Charles IX, 1560-1574 ; Catherine de Médicis régente ; son chancelier
Michel de l'Hôpital. Changement de politique à l'égard des protestants ; les
effets de cette nouvelle politique, le Journal de Faurin à Castres. Le
triumvirat Montmorency, Saint-André, Guise ; résistance des catholiques.
Tentative d'entente, le colloque de Poissy, 1561, son échec. Violence des
passions ; le massacre de Vassy, 1562. Première guerre civile, horribles
désordres de l'année 1562. Bataille de Dreux ; les protestants vaincus se
replient sur Orléans ; assassinat du duc de Guise, 1563. Paix et édit
d'Amboise, 1563. Voyage de la cour à travers la France. Entrevue
de Rayonne, 1563. Tentative d'enlèvement de la cour par les protestants,
1567. Deuxième guerre civile ; bataille de Saint-Denis, 1567 ; paix de
Longjumeau, 1568. L'Hôpital
disgracié. Troisième guerre civile ; bataille de Jarnac gagnée par le duc
d'Anjou, 1569 ; mort de Condé. Coligny chef des protestants ; sa défaite à
Moncontour, 1569, mais paix désastreuse de Saint-Germain par suite de la
détresse du gouvernement, 1570. Mariage d'Henri de Béarn avec Marguerite de
Valois ; la
Saint-Barthélemy, 24 août 1572. Mort de Charles IX, 1574.
A François II, qui venait de s'éteindre à l'âge de
dix-sept ans, après dix-sept mois de règne, succédait un enfant de neuf à dix
ans, Charles IX, son frère. C'était, et ce sera à mesure, un garçon aimable,
vif, très éveillé, assez gracieux, comme tous ces élégants Valois, avec
beaucoup d'aisance ; homme de sport, aimant montera cheval, chasser, faire
des armes, jouer à la paume ; de goûts ou de tendances artistiques,
s'occupant de peinture et de ciselure, mais, par ailleurs, détestant l'étude
et les affaires. Sa santé, délicate dès l'origine, trahissait la
dégénérescence de la race : haut, maigre, de jambes grêles, la respiration
courte, mangeant et buvant peu, vite accablé par la fatigue, visage pâle,
tète courbée, il donnait l'impression d'un tempérament plutôt débile.
L'ambassadeur vénitien, Jean Michiel, qui lui reconnaît de la générosité, de
l'ardeur et de l'intelligence, le trouve joli. Il avait de beaux yeux, un
regard qui n'était pas désagréable, mais son angle facial trop aigu donnait à
sa bouche proéminente une expression de moue fâcheuse. La personne de ce
prince qui n'a pas dépassé ses vingt-cinq ans, a les défauts et les qualités
de la jeunesse. Le malheur a voulu que son règne ait été un des plus
sinistres de l'histoire, ce qui a suffi pour rendre sa figure presque
odieuse.
De par les lois et les traditions du royaume qui fixaient
la majorité des rois à quatorze ans, François II avait été censé majeur en
montant sur le trône, ce qui avait permis aux Guises de s'emparer du pouvoir
sous la fiction que le prince disposait librement de son autorité. Avec
Charles IX, il en était autrement, il y avait minorité ; il devait y avoir
régence. De par ces mêmes traditions, c'était la reine mère qui généralement
était régente. Précise et habile, Catherine de Médicis n'attendit pas que
François II eût expiré pour s'assurer du gouvernement. En droit, les Guises
n'avaient rien à réclamer ; ils allaient en effet se taire ; les princes du
sang, seuls, à savoir les Bourbons, auraient pu prétendre au pouvoir.
Catherine s'entendit avec eux, leur promit ce qu'ils voulurent : à Condé la
liberté ; au roi de Navarre l'admission au conseil et à la direction des
affaires avec le titre de lieutenant général du royaume, à condition qu'il
fit quelque profession de foi catholique ; elle obtint leur concours : ils
étaient trop heureux d'un changement déjà si considérable. Pour les empêcher
de poursuivre leur vengeance contre les Guises, elle leur demanda de se
réconcilier avec eux. Elle accueillit Montmorency, se montra aimable pour les
Châtillon, parla d'être tolérante envers les huguenots. Elle était
conciliante avec tous. Il faut comprendre sa politique.
Femme, étrangère, d'une origine modeste de marchands
enrichis, elle se sentait sans autorité : Dieu m'a
laissée avec trois enfants petits, écrivait-elle à sa fille, la reine
d'Espagne, et un royaume tout divisé, n'y ayant un
seul à qui je me puisse du tout fier. La prudence — et elle en avait —
lui conseillait d'agir avec beaucoup de ménagements, de calmer, de pacifier.
Au milieu des passions contraires, elle devait tâcher de faire bon visage à
tous. On lui a reproché d'être dissimulée. Son rôle, sa nature italienne, son
éducation, ses habitudes antérieures l’y contraignaient. Elle n'a eu qu'un
but : maintenir intacte l'autorité du roi et la sienne ; à tort ou à raison,
elle a cru ne pouvoir employer qu'un seul moyen, la conciliation ; elle a
échoué ; on l'a accusée de faiblesse et de fourberie : plus habile, plus
chanceux, ou se trouvant dans des conditions meilleures, Henri IV a réussi,
il est un grand homme ; au fond les deux politiques étaient analogues.
Son caractère la prédisposait d'ailleurs à cette attitude
conciliante. Bien portante, robuste, mangeant beaucoup, faisant beaucoup
d'exercice, très leste et vive malgré un embonpoint si énorme que Brantôme
l'appelle une dame hommasse en forme, elle
était plus que jamais bonne et aimable. On s'accordait à la trouver gente princesse bien agréable et douce. Le sourire
ne quittait pas sa pauvre figure laide au teint blême et olivâtre, aux
triples bajoues, aux gros yeux saillants ; elle se montrait affable et
modeste, tout en restant grande dame. Libérale, jusqu'à la prodigalité et au
désordre, aimant le confort, les réceptions, toutes les splendeurs d'une vie
de cour aussi fastueuse que possible, elle était honorée et aimée des
courtisans qui s'empressaient autour d'elle. Sa joie était de voir la
noblesse en paix se divertir à ses fêtes. Mais elle était trop intelligente
pour être dupe. Il est si difficile que cette farce (le gouvernement du royaume) se joue à tant de personnages sans qu'il n'y en ait
quelqu'un qui ne fasse mauvaise mine ! écrivait-elle mélancoliquement
à son ambassadeur en Espagne, l'évêque de Limoges. Devant tous elle affectait
un calme et une maîtrise de soi paisible. Correro assure l'avoir trouvée plus
d'une fois pleurant à chaudes larmes dans son cabinet de ce qu'elle appelait
ses détresses et les malheurs de la France. Mais que pouvait-elle faire autre chose
que concilier ? La raison n'était-elle pas d'accord avec la nécessité ?
Parlant du protestantisme et de son système de tolérance à son égard : Nous avons durant vingt ou trente ans,
écrivait-elle, essayé le cautère pour cuider
arracher la contagion de ce mal parmi nous et nous avons vu par expérience
que cette violence n'a servi qu'à le multiplier. J'ai usé en cela, ajoutait-elle, comme femme, mère d'un roi pupille, qui a pensé la douceur
plus convenable à cette maladie que nul autre remède. Elle avait le
sentiment de son impuissance et des nécessités de la politique.
N'eût-elle pas eu ce sentiment que l'homme qui allait être
son conseiller écouté, le chancelier Michel de l'Hôpital, l'en eût pénétrée.
Froid et sec, esprit net et précis, l'Hôpital cachait sous sa figure maigre
et osseuse rendue vénérable par une longue barbe blanche et qu'illuminaient
deux yeux clairs au regard droit et pénétrant, une intelligence ferme dont
les idées étaient arrêtées. Il était partisan résolu et réfléchi de la
liberté de conscience à l'égard des protestants, de la conciliation à l'égard
des grands. Il a soutenu, inspiré et animé Catherine de Médicis.
François II mort, Charles IX devenu roi, Catherine,
régente, commença par en finir rapidement avec les États généraux. L'Hôpital
vint y faire un éloquent discours dans lequel, prônant les idées de tolérance,
il prononça sa phrase célèbre : Otons ces mots
diaboliques, noms de partis, de factions et de séditions, luthériens,
huguenots, papistes : ne changeons le nom de chrétiens ! Les Etats
rédigèrent leurs cahiers de doléances qui manifestèrent une grande diversité
dans les vœux des trois ordres. Le 31 janvier 1561, ils étaient déclarés clos
et pour leur faire suite, conformément à l'usage, le chancelier obtenait de
la régente la publication d'une grande ordonnance en 150 articles dans
laquelle il insérait nombre de ses idées de réforme : rétablissement des
élections canoniques de l'Eglise, supprimées par le Concordat, abolition de
la vénalité des charges judiciaires, limitation de la juridiction des
tribunaux ecclésiastiques, obligation aux baillis et sénéchaux de laisser le
soin déjuger à des lieutenants gradués, etc. : toutes réformes qui ne
devaient être que peu ou mal appliquées.
Puis le gouvernement fit connaître sa résolution à l'égard
des protestants. Après tant d'années de répression, reconnue inefficace, on
allait enfin tenter, comme l'expliquait Catherine, la politique de douceur et
de libéralisme. Le 24 février 1561 parut un édit aux termes duquel tous les
réformés mis en prison devaient être relâchés, les poursuites judiciaires
engagées contre eux arrêtées ; les huguenots bannis étaient autorisés à
rentrer et ceux qui avaient été envoyés aux galères, rappelés : l'acte
ajoutait, il est vrai, à condition que tous se fissent catholiques, mais on
ne fit pas attention à la phrase. Cet édit libérateur allait en réalité
donner au protestantisme le plus décisif élan qu'il eût jamais eu. Jusque-là
restreint, menacé et dangereux, le culte protestant ne parvenait à grouper
qu'un petit nombre de fidèles. Dès lors il va s'afficher. Par curiosité, les
gens viendront au prêche. La simplicité pieuse de la nouvelle religion en
attirera beaucoup qui suivront ; peu à peu, un mouvement se fera, un
entraînement, une mode, qui accélérera le développement du protestantisme, en
présence des catholiques étonnés et arrêtés par l'idée que le roi approuve ou
que ce mouvement est irrésistible. Au bout de six mois, dans telle ville du
midi, les huguenots étaient devenus virtuellement la majorité. Il n'est, pour
s'en rendre compte, que de suivre le curieux Journal de Jean Faurin,
chaussetier protestant de Castres, consignant jour par jour ce qui se passe
dans sa petite ville :
La fin de l'année io60 a été marquée à Castres par une
persécution terrible. Magistrats de Toulouse et de Carcassonne sont venus
multiplier les ajournements, les prises de corps, les incarcérations ; de
nuit, secrètement, les prêches ont eu une peine extrême à se tenir sans
provoquer les éclats d'une populace ardente qui lapide les huguenots qu'elle
déteste. Arrive l'édit de février 1561 : tous les protestants incarcérés sont
élargis ; le ministre huguenot, M. de Lostau, se met à prêcher dans les
maisons ; on ne lui dit rien ; il va prêcher publiquement à l'école le 18
avril devant 5 à 600 personnes qui accourent ; les magistrats se fâchent et
lui ordonnent de sortir de la ville ; il refuse ; on n'ose pas le
contraindre, craignant une émotion populaire.
Des ministres de Genève arrivent les 26 et 28 avril. Le 5 juin a lieu par la
ville la procession du Saint Sacrement de la Fête-Dieu ; les
réformés, pour la première fois, ne parent pas leurs maisons de tentures : personne ne s'en émeut. 6 juillet, la sainte cène
est célébrée à l'école devant 600 personnes qui reçoivent le sacrement. En
août, le mardi, à midi, les protestants ferment leurs boutiques et vont aux prières
avec leurs domestiques ; ils continueront tous les mardis : personne ne dit
rien. Dimanche, 31 août, premier enterrement huguenot : nul ne s'est ému. 1er septembre, on a procédé à
l'élection des consuls de la ville et du procureur du roi : ils sont tous
protestants. En corps, les consuls et les membres du consistoire vont trouver
le clergé de la seconde paroisse de la ville, Notre-Dame de la Plate, et lui demandent
les clefs de l'église afin d'y célébrer le culte calviniste ; le vicaire de
service refuse ; on enfonce les portes de l'église et le prêche se fait quand
même dans l'édifice : personne ne s'est ému.
5 octobre, on célèbre la cène à la Plate. Fin octobre, du
commandement de Messieurs magistrats, on abat toutes
les idoles — les statues — et tous les autels
de la Plate ;
sans aucune contradiction. Ainsi, avant la fin de l'année 1561, le
protestantisme, au début contenu, réprimé, châtié, était installé à Castres
avec pleine liberté de conscience et libre exercice du culte, maître de la
municipalité et des églises. Il en était de même dans tout le royaume. D'un
bout à l'autre de la France,
les catholiques ne comprenant plus rien, demeuraient interdits.
Cependant, à la cour, les choses se gâtaient. Conformément
à sa promesse, Catherine de Médicis avait relâché Condé, mais celui-ci
voulant être judiciairement réhabilité et non gracié, avait demandé et obtenu
un arrêt du parlement qui l'innocentait. Les Guises, déjà outrés de tout ce
qui se passait, firent entendre de vives protestations : cet arrêt, déclarèrent-ils,
était le désaveu d'un acte du roi précédent. Le cardinal de Lorraine quitta
la cour. Condé fit savoir à Catherine qu'il ne reviendrait la trouver que si
le duc François de Guise, son mortel ennemi, était chassé de sa présence. A
force d'adresse, Catherine parvint à calmer ce premier orage. Elle appela
Condé à Fontainebleau, le reçut d'une façon charmante ; lui-même, comme dit
Brantôme, fort agréable, accortable et aimable,
se laissa toucher. Le nuage passa. Le roi de Navarre avait reçu la lieutenance
générale du royaume.
