Les débuts du protestantisme en France ; sa première faveur à la cour,
puis hostilité de François Ier. Statuette do la Vierge brisée à Paris,
1528 ; placards protestants affichés, 1534 ; nombreuses exécutions, 1535.
Affaire de Mérindol et de Cabrières, 1545. Politique répressive de Henri II,
l'édit de Châteaubriant de 1551 : le procès d'Anne du Bourg, 1547. Le
calvinisme s'organise, doctrine et discipline : Jean Calvin, 1509-1564 : La
première Église réformée de Paris, 1555. le premier synode de Paris, 1559.
François II, 1559-1560. Les Guises s'emparent du pouvoir. Progrès croissants
du protestantisme ; politique de plus en plus répressive des Guises, 1560.
Campagne de presse des protestants ; mécontentement des catholiques devant le
gouvernement autoritaire et avare des Guises ; la conjuration d'Amboise,
1560. Exécutions qui suivent. On veut y compromettre les Bourbons. Signes
précurseurs de guerre civile. Le parti des politiques. Il fait décider la
convocation des États généraux à Orléans : arrestation du prince de Condé.
Mort rapide de François II, 1560.
L'an 1520, écrit le Bourgeois
de Paris, s'éleva en la duché saxonne, en
Allemagne, un docteur théologien hérétique de l'ordre de Saint-Augustin,
nommé Martin Luther, qui dit beaucoup de choses contre la puissance du pape
et fit tout plein de livres, la voulant diminuer, et aussi contre les
ordonnances et cérémonies de l'Eglise. Ces livres pénétraient en
France. Le pape Léon X prévint le roi François Ier afin qu'on les condamnât.
Telle est la manière dont on entendit parler pour la première l'ois à Paris
de la Réforme
protestante. Conformément aux indications reçues, le parlement fit crier à
son de trompe par les carrefours qu'on lui apportât tous les livres de Martin
Luther sous peine de prison, et un certain Louis Berquin, ayant été convaincu
d'avoir traduit de ces ouvrages, fut incarcéré, ses livres brûlés devant
Notre-Dame de Paris ; lui-même allait subir un mauvais parti, lorsque
François Ier pria qu'on le laissât tranquille. Le bruit courait cependant que
çà et là l'hérésie nouvelle faisait des adeptes. Par précaution, en 1523, des
prédicateurs, moines mendiants, furent envoyés un peu partout afin de
combattre la doctrine incriminée. En 1525, un cordelier fut arrêté à Grenoble
sous la prévention d'avoir émis des idées luthériennes et un seigneur
justicier de l'endroit, le grand commandeur de Viennois, comme châtiment, le
fit brûler. C'était un des premiers partisans de la Réforme qui
payait ses idées de sa vie. La mesure fut très discutée. On tomba néanmoins
d'accord pour trouver qu'elle était juste sous le prétexte que les magistrats
doivent venger Dieu outragé par l'hérésie, puis protéger la société ; or,
l'hérésie troublait la société et tendait du tout à
la subversion de la monarchie humaine. Le premier pas était fait. En
1526, le 17 février, veille des brandons, un
jeune licencié ès-lois de vingt-huit ans, nommé Guillaume Joubert, fut, par
arrêt du parlement de Paris, mené en tombereau à la place Maubert, et là eut
la langue percée, puis fut étranglé et brûlé pour
avoir tenu la doctrine de Luther. Le 28 août, un écolier picard fut
brûlé en place de Grève pour la même raison. Que professaient les nouveaux
hérétiques ? Le populaire ne le savait pas très bien. Il racontait que ces
gens ne voulaient plus d'images de saints, qu'ils répudiaient l'eau bénite et
se refusaient à prier pour les trépassés. Il les avait en horreur. Quant aux
magistrats, gardiens vigilants de l'ordre public, ils n'admettaient pas
qu'une hérésie vînt rompre cet ordre ; donc ils devaient en punir les
fauteurs. Ceux-ci s'en prenant à la majesté divine, blasphémant, commettaient
un crime irrémissible ou méritaient le dernier supplice. Pratiquement, par
suite de la rareté relative de l'action criminelle, on condamnait facilement
à mort pour faire des exemples ; le bûcher ou la potence furent couramment
appliqués auv luthériens : les contemporains n'y ont rien trouvé d'excessif.
Les premières répressions n'arrêtèrent pas la doctrine
nouvelle. Un vent de critique soufflait. En chaire, des prédicateurs se
faisaient soupçonner parce qu'ils disaient qu'effectivement il existait dans
l'Église des abus regrettables. Peu à peu pénétrait cette idée qu'il y avait
évidemment à redire sur des pratiques accessoires inutilement introduites
dans la religion catholique. A la cour, la question se présenta sous un
aspect particulier.
Il existait à Meaux un évêque à l'esprit ouvert et
curieux, Guillaume Briçonnet, qui aimant l'érudition, avait attiré près de
lui des savants philologues parmi lesquels se trouvaient le Dauphinois
Guillaume Farel et les trois Picards Gérard Roussel, Arnaud et Jacques
Lefèvre. Ensemble ces quatre philologues étudièrent la Bible dans les textes
hébreux ou grecs et hasardèrent des critiques qui parurent inspirées de l’esprit
luthérien. Le parlement de Paris, informé, nomma des commissaires pour faire
une enquête ; les quatre érudits, inquiets, passèrent en Allemagne et
Briçonnet gourmande s'excusa. Mais Farel et ses amis laissaient derrière eux
un noyau d'adeptes.
Ce fut ce côté d'érudition qui attira d'abord l'attention
de la princesse Marguerite de Valois. Très portée vers les nouveautés, la
sœur de François Ier ne pouvait qu'être tentée par ce qui lui paraissait le
résultat de l'étude et la constatation de la vérité philologique. En 1527,
elle épousait le roi de Navarre, Henri d'Albret, qui était brouillé avec le
Saint-Siège ; — Jules II, en 1512, ayant excommunié Jean d'Albret, son père,
et donné la Navarre
espagnole à Ferdinand, roi d'Aragon : façon abusive de disposer des royaumes
non mouvant en fief de l'Eglise contre laquelle les rois de Navarre, appuyés
par le roi de France, avaient vivement protesté ; — les d'Albret étaient tout
préparés à écouter avec faveur ce qui se dirait contre le pape. Installée en
Béarn, Marguerite de Valois accueillit chez elle Jacques Lefèvre. Gérard
Roussel qui passait pour un saint et dont elle fit son directeur. Ceux-ci
n'étaient pas positivement luthériens, mais
ils critiquaient au nom de l'histoire les institutions catholiques de leur
temps, réclamant la communion sous les deux espèces, n'admettant pas
rigoureusement la présence réelle dans l'Eucharistie de la même manière que
l'Eglise, proclamant que l'Eglise avait corrompu la pureté de la religion du
Christ par des inventions superstitieuses. Lorsque Marguerite vint retrouver
à Paris François Ier, elle chercha à faire partager à son frère les tendances
nouvelles.
Ces tendances nouvelles trouvaient déjà un écho
sympathique dans le monde léger de la cour. En somme, de quoi s’agissait-il,
disait-on, de prendre et retenir la substance de la doctrine chrétienne telle que Jésus-Christ l’avait instituée et que les
apôtres l'avaient publiée et rédigée par écrit, mais rejeter les superstitions et superfétations ajoutées avec
le temps et s'en tenir à la pure parole de Dieu, à la vie de la primitive
Eglise : adorer Dieu en esprit et en vérité ; user de cette liberté chrétienne qui secoue le joug des superstitions et
des traditions des hommes pour s'attacher uniquement à Dieu ; en
définitive réformer les mœurs et retrancher quelques
abus qui s'étaient glissés dans l'Eglise. Ce n'était pas là se séparer
de l'Eglise. Tranquillisé, chacun, dit
Florimond de Raymond, vouloit goûter de la nouveauté.
Lorsque fut mis à la mode le chant doux et
chatouilleux des psaumes traduits en français par Marot, on trouva la
chose jolie ; tout le monde chanta ; ce fut une fureur chez les gens de cour
: les psaumes rimes ont attiré les âmes par les
harmonies.
Au premier abord, assez insouciant, François Ier ne se
préoccupa pas beaucoup des idées nouvelles ; sans les partager, il ne les
trouvait pas antipathiques ; il avait fait délivrer Berquin ; un instant même
il consentit, sur la demande de Marguerite, à mander d'Allemagne le luthérien
Philippe Melanchthon sur lequel la princesse comptait pour toucher son frère.
Mais peu à peu il ne tarda pas à se reprendre. Homme tout de même de
gouvernement, il jugea, d'accord avec ses conseillers les cardinaux de
Tournon et de Lorraine, que favoriser la diffusion de l'hérésie, c'était
compromettre l'unité de l'Etat, ébranler les fondements du royaume, s'exposer
à des troubles, car le populaire resterait fermement attaché à la religion
catholique. Il se décida. Des incidents allaient impatienter et irriter ses
sentiments.
Le lundi de la Pentecôte 1528, au matin, on trouva à Paris la
statuette de la Vierge
placée à l'encoignure de la maison de M. Harlai devant la porte de l'église
du petit Saint-Antoine, paroisse Saint-Germain, brisée. Des hérétiques avaient
cassé la tête de la Vierge
et de l'Enfant Jésus. L'opinion, déjà prévenue contre les luthériens, s'émut
extraordinairement. Ce fui une affaire considérable. Le gouvernement et le
roi se crurent obligés de partager cette agitation. François Ier promit mille
écus à qui dénoncerait les coupables ; il remplaça la statuette mutilée par
une autre en argent et il voulut venir l'apporter lui-même solennellement en
une procession imposante où figurèrent toutes les paroisses de la ville, le
parlement, les autorités, prélats, seigneurs, gentilshommes, au milieu d'un
grand concours de peuple.
Le parlement sévit. Louis Berquin, ayant imprudemment fait
parler de lui à nouveau, fut repris, mis en jugement. Il avoua franchement
ses idées, ne cacha pas qu'il avait écrit des livres luthériens, les montra ;
il fut condamné à mort. Le roi était à Blois ; pour empêcher, comme la
première fois, que l'intervention du souverain ne sauvât le coupable, on
l'exécuta séance tenante avant que François Ier fût prévenu. Le prévôt de
Paris, le lieutenant criminel, tous les juges informèrent, condamnèrent.
