Part des derniers Valois dans le mouvement de la Renaissance : leur
luxe : influence de Catherine de Médicis. Le cérémonial royal ; règlement de
1585. Somptuosités de la cour : costumes, objets d'art. Inventaire de l'hôtel
de Catherine de Médicis. Les grands seigneurs imitent la reine mère.
Caractéristique de l'art du temps : étude de l'Antiquité facilitée par
l'imprimerie ; goût français ; réglementation doctrinale dogmatique. La Renaissance : les
érudits, les historiens, les publicistes, les jurisconsultes ; les poètes,
Ronsard et la Pléiade
; l'Académie du palais ; les indépendants : Noël du Faïl, Montaigne, Ambroise
Paré, Palissy. Les arts : l'architecture ; les architectes, Androuet du
Cerceau, Pierre Lescot et le Louvre, Philibert Delorme et les Tuileries, Jean
Bullant et Écouen ; sculpture, Jean Goujon et Germain Pilon ; peinture : les
dessins, Clouet, Corneille de Lyon ; la tapisserie, les émaux, les vitraux ;
la musique, Goudimel.
Malgré les troubles des guerres civiles et les désordres
sanglants dont tout le royaume fut le théâtre, la seconde partie du XVIe
siècle a été marquée en France par un éclat remarquable de l'érudition, des
lettres et des arts. L'état général du pays n'a pas fait tort au
développement des individualités brillamment douées et entre celles-ci même
s'est établi un lien constitué par une tendance générale, une mode, donnant à
ce qui a été proprement la
Renaissance française sa valeur particulière. C'est un
hasard, à peu près, que cette époque remarquable de notre civilisation ait
coïncidé avec les règnes de Henri II et de ses fils. Les rois du XVIe siècle
n'ont guère exercé d'influence sur le mouvement littéraire et artistique de
leur temps. Henri II ne s'occupa pas de littérature ; si Charles IX composait
des vers et favorisa Ronsard ou s'intéressa à la Pléiade, si Henri
III accueillit Henri Estienne et fournit des sujets de discours à traiter à
l'Académie du palais, on ne peut pas dire que sans eux les talents des
artistes de leur siècle eussent été différents. C'est d'une autre manière
qu'ils ont leur place dans le mouvement général de la civilisation de leur
époque, place un peu spéciale : ils ont aimé le luxe et la représentation,
ils ont fait bâtir.
Peu de cours ont laissé dans l'histoire un souvenir de
somptuosité plus riche que la cour des Valois. Fêtes, bals, tapisseries,
joyaux, costumes, étoffes chatoyantes, velours, brocarts, tout se mêle dans
un tableau un peu confus, aux tons chauds et colorés. A tous les âges, au XIVe
comme au XVe siècle, surtout sous François Ier, les réunions de cour
s'étaient signalées par le souci d'un étalage de luxe artistique aussi bien
dans les parures des courtisans que dans le cadre des fêtes. Les derniers Valois
ont poussé ce luxe à l'extrême.
Ce fut leur mère Catherine de Médicis qui leur en donna le
goût. Elle était riche, elle était Italienne, de cette maison des Médicis
qui, à Florence, avait aimé les belles choses et les avait accumulées par
goût et par ostentation. A son exemple, ses fils affectionnèrent toutes les
élégances. Chez Catherine il y avait une arrière-pensée politique. Elle
voulait par l'éclat extérieur de la représentation rendre à la royauté un peu
de ce prestige que les circonstances et l'absence d'autorité morale lui
enlevaient. Il faut, écrivait-elle à Charles IX, que votre
cour soit remise avec l'honneur et police que j'y ai vue autrefois. A
la recherche de la mise en scène et du costume, la reine mère ajouta comme
indispensable cette élégance de tenue qui s'appelle l'étiquette ; ses fils,
et surtout Henri III, ont réalisé ses désirs au delà de ses espérances. Avec
le goût des toilettes et des bijoux, l'organisation de l'esthétique royale du
cérémonial est la plus sûre contribution des fils de Henri II, au développement
artistique du XVIe siècle.
Ils ont, sinon créé, du moins développé considérablement
cet état de représentation perpétuelle dans lequel devait vivre le roi de
France, depuis son réveil le matin, jusqu'à l'instant où il s'endormait le
soir, existence solennelle et fastidieuse que seul Louis XIV sera de taille à
observer scrupuleusement. Catherine de Médicis en avait esquissé les
premières lignes dans une lettre à Charles IX : se lever à heure fixe ;
admettre la noblesse dans la chambre à coucher quand
le roi prend la chemise et que les habillements entrent ; puis
conseil, messe à dix heures ; le roi s'y rendra processionnellement escorté
de ses gardes, environné de la cour ; à onze heures dîner, auquel assistent
les courtisans debout ; puis deux fois par semaine audience, après quoi le
roi est libre en son étude ou en son privé,
mais jusqu'à trois heures ; à trois heures, promenade à pied ou à cheval avec
la cour ; souper le soir en compagnie de la famille royale et, deux fois par
semaine, après souper, bal ; en somme se donner en spectacle constamment,
parce que cela fait plaisir à la noblesse ; ne pas quitter celle-ci des yeux
et l'amuser ; surtout veiller à ce que le respect soit observé partout.
Catherine assurait que c'était ainsi qu'elle avait vu faire du temps de
François Ier. Henri III renchérit. Il entendit isoler de plus en plus la
personne royale du reste des humains afin de mieux inspirer le respect et il
édicta, le 1er janvier 1585, une grande ordonnance pour
contenir chacun en l'honneur et révérence de Sa Majesté. Désormais il
était interdit de s'approcher du roi ni au palais ni dehors, à moins que le
souverain ne vous appelât ; il fallait se tenir en sa présence découvert, ne
pas s'asseoir, ne pas se promener dans son appartement, ni toucher à quoi que
ce soit. Des règlements rigoureux fixèrent les gestes de ceux qui devaient
entourer le prince et les listes mêmes de ces privilégiés, sous le titre de :
L'ordre que le roi veut être tenu en sa cour et la
façon qu'il veut être honoré, accompagné et servi. Au lever, le matin,
les séries de ceux qui étaient admis à pénétrer dans les diverses pièces
successives de l’appartement royal, antichambre, cabinet, chambre de parade,
chambre du roi, étaient fixées par écrit ; il y avait des gradations
compliquées et les huissiers tenaient la main à ce que les droits de chacun
fussent respectés. Le roi s'habillant, c'était en cérémonie qu'on allait lui
chercher l'eau de sa toilette ; en cérémonie qu'on lui apportait le bouillon
de son déjeuner ; un paragraphe détaillé traitait de ceux qui pouvaient
offrir au prince sa serviette et son pain. L'étiquette des repas était prévue
; on savait qui pouvait y assister pour regarder, qui devait présenter la
serviette ; il était interdit aux gens présents de parler au roi, sinon
hautement et de sujets propres à édifier l'entourage : au besoin des
barrières isolaient Sa Majesté en même temps que les Suisses. Le roi
sortait-il ? les heureux admis à le suivre à pied, à cheval ou en carrosse
étaient prévus. Les audiences n'étaient pas moins réglées, deux fois par
semaine, les lundis et les mercredis après midi, le roi recevant assis dans sa chaire la personne admise, laquelle devait se
tenir à distance et était invitée à être brève pour
n'ennuyer pas Sa Majesté. L'ordonnance arrêtait même les jours de
bals, les dimanches et jeudis après souper, fêtes auxquelles devaient se
trouver princes, seigneurs et gentilshommes. Ces bals réguliers ont été une
innovation des Valois, ce qui explique que dans les châteaux royaux du XVIe siècle
on ait fait de grandes salles de bal, — celle
de Saint-Germain-en-Laye, de Fontainebleau, — tandis qu'auparavant on n'avait
que des salles. Les prescriptions de ce
protocole royal ainsi rendues rigoureuses ont été plus ou moins bien
observées à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle, très incomplètement
par Henri III lui-même, fort mal par Henri IV dont la libre allure
spirituelle s'accommodait mal de la parade, peu aussi par Louis XIII qui
était de goûts modestes. Le souci de Louis XIV de n'en manquer aucun détail
et de les augmenter même, révélera plus tard leur grandeur représentative et
leur tyrannique sujétion.
Dans ces cadres aux gestes réglés de la mécanique royale s'étala tout le luxe débordant
de jeunes rois très élégants, très riches — ou se croyant tels — et très
dépensiers. Ils créèrent des modes d'habillements, des modes jugées ridicules
par les sages du moment, surtout dispendieuses et extraordinairement
changeantes. Bon gré, mal gré, les seigneurs et courtisans suivirent : ce fut
un débordement de toilettes magnifiques, soieries et velours multicolores,
fourrures fines, broderies d'or et d'argent, le tout recouvert, pour les
hommes comme pour les femmes, de monceaux de bijoux représentant des fortunes
ridicules. Au mariage de Henri de Béarn, en 1572, le duc d'Anjou, écrit le
Vénitien Giovanni Michiel, portait à son béret 32 perles de 12 carats
achetées par lui 23.000 écus d'or ; quant au roi lui-même, son costume,
joyaux compris, représentait une valeur de 5 à 600.000 écus. Autour des
princes chacun rivalisait par le nombre et le prix de ces élégants costumes
du temps, aux formes sveltes et capricieuses, sinon confortables. Un homme de la cour, mandait Lippomano, n'est pas estimé riche s'il n'a pas de 25 à 30 habillements
de différentes façons et il doit en changer tous les jours. Les
étrangers relevaient avec étonnement le contraste que présentait ce
gaspillage déraisonnable avec la misère d'un royaume ruiné par les guerres
civiles et couvert d'édifices effondrés. Insouciante et légère, amie du
plaisir, la jeunesse qui entourait les fils de Catherine de Médicis n'en
avait cure et se donnait à cœur joie au luxe du travesti.
Avec les toilettes éclatantes, la seconde mode qui sévit
sous les Valois fut celle de la beauté des objets servant à parer les
intérieurs des demeures : tapisseries, bois sculptés, rideaux, tapis,
bibelots. On a publié l'inventaire fait après décès de tous les meubles que
possédait Catherine de Médicis. Cet inventaire va nous donner une idée de ce
que fut au XVIe siècle le cadre de la vie intime de celle que de Thou
appelait femina superbi laxus, une femme au luxe superbe. Il est vrai qu elle a
été une de celles qui ont le plus royalement dépensé pour s'entourer d'objets
de prix, et que malgré son opulente fortune de fille de banquier de Florence,
elle est morte couverte de dettes.
