LE DROIT DU SEIGNEUR

 

ANATOLE DE BARTHÉLEMY

Revue des Questions historiques - Tome premier - 1866

 

 

Il y a dix ans environ, la question que je vais essayer de traiter occupa un moment l’opinion publique. Les journaux les plus répandus alors disaient chacun leur mot : pendant un mois, — et il est rare que la presse quotidienne puisse fixer aussi longtemps l’attention de ses lecteurs sur un sujet qui n’a pas le mérite de l’actualité, pendant un grand mois, on consentit, en France à écouter les arguments mis en avant pour être éclairé sur un problème historique qui peut être ainsi résumé : Chacun de nous, au XIXe siècle, depuis l’homme qui appartient à la classe la plus élevée de la société, jusqu’au plus humble artisan, est-il ou n’est-il pas issu d’une suite plus ou moins continue de bâtards ?

Je suis franchement convaincu que je n’avance pas ici un paradoxe : je ne crois même pas avoir à me reprocher une exagération en formulant cette proposition. Si on considère l’origine relativement récente de la plupart des familles actuelles au point de vue nobiliaire, si on admet que, dans presque toute la France, lorsque la féodalité était florissante, les seigneurs avaient la première nuit des filles qui se mariaient sur leurs domaines, quel est celui de mes lecteurs qui ne doit pas rougir du déshonneur forcé de l’une de ses bisaïeules[1] ?

Commençons cette étude par rappeler, aussi brièvement que possible, l’histoire du droit du seigneur, au point de vue des recherches plus ou moins érudites auxquelles il a donné lien.

 

I

C’est au XVIIe siècle seulement que l’on entendit parler du droit du seigneur comme d’un privilège féodal tellement répandu, tellement incontestable que les preuves en étaient presque inutiles : au XVIe siècle, on était cependant bien moins affirmatif, du moins parmi les auteurs qui s’occupaient de droit et de jurisprudence. Chopin avançait que cet usage avait existé en Écosse et parmy quelques peuples barbares et les insulaires habitants aux isles Orcades et Hébrides, ou en l’isle de Thulé en Islande, la plus esloignée de tout le monde. Brodeau était du même avis, et faisait remarquer que cette coustume abominable avait été abolie par le Christianisme. — Je reviendrai plus loin sur ce qui se passait en Ecosse ; toutefois je noterai dès à présent que tandis que les jurisconsultes français cherchaient en Ecosse l’origine du droit du seigneur, les jurisconsultes écossais affirmaient que cet abus avait commencé en France[2].

En 1583, parut un Indice des droits royaux et seigneuriaux, dans lequel l’auteur, Fr. Ragueau, mentionne, sous le nom de Harguette, le droit du seigneur au delà de la Manche ; en 1704, Laurière, dans son Glossaire du droit français, fut plus positif en ce qui concerne la France, sans cependant donner de preuves. Il compilait sans critique des assertions prises un peu partout. Du Cange, dans son Glossaire, ne fit que répéter ce qu’avait dit Laurière, sans contrôler les citations, ni consacrer à cette question les lumières de son immense savoir et de sa saine critique. Le dictionnaire de Trévoux ne fit pas mieux, et depuis le milieu du XVIe siècle jusqu’en 1854, les assertions de Laurière furent répétées avec tant de naïveté, exagérées avec tant de zèle par l’esprit de parti, que l’existence du droit du seigneur devint une vérité historique. Beaucoup d’honnêtes gens y croient plus qu’à l’existence de Dieu l’orgueil et la gaieté sceptique du siècle dernier firent même adopter ce préjugé par ceux qui avaient le plus d’intérêt à en proclamer la fausseté. J’ai connu un personnage qui se vantait d’avoir exercé, pour la forme, ce droit dans son fief de Franche-Comté, alors qu’il sortait à peine des bras de sa nourrice. Il voulait ainsi, en 1839, laisser croire que la terre dont il portait le nom, par suite d’un anoblissement assez récent, avait été jadis une haute justice.

Or, en 1854, dans une séance de l’Institut (Académie des sciences morales et politiques), l’illustre jurisconsulte Dupin faisait un rapport sur un ouvrage estimé de M. Bouthors, alors greffier en chef de la Cour impériale d’Amiens. Il s’agissait des Coutumes locales du bailliage d’Amiens. — Dans ce livre sérieux, et qui, dès son apparition, a acquis une autorité à laquelle chaque année ne fait qu’ajouter, l’auteur donne deux textes que je dois reproduire ici, parce qu’ils sont les arguments qui ont inspiré un passage du rapport de Dupin que l’on trouvera plus bas :

Quand aucun estranger se allye par mariage à fille ou femme estant de la nation d’Auxi ou demeurant en icelle ville, ils ne pœvent, la nuit de la feste de leurs nœupches, couchier ensemble sans avoir obtenu congié de ce faire du seigneur ou de ses officiers, sous peine de LX sols parisis d’amende[3].

Se aucun se marie à aucune femme estant et demeurant ès mettes de ladite comté et baronnie et il y vient faire sa résidence, avant de coucher avec sa femme, il est obligé de payer aux religieux et abbé deux sols pour le droit vulgairement appelé droit de cullage[4].

A ce propos, M. Bouthors rappelle ce qu’ont dit sur le Maritagium Nicolas Boyer[5], Laurière, Grimm, et se contente d’avancer que, suivant lui, les redevances dues aux seigneurs par les nouveaux mariés tirent leur origine de l’adoucissement de la servitude primitive : il en conclut que, lorsque les maîtres devinrent seigneurs et, par conséquent, lorsque les esclaves furent remplacés par les serfs, le droit sur les jeunes mariées, s’il a jamais été exercé, fut remplacé par une prestation. Dans l’esprit de M. Bouthors, il est clair que, depuis l’origine de la féodalité, le droit du seigneur n’a pas existé. Il ne faut pas oublier le système proposé par Benjamin Guérard dans le Polyptique d’Irminon, système qui n’a pas encore été renversé : il ne faut pas confondre l’esclavage païen avec la servitude moins dure des époques mérovingiennes et carlovingiennes, ni celle-ci avec le servage féodal.

