AU TEMPS DE LOUIS XIII

 

CHAPITRE II. — UN GARDE DU CORPS DU ROI.

 

 

L'exempt des gardes du corps P. de Bordeaux et ses souvenirs manuscrits. — La campagne de 1622 dans le Languedoc : la route de Royan à Sainte-Foy. — Mission de l'exempt au château de la Force ; les soldats maraudeurs. — Assaut de Négrepelisse et incendie de la ville. — Attaque de Saint-Antonin. — Autre mission de M. de Bordeaux au château de Thédirac. — M. de Cavaignac et sa famille. — Les deux prétendants de mademoiselle de Cavaignac. — Les cavaliers de M. de Mortemart. — En route pour Béziers, par Toulouse, Carcassonne, le Bas Languedoc ; impressions de voyage ; les mouches et la chaleur. — Devant Montpellier ; l'étape de Mérargues. — L'exempt tombe malade. — Le médecin d'Aigues-Mortes. — M. de Bordeaux à la mort. — Retour en Normandie. — Louis XIII pendant la campagne ; la rusticité de son existence ; ses logements, sa nourriture. — Il est d'une activité militaire inlassable. — Sa sévérité sur la discipline. — Il fait respecter sa dignité royale. — Il est bon. — Brutalité et cruauté des soldats. — La picorée. — La pendaison et les goujats. — Désespoir des protestants. — Louis XIII, impitoyable pour les rejettes, respecte la liberté de conscience.

 

M. Pierre de Bordeaux, sieur de la Sablonnière, — modeste terre située sur la paroisse de Douains, entre Pacy et Vernon, — était un honnête gentilhomme normand qui s'engagea de bonne heure dans les gardes du corps du roi, au début du XVIIe siècle, et dont, sans doute, les mérites échappèrent à l'attention de ses supérieurs, car il ne dépassa pas le grade d'exempt, degré de la hiérarchie militaire à peu près spécial aux gardes du corps et intermédiaire entre les officiers et les sous-officiers. Sur le tard, il eut l'idée d'écrire quelques-uns de ses souvenirs ; on en a retrouvé deux volumes contenant trois ou quatre épisodes de sa vie : les campagnes de 1622, de 1628, de 1634[1]. M. de Bordeaux est un homme instruit et désordonné. Il connaît le grec et le latin ; il a du goût pour Virgile, Cicéron, Elien, dont il aime à détacher des citations ; il sait composer de courts petits traités : de amicitia, de judicitia, de ebrietate, mais il mêle le tout au récit de ses aventures, encombrant l'ensemble d'aphorismes militaires, de formules de cataplasmes et de gaudrioles inconvenantes. Sa mémoire, par surcroît, ne lui étant qu'insuffisamment fidèle, il fragmente ses impressions pour revenir chaotiquement sur des faits passés.

Tels quels, ses souvenirs contiennent cependant nombre de détails pittoresques qui éclairent les mœurs du temps et aident à connaître de près ses contemporains. Nous allons prendre un des récits, celui de la campagne de 1622 dans le Languedoc et suivre l'auteur pour lui demander les choses par lui veues et remarquées — c'est le titre de ses mémoires — en détachant, ensuite, ce qu'il nous apprendra de la personne de Louis XIII, des soldats du moment et des huguenots. Homme calme et qui ne s'émeut guère, M. de Bordeaux est doué d'une faculté d'observation médiocre. Il ne nuance pas ses sensations. Ce qui le frappe, c'est un brusque détail inattendu, une muraille de brique rouge, un clocher blanc, un pont qui a beaucoup d'arches, une rivière qui n'a pas d'eau. Il dira d'une ville qu'elle est plus grande ou plus petite, deux, trois fois, que Vernon ou Pacy, et pour lui, c'est tout dire. Mais lorsqu'il arrive à quelque incident personnel, il est précis et abondant. Son récit a la valeur d'un reportage, et son témoignage, utile à l'égard de quelques faits historiques, est précieux pour qui veut pénétrer la vie de cette époque[2].

A la tête d'une petite armée appuyée de huit canons, Louis XIII, en 1622, parcourut tout le midi de la France, de la Saintonge à Montpellier, pour s'emparer des places détenues par les protestants rebelles, enlever d'assaut Négrepelisse, bombarder Saint-Antonin, assiéger Montpellier et suspendre, là, par une paix provisoire, la politique de répression qu'avait commencée le connétable de Luynes et qu'allait achever Richelieu[3]. M. de Bordeaux le rejoint le lundi 16 mai, à Royan. Le duc d'Elbeuf l'a précédé sur la Dordogne, en Guyenne, accompagné de huit régiments[4]. Le rude prince de Condé, qui va se distinguer dans cette campagne par une brutalité sanglante, a pris l'avant-garde et s'avance dans la même direction[5]. Le 16, Louis XIII part, suivi du reste de ses troupes.

Les gardes du corps sont avec lui. Ce beau régiment de quatre cent cinquante cavaliers, au brillant uniforme : casaque cramoisie, habit bleu, parements rouges, bandoulières d'argent, est divisé en quatre compagnies dont chacune comprend : un capitaine, un lieutenant, un enseigne et six exempts. Chaque garde, dit archer de la garde, a rang et privilège d'écuyer. Ce sont tous des hommes de choix, et que l'on ménage. Jamais on ne les envoie à l'avant-garde où il y a des coups à recevoir ; jamais ils ne sont commandés pour quelque expédition lointaine aventureuse. Ils suivent le gros de l'armée, n'assistent qu'aux affaires générales et ne marchent que lorsque tout le monde donne. Seuls, les officiers et bas officiers peuvent recevoir des missions individuelles : M. Pierre de Bordeaux en recevra deux.

Le roi et l’armée s'en vont, par étapes, au pas, à travers la Saintonge, traversent Mirambeau, gros bourg, dont le cbàteau juché sur un roc est bon pour des coups de main ; Montlieu, vieil bastiment plat et bas. A Guitres-sur-l'Isle, près de Coutras, on jette un pont de bateau à travers la rivière. De Castillon à Sainte-Foy, le chemin est mauvais ; il a plu. Quant à la contrée elle est fort couverte et fort bonne, la Dordoigne arrousant une belle vallée de chaque costé, avec quantité d'arbres et noyers. Arrivés devant Sainte-Foy, qu'assiège M. d'Elbeuf, les gardes se rendent pour cantonner à Saint-Anthony, à deux lieues du petit château de Saint-Aulaire que son seigneur huguenot a fait fortifier de sept ou huit petites demi-lunes, cornues et pointues[6]. Le pays est dépeuplé. La peste a tout ravagé. Dans les jardins, les cadavres, qui n'ont pas été enterrés, gisent à demi pourris. Il est impossible de trouver du pain, et les valets ne soupent pas. Aux alentours, le renchérissement est général. Ce qui vaut dix sols en Normandie est payé ici quatre livres. L'armée restera là toute la semaine, du lundi 23 mai au samedi 28.

Or, ce jour même 23, M. de Bordeaux est prévenu que le roi le charge d'une mission[7]. Il s'agit de se rendre au château de la Force, situé à trois lieues plus loin pour s'en assurer. Ce n'est pas une expédition, le château ne devant pas résister. L'exempt y pénétrera et en prendra nominativement possession sans coup férir. Le propriétaire, M. de la Force, est précisément celui qui commande dans Sainte-Foy les rebelles assiégés.

Le garde partit, accompagné de quelques hommes. Il passa devant les faubourgs minés de la ville de Sainte-Foy[8], sous le feu des protestants, de l'autre côté de la rivière. Vous allez vous faire tuer ! lui cria-t-on. Au bout de deux cents pas, un coup de feu abattit raide un des soldats sur le chemin, et un jeune domestique d'armée, un goujat, reçut une mousquetade dans la cuisse. Dix ou douze coups de mousquet, en salve, suivirent, et une décharge de fauconneau siffla au milieu de la troupe. De bonne fortune, nous estions aux costés, qui fut un grand hasard de ce que nous ne fûmes point blessés. Ils passèrent et quelques heures après parvenaient au château de la Force.

Le château de la Force était situé sur un petit costeau qui a la vue sur une belle vallée arrozée de la Dordoigne, ce qui est très beau à voir[9]. Les gens qui l'occupaient, apercevant M. de Bordeaux, manifestèrent une émotion méfiante. Leur place, en assez mauvais état, avait été assiégée naguère par M. d'Elbeuf qui, en trois ou quatre jours, lui avait envoyé 350 coups de canon. Un pavillon avait été ruiné ; les murs branlaient, et le château se fût rendu avec ses trente-quatre défenseurs, si le fils de M. de la Force, M. de Montpouillan, n'était venu, à la tête de forces supérieures, faire lever le siège. M. d'Elbeuf avait décampé avec ses six mille hommes, ses deux canons, deux bâtardes et une autre pièce qui se creva[10]. M. de Bordeaux assura par de belles paroles qu'il venait, du commandement du roi, seulement pour conserver le dedans. On lui ouvrit. Le guichet, petite porte à côté du pont-levis — lequel était levé et bouché derrière par du fumier et de la terre — fut abattu. Il fallut passer à cheval sur le petit pont du guichet, la planchette, non sans hasard de tomber dans le fossé et de se rompre le col. A l'intérieur, en tout, il ne restait que quatre ou cinq paysans[11]. Leur chef qu'on appelait le granger, livra les clefs et guida le garde du corps à travers le château. On tourna tout autour, de chambre en chambre. Sur le manteau de la cheminée de la salle M. de Bordeaux remarqua une statue en bronze de Henri IV, représentant le roi à mi-corps. A un angle, il admira, au loin, une vue immense sur la plaine, découvrant jusqu'à Bergerac d'un côté, et Sainte-Foy de l'autre. Le sous-sol du château contenait les écuries dont la porte murée donnait sur le fossé. De la basse-cour flambée il ne restait qu'un pigeonnier dressé sur ses quatre piliers. Au jardinet, placé hors du château, tout était saccagé, les cyprès brûlés, les lauriers coupés. — L'exempt s'installa[12].

Apprenant que le château était entre les mains d'un officier du roi, les paysans des alentours accoururent pour se mettre à l'abri avec leurs femmes, leurs filles, ainsi que leurs bestiaux qu'ils installèrent dans les fossés. Le pays manquait de sécurité. Protestants et soldats royaux battaient la campagne, pillant. M. de Bordeaux accueillit tout le monde et on vit chaque jour des soldats en maraude errer en train de chercher fortune et regarder d'un œil d'envie les aumailles rassemblées par les paysans dans les fossés. Ils avoient bien mal au cœur de voir tant de bestes auxquelles ils n'ozoient rien dire. Sept ou huit, enfin, s'enhardirent et, s'étant concertés, se mirent en devoir, armés de leurs mousquets, de descendre tenter un coup de main. M. de Bordeaux, prévenu, appela aussitôt sept ou huit de ses mousquetaires, leur fit allumer les mèches et, paraissant à une petite fenêtre grillée, essaya d'abord de mettre à la raison les bandits par belles paroles, pour rendre ma cause bonne. De ce qu'il leur disait, les individus ripostèrent d'un plein sault qu'ils ne s'en soucioient pas et qu'il fallait qu'ils eussent chacun un bœuf. Un d'entre eux ajouta s'adressant à ses camarades : Que quatre descendent dans le fossé, et nous, tenons-nous icy avec nos mousquets et nous ferons bien retirer ce monsieur-là qui nous parle à ceste fenestre. M. de Bordeaux commanda de faire feu mais non sur eux, pour cette fois ; il ajouta : s'ils ne s'en vont, je les ferai bien retirer ! La décharge effraya les maraudeurs qui déguerpirent avec leur courte honte.

On apprit que M. de la Force avait rendu Sainte-Foy la veille de la Fête-Dieu[13]. Le roi, comme il avait été convenu d'après la capitulation, envoya l'ordre à Pierre de Bordeaux de remettre le château qu'il occupait à un gentilhomme de M. de la Force, et il vint un certain M. le Gas[14], en cette qualité, suivi de trois ou quatre soldats huguenots. M. le Gas pria l'exempt, sur le point de partir pour rejoindre l'armée, d'emmener avec lui ces trois ou quatre individus, lesquels allaient demander en cour le pardon de diverses peccadilles. M. de Bordeaux consentit, monta à cheval, mais il n'avait pas franchi la porte, qu'un de ces gens tirant son pistolet de l'arçon déchargea son coup de trois balles sur un de ses camarades qu'il atteignit dans la bouche, au nez et à la gorge. Le camarade tomba tué net. Il fut impossible de savoir pourquoi l'assassin avait tire sur cet homme qu'il disait tantôt son meilleur ami, tantôt un inconnu pour lui. M. de Bordeaux fit un procès-verbal, laissa le meurtrier au château et donna un écu, plus une pistole, trouvés dans les chausses du mort, pour faite enterrer celui-ci honnêtement, et prier Dieu à son intention, si le cas escheoit qu'il fut catholique. Après quoi il revint à Sainte-Foy faire rapport au roi de la façon dont il s'était acquitté de sa mission.

Le samedi 28 mai, après s'être reposée deux jours, l'armée royale reprit ses étapes par Monségur-en-Bazadais, Marmande. M. d'Elbeuf en passant avait tout mis à feu, tout démoli. Il ne restait pas pierre sur pierre. Sans cela, observe M. de Bordeaux, c'eût été le plus beau pays qu'on scache veoir. L'étape de Marmande fut faite de nuit : on arriva à cinq heures du matin, le dimanche, et le roi mangea à la poste[15]. Le lendemain, 30 mai, l'armée passa le Lot à Aiguillon. Ce fut la plus inextricable confusion. On avait commandé un pont de bateaux qui fut en retard de vingt-quatre heures. Il y avait à peine dix ou douze barques pour passer, dont la plus grande ne pouvait tenir que cinq à six chevaux. Le roi ne décolérait pas. Il alla voir, après souper, où en était le pont, et trouvant le travail peu avancé, cria à l'ingénieur, M. Le Mesnil des Bouillons : Si je faisois bien, je vous casserois !Il est vrai. Sire, fît l'autre. Le prince resta jusqu'à la nuit. En Hollande, dit Bordeaux, — c'est le pays classique de l'art de la guerre en ce moment, — un homme qui aurait manqué un pont d'une demi-heure eut été pendu au bout de l'ouvrage ! Il achève : On ne vit jamais un pareil désordre !