L'hôtel qu'elle habitait à Paris, et qu'elle avait fait
construire était situé sur l'emplacement actuel de la Bourse de Commerce ; on
l'appellera plus tard l'hôtel de Soissons ; il est aujourd'hui détruit. Tous
les murs étaient tendus de tapisseries, tapisseries flamandes ou françaises,
tapisseries de Beauvais, verdures, — on dit bocages, — sujets quelconques,
tels que l'histoire d'Annibal, qui recouvrait une grande tapisserie de 12
pièces, destinée à garnir la grande salle de l'hôtel, l'histoire de Vulcain ;
armoiries et devises. On les changeait souvent de façon à varier le cadre et
on mettait ce qui ne servait pas en réserve dans les galetas. En tout, la
reine disposait ainsi de 129 tapisseries. Au lieu de tapisseries on mettait
aussi sur les murs des tentures de cuir travaillé, à fonds de couleur,
orange, noir, vert, rouge, bleu, rehaussées d'or et d'argent ; il y en avait
134. 44 tapis d'Orient étaient destinés à couvrir les parquets. Nombre de
salles de l'hôtel avaient des lambris sculptés dans lesquels, pour
l'ornementation, étaient enchâssés de petits tableaux, des émaux ou des
miroirs de Venise : il y avait un cabinet, dit cabinet des miroirs, qui
comptait ainsi 119 miroirs, un autre, le cabinet des émaux, qui offrait 71
émaux de Limoges, dont 39 sujets à forme ovale et 32 portraits de princes,
seigneurs et dames, d'environ un pied de haut. D'ailleurs très riche en émaux
de tous genres, Catherine de Médicis en possédait jusqu'à 259. Le mobilier
était à la hauteur d'un tel cadre. Sous les plafonds à compartiments de bois
sculpté rehaussés d'or, se dressaient les grands lits à colonnes enveloppés
de courtines de damas blanc à franges d'or avec passementerie et broderie d'or.
Le lit de la reine — la princesse veuve portait toujours le deuil — était de
velours noir brodé de perles, avec des colonnes de jais ou d'ébène, garni
d'argent ; les sièges et chaires ou fauteuils
étaient d'ébène, marquetés d'ivoire ; les candélabres de jais, les tables
recouvertes de tapis de velours noir brodé de blanc. Ailleurs, c'étaient des
guipures blanches sur satin noir, des étoffes d'or et d'argent, des crêpes
brodés, des satins incarnadins, des toiles d'or. Mais en même temps, au
milieu de cette décoration somptueuse, il y avait un amas d'objets de
collections de toutes sortes, dont les moindres valaient des prix élevés.
Catherine de Médicis avait 476 tableaux dont 341 portraits, de ces portraits,
il est vrai, petits, destinés à s'enchâsser dans les boiseries, si agréables
aujourd'hui par la vérité de l'expression et l'exactitude du costume — il en
reste quelques-uns au Louvre et à Versailles. Dans son cabinet personnel,
elle conservait 20 tableaux de genre, paysages et autres. Après les tableaux,
les pièces de faïence ; Catherine avait 141 pièces de Palissy, plats,
bassins. Puis sur les meubles c'était une infinité de bibelots artistiques
dont un certain nombre, conservés à la galerie d'Apollon, permettent
d'apprécier l'élégance des formes et le fini du travail, aiguières, coupes,
flacons, gondoles en cristal de roche ciselé ou en pierre dure montée sur
pieds d'or émaillés, laques de Chine, pièces d'ivoire, de nacre, de corail,
reliures artistiques, bronzes, bustes, médailles antiques, éventails, verreries
de Venise. Toutes les formes modernes de la curiosité la plus intelligente et
la mieux avertie se retrouvaient chez elle ; il n'y avait pas, jusqu'aux
livres et aux manuscrits dont elle n'eût voulu posséder une collection de
valeur ; elle a laissé 4.500 volumes et 776 manuscrits anciens, qui
témoignent non de son savoir — ces manuscrits étaient en latin et traitent de
sujets austères, elle ne les lisait pas — mais de son éclectisme ; et nous ne
parlons ni de ses bijoux, ni de ses pièces d'orfèvrerie.
Quelque considérables qu'aient été ces collections, elles
ne représentent pas une exception démesurée par rapport à celles des
contemporains. Les inventaires après décès des seigneurs révèlent les mêmes
tendances. Mme de Sainte-Aulaire possédait dans sa demeure 45 tapisseries et
les Guises, au château de Joinville, en avaient 77. Tous n'ont pas eu autant
de Palissy que Catherine de Médicis, mais tous avaient des tableaux, des
émaux, des pièces de cristal ; tous surtout acquéraient de ces étoffes
brodées à fond de soie ou de velours qui, quoique effacées maintenant nous
donnent une si vive impression de la richesse des draperies de cette époque.
C'est en encourageant les arts somptuaires que princes et grands ont
contribué dans une certaine mesure à leur développement. Mais, par ailleurs,
princes et grands, pas plus que les rois, n'ont pu grand'chose sur l'ensemble
du mouvement artistique de la seconde moitié du XVIe siècle.
Le mouvement très considérable est caractérisé par
plusieurs éléments distincts : sa prétention à ne pas être empirique comme
dans l'âge précédent, mais érudit et de trouver son point de départ dans
l'étude de l'Antiquité ; tout de même le fait qu'il demeure français et, sans
s'en apercevoir, continue étroitement, en l'améliorant, la tradition de
l'époque antérieure ; l'unité relative de toutes les manifestations
artistiques du temps en raison de cette double condition ; le sentiment enfin
de la dignité de l'art qui produit ce résultat qu'architectes et poètes ne se
considèrent plus comme des praticiens d'un métier manuel, mais comme des
créateurs ou des savants d'un ordre relevé. C'est proprement la Renaissance
française qui commence, par opposition à la première Renaissance qu'on peut
arrêter vers 1550, puisque, à cette date, les représentants les mieux
qualifiés de l'âge où l'individualisme des talents, assez isolés, s'accorde
avec le maintien d'une tradition française continuée depuis le Moyen âge, ont
disparu ou vont disparaître : Marot mourant en 1544, Rabelais vers 1553,
Marguerite d'Angoulême en 1549.
La multiplication par l'imprimerie des éditions d'auteurs
anciens, grecs et latins, avait créé au XVIe siècle une vogue extraordinaire
à l'étude de l'Antiquité. Ce mouvement, commencé lentement au Moyen âge,
était allé en s'accentuant depuis le début du XVIe siècle. Il fut admis
qu'être savant était un titre de gloire et qu'on ne pouvait l'être si on ne
connaissait à fond la littérature des anciens. Les anciens avaient tout dit,
en morale, en droit, en art ; ce fut la mode de ne jurer que par eux. La Réforme
n'avait-elle pas trouvé ses meilleurs et ses premiers représentants parmi les
érudits familiers avec la philologie classique et capables de recourir
victorieusement aux textes ? A l'imitation des anciens, on s'avisa qu'il
était nécessaire d'apporter, en tout ordre d'études, des méthodes et des
règles. Qu'était une langue sans grammaire, sans syntaxe, sans orthographe ?
De là vint l'idée, par exemple, de fixer la langue, d'élaguer tout ce qui
était superfétation, défaut de goût et de mesure, de supprimer dans le fatras
linguistique ou littéraire, hérité du Moyen âge, ce qui était désordonné. Par
surcroît, le développement chaque jour grandissant des imprimeries et la
multiplication des ouvrages publiés en français, amenaient insensiblement à
la pensée d'unifier les formes grammaticales ou orthographiques, de façon à
rendre les livres uniformément lisibles. Ainsi se faisaient jour les idées de
réglementation et de mesure, à l'imitation de l'Antiquité, qui allaient
caractériser tout le mouvement artistique et littéraire de la seconde moitié
du XVIe siècle. En 1549 parut un livre qui formula en termes retentissants la
nouvelle doctrine, c'était la Défense et illustration de la langue
françoise de Joachim du Bellay. Tandis que jusque-là on admettait et
longtemps encore on admettra, que les livres de science fussent écrits en
latin en raison de la noblesse de la langue et afin surtout que les savants
de tous les pays pussent s'entendre entre eux, du Bellay voulait qu'on
écrivît en français, influence sans doute des protestants qui ne célébraient
leur culte qu'en langue vulgaire et — tel Calvin publiant son Institution
chrétienne en français — ne voulaient plus employer que le langage
accessible à tous. Mais en retour, du Bellay exigeait que cette langue fût
appropriée, c'est-à-dire purifiée, accrue, si besoin était, par créations
philologiques savantes, des mots qui lui manquaient et surtout douée d'un style.
Afin de réaliser ces désirs, il n'était, continuait-il, que de se retourner
vers les écrivains anciens et de leur demander des règles. Qu'on renonçât
donc à toutes ces inventions du Moyen âge, insuffisantes et laides, ballades,
rondeaux, virelais, et qu'on reprît uniquement la vieille tradition,
illustrée par Horace ou Virgile, des épopées et des odes, en établissant une
prosodie française, une syntaxe française, une manière française. Les idées
de du Bellay firent fortune ; elles ont été celles de la Pléiade. Elles
aboutissaient à trois résultats : une imitation de jour en jour plus étroite,
presque un plagiat de l'Antiquité, une éducation classique à donner à toutes
les générations futures de plus en plus rigoureuse, un dédain méprisant à
l'égard des œuvres dites barbares du Moyen âge : le tout pour aboutir
d'ailleurs au résultat artificiel d'une littérature très savante, nullement
populaire et même aristocratique.
L'imitation de l'Antiquité devint en effet la mode
générale. La mythologie envahit la littérature et l'art jusqu'à les
encombrer. On ne vit partout que les dieux et les déesses de l'Olympe ; les
nymphes figurèrent à l'infini dans les vers ou les bas-reliefs ; il ne fut
discours qui n'évoquât les héros de l'Antiquité et pas de personnage
historique qui n'eût son émule dans la galerie de Plutarque. Le côté
excellent de cette mode était qu'au lieu de se perdre dans la glose et le
commentaire comme l'avaient fait les âges précédents, on étudiait directement
les textes eux-mêmes. Mais tous les textes prirent une importance et une
valeur sans pareilles ; on pesa les moindres mots d'une phrase classique
comme s'ils avaient le sens exclusif d'une formule juridique ; la mode devint
une superstition.
