, dont il ignorait la défaite. Il était trois heures après midi, et sa troupe allait se rassembler, lorsque ses éclaireurs vinrent l'avertir de l'approche de l'ennemi. « Vous vous trompez, leur dit-il, c'est un renfort que j’attends de Clisson ; les brigands n'oseraient m’attaquer ». Cependant les Vendéens avançaient. De nouveaux avis parviennent à Beysser pendant qu'il est à table ; il continue tranquillement son repas, et refuse, à trois-reprises de faire battre la générale. Tout-à-coup on entend crier aux armes ! Le bruit du canon, les cris des assaillants, qui se précipitent dans la ville, ne tardent pas à faire repentir ce général de son imprudente sécurité. Le commissaire Cavaignac, revenant des postes avancés, avait essuyé la plus vive attaque. Beysser se billa de, ranger quelques bataillons sous les murs de la ville, mais il n'était plus temps ; tous les postes étaient forcés. Les cris de victoire poussés par les royalistes, leurs canons déjà braqués sur Montaigu, augmentaient le désordre, qui en un moment devint général. Qu'on se figure le tumulte, la confusion occasionnés par l'attaque aussi brusque de six mille hommes qui, sur la foi de leur général, avaient cru, au Lieu d'ennemis, voir arriver un renfort. On court aux armes de tous côtés ; mais l'impétuosité des assaillants ne permet plus de se mettre en ligne. En vain Beysser veut faire jouer son artillerie. Alors commença la manœuvre accoutumée des Vendéens ; ils se jettent à terre et évitent ainsi le boulet, et se relèvent précipitamment pour fondre sur les canons. C'était le moment de les charger ; mais la cavalerie refuse de donner, se débande et entraîne toute l'armée. La retraite se faisait dans le plus grand désordre par la route de Nantes. Déjà Lescure atteignait l'ennemi et dirigeait son feu contre lui. Beysser troublé se mit à l'arrière-garde, et les républicains se croyant trahis, la retraite ne fut plus qu'une déroute. Reproches, menaces, prières, tout fut inutilement employé pour arrêter les fuyards. Le conventionnel Cavaignac faillit périr dans la mêlée ; Beysser eut une côte enfoncée par un biscayen. Dans la ville, le carnage fut grand : on ne fit aucun quartier aux prisonniers. Charette, le plus acharné, atteignit les fuyards au pont de Remouillé, et poursuivit le reste jusqu'à Aigrefeuille : la nuit seule l'arrêta. Beysser, blessé et navré de douleur d'avoir vu s'échapper en un moment le fruit de quinze jours d'une campagne heureuse, suivit tristement les débris de son armée, et ne se crut en sûreté que sous le canon de Nantes, abandonnant à l'ennemi artillerie et bagages.

Quatre cents républicains restés sans le château de Montaigu, se firent jour courageusement le sabre à la main, tandis que le gros des royalistes était à la poursuite des fuyards sur la route de Nantes. Ce détachement, composé des grenadiers de la Mark et du second bataillon do cent neuvième régiment, se battit en désespéré ; le plus grand nombre se fit tuer ; le reste regagna Nantes par Vieille-Vigne et le village de Sorinières. Quatorze pièces de canon, deux obusiers, douze caissons, dix ambulances, huit chariots attelés restèrent au pouvoir des Vendéens.

Ainsi, de trois corps d'armée qui avaient pénétré dans la Basse-Vendée, celui de Saint-Fulgent était le seul qui fût encore intact. C'était la division des Sables-d'Olonne, commandée par le général Mieskousky ; elle était moins redoutable par le nombre, que par sa discipline, ses succès et son artillerie. D'après le plan de Saumur, cette division, alors à trois lieues de Montaigu, devait se joindre aux Mayençais. Ce fut contre elle que Charette proposa de marcher, au lieu de seconder Bonchamps à Clisson. Il entraîna Lescure, sous des prétextes spécieux, tels que celui de ne pas laisser derrière les royalistes une force considérable, qui. ne manquerait pas de tomber sur eux au premier mouvement qu'on pourrait tenter. Il y eut un conseil de guerre pour la forme. On dépêcha deux courriers, l'un à Bonchamp pour n'entreprit rien du côté de Clisson, et se réunit au contraire, à l'attaque de Saint-Fulgent ; l'autre au général de l'armée du centre (M. de Royrand), campé alors aux Herbiers, pour qu'il vint se poster aux Quatre-Chemins, afin de couper la retraite à l’ennemi. Malheureusement l’officier dépêché à Bonchamps n'arriva point à sa destination ; il tomba, dit-on, dans un parti de cavalerie qui battait l'estrade. Ainsi une infraction de Charette sauva la garnison de Mayence.