Quand le prévôt rendait une sentence adoucie et que le prévenu en appelait au
parlement, celui-ci, par arrêt, aggravait la peine. Conséquence ordinaire des
persécutions, loin de se laisser abattre, le zèle des partisans de la nouvelle opinion s'accrut ; les luthériens
ripostèrent par des représailles.
La mutilation de la Vierge de M. Harlai avait été un cas isolé. Le
fait se répéta. En mai 1530, des statuettes de Notre-Dame, de l'Enfant Jésus,
de saint Roch, de saint Fiacre, placées aux coins des maisons furent brisées
de nuit, et provoquèrent autant de processions expiatoires des paroisses
accompagnées du parlement en robe rouge. Celui-ci promit vingt écus d'or à
qui révélerait un luthérien. L'excitation populaire était extrême ; un
dernier attentat plus grave, plus audacieux, la mita son comble. Le 18
octobre 1534, on trouva partout affichés des placards hérétiques attaquant le saint sacrement de l'autel et l'honneur des saints
; il v en eut jusque dans le Louvre, à la porte de la chambre du roi, qui
était absent, et se trouvait à Amboise ; on en porta même à Amboise.
L'indignation et la colère furent générales. Le roi outré, manda au Parlement
de Paris de faire rigoureuse justice. Le
parlement n'avait pas attendu l'injonction. On procéda à des arrestations
innombrables et les exécutions suivirent. L'année 1533 a été la première
année sanglante de l'histoire du protestantisme. Toutes sortes de gens furent
appréhendés ; il suffisait d'avoir eu chez soi un livre luthérien pour être
suspect ; on saisit des cordonniers, des drapiers, des imprimeurs, des
libraires, des ecclésiastiques, de riches marchands, des écoliers, des
procureurs. Parlement et lieutenant criminel à l'envi condamnèrent. On brûla
aux Halles, à la Croix
du Trahoir, au bout du pont Saint-Michel, à la place Maubert, au carrefour du
puits Sainte-Geneviève, au cimetière Saint-Jean ; on pendit au marché aux
pourceaux avec des chaînes de fer, les condamnés trahies sur la claie au
parvis Notre-Dame. Les plus favorisés étaient bannis après avoir fait amende
honorable en chemise, pieds nus, tenant un cierge à la main, devant une
église, ou pendant une grand'messe, et après avoir été battus de verges sur
une charrette, leurs biens confisqués. Quand il y avait obstination dans les
blasphèmes et refus de rétracter, on coupait la langue. Nombre de personnes
inquiètes s'enfuirent. Le parlement en ajourna à comparaître 73 qui avaient
disparu, parmi lesquelles Clément Marot. Hommes, femmes, enfants, de tout âge
et de tout état furent atteints. L’opinion approuvait. Les choses vinrent à
un tel point que François Ier jugea enfin qu'on allait un peu loin. Sur ses
observations, le parlement s’arrêta ; il y eut une détente et les 73
luthériens qui avaient été bannis à son de trompe furent autorisés à rentrer
; on relâcha les prévenus, mais en leur signifiant que s'ils étaient repris
ils seraient brûlés. Le roi expliqua à l'ambassadeur Giustiniano qu'il avait
quelque peine à laisser brûler les hérétiques, attendu qu'en Flandre cela ne
se faisait pas.
Mais l'impulsion était donnée et François Ier devait
encore voir ses magistrats, soutenus de l'opinion publique, dépasser les
limites de ses propres intentions. Il y avait dans des villages de la Provence un certain
nombre de gens qui professaient depuis longtemps, dès le XIIIe siècle,
disait-on, des idées assez hétérodoxes. Ils s'inspiraient de l'Ecriture
Sainte ; ils disaient que puisque les mots de messe, de pape, de purgatoire
ne se trouvaient pas dans l'Evangile, il n'y avait pas lieu de les admettre.
Ils détestaient le catholicisme. On les appelait des Vaudois. Attirés par
certaine communauté de sentiments, les protestants les étudièrent avec
sympathie comme des précurseurs. De leur côté, les Vaudois prirent des idées
de Luther. Là-dessus, il y eut des incidents. Le vice-légat d'Avignon ayant
voulu informer contre quelques-uns d'entre eux, ceux-ci prirent les armes,
pillèrent, tuèrent. Lo parlement d'Aix ouvrit une enquête et ayant convaincu
d'hérésie les habitants surtout de deux bourgs, Mérindol et Cabrières, rendit
un arrêt, le 18 novembre 1540, qui prescrivait de détruire ces deux villages
et d'en bannir les habitants. François Ier, ennuyé de cette affaire, ordonna
de suspendre l'effet de l'arrêt. Au bout de quatre années, résolu d'en finir,
le parlement d'Aix, à l'instigation de son premier président d'Oppède et de
l'avocat général Guillaume Guérin, nommait une commission de cinq membres
afin de procéder à l'exécution. Les commissaires s'entendirent avec le
capitaine Paulin, baron de la
Garde, dont les soldats, débridés, se livrèrent à tous les
excès ; ils massacrèrent la population, incendièrent 24 villages ; on parla
de 3.000 victimes et de 900 maisons brûlées. L'affaire eut un grand
retentissement. François Ier, indigné, résolu à ne pas laisser ces excès
impunis, décida de mettre en jugement devant le parlement de Paris les
magistrats d'Aix. La procédure traîna. François Ier ne devait pas en voir la
fin, et sous Henri II, les idées étant changées, après un dernier procès qui
dura cinquante audiences, d'Oppède, trois commissaires furent absous, ainsi
que Paulin ; seul, Guillaume Guérin fut convaincu d'avoir produit de fausses
pièces et pour ce fait décapité en place de Grève. En somme, tout en étant
convaincu, par instinct de gouvernement, de l'impossibilité d'admettre
l'hérésie, afin de ne pas compromettre l'unité de l'État, François Ier eût
été plutôt de tendances tolérantes, si des provocations ne l'avaient irrité.
Ses magistrats, catholiques entiers, et soucieux de maintenir fermement
l'ordre public, l'avaient débordé.
Avec Henri II il en fut autrement. Le développement du
protestantisme n'avait fait que s'étendre. Il
n'était nouvelle, dit Pierre de la Place dans son État de la religion et de la
république, que de l'accroissement du nombre des
luthériens, quelque sévères ordonnances et punitions que l'on en eût dû
faire, et ne parlait-on que des assemblées secrètes qui se faisaient jour et
nuit en maints lieux et notamment dans la ville de Paris. D'isolés
qu'ils étaient auparavant, les luthériens en effet se groupaient maintenant
dans des réunions, en se cachant, pour prier ensemble et s'exhorter
mutuellement. Comme tout ce qui est mystérieux, ces réunions excitèrent
l'inquiétude de la foule. Sa colère éclata un soir. Rue Saint-Jacques, devant
le collège du Plessis, on découvrit une assemblée de 100 à 120 personnes. La
foule s'attroupa. Les assistants cherchant à s'enfuir furent attaqués et
assommés ; les femmes battues, roulées en cheveux dans la boue ; il y eut des
morts. Parmi les assistants se trouvaient des dames de qualité, Mmes de
Rentigny, de Champagne, de Graveron, un avocat au Parlement, M. de Gravelles,
un professeur de l'Université âgé, M. Clinet. On procéda à des arrestations
et le parlement brûla les coupables en place Maubert après leur avoir fait
couper la langue.
Cette histoire d'assemblées provoqua une recrudescence de
la répression. D'esprit beaucoup moins ouvert que son père, Henri II n'avait
pas cette manière de scepticisme qui prédispose à l'indulgence. Il était plus
rigide catholique et se scandalisait de voir contester ce qu'il jugeait la
vérité divine ; d'autre part le progrès de plus en plus menaçant de la Réforme
constituant pour l'État un danger chaque jour plus grave, le conseil
s'effrayait encore davantage. Henri II commença en 1549 par établir au
parlement de Paris une chambre spéciale qui fut destinée à poursuivre
l'hérésie, ce fut la chambre ardente. En 1551
il publia un édit dit de Châteaubriant qui codifiait en 46 articles toutes
les mesures précédemment prises contre les luthériens et réglait la
jurisprudence. Il était temps, disait le préambule, de prendre des mesures : l'erreur, de jour en jour et d'heure en heure, allait
croissant ; elle était devenue une commune maladie de peste ; c'était la cause de Dieu où chacun devait prêter l'épaule
et s'employer de toutes ses forces ! Il était donc interdit
d'imprimer, de vendre, de posséder des livres hérétiques ; les dénonciateurs
d'hérétiques auraient le tiers des biens de ceux-ci ; tout individu convaincu
de professer des idées luthériennes serait condamné à mort. Afin d'alléger
les parlements de la poursuite de ces crimes, les tribunaux inférieurs, dits
présidiaux, pourraient en connaître. Mais, singulier contraste des choses,
tandis que sous François Ier les magistrats avaient été les plus ardents
instigateurs de la répression, le bruit courait maintenant que l'hérésie,
gagnant de plus en plus, infestait même leurs rangs et qu'on ne pouvait être
sûr d'eux. L'édit spécifiait qu’à l'avenir on informerait contre les juges
suspects de négligence à l'égard des luthériens ; que tous les trois mois il
y aurait dans les chambres de justice des séances dites mercuriales au cours
desquelles il serait parlé de religion afin de maintenir les magistrats dans
la bonne doctrine et de tâcher de découvrir si quelqu'un d'entre eux devenait
suspect ; qu'enfin, dorénavant, nul ne serait nommé juge s'il ne produisait
un certificat constatant qu'il était bon catholique romain.