Dès lors il fut reconnu qu'en dehors des œuvres de
l'Antiquité aucune production de l'esprit humain ne valait la peine d'être
étudiée. Les auteurs du XVIe siècle seront les premiers à subir les
conséquences de cette étroite théorie, car on les négligera, si tant est
qu'on ne les méprisera pas entièrement aux âges suivants. Sauf la reine
Marguerite de Valois (qui aura leurs œuvres
dans sa bibliothèque), tout honnête homme du XVIIe et du XVIIIe siècle
se constituant une librairie ne se croira pas
tenu d'y faire figurer les écrivains de la Renaissance et la Bibliothèque
royale elle-même, notre Bibliothèque nationale, comptera peu de fonds aussi
pauvres que celui des auteurs français du XVIe siècle. Cette tournure
d'esprit qu'on a appelée le classicisme a
pesé lourdement sur la formation de l'esprit français depuis le XVIe siècle ;
Rome a été l'école devant suffire à tout. De là cette indifférence pendant si
longtemps pour tout ce qui était étranger aux Romains, la littérature
originale, libre et spontanée du Moyen âge, ou des pays anglo-saxons,
Shakespeare, par exemple ; le dédain des spéculations scientifiques et
politiques, au moins dans leurs applications industrielles et pratiques. On
acquerra ou on développera des qualités appréciables de tenue, de goût, de
mesure, mais au détriment de l'inspiration indépendante, variée et vivante ;
dans l'Etat on réalisera l'uniformité romaine sous l'absolutisme de Louis XIV
devenu l'expression de l'idée juridique du princeps
romanus et le nivellement classique détruira l'infinie diversité
des institutions communales ou provinciales du Moyen âge, si curieuses dans
leur jeu libre et autonome.
Surtout le mépris de ce Moyen âge fut un des dogmes que la
nouvelle école professa avec le plus de vivacité. Il sembla que cette partie
négative dût être la raison d'être. L'école s'était formée pour mener la
guerre et une belle guerre, écrivait
Pasquier, contre l'ignorance. Le Moyen âge
était l'ignorance, l'ancienne barbarie ; ce
qu'il avait produit en fait de littérature n'était qu'épiceries
; on vivait maintenant en un meilleur âge,
l'âge qui tâchait de mettre les choses en leur
perfection. Ainsi, contrairement aux artistes de l'époque antérieure
qui cherchaient chacun de leur côté à faire du mieux qu'ils pouvaient suivant
leur goût personnel, leurs tendances, leur tempérament ou leurs fantaisies,
on établissait maintenant qu'il y avait un idéal destiné à devenir commun à
tous, une théorie de la beauté, renouvelée des anciens, une norme.
Dogmatistes, les nouveaux théoriciens devinrent exclusifs.
Ils s'en rendirent compte : ils comprirent aussi que leur
effort savant et réfléchi ne pouvait aboutir à des œuvres accessibles au
grand public, c'est-à-dire populaires, qu'ils étaient condamnés à demeurer
une élite, dans un certain sens isolés ; ils acceptèrent cette allure
aristocratique et s'en firent gloire. Mais, malgré leurs dires, ils n'étaient
pas si absolument les créateurs du mouvement qu'ils représentaient ; ils
étaient, dans une série, les anneaux d'une chaîne. Avant eux, les humanistes
cherchant dans les œuvres latines des modèles de beau langage à imiter, leur
avaient, en un certain sens, tracé la voie. On a aussi parlé de l'influence
exercée par les Italiens, de la colonie italienne des banquiers de Lyon, des
Italiens attirés en France par Catherine de Médicis, mais en réalité cette
prétendue influence n'est pas aisée à déterminer et on avoue qu'elle aurait
cessé de bonne heure. Surtout ils étaient plus tributaires qu'ils ne le
croyaient de la tradition. En fait, comme pour toutes les modes, les
conditions du développement de ce mouvement étaient obscures ; il y avait
évolution tenant à des raisons générales.
Ce qui le prouverait, c'est la diversité d'origine, de
conditions et de lieux des premiers représentants de cette seconde
Renaissance française. Si Ronsard, du Bellay et du Bartas sont nobles,
Montaigne et Pasquier des bourgeois, beaucoup sont des professeurs de modeste
extraction, voire même populaire. Henri Estienne est un ouvrier imprimeur. La Pléiade peut-être
réside à Paris ; mais Antoine de Baïf, Pontus de Thyard, Louise Labé et son
groupe habitent à Lyon près de leur imprimeur Jean de Tournes, Muret ou
Vauquelin de la Fresnaye
sont à Poitiers. Au point de vue artistique la province brille autant que
Paris.
Logiquement, étant donné le point de départ de la Renaissance, résurrection de l'Antiquité, la première place
reviendrait aux érudits et aux philosophes ; ils ont donné aux autres les
éléments de leurs doctrines ou les moyens de les formuler. A ce titre le
premier serait le savant imprimeur Henri Estienne, — fils du non moins savant
imprimeur Robert Estienne, — qui a édité de si nombreux textes d'auteurs
grecs et latins, surtout un dictionnaire grec, le Thesaurus græcæ linguæ,
ancêtre des lexiques de nos jours ; homme intelligent et précoce, très doué,
d'un caractère détestable. Après avoir t'ait de fortes études et avoir
beaucoup travaillé, il avait été obligé de fuir à Genève en raison de ses
idées protestantes, était revenu auprès de Henri III, lequel l'accueillit
avec bienveillance et à la suite de nombre d'ennuis causés par son humeur
ardente, était mort en 1598 à Lyon, ruiné ou à peu près. L'œuvre d'Henri
Estienne est considérable ; il a publié presque tous les auteurs grecs,
traduit en latin Pindare, Théocrite, édité Platon en entier, donné les
éditions princeps d'Appien ou d'Anacréon. Ses productions ont fourni amples
aliments aux études des philologues.
Un de ceux-ci, Jacques Amyot, a voulu rendre le texte grec
plus particulièrement accessible au public, en le traduisant en français. Né
à Melun de parents pauvres, en 1513, Amyot avait eu la fortune la plus
brillante ; après avoir embrassé l'état ecclésiastique, il était devenu
professeur de grec et de latin à l'université de Bourges, avait attiré
l'attention par la traduction des Amours de Théagène et de Chariclée
d'Héliodore et de Daphnis et Chloé de Longus ; et s'était vu nommer
précepteur des enfants de Henri II qui, devenus rois, l'accablèrent
d'honneurs ; il fut évêque d'Auxerre, grand aumônier de France, commandeur du
Saint-Esprit. Il était adroit ; cette adresse ne l'accompagnera pas jusqu'à
sa mort, car il finit fort impopulaire en 1593 en raison de son amitié pour
Henri III. Sa traduction des œuvres de Plutarque est célèbre ; elle a eu un
grand succès à cause du sujet et du charme simple d'un style naïf ; elle a
contribué plus que beaucoup d'éditions de textes à rendre familière la figure
des héros de l'Antiquité. Toutes les bibliothèques privées pendant plus de
deux siècles compteront au premier rang un Plutarque d'Amyot.
Les méthodes exactes que les philologues appliquaient à
l'établissement ou à la traduction des textes, des historiens les
appliquaient à leur tour à l'histoire, et notamment le digne homme que fut
Etienne Pasquier. C'était un avocat né à Paris en 1529, jurisconsulte de
valeur qui fit parler de lui à propos de procès retentissants, celui de
l'Université contre les jésuites, par exemple, fut député aux États généraux
de 1588 et vécut dans une retraite respectée de 1604 à 1615, date de sa mort.
Au cours de ses Recherches de la
France dont le premier livre parut en 1561, le second
en 1565 et les huit autres au début du XVIIe siècle, il tâche de renouveler
l'histoire du royaume en interrogeant directement les documents et en ayant
recours aux témoignages immédiats des auteurs contemporains.
A la suite de Pasquier, les publicistes se mettent à
manifester le même souci. Jean Bodin né à Angers en 1530, mauvais avocat,
lourd écrivain, mais riche d'idées traditionnelles, attaché au duc d'Anjou,
lequel le fit nommer grand maître des eaux et forêts, puis à Henri IV,
publiait en 1500 la Méthode
pour étudier l'histoire, après quoi, en 1576, son volumineux ouvrage De
la République
(littéralement de la chose publique)
où il cherchait à montrer en s'inspirant d'un passé attentivement étudié, que
la monarchie de France ne pouvait pas être absolue et tyrannique, mais
tempérée et contenue dans des limites légales ; son gros livre est très mêlé.
François Hotman, autre publiciste, celui-ci calviniste (1524-1590), fils d'un conseiller au
parlement, savant professeur, polémiste combatif, qui manqua être compromis
dans la conjuration d'Amboise et quitta définitivement la France après la Saint-Barthélemy,
publiait l'année suivante (1573), son
grand livre, Franco-Gallia, sive tractatus de regimine regum Galliæ et de
jure successionis, où reprenant lui aussi l'étude des antiquités
nationales il voulait prouver que la monarchie en France doit être élective
et non héréditaire, qu'en tous cas les États généraux régulièrement assemblés
doivent contenir son autorité.
Après l'histoire et la politique théorique, le droit à son
tour subit les effets des nouvelles tendances des esprits, le droit romain
avec Jacques Cujas, le droit coutumier avec Charles du Moulin. Cujas, né à
Toulouse en 1522, professeur de droit vagabond qui enseigna un peu partout, à
Cahors, à Bourges, à Valence, à Turin, à Paris, à Bourges où il mourut en 1590, a connu comme
personne le droit romain ; les étudiants se pressaient en foule autour de sa
chaire afin d'écouter ses lumineux commentaires de textes juridiques anciens
à l'éclaircissement desquels il appelait le témoignage des littératures
contemporaines pour situer chaque loi et chaque jurisconsulte dans son temps
; il savait admirablement le grec et écrivait purement le latin. Ses Commentaires
du Corpus juris civilis, ses éditions critiques de Justinien et d'Ulpien
forment des monuments ; son nom est resté une autorité vénérable dans le
monde judiciaire de l'ancien régime.
Moins célèbre aujourd'hui, mais presque aussi réputé jadis
dans les prétoires était Charles du Moulin, un Parisien, né en 1500, noble
d'origine, forte tête bien organisée, mais auquel sa religion, protestante,
valut des malheurs ; emprisonné, il se sauva en Allemagne ou il professa à
Tubingen, revint, de nouveau alla en prison pour avoir publié en 1564 un
Conseil sur le fait du Concile de Trente qu'on jugea impertinent, et mourut
en 1566. Assez mauvais orateur, il s'était fait avocat consultant. Son grand
travail, les Commentaires sur la coutume de Paris, est une œuvre
considérable dans laquelle du Moulin explique, avec des vues historiques
intéressantes, ces mille prescriptions du droit coutumier, origine en partie
de notre droit français. Il est l'érudit par excellence du droit coutumier, à
la fois juriste, historien, philosophe et savant informé. Il sera continué
par Guy Coquille et Antoine Loisel.