Mais les catholiques ne pouvaient demeurer indéfiniment
silencieux devant les changements qui s'opéraient au détriment de leur
religion. Causant avec le connétable de Montmorency et le maréchal de
Saint-André de la situation, le duc de Guise convint avec eux qu'il fallait
s'entendre afin de résister au mouvement qui menaçait de perdre l'État. Les
trois hommes conclurent un pacte : ils constituèrent une manière de
triumvirat. Dès que cette entente fut connue, de toutes parts les adhésions
affluèrent. Comme Chantonnay, l'ambassadeur du roi d'Espagne Philippe II,
chacun estimait que, volontairement ou non, par sa politique de tolérance,
Catherine de Médicis préparait le triomphe du protestantisme. Ne voyait-on
pas déjà Condé appeler librement des ministres huguenots à prêcher à la cour
? Les protestants n'étaient-ils pas assez influents pour faire disgracier des
agents catholiques trop zélés contre les calvinistes, tels que le beau-frère
de Montmorency, Villars, en Languedoc ? Le triumvirat fut approuvé et acclamé
; le cardinal de Tournon, les ducs de Montpensier et de Brissac lui
apportèrent leur concours. Les souverains catholiques, le pape, le roi
d'Espagne, le duc de Savoie, manifestèrent leur vive sympathie ; car l'Europe
suivait avec une grande attention ce qui se passait en France, surtout
Philippe II, préoccupé de savoir si le protestantisme allait gagner un grand
royaume de plus, question troublante pour le roi espagnol en raison de ses
Pays-Bas acquis déjà à la religion nouvelle. Catherine, très ennuyée, chercha
à calmer, à rassurer sur ses intentions. Elle écrivait à sa fille Élisabeth
d'Espagne : Je suis contrainte d'avoir le roi de
Navarre auprès de moi : les lois de ce royaume le portent ainsi. Elle
expliquait à son ambassadeur en Espagne qu'en réalité, au milieu des
protestants et des catholiques, des Bourbons et des triumvirs, elle cherchait
à trouver un chemin moyen entre les deux.
Elle mandait aux cours étrangères, au pape, que rien n'était changé en France
à l'égard des protestants ; qu'on ne s'alarmât pas. Les sujets de s'alarmer
davantage n'allaient pas tarder à se multiplier.
De plus en plus, comme une tache, le protestantisme se
propageait avec une rapidité surprenante. Mais par une conséquence
inévitable, là où il était la majorité, il déclarait, comme à Genève, ne plus
pouvoir tolérer près de lui ce qu'il appelait l’idolâtrie,
le scandale de la superstition romaine. Il
avait demandé la tolérance de conscience, on la lui avait donnée ; il avait
pris la liberté du culte, on avait été obligé de le laisser faire ;
intolérant à son tour, il entendait maintenant détruire le catholicisme.
Excités principalement par le culte des images, les protestants se mirent à
briser de tous côtés les statues des églises.
Les catholiques résistant, il y eut des conflits, des
morts Les huguenots se jetaient sur les processions pour les troubler ; les
catholiques envahissaient les prêches : c'étaient des désordres dans tout le
royaume. Et de tout le royaume montait vers le gouvernement, vers l'Hôpital,
une plainte universelle des catholiques contre sa politique de concession et
de faiblesse. Le chancelier était traité de huguenot. Que faisait-il des
anciennes lois ? Les avait-il ou non rapportées ? Un peu ému, le gouvernement
publia un nouvel édit en juillet I06I qui recommandait de demeurer pacifiques
et tolérants, défendait de porter des armes, et tout en renouvelant
l'amnistie prononcée à l'égard des réformés pour le passé, leur défendait,
comme par le passé, et conformément aux anciens édits, de tenir des réunions
publiques ou privées, sous peine d'être traduits devant les tribunaux civils
et de se voir emprisonner, condamner à la confiscation des biens, la peine de
mort étant interdite. Cet expédient timide ne contenta personne. L'effervescence
générale ne fit que continuer. On déclara que l'Hôpital était impuissant.
Alors, le chancelier eut une idée inattendue ; c'était de réunir les deux
communions protestante et catholique, en tâchant d'accorder les doctrines.
Les catholiques feraient des concessions sur la discipline et les cérémonies
; les protestants céderaient de leur côté sur le dogme. Une conférence serait
provoquée entre évêques et ministres protestants où seraient discutées les
conditions de l'entente. Catherine approuva. Les protestants acceptèrent. Les
évêques humiliés d'un pareil débat n'eussent jamais consenti à s'y rendre, si
le cardinal de Lorraine, espérant par son éloquence obtenir un beau succès
oratoire, ne les y avait décidés. Le colloque — on appela la réunion un colloque
— fut convoqué à Poissy pour août 1561. Douze ministres réformés arrivèrent
ayant à leur tête l'illustre Théodore de Bèze, le disciple préféré de Calvin,
esprit souple, élégant et caractère ardent, et Pierre Martyr de Zurich. Ils
passèrent par Saint-Germain où était la cour qui les reçut d'une façon
gracieuse, mieux que n'eût été le pape de Rome s'il
fût venu, écrit avec humeur Claude Haton dans son Journal.
L'assemblée commença le 0 septembre et se tint dans le vieux réfectoire du
couvent des dominicaines de Poissy, datant de Saint-Louis, au milieu d'une
affluence énorme. Le petit roi Charles IX présidait ayant auprès de lui
Catherine de Médicis. Théodore de Bèze prenant la parole, — il avait, dit
Haton, une langue diserte et bien affilée par un beau
et propre vulgaire françois, la mine et les gestes attrayant les cœurs et
vouloirs de ses auditeurs — fut modéré. On l'écouta. Malheureusement
il eut une comparaison fâcheuse au sujet de l'Eucharistie : l'assemblée
éclata en exclamations ; le cardinal de Tournon apostropha violemment
l'orateur. Peu s'en fallut, écrivait
Catherine après, que je lui imposasse silence !
A la séance suivante, le cardinal de Lorraine répondit. Les harangues se
succédèrent sans succès. Finalement on jugea préférable de nommer une
commission de dix membres, cinq catholiques, cinq protestants, chargés de
trouver une formule d'entente ; ils ne la trouvèrent pas. L'affaire devait se
terminer sans résultat ; l'impossibilité d'une réunion était constatée.
Mais le colloque de Poissy ne fit qu'accroître le désordre
général. Les protestants se considérèrent comme vainqueurs. Les réformés, écrivait d'Aubigné, élevés de leurs droits, chantaient la victoire de leurs
ministres. Quelle gloire, en effet, et quelle dignité d'être admis à
discuter de pair à pair avec des prélats qui jusque-là ne connaissaient les
huguenots que comme criminels et infâmes hérétiques ! La Réforme devenait
donc une religion reconnue, véritable, digne de respect et d'attention ! Le
courage des calvinistes enfla et de toutes parts, dans les provinces, le
résultat s'en fit immédiatement sentir. Reprenons le Journal de
Faurin.
14 décembre 1561, à l'église cathédrale Saint-Benoît, de
Castres, un cordelier, Claude d'Oraison, prêchant, s'élève avec véhémence
contre la Réforme
; un écolier protestant l'interrompt et tout haut lui dit qu'il en a menti. Les fidèles chassent l'écolier de
l'église à coups de pied. Grande émotion chez les huguenots de la ville. Le
soir ils s'attroupent en armes, vont au cloître Saint-Benoît où habite le
religieux cordelier, le prennent et le mettent en prison. Les catholiques
intimidés ne disent rien. Le lendemain, on reconduit le Père d'Oraison à la
porte de la ville et on le prie de s'en aller. 31 décembre, les magistrats de
la vil le, toujours protestants, ordonnent d'abattre les statues et images se
trouvant dans les églises. 1er janvier 1562, ils interdisent formellement aux
ecclésiastiques romains de dire la messe dans l'intérieur de la ville : ainsi
voilà le culte catholique aboli à Castres. 4 janvier, les magistrats en force
se rendent au couvent de Sainte-Claire et en expulsent les 20 religieuses qui
s'y trouvent. Lundi, 2 février, on a surpris un religieux trinitaire disant
la messe secrètement devant quelques fidèles. Il est appréhendé, juché sur un
âne, la figure tournée du côté de la queue, qu'il tient des deux mains ;
promené ainsi, revêtu de ses habits sacerdotaux, dans toutes les rues ; puis
amené à la place, on le met sur une chaise, on le tond, après quoi, lui
montrant son hostie consacrée on lui demande s'il veut ou non mourir pour
elle ; l'autre épouvanté faiblit et dit non ; on brûle ses vêtements
sacerdotaux et on le chasse après lui avoir fait promettre de ne plus
célébrer la messe.
Ce qui se passait à Castres se produisait partout. Partout
les protestants envahissaient les églises, chassaient les prêtres et
s'installaient ; les cloches étaient supprimées, remplacées par des
tambourins ; on renversait les autels, on brisait les images des saints.
Moins endurants ou plus forts qu'à Castres les catholiques ici et là se
jetaient sur leurs adversaires. En décembre 1561 il y eut une échauffourée à
Paris, faubourg Saint-Marcel, au cours de laquelle les huguenots envahirent
Saint-Médard et le saccagèrent. Par représailles les catholiques coururent au
lieu du prêche et brûlèrent le mobilier.
En présence de la marée qui montait, Michel de l'Hôpital
estima qu'il fallait suivre le flot afin de le contenir ; il fit publier un
édit, en janvier 1562, qui autorisait les protestants à s'assembler — c'était
reconnaître légalement un fait existant — mais à condition que les réunions
n'auraient lieu que hors des villes, par exemple dans les faubourgs, avec
défense de bâtir des temples ; et en outre que les calvinistes rendraient aux
catholiques toutes les églises dont ils s'étaient emparés. Les protestants
furent satisfaits de cette concession. Elle était considérable. Pour la première
fois on les reconnaissait officiellement ; on autorisait leurs assemblées ;
leur culte n'était plus un délit, mais l'exercice régulier d'un droit. Ils
acceptèrent. A Castres les huguenots abandonnant la Plate et Saint-Benoît
allèrent se réunir au boulevard de la porte de l’Albinque sous des toiles
qu'on tendit. Seulement aucun prêtre n'osa venir célébrer la messe en ville.
Mais alors ce fut chez tous les catholiques une explosion
d'indignation. Ainsi le gouvernement cédait définitivement aux hérétiques.
Ceux-ci qui n'étaient qu'une minorité et l'erreur
gagnaient peu à peu des privilèges égaux à ceux de la majorité restée fidèle
à la vraie religion. Les catholiques n'en étaient plus à prétendre que les
calvinistes ne pratiquassent pas leur religion, ils allaient avoir à se
défendre contre des adversaires qui après avoir réclamé et obtenu la liberté
de leur culte, prétendaient enlever aux autres celle de pratiquer le leur, et
de persécutés se transformaient en persécuteurs. Il n(y avait donc plus de
doute ; la régente et son chancelier protestantisaient le royaume ! De
l'étranger des plaintes vives furent adressées au gouvernement sur sa
faiblesse. Si la régente n'était pas en mesure d'avoir raison des hérétiques,
écrivait Philippe II irrité, il offrait, lui, ses propres troupes ; et comme
Catherine offensée répondait qu'il n'était pas admissible que les affaires du
royaume fussent menées par d'autres que ceux du
gouvernement, le roi d'Espagne ripostait qu'alors il les enverrait aux
catholiques, ce qui avait achevé d'indigner la reine mère. Mais quoi" ? il valait mieux, disait Philippe II, inquiet du contrecoup
des événements de France dans ses provinces des Pays-Bas, aller éteindre le feu dans la maison du voisin qu'attendre
en la sienne. La régente écrivait lettres sur lettres pour expliquer
son attitude et la justifier ; elle assurait demeurer ferme dans son
intention de réprimer l'hérésie : on la jugeait double et Maisonfleur
l'appelait : Madame la Serpente.
Le duc d'Albe,
gouverneur des Pays-Bas, concluait qu'il faudrait bien finir par intervenir
en France. Grâce à l'absence de forces suffisantes pour maintenir l'ordre
public dans le royaume, le moindre incident pouvait faire éclater la guerre
civile imminente. Cet incident se produisit le 1er mars 4562 ; ce fut
l'affaire de Vassy.
Le duc François de Guise revenait de Saverne à Paris
escorté de plus de deux cents cavaliers, lorsque traversant Vassy, sur la
frontière de Champagne, un dimanche matin, il passa devant une grange où se
tenait un prêche de 4 à 500 protestants. Il y eut entre les gens de sa suite
et des assistants au prêche échange de mots provocants : on en vint aux coups
; les gentilshommes de François de Guise soutinrent les leurs ; toute la
troupe attaqua l'assemblée ; les huguenots cherchant à se défendre, jetèrent
des pierres dont l'une vint blesser le duc ; les gens de celui-ci furieux
mirent l'épée à la main et frappèrent ; les protestants s'enfuirent de tous
côtés ; il y eut vingt-trois tués, et plus de cent blessés. C'était le
premier grave événement, le premier aussi sanglant de la lutte qui couvait.