Instruit de la déroute de Beysser à Montaigu, le général Canclaux, qui occupait Clisson avec le corps de bataille, se hâta de rétrograder vers Nantes. Bonchamps le suivit de près, enhardi par deux avantages successifs, et croyant d'ailleurs qu'il serait joint par Charette et par Lescure ; il marcha par Valet sur Clisson. Le 22 septembre, il aperçut l'armée républicaine, et secondé par Lyre La Patouillère, il l'attaqua immédiatement dans sa marche, près le château de la Galissonnière sur la route de Clisson à Nantes. Il assaillit d'abord le centre, et se jeta ensuite tout à la fois sur les flancs et sur la queue de la colonne. Le général Canclaux accourut au secours de son arrière-garde, et força les royalistes de licher prise ; mais Bonchamps revint trois fois à la charge avec six mille hommes, contre quinze à dix-huit mille, et enleva les bagages et une partie de l'artillerie. Dans la chaleur du combat, les soldats de La Patouillère, n'écoutant plus la voix de leur chef, égorgèrent les blessés dans les chariots d'ambulance. C'en était fait de l'armée républicaine, si les Vendéens eussent pu l'entamer l'absence de Charette et de Lescure les priva cette fois d'une victoire décisive. Grâce à la fermeté des Mayençais el au sang-froid de leurs généraux, ils firent leur retraite en bon ordre. Il y eut, de part et d'autre, beaucoup de sang versé : près de neuf cents royalistes périrent. Bonchamps n'espérant plus vaincre, se replia sur Valet, où il s'arrêta. Il était ulcéré, et paraissait moins souffrir de la blessure qui lui ôtait l'usage d'un bras, que de l'idée d'avoir été trahi par Charette. Ses soldats accusaient ouvertement ce chef, qu'ils étaient venus généreusement secourir à Torfou, de les avoir abandonnés d'une manière perfide.