L'érudition avait donc donné l'exemple. A sa suite la
littérature se piqua aussi de revenir à l'Antiquité, et d'abord les poètes.
Il y a eu beaucoup de poètes au XVIe siècle. Etienne
Pasquier parle de la grande flotte de poètes que
produisit le règne de Henri II. Beaucoup sont oubliés et parmi ceux
dont les noms sont restés, aucun n'a laissé un ensemble d'œuvres d'une beauté
aussi soutenue que celle de tels auteurs du XVIIe siècle. De savoir si la
préoccupation de l'antiquité classique a nui ou profité à leurs productions
est un problème délicat ; ce qui paraît en tous cas certain est que là où les
auteurs du XVIe siècle nous plaisent le plus, c'est lorsqu'ils se laissent
aller à des qualités de simplicité, de charme, de naturel, de grâce spontanée
et émue, toutes qualités claires qui paraissent être essentiellement
françaises. Deux courants se dessinent dans leur littérature : l'idée de
l'érudition antique, la continuation de la tradition française avec les
caractéristiques du tempérament national. Simultanément les deux courants
vont apparaître côte à côte, puis nous verrons chez certains écrivains isolés
le second prédominer, conflit inévitable entre une éducation imposée du
dehors et l'instinct traditionnel d'une race qui se défend.
Le premier groupe de poètes qui attira l'attention fut un
groupe lyonnais — Lyon était à ce moment un centre important, le point
d'aboutissement des relations avec l'Italie, la Suisse et l'Allemagne.
Deux noms sont restés de ce groupe, ceux do Maurice Scève et de Louise Labé,
qui ont esquissé ou ébauché la tentative de la Pléiade. Mais
à force de vouloir se faire antique, l'honnête et savant échevin qu'était
Maurice Scève devient inintelligible et son principal travail, les 449
dizains de sa Délie, objet de la plus haute vertu, une gageure de
subtilité pédante. Quant à Louise Labé, la Belle Cordière,
comme on l'appelait (1526-1566), qui
après une jeunesse étrange dans laquelle, habillée en garçon, elle était
allée assister au siège de Perpignan sous le nom de capitaine Louis, puis
avait épousé raisonnablement un marchand de Lyon nommé M. Perrin, plus
spontanée elle a écrit des sonnets et des élégies à la manière grecque dont
les accents passionnés ne sont pas toujours dépourvus de naturel. Elle est
plus estimée que Scève. Ses contemporains la surnommaient Sapho.
Mais qui parle de la poésie du XVIe siècle pense surtout
au groupe autrement illustre qu'a été ce qu'on a appelé la Pléiade. La
Pléiade, association de sept auteurs, d'inégale valeur, synthétise le
mouvement poétique du XVIe siècle. Ils étaient moins de sept quand ils eurent
l'idée de se réunir, vers 1350 ; ils s'appelèrent la Brigade ; ce ne fut que
lorsqu'ils eurent atteint leur chiffre symbolique en 1356, qu'ils adoptèrent
le mot Pléiade. C'étaient Ronsard, du Bellay, Baïf, Belleau, Pontus de
Thyard, Jodelle et Daurat. Daurat, un helléniste qui n'a rien écrit en
français, paraît avoir été un moment l'âme de l'entreprise et quelle
entreprise ! Renouveler les thèmes poétiques,
changer les genres, refaire la langue. Leurs prétentions eussent pu
paraître plaisantes, si un succès partiel n'avait ennobli leurs ambitions
excessives. Deux surtout d'entre eux ont eu une valeur, Joachim du Bellay et
Ronsard.
Du Bellay, un ecclésiastique, chanoine de Notre-Dame de
Paris (1524-1560), était tout désigné
par sa Défense et illustration de la langue française, manifeste de la
nouvelle école, pour faire partie du cénacle ; c'était un Angevin, délicat de
santé, à l'imagination vive, qui après avoir voyagé en Italie de 1533 à 1557,
se fixa à Paris. Ses Poésies françaises, ses deux recueils de sonnets, Olive
et les Regrets, sont l'application du système de l'imitation de l'Antiquité ;
et là où il imite il n'est pas toujours heureux, plutôt gauche et obscur ; là
où il suit sa propre verve française, naturelle, charmante, douce et
gracieuse, la vieille tradition, la vraie, il est au contraire excellent ;
c'est un poète exquis :
Quand reverrai-je, hélas ! de
mon pauvre village
Fumer la cheminée et en quelle
saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre
maison ?...
Plus me plaît le séjour qu'ont
bâti mes aïeux
Que des palais romains le front
audacieux...
Plus que le marbre dur me plaît
l'ardoise fine.
Et plus que l’air romain, la
douceur angevine.
Supérieur à du Bellay a été Ronsard, le plus grand poète
de la Renaissance,
et un de nos meilleurs écrivains de la langue. Né au château de la Poissonnière
dans le Vendômois, en 1524, Pierre de Ronsard, un gentilhomme, se mêla
d'abord à la vie de cour, eut des missions politiques à l'étranger, puis
devenu sourd en 1540 renonça au monde et fit des vers. C'était sa voie. Il
fut le chef incontesté de la Pléiade. Il a
défait la poésie laide, grossière, fade, sotte, mal rimée qui estoit
auparavant, écrit Brantôme, et a fait cette
tant bien parée que nous voyons aujourd'hui. Ses premières Odes parurent en 1550, ainsi qu'un recueil de
sonnets intitulé Amours. En 1556 il donna des Hymnes et une
suite des Amours ; la première édition de ses Œuvres est de
1560 ; elles sont considérables et réunissent 8 volumes aujourd'hui de
l'édition Blanchemain, avec des élégies, des épithalames, des églogues et un
commencement d'épopée. Les rois le comblèrent d'honneurs ; il fut illustre et
reçut de nombreuses abbayes. Après avoir pris une part active à la lutte
contre les protestants, il mourut paisiblement, assez isolé et loin en 1585. Lui
aussi avec ses prétentions d'être grec et latin a les meilleures qualités
françaises : de l'éclat, de la diversité, de l'harmonie délicate et
mélancolique, tour à tour gracieux et fougueux, exquis ou ardent ; mais
lorsqu'il veut suivre les anciens, il devient énigmatique et pédant ; sa
mythologie fatigue, et ses pensées sont obscures. Il a rendu de grands
services en retrouvant des rythmes variés, en purifiant une langue un peu
mêlée, en associant la pensée antique dans ce qu'elle avait de noble à l'esprit
français. C'est un vrai poète.
A eux deux, Ronsard et du Bellay ont été les chefs de
toute une école de poésie dont les effets se sont fait sentir jusque sous le
règne de Henri IV. Des auteurs comme Philippe Desportes, Vauquelin de la Fresnaye sont de leurs
émules et aussi Guillaume de Salluste, seigneur du Bartas, un Gascon, né près
d'Auch (1544-1590), soldat qui eut
quelques missions diplomatiques en Angleterre, en Danemark et fut tué à Ivry.
Huguenot fervent et mystique, il mit en vers l'histoire de la création, ce
qui eut un grand succès.
Ronsard et les siens eurent l'idée, à l'image des aèdes de
l'Hellade, de faire chanter leurs poésies. De là vint le projet d'une
association entre écrivains et musiciens, association qui fut fondée en 1570
et se transforma en une académie dite l'Académie du palais. Cette académie
intéressa beaucoup les rois, entre autres Charles IX qui s'en déclara le
protecteur et lui octroya des privilèges ; elle se développa, admit dans ses
rangs peu à peu toute espèce de membres, des littérateurs, des gens du monde,
des femmes, Mme de Retz, Mme de Lignerolles ; fit prononcer des harangues
qu'Henri III venait écouter et dont il donnait les sujets. Un moment cette
réunion prit même le nom d'Académie française : elle était l'ébauche de celle
qui devait être créée par Richelieu. Elle accentuait et consacrait le
caractère aristocratique, restreint, de tout ce mouvement littéraire de la Renaissance.
Mais contre ce caractère aristocratique de la littérature
des protestations s'élevaient au nom même du génie de la race. La Défense de
du Bellay avait été attaquée par le Quintil Horatian, œuvre,
suppose-t-on, de Barthélemy Aneau. Si quelqu'un, par
fortune, prend plaisir à mes passe-temps, écrivait Sibilet dans sa
préface de l’Iphigénie, je ne suis pas tant
envieux de son aise que je veuille défendre la communication de mes ébats
pour les réserver à une affectée de demi-douzaine estimés princes de notre
langue. Et des écrivains surgissaient, çà et là, indépendants, se
laissant aller à leur libre talent, continuant la tradition des écrivains
personnels de la première moitié du siècle, avec toute la richesse d'une
langue abondante et déréglée, d'une imagination plaisamment vagabonde, mais
tout de même touchés eux aussi par la manie d'érudition classique, marque et
mode de l'époque.
C'était par exemple Noël du Faïl, un magistrat du
parlement de Rennes, digne gentilhomme breton qui, né vers 1520, voyagea,
alla étudier à Paris, Angers, Blois, Bourges, Avignon, publia en 1547 sous le
pseudonyme de Léon Ladulfi ses Propos rustiques, en 1548 ses Baliverneries
ou Contes nouveaux d’Eutrapel, se retira en 1585, et mourut en 1591. Nos ancêtres, disait-il, avoient
non si rhétoriquement parlé que nous, mais mieux, et leur langage étoit plus
clair et plus entendible. Et dans ses contes rustiques pleins de
naïveté, de bonhomie spirituelle, témoignant d'un sentiment de la nature
charmant par des tableaux champêtres exquis, il reprenait la vieille
tradition des conteurs gaulois. S'il n'a pas la puissance de Rabelais, il en
a l'esprit libre, un peu la gaieté joviale et le réalisme. Il connaît bien
les auteurs anciens et le montre.