L'affaire fut exploitée ; elle souleva dans le monde
protestant une émotion considérable. Des catholiques cherchèrent à atténuer
ce qu'ils appelaient un accident, un désordre. Les huguenots ne parlèrent que du massacre de Vassy et soutinrent avec indignation
que le projet de leurs ennemis de les détruire apparaissait clairement.
Catherine effrayée donna l'ordre à François de Guise de ne pas se rendre à
Paris où le populaire, fervent catholique, eût pu, par son enthousiasme,
provoquer de nouvelles complications, mais de venir la rejoindre à Montceaux.
Les passions déchaînées étaient trop fortes. Guise n'obéit pas. Il gagna
Paris où l'attendaient les deux autres triumvirs et fut reçu par les
acclamations d'une foule en délire. Le prévôt des marchands l'accueillit à la
porte Saint-Denis, le traitant de défenseur de la
foi. De plus en plus inquiète, Catherine de Médicis quitta Montceaux
avec la cour et alla s'enfermer dans le château de Melun, place sûre et
solide. De là elle gagna Fontainebleau. Qu'allait-il arriver ? Le prince de
Condé était dans Paris, très entouré de partisans résolus, ne sortant jamais
sans être armé et accompagné : un éclat entre les deux ennemis était
inévitable. A force d'instances, le cardinal de Bourbon obtint de Condé qu'il
sortît de la ville. Il se rendit à Meaux. Là il appela tous les siens, ses
amis, ses serviteurs, ses fidèles ; les Châtillon le rejoignirent, Coligny, à
contrecœur ; —il pressentait que cette concentration à Meaux était l'ébauche
de l'armée de la révolte et sa conscience ne pouvait se faire à l'idée de
devenir un rebelle. En peu de temps un millier de gentilshommes et 1 500
cavaliers se trouvèrent réunis. Afin de calmer les scrupules de Coligny,
Condé expliqua que le roi était prisonnier de conseillers dont ils étaient
eux, les victimes : qu'il ne s'agissait pas de prendre les armes contre Sa
Majesté, mais delà délivrer pour, sous son nom, appliquer une politique plus
sage. Par là on sauvait la face de la légalité. De fait, la question se posa
à la cour de savoir si entre les deux partis en présence, celui des triumvirs
catholiques et celui des Bourbons protestants, on devait se prononcer en
faveur des uns ou des autres. Paris était dans une agitation extrême. A tout
hasard Catherine de Médicis décida de s'avancer afin de s'interposer, et elle
vint avec le roi, s'enfermer dans le château de Vincennes. Mais alors les
triumvirs prirent cette démarche pour l'aveu public que le gouvernement se
mettait de leur côté. Un conseil fut tenu au Louvre avec la régente. Ils
proposèrent de marcher résolument sur Condé. Catherine et l'Hôpital s'y refusèrent.
La cour, en fait, se trouvait entre les mains des
catholiques. Condé crut comprendre que le sort en était jeté. Il quitta
Meaux, trop voisin de Paris — ses forces étant insuffisantes — il gagna
Orléans, publia un manifeste dans lequel il déclarait que le roi n'était plus
libre, qu'il fallait le délivrer ; il demandait à toutes les églises
calvinistes du royaume de lever des troupes et de les lui envoyer ; il
déclinait la responsabilité de la lutte qui était le fait des Guises et de
leurs provocations ; il terminait en répétant qu'il voulait libérer le roi,
son frère, la reine mère et assurer l'observation des édits. A l'entendre
c'était donc de son côté qu'était le droit.
Pendant ce temps, sur tout le territoire, la guerre civile
éclatait. Les catholiques tombaient sur les protestants, ceux-ci sur les
catholiques. Les Parisiens refusant d'admettre l'édit de janvier ne
toléraient la présence d'aucun huguenot connu pour tel dans leur ville. En
province, l'anarchie était complète. Par troupes, les protestants attaquaient
les églises, cassaient à coups de mousquet les statues, enfonçaient les
portes, mettaient en tas, dans le chœur, ornements, châsses, ciboires,
calices et brûlaient le tout, puis s'en prenant aux sépultures les
défonçaient, jetaient les squelettes ; la tombe de Louis XI fut ainsi violée
à Cléry et les Bourbons furent déterrés à Vendôme. Claude de Sainctes, qui
nous raconte ces faits, en est scandalisé. D'assaut ils enlevèrent des bourgs
et en chassèrent les prêtres catholiques. La ville
de Puylaurens, écrit Jean Faurin, a été prise
par escalade par ceux de la religion réformée. Etant dedans, on a abattu
l'idolâtrie et la messe ; le ministère de la parole de Dieu dressé suivant le
Saint Evangile. Cette façon de faire est suivre le bon Josias. Le
culte catholique fut aboli partout où les protestants se trouvèrent les plus
forts, dans le midi, en Normandie, à Caen, Rouen, Bayeux. De ville à ville
ils s'envoyaient des secours, à longues distances, de Castres à Montauban,
par exemple. Les champs, sillonnés par des compagnies en expédition marchant
sur les places, n'étaient plus sûrs ; c'étaient des coups de feu de tous
côtés. Les officiers du roi se trouvaient impuissants ; des émeutiers
massacraient les gouverneurs. En Dauphiné on vit le terrible baron des
Adrets, huguenot, courant la campagne, tuant, brûlant saccageant. Des bandes
de catholiques ou de réformés, chassés des villes, erraient jusqu'au moment
où elles étaient rencontrées par des troupes armées qui les massacraient.
Alors des catholiques ardents menaient rudement la répression, tel Monluc,
sur les bords de la Garonne,
qui pendait tout huguenot qu'il rencontrait, un
pendu, disait-il, étonnant plus que cent tués
; il y allait vivement sans sentence ni écriture,
ajoutait-il, car en ces choses j'ai ouï dire qu'il
faut commencer par l'exécution. Si tous eussent fait de même ayant charge es
provinces, on eût assoupi le feu qui a depuis brûlé tout. Cette année 1562 a été une des plus
lamentables de notre histoire. Jamais le royaume n'a présenté un spectacle
aussi horrible, même pendant la guerre de Cent ans où le mal n'a pas été à ce
point général. Il n'y a pas un coin de terre qui
échappe à la dévastation, écrivait Hubert Languet. Toutes les affaires dans ce royaume sont suspendues,
mandait Chantonnay, l'ambassadeur d'Espagne, à Marguerite de Parme ; c'est grand pitié ! et Castelnau constatait : La guerre civile est comme une rage et un feu qui brûle et
embrase toute la France.
Pendant ce temps Catherine de Médicis désespérée faisait
ce qu'elle pouvait afin de retarder encore le conflit avec le prince de Condé
; elle écrivait à celui-ci, cherchant à le calmer, à le ramener, lui disant
de venir la voir, lui demandant ses conditions ; et Condé répondait qu'il
exigeait l’éloignement des triumvirs, le châtiment du massacre de Vassy. Les
triumvirs acceptaient de s'éloigner, mais ils entendaient au préalable qu'on
assurât l'exercice de la seule religion catholique en France : c'était
insoluble. Des provinces arrivaient coup sur coup des nouvelles qui ne
faisaient qu'exciter les esprits. A Toulouse on s'était battu quatre jours
dans les rues, un quartier avait été incendié, 400 personnes tuées. Les
impôts ne rentraient plus. Le pays entier était dans la terreur. Sous la
pression de l'opinion exaspérée, devant les instances du nonce et de
l'ambassadeur d'Espagne, Catherine de Médicis se décida à laisser partir
l'armée marchant sur Condé ; cette armée forte de 6.000 fantassins et de 4.000
cavaliers était commandée par le roi de Navarre, Antoine de Bourbon,
lieutenant général du royaume, cet homme léger, inconsistant et indifférent
qui, tout compte fait, préférant rester dans les honneurs et les dignités de
l’Etat, avait abandonné les protestants et fait profession de catholicisme :
les circonstances l'amenaient à conduire des troupes contre son propre frère.
Avant le choc, Catherine essaya encore d'une entente ; des
conférences eurent lieu à Toury ; de deux côtés les prétentions continuaient
à être inconciliables. Les protestants déclarèrent que ces pourparlers
n'étaient que des feintes et les gentilshommes de Condé réclamèrent la
bataille. Peu à peu la cour se pénétrait de cette pensée qu'il en arriverait
au gouvernement ce qui se produisait dans les villes ; une fois tolérés les
huguenots voudraient l'égalité, l'égalité acquise ils prétendraient être les
maîtres, et devenus les maîtres ils détruiraient le catholicisme en France.
Le 3 juillet, Condé tenta un coup de main, la nuit, pour
surprendre l'armée catholique ; il échoua ; il recula vers Blois, Tours ;
l'armée des triumvirs le suivait ; Poitiers fut occupé par le maréchal de
Saint-André sans difficulté. Les troupes protestantes mal cohésionnées se
débandaient et ne présentaient pas de résistance. Alors le gouvernement
décida de marcher sur Rouen. Le bruit courait que Condé était entré en
négociations avec la reine d'Angleterre, Elisabeth, afin de lui demander son
appui. Envoyés par Condé, en effet, La Haye et Jean de Ferrières s'étaient rendus à
Hampton Court afin de discuter avec Elisabeth : celle-ci, intéressée et
égoïste, avait spécifié qu'elle consentait à fournir 6.000 hommes et à donner
100.000 couronnes sous condition qu'on l'autoriserait à occuper le Havre ;
ajoutant qu'aux termes du traité de Cateau-Cambrésis elle devait recouvrer
Calais dans huit ans ; qu'elle tiendrait le Havre comme gage de cette place
et qu'elle l'évacuerait si on lui rendait immédiatement Calais. La Haye et Jean de Ferrières
crurent que l'occupation du Havre intimiderait la cour de France : ils signèrent.
Lorsque les clauses de cette convention furent connues, elles provoquèrent
une vive indignation. Condé et Coligny protestèrent ; ils firent dire à la
reine d'Angleterre par son ambassadeur Throckmorton qu'ils tenaient
l'occupation du Havre pour provisoire, que sinon c'était une tache d'infamie
à jamais sur leur mémoire et que si la paix des huguenots faite avec le roi
de France les Anglais n'évacuaient pas sans condition la place, toutes les
forces du royaume marcheraient contre eux. Jean de Ferrières, navré de la
faute qu'il avait commise, écrivait au ministre d'Elisabeth, lord Cecil : Je ne puis vous dire l’affliction que je ressens ! Faites
que je n'aie occasion d'être tenté de désespoir de voir jacturam honoris
esse sine fructu. Il avait conscience qu'il s'était déshonoré.
Avec 18.000 hommes, Charles IX en personne se dirigea vers
Rouen dont 500 Anglais, le Havre occupé, étaient venus renforcer la garnison
que commandait Mongommery, l'ancien meurtrier d'Henri II. Le roi de Navarre
accompagnait le roi de France. L'assaut fut donné le 26 octobre ; il réussit
; la ville fut prise ; Mongommery se sauva ; cette victoire coûta la vie au
malheureux roi de Navarre, Antoine de Bourbon, qui, atteint d'un coup
d'arquebuse, fut tué. Il mourait à quarante-quatre ans au service des catholiques,
après avoir été le soutien et l'espoir des huguenots. Personne ne le
regretta.
Pendant ce temps Condé qui avait reformé son armée à
Blois, appelé d'Allemagne 2.600 reîtres et 3.000 lansquenets, marchait
audacieusement sur Paris et venait camper à Gentilly, Arcueil, Montrouge. La
ville, bien gardée, tint bon. Sur quoi le prince se repliant vers Chartres
songeait à gagner la
Normandie pour donner la main aux Anglais, lorsque l'armée
catholique et royale qui le cherchait, commandée par les trois triumvirs en
personnes, le rejoignit à Dreux ; elle comptait 14.000 fantassins et 3.000
cavaliers ; le choc était cette fois inévitable, il eut lieu le 19 novembre 1562. C'était la première
bataille des guerres civiles. Tout le monde était ému : Chacun, dit la Noue, repensoit en
soi-même que les hommes qu'il vojoit venir étaient francois entre lesquels il
y en avoit qui étoient ses parents et amis et que dans une heure il faudroit
se tuer les uns et les autres, ce qui donnoit quelque horreur du fait.
Pour se reconnaître, les huguenots avaient adopté l'uniforme
qu'ils conserveront dans toutes les guerres civiles, une casaque de drap
blanc, et les catholiques arboraient à leurs chapeaux croix et images. Menée
par l'habile et vigoureux général qu'était François de Guise, la bataille fut
décisive. A cinq heures du soir tout était fini, les protestants culbutés et
en déroute ; mais le succès avait coûté cher. Le maréchal de Saint-André
était tué ; le vieux connétable de Montmorency tombé de cheval, blessé, avait
été fait prisonnier par les huguenots qui l'entraînaient dans leur fuite. En
revanche Condé enveloppé était aux mains des catholiques. Six mille morts
restaient couchés sur le sanglant champ de bataille.
La nouvelle de la victoire excita dans toute la France une allégresse
sans pareille. On fit des processions et on chanta des Te Deum. La mort
d'Antoine de Bourbon laissant la lieutenance générale du royaume vacante, on
la décerna à Guise qui prit le commandement des troupes.