Mais ce n'était pas seulement parmi les magistrats que les
idées nouvelles faisaient des adeptes. Toutes les classes sociales se
trouvaient l'une après l'autre atteintes. Des gentilshommes avaient pu un
instant, sous François Ier, être attirés sans que d'ailleurs leurs
convictions fussent bien profondes. Maintenant de grands personnages de la
cour, des seigneurs de haute importance, des princes même, trahissaient leurs
sympathies raisonnées pour l'hérésie. En 1558, le cardinal de Lorraine étant
allé traiter de la paix sur la frontière des Pays-Bas avec le ministre
espagnol Granvelle, évêque d'Arras, celui-ci lui révéla qu'il avait la preuve
que le royaume de France était infesté de luthériens et que l'un des plus
marquants était le neveu même du connétable de Montmorency, d'Andelot ; il
l'avertit que d'Andelot avait dernièrement adressé à son frère Coligny,
prisonnier, un livre qui parlait abominablement de la messe. De retour à
Paris, le cardinal de Lorraine prévint le roi. Celui-ci irrité et tout de même,
en raison de son affection pour le connétable, embarrassé, chargea le frère
de d'Andelot. le cardinal de Châtillon, détacher d'obtenir du coupable
quelque explication suffisante au sujet de ses doctrines. D'Andelot se borna
à répondre qu'on ne lui ferait rien dire de contraire à sa conscience. Sur
ces entrefaites ayant eu occasion d'aller au château de Montceaux où se
trouvait Henri II, celui-ci ne put se contenir et l’interpellant vivement lui
demanda s'il était vrai, ainsi qu'on le lui avait affirmé, qu'il tint la
messe pour une abomination. Très fermement d'Andelot répondit que si on
considérait la messe comme un sacrifice propitiatoire à l'égard des péchés
des vivants et des morts, il la tenait effectivement pour
chose détestable et abominable, nullement instituée par Dieu, attendu
que la mort du Christ constituait une fois pour toutes un sacrifice et une
oblation suffisants. Henri II indigné commanda à d'Andelot de sortir
sur-le-champ de sa présence, puis il le fit arrêter par le maître de sa garde-robe,
Babou de la
Bourdaisière, et conduire sous bonne escorte par Monluc au
château de Melun où le prisonnier fut incarcéré. L'assurance de d'Andelot
attestait le sentiment qu'il avait du progrès général des nouvelles
doctrines. Son frère Coligny était gagné ; gagnés aussi étaient le roi de
Navarre, Antoine de Bourbon et sa femme Jeanne d'Albret, — fille de
Marguerite de Navarre et d'Henri d'Albret ; le frère d'Antoine, le prince de
Condé, groupe important de princes du sang ; les Bourbons, qui, joints aux
Châtillon — d'Andelot et Coligny — allaient former une manière d'état-major
imposant et redoutable.
Cette assurance se propagea. Il était décidément exact que
la magistrature s'empoisonnait chaque jour : la chambre criminelle du
parlement de Paris devenait singulièrement indulgente pour les hérétiques, ne
les condamnant plus, se bornant à les renvoyer devant l'évoque. Si le chiffre
des luthériens augmentait comme il le faisait, déclarait le cardinal de
Lorraine, courroucé, c'était que le public sentait la connivence des juges.
L'irritation du gouvernement fut extrême. Une fois où le président de la Tournelle, Séguier,
venait réclamer au roi les gages de ses magistrats, non payés depuis
vingt-deux mois : On ne veut empêcher vos gages,
lui dit brusquement le cardinal de Lorraine, pourvu
que vous exécutiez fidèlement votre charge ; et comme l'autre
répondait qu'il ne pensait pas qu'on y eût manqué : Si,
répliqua le cardinal, en ce que vous ne punissez pas
les hérétiques ! Le président protesta. Vous
les renvoyez devant leurs évoques, reprit Lorraine, vraiment voilà une belle
expédition ! Séguier répondant qu'on ne pouvait pourtant pas juger
contre sa conscience : Vous êtes cause,
s'exclama le ministre, que la France est toute remplie
de cette vermine qui s'augmente et pullule sur l'espérance de vous !
A quelque temps de là avait lieu la mercuriale prescrite
par l'ordonnance. Le roi recommanda que le parquet parlât avec fermeté. Au
jour dit — c'était le dernier mercredi d'avril 1559, la séance avait lieu au
couvent des Augustins, sur le quai, le Palais étant pris pour les fêtes des
mariages, — le parlement se trouva assemblé en nombre, 100 à 120 magistrats.
Le procureur général Bourdin prenant la parole s'éleva avec véhémence contre
les magistrats qui sentoient mal de la foi et
adhéroient à la fausse doctrine de Luther ; que voulait dire que la Tournelle ne condamnât
plus à mort les hérétiques et les rendît à la liberté, ce qui était contraire
aux ordonnances ? Il y avait contradiction entre les arrêts de la Grand'chambre qui,
elle, appliquait les édits et ceux de la Tournelle qui ne faisait que bannir les
luthériens : cette contradiction était un scandale
! Suivant l'usage, les harangues terminées, on passa aux avis et chaque
magistrat, l'un après l'autre, opina. Bravement, ceux qui penchaient pour les
idées nouvelles déclarèrent qu'on ne pouvait nier qu'il y eût des abus et des
erreurs dans les pratiques de l'Église catholique ; que nombre de bons
esprits réclamaient la réunion d'un concile général afin d'en décider et de
les extirper et qu'en attendant il était raisonnable de ne pas appliquer la
peine capitale à des gens exprimant des critiques, lesquelles pourraient être
ensuite reconnues fondées par le concile. De cette opinion furent, entre
autres, le président aux enquêtes du Ferrier et Antoine Fumée. La séance fut
levée avant la fin des avis et la continuation renvoyée à l'assemblée
suivante. Entre temps les présidents Le Maître et Minard étaient venus rendre
compte au roi des opinions qu on avait exprimées à la mercuriale. Ainsi, il
n'y avait plus de doute, les hérétiques osaient s'afficher en plein
parlement, sur les bancs des magistrats, dans des conditions particulièrement
provocantes. Henri II décida qu'il irait assister lui-même à la suite de la
mercuriale et écouter ce qui se dirait. A la séance annoncée, présidée par le
roi, tandis que les magistrats catholiques réclamaient l'application pure et
simple des édits existants, des conseillers, Claude Viole, Louis Dufaur, Anne
du Bourg se prononcèrent pour la suspension de la peine capitale en attendant
le concile. Dufaur était très intelligent ; Anne du Bourg, jeune magistrat de
trente-sept ans, très éloquent : ce dernier parla avec chaleur et vivacité
faisant montre de plus de courage que de prudence. Lorsque tout fut fini,
Henri II, sèchement, ordonna au greffier Saint-Germain de lire le
procès-verbal de toutes les opinions émises ; puis il prononça qu'il y avait
dans le parlement des magistrats dévoyés de la foi
; qu'il était décidé à les châtier. Alors se retournant du côté du connétable
qui était présent il lui commanda d'arrêter immédiatement Louis Dufaur, Anne
du Bourg, Claude Viole, Antoine Fumée, du Ferrier et trois autres qu'un
capitaine des gardes conduirait immédiatement à la Bastille. De retour
dans son palais le roi, hors de lui, dit qu'il iroit
voir de ses deux yeux brûler du Bourg. Une commission judiciaire fut
nommée pour juger les prévenus, composée d'un président en parlement, d'un
maître des requêtes, de deux conseillers, de l'évêque de Paris, d'un
inquisiteur de la foi. Henri II ne devait pas assister à la fin du procès, ni
voir brûler du Bourg : la lance de Mongommery
l'abattait quelques jours après.
Loin d'arrêter le mouvement ascensionnel de la Réforme, la
politique répressive d'Henri II n'avait fait en définitive que l'accentuer.
Mais à défaut de cette circonstance occasionnelle un fait considérable
assurait depuis quelque temps déjà la force et le développement progressif de
l'hérésie : Calvin venait de lui donner une doctrine, une discipline et une
organisation.
Nature puissante et personnalité fougueuse, Martin Luther avait
moins contribué à fonder une religion
nouvelle qu'à ébranler dans toute la chrétienté l'antique foi compacte du Moyen
âge. Il avait commencé par critiquer le fait abusif de la vente à l'encan des
indulgences spirituelles : Rome n'avait pas admis qu'on critiquât quoi que ce
soit ; sûr de ce qu'il disait Luther avait persisté, puis soutenu par
l'opinion, il avait étendu ses critiques. Devant les mesures coercitives des
autorités ecclésiastiques qui ne discutaient pas, mais condamnaient, il avait
attaqué, provoquant l'enthousiasme des foules de son éloquence ardente pour
une cause qui devenait populaire. De proche en proche, emporté par son
tempérament et la faveur de l'opinion, il était arrivé jusqu'à saper dans ses
fondements les bases mêmes du catholicisme. Il avait ainsi détruit aux yeux
des populations qui jusque-là considéraient l'enseignement de l'Eglise comme
l'expression de la vérité éternelle, le prestige de l'absolu. Chacun se crut
la faculté de disséquer l'arche sainte et, suivant ses goûts, sa science ou
ses tendances, de faire le départ de ce qu'il jugeait acceptable et de ce
qu'il rejetait comme faux. Le luthéranisme n'a été pour les sujets de
François Ier que le droit de discuter le catholicisme. C'est dans ce sens que
des érudits comme Farel et ses amis de Meaux ont été luthériens. En réalité
s'ils s'accordaient pour nier ils divergeaient sur les points à admettre. Il était
réservé à Jean Calvin de fixer la croyance.