C'était surtout Montaigne, l'illustre Michel de Montaigne,
Périgourdin, né en 1533, mort en 1592, fils d'un négociant aisé, qui après
avoir été conseiller au parlement de Bordeaux, renonça en 1570 à la carrière
judiciaire pour vivre en campagnard dans son logis paternel des champs, ce
qui ne l'empêcha pas d'ailleurs d'aller voyager en Allemagne, en Suisse, en
Italie, d'être maire de Bordeaux de 1581 à 1585, fonctions dans lesquelles il
ne fit pas preuve d'un courage civique remarquable, et d'accepter le titre de
gentilhomme de la chambre d'Henri III. En 1580, à quarante-sept ans, il
faisait paraître deux livres de ses Essais ; en 1588 il en donnera un
troisième ; œuvre unique dans laquelle l'auteur philosophe écrit paisiblement
sur les choses de la vie, de sa bibliothèque ou librairie située au deuxième
étage de son château de Montaigne, lequel domine, du haut d'une colline la Lidoire, affluent de la Dordogne, à six lieues
de Libourne. Libre du monde, indépendant et tranquille, il juge les gens et
les faits avec douceur et scepticisme. Il est de la lignée dont nous parlons,
de celle de Rabelais par la facilité de son humeur, son goût de la nature,
cette indulgence souriante qui est une forme du doute et de l'indifférence,
et que traduit bien un style ondoyant et souple. Et lui aussi, imprégné de
lectures d'auteurs anciens, farcit son livre de citations et de souvenirs
classiques.
Il faudrait citer encore Pierre La Ramée, de son nom latinisé Ramus, né de pauvres
gens du Vermandois, vers 1515, simple domestique au collège de Navarre, s'instruisant,
devenant professeur. Il osa s'attaquer à Aristote, la grande autorité, depuis
le Moyen âge ; dire que beaucoup de ses prétendus écrits étaient apocryphes,
que le reste était contestable, que les commentateurs étaient abusifs.
L'Université l'attaqua vivement. Il avait fini par être nommé professeur au
Collège de France où il enseignait d'un esprit net et original, un peu de
tout, grammaire, rhétorique, mathématique, philosophie. Le calvinisme le
perdit ; il fut tué à la Saint-Barthélemy. C'était un indépendant
jaloux.
Ambroise Paré (1517-1590)
fut également un homme à part, le célèbre chirurgien qui ne savait lui, ni le
grec, ni le latin, fit son chemin par l'Hôtel-Dieu de Paris, étant sorti
d'une famille modeste des environs de Laval, et suivit les armées en campagne
comme praticien. La
Faculté ne le reçut docteur qu'en 1554, sous prétexte que
le peu de latin qu'il avait pu apprendre était détestable, et cependant,
opérateur, il était d'une habileté qui confine au génie. Bravement il écrivit
en français ses traités d'anatomie et de chirurgie, ce qui le fit attaquer.
Il a fondé la chirurgie française.
Bernard Palissy non plus ne savait ni le grec ni le latin,
et il fut également un savant en même temps qu’un grand artiste. C'était un
ouvrier du midi, natif de l'Agenais ; il se fit géomètre-arpenteur,
s'installa on Saintonge, embrassa le protestantisme. On sait comment il
s'acharna à découvrir le secret de la poterie émaillée italienne et y arriva.
Ses plats, ses rustiques figulines, comme il
disait, recouverts d'un émail jaspé qui donne l'illusion des jeux du lapis,
de l'agate et des pierres précieuses sous la forme de lézards, d'écrevisses,
d'animaux de toutes sortes, plus tard de scènes à personnages, ont fait
surtout sa célébrité. D'intelligence curieuse et ouverte, il lut les
traductions de Pline, étudia les sciences naturelles, les enseigna et publia
en 1563 un Traité des sels dicers et de l'agriculture, en 1580, l'Art de
terre, De la nature, des eaux et fontaines, des métaux, des terres, la Recepte véritable, les
Discours véritables qui attestent un esprit scientifique très avancé
pour l'époque, presque un précurseur en agriculture méthodique. Il mourut
obscurément, embastillé, dit-on, pour opinions religieuses.
Même aux indépendants de cette seconde moitié du XVIe
siècle, à ceux qui n'acceptent pas la discipline étroite subie par Ronsard et
les siens, et demeurent fidèles à la tradition du pays d'humeur joyeuse,
pleine de naturel et d'abondance, l'étude de l'Antiquité s'est donc imposée.
Ces deux caractéristiques se retrouvent plus nettement encore dans le domaine
des arts.
De tous les arts, celui qui a le plus brillé dans la
seconde moitié du XVIe siècle est l'architecture. Quand on songe aux œuvres
delà Renaissance, on évoque surtout le souvenir des beaux monuments de ce
temps avec leur cortège obligé d'ornementation sculpturale variée et
gracieuse. Or tandis qu'auparavant il n'y avait pas d'architecte dans le sens
rigoureusement précis du mot, mais des maîtres maçons édifiant, en
collaboration avec le propriétaire, des édifices qui s'élevaient détails par
détails, un peu au hasard de l'effet final, en tous cas sans symétrie
préconçue ; à partir d'Henri II, au contraire, nous avons des théoriciens,
des hommes de science qui posent des principes et prescrivent des règles ; il
existe des architectes, des artistes imaginant un ensemble exactement
proportionné, arrêtant sur le papier leur œuvre d'art complète avant de la
bâtir, et concevant d'ailleurs, très grand et très compliqué. Du coup,
l'architecture française atteignait un degré de beauté incomparable. La cause
initiale de cette évolution est toujours l'influence de l'Antiquité.
Deux Italiens, l'un du XVe siècle, l'autre du XVIe siècle,
Alberti et Serlio, avaient révélé Vitruve, l'architecte du temps de César et
d'Auguste et son savant livre De architectura. Le goût de l'étude des
anciens atteignit les constructeurs comme les autres. Le Livre d’architecture
de Serlio avait paru en français en 1545 ; en 1547 fut publiée la première
traduction de Vitruve ; comme commentaires de ce texte on avait les monuments
romains encore debout en Italie : après l'étude des principes, les
constructeurs passèrent les monts, se rendirent sur place, regardèrent,
toisèrent, dessinèrent, puis, revenus en France, publièrent des ouvrages dans
lesquels ils dégagèrent les principes de l'art. La Règle
d'architecture de Jean Bullant paraît en 1564, l’Architecture de
Philibert Delorme en 1567. Au nom de l'autorité des anciens, les nouveaux
théoriciens formulaient les idées directrices de leur métier manuel ; ils
élevaient celui-ci à la dignité d'un art raisonné ; d'ouvriers obscurs et de
praticiens empiriques qu'étaient auparavant les bâtisseurs, ceux-ci
devenaient des architectes, gens d'une valeur sociale plus relevée. Comme la
poésie avec la
Pléiade, l'architecture se faisait savante. Comme la Pléiade aussi,
les nouveaux artistes étaient pleins de mépris à l'égard des gothiques du Moyen âge, de cette architecture
démodée, barbare, écrivait Philibert Delorme,
abandonnée de ceux qui ont quelque soupçon de la
vraie architecture Ils étaient leur tributaire pourtant plus qu'ils ne
le croyaient. Mais moins aristocrates que les poètes du cénacle de Ronsard,
ils admettaient travailler pour tout le monde et non pour une élite.
Pratiquement, ce que l'Antiquité apprit surtout à nos
architectes, ce fut non pas le sens des proportions, car tous les bons
constructeurs précédents, par un sentiment inné, obscur et exquis, ont
toujours apporté dans leurs édifices les plus variés, un goût admirable des
proportions artistiques ; mais plutôt le sens de la symétrie classique. On
étudia les ordres grecs, on s'initia aux calculs des éléments architecturaux
antiques, colonnes ou pilastres, frontons, métopes ; on sut toutes les
nuances des chapiteaux ioniques, corinthiens, toscans ou composites ; on se
passa les dessins des temples grecs et latins et de l'ensemble résulta la
nécessité nouvelle d'apporter dans la conception des édifices le souci d'un
équilibre parfait entre les diverses parties et de correspondances
minutieusement précises. Il y avait maintenant une discipline. Un des noms
les plus connus de ces théoriciens est celui de Jacques Androuet, dit du
Cerceau.
On connaît peu de constructions de lui, sinon l'église de
Montargis qui est assez médiocre. Du Cerceau, chef d'une dynastie
d'architectes qui ont travaillé jusque dans le premier tiers du XVIIe siècle,
a surtout écrit. Son Livre d'architecture et ses autres œuvres gravées
lui firent une réputation considérable dès son temps. Né en 1512, il voyagea
en Italie, alla à Rome, dessina les monuments de 1530 à 1540, commença à
publier ses recueils en 1545 et mourut en 1584. Ses livres, où il propose des
modèles de construction, offrent un curieux mélange d'influences combinées de
l'Antiquité, de la
Renaissance italienne — qui avait de beaucoup précédé notre
Renaissance française dans l'application des principes empruntés aux Grecs et
aux Romains, mais avait appliqué ceux-ci avec le goût italien et les
conditions de la vie italienne — de la tradition française et d'une fantaisie
personnelle parfois bizarre et dépourvue d'esprit pratique. Ce qui nous
intéresse surtout est la persistance de la tradition française révélée chez
lui par des dessins qui font penser au château de Blois de Louis XII et par
le plan carré des châteaux, dérivé des édifices du XVe siècle, plan carré qui
va avoir une si grande fortune aux XVIe et XVIIe siècles.
C'est qu'en effet, et malgré les exemples de l'Antiquité,
le génie de notre sol demeure fidèle à lui-même. On peut suivre à travers
tout le XVIe siècle les preuves de cette fidélité. Ce même Blois de Louis XII
avec ses hauts combles, sa jolie tonalité de briques et de pierres, ses
hautes souches de cheminées, ses fenêtres régulières, son ensemble d'aplomb,
se retrouve dans les grands châteaux de la Renaissance : Ancy-le-Franc
si remarquable, Folembray, Valery, Villers-Cotterêts ; le plan carré, qui est
très français, est le type commun de Charleval, d'Anet, d'Écouen, de Bury, de
Saint-Maur, des mêmes Ancy-le-Franc et Villers-Cotterêts, de Verneuil. Si on
compare un château du XVIIe siècle, tel celui de Pont en Champagne, avec les
constructions de la fin du XVe siècle, début du XVIe en France, Blois,
Amboise, ou les édifices soit antiques, soit de la Renaissance
italienne, on jugera que la filiation avec les monuments français de la fin
de notre Moyen âge est incontestable. Seule la décoration s'est ressentie des
études étrangères. Là où la construction prête à des développements
d'ornementation sculpturale, l'influence antique ou italienne apparaît
caractérisée par les éléments classiques : ordres grecs, colonnes et
pilastres, oves, bucranes et le reste, surtout les sujets mythologiques qui
abondent : l'inspiration païenne prédomine. Mais même sur ce point la
tradition en France ne date pas de 1550 et de la publication de Vitruve :
elle est antérieure et se perd plus loin. Nous allons le constater en parlant
brièvement des artistes et de leurs œuvres.