Après Condé, c'était à Coligny que revenait la direction
de l'armée protestante. Coligny battit prudemment en retraite et se retira
dans Orléans où il s'enferma. Avec sa décision habituelle. Guise le
poursuivit, résolu, suivant son mot, à saisir les renards dans leurs
terriers. Il établit son camp près des murs de la ville. Il s'était logé avec
sa famille aux Valins à quelque distance. Dans le camp toute la journée, il
revenait à la nuit chez lui. Le 9 février, le fort des Tourelles fut enlevé ;
l'affaire marchait à souhait. Le 18, comme Guise rentrait à sa résidence
entre six et sept heures du soir, on vit un cavalier qui faisait les cent pas
sur la route demandant aux passants si c'était bien par là que devait venir
le duc. Guise avait expédié en avant au galop un de ses gentilshommes afin de
prévenir la duchesse qu'il était en retard, mais qu'il arrivait. Il
s'avançait au pas, à cheval, précédé d'un page monté sur une mule et
accompagné de Tristan de Rostaing. Dès qu'il aperçut le groupe, le cavalier
qui guettait se jeta dans un fourré, laissa passer Guise, puis, dès que
celui-ci eut fait cinq ou six pas, le visant à la tête de son pistolet, il
tira. Le coup chargé de trois balles porta sur l'aisselle droite. Le duc
s'affaissa, criant : Je suis mort ! il se
redressa violemment et voulut dégainer : il n'en eut pas la force. Rostaing
s'était précipité du côté d'où le coup de feu était parti : le meurtrier le
tint quelque temps à distance de la pointe de son épée, après quoi piquant
des deux, disparut dans l'obscurité du bois ; il erra toute la nuit, se
perdit. Au matin, harassé de fatigue, il entra dans la grange d'une ferme
pour se reposer et s'endormir. Croyant s'éloigner du camp, en réalité il s'en
était rapproché en tournant sur lui-même, et il se trouvait au pont d'Olivet,
près du quartier des Suisses. Un lieutenant de Guise, M. de Seurre, le trouva
dans la grange et l'arrêta ; il ne résista pas : c'était un jeune homme de
vingt-six ans, protestant, originaire de l'Angoumois et nommé Poltrot de
Méré.
Six jours durant, Guise resta entre la vie et la mort ; il
supporta son mal avec courage ; le 24 février, entre dix et onze heures du
matin, il expirait. La nouvelle causa une profonde émotion. C'était le chef
qui disparaissait, l'habile et heureux général, le glorieux vainqueur en tant
de batailles. Il a été, écrivait
l'ambassadeur anglais Smith à la reine Elisabeth, le
plus grand homme de guerre de France et on peut dire de toute la chrétienté ;
dur à la fatigue, courtois et éloquent, aimé du soldat et des gentilshommes.
D'une commune voix l'opinion accusa Coligny d'avoir armé le bras de
l'assassin : ce n'est pas démontré et ce n'était guère vraisemblable. Poltrot
interrogé avoua avoir reçu de l'amiral 100 écus pour faire le coup et le
gouvernement publia partout cette déposition. Coligny était obligé de
répondre. Sa réponse fut maladroite. Il reconnaissait avoir donné à deux
reprises 50 et 300
livres à Poltrot. Le duc de Guise était un ennemi de
Dieu, du roi et du royaume, continuait-il, qui avait l'intention de le faire
tuer, lui Coligny, on le lui avait dit. Si Coligny n'avait jamais poussé
personne à frapper le duc, il n'avait pas davantage détourné ceux qui
pariaient de l'exécuter ; et il terminait cette réponse adressée à Catherine
en disant : Ne pensez pas, Madame, que ce que j'en
dis soit pour regretter la mort de M. de Guise ; j'estime que c'est le plus
grand bien qui pouvait advenir à ce royaume et à l'Eglise de Dieu et
particulièrement à moi et à toute ma maison. La lettre fit un
déplorable effet. S'il n'avoue pas franchement avoir
consenti à cette mort, écrivait Pasquier, aussi
s'en défend-il si froidement, que ceux qui lui veulent du bien souhaiteraient
ou qu'il se fût tu ou qu'il se fût mieux défendu ! Et Brantôme
ajoutait : Plusieurs s'étonnèrent comment lui qui
était fort froid et modeste en paroles il allât proférer celles-là qui ne
servaient de rien et dont il se fût bien passé ! Avec ses grandes
qualités, Coligny avait des erreurs de jugement. La famille de Guise
convaincue que Coligny était l'assassin n'aura plus que l'idée de venger dans
le sang de l'amiral la mort du duc François. Poltrot de Méré fut écartelé en
place de Grève le 18 mars.
Condé prisonnier. Guise mort, Coligny déconsidéré, la
tâche devenait plus simple pour Catherine de Médicis. On put s'entendre : la
paix fut conclue ; un édit royal en proclama les conditions convenues, l'édit
d'Amboise du 19 mars 1563. Des deux côtés les prisonniers, Montmorency et
Condé, étaient rendus à la liberté ; l'exercice du culte protestant se
trouvait définitivement autorisé dans une ville par bailliage et dans les
villes où les calvinistes étaient les maîtres incontestés, mais il demeurait
interdit à Paris ; tout gentilhomme huguenot avait le droit d'entendre le
prêche chez lui. En retour, les protestants devaient évacuer les églises
qu'ils rendraient aux catholiques et ils restaient exclus des charges
publiques. Condé fut très mécontent ; il eût désiré mieux ; mais la hâte
qu'il avait à sortir de sa détention le contraignait à subir cette paix. Les
catholiques, qui ne voulaient entendre parler que de répression lurent encore
plus choqués. Catherine de Médicis prétendait à tout prix rétablir la
tranquillité publique ; celle-ci était nécessaire ; dans le royaume la misère
était effroyable, les cultures abandonnées, la vie interrompue. La régente ne
se faisait d'ailleurs aucune illusion : Nous n'avons
reculé que pour mieux sauter, avouait-elle tristement dans une de ses
lettres. Le tout était de gagner du temps. Provisoirement on marcha sur le
Havre afin d'en chasser les Anglais, ce qui se fit sans difficultés et, au
retour, Charles IX fut proclamé majeur à Rouen ; il avait quatorze ans ; il
pria sa mère de continuer à diriger le gouvernement.
Chefs catholiques et protestants se retrouvèrent à la
cour, mais dans quel état d'esprit réciproque ! Les Guises — la mère surtout
et la veuve du duc François — réclamaient la mise en jugement de Coligny. Le
fils de l'assassiné, Henri, nouveau duc de Guise, et son oncle le duc
d'Aumale, proféraient de perpétuelles menaces contre l'amiral. Celui-ci
n'osait plus venir qu'entouré d'un grand nombre de gentilshommes. Quant à
Condé, heureux d'être libre, il jouissait de la vie de cour avec insouciance
et légèreté ; les ministres protestants se scandalisaient devoir ce petit
homme vif assidu auprès de la maréchale de Saint-André, puis auprès de Mlle
de Limeuil. Chacun avait la sensation que la paix d'Amboise n'était qu'une
trêve.
Alors Catherine de Médicis décida d'emmener tout ce monde,
afin de l'occuper, dans un grand voyage à travers la France. Elle
donnerait des fêtes, distrairait la noblesse, l'empêcherait ainsi de se jeter
dans les complots ; elle montrerait surtout au nouveau souverain son royaume
; elle apprendrait aux provinces perdues dans l'anarchie qu'elles avaient un
roi, auquel elles devaient obéir.
Le 24 janvier 1564, elle partit. La longue caravane passa
par Troyes, les pays lorrains, Dijon, Lyon, le Dauphiné. Les catholiques
accouraient sur son passage, assurant de leur dévouement, réclamant une
politique énergique. Ceci est à vous, disait
Tavannes au roi à Dijon, en montrant son cœur, et voilà
de quoi vous servir, ajoutait-il, en frappant la poignée de son épée.
Les entrées solennelles, les réceptions, les banquets, les bals se suivirent.
Et tout danse ensemble, mandait Catherine à
la duchesse de Guise, huguenots et papistes, si bien
que je pense qu ils ne seraient pas où ils en sont si Dieu voulait que l'on
fût aussi sage ailleurs ! On traversa la Provence, le Languedoc,
lentement, avec de très longs séjours dans les villes. La cour ne fut à
Toulouse qu'en février 1565 ; elle gagna Bordeaux et fut en mai à
Mont-de-Marsan ; le 3 juin elle atteignait Bayonne. Là Elisabeth, reine
d'Espagne, fille de Catherine de Médicis, vint voir sa mère accompagnée du
duc d'Albe. Cette entrevue de Bayonne a eu un très grand retentissement.
Depuis longtemps Catherine de Médicis rêvait d'une manière
d'entente internationale entre les puissances
catholiques afin de convenir de l'altitude à prendre à l'égard du protestantisme.
Cette sorte de sainte alliance eût fortifié
sa propre situation en France. Pour y arriver elle désirait avoir des
entrevues avec l'empereur germanique, le roi des Romains, surtout le roi
d'Espagne ; le but auquel je tends,
écrivait-elle le 9 novembre 1563 à l'évêque de Limoges, un de ses
ambassadeurs, n'est autre que de voir si nous, qui
sommes les plus grands et les plus puissants princes chrétiens, étant assemblés
ensemble, pourrions convenir et nous accorder d'un bon moyen autre que celui
des armes pour la pacification et le repos de la chrétienté. Mais les
princes répondaient mal à ces ouvertures. Le roi d'Espagne et son lieutenant
le duc d'Albe, aux prises avec les protestants des Pays-Bas soulevés, ne
comprenaient qu'une chose, c'était que le roi de France les secondât en étouffant
l'hérésie dans son royaume. Je vois bien,
répondait Catherine, que le duc d'Albe voudrait que
tout le monde fût à la danse où est son maître ; quant à nous, puisque Dieu
nous a fait la grâce d'en sortir, je me contente de n'y entrer jamais, si je
puis. Philippe II ne tenait pas à l'entrevue. Qu'y ferait-on ? il
voulait le savoir d'avance. Sur les longues instances de Catherine et de sa
femme Elisabeth il finit par consentir, malgré lui. Cette
entrevue a été différée pour plusieurs motifs, écrivait-il à Granvelle
; enfin j'ai cédé aux instances des deux reines,
mais elle n'aura aucun but politique ; il importe bien de le faire connaître
et de présenter cette entrevue sous son véritable jour. Puis, à la
dernière minute, il décida que lui-même n'irait pas et que la reine Élisabeth
se rendrait seule à Rayonne accompagnée du duc d'Albe. Le duc d'Albe reçut
des instructions précises : il devrait insister avec force pour que le roi de
France réprimât énergiquement l'hérésie dans son royaume, chassât tous les
ministres protestants, interdît formellement l'exercice du culte public ou
privé, cassât tous juges et fonctionnaires calvinistes et promulguât les
décrets du concile de Trente qui venait de finir et que les juristes français
n'admettaient pas sous prétexte qu'ils étaient contraires aux lois du
royaume. Grand, très droit, maigre, doué d'une longue figure jaune et creuse
qu'animaient deux yeux noirs, vifs, le duc d'Albe — il avait cinquante-sept
ans — allait remplir son rôle avec une rigueur brutale.
L'entrevue eut lieu en juin. Dès ses premières
conversations le duc d'Albe parla à Charles IX de
châtier les offenses qui chaque jour se commettaient contre la religion.
Mais Charles IX qui commençait à penser par lui-même, éluda : Je ne veux pas prendre les armes, répondit-il, ce serait la ruine de mon royaume. Avec Catherine
de Médicis, la discussion fut serrée. L'Espagnol abordant résolument la
question, réclama des mesures rigoureuses contre les hérétiques : Il faut bannir de France cette secte, dit-il, le roi votre fils n'a plus que cette ressource. Catherine
riposta en proposant sa ligue avec l'empereur Maximilien. Cela est impraticable, dit le duc. La conversation
devint vive. A un moment d'Albe ayant affirmé que l'Hôpital était huguenot, Non, il ne l'est pas, fit la reine. — Vous êtes la seule en France, Madame, de cette opinion,
répliqua le duc. Sur le concile de Trente il n'eut pas plus de succès.
Catherine acceptait évasivement de nommer une commission pour examiner si les décrets qui y avaient été rendus n'avaient rien de
contraire aux libertés de l'Eglise gallicane. En somme, l'entrevue
n'aboutissait pas. Une dernière conférence solennelle eut lieu le 30 juin.
Afin de donner plus de poids à ses déclarations qui étaient celles du
gouvernement, Catherine convoqua à la réunion, où était Charles IX, les
principaux chefs catholiques, le connétable de Montmorency, le duc de
Montpensier, les cardinaux de Guise et de Bourbon. Montmorency prit la parole
et, résumant les sentiments de tous, dit qu'ils étaient bons catholiques,
mais qu'ils estimaient la guerre civile dangereuse et incertaine : le roi
saurait cependant réprimer l'hérésie. Cette dernière déclaration était vague,
faite pour sauver la face. Le 6 juillet Catherine répétait par lettre à
Philippe II l'affirmation : Vous pouvez vous assurer
de la volonté et zèle que nous avons à notre religion et envie de voir toutes
choses au contentement du service de Dieu, chose que nous n'oublierons et
nous mettrons en peine de si bien exécuter qu'il en aura le contentement.
Mais en même temps elle écrivait aux ambassadeurs du roi à l'étranger : Tant s'en faut que Leurs Majestés aient pensé ou traité de
rien innover de ce qui a été promis (aux
protestants) par les édits de pacification et
les déclarations qui en ont été depuis expédiées ! Ainsi des deux
côtés on avait échoué, Catherine pour un projet de ligue, le duc d'Albe dans
sa tentative d'entraîner le gouvernement français vers une politique de
violence.