L'armée gagna Port-Sainte-Marie, Agen, Valence. La pluie tombait. Les chemins étaient détestables[16]. Après Valence, bourg clos de méchantes murailles, de fossés fort étroits et peu profonds, on fit étape à Moissac, sur la porte d'entrée de laquelle Bordeaux remarqua sculpté un gros chien qui tient en sa gueule un trousseau de clefs. Montauban et Négrepelisse étaient les deux grandes places protestantes voisines. Il fut décidé de marcher sur Négrepelisse et, pour joindre la place, on défila devant Montauban, rangé en bataille par précaution[17].

Les contemporains ont été très émus de la prise de Négrepelisse où eut lieu un horrible massacre. Tour à tour protestants et catholiques s'accusèrent. Les premiers dirent que Louis XIII voulut froidement regorgement de la population. Les seconds soutinrent que ce furent les huguenots qui provoquèrent cette répression. Le Vassor, Puységur, Bernard, Pontis, Bassompierre ne parviennent pas à s'entendre. M. de Bordeaux nous donne le récit qui paraît le plus vraisemblable.

Le mercredi matin 8 juin, on envoya Des Bignons, des gardes du corps, avec un trompette, en avant, vers Négrepelisse, pour connaître le sentiment des gens de la ville. A portée des murs le trompette sonna trois ou quatre chamades et deux hommes à cheval accourant de la place lui tirèrent deux coups de pistolet qui manquèrent, et un coup de carabine qui ne réussit pas. Trois régiments furent avancés et échangèrent quelques coups de feu. Le lendemain, trois pièces, mises en batterie, commencèrent la canonnade. La nuit, cent à cent vingt personnes ayant cherché à sortir de la place furent prises et pendues. Le vendredi 10, le bombardement se poursuivit sérieusement avec six pièces de canon, et à six heures du soir, le sergent Boutillon, des gardes françaises, accompagné de quatre hommes, alla pour reconnaître la brèche qu'on avait battue entre la ville et le château — réduit central de la ville. — Accueilli d'une salve qui tua deux de ses hommes, blessa les deux autres et lui mit une mousquetade dans le bras, il put cependant revenir et affirma, sur son honneur, que la bresche estoit raisonnable et qu'on pouvoit donner[18]. Il fut décidé qu'on tenterait l'assaut sans avoir canonné le château, probablement pour le conserver intact, quitte à perdre du monde. L'attaque réussit. Les colonnes d'assaut ne rencontrant aucune résistance à la brèche passèrent. Retirés sous leurs halles, les gens de la ville tentèrent quelques méchantes barricades, mais sans succès. De toutes parts la place était envahie. Une colonne du régiment des gardes françaises avait simplement pénétré par une porte où un sergent, avec son hallebarde, put en branlant trois ou quatre fois le pont-levis, l'abaisser[19]. L'affaire parut peu meurtrière. Il n'y avoit guère seulement d'apparence de sang dans les rues, déclare M. de Bordeaux qui prit part à l'action et monta le fossé au milieu de force espines, ronces et autre tel bois. Cependant le château tirait sur les assaillants. On fit venir le canon pour le forcer et un tambour roula afin de sommer la garnison de se rendre. Des murailles on cria qu'on demandait deux heures pour aviser. Il fut répondu qu'un quart d'heure était accordé. A une fenêtre parut un drapeau Liane et les cris de : vive le roi ! retentirent. Le château se rendait. Il était tard. M. de Bordeaux, qui n'avait pas mangé de la journée, s'en alla par la ville à la recherche d'un peu de pain et de vin au milieu de la confusion générale. Il se heurta à des sentinelles qui barraient les rues et dut donner un quart d'écu à un soldat du poste, lequel alla lui chercher dans un cabaret voisin du pain et du vin ; puis quittant la ville, il rentra coucher au quartier du roi. Le lendemain, à la pointe du jour, étant monté à cheval, il fit le tour des murs à quelque distance et ne vit personne ; il pénétra dans Négrepelisse où il assista au défilé des gens du château qui s'étaient rendus à discrétion : on en pendit 80 ; on en envoya 55 aux galères. Il s'en trouvait qui avaient promis rançon : le roi paya et fit pendre.

Or seulement ce lendemain samedi, jour de Saint Barnabé, entre cinq et six heures du matin, on commença, sans commandement pourtant du roi, de mettre le feu aux maisons. En moins de rien il fut partout. Je fis charger du grain pour mes chevaux et sortis.

L'incendie fut le signal du déchaînement. Les soldats de l'armée royale débridés, enivrés, se précipitèrent, sans rien entendre, au sac et au massacre ; tout y passa, hommes, femmes, enfants[20]. L'incendie dura seize heures. Il ne restait plus à la fin qu'un clocher et le château. Tant qu'on put piller, on pilla. Il y avait peu à prendre, d'ailleurs, la plupart des habitants ayant déménagé à Montauban avant le siège : on ne trouva qu'un peu de blé, de vin, trente à quarante chevaux, du linge, des lits, des couvertures, de la meschante menuiserie, bref, rien ou peu pour le soldat. M. de Bordeaux ne paraît pas ému et ne dit pas qu'on le fut beaucoup près de lui. Le lendemain matin, dimanche 12 juin, Louis XIII se hâtait de faire partir son armée qui prit la direction de Saint-Antonin, autre grosse place protestante qu'on voulait réduire.

De Négrepelisse à Saint-Antonin, par Montricoux, les Granges et Caylus, les chaleurs ardentes commencèrent à se faire sentir[21] Vilain pays, dit Bordeaux, tout plein de cailloux d'un pied d'épaisseur pour le moins et fort larges ; les terres n'y valent rien et sont brûlées. On manqua d'eau. Ce fut détestable. Aux Granges, l'exempt et ses camarades couchèrent dans un colombier rempli de puces.

Arrivés en vue de Saint-Antonin, cette jolie petite ville située aux pieds de coteaux élevés et dont l'Aveyron baigne les murs, on expédia un trompette afin de sommer les rebelles de se rendre. Ceux-ci répondirent qu'ils estoient les très humbles serviteurs du roi, mais qu'ils n'estoient pas pour lors en humeur de l'y laisser entrer et qu'ils garderoient la place pour le service de leur religion, de leur conscience et de M. de Rohan. Ils envoyèrent quinze coups de mousquet sur le trompette qui se sauva.

Le mardi matin, 14 juin, six canons commencèrent à tirer leurs volées sur la ville. Le roi lui-même vint diriger la canonnade, indiquer les emplacements, les buts à Lattre : il pointa une pièce et tua deux hommes. M. de Bordeaux se promena tout le jour au milieu des régiments d'infanterie qui s'approchaient le long de la rivière, enlevaient les moulins, tirant, prenant position. Le régiment de Normandie commença à creuser des tranchées[22]. On envoya chercher trois canons à Albi, trois à Villefranche du Rouergue : cela faisait quatorze en tout. Le lundi 20, les assiégeants firent sauter une mine et essayèrent d'une attaque générale qui coûta soixante morts, quatre-vingts blessés et ne réussit pas. Enfin, le 22 juin. Saint-Antonin battait la chamade et se rendait : elle avait résisté huit jours : il lui en coûta cent mille écus ; à ce prix, la vie des habitants fut sauve, à l'exception de onze notables qui furent pendus[23].

De Saint-Antonin, l'armée royale se dirigeant sur Toulouse par Gaillac alla cantonner le vendredi soir 24 juin à Castelnau-de-Montmirail. Là M. de Bordeaux reçut l'avis qu'il était chargé d'une seconde mission, celle-ci plus importante que la précédente mais analogue : il devait aller s'assurer du château de Thédirac, situé au delà de Cahors et de Catus et qu'occupait un certain M. de Cavaignac, gentilhomme huguenot fortement soupçonné d'être du parti des rebelles.

Dès le lendemain, samedi, l'exempt accompagné du garde du corps Castillon se mit en route. Repassant par Saint-Antonin, où, suivant les instructions reçues, il devait s'entendre avec le maréchal de Thémines, — commandant de la garnison laissée dans la ville, — afin de se faire appuyer de troupes, si le cas échéait ; il gagna Cahors, par Puylaroque, Lalbenque, et le lundi 27 arriva en vue du castel de M. de Cavaignac.

Juché sur une hauteur, le château de Thédirac, qui était une baronnie, présentait une masse imposante ornée de tours à mâchicoulis et de tourelles, flanquée de demi-lunes en pierre, de cinq éperons ou cornes, développant de longues courtines de plus de cinquante pieds de haut et de dix-huit de large[24]. M. de Cavaignac qui s'y trouvait avec sa famille avait été autrefois catholique. Son protestantisme n'était pas des plus obstinés car il lui arrivait, en se levant, de faire le signe de la croix, en quoi il avouait que c'était bien fait ; il consentait à marier ses filles à des catholiques ; à laisser sa femme et ses enfants aller à la messe, au moins quand il n'était pas là ; lui-même n'allait à la presche que lorsqu'il était dans son pays de Cavaignac. C'était un homme rude, à ses heures, et qui s'était mis à dos toute la contrée, tant noblesse, justice que paysans. Il avait un petit-fils d'un premier mariage, le baron de Thédirac, et deux filles d'un troisième, deux belles demoiselles, Louise et Françoise, âgées respectivement de dix-sept et de quatorze ans, riches, l'aînée de quatorze mille livres de dot, la cadette de douze mille[25].

Montant jusqu'au pont-levis, M. Pierre de Bordeaux frappa à la porte. Des soldats se montrèrent sur les murailles, puis parut M. de Cavaignac accompagné de mousquetaires et de hallebardiers. L'exempt lui tendant la lettre de commission qui lui avait été donnée par le roi, notifia qu'il venait au nom de Sa Majesté pour qu'on lui remit le château entre les mains, séance tenante. M. de Cavaignac lut la lettre, réfléchit, après quoi répondit qu'il lui était impossible de faire ce qu'on lui demandait. Il avait dans le château sa femme et ses enfants ; il voulait auparavant les mettre en sûreté, par conséquent demander et attendre un passeport, les chemins n'étant pas sûrs. M. de Bordeaux insista pour connaître le délai qui était nécessaire, et le huguenot finit par dire que le garde entrerait comme il voudrait, mais que la garnison ne sortirait pas ; qu'il estoit très humble serviteur du roy et qu'il garderoit fort bien la place pour son service. L'exempt reprit que cette obéissance ressemblait fort à celle des gens de la Rochelle au parti desquels, évidemment, M. de Cavaignac devait appartenir, puisqu'il refusait d'obéir et qu'il était huguenot. M. de Cavaignac mettant toujours l'excuse de ses filles en avant, je répliquai qu'après tout, elles n'estoient pas de meilleures maisons que madame de Rohan qui estoit pour lors entre les mains d'un de mes camarades[26] et que quand elles demeureroient avec lui dans le dit chasteau, et que j'y serois, il n'y auroit point d'inconvénient ; et il devoit bien plutôt croindre qu'elles ne tombassent entre les mains de deux ou trois mille soldats, ce qu'elles ne pourroient éviter, avant qu'il fust trois jours, non plus que lui d'avoir la tête coupée, avant la huitaine, dans Tholose, et tous ses soldats pendus, s'il n'obéissoit. Rien n'y fit. Je lui dis les meilleures paroles que je pus pour le mettre en bon chemin. Il ne démordit pas. Force fut à l'exempt de quitter la place et de rentrer à Cahors.

Là il expédia M. de Castillon au maréchal de Thémines avec un mot par lequel il rendait compte de ce qui s'était passé. Le soir même M. de Thémines répondait que l'exempt avait à gagner derechef Thédirac, à convoquer le peuple d'alentour ; qu'il allait être soutenu de deux mille hommes de troupes et de deux canons qu'on lui envoyait sous les ordres de M. d'Arpajon : l'affaire devenait grave.

Le lendemain matin M. de Bordeaux quitta Cahors accompagné du vice-sénéchal de la ville, de dix-huit ou vingt archers et du juge-mage, M. Izalie. Parvenu à Thédirac et ayant de nouveau frappé à la porte, il vit venir M. de Cavaignac, suivi d'un gentilhomme, M. de Fléaumont, capitaine au régiment de Pompadour, arrivé la veille pour se reposer et faire sa cour à mademoiselle de Cavaignac, qu'il désirait épouser. Aux premières sommations, M. de Cavaignac opposa d'abord les mêmes réponses que l’avant-veille. Mais il avait été prévenu de la mise en marche des troupes, du dessein de faire convoquer par les archers tous les villageois environnants : M. de Fléaumont, par surcroît, avait appelé sérieusement son attention sur les risques auxquels il s'exposait. Tous deux interrogèrent l'exempt : Ils me firent mille petites questions sur lesquelles je ne les satisfaisois guère. On n'en sortit pas. Impatienté, M. de Bordeaux se retira chez le juge du lieu, résolu à attendre les soldats pour agir. Sur son ordre, les consuls, ou magistrats municipaux de Thédirac, firent déjeuner dans les tavernes du bourg les hommes de la suite du garde.

Après déjeuner, M. Fléaumont arriva. Il demanda à l'exempt des gardes si vraiment il ne venait pas arrêter M. de Cavaignac ; celui-ci en avait peur, voyant avec le garde des gens de Cahors, lesquels le haïssaient mortellement en raison de ce que jadis, lorsque le feu roi Henri IV prit cette ville, ce fut lui, M. de Cavaignac, alors dans les troupes protestantes du roi de Navarre, qui avait planté le pétard au pont-levis de la place et fait sauter la porte[27]. Les habitants de Cahors ne le lui avaient jamais pardonné. Il croyait à une vengeance. M. de Bordeaux assura qu'il n'avait pas d'autre mission que celle qu'il avait indiquée.

Sur les six heures du soir M. de Fléaumont revint avec M. de Cavaignac, encore hésitant, et qui se demandait s'il ne devait pas faire sortir sa famille ou la garder avec lui. On se sépara sans conclure, mais, gracieusement, le châtelain envoya pour souper à l'exempt des gardes ample provision de gibier qui arriva bien, parce qu'il n'y avait plus rien à manger pour lui et pour son monde. Enfin, après souper, tard, M. de Cavaignac reparut avec M. de Fléaumont : celte fois il cédait. Il offrit ses soldats pour garder le château. M. de Bordeaux refusa.