Dupin, sans se donner le temps de lire la page que je viens d’analyser ; sans examiner les textes avec le soin que l’on était en droit d’attendre d’un jurisconsulte aussi éminent, travestit complètement la pensée de M. Bouthors : il ne craignait pas dire en pleine Académie : que les amis posthumes de la féodalité ne viennent pas dire que ce sont des fables ou des exagérations inventées par les adversaires de l’ancienne aristocratie seigneuriale ! On peut contester certains récits qui ne se trouvent que dans des chroniqueurs crédules ou dans quelques écrivains passionnés ; mais quand de tels faits sont écrits dans des lois où ils sont qualifiés de droits, quand le texte de ces lois est authentique et qu’il est produit, le rôle officieux de la dénégation devient impossible.

Le Journal des Débats s’empressa (2 mai 1854) de proclamer la découverte attribuée par M. Dupin à M. Bouthors. Aussi M. Veuillot, qui dirigeait alors l’Univers, releva le gant ; cette passe d’armes fit le sujet de plusieurs articles spirituels dans le fond, mais violents dans la forme. M. Veuillot y montrait sans contrainte cette verve, cette ardeur et cette humeur belliqueuse qui lui ont acquis une juste renommée dans la Dresse contemporaine. Un peu plus tard, ces articles, revus et considérablement complétés, formèrent un petit volume que les historiens du moyen âge, quelle que soit leur école, ne peuvent se dispenser de lire[6].

Au fur et à mesure que les articles de M. Veuillot paraissaient dans l’Univers, le Siècle lançait, dans un ordre d’idées diamétralement opposé, des entrefilets qui se succédèrent surtout du 18 mai au 26 septembre ; d’autres journaux moins sérieux se permettaient des escarmouches. Puis, on voyait paraître des publications séparées, plus ou moins volumineuses, qui niaient comme M. Veuillot, affirmaient comme Dupin, eu cherchaient un moyen terme entre les deux opinions.

Tout ce bruit amena peu de conversions. Les lecteurs des journaux qui tenaient pour le droit du seigneur se méfièrent de 1 érudition, des arguments et des personnalités de ceux qui plaidaient contre : les questions historiques, à mon avis, ne gagnent rien à être traitées dans un journal politique dont les abonnés généralement n’entendent qu’une voix. Il y eut aussi bon nombre de gens qui ne purent admettre une erreur de Dupin dans une question de droit. J’avoue que la forme même adoptée dans sa réfutation par M. Veuillot, n’était pas de nature à inspirer une grande confiance à ceux qui écoutaient ses antagonistes : son style incisif, ses plaisanteries agressives, qui rappellent le pamphlet, pouvaient faire redouter l’influence d’idées arrêtées ou de parti pris.. Le rédacteur en chef de l’Univers, pour beaucoup de personnes indécises ou prévenues, se transformait en un champion du moyen âge et de la féodalité ; le Siècle et M. J. Delpit représentaient les défenseurs des tendances libérales de notre époque. — Trop d’esprit peut nuire aux meilleures causes.

Aussi, depuis cette discussion qui aurait dû faire faire au moins un pas vers la solution du problème, aucune modification importante ne s’est révélée dans l’opinion publique. Je le constate par des notes prises dans quelques publications faites depuis 1854, et qui font allusion au droit du seigneur comme s’il avait existé soit dans les lois françaises, soit dans les coutumes du moyen âge.

Voici, par exemple, ce que je lis dans un ouvrage édité en 1856 par un académicien : Il restait encore sous la féodalité pour la jeune fille une servitude plus affreuse encore : c’est le Bruit de marquette, le droit du seigneur. En vain les défenseurs du passé nient-ils ce privilège comme une fable ou l’expliquent-ils comme un pur symbole : le grave du Cange et Boëtius l’établissent comme un fait, dans des textes qu’il suffit clé citer sans les traduire. Ce n’était là, du reste, qu’une conséquence forcée de tout le système féodal qui faisait avant tout reposer le vasselage sur la personne. — Les jeunes gens payaient de leur corps en allant à la guerre, les jeunes filles en allant à l’autel, et quelques seigneurs ne croyaient pas plus mal faire de lever une dîme sur la beauté des jeunes fiancées que de demander moitié de la laine de chaque troupeau. Rien ne prouve mieux cette croyance que l’unique et étrange restriction apportée au droit de mariage. Le seigneur ne pouvait contraindre sa vassale à se marier quand elle était sexagénaire, car la personne qui doit servir de son corps est quitte de ce service lorsqu’elle est si déchue[7].

Il serait trop long de relever les erreurs incroyables entassées dans cette citation : je laisse le soin de les apprécier à ceux de mes lecteurs qui sont les plus prévenus en faveur du droit du seigneur. Je dois seulement faire remarquer que l’assertion contenue dans les dernières lignes nie semble appuyée sur un usage qui ne concernait que les vassaux nobles : le seigneur supérieur ne pouvait forcer sa vassale héritière d’un fief sujet au service militaire, à se marier, lorsqu’elle avait atteint l’âge de soixante ans.

D’autres, plus modérés, paraissent disposés à convenir que ce prétendu privilège n’existait pas dans la loi, mais qu’il était admis par les usages et par la coutume : Les amis du paradoxe de M. Veuillot se retranchent derrière cette distinction : le droit du seigneur a existé, il est vrai, mais en fait seulement ; il n’a été qu’un abus, une œuvre d’oppression condamnable et condamnée ; jamais il n’a été reconnu comme droit. — Cela est vrai à partir du IVe siècle ; pour les temps -.intérieurs nous n’en savons rien ; nous savons seulement qu’au moyen âge le droit s’établissait par la coutume. Mais d’ailleurs qu’importe ?On ne reproche pas à la justice d’avoir consacré cette monstruosité, pas plus qu’au clergé de l’avoir admise. On reproche aux mœurs d’avoir pu la tolérer[8].