Le même jour, au moment où Bonchamps livrait ce combat, Charette était plus heureux à Saint-Fulgent grâce à Lescure, qu’il avait entrainé. Quelques chefs de la Basse-Vendée auraient voulu qu'on renvoyât l'attaque au lendemain, pour laisser reposer les troupes. Charette s'y opposa, observant avec raison que le succès dépendait du moment favorable. On marcha sans délai, et, au coucher du soleil, la tête de la colonne royaliste, commandée par Savin, fut devant Saint-Fulgent. Elle trouva les républicains en bataille, à l'entrée du bourg, avec du canon. Un bataillon de la Marne, qui prétendait n'avoir jamais été vaincu, formait leur centre. Des deux côtés, l'artillerie commença le combat : elle gronda pendant deux heures avant que l'attaque fût prononcée. Les paysans poitevins ne marchaient, à l'entrée de la nuit, qu'avec une sorte de terreur, dans un pays qui leur était inconnu. Ils s'éparpillaient, croyant éviter le feu du canon, et se fusillaient entr'eux dans l'obscurité. Ils cernèrent ainsi l'ennemi, sans en avoir le dessein. Du côté des républicains, l'artillerie servait peu, les canonniers ne sachant où pointer les pièces. Au contraire, les Vendéens, à couvert derrière les haies, faisaient pleuvoir de près une grêle de balles sur leurs ennemis, plus exposés à leurs coups. Les obusiers tonnaient avec fracas ; mais les royalistes, divisés par pelotons, évitaient aisément leur ravage en se couchant ventre à terre. Six heures d'un combat opiniâtre, au milieu de la nuit, n'avaient pu décider la victoire, lorsque Charette, pénétrant le premier dans le bourg, fit battre la charge par un tambour monté sur la croupe de son cheval. Aussitôt les royalistes se précipitent avec de grands cris, abordent les républicains et se battent à l’arme blanche. La résistance fut aussi courageuse que l'attaque était opiniâtre. Les deux partis prirent à la fois des cartouches dans un caisson ouvert et éclairé par le feu du combat. Enfin le grand nombre d'assaillants, leurs cris affreux, l'obscurité, la confusion, la crainte de ne plus avoir de retraite, alarmèrent tellement les républicains, qu'ils abandonnèrent le champ de bataille en désordre, malgré les efforts de leurs généraux pour les retenir. Les munitions, les bagages et vingt-deux pièces d'artillerie tombèrent au pouvoir des royalistes, qui auraient exterminé jusqu'au dernier fuyard., si Royrand s fat trouvé aux Quatre-Chemins, comme on en était convenu ; mais croyant l'attaque remise, il fit occuper Chantonay par son infanterie, et arrivant trop tard avec trois cents chevaux, n'atteignit que les traineurs. Mieskousky, ralliant ses débris pour se replier sur Chantonay, et croyant y trouver encore la division de Luçon, donna dans la cavalerie des royalistes, et fut obligé de s'ouvrir un passage le sabre à la main. Ors lui imputerait injustement sa défaite, n'ayant eu que quatre à cinq teille soldats à opposer à une multitude de combattants déjà victorieux.

Le massacre avait été horrible pendant la nuit ; il continua le lendemain sur les fuyards qui s'étaient cachés dans les genêts et les taillis. Les royalistes avaient déployé dans toutes ces marches, dans tous ces combats, autant de valeur que de constance et d'activité. La victoire de Saint-Fulgent, qui fut, pour ainsi dire, le dernier prix de leur courage, mit le sceau à la réputation des illustres chefs qui les avaient conduits.

Mais sous un autre point de vue, elle leur devint fatale, en jetant parmi eux de nouveaux germes lie dissension qui les aigrit. On doit blâmer Lescure de s'être laissé entrainer par Charette, qui transgressa le plan combiné. En effet, si toutes les forces vendéennes réunies s'étaient portées contre l'armée de Mayence, elle eût été vraisemblablement détruite, et peut-être la Vendée eût-elle évité l’écueil de sa ruine. Deus une circonstance si décisive, Charette et Lescure compromirent évidemment les plus grands intérêts de la cause royale, en les confiant, pour ainsi dire, aux hasarde de l'arrivée d'un courrier c'était exposer le corps d'armée de Bonchamps à une entière défaite. On voit d'ailleurs dans Je plan que Charette substitua à celui de Bonchamp, l'intention manifeste de dégager son propre territoire, et de laisser sur les bras de l'armée d'Anjou, tout ce corps d'armée de Mayence, qui l'avait mis lui-même en péril. Ainsi l'intérêt personnel parut présider à ses délibérations, au moment même où la grande armée venait de prouver, en le délivrant, qu'il ne devait y avoir d'autre but, parmi les Vendéens, que celui de la défense commune.

Il fallut à ces paysans-soldats quelques jours de repos avant de ne rien entreprendre au-delà. D'Elbée et Bonchamps restèrent eu observation près de Tiffauges, pour tenir en échec les Mayençais ; Talmont et Stofflet gardèrent l'Anjou ; Charette marcha yen les Herbiers, pour se combiner ensuite avec Lescure, qui, de retour à Châtillon, voulait pourvoir à la siroté de ce district, menacé par les républicains cantonnés à Niort, la Chataigneraye et Chantonay. Ses soldats rentrèrent radieux dans leurs foyers, et toutes les paroisses chantèrent des Te Deum ; car s’élancer vers le Dieu des batailles pour lui rendre grâce, est un des premiers besoins du Vendéen victorieux.

 

 

 



[1] Voyez, à la fin du volume, les Pièces justificatives, n° I.