Le lendemain au matin, la garnison défila par la porte qui donne du côté du bourg : elle comptait soixante-dix hommes qui voulurent emporter leurs armes, l'exempt des gardes n'y consentit pas. Quand tout le monde fut sorti — il ne restait plus que M. de Cavaignac, sa famille, sept ou huit domestiques — le garde du corps se fit donner les clefs, les passa à M. de Castillon et pénétra dans les cours suivi de celui-ci, du vice-sénéchal, du juge-mage de Cahors et des archers. Il installa un corps de garde, plaça ses sentinelles et se mit en devoir de parcourir tout le château, chambre par chambre. Il manquait une clef. Madame de Cavaignac assura que la pièce fermée était un endroit là où ses filles mettoient leur linge et menues hardes. M. de Bordeaux insista. Sur le refus réitéré de madame de Cavaignac il envoya chercher une busche pour enfoncer la porte. Lors maistre et maistresse commencèrent à hault crier. Mais il fallut céder. La pièce contenait de quoi armer deux ou trois cents hommes, mousquets, piques, arquebuses, hallebardes, deux barriques de poudre, mèches et le reste. M. de Bordeaux fît tout enlever et ne laissa à M. de Cavaignac que son épée. Celui-ci demeura furieux trois jours durant et comme nous ne laissions pas de boire et manger ensemble, dit l'exempt, nous nous regardions un peu de travers. La mauvaise humeur ne dura pas. M. de Fléaumont, qui était resté au château, y employa ses bons offices.

C’était de l'aînée des filles de M. de Cavaignac que M. de Fléaumont était amoureux. M. de Cavaignac agréait bien la recherche du jeune homme, mais le père du capitaine, vieux bonhomme avare et quinteux ne voulant donner ni écu ni maille à son fils, M. de Cavaignac avait notifié à celui-ci qu'il lui accordait un an pour décider son père, sinon on en resterait là[28]. Cette année s'achevait en septembre 1622. Or au mois de mai, un jeune gentilhomme, M. de Périssac[29] vint demander la main de mademoiselle Louise de Cavaignac, la même. M. de Cavaignac répondit qu'il était engagé à l'égard de M. de Fléaumont, et qu'il ne pouvait accueillir cette requête. Le jeune gentilhomme n'insista pas. Mais le lendemain précisément du jour que M. Pierre de Bordeaux était venu s'installer à Thédirac, on vit arriver sur la route une bande de quelque trente cavaliers : c'étaient M. de Périssac, son oncle M. de Régnac, M. de la Nouaille, des amis, leurs valets et leurs laquais. Et qui fut lors bien (embarrassé) ce fut ledit sieur de Cavaignac, car, comme dit est, il avoit pour lors chez lui ledit sieur de Fléaumont, homme pour ne laisser rien passer à son désavantage, ni au désavantage de la recherche qu'il faisoit de sa maistresse et fort sur l'éclaircissement. En effet Fléaumont jeta feu et flammes et jura que quiconque entreprendroit la recherche de sa maistresse et lui parler d'amour, il se couperoit la gorge avec lui. L'exempt des gardes trancha la difficulté en déclarant que l'arrivée de ces trente cavaliers ne lui disant rien qui vaille, il refusait de les laisser entrer : de quoi M. de Cavaignac fut fort aise, et M. de Fléaumont content et appaisé. La bande dut s'arrêter dans le bourg : on lui envoya de quoi souper. Le lendemain M. de Cavaignac alla voir de quoi vraiment il s'agissait et M. de Périssac s'empressa de lui dire qu'il ne venait certes point pour sa fille aînée mais bien pour la cadette dont il sollicitait la main. Tout le monde fut réjoui. M. de Bordeaux laissa pénétrer dans le château où eut lieu, le soir, un grand dîner, mais, néanmoins, à sa demande, les sept ou huit gentilshommes suivis de leurs valets allèrent résider plus loin, dans une terre de M. de Cavaignac appelée La Tour.

Le 10 juillet il y eut un autre incident. Une compagnie de cavalerie royale forte de cent à cent vingt chevaux et commandée par M. de Mortemart, voulut cantonner dans le bourg de Thédirac. M. de Bordeaux s'y opposa. On manqua en venir aux mains et se tirer des coups de mousquet. Les hommes chargés de préparer les logis, intimidés par l'attitude énergique de l'exempt, se replièrent et M. de Mortemart prévenu fît des excuses si poliment, que M. de Bordeaux touché, l'invita à venir prendre logis au château, où il serait très bien reçu, lui disait-il, par le gentilhomme auquel le castel appartenait, parpaillot, il est vrai, mais brave homme et de présent serviteur du roy. M. de Mortemart déclina l'invitation. Quelques jours après, ayant envoyé un de ses domestiques, un picard, chercher une mantille qui lui avait été volée à Thédirac et qu'on retrouva, l'exempt et son monde s'amusèrent à griser le picard abominablement et se divertirent à le regarder, au moment de son départ, les remerciant dans la basse-cour, à genoux, faisant mille actions ridicules avec un petit chancellement et hoquet qui témoignoient qu'il en avoit assez. Dans l'impossibilité de monter à cheval, le picard se coucha dans un fossé et s'endormit.

Le séjour de M. de Bordeaux à Thédirac dura du 28 juin au 14 juillet. Le conseil du roi, sur le rapport d'un ingénieur, M. Ciette, fort picoté de vérole, fit démolir quelque ouvrage de défense et on rappela l'exempt[30]. Il avait passé son temps le mieux du monde, à jouer en bonne compagnie et (à faire) bonne chère. Les préventions premières disparues, on le trouva charmant, car ils eurent tous regrets de me voir partir, et père, et mère et filles. M. de Cavaignac me donna un pistolet ; il me présenta de l'argent que je refusai ; il donna aussi un pistolet à M. de Castillon et de l'argent à mes valets.

En quittant Thédirac, il s'agissait de rejoindre le roi et l'armée qui étaient loin, quelque part vers le bas Languedoc, Carcassonne, peut-être, ou Narbonne. M. de Bordeaux, toujours suivi de M. de Castillon, se mit en route et hâta le pas. Il franchit le Lot à Castelfranc, coucha au Mas-de-Verdun, méchant village, à Verdun, Grenade ; passa la journée du dimanche 17 juillet à Toulouse où il admira, aux Cordeliers, quarante à cinquante cadavres, tous debout, hors terre, quelques-uns morts depuis plus de deux cents ans et, parmi eux, Paule qui estoit une belle femme il y a trente ans et qui passoit bien son temps ; s'étonna que le gibet s'y appelât Salins, comme si on saloit les hommes là, comme on sale les pourceaux[31] ; et observa qu'il y a dans ladite ville quantité de monastères, de couvents, d'églises. Il gagna, par Gastanet, Monlgiscard, Baziège, Mas-Saintes-Puelles — qui fumait encore de l'incendie allumé par les troupes royales[32], — Castelnaudary dont les vingt et un moulins à vent le surprirent. La chaleur était suffocante. L'armée avait laissé derrière elle, dans cette dernière ville, plus de trois cents malades, sans compter les morts. Les chevaux tombés bordaient la route : il était impossible d'avoir de l'eau. Le lundi 18 juillet, Pierre de Bordeaux fit l'étape de Carcassonne à travers un tout plat pays, couvert d'un bled fort bas et court. Il s'intéressa au battage du froment opéré à l'aide de fléaux, mais non si gros ni si grand qu'en notre pays ; plus souvent sur une aire, où les gens amènent chevaux, mulets et asnes qu'ils font courir et cheminer en rond, en tout dix-huit, vingt animaux, tenus au centre par un homme et chacun un clairon ou sonnette pendue au col, qu'on entend de fort loin. Les landes qu'il aperçut le ravirent, car au lieu qu'en nostre pays ce sont bruyères, ce n'est ici que lavande, tin et marjolaine. Carcassonne ne lui dit rien ; il y remarqua seulement de belles tours et surtout un pont de treize arches.

Le roi en était parti il n'y avait pas longtemps, chassé de la ville basse par un incendie qui commença à onze heures du soir et qu'avaient allumé les parpaillots, disaient les uns, les cuisiniers de Sa Majesté, opinaient les gens de plus d'esprit[33]. L'exempt atteignit Narbonne le mardi 19 juillet. Enfin, apprenant là que l'armée royale cantonnait dans Béziers, il ne fit que passer, courut, et rejoignit Sa Majesté le mercredi 20 juillet.

Le roi et ses troupes stationnaient à Béziers et y devaient encore rester plus de vingt jours. Tout le monde était malade. La sécheresse extrême — il n'avait pas plu depuis plus de sept mois — le manque d'eau, la chaleur torride avaient provoqué une épidémie meurtrière que M. de Bordeaux décrit sous la forme d'un mal d'estomac et de teste avec un échauffement de sang et la fièvre. Les morts se multipliaient ; on les enterrait aux Carmes et aux Minimes, et même les bourgeois commençaient à prendre le mal. L'exempt logea chez un potier qui faisait cuire ses pots dans son four avec de la paille ; — il n'y avait pas de bois ; — et visita Béziers. Ce qui le frappa le plus, ce fut dans la carrière (ou rue) française un grand homme de pierre qu'ils appellent Pepesut, pied pesant. C'est quelque statue du temps des payens, car la ville est fort antique. A l'époque des Anglais, contait-on, des arbalétriers se mettant derrière la statue, qui est au coin d'une maison qui avance plus que les autres, avaient tiré sur les ennemis envahissant la ville et leur avaient fait croire que c'était Pepesut qui les ajustait et qu'il était un diable. Les Anglais avaient pris peur, décampé, et la ville avait été sauvée.

Un détail rendait la vie de Béziers insupportable : les mouches. Il n'y a lieu au monde, s'écrie l'exempt, où les mouches soient plus importunes ! Depuis qu'il est jour il ne faut point espérer de dormir. Elles viennent jusque dans les draps !

Après trois semaines de séjour[34] — le roi en avait été malade et le cardinal de Retz en était mort[35] — l'armée quitta Béziers le 11 août 1622 pour marcher sur Montpellier, dernière place à prendre. Elle passa par Pézenas, où les habitants reçurent Sa Majesté en jetant du sable mouillé sur le sol, tendant des draps sur les rues afin d'éviter la chaleur, et, pour donner plaisir, faisant marcher par la ville une forme de chameau où il y a des hommes dedans qui le font cheminer et qui lui font avancer une longue teste avec force grimaces. A Marseillan, M. de Bordeaux demeura enthousiasmé d'un aloès de la haulteur d'une pique, de deux pieds de tour, tout vert, qui était chez un grainetier depuis près de cent ans et dont il ne put pas arriver à savoir si c'était arbre ou herbe.

On fut le 13 à Frontignan, contrée couverte de vignes noires et blanches, d'oliviers, mais où il n'y a que peu de grains. Les terres sont toutes pierreuses, ce qui rend le vin si fort délicieux. Les gardes du corps allèrent cantonner à Balaruc, tout près, ville de bains où l’on vient de fort loing pour plusieurs maladies et où se voient de belles maisons et de beaux hôtels à l'usage des baigneurs. Mais pour lors, il n'y avoit personne, je croy, à cause de la guerre.

Le voisinage de Montpellier se trahissant par la présence de partis de cavalerie huguenots qui battaient la campagne, il fallut marcher avec précaution, en ordre de bataille. Le pays était plein d'horribles scorpions. Avant d'aborder Montpellier, on traversa, au sud, Mauguio, petite ville à meschantes murailles comme celles du parc d'un gentilhomme ruiné et on s'assura de quelques places aux alentours : Lunel, où le ministre protestant, M. Durand, s'enfuit dès qu'il vit que c'estoit tout de bon que le siège venoit. Le prince de Gondé lira sur la place 940 coups de canon, on en trouva le compte dans les papiers des gens de la ville. Les gardes, qui furent bien logés, eurent du mal à se nourrir. Mais ce qui mit hors de lui M. de Bordeaux, ce furent les cousins, qu'ils appellent en Languedoc bigats et muscaillous. Ils m'accomodèrent le visage de telle façon qu'on eut dict que j'eusse eu la petite vérole ; et les piqûres en sont cuisantes ! Delà, le mercredi 17 août, le roi et ses gardes allèrent assister à la reddition de la ville de Sommières[36], trois ou quatre lieues plus loin, dont les soldats défilèrent pêle-mêle avec les femmes et les enfants, de dix pas en dix pas levant les mains en hault et, le chapeau hors de la teste, criant : vive le roy ! Ils estoient frizés comme barbets et estoient presque tous genevois.