Lorsqu’on lit de pareilles assertions dans des ouvrages édités, par l’un des Quarante de l’Académie française, ou sous le patronage d’une compagnie sérieuse comme la Société de l’Histoire de France, on comprend facilement l’hésitation du public. Aussi qu’arrive-t-il ? — C’est que les érudits de la province se croient autorisés à faire des tirades du genre de celle-ci : Il y en avait d’atroces (des droits féodaux), et de la plus révoltante immoralité ; il suffit de citer celui de prélibation que quelques seigneurs ecclésiastiques et laïques exigeaient jusqu’à la dernière rigueur. Quelques vieux prélats y renoncèrent en y substituant une prestation en argent. Alors seulement le jeune père de famille put accorder ses embrassements à son premier-né[9].

Plus récemment encore, en 1568, dans les publications d’une société savante[10], je remarque qu’il est question d’une redevance due au seigneur de Châteauroux : il s’agissait d’un pot de fleurs que la dernière veuve récemment remariée devait le jour de la Pentecôte au nom des habitants de la rue de l’Indre ; preuve, ajoute-t-on, de la persistance de l’ancien droit dit du seigneur qui, s’il n’existait pas de par quelque loi, existait du moins de fait dans beaucoup de lieux.

Je pourrais multiplier ces citations, mais ce serait véritablement abuser de la patience de mes lecteurs. Ce qui précède suffit, je crois, pour établir que la question du prétends : droit du seigneur, quoique vieille et souvent traitée, n’est pas encore résolue, Je vais tâcher de la traiter froidement, de manière à ce que l’on puisse se dispenser à l’avenir de, répéter sans cesse les mêmes faits controuvés, de revenir sur les mêmes citations, sur les mêmes documents apocryphes. Je serai, je l’avoue d’avance, beaucoup moins intéressant due ne le furent MN. Veuillot et Delpit : j’éviterai les personnalités ; j’examinerai la question avec la méthode un peu lourde des archéologues. Cette méthode, en écartant la passion, s’adresse à la bonne foi parce qu’elle procède elle-même de la bonne foi.

II

Tout d’abord il faut s’entendre sur le nom même du prétendu droit dont nous nous occupons. M. Veuillot a adopté le mot maritagium, et je lui emprunte cette expression qui me parait être à la fois convenable et exacte. Je ne crains pas d’être contredit par les personnes qui défendent l’existence du droit du seigneur. Le maritagium, en effet, indique clairement toute redevance due, à cause du mariage, par le vassal à son seigneur. Or, on ne craint pas d’avancer que ce genre de redevance, quelle que soit sa forme, est toujours le rachat de ce que je me permettrai d’appeler une prestation en nature[11].

Il y a des vocables dont les hommes sérieux ne devraient pas se servir. Ainsi les mots cuissage et jambage sont tout simplement des barbarismes : on ne les trouve dans aucun glossaire[12]. Prélibation ne vaut guère mieux : j’ouvre du Came et j’y lis : Prælibatio, Merenda, Gall. Gouté.

Droit du seigneur est également un non-sens qui ne peut être employé. Si le seigneur féodal n’avait eu que l’unique et révoltant privilège de s’emparer de, la femme de son vassal, pour une nuit seulement, aussitôt après la célébration du mariage, ces mots auraient certainement une valeur. Mais il y avait une foule de droits du seigneur ; je suis même tout disposé à reconnaître qu’ils étaient trop multipliés : en tous cas chacun portait un nom spécial, une dénomination officielle dans les documents législatifs et coutumiers. Celui qui nous occupe en ce moment aurait donc été le droit par excellence ? on l’aurait appelé tout simplement le droit du seigneur, comme aux temps antiques, la ville désignait Rome, et le Roi, le souverain de la Perse ? — Il n’y en a nulle trace dans aucun texte.

Et d’ailleurs comment aurait-il pu se faire que le droit du seigneur, féodal par excellence, aurait appartenu à des manants, comme nous le verrons plus loin ? D’un autre côté, il y avait en France un seigneur qui tenait un certain rang : il jouissait des droits souverains dans leur plénitude. Or a-t-on jamais trouvé une trace quelconque du prétendu droit du seigneur qui aurait été exercé par le roi de France ? Dans cette longue série de souverains qui se succédèrent avant, pendant et après l’établissement de la féodalité, plus d’un a laissé dans l’histoire des souvenirs de galanterie et même de libertinage : en trouve-t-on un seul qui ait osé une seule fois excuser ses déportements en s’autorisant d’un prétendu privilège féodal ? S’est-il trouvé un courtisan — et l’on sait combien certains familiers sont portés à saisir toute occasion de favoriser et de justifier les passions du maître — s’est-il trouvé un courtisan qui ait eu la pensée de mettre en avant le droit du seigneur ?

Voilà donc un privilège féodal sans nous déterminé. Tout à l’heure je passerai en revue tous les droits qui, directement ou indirectement, ont été rattachés au prétendu droit du seigneur.

Avant de passer outre, je dois établir une distinction dans le maritagium qui peut être considéré à un double point de vue, religieux ou civil.

Au point de vue religieux, le maritagium était la redevance que jadis on devait, à titre de dispense, pour se soustraire aux prescriptions imposées par un canon du quatrième concile de Carthage et confirmées par un capitulaire de Charlemagne ainsi conçu : Sponsus et sponsa, cum benedictionem a sacerdoce acceperint, eadem nocte pro reverentia ipsius benedictionis in virginitate permaneant. La mauvaise foi seule a pu donner une autre signification à cette redevance, qui était acquittée soit en argent, soit en prestations, soit dans une part prélevée sur le repas nuptial.

Au point de vue civil, le maritagium était l’amende ou la redevance due par les vassaux au seigneur à cause de leur mariage : il y avait amende lorsque le vassal avait omis de demander congé au seigneur ; il y avait redevance lorsqu’en échange de cette permission donnée, le seigneur réclamait une rémunération analogue à ce que l’Eglise demandait pour la dispense du premier jour de noce. Je ne serais pas loin de penser que l’amende était une institution de droit féodal, tandis que la redevance était une usurpation des laïques analogues aux dîmes qui primitivement avaient eu un caractère purement ecclésiastique.