Né à Noyon en 1509 d'un père, Gérard Cauvin (Calvin est le nom latinisé de Cauvin), qui
était procureur, greffier de l'officialité diocésaine, promoteur et notaire
du chapitre, procureur fiscal du comté épiscopal, en somme une manière
d'homme d'affaires du clergé, Jean Calvin eut pour premier spectacle dans le
monde les démêlés de son père avec le clergé. Sommé à un moment donné de
rendre ses comptes, Gérard Cauvin s'y était refusé ; on l'avait blâmé,
menacé, excommunié, et en 1531 le malheureux procureur était mort honni, sans
sépulture religieuse. L'aîné de ses quatre fils Charles, prenant sa
succession, fut à son tour excommunié et mourut trois ans après dans les
mêmes conditions. Jean Calvin ne pouvait guère éprouver de sympathie pour les
gens d'église. Il était le second des enfants. On le mit au collège de Noyon
afin de commencer ses études ; de là il fut envoyé à Paris, chez un oncle
serrurier qui lui fit suivre les cours du collège de la Marche, puis du collège
de Montaigu. A dix-neuf ans il allait faire son droit à Orléans où se
trouvait une Université réputée pour son enseignement juridique. Ce fut un
étudiant laborieux, travaillant beaucoup, mangeant peu, délicat et souffrant
de l'estomac : on remarqua chez lui un esprit souple, et une grande aptitude
à la dialectique. Devenu licencié en droit, il s'adonna à la littérature
grecque, se prit d'un goût très vif pour les études littéraires ; il renonça
même au droit, se consacra à l'humanisme et revint à vingt-deux ans à Paris.
L'année suivante (1532), un an après la
mort de son père, il faisait paraître son premier livre, un commentaire du De
Clementia de Sénèque, qui le mit dans la misère, car il n'était pas riche
et l'impression lui avait coûté cher. Préparé par les sentiments qu'avaient
pu lui inspirer les affaires de sa famille, et ses études, il éprouva une
curiosité sympathique à l'égard des idées luthériennes. Il fréquentait
beaucoup chez un de ses compatriotes, riche marchand de la rue Saint-Martin,
Etienne de la Forge,
qui recevait dans sa maison tout un groupe d'amis hérétiques, et entre autres
Gérard Roussel. L'évolution de la croyance s'est faite dans l'esprit de
Calvin lentement et progressivement. Les moments étaient difficiles. La
sanglante année 1535 fut fatale au groupe de la rue Saint-Martin. Dénoncé et
appréhendé, Etienne de la
Forge monta sur le bûcher le 16 février ; ses amis traqués,
Calvin dut s'enfuir précipitamment. Il erra : il alla à Nérac, à Poitiers, à
Noyon, où il fut reconnu, saisi et emprisonné. Rendu à la liberté, il passa
la frontière, gagna Bâle où il acheva son livre de religion qui devait avoir
un si considérable succès, l’Institution chrétienne et qu'il imprima
en 1536 ; enfin, cette même année, à vingt-sept ans, encore modeste
personnage inconnu, il arrivait à Genève.
Vieille ville contemporaine des Romains, Genève avait eu
une existence mouvementée au Moyen âge, la seigneurie de son territoire
s'étant trouvée perpétuellement disputée entre son évêque et le comte puis
duc de Savoie. Au milieu des deux compétiteurs les bourgeois avaient fini par
soutenir qu'ils n'appartenaient ni à l'un ni à l'autre, qu'ils étaient
citoyens d'une ville libre impériale et qu'ils devaient être indépendants. On
nommait les partisans de cette théorie les libertins.
Les libertins cherchèrent un appui au dehors, le trouvèrent, se confédérèrent
avec les cantons de Fribourg et de Berne, d'où, dit-on, le nom allemand de
confédérés, eidgenossen, origine du
mot huguenots, et, finalement, ayant
chassé les partisans des ducs de Savoie — ceux de l’évêque avaient disparu de
bonne heure — demeurèrent les maîtres. Genève devint comme une sorte de
république libre sous la vague domination de l'empereur germanique, avec un
grand conseil pour la diriger. Les idées luthériennes accueillies avec
faveur, se développèrent sans trop de peine. Un instant il y eut quelque
résistance, mais le grand conseil décida de laisser aux bourgeois la complète
liberté de leurs croyances. Là-dessus l'hérésie se développa au point qu'elle
finit par avoir la majorité dans la ville. Alors se produisit un phénomène
que nous verrons se répéter en France. Ayant acquis la prépondérance, les
protestants décidèrent qu'il ne leur était plus possible de tolérer à côté
d'eux l'erreur, l'idolâtrie, la superstition,
qu'il fallait secouer le joug de l'antéchrist romain,
et le 27 août 1535, le grand conseil abolissait à Genève l'exercice de la
religion catholique. Les images et les croix des églises furent abattues, les
autels renversés, les prêtres bannis. Asile assuré désormais de la doctrine
nouvelle, Genève pouvait être le refuge de ceux qui en France fuyaient la
persécution et qui accoururent. Un des premiers se trouva être Guillaume
Farel qui par son éloquence ne tarda pas à acquérir une influence
considérable dans la cité ; un an après, en 1536, c'était Calvin qui
pénétrait dans la ville.
Obligé de travailler pour vivre, Calvin demanda et obtint
l'autorisation de donner des leçons de théologie. Il plut par des qualités
remarquables de précision, de netteté et de clarté. On admira son érudition,
sa méthode rigoureuse, et une certaine inflexibilité de caractère. Il ne
tarda pas à être autorisé à remplir les fonctions de pasteur. Son succès fut
rapide ; il jouit bientôt d'une autorité incontestable. A quelque temps de là
les pasteurs s'étant rassemblés pour décider la rédaction d'un catéchisme, ce
fut lui qui fut chargé du travail. Grâce à la ferveur néophyte des
protestants de la ville, la réunion des pasteurs jouissait d'un pouvoir moral
extraordinaire, susceptible même de faire échec au pouvoir politique du grand
conseil. Par zèle religieux, les pasteurs décidèrent, afin de mettre les
mœurs de leur ville en conformité avec la doctrine chrétienne, de faire un
règlement disciplinaire qui contraindrait les habitants à pratiquer la vertu
et à éviter le péché sous des peines sévères ; c'était instituer un
gouvernement ecclésiastique. Calvin rédigea le règlement : il le lit rigide.
Aussitôt nombre de bourgeois protestèrent avec véhémence contre cette
invasion dans le domaine politique des faits de conscience. Un parti
s'organisa qui se posa en défenseur des vieux Genevois soucieux de conserver
intactes les libertés de la ville et l'indépendance du corps politique,
contre ce qu'ils appelaient les étrangers. Le
corps pastoral appela ses adversaires les libertins
et la lutte s'institua avec âpreté. Les libertins eurent le dessus ; ils
chassèrent les pasteurs. Calvin, réduit de nouveau à l'exil, se réfugia à
Strasbourg où il ouvrit encore un cours de théologie afin de trouver de quoi
vivre : il était dans une gêne extrême, dut vendre sa bibliothèque, et
prendre des pensionnaires. Mais entre temps, à Genève, la révolution
changeait la face des choses ; indisposé par les imprudences des libertins, le
populaire se soulevait, et rendait la majorité aux partisans des pasteurs,
dénommés les évangéliques. Calvin rappelé
rentra le 13 septembre 1541. Définitivement les maîtres, cette l'ois, les
pasteurs imposèrent leurs règlements disciplinaires, et, sur l'initiative de
Calvin, organisèrent la cité conformément aux idées de celui-ci. Aux
ministres appartenait d'enseigner la doctrine et de conférer les sacrements.
Douze anciens élus et les ministres réunis formaient un consistoire qui
veillait sur les mœurs des citoyens, punissait les coupables de réprimandes,
de censures, d'excommunications, et, pour les peines corporelles, signalait
les délinquants au grand conseil. Tout luxe [était prohibé ; les fêtes
étaient interdites ; les réjouissances réglementées ; les opinions de chacun
surveillées ; la vie devenait austère et triste. Sous la direction de Calvin,
dont l’autorité allait chaque jour grandissant et qui imposait peu à peu ses
conceptions, le culte prit un aspect sévère. Il n'y eut plus de cérémonies ;
la prédication, la prière, la lecture de l'Évangile, le chant des psaumes
suffirent. Le baptême et la cène étant les deux seuls sacrements qu'on
trouvât dans le Nouveau Testament, Calvin les conserva, mais le pain et le
vin de la cène ne furent que des signes ou des témoignages et non, comme pour
les catholiques, le corps et le sang du Christ. Par ses prédications
journalières, ses leçons de théologie ininterrompues, bientôt si réputées
qu'on venait de partout l'entendre, Calvin précisa et circonscrivit la
doctrine. Sa renommée se répandit dans la France entière. On lui écrivit afin d'avoir des
directions ; infatigable et d'une activité prodigieuse, il entretint une
correspondance universelle, encourageant, fortifiant, recommandant la
constitution d'églises sur le modèle de celle de Genève, soutenant les
persécutés, le tout dans cette langue qui fit le succès de son Institution
chrétienne et le range parmi les bons écrivains français, souple, nette,
ferme et claire. On accourait près de lui. De 13.000 âmes que Genève comptait
en 1543, elle passait à 20.000 en 1550. Calvin instruisait les ministres,
puis les envoyait évangéliser : Genève devenait le séminaire et la Rome
du protestantisme.
Mais en même temps qu'il déterminait la doctrine, Calvin
entendait la fixer. Paix une singulière contradiction, le réformateur, qui en
avait si librement agi à l'égard de la doctrine catholique, prétendait que
personne ne discutât la sienne. Il terminait la prière qui finissait ses
sermons en demandant à Dieu que son Église fût préservée de toutes sectes, hérésies et erreurs qui sont semences de
troubles et divisions en son peuple. Esprit entier et impitoyable, il
poursuivait avec une inexorable rigueur ceux qui s'écartaient de ses idées.
Sébastien Castellion s'étant permis de contester l’inspiration du Cantique
des Cantiques, fut chassé de Genève ; des pasteurs dont les opinions parurent
suspectes, d'autres, qui semblèrent trop hardis, furent déposés, emprisonnés,
bannis. Certain médecin espagnol nommé Michel Servet avait attaqué quelques
conceptions de Calvin et celui-ci en avait éprouvé une irritation extrême.