Puis, cela fait, le roi revint sur Montpellier, par Mauguio, et s'approchant de la ville alla s'installer en avant, dans une maison isolée qui appartenait au premier consul de la cité protestante et qu'on fortifia[37]. Le siège commençait. Seulement, ici, il n'y avait pas de quoi loger les gardes du corps. Où ceux-ci devaient-ils cantonner ? Quel était le gîte de M. de Bordeaux ? Les maréchaux des logis avaient oublié de le dire. L'exempt du garde attendit. La chaleur était accablante. Le soleil donnait brutalement et il n'y avait pas un arbre, pas un endroit, tant fut-il petit, pour nous mettre à l'ombre. Notre Normand ayant très faim, un valet alla lui chercher trois ou quatre fois plein son chapeau de raisin, dont il mangea de bon appétit. Enfin les maréchaux des logis arrivèrent et lui annoncèrent qu'il devait aller s'installer à Mérargues. Mais où était Mérargues ? Il partit sur la route poussiéreuse, maugréant, toujours sous la chaleur excessive. Par surcroît il ne put rencontrer personne du pays pour lui indiquer son chemin. A force d'aller et de venir longuement, il finit par atteindre pourtant le village qu'il cherchait[38], exténué, n'en pouvant plus. La maison qui lui était destinée, ainsi qu'au fidèle M. de Castillon, était à moitié démolie et n'avait plus ni porte ni fenêtre. A l'intérieur, rien, ni hoste, ni hostesse, ni pain, ni viande, pas même d'eau : mais dans un coin on dénicha force vin. Bordeaux en but trois ou quatre grands coups sans eau, et me sembla très excellent. Il fallait bien pourtant manger. M. de Castillon sortit à la découverte, et en attendant, l'exempt des gardes alla fouiller dans des jardinages où il finit par trouver des figues. M. de Castillon revint quelque temps après, rapportant une épaule de mouton dans laquelle on mordit à belles dents, sans pain, sans sel, sans couvert. La nuit venue, M. de Bordeaux fit étendre une paillasse sur les dalles de pierre d'une façon de cuisine et se jeta dessus. Mais, à peine était-il couché, qu'il se sentit pris de frissons. C'était la fièvre. Il claqua des dents toute la nuit. Au matin, n'y pouvant tenir, il se releva tout rompu, fit seller, brider son cheval et partit pour le quartier du roi dans l'intention de pousser jusqu'au camp de l'armée, plus loin ; d'aller trouver M. de Briançon, capitaine au régiment de Normandie, un de ses amis, et de lui demander la moitié de son lit, ainsi qu'il avait été convenu entre eux en cas de maladie de l'un ou de l'autre. S'il était trop mal, il se bornerait à manger un morceau et reviendrait se coucher. Il ne put ni dépasser le quartier du roi[39], ni manger quoi que ce soit. Force lui fut de revenir à Mérargues où il se rejeta sur sa paillasse hurlant, réclamant à grands cris un chirurgien. On lui en amena un qui se borna à lui administrer un lavement ; et crois bien que ce n'estoit que de l'eau. Il me saigna aussi et me fit une médecine qui ne m'apporta pas beaucoup de soulagement ! Plusieurs jours durant il demeura dans cet état. Le 10 septembre il se fit porter à Mauguio[40], sur un râtelier de cheval, par six hommes qui lui prirent un quart d'écu chacun, et trouva gîte dans une maison qu'un page de la petite écurie, M. du Mesnil, lui avait préparée en faisant déguerpir ceux qui s'y trouvaient. La première nuit que j'y arrivai et que j'y couchai, on vint pousser rudement la porte de mon dit logis par plusieurs fois ; je l'avois fait appuyer avec des bûches que j'avois trouvées dedans. C'estoient soldats qui cherchoient fortune. Les entendant frapper si fort, je fis lever mes gens et moi-même me levai, bien que faible, mais la crainte d'estre confronté me donna de la force. Je parlai hault à mes valets, de carabine, de pistolets et d'espée, ce qui fit retirer ces coureurs de nuit qui visitoient bien d'autres maisons que la mienne. Mais messieurs du conseil de la ville, craignant quelque coup de main des protestants, ayant demandé et obtenu de nouvelles troupes, qu'il fallut loger, signifièrent à M. de Bordeaux qu'il eût à déménager. Avec bien de la peine le malheureux exempt trouva une autre maison ; il y était à peine installé qu'on lui annonça qu'en huit jours cinq individus y étaient morts de la peste. Il ne prit que le temps de se relever, de ramasser ses bardes et de s'enfuir. Il regagna tristement Mérargues, encore fort las, sans fièvre pourtant, et un maréchal des logis, nommé d'Orangis, le recueillit. Au bout de deux jours la fièvre reparut. Un gendarme du roi, Triqueville, du pays de Caux, lui conseilla d'aller à Aigues-Mortes où il trouverait un bon médecin, M. Girard, homme prudent et expert qui le guérirait[41]. M. de Bordeaux repartit donc à cheval. Arrivé en vue des portes d'Aigues-Mortes il se douta que le corps de garde avait dû recevoir la consigne de ne laisser entrer aucun malade, et que sa détestable mine allait lui jouer un mauvais tour. Un peu devant que d'estre à la sentinelle, je poussai mon cheval le plus vertement que je pus pour m'eschauffer, avoir meilleure couleur et par là tesmoigner que je me portois bien. Mais le caporal du poste, méfiant, reconnut que je n'estois pas trop à mon ayse et refusa de le laisser entrer. M. de Bordeaux insista, affirmant qu'il ne venait que pour dîner et voir une femme, laquelle avait hébergé un de ses amis souffrant, tout dernièrement. Il nomma cette femme et il se trouva que des bourgeois, passants, que le caporal questionna, la connaissaient. Le chef du poste se laissa fléchir et donna à l'exempt deux de ses hommes pour l'accompagner. En route, les soldats faisant remarquer à M. de Bordeaux qu'il avait l'air bien mal en point : Comment ! s'écria le garde du corps, et pour leur prouver le contraire il les invita avenir partager un mauvais dîner. Les soldats refusèrent, puis, au bout de quelques pas, ils dirent à l'exempt qu'il devait connaître le chemin, qu'ils allaient le laisser ; si on leur parlait de lui, ils déclareraient que la couleur de son visage était son ton naturel et qu'il se portait bien. Je fus fort resjouy. Il descendit chez une brave veuve huguenote.

Le médecin qu'on lui avait recommandé, après l'avoir examiné, dit sentencieusement que la maladie dont l'exempt était atteint était une fièvre tierce, comme c'estoit la vérité ; et m'assura dans trois jours de me la faire partir, à quoi il ne manqua. Mais au lieu de tierce il me la donna continue avec un grand desvoyement qui me dura, avec la fièvre, vingt-cinq jours. Ce médecin avait administré à M. de Bordeaux et à d'autres, certaine pilule de sa façon dont les autres moururent net. Il fut obligé de fuir de la ville sous la clameur publique. Le garde du corps s'adressa alors à un médecin de Montpellier réfugié à Aigues-Mortes, bien que huguenot. Il estoit homme de bien et assistoit les catholiques. Cet homme fut très dévoué, vint voir jusqu'à deux fois et dix fois par jour le malade. Celui-ci fut à la mort. On lui apporta même les derniers sacrements. Dans Aigues-Mortes, lorsqu'on va porter Notre-Seigneur à quelqu'un, tant qu'il y a de personnes dans l'église suivent jusque dans la chambre du malade tel qu'il soit, du pays, ou estranger. Je fus estonné lorsqu'il m'arriva ainsi, jusqu'à ce qu'on m'eut dit cette coutume qui est fort louable. Le bruit courut même là-bas, à Vernon, que M. de Bordeaux était trépassé, et son frère, M. de la Mare, accourut en poste, tout pleurant, pour voir ce qu'il en était. Un mieux cependant s'étant déclaré, le médecin notifia au malheureux moribond que la première chose qu'il avait à faire était de s'en aller, quelque faible qu'il fût, et de quitter l'air malsain d'Aigues-Mortes causé par le marais de mer, spécialement pernicieux pour ceux qui, comme lui, estoient nés sous un climat plus bénin et plus tempéré. M. de Bordeaux était bien bas, quoique la fièvre fût partie. A peine pouvait-il se lever pendant qu'on faisait son lit et il était si dolent que la veille encore de son départ je ne pouvois, dit-il, faire deux tours dans ma chambre qui n'estoit pas des plus grandes. Le conseil était bon, il fallait le suivre.

Le samedi 22 octobre, on hissa péniblement l’exempt à cheval. Il fit ses adieux au médecin ; tous deux se quittèrent fort bons amis et contents l'un de l'autre. La première demi-heure de chevauchée fut pénible, puis peu à peu le garde du corps s'assura, et finit par pouvoir faire les huit lieues qui le menaient à Arles, sans descendre. Mais le lendemain, dimanche, à Avignon, il se trouva si anéanti qu'il dut rester deux jours alité à l'auberge à l'enseigne de la Rochelle. Des juifs et des juives vinrent le voir. Il y en avoit plus de cinq cents par la ville, frippiers et usuriers, ne possédant aucuns héritages, mais seulement des meubles ; et font traffic de toutes sortes de choses. Ils se laissent battre comme chiens sans qu'ils ozent se revanger. C'est une misérable sorte de gens. Les hommes portent des chapeaux jaulnes et les femmes une petite pièce jaulne sur la teste[42]. Le vendredi il put arriver à Valence où il coucha au Petit Paris. Il fut à Lyon pour la Toussaint et s'arrêta, avant d'y arriver, à Saint-Saphorin, garnison de deux régiments d'infanterie, ceux de Villerseaux et de Balagny, où était quantité de jeunesse de Vernon, le fils aîné de Charles Normand, Glasson tailleur, un des fils de Jean de Pacy, pâtissier, et plusieurs autres. A mesure qu'il avançait vers le nord, sa santé s'améliorait. Il ne s'attarda pas. Il passa le jour des morts à Tarare et par Roanne gagna la Loire. Il voulut à Nevers profiter du bateau mais il nous prit une tourmente qui nous contraignit à remonter à cheval. Après avoir fait étape à La Charité, Château-Landon, Essonnes, il parvint le dimanche 13 novembre à Paris, alla descendre à la Vallée de Misère[43] dans l'auberge de La Notre-Dame de Boulogne où il demeura quatre jours. Enfin il arrivait le 17 à Vernon et chez lui où je fus malade encore le reste de l'hiver et plus d'un an après. Il n'avait vu ni la reddition de Montpellier ni la fin de la campagne[44] !

Le roi Louis XIII, au moment où M. Pierre de Bordeaux vient de le suivre pendant ces quelques mois d'été de 1622, est un tout jeune homme de vingt et un ans, de taille moyenne, pas aussi mince et sec qu'il le sera plus tard, imberbe, les traits du visage encore un peu empâtés, surtout dans le bas de la figure ; la lèvre inférieure légèrement pendante qui rappelle sa mère Marie de Médicis[45]. A ne s'en tenir qu'aux renseignements que nous donne l'exempt des gardes, il apparaît avec la physionomie d'un garçon autoritaire, vaillant, insouciant des dangers, extrêmement actif, peu difficile sur les commodités de la vie, bon, juste et humain. Ce n'est pas un enfant qu'on conduit mais un prince qui commande et qu'on redoute. Sa vie est régulière et sa journée bien remplie. Le matin, après être levé de bonne heure[46]. il déjeune, puis entend la messe[47] et, au retour, assiste au conseil qui quotidiennement se prolonge. Après le conseil, il dîne. En raison des grandes chaleurs qui ont régné presque tout le temps de la campagne, le repas terminé, le roi se retire pour se reposer et faire une méridienne dans l'ombre d'une chambre close, à l'abri du soleil et des mouches[48]. Mais le plus souvent, toujours dans la retraite, il aime mieux s'amuser à peindre, à tracer des plans et des cartes du pays qu'il traverse, c'est son grand plaisir. Il est aidé par un gentilhomme qui peint et dessine fort bien, M. de Vic[49]. Le gros de la chaleur du jour tombé, il monte à cheval pour aller chasser. Il tire, ou, mieux, il chasse au vol, ce qu'il préfère. Il a emmené avec lui une grande quantité d'oiseaux. M. de Bordeaux raconte qu'à Lunel il fut chargé avec un de ses camarades, le chevalier de Contenant, de faire monter l'eau d'un puits lequel était encombré d'une mécanique où l'on reconnaît, à la description qu'il en fait, une noria. Nous en tirasmes longtemps de cette sorte, dit-il, pour faire baigner les oyseaux du roi. Le prince chasse jusqu'à la nuit, revient souper et se retire de bonne heure[50]. Il monte achevai tous les jours. A Montpellier où la chaleur rend impossible la moindre promenade, il monte de nuit. Si le pays n'est pas sûr et qu'on puisse craindre quelque surprise, le roi est accompagné à la chasse, ou dans ses sorties, un jour par des gendarmes de la garde, le lendemain par des chevau-légers.

Très différent de son fils Louis XIV, dont les voyages aux armées sont des parades fastueuses où rien ne manquera, cour brillante, dames nombreuses, logis magnifiques et festins journaliers, Louis XIII vit comme un simple officier de troupe ; il n'est entouré que de soldats ; il gîte où il peut, mange ce qu'il trouve, frustement, rudement. Si, à Béziers, il loge à l'évêché, confortable édifice qui est sur la place où l'on vend le fruit ; ou à Moissac dans la belle abbaye de la ville ; à Castelnau, près Montpellier, il n'a qu'une méchante maison ; à Castillon-sur-Dordogne il couche dans une chambre d'auberge, à l'enseigne des Trois Rois, aux faubourgs. Pis encore, à Villedieu, devant Négrepelisse, il ne dispose que d'une affreuse masure dont les planchers sont à ce point branlants qu'on en interdit l'entrée de crainte que tout ne s'effondre. Le roi couche à l'étage : la salle du bas sert de salle des gardes, et l'huissier se tient dans l'escalier[51].

Pour les repas, aussi peu d'apprêt. Un jour Louis XIII mange à la poste, le lendemain sous une treille[52]. Le fils de Henri IV a gardé les goûts simples de son père.

Il dîne généralement seul, par besoin de tranquillité et pour aller plus vite. Une fois, à Montauban, il invite à souper quinze ou vingt seigneurs, et M. de Bordeaux est si surpris de cette nouveauté qu'il l'appelle une desbauche. Le roi permet cependant qu'on l'invite lui-même. Dans une circonstance mémorable, M. de Toiras lui donne à souper et aux petits seigneurs et autres. Le lendemain de la prise de Saint-Antonin, le comte de Schomberg le traite sous des tentes[53].

Il arrive qu'on fasse maigre chère. Le 9 juin, devant Négrepelisse, à cette table du roi, il n'y eut point de vin et ne but-on que de l'eau, ce qui n'avoit point été vu par les plus vieux courtisans et officiers de la maison du roi[54]. Louis XIII, si sévère pour les affaires de service, ne dit rien, et s'accommode patiemment des médiocres moyens d'existence que lui imposent chaque jour les hasards de la guerre.

Aux événements militaires et à la marche des opérations il apporte un zèle qui ne se lasse pas et une ardeur impatiente. Il lui arrive de passer des journées entières à cheval pour suivre les mouvements de l'armée. Pendant les sièges, il ne quitte pas la tranchée, s'aventurant témérairement aux points dangereux, voyant tomber du monde autour de lui sans sourciller et ne reculant pas d'un point où les balles sifflent et où ses officiers, à deux pas de lui, sont tués. Il est insouciant du péril. Devant Saint-Antonin il suit les péripéties de l'attaque avec nervosité, se montrant fâché et vexé lorsque la moindre chose ne marche pas comme il le désire. Il hâte les mises en batteries désigne les emplacements et, nous l'avons vu, pour aller plus vite, pointer lui-même les pièces[55]. Il resta à la canonnade terrible qui épouvantoit les parpaillots jusqu'à huit heures du soir. — On avait reconnu qu'au sortir de Moissac l'artillerie aurait grand'peine à rouler en raison de l'état détestable de la route. Il s'occupe de ce détail avec chaleur. Le lundi matin le roi alla à cent pas de la ville pour faire lui-même accomoder le méchant chemin par où dévoient passer six pièces de canon ; et, le conseil tenu, l'après-disner, Sa Majesté alla pour voir passer les canons.