Seulement cette entrevue, dont le public ne connut pas les
détails, produisit une inquiétude extrême chez les huguenots. Ils furent
convaincus qu'on avait demandé leur extermination, ce qui était vrai, et
qu'on l'avait obtenue, ce qui ne l'était pas. Après la Saint-Barthélemy,
sept ans plus tard, l'entrevue de Bayonne aura un reflet sinistre. En réalité,
le duc d'Albe ayant consulté quelques catholiques français sur ce qu'il y
aurait à faire pour arrêter l'hérésie en France, avait reçu du confesseur du
duc de Montpensier cette réponse : Le moyen le plus
court, serait de trancher la tête à Condé, à l'amiral, à d'Andelot, à la Rochefoucauld et à
Grammont. C'était tout ce qui avait été dit et ce n'était que
l'opinion individuelle d'un personnage non qualifié.
De Bayonne, la cour revint sur Paris par Nérac, Angoulême,
Tours, Blois. Elle passa à Moulins où Michel de l'Hôpital fit signer une de
ces grandes ordonnances, complétant celle d'Orléans et continuant les
réformes simplifiantes de la justice. A Paris on retrouva toutes les haines
et toutes les passions religieuses plus excitées que jamais. Les Guise et les
Châtillon se menaçaient et se déliaient journellement, le duc d'Aumale
parlant de provoquer Coligny ; et d'Andelot, disait-on, voulant faire tuer
d'Aumale. En province l'intolérance réciproque des catholiques et des
protestants était à son comble. Appliqué avec une rudesse brutale, l’édit
d'Amboise avait été par endroits le point de départ d'une réaction
rigoureuse. A Castres, des troupes royales envahissant la ville avaient
ramené le clergé, les religieuses, contraint les réformés à reprendre leurs
prêches secrètement, dans les greniers, déménagé toutes les armes et pièces
d'artillerie dont auparavant les huguenots avaient garni la place. En
Provence on bannissait les protestants en les contraignant à vendre leurs
biens ; le bailli de Troyes interdisait toute réunion de réformés. Mais
ailleurs les hérétiques demeuraient les maîtres et n'admettaient pas les
édits. Les forces nous manquent, écrivaient
de Saintonge Bourneuf et Masparault, pour faire
observer l'édit ; pas un homme d'église n'ose se hasarder à revenir dans le
plat pays et pas un officier de justice n'ose faire son devoir ! De Thouars
M. de Sanzay mandait : Il y a cent paroisses où
depuis deux ans il ne s'est fait de service divin. De-ci de-là on
annonçait des assassinats d'ecclésiastiques ; les gentilshommes, disait-on,
vendaient leurs biens pour acheter des armes ; les rixes sanglantes ne se
comptaient plus.
Il fallait enfin le reconnaître ; si la politique de
répression d'Henri II et de François II n'avait pas arrêté le développement
du protestantisme, la politique de conciliation de Catherine de Médicis
aboutissait à des résultats bien autrement désastreux. Le désordre,
l'anarchie, la guerre civile, toutes les pires conditions d'un Etat se
dissociant en étaient le lamentable résultat. On allait à la ruine. Alors une
lente évolution se produisit dans l'esprit de Catherine de Médicis
découragée. Ainsi il n'y avait donc rien à faire avec les protestants qui ne
songeaient évidemment — la conviction peu à peu s'affermissait — qu'à
s'emparer du pouvoir pour détruire le catholicisme et obliger tous les
Français à être huguenots malgré eux ! Le voyage à travers la France avait permis à la
vieille reine de constater qu'ils n'étaient en somme que la minorité, que les
catholiques étaient les plus nombreux, les plus forts. Fallait-il donc subir
la tyrannie des hérétiques ? Charles IX jeune, ardent, commençait à
s'exaspérer plus que tout le monde. Dans une discussion avec Coligny il
s'était échappé à lui dire avec emportement : Il n'y
a pas longtemps que vous vous contentiez d'être soufferts par les catholiques
; maintenant vous demandez à être égaux ; bientôt vous voudrez être seuls et
nous chasser du royaume ! Il comprenait. La colère montait contre les
rebelles ; les imprudences et les provocations des réformés allaient
exaspérer le gouvernement.
Sans tenir compte de ce que leurs coreligionnaires, en
nombre d'endroits, violaient les édits et demeuraient les maîtres exclusifs,
les protestants formuleront des plaintes vives contre le fait que l'édit
d'Amboise n’était pas appliqué en beaucoup de lieux, à leur détriment, ce qui
était exact. Des meurtres de huguenots restaient impunis. A ces réclamations
le gouvernement de Catherine tit des réponses sèches et dilatoires. Je n'ai plus rien à faire ici, s'écria Condé hors
de lui et il quitta la cour. Des conférences se tinrent chez lui au château
de Valéry, chez Coligny à Châtillon, entre chefs protestants. Il fut
effectivement constaté qu'on les trompait, que l'édit d'Amboise n'était pas
appliqué — résultat de l'impuissance du gouvernement plutôt que de sa
mauvaise volonté — qu'on ne leur laissait même pas une ville par bailliage.
Il fut question de troupes que le roi faisait venir de l'étranger, de Suisse,
d'Allemagne. Le bruit même courait que le gouvernement voulait faire arrêter
les chefs. Evidemment ils étaient menacés. Mieux valait alors prévenir la
cour que d'attendre son attaque ; et, audacieusement, d'Andelot proposa de
tenter ce qui avait réussi en Ecosse contre Marie Stuart : enlever le roi et
la famille royale à Montceaux ! Coligny se récria. Mais la majorité adopta
l'idée ; il fut convenu qu'on réunirait secrètement des troupes et qu'on
envelopperait Montceaux.
Catherine de Médicis fut prévenue à temps ; ce fut à peine
si elle put, le 25 septembre 1567, quitter précipitamment Montceaux et
s'enfuir derrière les murailles de Meaux. Mais la honte, la colère,
l'humiliation que firent éprouver cet attentat et cette fuite à une reine si
pénétrée de sa dignité, déjà ulcérée, et surtout à l'impétueux jeune homme
qu'était Charles IX, furent inimaginables. Jamais,
écrivait Catherine au duc de Savoie, je n'eusse pu
penser que si grands et malheureux desseins pussent entrer es cœurs de sujets
à l'endroit de leur roi ! — On ne me donnera
plus de pareilles alarmes, s'écriait Charles IX avec plus de jurements
qu'il ne faudrait, raconte Bouchefort dans une lettre à Renée de Ferrare, j'irai jusque dans leurs maisons et dedans leur lit
chercher ceux qui me les baillent ! Tavannes avait raison ; les
protestants en avaient trop fait en concevant une pareille aventure et pas
assez en ne réussissant pas. Cette affaire va peser sur l'avenir d'un poids
terrible en aliénant d'abord définitivement Catherine des huguenots, et
surtout en lui donnant l'obsession affolante du danger perpétuel d'un
enlèvement et peut-être d'un massacre.
Etroitement entourés de 6.000 Suisses le roi et la cour
rentrèrent à Paris. Condé sentant qu'une nouvelle guerre civile, la seconde,
commençait, appela ses partisans, rassembla 4.000 hommes et se mit à battre
l'estrade autour de Paris. Avec 16.000 hommes le connétable de Montmorency,
le maréchal de Damville et le duc d'Aumale sortirent de la ville pour le
traquer ; ils le rejoignirent à Saint-Denis ; c'était le 10 novembre 1567. Le
vieux Montmorency, malgré ses soixante-quatorze ans, chargea comme un jeune
homme. Frappé mortellement il tomba de cheval ; il allait mourir trois jours
après ! Les huguenots ne tinrent pas ; au bout d'une heure ils s'enfuirent :
leurs troupes se débandèrent. Quelque temps les hostilités traînèrent. Puis
Michel de l'Hôpital proposa de faire la paix : le
bon pilote ne s'obstine jamais contre la tempête, disait-il
mélancoliquement, il baisse les voiles et se tient
coi. On céda : la paix fut signée à Longjumeau le 23 février 1568 ; elle
confirmait l'édit d'Amboise et en promettait l'exécution. Mais les
catholiques firent entendre des récriminations sans nombre. Maintenant le roi
traitait donc d'égal à égal avec des rebelles, ses sujets ! Et il leur cédait
par faiblesse ! Ce devait être le dernier succès du chancelier. Le temps
marchait ; les idées se modifiaient ; sa politique ayant échoué, l'heure
était passée de la conciliation et du libéralisme décidément néfastes. C'est vous, lui disait Catherine désillusionnée, vous qui, avec vos grands mots de modération et de
justice, nous avez mis là où nous sommes ! A la fin de ce même mois
l'Hôpital rendait les sceaux et s'en allait disgracié.
Tout le monde eut le pressentiment que la paix de Longjumeau
n'était qu'une trêve. D'ailleurs dans les provinces, que ce fût la paix, que
ce fût la guerre, l'état d’anarchie demeurait toujours le même, intolérances
réciproques, surprises, massacres. Après ce qui s'était passé pour Montceaux,
Condé et les chefs sentaient qu'ils ne pouvaient pas revenir à la cour ; ils
y eussent été trop peu en sûreté. Dans toutes leurs conversations les
catholiques répétaient que le mal provenait de cinq ou six meneurs ; que si
on les supprimait les affaires s'en trouveraient mieux ; cette opinion
devenait courante : elle n'était pas rassurante. Condé se retira à la Rochelle avec les
Châtillon ; leurs partisans vinrent les rejoindre ; une armée protestante se
reconstituait insensiblement. L'ardente Jeanne d'Albret amena son fils Henri
de Béarn, le futur Henri IV, alors âgé de quinze ans. La troisième guerre
allait éclater.
Alors le gouvernement jeta le masque et, ne gardant plus
aucun ménagement, publia, le 28 septembre 1568, un édit par lequel il
interdisait purement et simplement toute espèce de culte réformé en France,
ordonnait aux ministres protestants de vider le royaume dans les quinze jours
et excluait les calvinistes des fonctions publiques. C'était le retour à la politique
répressive de Henri II. Pour toute réponse Condé se mit en marche avec son
armée ; elle était forte de 21.000 hommes dont 3.000 cavaliers et
représentait la plus considérable troupe que les protestants eussent encore
mise sur pied. Le gouvernement ayant assez péniblement rassemblé 20.000
hommes les envoya à la rencontre sous le commandement du jeune frère du roi,
le duc d'Anjou, qui sera Henri III, assisté de Tavannes. Longtemps les deux
armées s'observèrent, évoluèrent, n'osant pas en venir aux mains. Le contact
eut lieu à Jarnac le 13 mars 1569, un peu par surprise. Condé chargea avec
250 hommes contre 2.500, et fut enveloppé. Un coup de pied de cheval lui
brisa la jambe ; il fut renversé, sa monture s'étant abattue ; il rendait son
épée lorsqu'un gentilhomme, Montesquieu, arrivant par derrière, lui cassa la tête
d'un coup de pistolet. Ainsi mourait à trente-neuf ans, ce prince, brillant
et entraînant général, homme souple et gracieux, volontaire et tenace, mais
léger et inégal. On conserve à la Bibliothèque
Nationale une lettre qui fut trouvée dans sa poche sur le
champ de bataille et que lui adressait le matin même Jeanne d'Albret afin de
lui parler de son fils Henri. Cette lettre est toute tachée du sang du prince
!
Le désastre de Jarnac et la perte de leur chef
découragèrent les protestants. Il n'était plus possible, maintenant, pour se
révolter, de prétexter le dessein de délivrer le roi, puisqu'on avait
combattu contre le frère du roi lui-même. Avoir à sa tête un prince du sang
sauvait encore les apparences et à l'heure qu'il était les hérétiques n'en
avaient plus. Jeanne d'Albret accourut présenter aux calvinistes son fils, le
jeune Henri de Béarn et son neveu Henri de Condé, tous deux à peu près du
même âge, quinze et seize ans ; elle harangua ses coreligionnaires à Saintes,
tâchant de relever les courages. Comme chef effectif, à Condé, allait succéder
Coligny, esprit beaucoup plus calme, pondéré et rassis, mais sans les
qualités de vigueur de l'autre. Le frère de celui-ci, d'Andelot, étant mort
deux mois après Jarnac, Coligny demeurait virtuellement le chef des
protestants de France.
Il marcha sur Poitiers dans l'intention de se diriger vers
Paris, perdit sept semaines à assiéger la ville, 3000 hommes, et ne réussit
pas. Le duc d'Anjou, accompagné toujours de Tavannes arrivait sur lui avec
une armée. La rencontre se produisit à Moncontour le 30 septembre 1569. Après
un instant d'indécision, les lignes protestantes flottèrent, puis se
brisèrent et prirent la fuite. On fit un véritable carnage, près de 5 à 6.000
hommes restèrent sur le terrain. Coligny s'enfuit à Niort, de là s'en alla
dans le midi où il recruta une nouvelle armée, avec l'intention de remonter
du côté de Paris par l'est. Il était doué de cette patience, de cette
constance dans la défaite, de cette fermeté froide et calme qui inspire
confiance aux troupes. Simple de manières, facile à aborder, quoique sa
figure, en même temps qu'elle était très douce, eût quelque chose de triste,
il obtenait de l’ascendant par sa dignité et son absence d'ambition
personnelle. On le suivait.
En juillet 1570, il atteignit la Charité-sur-Loire.