Dans son livre Christianismi restitutio, Servet osa aventurer des
assertions que le réformateur jugea inadmissibles. A quelque temps de là
l'imprudent médecin ayant cru pouvoir passer par Genève, fut arrêté, jugé et
brûlé le 27 octobre 1553. La mort de Michel Servet a été cruellement
reprochée à Calvin. Pour se défendre, Calvin écrivit en 1554 une Déclaration
où il est montré qu'il est licite de punir les hérétiques. Hommes de leur
temps, en effet, les protestants, après avoir répudié l'autorité de l'Eglise
catholique, continuaient à professer des opinions intolérantes qui se
trouvent être celles de leur époque. Melanchthon était de l'avis de Calvin ;
Théodore de Bèze publiait en 1554 un De hæreticis a civili magistratu puniendis
libellus où il soutenait qu'on doit la liberté à la vérité, mais qu'il
faut la refuser à l'erreur, et châtier les fauteurs de celle-ci : ce qui est
la propre théorie de l'Inquisition. Castellion sera le premier à proclamer la
nécessité de la liberté de conscience et à soutenir qu'on doit défendre les
idées par les idées et non par le glaive : il faudra du temps pour que cette
opinion prévale chez les réformés.
Son caractère implacable joint à une activité prodigieuse,
à une énergie inlassable, à cette foi rigide et hautaine, explique l'autorité
immense dont jouit le fondateur du calvinisme. Il s'usa à la peine. Epuisé
par ses maux de tête et d'estomac, sa goutte, sa gravelle, son asthme,
Calvin, dont le corps affreusement maigre et la figure creusée révélaient la
faiblesse de constitution, s'éteignit doucement le 27 mai 1564, à
cinquante-cinq ans, du reste dans la pauvreté.
Ce fut donc à l'instigation et à l'imitation de Genève que
les groupes de luthériens qui s'assemblaient çà et là secrètement en France,
s'organisèrent en églises. En septembre 1555 arrivait de Genève à Paris un
ministre nommé La
Rivière qui réunit dans une maison du Préaux-Clercs un
certain nombre de partisans des idées nouvelles, fut élu pasteur, fit nommer
un consistoire d'anciens et constitua ainsi la première église réformée à
Paris. Des églises de ce genre furent successivement créées à Meaux, Angers,
Poitiers, Agen, Bourges, Blois, Tours. Au bout de deux ou trois ans il y en
avait une vingtaine. Partout on voyait arriver dans les villes des ministres
de Genève qui, d'ailleurs, s'en allaient lorsqu'ils trouvaient un trop petit
nombre de partisans ou que, par suite de l'hostilité des foules, les réunions
secrètes étaient impraticables. Ils prêchaient et préparaient le terrain.
Comme à Genève, on lisait les livres saints, on priait, on exhortait, on
chantait les psaumes. Une foi s organisée, l'église de Paris envoya à son
tour des ministres de tous côtés. Ceux-ci, bien en contact avec les
assemblées, faisaient désigner les anciens du consistoire ; les anciens
recueillaient l'argent servant à entretenir le pasteur et à distribuer les
aumônes. On demandait à Genève des conseils et des directions. Calvin avait
recommandé que les pasteurs fissent de bonnes études théologiques, qu'on
réprimât vivement les scandales et qu'on surveillât étroitement la vie des
fidèles. Ainsi de proche en proche l'organisation genevoise couvrait la France entière. Soranzo
écrivait en 1558 que les protestants étaient 400.000. On les appelait
maintenant les calvinistes. Leur nombre
devint tel, qu'ils jugèrent nécessaire de compléter leur organisation en
assurant l'unité des églises entre elles. Il y avait diversité dans les
doctrines enseignées ; conformément à la pensée de Calvin, il fallait
discipliner l'enseignement et s'entendre pour faire un formulaire général. Ce
fut ce qui amena en mai 1559 la réunion à Paris du premier synode national,
imitation des conciles de l'Eglise catholique. Ce synode, où les églises
particulières furent représentées par leurs pasteurs et leurs anciens, eut
lieu au faubourg Saint-Germain et dura quatre jours au milieu de périls et de
menaces sans nombre. Il adopta comme formulaire un texte inspiré par Calvin,
puis il régla la discipline : toutes les églises seraient égales entre elles
; aucune n'aurait de primauté : dans chaque église les pasteurs seraient
égaux ; les députés de plusieurs églises voisines se réuniraient en
assemblées dites colloques ; les députés des églises d'une même province
s'assembleraient, une fois par an, en synodes provinciaux ; et, au-dessus,
subsisterait le synode national. Le synode de 1559 qui achevait de constituer
les églises protestantes en France a été le point de départ de l'essor du
calvinisme. Le calvinisme se développa avec une rapidité telle qu'en 1561 on
comptait plus de 2.000 églises réformées dans le royaume. C'est cette
croissance rapide et inattendue qui effrayait à ce point le gouvernement d’Henri
II et agitait si extraordinairement ce prince. Lorsque celui-ci fut mort,
l'avenir parut des plus inquiétants et des plus sombres aux ministres de son
successeur.
Ce successeur, François II, était un tout jeune homme de
quinze ans et demi, délicat, malsain, au visage blafard
et bouffi, dit Régnier de la Planche, plein de boutons et de taches sur la
ligure, affligé d'une infirmité nasale — des végétations adénoïdiennes,
croit-on, — par ailleurs morose, taciturne et obstiné. Il va régner à peine
quelques mois. Sa personnalité n'existe pas dans l'histoire. On lui avait
fait épouser la gentille Marie Stuart, et éprouvant une tendre affection pour
sa petite femme, il passait son temps près
d'elle ; ils étaient charmants à voir, se faisant des caresses et s'isolant
afin de se dire à l'oreille des secrets sans importance. En raison de leur
situation d'oncles de la reine, les Guises s'emparèrent immédiatement du
pouvoir. Le duc François avait pour lui l'éclat de ses services militaires,
le prestige de sa popularité, la gloire ; son frère, le cardinal de Lorraine,
était déjà dans les affaires, tous deux esprits autoritaires, ardents,
impérieux. Le cardinal fut le maître pour tout ce qui concernait les finances
et l'intérieur ; il était fort intelligent, parlait très bien, apportait une
grande application à ce qu'il faisait ; avec cela grave, ayant une grande
prestance, beaucoup de savoir, notamment en théologie ; mais il était faux
bonhomme, avare et violent. Il dirigea tout, son frère, le duc, se réservant ce
qui concernait les armées. Qui pouvait leur résister ? Ils avaient pour eux
leur nièce la reine, Marie Stuart, par suite le roi lui-même ; ils étaient en
possession de l'autorité effective et le faisaient sentir rudement, ce qui
intimidait tout le monde. Catherine de Médicis, la mère, se trouvant
impuissante, adopta une attitude prudente de réserve et de circonspection.
Elle avait quarante ans, se sentait femme de tête et de gouvernement et
conservait sur son fils, le nouveau roi, un ascendant qui la faisait craindre
et respecter de lui. Mais la politique, plus forte, avait arrangé les
circonstances d'une manière telle qu'il n'y avait rien à faire pour elle que
de se taire et d'attendre. Le connétable de Montmorency se tenait à l’écart.
Il restait bien les Bourbons et les Châtillon. Que les Guises, gens à demi
étrangers, fussent tout, et que les Bourbons, princes du sang, ne fussent
rien, cela n'était guère admissible. Mais, d'abord, les sympathies connues
pour la Réforme
du roi de Navarre et des siens mettaient ceux-ci, ainsi que les Châtillon,
dans une situation particulièrement fausse. Les Guises profitèrent de cette
situation pour l'aggraver. Ils écartèrent résolument de la cour le groupe Châtillon-Bourbon
et, sous couleur d'intérêt religieux, les exclurent des conseils politiques.
La place ainsi demeurait libre. Les Bourbons et les Châtillon se réunirent à
Vendôme afin de voir ce qu'il y avait lieu de faire. Condé, impétueux et peu
endurant, soutenu par le vidame de Chartres, proposait d'avoir recours à la
force. Esprit plus calme, plus prudent et d'ailleurs nature droite et
honnête, Coligny se prononçait pour les moyens conciliants ; il proposait de
faire des représentations à Catherine de Médicis sur l'accaparement abusif du
pouvoir par les Guises. La réunion se prononça en faveur de cette opinion et
le roi de Navarre, Antoine, fut chargé de la démarche auprès de la reine
mère. Antoine de Navarre était un homme tranquille et léger qui, sous sa
figure maigre qu'estompait une barbe courte et clairsemée et qu'éclairaient
mal des yeux au regard incertain, cachait une nature indifférente, en tous
cas peu courageuse. Il vint à la cour. On le reçut très mal ; François II lui
fit attendre deux jours une audience, puis, conformément aux indications
données par ses oncles l'accueillit avec une froideur marquée. Lorsque déjà
décontenancé par cette réception Antoine parla à Catherine de Médicis,
celle-ci lui répondit d'une façon évasive qu'il fallait prendre patience, que
les choses avec le temps s'arrangeraient d'elles-mêmes, que les Bourbons plus
tard reviendraient prendre leur part légitime d'influence près du roi. Le roi
de Navarre déjà ennuyé de sa mission, jugea qu'il devait se contenter de ces
bonnes paroles. Au surplus, il ne pouvait s'adresser à personne autre, les
Guises s'étant assuré de l'entourage du roi que gardaient leurs amis et
partisans, surtout le chancelier Olivier, les maréchaux do Saint-André et
Brissac. En écartant les Bourbon-Châtillon en raison de leurs sympathies
calvinistes, autant que pour éloigner des compétiteurs de leur pouvoir, les
Guise les rejetaient davantage vers les protestants et allaient donner des
chefs à ceux-ci.
Cependant, de toutes parts, arrivaient à Paris des
informations sur l'audace, chaque jour croissante, des réformés. Dans telle
petite ville du midi où jusque-là les ministres venus de Genève n'avaient pu
prêcher que la nuit, cachés dans les maisons, on osait maintenant tenir des
réunions publiques en plein jour, dans des écoles ; si les magistrats
accourant voulaient informer, c'étaient des altercations, et les ministres
donnaient des explications qui, en fin de compte, laissaient les officiers du
roi indécis. Ailleurs les assemblées se tenaient librement. Le nombre des
calvinistes augmentait de jour en jour d'une manière frappante. L'incendie brûle de toutes parts, écrivait Soriano
et il disait vrai. Ardents catholiques, notamment le cardinal de Lorraine si
intransigeant dans ses idées, pénétrés comme chefs du gouvernement, ainsi que
François Ier, du principe d'autorité que l'existence de l’hérésie
compromettait, surtout natures combatives, énergiques et résolues, les Guise
reprirent en l'aggravant la politique de répression de Henri II.