La discipline des troupes lui tient à cœur, cette malheureuse discipline qui a été le fléau de l'administration militaire du règne de Louis XIII, tellement elle a été difficile à maintenir dans des bandes de vieux routiers de profession, bons soldats, mais constamment hors de leurs rangs, à la maraude, ou, comme on dit, d'un joli mot d'argot du temps, à la picorée[56]. Une fois, près de Mirambeau, étant en train de chasser, suivi de sept ou huit gardes du corps, dont était M. de Bordeaux, d'arquebusiers et de tireurs, le roi aperçoit deux gardes-françaises qui faisoient le diable et pilloient tout dans la maison d'un paysan. Hors de lui, il ordonne de faire alte et commande à deux valets de pied de se jeter sur les deux gardes-françaises : Battez-les tout le saoul, s'écrie-t-il avec emportement, et les assommez de coups ! L'exempt des gardes ajoute : Ils le firent fort et ferme et s'il se fust trouvé un bourreau, ils estoient pendus sur-le-champ ! De retour au château de Mirambeau où était l'étape, Louis XIII fait appeler le colonel des gardes françaises, M. de Canaples. Canaples, lui dit-il vivement, il faut que vous mettiez un meilleur ordre dans le régiment de mes gardes qu'il n'y a et que vous les faciez tenir dans leur quartier et suivre leur drapeau ! Le colonel veut excuser ses hommes logés si serrement, dit-il, qu'il fault qu'ils aillent aux villages voisins chercher des vivres pour de l'argent. — Comment ! reprend le roi, ils abandonnent leur drapeau pour aller voler et picorer et vous appelez cela chercher des vivres pour de l'argent ? Si vous n'y donnez un meilleur ordre, doresnavant je vous casserai comme faisant vous-même tous les larcins et voleries !

Une autre fois, à Guitres-sur-l'Isle, le roi rencontre un valet, traînant trois vaches volées à un paysan ; il arrête l'homme et lui demande à qui sont ces vaches. Le valet dit qu'elles sont à son maître, la Pierre, gendarme. On fait venir la Pierre. Qui lui a baillé ces vaches ?Il les a achetées. — Combien ?Vingt livres. — Qui était avec lui au moment de l'achat ?Un autre gendarme de la même compagnie, un tel. On fait venir celui-ci, on le questionne : il répond qu'il n'était pas du tout présent lorsque le prix fut fait. Alors le roi, s'adressant à la Pierre : Je vois bien que vous les avez volées ! Cherchez par tous les quartiers celui qui vous les a vendues et me l'emmenez ; autrement, je vous casserai !

Ce prince de vingt ans qui a le ton ferme et la volonté réfléchie, a conscience de sa dignité royale ; il est sensible sur ce sujet et se fait respecter vivement. Devant Négrepelisse, à Villedieu, Ambleville, fils du gouverneur de Cognac, lieutenant du roi en Saintonge, charges dont il a la survivance[57], vient voir Louis XIII dans cette méchante bicoque dont nous avons parlé, aux planchers tout branlants. L'huissier de la chambre, Ricard, — un huguenot — refuse de le laisser entrer. Le roi, d'ailleurs, souffrant d'un rhume, a condamné sa porte. Ambleville insiste, puis s'irrite, éclate, et finit par lever la main sur l'huissier. En redescendant l'escalier, il croise un de ses amis, Ribœuf. Celui-ci, qui a tout entendu, lui déclare qu'il a eu tort de faire ce qu'il vient de faire, et que si le roi est averti, il peut se fâcher. Encore tout ému, Ambleville sans autre cérémonie, soufflette fort vertement Ribœuf. L'autre riposte, ils se jettent l'un sur l'autre, se collettent et roulent. Au bruit du tapage, les gardes du corps d'en bas accourent et les séparent. Louis XIII, informé de l'incident, fait conduire Ambleville en prison, lui retire la survivance des gouvernements de Cognac et de Saintonge et l'interne pour un an dans Villemur. Quant à Ribœuf, la punition fut spirituelle ; il fut condamné à ne pas recevoir réparation de l'outrage qu'il avait reçu, et à demeurer l'ami de son insulteur[58].

M. de Mortemart vient rejoindre le roi à Béziers en grand équipage, fastueusement accompagné de vingt-cinq ou trente gentilshommes et d'une multitude de chariots et de mulets. Il est resté six semaines ou deux mois par les chemins pour venir ; son entrée est tapageuse. Puis, au bout de quatre jours, sous le prétexte d'affaires quelconques en Poitou, il annonce son départ et vient prendre congé du roi. Louis XIII piqué s'écrie : Oui dà, oui dà, M. de Mortemart ! et après trois ou quatre pas dans la pièce, ironiquement, s'adressant aux seigneurs qui l'entourent : C'est M. de Mortemart qui est arrivé depuis quatre jours et qui s'en retourne ! Ce fut tout ; M. de Mortemart interloqué se retira sans rien répondre. Ce souci du respect qu'on doit à sa dignité et sa sévérité à l'égard des désordres, n'excluent pas chez lui les qualités du cœur. Il en a, et d'excellentes ; il les montre. Lorsqu’il rencontre des femmes qui l'implorent parce qu'on a tout volé chez elles, il s'apitoie et fait donner des pistoles. Il est bon[59]. Nous avons parlé de celte affaire du passage du Lot à Aiguillon où le malheureux ingénieur, M. Le Mesnil des Bouillons, fut en retard de vingt-quatre heures pour achever son pont, et exaspéra le roi qui menaça de le casser. En réalité, le lendemain, le pont n'étant pas terminé, Louis XIII révoqua l'ingénieur. En route, le prince de Condé causant de cette histoire dit au roi : Si c'eust été la Boissière, le pont eut été fait il y a longtemps, mais c'est ici un jeune commissaire en sa charge. L'inexpérience du commissaire atténuait sa faute. Le prince, qui ignorait ce détail parut frappé de l'observation. Et comme nous fusmes au Port-Sainte-Marie, raconte M. de Bordeaux, le même jour, ledit du Mesnil se trouva au souper du roy et dit : Sire, je supplie Votre Majesté de me pardonner ! Le roy dit au Mesnil : Eh bien, je vous pardonne.

Le cœur du prince se révèle encore dans un touchant incident qui se produisit à la reddition de Lunel. Louis XIII entrait dans la place. Un bien vieil homme, vestu de noir, sortit d'une maison qui est sur une muraille ancienne de la ville et demanda si le roy estoit là. On lui dit qu'ouy et on le luy montra. Il se mit à genoux et dit : Sire, les enfants de Dieu furent dans la captivité soixante-dix ans ; enfin il les en délivra. Il y en a soixante que nous y sommes et vostre Majesté nous en a délivrés. Je ne me soucie plus de mourir puisque j'ay vu mon roi ! Le jeune prince fut si ému de cette petite scène qu'il ne put articuler que ces simples mots : Voilà un bon vieil homme, qui parle d'affection !Il estoit grandement touché, observe M. de Bordeaux[60]

Le roi s'affligea, dans le courant de sa traversée du Languedoc du lamentable état sanitaire de son armée. Il devait y avoir sans doute quelque épidémie mal diagnostiquée par les médecins. Elle fauchait tout le monde, et le roi ne savait que faire pour atténuer les effets du fléau. A Béziers, il passa par l'esprit des médecins de prétendre que le mal venait du raisin muscat, qu'il n'y avoit rien qui gastat tant de personnes. Louis XIII commanda sur-le-champ au grand prévôt d'enlever et de faire jeter les raisins muscats qui se trouvoient en la place et faire défense d'en vendre.

Il eut été excusable de ne penser qu'à lui car il fut atteint lui-même. Le mal le prit à Toulouse. Il dut rester huit jours couché. Il voulut repartir, n'étant pas remis, le lundi 4 juillet. Le mardi 5, à Castelnaudary, il retombait. Huit jours encore il resta couché. Puis il remonta à cheval le 12 et le 18 il arrivait à Béziers pour retomber une troisième fois. Ce samedi, écrit M. de Bordeaux, le roi dit en souppant : Je fus malade à Tholose, je le fus à Castelnaudary et crains bien de l'estre ici. Si c'estoit à Paris je penserais pas encore mourir. Mais il me semble qu'un homme est mort dès qu'il est ici malade ! On lui fit prendre des bains de lait. Dès qu'il put, il repartit. Il était dur pour lui-même et impatient[61].

L'impression qui reste de la vie des soldats en campagne au début du XVIIe siècle, après avoir parcouru les souvenirs de M. de Bordeaux, est une impression de brutalité et de cruauté. Ces routiers sans feu ni lieu, se louant à tant par mois pour faire la guerre, que l'on ménage parce qu'il est malaisé d'en trouver et qu'on tient très mal, sont des façons de bandits. Incapables de garder les rangs, malgré d'inexorables ordonnances, ils sont toujours errants, à la recherche de vols à commettre qu'ils compliquent pour peu de chose de meurtres et d'incendies. En temps normal ils sont gais et ivrognes : lâchés dans le sac d'une ville, ils n'ont plus rien d'humain[62].

Leur moindre peccadille est de ne pas payer ce qu'ils achètent. On leur donne une solde avec laquelle ils doivent se nourrir, et des vivandiers suivent les colonnes pour leur fournir de quoi manger. — Ils n'ont droit chez l'habitant qu'au lit, au feu et à la chandelle. — Sur la plainte de ces vivandiers, on punit bien les délinquants, ceux qui ne règlent pas ; mais les punitions étant très sévères, — la corde — on ne peut pas en abuser. Il arrive aux soldats d'être mal payés eux-mêmes, par suite du retard des soldes. Quand ils n'ont plus ni écu vaillant ni crédit chez les vivandiers, ils emploient un stratagème. Ils s'en vont huit, dix, douze, de plus que de moins, chez le vivandier, font bonne chère, puis, feignent de se prendre de querelle, mettent l'épée à la main, organisent un tumulte effrayant au cours duquel le patron inquiet de voir tout casser chez lui les met vivement à la porte et les envoie au diable sans rien leur réclamer. Ils appellent cela faire jouer la mine. Dans les auberges des routes où les cabaretiers, moins au fait des ordonnances et surtout moins en contact avec les officiers auxquels ils pourraient se plaindre, ne sont pas tant à redouter, la procédure est plus sommaire. Les soldats se gobergent, et quand l'hôtelier réclame l'écot, on le rosse et on s'en va. Le cas est particulièrement fréquent. La multiplicité des édits royaux réprimant ce scandale témoigne de son universel usage[63].

Au reste les officiers donnent l'exemple. Soumis au même régime que les troupes, ils doivent, eux aussi, payer leurs hôtes avec leur solde — elle est calculée à cet effet. — M. de Bordeaux paye ce qu'il prend. Mais il constate que le maréchal de Saint-Géran et M. du Hallier, capitaine des gardes du corps, ne payent rien.

Le triomphe des soldats, c'est la picorée. Elle est la coutume ordinaire de la troupe, la pratique journalière, tellement entrée dans les habitudes, qu'elle est presque réhabilitée et ne passe plus pour un mal. Il n'y a que le roi et les ministres qui la poursuivent par considération pour le menu peuple. Les officiers excusent. Que faire pour l'empêcher ? On édicté des ordonnances. Quand le roi prend sur le fait, il sévit : nous en avons vu des exemples. A Castelnaudary trente-quatre soldats sont surpris en flagrant délit. Le roi leur fait donner le fouet, mince représaille ! Il faut subir un des maux inévitables de la guerre[64].

Parmi ces maux, enfin, la pendaison et le meurtre ! Ce sont les régals du métier, la distraction de la besogne. A Négrepelisse, on s'en donna avec furie ! Deux jours durant, écrit M. de Bordeaux, on ne fit que pendre. On pendit tout ce qu'on trouva ; on finit par pendre n'importe qui au hasard, ami ou ennemi, et l'exempt un peu effrayé ajoute : Si nous étions encore demeuré là quelque temps, on eut pendu toute l'armée ! Un huguenot, qu'on va hisser à un arbre, demande d'estre pendu dans la vigne de son père ! respectable fantaisie ! Et comme on l'y menoit, il rencontra un curé auquel il fit une humble salutation et se recommanda à luy. On luy demanda qui il estoit. Il répondit que c'estoit un de leurs ministres. Aussitôt, quoique le pauvre curé pust alléguer, les nostres l'assommèrent. Je le vis mort. Il estoit curé d'un bourg qui appartient à M. le maréchal de Thémines. Le parpaillot fut pendu où il le désiroit[65]... D'Amonville, archer du corps (garde du corps), par deux fois, dans Négrepelisse, fut pris pour parpaillot par des soldats du rég^iment de Picardie qui l'eussent assurément tué si, de bonne fortune pour lui, il ne fust arrivé du monde qui les empêchèrent. Il avait beau dire : Je suis des gardes du corps ! il n'estoit point creu et commençaient de le déshabiller, qui estoit la première chose qu'on faisoit.

Les jeunes garçons de quinze à seize ans que les soldats emmènent chacun avec eux comme domestiques sous le nom de goujats d'armée, voleurs fieffés, vrais chenapans, sont les plus odieux. M. de Bordeaux en entendit qui se vantaient d'avoir pendu, l'un quinze personnes, l'autre dix-sept, un troisième vingt. La corde fit défaut ; alors avec le même nœud coulant, ils montaient les malheureux à un arbre et hors de terre, les laissaient aussitôt retomber et les assommaient. Car à tel arbre on en pendoit douze : ce n'estoit qu'avec une corde. Ce fut de quoy ils manquèrent et non de bonne volonté[66].

Tous les excès naturels aux soudards débridés se retrouvent sous la plume de M. de Bordeaux, digne commentaire des admirables vignettes de Callot. L'exempt note comme une belle exception un trait qui se produisit à l’attaque générale de la ville de Saint-Antonin. Il y avoit plus de soixante femmes qui défendoient. Une belle fille se mit à genoux devant un soldat et lui dit : Faites-moi ce que vous voudrez (en son langage) et me sauvez la vie. — Je n'ai pas le loisir pour cette heure, répliqua le soldat, qui lui donna de l'espée dans le corps et la tua[67].