Ces artistes ont eu la bonne fortune de vivre en un temps
où les conditions de l'existence rendaient désagréable aux gens la vie
renfermée dans les forteresses obscures du XVe siècle, et où tout le monde
substituait aux sombres murailles de défense de l'âge gothique les claires
façades ouvertes des nouvelles maisons de plaisance. On bâtit beaucoup. Les
princes, princesses et dames illustres donnèrent l'exemple en dépensant
libéralement. Catherine de Médicis devait édifier les Tuileries, Diane de
Poitiers Anet et Chenonceaux, le connétable de Montmorency Écouen ; mais
celui qui donna l'exemple, et l'exemple le plus remarquable, fut le roi en
rebâtissant le Louvre.
Lorsque Charles-Quint était passé en France en 1539,
François Ier, dit-on, avait été un peu humilié de ne lui montrer comme palais
royal que la rébarbative prison de Philippe Auguste, un peu améliorée par
Charles V, qu'était le Louvre. Il résolut de l'abattre pour substituer à la
place un édifice aéré, ordonné et seyant. C'est le brillant roi de Marignan
qui demeure l'initiateur de l'art architectural de la seconde moitié du XVIe
siècle. Il s'adressa à un homme de talent nommé Pierre Lescot. Né vers 1510,
ce Pierre Lescot était un ecclésiastique, fils d'un procureur du roi à la Cour des aides, qui, doué
du génie de l'architecture, dessinait depuis son enfance, était très instruit
et très riche Amplement pourvu de bonnes places, fait aumônier ordinaire du
roi, abbé de Clermont au diocèse de Laval, chanoine de Notre-Dame de Paris,
seigneur de Clagny, à Versailles, il s'occupait d'architecture par goût :
c'était sa passion. Connaissant sa valeur, François Ier" lui demanda le
2 août 1546, comme le portent les lettres patentes que nous avons conservées,
de bastir et construire en nostre chasteau du Louvre
un grand corps d'hostel au lieu où est à présent la grand salle,
c'est-à-dire la partie du Louvre actuel où se trouve la salle des Cariatides
et la salle Lacaze au-dessus. L'idée de François Ier était donc assez
restreinte. On ignore ce que fit Lescot du temps de ce prince, probablement
peu de chose. Henri II continua à l'architecte sa faveur et sa commande qu'il
confirma le 14 avril 1547, dès son avènement. Mais à ce moment Lescot proposa
à Henri II qui accepta un plan grandiose à exécuter, plan qui depuis a été
réalisé, au moins dans ses dimensions. L'architecte se mita l'œuvre ; il
restera attaché au Louvre jusqu'à sa mort, en 1578, dans une situation
privilégiée, indépendant du surintendant des bâtiments, traitant lui-même
avec les ouvriers, les entrepreneurs et les artistes, les dirigeant seul. Il
travailla jusqu'en 1568 ; par suite des événements politiques les travaux
furent arrêtés de 1568 à 1578, reprirent en 1580-81 sous la direction de
Baptiste Androuet du Cerceau. Henri II avait élevé l'aile occidentale du
Louvre, c'est-à-dire la partie de la salle des Cariatides, puis le pavillon
d'angle du côté de la Seine
(le pavillon du roi) et le premier
avant-corps de l'aile en retour du côté du quai ; Charles IX continua cette
dernière aile jusque vers le milieu de la façade actuelle : ce fut tout ce
qui se fit au XVIe siècle autour de la cour carrée du Louvre. Après une
existence paisible, très prôné par ses contemporains, aimé des poètes, de
Ronsard qui chanta sa gloire, des hommes de lettres qu'il fréquentait, Pierre
Lescot mourut en septembre 1578 dans sa petite maison du cloître de
Notre-Dame de Paris où il habitait comme chanoine et fut enterré dans une
chapelle de la cathédrale. En dehors du Louvre, il ne paraît pas avoir
beaucoup construit ni cherché à construire.
Il est, on peut le dire, le premier en date de nos grands
architectes français, et par une singulière fortune, ayant eu à donner le
plan du plus grand palais qu'on eût à élever en France, il se trouve que ce
palais est en même temps le plus magnifique qui soit. Evidemment ce qui a été
réalisé depuis n'est pas de lui. Ce qui est sûrement de lui, c'est l'idée de
la grande cour carrée et l'aspect des façades occidentales de cette cour.
Peu de monuments donnent une impression de beauté plus
achevée que la façade du Louvre de Pierre Lescot sur la cour. Comme
proportions harmonieuses, élégance, noblesse, équilibre, goût délicat,
justesse exacte des détails faits pour contribuer à l'ensemble, aucun édifice
n'a réalisé une aussi heureuse perfection. Ce n'est ni grec, ni romain, ni
italien, c'est français. La sculpture décorative est faite pour accompagner
et relever les lignes architecturales ; elle n'est ni trop effacée, ni trop
saillante, à la mesure précise et fondue. La façade extérieure plus simple
pratiquée sur l'ancien mur du Louvre de Philippe Auguste conservé et d'une
épaisseur énorme, s'élevant au-dessus des fossés, offrait par ses grandes
fenêtres peu décorées relativement, ses hauts combles, ses souches de
cheminées, l'aspect des constructions françaises traditionnelles, telles
qu'on les retrouvait à Ancy-le-Franc — un peu antérieur, dit-on, au Louvre —
et à Amboise. Les nouveautés, répète-t-on, de la façade intérieure du Louvre,
celles qui auraient été inspirées à Lescot par l'étude de l'Antiquité ou des
édifices italiens seraient : les colonnes corinthiennes engagées entre des
arcades de plein cintre et séparées par des niches à statues, le tout
surmonté de frises sculptées ; il est vrai que ces éléments sont couramment
utilisés dans les édifices italiens de la Renaissance ; mais
en France Lescot ne faisait qu'appliquer des principes déjà connus et
pénétrés chez nous lentement depuis nombre d'années. Les arcades de plein
cintre existaient déjà au château de Madrid ; pilastres corinthiens engagés,
niches à statues, frises se rencontraient auparavant à Blois et même à
Amboise pour certains de ces détails. Ancy-le-Franc présente d'une façon si
frappante l'application des mêmes principes qu'on peut supposer que Lescot en
a été l'architecte pour n'avoir pas à l'accuser de plagiat. En somme Lescot a
utilisé des éléments auxquels les Français étaient déjà habitués, mais ce qui
lui est personnel c'est la manière habile dont il les a appliqués pour aboutir
à un effet architectural remarquable. La tradition, l'étude, l'inspiration se
sont associés chez lui, guidés par un instinct artistique sûr. Toute l'école
architecturale du temps s'inspirera des mêmes données. En 1566, Charles IX
faisant construire par Pierre Chambige le rez-de-chaussée de la petite
galerie du Louvre — la galerie d'Apollon — et le bas de la première moitié de
la grande galerie du bord de l'eau, ces édifices garderont comme aspect
décoratif, le même ton que le Louvre. Les travaux arrêtés en 1572 à la Saint-Barthélemy,
Henri IV les reprendra après sa rentrée à Paris en 1594 ; il continuera la
galerie du bord de l'eau jusqu'aux Tuileries ; il l’élèvera d'un entresol ou
mezzanine et d'un premier étage dont il fera une grande galerie, comme il
élèvera l'étage de la petite galerie ; ses architectes Métezau, du Pérac,
Androuet du Cerceau, Fournier conserveront les mêmes idées.
Avec des tempéraments très divers, les autres grands
architectes de la seconde moitié du XVIe siècle présentent les mêmes traits
essentiels que Lescot : à côté de Lescot un des plus célèbres est Philibert
Delorme.
C'était aussi un ecclésiastique, né dans le Lyonnais vers
1515, fils d'un maître des œuvres, qui voyagea en Italie où il dessina
beaucoup. A son retour, le cardinal du Bellay s'intéressa à lui et lui fit
bâtir le château de Saint-Maur, monument qui attira l'attention. Diane de
Poitiers le chargea en 1548 de bâtir Anet, somptueux édifice auquel Delorme
s'appliqua avec tout son génie, qu'il considère comme son œuvre maîtresse et
dont il reste à peine, du grand carré de constructions qui fut édifié, une
aile et la chapelle. Henri II s'intéressa vivement à Anet, se prit de
sympathie pour l'architecte, le nomma conseiller et
architecteur du roi, surintendant des bâtiments, pour qu'il se fît
obéir des entrepreneurs, son aumônier ordinaire ; il le fit maître des
comptes, l'accabla d'abbayes : celles de Saint-Barthélemy-lès-Noyon, d'Ivry,
au diocèse d'Evreux, de Saint-Serge-lès-Angers ; le fit nommer chanoine de
Paris, comme Lescot. En 1564, Catherine de Médicis lui demanda d'élever le
palais qu'elle rêvait de construire à une petite distance du Louvre, les
Tuileries. Depuis la mort d'Henri II elle n'aimait pas les Tournelles, et
cherchait à habiter ailleurs. Delorme lui dessina un plan immense, un
rectangle de 269
mètres de large sur 166 mètres de
profondeur avec cinq cours intérieures et des amphithéâtres. Catherine ne
devait élever qu'une partie de la moitié de la façade du côté du couchant et
une écurie. Mort en 1570, Delorme ne fit même pas entière cette partie de sa
façade ; Jean Bull an t qui le remplaça allait substituer ses idées aux
siennes. En 1572, d'ailleurs, après la Saint-Barthélemy,
les travaux étaient arrêtés.
Philibert Delorme a beaucoup bâti ; nous ne connaissons
pas toutes ses œuvres, et ce que nous savons être de lui est détruit ou très
modifié. Mais il a publié un Traité d'architecture et de Nouvelles inventions
pour bien bâtir. Nous en possédons assez pour apprécier son tempérament.