Ce fut une série de mesures implacables. Des édits envoyés
dans le royaume commandèrent l'emprisonnement immédiat de tout calviniste
connu pour tel. Ordre fut expédié à la commission judiciaire chargée de juger
Anne du Bourg d'en finir. Anne du Bourg avait essayé de moyens dilatoires de
procédure, appelant de juridiction en juridiction, excipant de sa qualité de
clerc pour aller devant l’official, le tribunal de l'évêque, faisant agir des
amis. On brusqua les choses. Les passions étaient montées à un tel point
qu'un des juges, le président Minard, fut assassiné par un calviniste.
Finalement, Du Bourg condamné à mort fut exécuté. Les protestants appelèrent
sa mort un triomphe et le meurtre de Minard le jugement de Dieu.
Procureurs du roi, magistrats de tout ordre et de toute
juridiction, huissiers et sergents agirent dans les provinces avec une
activité fébrile. Ce ne fut partout qu’ajournements, prises de corps,
emprisonnements. L'année 1560
a été une année particulièrement troublée. Il est impossible que cela dure plus longtemps,
écrivait Hubert Languet, les prisons sont pleines !
Mais doués qu'ils étaient d'une organisation régulière,
avec colloques et synodes, les protestants étaient maintenant en mesure de se
concerter, de résister, tout au moins de réclamer un adoucissement aux
mesures draconiennes dont on les accablait. Il était inutile de s'adresser au
roi ni aux Guises. Comme les Bourbon-Châtillon, ils délibérèrent d'envoyer
auprès de Catherine de Médicis. La reine mère ne parlait pas ; peut-être
n'était-elle pas d'opinion aussi rigoureuse que les gouvernants ; elle
représentait une influence latente et tout de même une autorité morale.
Malheureusement Catherine de Médicis ne pouvait rien. Ainsi qu'à l'égard du
roi de Navarre, elle se montra réservée. Elle se borna à répondre aux
protestants qu'elle leur recommandait de demeurer calmes, de ne rien dire,
prononçant quelques vagues mots de tolérance et de paix.
Alors les réformés dont la partie ardente — sentant la
force du calvinisme — venait à penser qu'elle était en droit d'exiger au
moins la liberté de s'assembler et de prêcher, se retournèrent du côté des
Bourbon-Châtillon. Après tout, n'étaient-ils pas princes, et des plus grands
seigneurs du royaume ? Comment permettaient-ils que des étrangers, ces
Lorraine, accaparassent le pouvoir, les chassassent de la cour et usassent du
pouvoir dont ils s'étaient emparés pour exercer contre eux, leurs amis, leur
croyance, une persécution intolérable ? Il s'agissait de demander aux
Bourbons de rentrer à la cour, d'en expulser les Guises et de prendre leur place.
Une fois maîtres du gouvernement, ils feraient cesser la persécution et
accorderaient aux calvinistes la liberté demandée.
Malheureusement encore pour eux, ils avaient affaire à un
homme, le roi de Navarre, qui n'était pas à la hauteur du rôle qu'on voulait
lui faire jouer. La noblesse l'aimait parce qu'il était cordial et facile,
donnant libéralement, bien qu'il ne fut pas riche, ouvert et simple, à la française, dit Jean Michel ; assez brave en
campagne, quoique médiocre capitaine. Mais c'était un caractère mou, dépourvu
d audace. Il recula effrayé. On eut beau chercher à le faire circonvenir par
sa femme, l'intelligente Jeanne d'Albret, elle, au contraire, fougueuse et
décidée, rien n'y fit ; il refusa sou concours. A côté de lui, il n'était
possible de trouver personne. Le prince de Condé, son frère, eût été plus
ambitieux et actif, mais il manquait de la pondération nécessaire à un chef ;
d'ailleurs n'étant que cadet, il lui était difficile d'entreprendre une œuvre
pour laquelle son aîné s'était récusé. Quant aux Châtillon, ils n'avaient pas
l'autorité nécessaire.
Alors les ministres protestants ne pouvant rien obtenir
des personnages en vue se décidèrent à lutter eux-mêmes avec la seule arme
dont ils disposassent, la presse. Ils multiplièrent les écrits ; ce fut une
campagne de polémiques éloquentes, enflammées. Le
sang des justes crie, écrivait La Planche, Dieu se sert
des persécuteurs comme de soufflets pour attiser le feu de sa parole !
Ils s'en prirent aux Guises, passionnément, stigmatisant leur tyrannie,
dénonçant leur usurpation injuste du pouvoir royal, flétrissant leurs
ambitions : que rêvaient-ils, sinon de s'emparer complètement de la couronne,
de déposer le roi et de mettre un des leurs à sa place ? Après avoir écarté
les princes du sang ils ne visaient à rien moins qu'à les détruire afin de
supprimer tous les obstacles. Et en attendant ils dilapidaient les finances,
corrompaient la cour, semaient partout la haine. Or il se trouva que sur ces
divers derniers points les plaintes des protestants trouvèrent un écho
ailleurs que parmi les hérétiques.
Le gouvernement autoritaire et cassant des Guises n'avait
pas été sans soulever des mécontentements même chez les catholiques. A la
suite de la paix de Cateau-Cambrésis, devant les difficultés financières, les
dettes passées, les lourdes dépenses à solder, les Guises avaient décidé de
faire de notables économies. Ils avaient réduit les dépenses de la cour, diminué
l'armée dans de grandes proportions, restreint les pensions. Ces mesures
provoquèrent chez ceux qui en furent victimes de vives protestations. Nombre
de gentilshommes peu fortunés qui vivaient jusque-là de la guerre furent
privés de leurs moyens d'existence. On leur devait des arrérages : ils les
réclamèrent ; l'embarras du trésor empêcha de les satisfaire ; ils
insistèrent, ils crièrent. Le cardinal de Lorraine n'était pas homme à
supporter de pareils moyens d'intimidation. Il se montra dur et orgueilleux ;
déjà de son naturel il était, dit Brantôme, fort insolent et aveugle, ne regardant guère les personnes
et n'en faisant cas ! Ce fut contre lui et son frère une animosité
ardente. On attribua les refus non à la pénurie du trésor, mais à l'avarice du
cardinal ; les murmures éclatèrent bruyamment. Lorraine crut pouvoir faire
taire les gens en parlant de gibet pour ceux qui se plaignaient, ce qui
n'arrangea pas les choses. Il y avait donc dans la noblesse un fort parti
très monté contre le gouvernement des Guises. Les arguments des protestants
portèrent et ainsi se précisa une opposition politique nombreuse et mélangée.
C'est dans cette opposition qu'allaient se recruter les éléments de la
bizarre entreprise qui fut alors organisée et qu'on a appelée la Conjuration
d'Amboise.
Il existait, courant le monde, certain gentilhomme périgourdin
de petite origine, nommé François de Barry, sieur de la Renaudie. Ce
gentilhomme avait eu jadis des démêlés avec la justice, avait été compromis
dans un procès contre du Tillet et, condamné pour faux et usage de faux,
avait dû passer la frontière. Réfugié en Suisse il s'était fait calviniste.
Sa famille n'avait pas été heureuse, car un de ses beaux-frères était en
prison du fait des Guises. Il allait de ville en ville, lorsque germa dans
son cerveau l'idée d'un coup de force à tenter pour enlever le pouvoir aux
Lorraine et le donner aux Bourbons. De la part de ce modeste gentilhomme
exilé ridée était folle. Il s'en ouvrit à des pasteurs calvinistes, à Calvin
lui-même ; les pasteurs répondirent vaguement que si on n'avait pas le droit
d'attenter contre le roi lui-même, on pouvait sans doute songer à renverser
une tyrannie d'usurpateurs. Ils n'attachèrent pas d'importance aux propos de la Renaudie. Pressé
de plus près, Calvin blâma l’idée. Celle-ci s'étant de plus en plus arrêtée
dans la pensée de son auteur, le gentilhomme revint en France en se cachant
et, au mois de février 1560, il parvenait à Nantes où se tenaient à ce moment
les assises du parlement de Bretagne. Ces assises avaient attiré beaucoup de
gens parmi lesquels la
Renaudie retrouva des amis, gentilshommes calvinistes comme
lui. Il causa avec eux. Tout entier à son projet il le communiqua, mais de la
façon prudente que voici : il proposait de se rendre en corps à la cour et de
présenter au roi une requête ayant pour objet d'obtenir de François II qu'il
accordât aux réformés la liberté de pratiquer leur culte. Si on était en
nombre, plusieurs centaines, la démonstration produirait de l'effet. Ce
qu'espérait la Renaudie,
sans trop le dire, c'était que la manifestation étant considérable, on
pourrait peut-être organiser quelque tumulte à la faveur duquel il serait
possible de procéder à l'arrestation des Guises. Sous la forme où elle était
présentée, d'une sorte de pétition, l'idée parut réalisable à ses amis. Il
s'agissait en somme d'une démarche respectueuse et régulière que le roi ne
pouvait pas trouver anormale et qui tendait à faire diminuer une persécution
dont tous les réformés souffraient. On fixa comme date et lieu du rendez-vous
le 10 mars à Blois où devait se trouver la cour. La question était surtout de
venir en nombre imposant. Les amis de la Renaudie prévinrent ceux qu'ils connaissaient,
prièrent de répéter confidemment ; de bouche en bouche, la nouvelle se
répandit ; elle prit l'apparence d'observations à présenter au roi au sujet
du gouvernement des Guises. Dès lors l'opposition suivit. Parmi les gens qui
s'acheminèrent vers Blois au début de mars se trouvèrent non seulement des
calvinistes, mais des officiers et des soldats mécontents, en quête de
réclamations. Entre temps la
Renaudie pensant toujours à l'essentiel pour lui,
c'est-à-dire la tentative de coup de main, s'en ouvrit à quelques-uns de ses
partisans les plus sûrs ; pour avoir plus de monde, et un monde résolu, il
recruta des bandes de soldats libres d'engagements, sans leur avouer
d'ailleurs ses intentions. A tous il avait recommandé de garder le secret et
de venir au lieu du rendez-vous individuellement ou par très petits groupes.