Abattus, les protestants renaissaient donc toujours. Mais à ce moment la
situation du gouvernement était des plus misérables, il n'avait plus d'argent
: après plusieurs années de troubles généraux, les impôts ne rentrant plus,
il ne savait comment vivre ; impossible de recruter des troupes et de les
payer. Allait-on se trouver à la merci du chef huguenot ? Peut-être
s'exagéra-t-il même l'état critique de sa situation. Dans cette détresse il
parut à Catherine et à Charles IX qu'il fallait traiter à tout prix et passer
par les conditions qui seraient proposées quelles qu'elles fussent : elles
furent désastreuses. La paix, dite de Saint-Germain, du 8 août 1570, stipula
que la liberté de conscience et la liberté du culte étaient décidément
accordées aux protestants dans tout le royaume, sauf à Paris et autour de la
cour ; amnistie générale était prononcée en faveur des rebelles ; les
huguenots étaient admissibles à tous les emplois ; pendant deux ans, comme
garantie de l'exécution du traité, ils recevraient quatre villes de sûreté : la Rochelle, Montauban,
Cognac et la Charité
; à ce prix le catholicisme était rétabli partout où les protestants
l'avaient supprimé. Ainsi, d'un coup, le roi accordait à l'hérésie toutes les
libertés ; c'était la première fois que le fait se produisait dans le royaume
; le souverain traitait avec des rebelles qu'il avait vaincus en subissant
leurs conditions ; il leur livrait des villes en gage de sa parole, chose
énorme ! Ce fut une stupeur chez les catholiques : on appela cette paix une humiliante capitulation ! Monluc écrivait : Nous avions battu et rebattu nos ennemis, nous gagnions
par les armes, mais ils gagnaient par ces diables d'écritures ! Les
cours catholiques protestèrent. Charles IX répondit qu'il avait reconnu par expérience ne pouvoir par les armes mettre fin aux
troubles ; il avait agi sous l'empire de la nécessité. Au pape,
Catherine écrivait que le roi avait fait la paix avec les huguenots pour avoir plus de moyens de remettre toutes choses selon
son intention. Les politiques dirent philosophiquement avec Pasquier
que c'était finir par où on aurait dû commencer.
Mais cette fois, les protestants satisfaits, on eut la
paix. Catherine profita de ce répit pour marier d'abord Charles IX, et lui
faire épouser la fille de l'empereur Maximilien II, Élisabeth d'Autriche. Les
protestants parlant vaguement de donner leur prince Henri de Béarn en mariage
à Elisabeth d'Angleterre, la reine se décida à faire épouser à Henri de Béarn
sa propre fille Marguerite de Valois, puis de proposer à la reine
d'Angleterre, son second fils, le duc d'Anjou. Sur ce dernier point elle ne
réussit pas. Elle tenait beaucoup à ce duc d'Anjou qui était son fils
préféré, l'enfant choyé, docile, très dans sa main. A l'entrevue de Bayonne,
elle avait déjà essayé de lui faire épouser une infante d'Espagne, sans
succès. D'Angleterre, pendant quelque temps, on tint les choses en suspens,
par politique. Mais l'union était impraticable : Élisabeth, très ardente
protestante, avait trente-sept ans ; le duc d'Anjou, catholique non moins
ardent, qui entendait conserver sa religion en Angleterre, et même l'y
restaurer, n'en avait que dix-neuf. Les pourparlers ne devaient pas aboutir.
Il en fut autrement du mariage de Henri de Béarn avec
Marguerite de Valois. Catherine voyait à cette union plusieurs avantages ;
elle donnait sa fille à un roi, le roi de Navarre ; elle mettait la main sur
le chef nominal des huguenots, prince du sang, dans la vague espérance de le
convertir un jour ; elle réalisait un projet caressé depuis de longues années
par Henri II. Il y eut des difficultés du côté de Jeanne d'Albret d'abord,
sur le chapitre de la religion. Jeanne espérait que Marguerite de Valois se
ferait protestante, mais Marguerite avait refusé. Catherine avait ensuite
prétendu que la cérémonie du mariage eût lieu à l'église. Jeanne n'avait pas
voulu. En fin de compte la reine de Navarre, assez fière au fond de faire
épousera son fils la sœur du roi de France avait cédé. Ce furent de Rome
alors que vinrent les contestations ; le pape exigeait que Henri de Béarn fît
profession de foi catholique : Catherine de Médicis devait passer outre et résoudre
le cardinal de Bourbon à célébrer la cérémonie en attendant la dispense. Ce
mariage décida le rapprochement entre la cour et le monde huguenot. Jeanne
d'Albret et son fils vinrent à Blois, Coligny aussi (18 septembre 1571), avec plus de 500 gentilshommes
protestants. On les reçut le mieux possible. Par un effet d'indécision de
pensée, Catherine et Charles IX étaient tout à l'impression pacifique du moment.
Le jeune roi parut touché du caractère de Coligny ; la figure fine,
mélancolique, aux yeux doux et voilés de l’amiral l'attirait ; il éprouva une
soudaine sympathie pour cette nature droite et honnête. Dans leurs longues
conversations ensemble, le jeune prince de vingt ans se prit de confiance à l'égard
de ce vétéran quinquagénaire de tant de guerres, contemporain de quatre
règnes. Leur intimité grandit. Coligny profita de cette confiance pour
entretenir Charles IX d'une idée à laquelle il tenait. Les Pays-Bas s'étant
révoltés contre Philippe II, pourquoi n'irait-on pas à leur secours afin de
mettre la main sur les provinces françaises susceptibles de revenir au
royaume ? Ce serait détourner vers une guerre étrangère les ardeurs
guerrières d'une noblesse qui sans cela chercherait à les satisfaire dans la
guerre civile : Si on ne les amuse pas au dehors,
disait Coligny, il recommenceront à brouiller au
dedans. Puis le roi, ajoutait-il, devait être excédé des façons de
Philippe II, de ses remontrances perpétuelles, de son allure protectrice ; le
duc d'Albe n'avait-il pas offert de venir commander en France l'armée
catholique ? Philippe II ne négociait-il pas avec les Guises sans tenir
compte de la cour ; ne faisait-il pas le maître en France ? Il était légitime
de l'attaquer. Charles IX entra assez bien dans cette voie.
Mais alors les catholiques élevèrent leurs réclamations
véhémentes. Donc, non seulement le traité de Saint-Germain avait tout donné
aux protestants, mais maintenant le roi lui-même se livrait à eux ! Les
Guises quittèrent Blois. Parmi eux commençait à se faire remarquer le fils du
duc François, le nouveau duc, Henri de Guise, jeune homme ambitieux, très
brave, volontaire, brillant, et son frère Mayenne. La haine de la famille
contre Coligny, l'assassin du duc François, ne faisait que croître de toute
la faveur menaçante de l'amiral.
Le contrat de mariage de Marguerite de Valois et d'Henri
de Béarn fut signé le 11 avril 1572, à Blois, et la cérémonie du mariage
décidée pour plus tard, en août. Jeanne d'Albret ne devait pas la voir ; elle
mourait en juin, assez rapidement, grande reine,
dit d'Aubigné, qui n'avait de la femme que le sexe,
l'âme entière aux choses viriles, cœur invincible aux adversités.
Faisant état des bonnes dispositions de Charles IX,
Coligny commença comme amiral des préparatifs militaires en vue de la guerre
des Pays-Bas et leva des troupes. Son influence était à ce moment
prépondérante ; on le disait chef du gouvernement. Une opposition très forte
se manifesta contre lui. Catherine de Médicis et ses conseillers ne voyaient
pas sans appréhension cette influence. Comme l'expliquait ensuite le
chancelier de Birague à l'ambassadeur vénitien Jean Michiel, Coligny se
trouvait en fait le chef incontesté des protestants : les protestants
n'exécutaient un édit royal qu'après avis favorable de ce chef ; ils étaient
capables de lui amener en quatre semaines 7 à 8.000 cavaliers, 23 à 30.000
fantassins, ce que le roi ne pouvait réunir qu'en quatre mois. Il y avait
donc dans le royaume un maître autre que le roi, situation intolérable. Pour
ce qui était des Pays-Bas, d'autre part, le projet de guerre de Coligny était
déraisonnable : le royaume était obéré, les troubles intérieurs à peine
calmés ; engagerait-on la guerre étrangère avec l'Espagne pour voir derrière
soi se soulever les provinces ? Les catholiques iraient-ils, sous les ordres
des vaincus de Jarnac et de Moncontour, faire les affaires des huguenots à
l'étranger, et par là fortifier si bien Coligny en France qu'au retour
celui-ci serait en mesure de protestantiser le royaume ? Par dépit, Tavannes
menaça de quitter la cour. De quel droit maintenant Coligny levait-il des
troupes sans l'ordre du roi ? Ces préparatifs alarmèrent les esprits.
Impatient de l'opposition qu'il sentait gronder autour de
lui, Coligny demanda que la question des Pays-Bas fût résolue dans un grand
conseil. Le conseil fut tenu : il était en majorité Hostile à l'intervention.
Coligny s'irrita : il avoua qu'il avait promis au prince d'Orange, chef des
révoltés des Pays-Bas, l'appui de la France et que si le roi se dérobait, il serait
obligé, lui, de partir, avec ses amis et ses partisans pour tenir à titre
privé son engagement ; puis se tournant vers Catherine de Médicis il termina
en disant : Madame, le roi renonce à entrer dans une
guerre. Dieu veuille qu'il ne lui en survienne une autre, à laquelle, sans
doute, il ne lui sera pas aussi facile de renoncer ! Etait-ce une
menace ? Catherine fut choquée. Elle commençait à être sérieusement inquiète.
Août arrivait et la date du mariage d'Henri de Béarn. On
annonçait de toutes parts que la noblesse protestante avait l'intention de
venir en masse assister aux fêtes. Hantée par l'appréhension d'un enlèvement
comme celui de Montceaux ou pire encore, Catherine de Médicis n'avait pas
voulu que la cérémonie eût lieu dans une petite ville de province où la cour
serait à la merci des huguenots, mais à Paris, la ville populeuse et
catholique. A l'époque dite, Henri de Béarn et Condé arrivaient à Paris
suivis dune escorte de 800 cavaliers. Par toutes les routes s'acheminaient
des gentilshommes protestants s'empressant de venir prendre part à des fêtes
qui consacraient le triomphe de leur église et curieux des splendeurs qui
allaient se dérouler. L'afflux de tous ces hérétiques mit le gouvernement et
les catholiques dans un état de nervosité extraordinaire. Seul Charles IX,
toujours au mieux avec Coligny, demeurait calme. Fixé au 10 août, le mariage
n'eut lieu que le 18. Il se passa suivant les conventions, devant Notre-Dame,
dehors, et la messe fut dite à l'intérieur en présence de la mariée seule.
Les fêtes suivirent. Mais les conversations trahissaient les préoccupations
irritées des esprits. Du côté protestant on s'indignait du refus du
gouvernement à décider l'intervention aux Pays-Bas ; on répétait le dilemme
de Coligny : Ou la guerre civile ou la guerre
étrangère. On s'exprimait publiquement en termes vifs sur le compte du
roi, de Catherine de Médicis, des chefs catholiques, des Guises, Du côté
catholique l'exaspération montait. On constatait que la cour était noyée dans
le flot protestant : on parlait à mots couverts d'un nouveau coup de force
des huguenots analogue à celui de Montceaux ayant pour objet de mettre la
famille royale entièrement entre les mains des réformés. La situation de
Coligny surtout excitait la colère et chez les Guises on entendait proférer
des menaces furieuses. L'effervescence était générale. Il y avait comme une
émotion sourde et contenue ; l'air alourdi se trouvait chargé de deux
électricités contraires, dont la première étincelle ferait exploser la
charge. Cette étincelle se produisit le vendredi, 22 août. Ce jour-là, vers
onze heure du matin, Coligny allait au Louvre de sa maison située au coin de
la rue de l'Arbre-Sec et de la rue de Bétizy (la
rue de Rivoli actuelle) lorsque dans une petite rue qui longeait
l'hôtel du Petit Bourbon, entre la rue des Fossés-Saint-Germain et le quai, au
moment où il se baissait pour rajuster sa chaussure qui ne tenait pas bien au
pied, un coup de feu partit de derrière le rideau d'une petite fenêtre ; la
balle coupa l'index de la main gauche de l'amiral, laboura le bras et alla se
loger dans le coude. Voilà comment l'on traite les
gens de bien en France ! s'exclama Coligny. Ceux qui l'accompagnaient
s'étaient rués sur la maison, avaient enfoncé la porte, mais n'avaient trouvé
qu'une arquebuse fumante, l'assassin s'étant sauvé par derrière, achevai. On
sut que la maison appartenait aux Guises, que le meurtrier, nommé Maurevert,
était de leur suite, que le cheval sortait de leurs écuries ; ce ne fut qu'un
cri : c'étaient les Guises qui étaient les auteurs de l'attentat. On ramena
Coligny à sa maison où Ambroise Paré vint le soigner ; la balle extraite
péniblement, au prix de souffrances vives et en charcutant le bras,
l'opérateur avait répondu de la vie du blessé.
Charles IX jouait à la paume lorsqu'on vint lui annoncer
le crime : Je n'aurai donc jamais de repos !
s'écria-t-il en jetant sa raquette d'un violent mouvement de colère et il
rentra au Louvre. L'émotion y était considérable. Il ne fallait plus se faire
d'illusion, cet accident pouvait être le signal de la catastrophe. On fit
immédiatement évacuer le palais royal et les gardes furent doublés aux
portes.