C'est un savant, un mathématicien qui cherche avec attrait les difficultés
afin de les résoudre par des calculs. Il a fait faire des progrès à la
technique de l'art surtout pour la coupe des pierres, la stéréotomie. Mais
chez lui la science fait tort à l'inspiration. Quand il cherche à être
majestueux il devient lourd ; il n'a pas la pureté de style de Pierre Lescot,
il n'aura même pas la science plus poussée de Jean Bullant ; on devine trop
le labeur du calcul. Quand il se livre à l'imagination comme dans quelques
projets de son livre de l’Architecture, il aboutit à des résultats
bizarres, mélanges artificiels d'art ancien, italien et français. Sa chapelle
d'Anet est presque un édifice italien et l'avant-corps de ce monument,
conservé à l'École des Beaux-Arts de Paris, présentant trois étages, chacun
d'un ordre différent, dorique, ionique, corinthien, du plus lourd au plus
svelte, indique cette recherche mathématique. Mais le tombeau de François Ier
à Saint-Denis, qui est de lui, manière d'arc de triomphe romain avec trois
arcades portant le roi et la reine sa femme en prières, pendant qu'au-dessous
les deux princes gisent en des sculptures d'un réalisme presque gothique, et
que tout autour sont figurées des scènes de batailles non moins réalistes,
est un monument harmonieux et dégagé, Philibert Delorme eut un mauvais
caractère, et, quoique chanoine, une existence d'une moralité incertaine. Il
se brouilla avec beaucoup de monde et tomba même en disgrâce après la mort
d'Henri II. La faveur de Catherine fie Médicis devait le relever.
Jean Bullant, son continuateur, naquit à Ecouen en 1510, —
génération brillante que celle qui naît vers les années 1510-1515 et qui a
compté tant d'illustrations. Comme tous les autres il alla faire son voyage
de Rome et d'Italie, apprentissage inévitable maintenant de toute éducation
artistique. A son retour à Écouen le connétable Anne de Montmorency qui y
résidait se l'attacha ; Montmorency en disgrâce eut l'idée de reconstruire
son château et chargea de l'entreprise le jeune architecte. L'édification d'Ecouen,
encore debout, fit la gloire de Jean Bullant. Revenu en faveur pendant le
règne de Henri II, Montmorency amena à la cour l'architecte, le recommanda ;
par lui Bullant fut nommé en 1557 contrôleur des bâtiments de la couronne,
puis, comme Delorme, il semble avoir subi une éclipse, peut-être une
disgrâce, en tout cas une retraite. Il en profita pour publier deux livres :
un Recueil d’horlogiographie, 1561, et sa Règle générale
d'architecture, 1568. Cette Règle générale d'architecture montre que Bullant
est un savant mathématicien qui étudie en calculs serrés, d'une façon
scientifique, tous les éléments de son art et notamment les ordres grecs, les
colonnes et les chapiteaux. Il est presque plus ingénieur qu architecte. Pour
un peu il se dirait comme Philibert Delorme curieux
de ces inventions si belles qui se trouvent par les mathématiques. Il
a beaucoup pratiqué Vitruve. Il a subi l'influence de l'Antiquité, s'il est
vrai qu'il ait reproduit sur une façade d'Ecouen une disposition du temple de
Jupiter Stator à Rome. En 1570, à la mort de Philibert Delorme, Catherine de
Médicis le prit à son service et le chargea de continuer les Tuileries.
Bullant n'a guère construit qu'un pavillon des Tuileries et n'a pas autrement
poursuivi l'édifice. Il est mort la même année que Lescot. Son nom est très
connu : son œuvre en définitive est assez mince ; nous le connaissons surtout
par ses livres. Des trois architectes que nous venons de citer, Lescot,
Delorme et lui, il est le plus instruit, comme Lescot demeure le plus
artiste.
Érudition et tradition, ces deux termes associés que nous
venons de constater dans l'art architectural. nous allons toujours les
retrouver pour caractériser quelques-unes des nombreuses manifestations de ce
XVIe siècle qui a eu l'instinct du beau à un si haut degré. Nous les
constaterons d'abord dans la sculpture. Deux noms résument cette sculpture,
Jean Goujon et Germain Pilon.
Peu d'artistes — à la réputation aussi assise que celle de
Jean Goujon — ont une biographie moins connue. On croit qu'il est né en
Normandie, sans qu'il y en ait de preuve. Les comptes de la cathédrale de
Rouen qui le mentionnent pour la première fois en 1540-41, à propos des
colonnes soutenant les orgues de Saint-Maclou, faites par lui, ainsi que les
portes de l'église, le traitent de tailleur de
pierre et maçon, ce qui est modeste. Il avait fait la statue de
Georges d'Amboise au tombeau de la cathédrale. On le retrouve à Paris en 1543
sculptant sous la direction de Pierre Lescot le jubé de
Saint-Germain-l'Auxerrois. A ce moment, il devient célèbre. L’Épitomé
de Vitruve imprimé à Toulouse en 1556 l'appelle sculpteur
de grand bruit et Ronsard parle de lui dans ses vers. On le fit
collaborer à toutes les grandes œuvres du temps : Jean Bullant utilisa ses
services à Ecouen en 1544 ; Philibert Delorme à Anet en 1553 ; Pierre Lescot
à la fontaine des Innocents et surtout au Louvre à partir de 1550. Il a
énormément travaillé : nous avons perdu un grand nombre de ses œuvres. On ne
sait quand il est mort, sans doute vers 15G5, et non à la Saint-Barthélemy,
car il n'est pas sûr qu'il ait été protestant. Ce qui nous reste de certain
parmi ses sculptures est encore notable : la Diane du château d'Anet, aujourd'hui au Louvre,
la fontaine des Innocents, les sculptures du palais du Louvre, sur la façade
de Pierre Lescot, la voûte de l'escalier Henri II et les cariatides de la
grande salle qui porte ce nom. Par ces cariatides mêmes qu'on retrouverait un
peu dans Vitruve, par cette mythologie abondante qui fait le sujet de ses
œuvres, dieux et déesses, faunes, nymphes, dauphins, tritons et naïades
représentés. Goujon est bien l'élève de l'Antiquité, un peu à travers la Renaissance
italienne ; mais comme il est français par sa grâce, sa délicatesse, son
élégance discrète et de bon aloi ! Fidèle à la vérité plutôt qu'au réalisme,
il figure des femmes de son temps, qu'on reconnaît bien et auxquelles il sait
donner cette allure souple qui est la marque de son génie. Lescot a
probablement sa part dans la conception de l'ornementation sculpturale de la
façade du Louvre, mais celle de Goujon demeure considérable et elle révèle un
juste sens de la décoration par la sculpture,le goût plein de tact du grand
artiste et son habileté à s'adapter aux conditions prescrites pour compléter
harmonieusement un ensemble.
Germain Pilon est resté plus franchement fidèle à la
tradition réaliste. C'était un ouvrier parisien né en 1535 ; son talent le
mit hors de pair ; il fut le sculpteur préféré de Charles IX, lequel lui
donna un atelier à l’hôtel de Nesle ; les commandes abondèrent, et Catherine
de Médicis surtout le fit travailler à cette chapelle des Valois, grande
rotonde à deux étages de colonnes qu'à l'imitation de la chapelle des Médicis
à Florence, la reine fit élever tout contre le croisillon méridional de l'église
Saint-Denis afin d'y abriter les tombeaux des Valois, mais qui n'a jamais été
achevée et depuis a été démolie. C'était une œuvre presque entièrement
italienne à laquelle collaborèrent Lescot, Bullant et Du Cerceau dans des
conditions diverses. Pilon fut chargé du tombeau d'Henri II qui existe encore
et où il a sûrement sculpté de 1565 à 1583 les statues priantes du roi et de
la reine, revêtues du costume royal, les corps ligures des défunts gisants et
les quatre figures de bronze des angles du monument : la foi, la tempérance,
la prudence et la justice, allégories à l'antique. Mais à côté, quel réalisme
dans la représentation des cadavres des princes, quelle crudité, d'ailleurs
habile et artistique ; puis dans le modelage du costume royal, quelle précision
toute réelle, d'une exactitude étroite et minutieuse ! Si dans les fameuses
trois Grâces faites par lui pour le monument du cœur de Henri III, apparaît
davantage l'idéalisme cher à la Grèce et à la Renaissance
italienne, combien les statues de Birague et de sa femme exécutées pour leur tombeau révèlent
au contraire le sentiment de la vie dans toute sa puissance ! Mais que dire
des bustes et surtout des médaillons de Germain Pilon représentant tous les
rois Valois, merveilles de précision admirable, de vie saisissante et d'art
élégant ! Il est un des plus remarquables artistes de la France.
Beaucoup moins connu et qui mériterait de l'être mieux est
ce Pierre Bontemps qui a sculpté les bas-reliefs du tombeau de François Ier à
Saint-Denis, œuvre de tous points excellente par l'exactitude des détails des
batailles, costumes, mouvements, gestes, d'un réalisme poussé, non à la
manière un peu brutale du Moyen âge, mais avec une souplesse, une liberté
aisée et ordonnée. Ce Pierre Bontemps n'est ni romain, ni italien.
Malheureusement nous ne savons presque rien de lui et de ses œuvres.
Si la sculpture est bien représentée dans la seconde
moitié du XVIe siècle, — et nous n'avons pas parlé des infinis détails
décoratifs, bas-reliefs et autres, figurés sur tous les monuments et révélant
plus d'un talent ignoré, — en revanche la peinture l'est faiblement. Nous
sommes pauvres en tableaux de cette époque, qu'il y en ait eu peu ou qu'ils
aient été détruits. Ceux qui nous restent ne sont pas signés. Tels que, ils
rejoignent les dessins au crayon au contraire très nombreux à ce moment, qui
sont surtout des portraits eux aussi malheureusement anonymes. Quelques noms
d'artistes se détachent, celui de Jean Cousin par exemple, mais la plupart
des attributions prétendues de ses œuvres ne sont pas certaines et en somme
on ne connaît rien de lui ; celui de François Clouet dit Janet, surtout.
François Clouet serait né vers 1520 et moi-t en 1572. C'était le fils de
Jean Clouet, peintre de François Ier. Il fut extrêmement à la mode, reçut le
titre honorifique de valet de chambre du roi, resta attaché aux rois Henri
II, François II et Charles IX. Il a portraituré tous ces princes, nombre de
fois, les membres de la famille royale, les seigneurs, les grands. Nous avons
conservé des crayons de lui, surtout aux trois couleurs, on quantité
respectable. Il est vrai qu'il a fait école — ou qu'il a suivi une mode, car
les crayons de ce genre abondent en ce temps — qu'est-ce qui est de lui ou de
ses imitateurs ? Il n'est pas toujours aisé de le dire. Ces portraits sont
remarquables par la sincérité et l'exactitude ; ils sont français, charmants
souvent de vivacité, parfois d'une force impressionnante : leur simplicité,
leur réalisme les ferait plutôt appartenir à la vieille école gothique, si une
sobriété de bon aloi et une élégance discrète ne venaient tempérer ce que
l'ancienne école avait de trop rude.