En définitive, de tous les gens qui s'acheminaient vers Blois en mars, les
uns, les soldats embauchés, ne savaient pas pourquoi ils y allaient ; les
autres, la majorité, croyaient à une simple démonstration respectueuse ; un
tout petit groupe savait qu'il s'agissait au dernier moment de provoquer un
coup de force. Les Bourbon-Châtillon furent-ils au courant ? Il est probable
qu'ils ont eu connaissance de la démarche, mais ils n'ont dû rien savoir du
projet d'attentat. Au fond, l'affaire était très mal engagée, d'une manière
indécise, avec trop de secret et pas assez, trop de monde à la fois et
insuffisamment, des imprévoyances puériles et des prévisions naïves. Les
conjurés auraient pu se douter que jamais le gouvernement n'admettrait près
du roi une telle troupe d'hommes armés arrivant à l'improviste, d'une façon
menaçante, le roi étant toujours entouré de ses gardes et bien défendu.
Les Guises furent mis au courant de l'aventure et de ses
détails les plus précis par un des amis de la Renaudie, un avocat
protestant de Paris nommé des Avenelles, auquel le conspirateur s'en était
ouvert et qui avait été effrayé d'être le dépositaire d'un secret pour lequel
il serait criminellement poursuivi s'il ne le révélait pas. Etant donné le
caractère des Lorraine, la nouvelle provoqua chez eux une colère furieuse.
Les suites allaient cruellement s'en faire sentir.
Le château de Blois étant trop ouvert et pas assez isolé
pour être bien mis à l'abri, les Guises décidèrent de transférer brusquement
la cour à Amboise, place plus escarpée, entourée de hauts murs, facile à
garder. Ce changement dérangeait les combinaisons des conjurés. La Renaudie reporta la
date du rendez-vous du 10 au 16, non plus à Blois, mais à Amboise. Alors le
gouvernement agit avec rapidité et vigueur. Des partis de cavalerie reçurent
l’ordre de battre immédiatement les bois environnant Amboise, aussi loin que
possible et de ramasser tous les individus qu'ils rencontreraient. Les
conjurés arrivaient un par un, à la file, ou par petits groupes ; ils furent
ainsi cueillis sans se douter de ce qui se passait. Les uns, ayant la
conscience tranquille, ne résistèrent pas ; les autres, mettant le pistolet
au poing, furent attaqués et taillés en pièces ; quelques-uns purent s'enfuir
; un certain nombre, prévenu à temps, se sauva : ce fut comme un piège où les
malheureux vinrent se faire prendre. Le matin du 20 mars, la Renaudie, assez
inquiet, cheminait à travers la forêt de Château-Renaud lorsqu'il se trouva
en présence d'une troupe de cavaliers commandée par M. de Pardaillan. Qui vive ! cria Pardaillan. — Liberté ! fit l'autre. Pardaillan reprit : Vive le roi ! et, fonçant sur la Renaudie, lui tira un
coup de pistolet qui le manqua. Alors, d'un coup d'estoc la Renaudie planta son
épée à travers le corps de Pardaillan qu'il tua ; mais à ce moment, un des
hommes de celui-ci s'approchant lui détachait à bout portant dans la tête un
coup de pistolet qui l'étendait raide mort. Le chef de la conjuration
disparaissait avant même que celle-ci eût pris corps. Jamais, dit Calvin, entreprise ne fut
plus mal conçue, ni plus stupidement exécutée !
La nouvelle de cette conspiration provoqua une émotion
énorme. Les Guises la représentèrent comme un complot ourdi contre la majesté
royale, machiné par les hérétiques, un attentat infâme, un crime sans nom !
Leur indignation était sincère, moins en raison du prétendu complot contre le
roi François II, qu'à cause du danger qu'ils avaient couru eux-mêmes. Ils
finirent par croire que ce danger avait été plus réel et plus menaçant qu'au
premier abord ils ne se l'étaient imaginé ; la réaction amena une série de
mesures inexorables. François de Guise commença par se faire nommer
lieutenant général du royaume, ce qui lui donnait une autorité nouvelle hors
pair et lui soumettait toutes les troupes. Puis on procéda à la répression. Les
cachots d'Amboise étaient remplis d'individus qui avaient été surpris dans
les bois. Jugés sommairement, ils furent exécutés en masse : on pendit, on
décapita, on noya. Ce fut une hécatombe sans pitié et sans merci. Les
protestants en conçurent d'autant plus d'indignation que la culpabilité des
victimes, en somme, n'était pas très sûre, en tous cas, pour beaucoup, minime
: ils dirent que les Guises se vengeaient d'avoir eu peur. Pour achever, les
Lorrains eurent le courage de faire pendre les corps de la Renaudie et des
principaux conjurés aux balcons mêmes du logis royal d'Amboise, du côté du
fleuve. Ce fut un spectacle lamentable que celui de tous ces cadavres de
gentilshommes se balançant, desséchés, sur la façade d'Amboise, en vue du
grand pont de la Loire.
Jean d'Aubigné passant près de là avec son fils Agrippa, le
futur écrivain, alors âgé de huit ans et demi, disait à celui-ci en lui montrant
le sinistre chapelet : Mon enfant, regarde bien : il
ne faut pas que ta tête soit épargnée, après la mienne, pour venger ces chefs
pleins d'honneur ! Si tu t'y épargnes, tu auras ma malédiction ! et
Agrippa d'Aubigné avait gardé l'impression ineffaçable de la lugubre scène de
ce tableau de pendus et de l'émotion intense de son père venant lui faire
jurer de venger le sang des martyrs !
Ce ne fut pas tout. A la cour et dans l'opinion, le bruit
se répandit qu'il y avait d'autres auteurs responsables de l'attentat. Une
affaire de telle importance n'avait pu être préparée par un personnage d'aussi
mince valeur que la
Renaudie ; il était légitime de rechercher les véritables
instigateurs parmi ceux qui devaient bénéficier du succès de l'entreprise,
c'est-à-dire parmi les Bourbons. On désigna les Bourbons comme les
inspirateurs de la conjuration. Le roi de Navarre Antoine n'étant pas homme à
avoir conçu pareil projet, ce fut le prince de Condé qui fut tenu pour le
chef de l'entreprise. Dans l'entourage du roi, l'accusation fut acceptée
immédiatement ; elle cadrait trop avec l'intérêt des Guises d'écarter du
trône et de perdre les Bourbons.
Condé fut mandé devant le roi et son conseil afin de
donner des explications ; on l'interrogea : il répondit avec indignation,
humilié d'être soupçonné et de comparaître ainsi en accusé devant ses ennemis
; il protesta ; il défia qui que ce fût d'apporter le moindre commencement de
preuve qu'il eût trempé dans l'affaire ; il offrit de se battre avec celui
qui oserait soutenir le contraire. Toute la famille protestait. Elle y mit
une telle chaleur que les calvinistes, auxquels la rigueur de la répression
avait rendu sympathiques les victimes d'Amboise, trouvèrent un peu excessive
cette façon de décliner tout rapport avec les vaincus, et traitèrent les
princes de lâches. L'incident en resta là,
mais il laissait dans les cœurs des ferments de colère et de haine qui
allaient bientôt porter leurs fruits. La conjuration d'Amboise était la
première tentative, prodrome de la guerre civile. L'expérience avait été
faite qu'on pouvait rassembler du monde en armes. Les coups d'épée et de
pistolet échangés dans les bois autour de la résidence royale avaient été un
essai ; la manière peu adroite dont les Guises avaient rejeté les Bourbons
malgré eux chez les rebelles donnait à ceux-ci des chefs, susceptibles, par
leur qualité de princes du sang, de tranquilliser les âmes loyalistes ; enfin
la question politique qui s'était greffée sur la question religieuse —
domination tyrannique d'étrangers à chasser — amenait à la cause de
l'opposition des partisans furieux. Les deux partis, face à face, excités, se
trouvèrent insensiblement prêts à en venir aux mains.
Alors entre les deux camps commencèrent à paraître un
certain nombre de braves gens plus calmes qui s'affligeaient des passions
soulevées et eussent voulu qu'on s'entendît dans une tolérance réciproque.
C'étaient les continuateurs de la tradition instituée un peu par François Ier,
tradition d'apaisement et d'intelligente bienveillance. Après la conjuration
d'Amboise, précisément, venait de succéder à Olivier comme chancelier de
France un magistrat d'un peu plus de cinquante ans, homme instruit, plein
d'expérience, honnête homme et très digne, dont la
barbe blanchissante, le visage pâle, la façon grave impressionnaient,
l'illustre Michel de l'Hôpital. Son nom dans l'histoire est synonyme de toute
une politique. Il répétait : Patience, patience !
Pour lui c'était le gage et la condition du mieux : Tout
ira bien. Mais provisoirement ce parti trop peu nombreux n'avait
aucune force.
En présence de l'effervescence générale, les Guises partout
levèrent des troupes. Les Bourbons, éloignés de la cour, gardèrent un silence
inquiétant. Dans toutes les villes, exaltés par le martyre, les réformés
avaient repris leurs prêches pendant que les magistrats sévissaient toujours,
D'ici un an, écrivait le secrétaire du roi,
Robertet, le feu sera encore plus allumé qu'il n'est.