A la maison de Coligny accouraient, fiévreux tous les
protestants : le prince de Condé, le roi de Navarre, les chefs, une foule
incessante de huguenots allant et venant, demandant des nouvelles, au milieu
d'un concert de paroles violentes, de malédictions et d'imprécations
furieuses. Il fallait se venger des Guises sur-le-champ, répétait-on, les
tuer si c'était nécessaire, en présence du roi lui-même, en plein Louvre ; ils fusèrent, écrit Brantôme, de paroles par trop insolentes, disant qu'ils
frapperoient, qu'ils tueroient ! Coligny exprima le désir de voir le
roi. Dans l'état où étaient les affaires, le gouvernement fut d'avis que
toute la famille royale devait aller rue de Bétizy ; cette démarche courtoise
calmerait peut-être un peu les protestants. L'après-midi en effet la visite
eut lieu ; Catherine de Médicis accompagnait Charles IX avec ses deux autres
fils. Le mal est pour vous, dit le roi en
abordant l'amiral, la douleur pour moi, et il
l'assura qu'il lui ferait rendre une stricte et exemplaire justice. Il lui
proposa même de le faire transporter au Louvre, mais Coligny refusa. Ils
causèrent : Coligny revenait à son idée de l'expédition des Pays-Bas, seul
remède, répétait-il, aux difficultés de l'heure présente. Le soir Charles IX
prévint tous les ambassadeurs de l'attentat. Ce
méchant acte procédoit, déclarait-il, de l'inimitié
d'entre la maison de Châtillon et celle de Guise et je saurai bien donner
ordre qu'ils ne mesleront rien de mes sujets en leur querelle ; il
tâchait de circonscrire le danger ; je suis résolu,
continuait-il, d'en faire si grande justice que chacun
y prendra exemple en mon royaume.
Le lendemain au matin, samedi 23 août, les ducs de Guise
et d'Aumale se présentèrent au roi et lui demandèrent la permission de
quitter Paris. Allez où bon vous semblera,
leur fit sèchement Charles IX, et lorsqu'ils furent partis il ajouta : Je saurai bien les retrouver ! Au lieu de s'en
aller les Guises rentrèrent à leur hôtel de Lorraine où ils se barricadèrent.
Sous les fenêtres passaient des huguenots poussant des cris de mort. Par
précaution la cour envoya 50 arquebusiers garder Coligny ; une enquête fut
prescrite sur l'attentat, que commença le premier président de Thou.
Cependant l'effervescence des protestants ne faisait que
grandir. A la maison de la rue de Bétizy, dans la petite cour, sur les
escaliers, remplis de monde, c'étaient des propos véhéments : Ce bras coûtera 30.000 autres bras ! On voulait
aller égorger les Guises, toujours au Louvre, s'il le fallait, en enfonçant
les portes et en massacrant les gardes ; d'autres noms étaient prononcés,
celui du duc d'Anjou, qu'on soupçonnait de connivence avec les Guises ; mais
alors dans le tumulte qu'arriverait-il au roi, à la reine mère, aux princes ?
En vain Briquemaut cherchait à faire cesser ces discours. Dans les rues
l'agitation commençait ; le peuple irrité de l'attitude des huguenots
sortait, formant sur les places, aux carrefours, des groupes menaçants : des
gens portaient des armes.
Le soir un conseil fui tenu chez Catherine de Médicis ; le
duc d'Anjou, le chancelier de Birague, Nevers, Tavannes, Gondi y assistaient.
Il ne fallait pas se le dissimuler, les circonstances étaient des plus
critiques ; on se trouvait à deux doigts de la guerre civile dans Paris ; au
milieu du peuple si ardent, ce serait une boucherie. La vie du roi et celle
de la famille royale étaient en danger. Du dehors parvenaient les échos des
paroles menaçantes prononcées autour de Coligny ; en tous cas la lutte, ici
ou en province, était de nouveau fatale. L'angoisse était grande, lorsque
tout à coup arriva Bouchavannes qui venait de la maison de la rue de Bétizy,
annonçant comme chose sûre la nouvelle que la décision était prise par les
protestants d'attaquer le Louvre et de massacrer le roi, son frère, la reine
mère, le lendemain, à l'heure du souper. Qu'y
avait-il de vrai dans cet effroyable complot ? Il est possible et même
probable que Bouchavannes a pris pour une décision générale ce qui n'était
que le désir affirmé comme un fait prêt à se réaliser par des personnalités
secondaires. Quoi qu'il en soit l'effet produit fut terrible. L'épouvante
delà catastrophe imminente surgissant aux yeux de Catherine de Médicis et de
ses conseillers, déjà troublés, acheva l'affolement qui se préparait depuis
plusieurs heures. Ils se crurent perdus. Ordonner d'arrêter les coupables
était impossible ; leurs amis les eussent défendus ou délivrés ; après tout
Charles IX était, comme l'expliquera Catherine à son ambassadeur Du Ferrier roi et prince souverain, juge suprême, — les
magistrats ne rendant d'arrêt que par délégation de sa puissance unique, —
pouvant, motu proprio, et immédiatement, décider du châtiment des coupables,
reconnus pour tels. Depuis dix ans, tout le monde répétait à satiété qu'en
abattant cinq ou six têtes de meneurs on arrêterait définitivement cette satanique
conspiration d'hérétiques qui ruinait le royaume : l'heure était venue : il
fallait frapper ou périr ; mieux valait eu finir d'un coup de la guerre qui
allait éclater que de traîner des mois entiers au milieu des hasards et dans
la misère. Le duc d'Anjou se montra particulièrement emporté. Restait à
décider le roi ; on alla chez lui : il y eut une scène horrible. Ainsi que
nous l'apprend Pibrac, que l'on Informa exactement ensuite, Charles IX
déconcerté commença par résister avec violence, il proposa qu'on arrêtât les
coupables du complot dont on lui parlait et qu'on ouvrît une enquête ; il lui
fut répondu que le temps pressait et que si on n'en finissait pas, dans
quelques heures, la famille royale était perdue. Mais
du moment que la conspiration est découverte, criait le prince, on peut bien
y parer sans être réduit à tuer ! — Ils
sont trop nombreux, ripostait-on ; vous en
prendrez un ou deux et encore non sans être contraint de tuer et vous
n'échapperez pas à une quatrième guerre civile. Deux heures durant la
discussion se poursuivit, passionnée, haletante ; Charles IX résistant, en
proie à une agitation fébrile, Catherine, d'Anjou et les autres, assiégeant,
suppliant, emportés par la terreur. Enfin le roi céda, mais ce fut dans un
cri de fureur et de rage et il clama : Eh bien, tuez-les
tous, afin qu'il n'en reste pas un seul pour me le reprocher après !
Le sort en était jeté ! Dans la pensée de Catherine et de
ses conseillers, il ne s'agissait que de cinq ou six têtes à faire tomber,
Coligny, le comte de la
Rochefoucauld, Téligny, Caumont la Force, Mongommery, le
marquis de Resnel. On prépara le coup. Le prévôt des marchands appelé au
Louvre, il lui fut expliqué la conspiration qui menaçait le roi et on lui
donna l'ordre de fermer immédiatement les portes de Paris, de mettre sur pied
et d'armer toutes les milices bourgeoises en les concentrant sur les quais et
les places, de masser l'artillerie devant l'Hôtel de Ville pour la porter
partout où besoin serait et d'attendre les ordres. Afin d'exécuter la
décision prise contre Coligny nul n'était mieux qualifié que les Guises. On manda
le duc Henri et le duc d'Aumale et on leur confia la mission qu'ils
acceptèrent. Ceux qui devaient procéder aux autres exécutions furent
également désignés. Malheureusement les instructions ne furent pas précises.
Il était entendu que le signal serait donné le lendemain, 24 août, fête de
Saint-Barthélemy, à trois heures du matin, par la cloche du Palais de
Justice. Ce soir-là personne ne dormit au Louvre. Le roi, sa mère, ses frères
veillaient en proie à une émotion indicible. Anxieux au dernier point, ils
pensèrent même un instant renoncer à tout et rapporter les ordres. Mais vers
une heure du matin on leur annonça que des rixes éclataient dans Paris.
Etaient-ils prévenus ? Ils décidèrent d'avancer le signal et envoyèrent faire
sonner la cloche de Saint-Germain l'Auxerrois. A une heure et demie la
sonnerie fatale retentissait dans le silence de la nuit. Guise, qui était
prêt, monta à cheval accompagné du bâtard d'Angoulême et suivi de 300
soldats, gagna rapidement la maison de la rue de Bétizy qu'il cerna. Coligny,
couché, était gardé par Ambroise Paré, le ministre protestant Merlin et son
domestique Nicolas. Le bruit, dans la rue, de la troupe qui arrivait, joint
au son du tocsin, le réveilla. On entendait en bas des coups violents ; il
était ordonné d'ouvrir de par le roi. La porte fut ouverte. Au tumulte des
soldats pénétrant dans la cour, Coligny comprit. Il se leva, passa sa robe de
chambre, demanda à Merlin de lui lire des prières ; Cornaton entrait précipitamment
criant : On enfonce la porte, nous sommes perdus !
La dernière heure était arrivée. Coligny dit avec calme : Il y a longtemps que je suis préparé à la mort ; vous
autres sauvez-vous. Je recommande mon âme à la miséricorde de Dieu !
Dans l'escalier montaient des pas lourds et précipités. Les soldats firent
irruption avec en tête un certain Besme, Allemand d'origine. Es-tu l'amiral ? fit-il brutalement. — Oui. Alors Besme planta son épée dans la poitrine
de Coligny, la retira, puis piqua au visage. L'amiral était tombé ; tous le
lardaient de coups. D'en bas, de la cour, une voix cria : Est-ce fait ? c'était Guise. — Oui, répondit un soldat. — Eh
bien, jette-le. Par la fenêtre ouverte on passa le corps ; Coligny qui
n'était pas mort se cramponna au rebord ; on le fit lâcher ; le corps
s'effondra sur le pavé. Alors Guise s'approchant, Angoulême, de son mouchoir,
essuya un peu le sang de la figure de Coligny et dit : Oui, c'est bien lui, puis lui donnant un coup de
pied : Aux autres maintenant, fit-il, et
remontant achevai ils allèrent continuer leur besogne.
Ce fut une chasse à l'homme. Le comte de la Rochefoucauld
poignardé expira dans son lit ; Téligny courut sur les toits de trois ou
quatre maisons et fut descendu d'un coup d'arquebuse ; on égorgea Caumont la Force avec son fils ;
Resnel fut achevé d'un coup de pistolet et jeté à la Seine ; Mongommery eut le
temps de monter à cheval, de franchir le fossé de la ville et de fuir.
Mais à l'annonce de ce qui se passait, le bruit se
répandit instantanément dans tout Paris qu'on massacrait les huguenots :
gentilshommes catholiques, soldats de la garde, archers, gens du peuple, tout
le monde se précipita dans les rues, les armes à la main, afin de participer
à l'exécution et le massacre général commença aux cris féroces de : Au huguenot ! au huguenot ! Tue ! Tue ! On assomma
on noya, on pendit. Tout ce qui était connu comme hérétique y passa : les
vengeances particulières achevèrent ce que les passions religieuses
provoquaient ; il y eut des détails atroces, d'illustres victimes, Ramus, des
innocents frappés, puis, comme il était inévitable, le pillage s'ensuivit. L'envoyé
de Mantoue écrivait : J'ai vu de mes yeux les
soldats de la garde du roi emmener des chevaux, emporter de l'argent et des
objets précieux. Paris, dit Tavannes, semblait une ville conquise ; le sang étanché, le sac
commença. A onze heures du matin les échevins épouvantés vinrent
avertir le roi que des princes et des seigneurs de
sa cour, tant gentilshommes, archers, soldats de sa garde que toutes sortes
de gens et peuple mêlés, parmi et sous leur ombre, pilloient et saccageoient
et tuoient par les rues. Ainsi le gouvernement en donnant le signal
avait lâché la bête ; maintenant tout était débridé, à l'état de sauvagerie
sanguinaire et destructrice : il n'y avait plus d'ordre public.
Effrayés de leur œuvre Charles IX et les siens essayèrent
d'arrêter ; ils firent partout crier à son de trompe que chacun rentrât chez
soi ; des patrouilles d'archers à cheval, de gardes, d'officiers de la ville
furent envoyées à travers les rues et le tumulte parut s'apaiser l’après-midi
; il reprit la nuit suivante ; on finit par le faire cesser le lendemain 26.
Combien y avait-il eu de victimes ? On ne le sait pas au juste ; de Thou dit
2.000.
Le gouvernement avait Immédiatement expédié des lettres à
tous les gouverneurs de province pour leur dire qu'il y avait eu à Paris une
terrible querelle entre les maisons de Guise et Châtillon et que le roi
n'avait pu la contenir. Le soir Charles IX écrivit aux ambassadeurs de France
à l'étranger qu'on avait commencé à découvrir la
conspiration que ceux de la religion prétendue réformée avaient faite contre
lui-même, sa mère et son frère. Il s'en était suivi une émotion ; il fallait ne rien dire avant de
connaître les détails. Evidemment, désemparé, le gouvernement ne savait
quelle attitude prendre. Le lendemain 20, les Guises se refusant à assumer la
responsabilité de ce qui s'était passé, force fut d'avouer ; d'ailleurs on
annonçait que les catholiques exultant de joie acclamaient leur prince
vengeur de la religion. Charles IX alla au Parlement et, dans un lit de
justice, déclara que les Guises n'avaient agi que par ses ordres, pour la punition de ceux qui souvent et tout de nouveau
avaient conspiré contre sa personne pour anéantir la religion, renverser la
monarchie et, avec l'hérésie, établir une nouvelle forme de gouvernement en
France. Prêches et assemblées étaient interdits dans le royaume. Puis
de nouvelles lettres furent adressées aux gouverneurs de provinces, leur
ordonnant impérieusement de maintenir l'ordre. Embarrassé, confus, le
gouvernement ne balbutiait que des choses contradictoires.