Il faut encore remarquer que dans le maritagium civil il y avait deux nuances bien marquées : celui qui concernait les étrangers d’un domaine qui prenaient pour épouses des filles de ce domaine ; celui qui concernait les vassaux d’un même domaine qui se mariaient entre eux. Les premiers devaient leur redevance au moment de la célébration du mariage ; les seconds ne l’acquittaient qu’à certains jours de fêtes, dans l’année qui suivait le mariage ; c’étaient alors, le plus souvent, des exercices de corps, des luttes qui prenaient, le caractère de réjouissances publiques.

Je ne m’occuperai que du maritagium civil. Pour toute personne de bonne foi, le maritagium religieux ne peut donner lieu à aucun équivoque.

Il arrivait parfois que des prélats, des chapitres et des abbayes, comme seigneurs féodaux, avaient droit aux redevances du maritagiurn civil, je m’en occuperai naturellement. Dès à présent on peut apercevoir la confusion qui a été systématiquement faite pour embrouiller la question : on a commencé par confondre les redevances dues à l’Eglise pour cause de mariage, avec celles qui étaient dues au seigneur. Ensuite, du moment qu’il fut admis que les seigneurs laïques, en vertu du maritagium, pouvaient disposer de la première nuit de leurs vassales nouvellement mariées, on s’est empressé d’attribuer le même privilège aux ecclésiastiques en tant que seigneurs féodaux[13].

III.

Je vais de suite mettre sous les yeux de mes lecteurs les textes qui sont invoqués en faveur de l’existence du droit du seigneur : après Ies avoir examinés et discutés, je chercherai à donner une idée du maritagium civil tel que je le comprends. Je disais en commençant cette étude que je faisais une œuvre de bonne foi : il ne me semble pas possible d’en donner une meilleure preuve que de commencer par exposer les arguments les plus éloquents contre la thèse que je soutiens.

Voici d’abord quelques vers d’un petit poème intitulé le conte des vilains de Verson.

Biem me conta Rogier Adé,

Qué honte ait vilein eschapé :

Se vilain sa fille marie

Par de hors la seignorie,

Le seignor en a le culage :

III sols en a del mariage ;

III sols en a raison por queï,

Sire, je l’vos di’par ma fei

Jadis avint que le vilein

Ballout sa fille par la mein

Et la livront à son seignor,

Ja ne fu et de si grand valor

A faire idonc sa volonté,

Anceis qu’il li eust et doué

Rente, chastel ou héritage

Por consentir le mariage[14].

Résumons brièvement les motifs qui me paraissent établir aussi nettement qu’on peut le désirer que ces vers ne prouvent rien du tout.

Le poème date de la seconde moitié du XIIe siècle environ : or déjà à cette époque on reconnaissait que le prétendu droit auquel la redevance était substituée, avait existé jadis. — Le seigneur était l’abbaye du Mont-Saint-Michel qui possédait Verson depuis le Xe siècle[15]. — Puisque la redevance était seulement due lorsque le vassal donnait sa fille en mariage à un étranger, il n’est question ici que du formariage : rien n’était prévu pour les unions contractées entre vassaux et vassales de l’abbaye[16].

Le poète a commenté et altéré avec malveillance le texte officiel contemporain que je cite en note[17], et qui indique sans ambiguïté les obligations des vilains de Verson. Remarquons en outre que le poète donne à la redevance une dénomination qui n’est pas dans le texte officiel, et sur laquelle, du reste, je reviendrai plus loin.

Cette malveillance volontaire se trouve naturellement expliquée si on se souvient que le conte des vilains de Verson parait avoir été composé à l’époque, sinon à l’occasion de la révolte des Pastoureaux, alors que les hommes de Verson essayèrent de se révolter contre leurs seigneurs, c’est-à-dire contre les moines du Mont-Saint-Michel[18]. A toute époque de l’histoire, dans l’antiquité comme au moyen âge, comme aux temps contemporains, ce moyen fut employé pour préparer les insurrections, ou pour exciter les passions populaires contre certains personnages, contre des corporations ou des nationalités.

Ne quittons pas la Normandie sans parler du seigneur de la Rivière-Bourdet, qui s’exprimait ainsi en 1419[19] : Ay droit de prendre sur mes hommes et autres, quant ils se marient en ma terre, dix soulz tournois, et une longue de porc tout au long de l’eschine jusques à l’oreille, et la queue franchement comprisse en ycelle longue, avecques ung gallon de tel bruvaige comme il aura aux nopces, ou je puis et dois, s’il me plaist, aler couchier avecques l’espousée en cas ou son mary, ou personne de par luy ne me paieroit à moy ou à mon commandement comme devant l’une des choses dessus éclairées.

Dans le Béarn nous trouvons un fait analogue : c’est un dénombrement fourni, en 1538, par Jean, seigneur de Louvie Soubiron je dois la copie du texte dont je reproduis une traduction exacte, à l’obligeance de mon confrère P. Raymond, archiviste du département des Basses-Pyrénées[20] :

Art 38. Item, il y a dans la localité de Haas[21], neuf maisons avec leurs appartenances qui sont à ladite seigneurie (de Louvie), et du fief dudit lieu. Ces maisons, leurs habitants et leurs propriétaires étaient et sont serfs et constitués en servitude de telle sorte qu’ils ne peuvent et ne doivent quitter lesdites maisons. Mais ils sont tenus et contraints d’y résider et d’y demeurer pour faire le service et payer les droits. Si quelque étranger vient se marier dans lesdites maisons, il tombe dans la même servitude que s’il habitait depuis sa naissance. Si un habitant de ces maisons venait à les quitter, le seigneur de Louvie peut les faire rechercher, arrêter, enchaîner et ramener dans la résidence qu’ils ont abandonnée. On appelle et nomme les habitants de ces maisons, en langage vulgaire et de toute antiquité, les Bragaris de Louvie.

Art. 39. Item, quant les habitants de ces maisons[22] se marient, avant de connaître leurs femmes, ils sont tenus de les présenter la première nuit audit seigneur de Louvie pour en faire suivant son plaisir, ou autrement lui payer un certain tribut.