On sentait en effet que loin de s'apaiser, les passions s'excitaient à
l'extrême et qu'avant peu on verrait éclater le conflit. Le parti de la
conciliation voulut tenter une démarche d'apaisement. Il demanda à Catherine
de Médicis et obtint d'elle qu'elle provoquât du gouvernement la réunion
d'une assemblée de notables, laquelle étudierait les moyens d'amener une
détente. Les Guises consentirent : l'assemblée se réunit en août 1560 à Fontainebleau,
composée de grands personnages de l'Etat et de notables réformés. Les
Châtillon y vinrent, mais les Bourbons refusèrent de paraître, abstention qui
impressionna la cour. Aux réunions, que présidait le roi, Michel de l'Hôpital
parla éloquemment de la paix. Coligny, qui avait beaucoup d'autorité en
raison de la considération s'attachant à son caractère, — c'était, dit Brantôme, un
seigneur d'honneur, homme de bien, sage, mûr, avisé, politique, brave,
censeur, prisant les choses et aimant l'honneur et la vertu — présenta
une requête des calvinistes normands qui sollicitaient la liberté de leur
croyance et la faculté de pratiquer leur culte sans entrave. Coligny ajouta
qu'il était en mesure de réunir au bas de cette requête plus de 50.000
signatures. Le duc de Guise lui répondit par un discours irrité dans lequel
il répliqua que si Coligny pouvait réunir 30.000 signatures de gens réclamant
la liberté du calvinisme, il en trouverait, lui, un million de personnes s'y
opposant. On discuta. L'évêque de Valence, Monluc, fut d'avis que l'on réunît
des États généraux, assemblée qui aurait plus de poids qu'une simple réunion
de notables et que l'on convoquât un concile national lequel fixerait les
points de la doctrine catholique controversés en réformant les abus
critiqués, s'il y avait lieu. L'idée de cette double réunion parut rencontrer
un accueil favorable. Le cardinal de Lorraine acceptait les Etats généraux,
mais s'opposait au concile. Finalement on adopta la résolution proposée : les
Etats s'assembleraient en décembre 1560 et le concile en janvier 1561, à
moins que le pape ne prît l'initiative d'un grand concile général. On ne
décidait rien au sujet des demandes de Coligny qui se trouvaient renvoyées à
l'examen de l'assemblée prochaine. Les politiques avaient eu gain de cause.
Mais partout les menaces de lutte s'accentuaient. Des
nouvelles arrivaient rendant compte de soulèvements partiels de protestants.
Dans le Dauphiné, Montbrun tâchait de faire prendre les armes à ses
coreligionnaires ; la
Normandie s'agitait ; Villars, lieutenant général du
Languedoc, assurait ne plus pouvoir répondre de sa province ; des bandes
armées étaient signalées courant les campagnes. Le roi et les Guises eurent
la conviction que les Bourbons, et principalement le prince de Condé, étaient
les auteurs de ces mouvements préparatoires d'une rébellion générale. Les
mesures militaires furent multipliées ; on recruta des soldats jusqu'en
Allemagne ; les garnisons des villes reçurent des renforts. Il fut entendu
qu'on s'en expliquerait nettement avec les Bourbons aux États généraux et que
s'il fallait, à leur égard, on irait jusqu'au bout. Mais viendraient-ils aux
Etats ?
D'abord fixé à Meaux, le lieu de convocation de l'assemblée
avait été ensuite transféré à Orléans comme plus sûr. Le roi se rendit dans
cette dernière ville entouré d'un imposant cortège de troupes : il y avait
convoqué le ban et l’arrière-ban de la noblesse ; une armée entière
environnait la place dont on avait désarmé les habitants ; sur tout le
parcours que pouvaient suivre les Bourbons, les garnisons avaient été
renforcées. En présence de pareilles précautions les Bourbons demeuraient
indécis. Leur entourage les suppliait de rester dans le Béarn, de ne pas
s'aventurer ; Catherine de Médicis, soucieuse de parvenir à une entente, leur
disait au contraire de venir, leur offrant des sauf-conduits ; seulement
qu'ils n'arrivassent pas en force, le gouvernement étant décidé à faire
attaquer sur-le-champ le moindre rassemblement suspect. Après de nombreuses
hésitations, ils se décidèrent à venir. L'anxiété avait été générale à
Orléans, la nouvelle provoqua un soulagement. La
plus grande partie des fols, écrivait François II au connétable, me sentant marcher où je vais, retirent un peu leurs
cornes. On estimait que les procédés d'intimidation avaient réussi.
Les Bourbons arrivèrent à Orléans quelques jours avant la
réunion des États. On les reçut d'une façon glaciale. Tout de suite des
explications catégoriques leur furent demandées sur ce qui se passait dans
les provinces et sur leur attitude. Le prince de Condé releva la question
avec emportement ; il s'exclama d'un ton irrité qu'il était l'objet d'infâmes
calomnies de la part des Guises ; serait-il venu s'il n'avait pas eu la
conscience tranquille ? Pour le surplus il donnait des réponses vagues et
dilatoires. Antoine de Bourbon demeurait incertain et réservé. Alors le
gouvernement se décida. Sur l'ordre de François II, le prince de Condé fut
arrêté ; on emprisonna ses officiers et ses secrétaires ; le roi de Navarre,
en raison de sa dignité fut seulement étroitement surveillé ; une commission
judiciaire composée de magistrats du parlement de Paris et présidée par de
Thou, le père de l'historien, eut mission d'instruire le procès de Condé
comme coupable de haute trahison. Condé exaspéré répétait qu'il réglerait cette
affaire personnellement avec les Guises, ses ennemis, à la pointe de la lance ; il consentit d'abord à répondre à ses
juges, puis brusquement les récusa, réclamant de comparaître devant ses pairs
au parlement de Paris. Afin de lui donner une manière de satisfaction on
augmenta le nombre des commissaires, en y appelant des chevaliers de
Saint-Michel, ordre dont le prince faisait partie, et le 26 novembre le
tribunal statuait que le prévenu était reconnu coupable de trahison, d’hérésie
et de conjuration. Michel de l'Hôpital ne contresigna pas l'arrêt, sous
prétexte que l'accusation n'était pas prouvée, les juges n'ayant eu en effet
que des présomptions. L'acte produisit un fâcheux effet. Les protestants
s'indignèrent d'une mesure politique faussement déguisée sous des apparences
judiciaires ; les tolérants déplorèrent un incident plutôt fait pour aggraver
les choses que pour les calmer ; les catholiques ne trouvèrent rien à
répondre, sinon que l'on avait prévenu un adversaire et que c'était de bonne
lutte.
Ce fut sous l'impression pénible produite par cette
arrestation que les députés des Etats généraux s'assemblèrent ; ils étaient
troublés. Enhardis par le succès de leur entreprise, les Guises avaient
décidé de mener la délibération des États dans le sens de la répression la
plus rigoureuse du calvinisme. Leurs plans étaient faits ; ils proposeraient
de faire signer un formulaire de foi catholique à tous les juges et officiers
royaux, de tout ordre de l'Etat, et même à tous les sujets du royaume, un à
un, de paroisse en paroisse, sous peine d'arrestation immédiate : on
viendrait bien à bout de l'hérésie par ce moyen. Ainsi, l'annihilation complète
des Bourbons leur laissait incontesté le pouvoir ; par les États généraux qu'ils
maîtrisaient, ils allaient avoir raison enfin de la Réforme ; les
Guises pouvaient se croire au faîte de leur puissance et de leur grandeur,
lorsqu'un événement sur lequel ils n'avaient pas compté les précipita
brusquement. François II mourait après quelques jours à peine de maladie.
Malingre et chétif, suppurant depuis longtemps de
l'oreille, le malheureux ; petit prince s'était senti saisi tout à coup d'une
faiblesse subite, accompagnée d'une fièvre ardente. On avait tenté tout pour
le guérir. Le cardinal de Lorraine avait fait multiplier les prières, les
vœux, les processions ; le duc de Guise s'était mis en colère après les
médecins, les menaçant de les pendre, les accusant de voler l'argent du roi.
François II, ayant rapidement perdu connaissance, expirait le matin du 4
décembre à onze heures, succombant, les uns disent aux suites d'un abcès au
cerveau, complication de l'inflammation suppurée de l'oreille dont il
souffrait, les autres, de la rupture de l'os temporal suivi d'un épanchement
cérébral. Politiquement, c'était une révolution.
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1838 ; Catherine de Médicis, Lettres, éd. La Ferrière et
Baguenault de Puchesse. Brantôme, Œuvres complètes, éd. Lalanne ; Pierre de la Place, Commentaires de
l'état de la religion et de la République, 1565 ; Régnier de la Planche, Histoire de
l'État de France sous François II, éd.
Mennechet, 1836 ; Florimond de Raymond, Histoire de la naissance, progrès
et décadence de l'hérésie de ce siècle, 1610 : Hubert Languet, Epistolæ
politicæ, 1646 ; J. Calvin, Lettres françaises, éd. Bonnet, 1854 ;
du même, Opéra omnia dans Corpus reformatorum, t. X à XX ; d'Aubigné, Histoire
universelle, éd. de Ruble, 1887.
OUVRAGES. Th. de Bèze, Histoire
ecclésiastique des Églises réformées an royaume de France, éd. Baum et Cunitz,
1883 ; Lutteroth, De la réformation en France, 1859 ; P. Imbart de la Tour, Les origines de la Réforme, la France moderne, 1905
: Weiss, La Chambre
ardente, étude sur la liberté de conscience en France sous François Ier et
Henri II, 1889 : Haag, La
France protestante, 10 vol. ; Doumergue, Jean
Calvin, les hommes et les choses de son temps, 1899 ; Kampschulte, Johann
Calvin, seine Kirche, 1869 : Roget, L'Église et l'État à Genève depuis
la Réforme,
1870 ; F. Buisson, Sébastien Castellion, 1891 ; G. Bouvier, La
question Michel Servet, 1908 ; le P. Maimbourg, Histoire du calvinisme,
1682 ; J. Crespin, Les actes des martyrs, 1565 ; A. de Reumont, La
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Capefigue, Catherine de Médicis, 1856 ; de Ruble, Antoine de
Bourbon et Jeanne d'Albret, 1882 ; René de Bouillé, Histoire des ducs
de Guise, 1849 ; H. Forneron, Les Guise et leur époque, 1877 ; Guillemin,
Le Cardinal de Lorraine, 1847 ; J. Delaborde, Gaspard de Coligny,
1879 ; Dupré-Lasale, Michel de l'Hôpital, 1875 ; G. Paillard, Additions
critiques à l'histoire de la conspiration d'Amboise, 1880 ; Potiquet, La
maladie et la mort de François II, 1893.
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