Les chefs n'ont plus d'autorité pour réfréner les excès lorsque eux-mêmes affichent le mépris de tout ordre en haine des huguenots. Au même siège de Négrepelisse on vient dire au roi qu'un jeune soldat était sorti de la ville avec une jeune fille qu'il aime, qu'il veut épouser, et qu'il pense soustraire aux horreurs de l'assaut en l'emmenant hors de la place. Naturellement on les a tous deux arrêtés et leur affaire ne sera pas longue. Mais Louis XIII, ému de ce petit roman, intervient et ordonne de les laisser aller. M. le prince de Condé passa comme le soldat s'en alloit. Il y avait encore du monde attroupé. Il demande la raison de ce rassemblement, on la lui explique et il se met à interroger le jeune huguenot. Or il échappa à celui-ci de dire qu'il étoit l'année précédente dans Montauban. Ha ! s'écria lors M. le Prince, vous avez grâce pour Négrepelisse et non pas pour Montauban ! Et il donna une pistole à un goujat qui pendit le malheureux !

Dès lors, lorsque cette masse à laquelle ils donnent en détail de tels enseignements leur échappe, ces chefs ne doivent plus s'étonner de se trouver débordés. Au moment où le même prince de Condé allait assiéger Lunel, il promit assez imprudemment le pillage de la ville à ses troupes si celles-ci enduraient le canon. Elles l'endurèrent. La ville fut prise, mais Louis XIII apprenant la promesse faite refusa de la laisser tenir, et pour plus de sûreté interdit l'entrée des soldats dans la ville. Ceux-ci manifestèrent un extrême mécontentement. Lorsque la garnison sortit de la place, précédée des charrettes qui transportaient les armes, s'excitant mutuellement, ils renversèrent les charrettes, et s'emparèrent du contenu : on ne sauva pas quatre mousquets de vingt chartées ; puis ils se ruèrent sur la troupe protestante et massacrèrent sept ou huit cents hommes sans que rien, ni cris, ni prières, ni menaces pussent les arrêter. Les officiers exaspérés tombèrent sur eux. M. de Praslin mit l'épée à la main, blessa trois ou quatre soldats. Un d'eux leva son arme contre lui et fut tué par un gentilhomme des siens. Le maréchal de camp de Bassompierre en fit pendre quelques-uns. La fureur générale calmée, on procéda à un certain nombre d'exécutions pour l'exemple et pour le contentement des parpaillots et pour témoigner qu'on ne leur faussoit pas promesse[68].

Le sentiment des protestants à l'égard de troupes qui les traitent do telle rude manière est une résolution désespérée. Au fond, les soldats exercent leur métier, tel qu'on le comprend au début du XVIIe siècle ; ils agiraient de même à l'égard d'un ennemi quelconque, fût-il espagnol, allemand, ou anglais ; et leurs pareils ne se conduisent pas autrement ailleurs. Pour les religionnaires, l'état d'esprit est différent. Ce sont des bourgeois défendant une cause qui leur est chère[69]. Ceux que, du côté du roi, on nomme avec mépris les parpaillots ont contre ceux qu'ils appellent les ravaillacs ou les philistins une haine exaspérée.

De Négrepelisse, après la prise de la place, le roi envoie un tambour à Montauban pour faire la proposition d'un échange entre des officiers qu'on lui a pris, et des femmes arrêtées dans Négrepelisse. Ils ne voulurent point entendre le dit tambour, écrit le garde du corps ; ils tirèrent sur lui et après l'abordèrent lui donnant plusieurs coups, et lui dirent qu'autant on en attraperoit de ceux du roi, qu'on leur feroit comme on avoit fait à ceux de Négrepelisse et qu'on leur fit de pis qu'on pourroit et qu'ils ne se soucioient ni du roi, ni de la reine et ne luy obéiroient jamais. Ces déclarations sont identiques à celles faites par les défenseurs de Saint-Antonin lorsqu'un trompette vint le sommer de se rendre, nous l'avons vu, et qu'on les reconduisit de douze ou quinze coups de mousquets.

Au même siège de Saint-Antonin, le premier jour de bombardement, environ les trois heures de relevée, un tambour de la ville parut sur l'un des espérons et après avoir fait plusieurs chamades, dit : Je vous commande, de par monseigneur de Rohan, que vous ayez de vous retirer d'icy, ou autrement il vous fera tous pendre avant qu'il soit trois jours ! Si l'on songe que le roi est dans l'armée on mesure l'insolence de la sommation. M. de Bordeaux en est à ce point suffoqué, qu'il ajoute : et croy que le dit tambour estoit yvre !

Lorsque, dans un combat, le corps à corps se produit, c'est chez les protestants de la fureur. A l'attaque générale de Saint-Antonin, une fille se rendit à un soldat et le pria de lui donner la vie. Le soldat en eut pitié et à trois ou quatre pas de là, comme le soldat n'y pensoit pas, elle tira un cousteau, lui en donna dans le ventre et après, se coucha contre terre, à dents, et fut tuée.

Un secours arrive de Montauban vers Saint-Antonin. Les troupes royales vont au-devant de lui, l'attaquent, l'enveloppent et massacrent les huguenots[70]. Un fut trouvé sur un haut rocher, qui tira son pistolet sur un des nostres, qu'il manqua ; ce que ne fit pas le nostre qui lui rompit le bras droit. Et comme ce parpaillot vit qu'il ne pouvoit plus résister, et qu'on crioit : Il le faut pendre ! il dit : Vous mentirez, et si, n'aurez pas l'honneur de m'avoir tué ! En prononçant ces paroles il se jeta de hault en bas dans l'Aveyron et se tua et noya tout ensemble. M. de Bordeaux ajoute : Ils estoient tous désespérés ![71]

Ils savent bien qu'ils n'ont à compter sur rien, pas même sur l'abjuration pour avoir la vie sauve. Lorsque des protestants, au pied du gibel, se fon catholiques on les pend tout de même ; ce qu'ils y gagnent seulement est, qu'au lieu de rester en l'air à pourrir au bout de leur corde, ils sont descendus et enterrés honnêtement en terre chrétienne. A Saint-Antonin, sur onze bourgeois qui furent pendus à la suite delà reddition de la place, quatre ainsi abjurèrent et furent enterrés sans retard. Le profit est mince. C'est que dans l'esprit du roi la question de rébellion prime celle de religion. Cène sont pas des protestants qu'il poursuit — il sera toujours disposé à laisser les gens croire ce qu'ils veulent, — ce sont des sujets révoltés. La croyance religieuse est pour lui subsidiaire, il sévit, quelle qu'elle soit[72].

Les protestants crient : Vive le roy ! mais ils disent Vivent le roy et Rohan ! Vivent le roy et Montauban ! plus souvent Vive l'Evangile ! Vive l'assemblée des églises ! Vivent les églises réformées ! On leur trouve un drapeau aux couleurs royales, bleu, blanc, rouge, tricolore, les couleurs des Bourbons. Mais on leur prend également un drapeau rouge et vert, un autre noir, avec des flammes noires et or, et la devise : Perdam nomen Babilonis, 60. Et ils blanchissent tous les clochers des églises où ils sont les plus forts pour marquer à ceux qui passeroient pays, fussent-ils français, anglois ou d'autre nation, qu'il y a retraite assurée la dedans pour eux. C'est précisément parce qu'il constate qu'anglais, espagnols ou autre nation, ennemis de l'Etal ont retraite assurée dans les villes protestantes, que Louis XIII canonne celles-ci, les prend, et fait mettre au gibet leurs défenseurs[73].

 

 

 



[1] Bibl. nat., Dép. des mss ; nouv. arq. franc., n° 6163 et 6164.

[2] Il a existé à Vernon, au XVIIe siècle, une importante famille bourgeoise du nom de Bordeaux (Bibl. nat., Dép. des mss. Pièces originales, 416-417 : Dossiers bleus, 112 ; Carrés d'Hozier, 112 ; Cabinet d'Hozier, 54 ; Chérin, 31) ; l'exempt devait en faire partie. Il n'a rien de commun avec l'intendant des finances du temps de Louis XIV dont Sandraz de Courtilz à écrit les mémoires (Mémoires de M. de Bordeaux, Amsterdam, 1758, 4 vol. in-12°).

[3] Voir sur cette campagne, Bertrand de Vignoles La Hire, Mémoires des choses passées en Guyenne es années 1621 et 1622, La Rochelle, 1629, in-4°. — Les forces mises en mouvement s'élevaient à seize régiments d'infanterie (L'ordre établi en France pour le voyage du roi avec le nombre des gens de guerre levés, Paris, 1622, in-12°, p. 13).

[4] Mercure français, 1622, p. 446 ; plus, cinq compagnies de chevau-légers (C. Bernard, Hist. de Louis XIII, I, 347). Ce duc d'Elbeuf est Charles de Lorraine, né en 1596, mort en 1657.

[5] Il s'agit du père du grand Condé, Henri II de Bourbon, 1588-1646, auquel le duc d'Aumale a consacré le tome III de son Histoire des princes de Condé. M. Hanotaux trace de lui un portrait sévère (Histoire du cardinal de Richelieu, II, 14-15). En réalité c'était un homme intelligent, prompt, vif, énergique, bien qu'il n'eût pas le caractère égal et mesuré (Voir ce qu'en dit le nonce Corsini, cité par B. Zeller, Richelieu et les ministres de Louis XIII, p. 135). Il était évidemment très brutal, d'une férocité inconsidérée, dit Priuli (Relazioni, II, I, 213). On a cherché à expliquer sa brutalité dans cette campagne par des raisons politiques diverses (Fontenay-Mareuil, Mémoires, éd. Michaud, p. 171 ; Richelieu, Mémoires, I, 263 ; Ambass. vénitien, dans Zeller, op. cit., p. 61). Quoi qu'il en soit, c'était un prince qui savait être très agréable. Il parlait fort bien. (Fontenay-Mareuil, Mém., p. 104 ; Mercure français, t. XIV, 1628, pp. 64 et suiv.). Très sympathique au roi, à ce moment, il touchait 100.000 livres de pension annuelle (Pensions de nosseigneurs et dames de la cour, dans E. Fournier, Variétés hist. et litt., VI, 112).

[6] Ou Saint-Aulaye, canton de Vélines, arrond. de Bergerac, Dordogne. C'est là que loge le roi (Bassompierre, Mém., III, 53 ; Héroard, ms. fr. 4027, fol. 54, r°. Nous n'allons citer que le manuscrit du médecin, plus étendu et plus précis que le texte imprimé). Le château, assis sur la Dordogne, d'une maison plate et sans fossés, avoit esté fortifié de quatre petits éperons appelés éperons à la Huguenote avec de bons fossés tout à l'entour (C. Bernard, op., cit., I, 369).

[7] Le cas de missions confiées à un exempt des gardes est fréquent dans les mémoires du temps. Quand l'exempt n'a pas réussi dans sa tâche, on envoie alors un lieutenant des gardes du corps (Mémoires de Pontchartrain, éd. Michaud, p. 314).

[8] Sainte-Foy-la-Grande, chef-lieu de canton de l'arrondissement de Libourne, Gironde, est décrite telle qu'elle est à cette époque dans : Continuation de la relation de ce qui s'est passé au second voyage du roi depuis le 1er du mois de may 1621. Tolose, R. Colomiez (s. d.), in-8°, pp. 131-2.

[9] C'était un fort beau château qui, commencé sous Henri III, fut achevé sous Louis XIII. La façade, longue de 70 mètres, était précédée d'un péristyle renaissance sculpté et orné de statues. Ce château fut démoli en 1793, par ordre de Lakanal, à l'exception des écuries qui subsistent encore mais sont d'une époque postérieure à Louis XIII (Audierne, Le Périgord illustré, Périgueux, imp. de Dupont, 1851, in-8°, p. 556). M. de la Force lui-même l'avait fait construire par l'architecte Pierre. Henri IV, qui en avait admiré le site et le plan, avait contribué à son édification (Mémoires du duc de la Force, éd. du marquis de la Grange, Paris, 1843, in-8°, t. I, pp. 381 et 383). Ce n'était pas une forteresse mais un édifice bâti pour le plaisir, un lieu de plaisance (Mémoires du marquis de Castelnaut à la suite des Mémoires du duc de la Force, IV, 351, et II, 169).

[10] M. d'Elbeuf était venu attaquer le château de la Force à la fin de janvier avec 3.000 hommes de pied et 500 chevaux, dit le Mercure français (1622, p. 449), malgré la protestation de la noblesse du pays qui faisait observer que c'était là une maison particulière et ouverte (Mém. du duc de la Force, II, 169 ; III, 239). M. de la Force, appelant à lui son fils M. de Montpouillan qui menait 1.500 arquebusiers, vint attaquer M. d'Elbeuf, lequel leva le siège. Voir sur le détail de cette affaire les Mémoires du marquis de Castelnaut, autre fils de M. de la Force (IV, 355) ; Bertrand de Vignoles (op. cit., pp. 34-35).

[11] Au dire des contemporains, il semblerait qu'après le départ du duc d'Elbeuf on ait neutralisé le château entre les mains de M. de Bourdeille, sénéchal et gouverneur du Périgord (Mercure français, p. 449 ; Mémoires du comte de Brienne, éd. de 1719, t. I, p. 135 ; Bernard, 1, 348). Il n'est fait aucune allusion ici à cet arrangement.

[12] Il y eut un pavillon percé tellement qu'il n'avoit plus qu'à tomber. Les arbres furent coupés et le feu fut mis à une allée de cyprès aussi belle qu'il s'en pouvoit voir (Mémoires de Castelnaut, IV, 351). La maison fut incommodée d'un pavillon qui fut entièrement ouvert d'environ 400 coups de canons et de quelques coups perdus dans les croisées, dans les toits et dans les cheminées (Mémoires du duc de la Force, II, 177).

[13] Moyennant la réintégration dans tous ses biens, 200.000 écus et le maréchalat (Mémoires du comte de Brienne, qui a mené la négociation, éd. de 1719, t. I, p. 138 ; Mercure français, 619-620). Fontenay-Mareuil, qui était au siège où il reçut trois coups de mousquet (Mémoires, p. 167), trouve ce traité exorbitant (Ibid.). Louis XIII expliqua à Bassompierre qu'il n'avait pas pu faire autrement que de le conclure pour le bien de nos affaires, dit-il, et afin de ne laisser aucune chose derrière moi (Bassompierre, Mémoires, III, 52-53).

[14] Peut-être Jean Gast, secrétaire du duc de la Force (Mémoires du duc de la Force, II, 420, 550-1).

[15] Le roi, dit Héroard (ms. fr. 4027, fol. 55 v°), logea à l'hôtellerie des Trois-Mores et soupa sous une feuillée.

[16] Héroard raconte (Ibid., fol. 58 v°) comment Louis XIII voulut, à Valence, aller chasser avec son harquebuse à mesche, mais qu'il fut obligé de rentrer devant la pluie persistante. En raison du mauvais état des chemins l'armée dut aller plus lentement, canons et munitions ne pouvant avancer (Mercure français, p. 635).