Art.40. Item, il sont aussi tenus de lui payer une certaine somme d’argent pour chaque enfant qui leur naît : et s’il arrive que le premier soit un male, il est libre s’il peut être prouvé qu’il a été engendré des œuvres dudit seigneur de Louvie dans ladite première nuit de sesdits plaisirs.

Avant de faire connaître mon avis sur le sens véritable des clauses contenues dans ces actes, je demande la permission d’en emprunter un troisième à l’Allemagne : je copie M. Michelet, d’après un passage pris dans Grimm : Notre avis est que ceux qui viennent ici célébrer leurs noces doivent inviter le maire et son épouse. Le maire, de son côté, prêtera au futur un pot où il puisse facilement faire cuire une brebis ; le maire amènera encore une voiture de bois, et le jour des noces, le maire et son épouse apporteront, en outre, le quart d’un ventre de laie. Quand les convives se seront retirés, le nouvel époux laissera coucher le maire avec sa femme ; sinon, il la rachètera pour cinq schillings et quatre pfennings.

Un fait me frappe dans ces quatre citations ; c’est la liberté laissée au nouveau marié de se soustraire à une obligation honteuse en acquittant une redevance en nature : à mes yeux, on a mis une clause inacceptable pour forcer le sujet à acquitter le tribut : il n’y a pas là privilège nobiliaire, car ce maire allemand était un simple bourgeois ou un paysan, et le seigneur de Louvie-Soubiron n’avait même pas le droit de haute justice. Ces obligations impossibles à remplir, ces clauses comminatoires n’étaient pas seulement libellées à propos des nouveaux mariés : M. P. Raymond a signalé un acte de 1337, par lequel un individu d’Orthez s’engageait à ne plus jouer et à ne plus faire jouer à des jeux de hasard, et cela par-devant son seigneur, un notaire et un prêtre ; dans le cas où il manquerait à son serment, il jurait de payer une somme assez considérable, on dose précipiter du haut du pont d’Orthez dans la rivière[23]. Ce suicide promis par acte authentique n’était-il pas une manière de forcer ce malheureux joueur à payer l’amende en cas de récidive ?

Remarquons aussi que le seigneur de Louvie ne fait allusion à aucune transformation d’un droit plus ancien : il ne se réserve pas la faculté de s’emparer de la nouvelle mariée ou d’imposer une redevance à l’époux. Il prévoit le cas où il naîtrait un bâtard, et ce bâtard serait libre, mais que le bragarii paye le tribut, et tout ce qu’il y a de répugnant dans ce texte est réduit à néant : il est aussi peu inquiété que lorsque le sujet du seigneur de la Rivière-Bourdet a acquitté à celui-ci une longe de porc et un gallon de vin ou de cidre.

Sans sortir du Béarn, nous trouvons un autre seigneur, Auger de Bizanos, qui, en 1538 aussi, dans son dénombrement, interprétait à sa manière la part qu’il réclamait sur les repas de mariage de ses vassaux. Je citerai le texte original dont M. de la Grèze n’a donné que la traduction :

Item cum en temps passat anxique es botz et fama en lodit loc et senhoria sous sosmes dequet temps eran en subjection et los senhors de tal loc prédecessors deu denombrant en dret, auctoritat, preheminence totas qualas vegadas qui se fasen sposaliciis ou lo dit loc de Bizanos de dromir a son plasir ab las nobias la prumera noeyt plus prochana de lasdictes sposaliciis et per so que enter sous predecessors et sousdits sosmes taldicte subjection fo convertit en autre tribut au moyen de que luy es en pocession de haber, prener, et receber et sousdits sosmes son tengutz et an usat et accostumat ly balhan et portan en sa maison totas vegadas qui fen sposaliciis una poralha o ung capon et una spalla de moton et dus paas o una fogassa et duas scudelas de Bibarou[24].

Ici, il faut l’avouer, le texte donne raison à mes contradicteurs la part prélevée sur le repas de noces est un rachat du droit qu’avaient eu les ancêtres du seigneur de Bizanos, droit qui est indiqué en termes précis. Je n’ai que quelques observations à faire.

Et d’abord sur quoi se fonde le seigneur de Bizanos pour faire cette interprétation ? aucun acte antérieur n’en fait mention. Ensuite, malgré les recherches que j’ai faites et fait faire depuis plus de quinze années, voilà les seuls actes dans lesquels on puisse trouver une allusion au prétendu droit du seigneur : et où trouvons-nous les deux exceptions qui peuvent confirmer à la rigueur la règle générale ? En Béarn, c’est-à-dire hors de la France féodale, dans un pays de marches ou frontières où il n’y avait pas de loi générale commune à tous les fiefs, où l’influence espagnole et l’influence française, ensuite, n’avaient pu effacer complètement le caractère d’autonomie qui avait longtemps dominé dans les usages et coutumes ; dans un pays, en un mot, où l’arbitraire régnait nécessairement[25]. Il y aurait, je crois, une étude particulière à faire sur les serfs des provinces pyrénéennes : depuis le XIIIe siècle, les seigneurs du Béarn, imitant l’exemple donné dès le XIIe par le vicomte, avaient affranchi généralement leurs serfs ou questaux : néanmoins il en existait encore au XVIe siècle, témoins les bragarii de Louvie qui étaient plutôt eu état de servitude que de servage.

Quant à l’interprétation donnée par le seigneur de Bizanos à ce qu’ailleurs on appelait les regards de mariage, je serais très porté à croire qu’il s’était laissé influencer par les idées qui, dès le XVIe siècle, avaient commencé à être mises en circulation sur les droits des seigneurs sur leurs sujets. C’était, sans doute ; à ces prétentions que faisait allusion Nicolas Boyer, lorsqu’il disait : et pariter dici et pro certo teneri, nonnullos Vasconiæ dominos habere facultatem prima nocte nuptiarum suorum subditorum ponendi unanl tibiam nudum ad Iatus neogamiæ cubantis, aut componendi cum ipsis. — On voit que N. Boyer était moins explicite que le seigneur de Bizanos.