Corneille de Lyon aussi est de cette école. Corneille de
Lyon a également dessiné des portraits à la façon de Clouet, mais il est
encore plus difficile d'identifier ses œuvres, bien que des spécialistes
croient pouvoir distinguer une manière de l'un et une manière de l'autre. Les
qualités sont les mêmes, ce sont celles de tous les auteurs de ces portraits.
Ils forment une galerie incomparable au point de vue iconographique et
artistique, et ils illustrent l'histoire du XVIe siècle comme peu de siècles
l'ont été.
Nous voudrions être mieux renseignés que nous ne le sommes
sur un art qui a été florissant au XVIe siècle, au moins pour ce qui est de
la mode et l’usage, la tapisserie. On a vu combien Catherine de Médicis et
les grands tenaient à honneur d'avoir nombre de tapisseries et de très belles
dans leurs demeures. On tapissait tous les murs et on changeait souvent les
tentures afin de varier l'aspect des appartements. Or ce sont surtout les
pays étrangers qui ont produit des tapisseries : la Flandre principalement,
Bruxelles, Valenciennes, Tournai, Gand, Bruges. François Ier avait fait de
nombreuses acquisitions dans ces pays et y avait acheté, entre autres,
certaine grande histoire de Scipion qui
comptait vingt-deux pièces, avait coûté 40.000 livres et
que Catherine de Médicis fit apporter aux conférences de Bayonne de lo6o où
elle excita une grande admiration. Ces tentures flamandes offraient ou des
sujets reproduits d'œuvres italiennes telle que des tableaux de Jules Romain,
de Raphaël, ou des scènes de la vie réelle telles que chasses, paysages,
guerres contemporaines. L'industrie de la tapisserie, très prospère en France
aux XIVe et XVe siècles, l'était moins au début du XVIe Les rois cherchèrent
à la rénover. François Ier fit installer un atelier à Fontainebleau, Henri II
un autre à Paris. C'est celui de Paris qui tissa pour Catherine de Médicis
une tapisserie connue dite tapisserie d'Artémise, vers 1570. Il y avait aussi
un atelier à Tours. Sujets mythologiques, dieux, déesses, histoires antiques
avec des chars et des temples, bordures offrant des arabesques à la manière
italienne, mais aussi sujets réalistes, bals du temps, réceptions, fêtes et
scènes champêtres, chasses avec des portraits assez fidèlement tracés, les
tapisseries françaises du XVIe siècle qui sont très décoratives et se
signalent par la variété de tons, d'ailleurs fondus en un harmonieux
ensemble, ainsi qu'une grande richesse de coloration, présentent elles aussi
les effets de la double inspiration qui domine l'art du temps.
Les émaux du XVIe siècle ont plus de réputation. Limoges a
été le centre d'une production notable de ces belles œuvres dont nous avons
conservé d'assez nombreux spécimens ; il y avait à Limoges des ouvriers
habiles et de goût se succédant de père en fils dans la même profession, les
Courteys, les Reymond, les Pénicaud. Le plus connu est Léonard Limousin que
les rois gratifièrent des titres de valet de chambre,
de peintre ordinaire et émailleur du roi. La
galerie d'Apollon au Louvre contient, exposés, des exemples de son talent,
émaux d'une pureté et d'un soutenu de ton admirables. Ici encore, comme
toujours, doubles sujets, les uns mythologiques et antiques, héros de
Plutarque, dieux de l'Olympe dans des cadres empruntés aux édifices romains,
puis aussi des portraits du temps, personnages historiques et autres, moins
souples que ceux de Clouet et de son école, moins vivants, mais rendus avec
une préoccupation d'exactitude réaliste ; nous connaissons près de 130
portraits de contemporains sur émail provenant de Léonard Limousin.
On a fait beaucoup de vitraux pendant la Renaissance et nous
en avons beaucoup conservé. On leur reproche d'être inférieurs à ceux des âges
précédents en raison de la trop grande multiplicité des détails et des
personnages, — ce qui produit, à distance, un effet de confusion, —et de la
prédominance ou de la trop grande fréquence des blancs, qui donne une
impression d'ensemble indistincte et brouillée. Mais ces vitraux se signalent
dans le détail par de beaux effets de coloration nuancée, un dessin varié et
précis, beaucoup de richesse de tons — plus nombreux qu'aux époques
précédentes, ce qui n'est rigoureusement pas un progrès, étant donné le genre
; certaines couleurs sont très belles. Quant aux sujets, ou ils sont
religieux dans les églises, ou, comme cette suite de grisailles à Ecouen
représentant l'histoire de Psyché, d'après les dessins de Michel Coxcie, ils
se ressentent des modes ambiantes.
Il faut enfin, dans cette trop rapide esquisse des arts de
l'époque des Valois, faire aussi sa place à la musique. Les gens du XVIe
siècle ont beaucoup aimé la musique ; ils l'ont employée sous toutes les
formes, graves et légères : musique d'église chez les catholiques, chant des
psaumes chez les protestants, danses et ballets aux réunions de cour,
chansons dans le peuple. La
Pléiade, nous l'avons vu, s'avisa que la poésie gagnerait à
être associée à la musique, et l'Académie du palais fut fondée pour organiser
cette association. Marot avait traduit les psaumes en vers afin qu'ils
fussent mis en musique. Sous l'influence de Catherine de Médicis, qui donnait
régulièrement des concerts plusieurs fois par semaine, ses fils
affectionnèrent la musique, notamment Charles IX. L'application de la musique
qu'ils ont préférée a été la danse ; ils ont beaucoup dansé, ironie et
contraste avec un temps si tragique. Ces danses du XVIe siècle, la pavane et
autres danses traînantes et graves, dans lesquelles les couples doivent
évoluer avec grâce, souplesse, élégance, sont un art délicat qui demande de
la distinction ; la musique qui les accompagne est tour à tour elle-même
molle et lente ou alerte et gaie, en somme variée. Une forme de danse
raffinée a eu un vif succès à la fin du XVIe siècle, succès qui s'est
continué au XVIIe c'est le ballet. On avait tenté en Italie des
représentations de pastorales avec texte mêlé de chants. Le ballet est une
manière d'opéra comprenant un sujet qui se développe par des scènes chantées,
mimées ou dansées. Le plus célèbre de ces ballets a été celui de Balthazard
Beaujoyeux exécuté en 1581 à propos des noces du duc de Joyeuse sous le titre
de Ballet comique de la reine. Chaque année ensuite, aux jours gras,
les rois de France de la fin du XVIe et du début du XVIIe siècle, montèrent
un ballet, affaire compliquée, luxueuse et dispendieuse.
Ce Balthazard Beaujoyeux était un Italien, de son vrai nom
Baldassarini, qui résida longtemps en France. Nos grands musiciens du siècle
sont en effet un peu des étrangers : Orlando de Lassus est flamand, Willaert
est flamand aussi, Goudimel est de la Franche-Comté,
pays alors espagnol ; nous pouvons cependant considérer ce dernier comme
français et il est un des plus illustres ; c'était un protestant, ou suspect
de protestantisme, car il fut tué au moment de la Saint-Barthélemy
en 1572 à Lyon. Il avait été à Rome et y avait tenu une école d'où sortit
Palestrina. Ses messes, ses motets, ses chants de psaumes — il a fait la
musique des vers de Marot — sont remarquables de pureté d'harmonie. Mais pour
la musique d'église la transformation devait venir d'Italie et de Palestrina
dont la messe du Pape Marcel est de 1565. La fugue et le contrepoint ont été
la grande méthode de cette nouvelle école, pendant que les auteurs de
chansons, Costeley et Orlando de Lassus, conservaient la libre inspiration
spontanée, originale, variée ; toujours, en musique comme dans toutes les
formes de l'art au XVIe siècle, cette dualité parallèle de l'étude savante et
du jeu libre et naturel des qualités instinctives.
SOURCES. Lettres de Catherine de Médicis, éd. La Ferrière et
Baguenault de Puchesse ; de Thou, Histoire universelle, 1734 : Et.
Pasquier, Recherches de la
France, 1561 ; Brantôme, Œuvres complètes, éd.
Lalanne ; Tommaseo, Relations des ambassadeurs vénitiens, 1838 :
Alberi, Relazioni degli ambasciatori Veneti al senato, 1838 ; A. du
Cerceau, Les plus excellens bastimens de France, 1576 ; Les
toilettes d'Eléonore d'Autriche (dans Revue des Sociétés savantes des
départements, 1876) ; de Montégut, Inventaire des bijoux de Jeanne de
Bourdeille dame de Sainte-Aulaire en 1595, 1881 ; E. Bonnafé, Inventaire
des meubles de Catherine de Médicis en 1589, 1874 ; Lettres et devis
de Philibert Delorme relatifs à la construction du château de Chenonceaux,
par Chevalier, 1864.
OUVRAGES : H. Lemonnier, Les origines de l'art classique
en France au XVIe siècle (dans Revue universitaire, 1895) ; Petit de
Julleville, Histoire de la langue et de la littérature françaises, t.
III, 1807 ; Darmesteter et Halzfeld, Le XVIe siècle en France, 1883 ;
E. Bourciez, Les mœurs polies et la littérature de coursons Henri II,
1886 ; E. Frémy, L'Académie des derniers Valois, 1887 ; Glasson, Histoire
du droit et des institutions de la
France, t. VIII, 1903 ; Palustre, L'Architecture de la Renaissance,
1860 ; du même, La
Renaissance en France, 1879-85 ; Geymüller, Geschichte
der Raukunst der Renaissance in Frankreich, 1896 : A. Berty, Les
grands architectes de la
Renaissance, 1860 ; du même, Topographie histo'ique
du Vieux Paris, le Louvre et les Tuileries, 1866 ; F. Bournon, Blois,
Chambord et les châteaux du Blésois, 1908 ; Gonse, La Sculpture
française depuis le XIVe siècle, 1895 ; H. Bouchot, Les Clouet et
Corneille de Lyon, 1892 ; E. Moreau-Nélaton, Les Clouet, peintres
officiels des rois de France, 1908 ; du même, Les frères Du Monstier,
peintres de la reine Catherine de Médicis, 1908 ; J. Guiffrey, Histoire
de la tapisserie, 1886 ; L. Boudry et E. Lachenaud, Léonard Limousin,
1897 ; O. Merson, Les Vitraux, 1889 ; H. Expert, Les maîtres
musiciens de la
Renaissance française, 1894 ; E. Lavisse, Histoire
de France (les chapitres concernant la Renaissance rédigés
par H. Lemonnier.)
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