[17] Les habitants de Montauban furent bien aises de voir qu'on n'investissoit point leur ville (Mémoires du comte de Brienne, t. I, p. 144). Louis XIII avait si péniblement échoué au siège de la place l'année précédente qu'il ne se souciait pas de recommencer la faute du siège de Montauban (B. Zeller, Richelieu et les ministres de Louis XIII, p. 79).

[18] Ce Boutillon, sergent de la compagnie du Bourdet (Bassompierre, Mém., III, 67), a une manière de célébrité. On parle souvent de lui dans les mémoires du temps (Puységur, Mémoires, éd. Tamizey de Larroque, t. I, p. 41). Il eut le bras cassé en allant reconnaître la brèche. Deux escouades de quatre hommes chacune, menées par les sergents Gade et Gotelaine, le suivaient à distance pour l'appuyer (G. Bernard, I, 379).

[19] Ce fut Louis XIII lui-même qui régla la composition des colonnes d'assaut (Ibid.). Le régiment des gardes françoises qui eut la pointe donna si chaudement que n'ayant pas trouvé sur la brèche grande résistance, il entra le premier dans la ville (Mercure français, p. 637). M. de Toiras, capitaine aux gardes, avait conseillé le point à battre pour la brèche (Mém. de Bassompierre, III, 63).

[20] Puységur (Mémoires, I, 21) dit que la ville fut emportée d'assaut et brûlée, que tous les défenseurs, sauf dix, furent tués. — Pontis (Mémoires, édition de 1676, I, 206) conte une histoire d'après laquelle ce serait lui qui serait allé prendre les ordres de Louis XIII, pour l'attaque et que le roi aurait commandé de tout massacrer. Mais les Mémoires de Pontis sont à bon droit suspects d'inventions romanesques. Le protestant Le Vassor a recueilli l'information de Pontis et l'a augmentée de détails imaginés à plaisir, tels que discours, propos, attitudes ; toutes choses qu'aucune des sources qu'il cite n'indique. Son récit (Hist. de Louis XIII. Amsterdam, 1702, in-12, t. VI, p. 414) n'a pas de valeur historique. — C. Bernard est plus véridique lorsqu'il soutient qu'on discuta devant Louis XIII, alors dans son lit souffrant (Hist. de Louis XIII, I, pp. 378-9), le châtiment qui devait être infligé aux gens de Négrepelisse pour leur rébellion. Le prince de Condé poussait à la sévérité ; le cardinal de Retz conseillait la clémence. Le roi se prononça pour un tempérament. De toutes façons, en ce qui concerne le massacre, Sa Majesté ne le commanda point et n'y consentit jamais (Ibid., I, 392).

[21] Il faisoit une chaleur extrême, dit Héroard (op. cit., fol. 75 v°). A Montricoux le roi dormit avec inquiétude à cause de la chaleur du temps (Ibid., fol. 61 r°).

[22] Picardie, Estissac et Bury boucloient la place du côté de Négrepelisse ; les gardes, Navarre, Normandie et Chappes attaquaient en suivant la rivière (Mercure français, p. 641). D'après la même source ce fut le régiment de Chappes qui ouvrit la tranchée.

[23] Parmi les onze pendus se trouvait un ministre protestant, ancien père cordelier. On fit sur lui les vers suivants (Mercure Français, p. 649) :

Un moine de longtemps sa corde avoit quitté

Pour, dans Saint-Antonin, prendre le court manteau

D'un maître éhonté. Mais enfin ceste année

Il a trouvé sa corde en la main d'un bourreau.

 

Ministre, recevez ce cordon de bon cœur ;

Le premier s'est perdu pour estre sur la hanche ;

Cestuy-ci mis au col est plus ferme et plus sûr

Car, de surcroît, il a pour renfort une branche.

[24] Thédirac ou Théderac est aujourd'hui un village du département du Lot, arrondissement de Gourdon, canton de Salviac. La baronnie, au moyen âge, dépendait de la vicomte de Turenne (Arch. dép. du Lot, série F., liasse 463). Elle appartint jusqu'en Li93 à l'importante famille des Luzech (J.-B. Gluck, Album historique du dép. du Lot, Paris, 1832, in-fol. p. 132). L'un des membres de cette famille, Antoine de Luzech, évêque de Cahors, reconstruisit l'église de Thédirac que les Anglais avaient ruinée (G. Lacoste, Hist. gén. de la province de Quercy, Cahors, 1886, t. IV, p. 24). Thédirac était le siège d'une justice seigneuriale (Arch. dép. du Lot, série B, liasse 1097).

[25] Les Cavaignac tiraient leur nom de la localité de ce nom (canton de Vayrac, arrond. de Gourdon, Lot). Celui dont il est ici question est Bertrand de Cavaignac qui fut un des plus actifs capitaines protestants du pays. En 1584, comme lieutenant du vicomte de Turenne et commandant la garnison de Beaulieu, il avait attaqué avec plus de 600 hommes le château de l'escher, près de Sérilhac (Marche, La vicomte de Turenne, Tulle, imp. de Crauffon, 1880, p. 146). A son tour, en 1585, le duc du Maine l'assaillit dans Beaulieu et lui enleva la place de force (G. Lacoste, op. cit., IV, 272).

[26] Il s'agit de Catherine de Parthenay, qui avait épousé René II, vicomte de Rohan, et qui était mère du duc de Rohan, chef des protestants à ce moment en France. On ne voit pas bien à quel incident de sa vie, en 1622, fait allusion M. de Bordeaux (Cf. C. Merland, Catherine de Parthenay, Nantes, imp. de Vve Mellinet, 1875, in-8°).

[27] D'après Sully (Economies royales, éd. aux trois V verts, in-fol., p. 24-26) ce serait le vicomte de Gourdon qui aurait mis le pétard à Cahors, accompagné du capitaine Saint-Martin et de M. de Roquelaure (cf. Cathala-Gouture, Hist. polit. de Quercy. Montauban, 1785, in-12°, t. II, p. 31). Cependant un acte retrouvé dans les archives notariales de Maurs nous apprend que le 8 juin 1584, le roi Henri de Navarre se trouvant à Cahors et voulant reconnoitre la perte que Bertrand de Cavaignac a faite d'un cheval à la prise de ceste ville de Cahors où il a le premier hasardé sa vie, lui donne le dixième denier de la rançon d'un prisonnier de guerre détenu à Figeac et les dîmes de la présente année des paroisses de Galgan, Nanssac et Foissac en Rouergue (Communication de M. Godefroy Cavaignac). L'attaque de Cahors ayant eu lieu le 29 mai 1580, il y avait quarante-deux ans ; cela ne rajeunissait pas M. de Cavaignac qui doit avoir environ soixante-dix ans.

[28] Ce M. de Fléaumont, fils de M. de Molle, avait quatre frères. Leur père est fort âgé et est d'une humeur fâcheuse et leur est fort rude (Bibl. nat., nouv. acq. fr., 6163, fol. 231).

[29] Fils d'un M. de Campagnac.

[30] Ils sont trois frères en cour qui se nomment Ciete, tous trois ingénieurs. L'un des cadets vint audit Tédirac prendre le plan des fortifications du château et l'ayant reporté au conseil, on marqua de rouge sur son plan ce qui devoit estre abatu, qui n'estoit qu'une corne qui estoit derrière le logis... M. Izalie, juge-mage de Cahors, eut la commission de faire la démolition (Ibid., fol. 269). M. de Cavaignac eut de la chance, car on fit démolir à ce moment nombre de châteaux (Mercure français, p. 652).

[31] On venait précisément d'y pendre le 12 juillet deux protestants, l'un, moine espagnol, renégat, l'autre, espion, accusés tous deux d'avoir voulu attenter à la vie du roi (Ibid., p. 790). — Sur Toulouse au XVIIe siècle, voir le P. de Varennes, Le voyage en France, Paris, 1639, in-8°, pp. 118 et suiv. ; — J. de Laet, Gallia, Lugduni Batavorum, 1629, in-24°, p. 77 ; — A. Götnitz, Ulysses belgico-gallicus, Amsterdam, 1653, in-16°, pp. 529-540.

[32] Cette bourgade (canton de Castelnaudary, Aude), fut brûlée par le maréchal de Praslin parce qu'il y avoit plus de soixante ans qu'elle ne vivoit que de larcins et de brigandages, rendant tous les paysans tributaires (C. Bernard, Hist. de Louis XIII, I, 386).

[33] Cet incendie fut considérable ; il consuma 250 maisons et une partie de l'église des Cordeliers (Dom Vaissète, Hist. gén. du Languedoc, éd. Privât, XI, 970). Le P. Bouges (Hist. ecclés. et civile de la ville et diocèse de Carcassonne. Paris, P. Gandouin, 1741, in-4°, p. 429) conte longuement les détails de ce sinistre qui commença à onze heures du soir. On crut, dit-il, que ce feu qui, dans son commencement, n'avoit pris peut-être que par accident, avoit été augmenté et entretenu par les calvinistes appelés dans ce pays parpaillots.

[34] Le duc de Rohan prétend que le roi séjourna à Béziers si longtemps pour attendre ses munitions et fortifier son armée (Mémoires, éd. Michaud, p. 536). C'est bien en réalité pour y laisser passer les grandes chaleurs (Mémoires de Brienne, éd. de 1719, I, 146), et les ardeurs de la canicule qui sont grandes en ces contrées (Mercure français, VIII, 662 ; Bassompierre, Mémoires, III, 92).

[35] Henri de Gondi, cardinal de Retz, évêque de Paris, suivait l'armée comme chef du conseil du roi. Il ne mourut en réalité que cinq jours après le départ du roi (Mercure français, VIII, 804). Richelieu qui ne l'aimait pas et trace de lui un portrait défavorable le fait tomber malade à Lunel d'une fièvre d'armée (Mémoires, I, 267). Le cardinal de Retz logeait dans la carrière française. On mit, ajoute M. de Bordeaux, aux deux bouts de la rue, pendant qu'il fut malade, des piliers de bois, de peur que les charrettes y passassent ; et les tambours des compagnies entrant et sortant de garde cessoient de battre lorsqu'ils approchoient de sa maison (Bibl. nat., nouv. acq. fr., 6163, p. 320).

[36] Le duc de Rohan se plaint de ce que ses coreligionnaires aient défendu la plupart, de ces places. Si j'eusse été cru six mois devant, dit-il (Mémoires, p. 540), on eut démantelé Lunel, Mauguio, Massilhargues et Aymargues, en fortifiant bien Montpellier, Nîmes, Uzès, et Sommières pour la commodité des Cévennes. Nous avions des hommes assez suffisamment pour faire une gaillarde résistance. Mais l'imprévoyance des peuples et l'intérêt particulier des gouverneurs des places firent rejeter mon avis dont, depuis, ils se sont bien repentis. Sur ces faits, voir Fontenay-Mareuil, Mémoires, p. 169 ; le Mercure français, VIII, 797.

[37] Cette maison, appelée Castelnau et appartenant au consul Aimeric, est décrite par Héroard (ms. fr., 2047, fol. 91 r°) ; C. Bernard (Hist. de Louis XIII, I, 409) ; P. Corbière (Hist. du siège de Montpellier, Montpellier, 1866, in-4°, p. 63) ; le Mercure français (VIII, 812) ; Puységur (Mém., I, 27).

[38] Mérargues ou Meyrargues est aujourd'hui un hameau de la commune de Vendargues, canton de Castries, sur la Cadoule, à 9 kil. de Montpellier.

[39] Le régiment de Normandie était hutté à droite du logis du roi, sur le coteau des Olivettes (Mercure français, VIII, 812. — Voir aussi Michel Baudier, Hist. de Toiras, p. 18). L'armée royale s'élevait à ce moment à 20.000 hommes de pied et 3.000 chevaux (Mémoires du duc de Rohan, p. 538 ; dépêche du nonce Corsini, dans B. Zeller, Richelieu et les ministres de Louis XIII, p. 134).

[40] Mauguio venait d'être enlevé par le duc de Montmorency malgré la résistance des trois ou quatre cents protestants que le duc de Rohan avait jetés dans la ville (Histoire de ce qui s'est passé à Mauguio de 1622 jusqu'en 1632. Biblioth. de la ville de Nîmes, ms. n° 13844 ; Cf. Vaissète, Hist. gén. du Languedoc, XI, 974).

[41] Aigues-Mortes avait été livrée au roi récemment par le protestant M. de Châtillon qui eut pour la peine le bâton de maréchal (Mémoires de Brienne, I, 150). Le roi y était venu quelques jours auparavant, le 22 août, et y avait laissé pour gouverneur le marquis de Varennes (Bassompierre, Mémoires, III, 109).

[42] Voir ce que dit M. Hanotaux des juifs d'Avignon d'après les témoignages des contemporains (Hist. du cardinal de Richelieu, I, 187). Ce texte-ci confirme et complète.

[43] Place située à gauche du grand Châtelet dont le nom venait de l'aspect lamentable qu'elle avait eue en 1490 du fait des ruines causées par une inondation. Le quai qui suivait (aujourd'hui quai de la Mégisserie) portait le nom de vieille Vallée de Misère qui fut remplacé au XVIIIe siècle par le nom de quai de la Ferraille (Plans de la Caille et de Turgot).

[44] La campagne se termina par la paix de Montpellier que négocia le duc de Rohan, lequel fut très attaqué du côté protestant pour l'avoir conclue (Mémoires du duc de Rohan, p. 538, et sa défense dans son Discours sur les raisons de la paix faite devant Montpellier 1622, Ibid., 539). — Louis XIII fit son entrée dans la ville le jeudi 20 octobre 1622 (Héroard, ms. fr. 4027, fol. 110 v°).

[45] De figure, il tient plutôt de sa mère, dit l'ambassadeur florentin A. Cioli (cité par B. Zeller, La minorité de Louis XIII, p. 126). Voir la belle médaille de G. Dupré qui le représente à peu près vers cette époque.

[46] En temps ordinaire, six heures, six heures et demie (Héroard, ms. fr., 4027, fol. 50 v°) ; suivant les nécessités de l'étape, trois heures ou quatre heures (Ibid., fol. 74 v°).