IV.

Examinons maintenant les différentes redevances seigneuriales dans lesquelles on a voulu voir un rachat de l’ancien droit du seigneur. — Nous consacrerons un paragraphe spécial au droit de marquette, mercheta, qui n’a jamais été cité dans un acte français, et que nous ne retrouvons qu’au delà de la Manche. Il est indispensable de donner sur ce mot quelques détails, puisqu’il aurait indiqué en Angleterre et en Ecosse ce qu’en France on aime à désigner sous le nom de droit du seigneur. Jusqu’ici tout ce que nous savons, chez nous, au sujet de Mercheta se trouve résumé dans du Cange : or du Cange cite comme autorités Skenée, Hector Boethius, Buchanam et la loi Regiam majestatem. Pesons la valeur de ces témoignages.

Skenée, ou John Skene, avocat et clerc du registre à Edimbourg, au commencement du XVIIe siècle, publia le texte de la loi Regiam majestatem d’après des manuscrits peu corrects ne se donna pas la peine de contrôler son texte. La meilleure preuve du peu de sérieux apporté par cet auteur dans sa critique est l’étymologie qu’il ose proposer pour le mot marcheta : Marck equum significat, hinc deducta metaphora ab equitando ; marcheta muliéris dicitur virginalis pudicitiæ prima violatio et delibatio. — Lord Hailes, que MM. Veuillot et Delpit n’ont pas eu la borine chance de lire, et auquel le dernier de ces érudits donne l’épithète de profond et éminent jurisconsulte, lord Hailes dit franchement que les assertions de Skene, dans ce passage, sont trop ridicules pour être répétées : what Skene has laid of marcheta mulierum is too ridiculous to be transcribed[26].

Bœthius, Hector Boot ou Boodt, Écossais, docteur d’Aberdone, publia, au commencement du XVIe siècle, une histoire d’Ecosse. Il y parla du roi Evenus, personnage fabuleux, antérieur à l’ère chrétienne, qui aurait établi le droit du seigneur. Ce triste état de choses se serait continué pendant dix siècles, jusqu’au règne de Malcolm III, qui, à l’instigation de Marguerite, sa femme[27], aurait changé ce droit honteux en nue redevance appelée market, parce qu’elle était d’un demi-marc d’argent : dimidiata argenti marca primam noctem a præfectorum uxoribus redimente sponsa[28]. Malcolm III régna de 1057 à 1093 : en admettant par conséquent lés récits apocryphes de Boot, copié par Buchanan, dont je parlerai dans un instant, on est forcé de reconnaître que depuis le XIe siècle le droit du seigneur n’était plus exercé matériellement en Ecosse.

George Buchanan, Ecossais aussi, publia vers le milieu du XVIe siècle une histoire de son pays, à laquelle on s’accorde généralement à reconnaître peu d’autorité, surtout au point de vue de la véracité. Buchanan répéta les fables déjà imprimées par Boot, et il le fit avec d’autant plus d’empressement qu’il aimait les récits graveleux ; certaines poésies composées par lui témoignent de son goût pour les plaisanteries gauloises.

Voilà ce que je puis dire au sujet des auteurs qui ont surpris la bonne foi de du Cange. Je ne me permets pas de récuser de parti pris leurs témoignages, mais je maintiens qu’ils n’offrent pas les garanties que l’on doit exiger d’autorités historiques graves : ce sont des conteurs, des chroniqueurs, mais rien de plus.

Quant à la loi Regiam majestatem, avant d’en reproduire le texte, je dois rappeler ce que l’on lient penser de sa date.

On a dit et répété qu’elle remontait à l’époque où le roi David Ier (1124-1153) réunissait en un code unique les anciennes lois du pays : or on ne la retrouve dans aucun des manuscrits antérieurs au XVe siècle contenant la compilation des lois écossaises. La chronique de Kinlos, document du XVIe siècle, et qui fourmille d’erreurs, est le premier texte qui propose cette date du XIIe siècle. On s’accorde à croire que la loi en question commença seulement à paraître vers le XVe siècle, et cela dans le recueil des lois d’Écosse et d’Angleterre fait sous Henri II. A la rigueur, le droit de marquette serait donc d’origine anglaise plutôt qu’écossaise[29].

Voici le texte que j’emprunte à l’édition publiée, par ordre de la reine Victoria, sur la demande de la Chambre des Communes :

Regiam majestatem, lib. IV, c. LIV ; de merchetis mulierum. Sciendium est quod secundum assisiam terre Scocie quecunque mulier fuerit sive nobilis, sive serva, sive mercenaria, mercheta sua erit una juvenca vel tres solidi et rectum servientis tres denarii. Et si filia liberi sit et non domini ville mercheta sua erit una vacca vel sex solidi et rectum servientis sex denarii. Item mercheta filii tharis vel ochetiern due vacce vel duodecim solidi et rectum servientis duodecim denarii. Item mercheta filii comitis et regine duodecim vacce, et rectum servientis duo solidi[30].

Il appartient aux diplomatistes d’Angleterre d’étudier et de fixer la valeur des termes employés dans ce texte : je ne me permettrai pas d’aborder ce travail, dont la difficulté était signalée par lord Hailes lui-même[31]. Mais je puis constater que rien ne paraît y faire allusion à un droit imposé comme rachat de la première nuit des nouvelles mariées. Qui en eût profité en ce qui concernait la reine ?

Lord Hailes établit très judicieusement que le mot mercheta a deux acceptions bien distinctes : tantôt il signifie une amende, tantôt il est synonyme de redevance.

A l’appui du premier sens, il cité un texte mal interprété par du Cange ; le voici : Merchetum hoc est quod sokemanni et nativi debent solvere pro filiabus suis corruptis sen defloratis, 5 s., 4 d.[32]. Id est, ajoute du Cange, ni fallor, ne corrumpantur aut deflorentur a suis dominis in prima nuptiarum suarum nocte. — Mais du Cange se trompe.