En province, la nouvelle des événements de Paris avait eu
son contrecoup. Des massacres se produisirent dans plusieurs villes :
Orléans, Troyes, Meaux, Bourges, la Charité, Rouen, Lyon, Toulouse, surtout Lyon et
Orléans où on tua dans les prisons ; d'après de Thou il y eut 800 morts à
Lyon et 1.000 à Orléans. Des gouverneurs s'appliquèrent énergiquement à
maintenir leurs populations ; rien ne bougea en Bourgogne, Bretagne,
Provence, Dauphiné ; la
Saint-Barthélemy avait touché moins la province que Paris.
Mais, comme écrivait Tavannes, le
coup fini, le péril passé, le sang blessa les consciences ! Certes la Saint-Barthélemy
avait été une effroyable surprise. La soudaineté du
danger, disait de la part du gouvernement l'ambassadeur de France de la Mothe-Fénelon
à la reine Elisabeth d'Angleterre, n’avoit pas même
laissé au roi le temps de la réflexion ; il avoit été contraint de laisser
exécuter contre l'amiral et les siens tout ce que ceux-ci avoient prémédité
contre sa personne. La conspiration prête à
s'exécuter, mandait de son côté le premier président de Bordeaux, avoit été si pressante qu'on n'avoit pu attendre la voie
ordinaire de la justice et qu'il avoit mieux valu commencer par prévenir que
d'être prévenu, comme le roi déclara en sa cour de parlement l'avoir fait
pour cette seule cause. L'événement avait été, disait Tavannes, une résolution de nécessité et conseil né de l'occasion
par faute et imprudence des huguenots. Et Catherine de Médicis à qui
l'envoyé du duc de Savoie trouvait l'air d'une
personne qui viendrait d'échapper à un grand danger, répétait à tous :
qu'il valait mieux que cela fût tombé sur eux que
sur nous ! Assurément, les catholiques de France approuvaient, disant
qu'à une situation intolérable on avait répondu par une mesure de salut
public et qu'aux entreprises révolutionnaires dont la famille royale était
menacée il avait bien fallu opposer des mesures exceptionnelles légitimes.
Philippe II transporté de joie avait fait chanter un Te Deum, écrivant
à son ambassadeur en France : C'est une des plus
grandes joies de ma vie tout entière, ce sera le plus grand titre de gloire
du roi mon frère auprès de la postérité ! A Rome, le pape Grégoire
XIII, radieux, était allé entendre à la chapelle Saint-Louis une messe
d'actions de grâces, avait fait frapper une médaille représentant un ange
exterminateur avec la devise Ugonotorum strages
et avait prescrit un Te Deum dont l'anniversaire devait se perpétuer
plus longtemps qu'on ne le croit. Mais il fallait maintenant subir toutes les
conséquences.
A Vienne l'impression fut lamentable. L'empereur
Maximilien le fit sentir. En Angleterre Elisabeth reçut l'ambassadeur de France
tout en deuil et lui parla avec une gravité attristée ; son ministre de son
côté ne se cacha pas pour dire durement à l'envoyé du roi que cet acte était trop plein de sang ! En Suisse, aux
Pays-Bas, en Allemagne, l'effet fut déplorable ; on conta l'événement en
l'aggravant, disant que le mariage d'Henri de Béarn et de Marguerite de
Valois n'avait été qu'un guet-apens monstrueux ; et l'ambassadeur français,
Schomberg, écrivait navré : Ces calomnieuses
opinions nous renversent quasi tout sens dessus dessous ; je meurs de dépit.
A Genève des pamphlets s'imprimèrent pour stigmatiser la honte du roi
meurtrier de son peuple ; dans son De furoribus gallicis, François
Hotman attaqua le principe de la royauté ; le Réveille-matin des François se
complut à donner de frémissants détails : on l'épandit la légende que de sa
fenêtre du Louvre Charles IX avait tiré sur les huguenots à coups d'arquebuse
et il est vrai que le bruit courut avec persistance, mais, en réalité,
personne n"a vu le geste, invraisemblable, d'ailleurs, ne fût-ce que
pour des raisons matérielles. En Italie, sous prétexte d'exalter l'acte, on
le compara à ceux de César Borgia ou de Catherine Sforza ; le représentant
comme savamment et machiavéliquement préparé depuis de longues années, amené
avec un sang-froid et une audace incroyables, exécuté de façon incomparable
par un à-propos merveilleux. Le cardinal de Lorraine, alors à Rome, et
flatté, eut l'air de laisser entendre qu'il en était ainsi. Cela ne fit
qu'accroître l’impression horrible faite sur l'Europe. Le roi Charles IX, écrivait Guillaume d'Orange à
son frère Ludovic de Nassau, est décrié non
seulement par deçà mais par tous les endroits du monde ; et le même
osait dire à Mondoucet l'envoyé du roi, que jamais son maître ne se laverait
les mains de la tache de sang de la Saint-Barthélemy.
De tous côtés, par ses ambassadeurs, le gouvernement français
sut l'exacte vérité de l’impression qui avait été produite. Catherine de
Médicis, au moins publiquement, tint bon et paya d'audace, soutenant qu'il
n'avait été question que de 5 à 6 têtes et que le reste était des excès de populaire, quelle déplorait hautement.
Charles IX, accablé, s'affaissa. Ainsi aux yeux du monde, il n'était qu'un
criminel, un infâme assassin, un misérable couvert du sang de son peuple. On
le vit sous le poids de la douleur et du remords changer peu à peu ; il
n'allait pas survivre longtemps à la Saint-Barthélemy
; sur ce corps que le chagrin anémiait, la tuberculose, dont il avait le
principe, commençait ses rapides ravages.
Les protestants de France, atterrés et déconcertés, sur le
moment eurent peur : beaucoup abjurèrent. Henri de Béarn et le prince de
Condé qu'on avait gardés au Louvre par précaution, invités à changer de
religion, cédèrent. Pour mieux fixer dans les esprits l'affaire du complot,
point initial de l'événement que le public oubliait devant l'horreur des
suites, le gouvernement fit rendre par le parlement un arrêt pour ainsi dire
confirmatif, aux termes duquel Coligny était reconnu coupable de conspiration
et de rébellion, condamné à être pendu en effigie à Montfaucon, ses biens
confisqués, ses enfants dégradés. On trouva deux complices
qui avaient échappé aux assassinats, Briquemaut et Cavagnes ; ils furent
publiquement jugés et solennellement exécutés. Ces mesures ne servirent à rien.
Les contemporains et la postérité devaient vite oublier la cause
occasionnelle qui avait fait perdre tout sang-froid au gouvernement de
Charles IX pour ne retenir que l'atrocité de l'événement.
Sous le ciel sombre créé par le 24 août et dans l'isolement
humiliant où la
Saint-Barthélemy avait mis le gouvernement français, il
devait cependant y avoir un dernier rayon, un demi-succès diplomatique. Le
trône de Pologne étant devenu vacant, Catherine de Médicis parvint à y faire
monter son fils préféré, le duc d'Anjou. Anjou, élu roi de Pologne, partit à
la grande satisfaction de Charles IX, jaloux de lui, et qui avait avec son
frère des scènes dont Catherine pleurait amèrement. Pour le duc d'Alençon, le
dernier fils. Catherine reprit les projets de mariage avec Elisabeth d'Angleterre.
Mais d’Alençon, jeune homme d'humeur légère et frondeuse, inconsidéré, qui
s'enorgueillissait de ce projet, fit dire à la reine d'Angleterre qu'il ne
serait pas aussi irréductible que son frère sur la question de religion ; il montra
de la sympathie pour le calvinisme ; il passa pour favorable à l'hérésie : Élisabeth
éludait. Finalement il résolut de fuir de la cour avec Henri de Béarn,
manière de complot qui donna une nouvelle panique à la famille royale et eut
pour conséquence l'arrestation, le jugement et l'exécution de deux
gentilshommes tenus pour les organisateurs de cette comédie, la Môle et Coconas.
Pendant ce temps, petit à petit, Charles IX déclinait.
Depuis la lugubre affaire il était méconnaissable ; frappé d'une mélancolie
que rien ne pouvait distraire il ressemblait à une ombre attristée et
craintive. Les ambassadeurs étrangers, Jean Michiel, observaient qu'il tenait
toujours la tète basse, n'osant plus regarder les gens en face, fermant les
yeux. Parfois, lorsqu'on lui parlait, il relevait les paupières avec effort
et après un rapide coup d'œil inquiet, les rabaissait. Un portrait du temps,
de l'école de Clouet, naguère encore au château d'Azay-le-Rideau, le
représente la figure pâle et fatiguée, l'œil hagard, la main diaphane,
tremblante, image saisissante de l'homme bourrelé de remords devant la pensée
de qui l'idée fixe, obsédante, revient perpétuellement. Il crachait le sang ;
les médecins l'avaient jugé pulmonique. De
jour en jour il s'affaiblissait, se courbant, maigrissant, la fièvre le
brûlant à mesure. Au printemps de 1574 ce n'était plus qu'un squelette qui se
traînait. En mai il s'alita, en proie aune faiblesse extrême ; il ne devait
plus se relever. Dans la nuit du 29 au 30 il eut une crise au cours de laquelle
on crut qu'il allait passer. Il disait avec un accent d'angoisse : Que de sang ! Que de sang !... Mon Dieu, pardonnez-moi !... Je ne sais plus où je suis !... Je suis perdu ! Il était en nage ; il pleurait. Sa
nourrice qui le veillait lui essuya la figure d'un mouchoir. Le 30 au matin
il fit appeler le duc d'Alençon et le roi de Navarre et leur dit qu'après lui
la régence appartiendrait à la reine sa mère, qu'il faudrait lui obéir ; il
recommanda à Henri de Béarn un petit enfant qu'il avait et il communia. On
lui donna l'extrême-onction. Le 31, Catherine de Médicis qui ne le quittait
pas, cherchant à lui dire quelques mots des affaires de l'Etat, il fît
comprendre que toutes choses humaines ne lui étaient
plus de rien. Il râla. A quatre heures du soir il expirait ; le
dernier mot qu'il avait prononcé avait été : ma mère
!...
SOURCES. Les textes cités au précédent chapitre, plus :
Monluc, Commentaires et lettres, éd. de Ruble, 1864 (voir sur cet
auteur, P. Courteault, Blaise de Monluc historien, 1908) : Michel de
Castelnau, Mémoires, éd. Le Laboureur, 1731 ; Claude Haton, Mémoires,
éd. Bourquelot, 1857 ; La Noue,
Discours politiques et militaires, 1587 ; Jean Faurin, Journal,
éd. Pradel, 1878 ; Claude de Sainctes, Discours sur le saccagement des
églises en 1562 dans Cimber et Danjou, Archives curieuses, t. IV ;
Mémoires-Journaux du duc de Guise, éd. Michaud et Poujoulat ; Mémoires
de Marguerite de Valois, éd. Guessard, 1842 ; J. Blanchet, Recueil de
lettres missives adressées à Antoine de Bourbon (1553-1562), 1905 ;
Saulx-Tavannes, Mémoires, éd. Michaud et Poujoulat ; Vicomte de
Turenne, Mémoires, éd. Baguenault de Puchesse, 1901 ; Michel de la Huguerye, Mémoires,
éd. de Ruble, 1877 ; Bertrand de Salignac-Fénelon, Correspondance, éd.
Teulet, 1840 ; Cardinal de Granvelle, Papiers d'État, éd. G. Weiss,
1841 ; Correspondance de Philippe II sur les affaires des Pays-Bas,
1851 ; Correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau, éd. Grœn
van Prinsterer, 1836 ; Jeanne d'Albret, Mémoires et poésies, éd. de
Ruble, 1883 ; Et. Pasquier, Œuvres, 1723 ; de Thou, Histoire
universelle, 1734, t. IV.
OUVRADES. H. de la Ferrière, Le
XVIe siècle et les Valois, 1879 ; Soldan, Geschichte der Protestantismus in Frankreich bis zum Tode Karl's IX,
1855 ; Kervyn de Lettenhove, les
Huguenots et les Gueux, 1883 ; Amphoux, Michel de l'Hospital et la liberté de conscience au XVIe siècle,
1900 ; H. Klipffel, Le colloque de
Poissy, 1867 ; A. de Ruble, Le
colloque de Poissy, 1889 ; J. Calas, Le
massacre de Vassy, 1887 ; Coynart, L’année
1562 et la bataille de Dreux, 1894 ; H. Hauser, François de la Noue,
1892 ; de Ruble, L'assassinat de
François de Lorraine, duc de Guise, 1897 ; F. Combes, L'entrevue de Bayonne, 1882 ; Kervyn
de Lettenhove, La conférence de Bayonne,
1883 ; H. de la
Ferrière, L'Entrevue
de Bayonne de 1565, 1883 ; G.-G. Soldan, La
France et la Saint-Barthélemy,
1855 ; H. Bordier, La Saint- Barthélemy et la critique moderne, 1879 ; J.
Loiseleur, Les Nouvelles controverses
sur la
Saint-Barthélemy, 1881 ; du même, Trois énigmes historiques, la Saint-Barthélemy,
1883 ; H. de la Ferrière,
La Saint-Barthélemy,
1892 ; H. Monod, Un document sur la Saint-Barthélemy
(Revue de Paris, août 1908).
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