[47] On dit la messe au roi Louis XIII (la messe quotidienne fait partie du cérémonial de la vie d'un roi de France jusqu'à la fin de l'ancien régime), dans la chapelle du château qu'il habite, dans l'église voisine ; à défaut, comme à Négrepelisse, en la rue, sous le portique de son logis (Héroard, Ibid., fol. 60 v°).

[48] Il fait mettre dans son cabinet de la paille humide sur laquelle il se couche et dort de une heure à trois ou quatre (Ibid., fol. 73 v°, fol. 74, 75). Bien qu'il souffre de la chaleur, Louis XIII, remarque le médecin, n'est jamais en transpiration (Ibid., fol. 83 v°).

[49] Héroard confirme le fait que le roi a beaucoup dessiné de plans pendant la campagne (op. cit., fol. 64, 76, 77). Nous avons conservé quantité de dessins manuscrits de ce genre et de cette époque (Section des cartes et plans de la Bibliothèque nationale). Ce sont des œuvres bien faites et qui montrent que la cartographie était très poussée à cette date. Louis XIII s'y entendait fort bien. Un jour où l'on discutait devant lui de la marche de l'armée sur Négrepelisse et que personne ne se rappelait la configuration des lieux, le roi demanda du papier, une plume, et, de mémoire, traça la carte de la région depuis la Française jusqu'à Négrepelisse (G. Bernard, Hist. de Louis XIII, I, 375).

[50] Après dîner, fréquemment, le roi fait faire de la musique, chante lui-même (Héroard, op. cit., fol. 34, 71), chante la guimbarde et autres chansons (fol. 31) ; ou joue aux cartes avec Schomberg, Puisieux, Montmorency, Bassompierre, Toiras, etc. (fol. 70, 75.)

[51] Le roi vient loger en une pauvre mestairie de païsan où il n'y avoit qu'une chambre proche du toit qui se voyoit à découvert et à laquelle il falloit monter par une échelle. Du bas, qui servoit à un cellier, on fit la salle pour ses gardes. Il y a peu de laboureurs qui n'ayant de meilleurs logemens (C. Bernard, Hist. de Louis XIII, I, 377). Devant Saint-Antonin dans la maison qu'habite le roi, il n'y avoit qu'une chambre de dix à onze pieds en carré, dont le plancher estoit si bas que son lit, à grand'peine, y pouvoit estre dressé (Ibid., I, 381).

[52] Ici sous un prunier, là dans un champ labouré, au grand soleil (Héroard, op. cit., fol. 59 v°).

[53] (Héroard, fol. 64 v°) A Agen le roi dîne chez l'évêque (Ibid., fol. 57 v°) ; à Moissac, chez le prince de Condé (Ibid., fol. 58 v° ; le médecin donne le menu). A Toulouse le prince de Joinville (fol. 68 v°) le reçoit. Le roi arrivé à huit heures et demie, s'en va à neuf heures et demie.

[54] D'une façon générale, cependant, les services de cuisine de bouche, gobelet  — suivant le roi, celui-ci a tous les jours, à peu près, ce qu'il faut et même ses plats préférés. Héroard nous donne ses menus de chaque repas. Voici le menu du déjeuner pris dans un champ labouré le 8 juin : 20 cerises crues, cuisses et ailes de deux gelinottes rôties ; estomac d'un poulet d'inde ; vin claret ; dragée de fenouil.

[55] Bernard et Héroard, deux témoins oculaires, confirment ce détail. Sa Majesté, dit le premier (Hist. de Louis XIII, I, 385) étant assidue en cette batterie où estoient les deux pièces (sur une montagne qui donnoit comme à plomb à la porte du Prat) se plaisoit à les pointer lui-mesme. Et le second : Le roi, à dix heures, monte à cheval et va au camp au-dessus d'une batterie où il y avoit deux couleuvrines ; en pointe par deux fois, tire sur des paysans qui remparoient ; à la deuxième fois en tue deux (fr. 4027, fol. 62 r°).

[56] Ce mot viendrait d'après P. Monet (Inventaire des deux langues française et latine, Lyon, 1635, in-fol., p. 655) du latin pecorare, enlever des troupeaux. Estienne Pasquier dit que ce mot est de son siècle (le XVIe) (Recherches de la France, Paris, 1643, in-fol. p. 683). Angot de l'Eperonière écrit des soldats maraudeurs qui ravagent la Normandie en 1620 (Les Nouveaux satires et exercices gaillards de ce temps, Rouen, 1637 in-12, p. 81) :

Cette engeance d'enfer que la faim espoinçonne

Froisse tout, pille tout, sans respect de personne.

Ce ne sont point soudards, ce sont des picoreurs

Qui sont de l'Ante-Christ les vrais avant-coureurs.

[57] De la famille des Jussac, seigneurs d'Ambleville en Saintonge (P. de Lacroix, Les Jussac d'Ambleville, dans Revue de Saintonge et d'Aunis, 1er juillet 1900).

[58] Ch. Bernard raconte, mais plus succinctement, cet incident ; il ne donne pas les noms des personnages. Il ajoute que le maréchal de Praslin conseilla au roi, pour punir Ambleville, de l'envoyer reconnaître la brèche de Négrepelisse, opération si dangereuse qu'il ne s'en tirerait pas indemne. Le roi refusa disant assez justement que ce ne serait pas là punir Ambleville, mais lui faire une faveur très grande et lui donner occasion d'acquérir de l'honneur. Il déclara ensuite que sans la reconnaissance des services du père de ce gentilhomme, il en eut ordonné plus aigrement qu'il ne fit (Hist. de Louis XIII, I, 378. — Pour les services de ce père, voir l'article de P. de Lacroix cité plus haut.)

[59] Au passage de l'Aveyron entre Moissac et Négrepelisse l'infanterie allait par un pont de bateaux et la cavalerie avait pris un gué. Le roi s'était mis dans l'eau au milieu de ses gens d'armes lorsque le cheval d'un de ceux-ci perdant pied, le cavalier fut entraîné. Louis XIII courut à son secours au risque de s'enfoncer lui-même (Bernard, I, 315).

[60] Ainsi que le peuple crioit en son langage Vive notre bon roi Louis !, on a ouï dire au roi ces paroles : Dieu vous bénie, mon peuple, Dieu vous bénie ! (Héroard, ms. fr. 4027, fol. 114 v°).

[61] Voici les symptômes que donne Héroard de l'indisposition du roi : toux sèche et persistante (la plus grande toux qu'on puisse souffrir dit Bernard (t. I, p. 377)), yeux chauds, teste poisante, blême, se sent faible et las ; chaleur acre, douleur aux tempes et au chignon du col, altéré ; la luette enflammée et relaschée). — On traite Louis XIII au moyen de purgations, de clystères laxatifs (pas de saignée) et de longs bains d'une heure, une heure et demie (Héroard, fr. 4027, fol. 60, 69, 70-77, 80). — Pour juger de la science d'Héroard voir un recueil de ses ordonnances de médecine. (Bibl. nat., ms. fr., 19076). Voir aussi : E. Minvielle, La médecine au temps de Henri IV. Médecins, maladies, Paris, J.-B. Baillière, 1903, in-16.

[62] Ces mœurs et ces habitudes sont une tradition introduite au XVIe siècle à la faveur des guerres de religion et que l'insuffisante police du temps entretient. Entre autre témoignage, voir : le Brief dialogue exemplaire et récréatif entre le vray soldat et le marchand français faisant mention du temps qui court, avec Vadieu à la guerre (Lyon, B. Rigaud, 1576, in-8°) ; — Sermon du Cordelier aux soldats ; ensemble la responce des soldats au Cordelier (Paris, N. Lefranc, 1612, in-8°) amusante critique en vers des habitudes de brigandage des soldats mise sous forme de sermon dans la bouche d'un cordelier.

[63] Vous n'avez le cœur qu'à la volerie, s'écrie le capitaine Guillery, qu'au pillage et butin, poltrons que vous êtes, soldats de rapine, oiseaux de proie ! (Reproches du capitaine Guillery faits aux carrabins, picoreurs et pillards de l'armée, Paris, A. Du Breuil, 1615, in-8°). Il est à remarquer que les plus illustres brigands du temps sont d'anciens soldats de fortune, tels le capitaine Guillery, et surtout le capitaine Carrefour dont on lit la curieuse existence dans le Récit véritable de l'exécution faite du capitaine Carrefour, général des voleurs de France, rompu vif à Dijon ; avec un sommaire de son extraction, vols, assassinats, Paris, 1622, in-8° ; ou dans la Prise du capitaine Carfour, un des iniques et signalés voleurs qui soient en France, avec un abrégé de sa vie et quelques tours qu'il a faits es environs et dedans la ville de Paris, Paris, J. Martin, 1622, in-8°. Carrefour et Guillery sont les Cartouche et les Mandrin du temps de Louis XIII.

[64] Angot de l'Eperonière a écrit toute une longue satire véhémente contre les picoreurs sous le litre de : Les picoreurs ou le désastre du pauvre peuple (dans Nouveaux satires et exercices gaillards de ce temps, pp. 81-90). Elle est très instructive pour qui veut connaître le côté pittoresque des mœurs dans cet ordre d'idées.

[65] C. Bernard (I, 378) confirme une partie de ce trait. Un habitant de Négrepelisse, dit-il, tomba entre les mains des goujats n'estant pas loin d'une vigne qui lui appartenoit, eut ce fol désir de n'être attaché qu'à un noyer qu'il y avoit fait planter et l'obtint.

[66] Point tant ne nous attristent les grêles, ni les gelées de mai, ni les coulages de juin qui nous apportent coutumièrement la cherté des vivres, que l'inhumanité et desloyauté des goujats qui tuent, qui molestent, qui violent, qui brûlent, qui détruisent, rançonnent le bonhomme et lui font dix mille violences pour lui faire, à force de coups, qui de pied, qui de mains, qui de bâtons, qui de glaives, qui de dagues, qui de poignards, confesser où est son pauvre bien caché, mussé, enterré et transporté hors de sa maison. Ennius des paysans champêtres ; adresse à la royne régente, Paris, 1614, in-8°(Réimprimé dans Ed. Fournier, Variétés hist. et litt., VII, 300). — L'infime canaille des souillons de cuisine, dit en parlant d'eux Pontaymerie, poète dauphinois, dans sa Cité de Montélimar (s. l.), 1591, in-°. Réimpression de 1845, p. 78.

[67] Les écrits du temps sont pleins des lamentations des paysans devant les brutalités des gens de guerre. Voir La carabinade du mangeur de bonnes gens, Paris, 1614, in-8° ; Discours de Me Guillaume et de Jacques Bonhomme sur la défaite de 35 poules et le coq, faite en un souper par trois soldats, Paris, 1614, in-8°.

[68] Ch. Bernard et le Mercure français tâchent d'atténuer la gravité de l'affaire. D'après le premier (I, 396) la garnison avait le droit d'emporter ses armes. Quelques-unes d'entre elles étant tombées des charrettes et les soldats royaux les ramassant, il y eut discussion, dispute et des coups. Les soldats, se borne à dire l'historiographe, se portèrent à une trop grande licence en se jetant sur les huguenots dont quelques-uns furent tués. Pour le Mercure (VIII, 796), les soldats royaux ne se sont jetés que sur une charrette ; quant aux huguenots, seulement quelques-uns furent tués. Mais Bassompierre, très formel, confirme le récit de M. de Bordeaux (Mém., III, 101). D'après lui on aurait tué plus de 400 protestants inhumainement, sans qu'il fût possible à M. le maréchal, ni à Portes, ni à Marillac de les en empescher. Bassompierre fit pendre huit des coupables en un arbre proche du pont de Lunel sur la Vidourle (Ibid., p. 102). La capitulation, dit le duc de Rohan (Mémoires, 537), fut faussée à ceux de Lunel, car ils furent chargés, désarmés, dépouillés et la plupart tués ou estropies.

[69] Je n'ai les armes à la main, écrit le duc de Rohan au prince de Condé (dans Mémoires du duc de Rohan, p. 585), que par une pure nécessité, pour défendre nos biens, nos vies et la liberté de nos consciences.

[70] Ce secours de 200 hommes conduits par Montbrun, dit Bernard (I, 388), par Salce et la Rousselière, dit Rohan (Mémoires, p. 533), avait passé l'Aveyron à Bruniquel et s'était avancé jusqu'au ravelin de la porte Contamine à Saint-Antonin. C'est là qu'il fut découvert, enveloppé, et taillé en pièces par soldats et paysans.

[71] Le caractère sanglant de la lutte se révèle par cette lettre du duc de Rohan au prince de Condé (dans Mémoires de Rohan, p. 586). Vous faites mourir les prisonniers de Galargues, dit le duc, je vous imite en faisant le semblable de ceux que j'ai pris à Monts. Vous me faites commencer un métier contre mon naturel, mais je penserois être cruel à mes soldats si je ne leur immolois des victimes !

[72] L'opinion de Louis XIII et de son gouvernement n'a jamais varié sur ce point. Les précises volontés du roi, écrit le prince de Condé au duc de Rohan (Mém. du duc de Rohan, p. 585), sont d'entretenir ceux de la religion prétendue réformée en entière liberté de conscience ; et Louis XIII lui-même s'adressant au protestant Lesdiguières s'exprime ainsi : Je vous laisse en votre liberté, sachant que rien ne doit estre plus libre que les consciences. Je ne souffrirai que nul de mes sujets de la religion prétendue réformée soit oppressé ni violenté en sa foi. Mais il ajoute : Il est bien vrai que si sous un voile de religion aucuns veulent entreprendre des choses illicites et contraires à mes édits, je saurai séparer la vérité du prétexte pour punir celui-ci et protéger ceux qui demeureront à leur devoir (Bibl. nat., ms. fr., 3722, fol. 125 r°).

[73] M. Hanotaux (Hist. du cardinal de Richelieu, t. I, p. 282) dit des armées protestantes que vaillantes, dures à la fatigue, pleines d'un enthousiasme farouche, elles valaient les armées royales. Le duc de Rohan les juge plus sévèrement. On a plus de peine, déclare-t-il (Mémoires, p. 564), à combattre la lâcheté, l'irréligion et l'infidélité des réformés que la mauvaise volonté de leurs ennemis. Et ailleurs (Ibid., p. 540) : Je n'oublie ni soin, ni diligence, ni industrie pour relever les cœurs abattus et réunir les divers sentiments, car l'approche de l'orage ébranloit les plus fermes ; la grandeur du péril agitoit diversement les esprits d'un chacun et l'amour du bien public cédoit bien souvent à la crainte particulière.