Lord Hailes, en effet, observe que le véritable sens de merchetum, ici, se trouve interprété dans un texte du commencement du douzième siècle, établissant que chaque vilain de Wridthorp devait à l’abbaye de Croyland un ourlop pro filiabus suis corruptis[33] : or ourlop, en vieil anglais, indique une amende encourue pour un délit[34]. Il y avait donc une amende imposée aux parents dans le cas d’inconduite de la part de leurs filles. Nous sommes bien loin de l’idée du droit du seigneur.

Je rappellerai une loi des anciens Bretons qui n’est pas sans analogie avec la marquette considérée comme amende : seulement la composition ici est payée parle coupable et non par la famille de la femme[35]. Dans une note de Houard, avocat au Parlement, je remarque encore que ce jurisconsulte parle du marketa mulierum, dans le même sens, mais d’une manière plus générale encore[36]. Après avoir dit que Thomas Littleton, compilateur des lois et des coutumes anglaises sous le règne d’Edouard IV (1272-1307), ne fait aucune allusion au droit du seigneur, il s’étonne que l’on ait pu supposer que la loi qui avait défendu sous les peines les plus sévères aux femmes de souffrir leur propre déshonneur, même avec le consentement de leurs maris, eût en même temps reconnu un droit aussi contraire à l’honneur que celui dont Skene avait parlé. Il déclare que celui-ci s’est trompé en ce qui concerne l’interprétation du regiam majestatem, et que le passage dont j’ai donné le texte plus haut fixe seulement la composition due par les femmes qui ont commis quelque faute ou quelque crime.

Passons maintenant à la seconde acception du mot Merchetum admise par lord Hailes, à celle de redevance. Je cite en note deux textes qui me dispensent d’entrer dans des détails[37] : le droit de marquette n’était alors autre chose que le maritagium de France, c’est-à-dire la redevance acquittée par le vassal qui mariait sa fille avec un étranger[38].

Ajoutons subsidiairement que lord Hailes, bien avant M. Veuillot, avait établi la confusion que l’on s’était plu à mettre entre les redevances dues à l’Église, par suite du canon du concile de Carthage, et celles qui étaient dues aux seigneurs laïques.

De tout ce qui précède, il résulte : 1° que le droit de marquette n’a jamais existé sous ce nom en France, quoique les dictionnaires et les recueils de jurisprudence l’aient maintes fois répété ; 2° que le marketum, particulier à l’Angleterre et à l’Ecosse, a été tantôt une amende destinée à réprimer les mauvaises mœurs, tantôt une redevance parfaitement semblable au maritagium français ; 3° que les hommes les plus sérieux d’Angleterre, autrefois comme aujourd’hui, repoussent franchement la supposition que le droit du seigneur ait existé au delà de la Manche.

Je vais maintenant examiner sous leurs diverses dénominations, les redevances exigées des nouveaux mariés en France.

V.

Nous commencerons par le maritagium, qui n’offre, à mon avis, aucune incertitude sur l’étendue du droit auquel ce vocable était attribué spécialement. Le mot maritagium signifiait à la fois, pour les nobles et les hommes libres, la dot donnée aux époux, et le droit en vertu duquel le seigneur supérieur exigeait que l’héritière d’un fief devant le service militaire, se pourvût d’un mari il arrivait alors que le seigneur supérieur avait la faculté d’offrir à sa vassale le choix entre plusieurs prétendants, mais ceux-ci devaient alors être de même rang que l’héritière du fief. Pour les serfs, et pour les sujets ou vassaux non nobles, le maritagium se traduisait par l’obligation de demander au seigneur la permission- de se marier, et cette permission, le plus souvent, était accordée moyennant une redevance en argent : Quelquefois, mais rarement je crois, la licentia matrimonii n’entraînait de redevance pécuniaire que lorsque le mariage avait pour résultat de faire sortir une sujette du domaine du seigneur.

Du Cange a cité une riche collection de textes qui viennent à l’appui de la définition que je viens de donner[39] : aucun ne fait supposer que la redevance ait été le rachat d’un droit personnel sur les nouvelles mariées. Je crois que le maritagium, dans le principe, était simplement soumis à une permission toujours gratuitement accordée, lorsqu’il ne s’agissait pas de mariage avec un étranger : la redevance pécuniaire est venue ensuite, et là où les seigneurs ne se souciaient pas d’imposer un sacrifice d’argent à leurs sujets, ils n’exigeaient qu’une part du festin nuptial, ce qui donna naissance aux regards de mariage ou pasts nuptiaux. N’oublions pas que, dès la fin du XIIe siècle, les grands feudataires et Ies rois dispensaient fréquemment et à perpétuité leurs sujets de l’obligation de demander la licentia matrimonii : je renvoie encore ici à du Cange.

Je viens de parler des regards de mariage ; il n’est pas inutile d’en dire ici quelques mots : ce genre de redevance, bien innocent en apparence, a été présenté comme un rachat ou une modification du droit du seigneur[40]. Il est bon de mettre quelques textes sous les yeux des lecteurs, afin qu’ils voient bien que là, pas plus que pour le droit de quintaine[41], il n’y a apparence de ce que des esprits prévenus veulent trouver. Je citerai des regards de mariage dus à des abbayes[42] et à des seigneurs laïques, en cherchant autant que possible à n’employer que des documents encore inédits[43]. Parfois il ne s’agissait même pas d’une contribution levée sur le repas de noces, une chanson suffisait[44], voire une fleur[45], une simple visite au seigneur au moment de quitter son fief, — alors même qu’il n’avait pas le droit de s’opposer au mariage[46].

Le nuptiaticum, noçailles, était synonyme de maritagium, mais avec une acception plus large : il s’appliquait non seulement à la redevance due au seigneur[47], mais aussi à la part qui revenait aux compagnons des nouveaux épousés dans les réjouissances nuptiales[48]. Nous reviendrons en détail sur ce dernier point, à propos du mot que nous examinerons dans un instant, et qui par son sens grivois n’a pas peu contribué à faire croire au prétendu droit du seigneur.

Le maritagium était quelquefois désigné par un vocable qui, à notre époque, a une apparence et un sens qui répugnent à l’urbanité moderne : je ne sache pas que Rabelais s’en soit servi, et je, m’en étonne, lui qui fut grand amateur de la plaisanterie gauloise : il faut du reste remarquer en passant que le joyeux curé de Meudon n’a pas pensé à parler du droit du seigneur, ni au point de vue religieux, ni au point de vue laïque : e’est une bonne preuve négative qu’au XVIe siècle on y croyait peu.

Le culagium, en français culage, cullage, couillage, était synonyme de maritagium : c’était le nom vulgaire ; l’expression populaire par lesquels on désignait les redevances acquittées aux seigneurs par les nouveaux épousés[49]. Le plus ancien texte, à ma connaissance, qui donne ce mot est la chanson des vilains de Verson, poésie essentiellement populaire ; puis vient la charte de 1238 de Simon de Pierrecourt qui renonce au droit de culagium sur les hommes de son fief[50] ; aux XIVe, XVe et XVIe siècles nous trouvons souvent ce mot grossier employé.

Le culagium consistait en une redevance en argent, comme nous venons de le voir dans la chanson de Verson et dans la charte de Pierrecourt, et le plus souvent en une part du festin de noces. Il pouvait être dû par un noble à un seigneur supérieur[51], très souvent il était dû par le nouvel époux aux jeunes gens non mariés de la paroisse de l’épousée[52], ou à la corporation de métier de l’époux. C’est là sans doute ce qui a suggéré à Montaigne cette plaisanterie d’un goût d’autant plus douteux qu’il ne pouvait de bonne foi avancer sérieusement une pareille assertion : Ailleurs, si c’est un marchand qui se marie, tous les marchands conviés à la nopce couchent avecques l’espousée avant luy ; si un officier se marie, il en va de mesme ; de mesme si c’est un noble ; et ainsi des aultres, sauf si c’est un laboureur ou quelqu’un du bas-peuple, car lors c’est au seigneur à faire : et si on ne laisse pas d’y recommander estroictement la loyauté pendant le mariage[53].

Je donne en note un ou deux textes, par siècle, relatifs au culagium dit entre manants ; je les emprunte à du Cange[54].

Les seigneurs n’exigeaient pas toujours de l’argent[55] ou une part, dans le fortin de noces[56], ils se contentaient parfois de confisquer le lit nuptial avec tout se qui constituait le couchage[57].

Le cochet[58], le calenum, chaudel ou chaudelet[59], le ban ou bast[60], le vinum maritagii, vin-donner, et vin de couchier[61], étaient absolument la même chose que le maritagium ou nuptiaticum considéré comme la part que les compagnons et compatriotes de l’époux ou de l’épousée devaient avoir dans les réjouissances du mariage. Si j’insiste sur ce point, c’est que dans une note, M. Delpit a avancé que tous ces mots étaient synonymes de droit du seigneur[62]. Je n’ai pas à m’occuper du guerson, guersumma, qui parait être une dénomination usitée en Angleterre[63] ; mais j’ajouterai encore à l’énumération précitée le mot caveliche[64], particulier aux vassaux de l’abbaye de Corbie, en faisant remarquer que le vocable culagium n’est généralement pas employé dans les actes officiels mentionnant les droits de seigneurs ecclésiastiques sur les mariages.

Il y a un point sur lequel je me rencontre avec M. Delpit, sans admettre ses conclusions : il avance qu’il croit être le premier à établir que le droit de formariage se rattache étroitement à ce que l’on appelle maritagium, nuptiaticum, culagium, etc. Il en conclut que le droit du seigneur se cachait très souvent sous celui de formariage[65]. Il est évident qu’on ne peut établir de différence entre le maritagium, acquitté par la famille de la vassale qui en se mariant hors des domaines du seigneur quittait ceux-ci, et le formariage[66].

On pourra peut-être me reprocher, dans cette étude déjà longue, de n’avoir pas discuté certains documents qui depuis longtemps servent d’arguments aux personnes qui, suivant l’expression de mon savant ami et confrère M. Léopold Delisle, ne cessent de jeter le souvenir du droit du seigneur à la face de la féodalité, comme le plus sanglant outrage. J’avoue que je ne me sens pas l’envie, sans y être forcé, de perdre mon temps à discuter sur des actes dont l’authenticité est parfaitement douteuse. Je ne crois pas avoir cité un texte qui ne soit authentique, et que chacun de mes lecteurs ne puisse contrôler lui-même : il m’est donc permis de demander, si le débat continue, qu’il ait lieu à armes égales. Je discuterai encore s’il le faut, mais dans le cas seulement où mes contradicteurs m’opposeraient des arguments fondés sur des textes d’une valeur incontestable, ou dont ils établiront solidement la valeur.

On a dit : on n’invente pas ces choses-là[67] ; moi j’affirme que la malveillance invente ; tous les jours nous en voyons des preuves autour de nous. L’histoire fourmille d’erreurs inventées, répétées, et passées à l’état de faits acquis. Dans la pièce de Beaumarchais, qui a peut-être le plus popularisé le droit du seigneur comme une institution des lois féodales, ne trouvons-nous pas le fameux adage : calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ? Et Beaumarchais n’avait pas été le premier à proclamer cette triste vérité.

Et maintenant ; je conclus.

Le droit du seigneur, c’est-à-dire la prétention de la part d’un seigneur à exiger la première nuit de sa sujette nouvellement mariée, n’a existé à aucune époque et nulle part en vertu, d’une loi ou de la coutume.

De très rares exceptions permettent d’établir que la menace d’exercer cette prétention illégale a été employée pour extorquer aux vassaux une redevance quelquefois onéreuse. Je ne me fais pas d’ailleurs le champion de l’état de la société pendant la féodalité et je suis le premier à reconnaître que, pour un souverain obéré, petit ou grand, tous les moyens sont bons pour avoir de l’argent.

La croyance et les prétentions du droit du seigneur se sont exclusivement multipliées à dater de la fin du XVe et surtout au XVIe et au XVIIe siècles, c’est-à-dire à l’époque où la féodalité s’amoindrissait rapidement ; cette erreur fut accréditée par quelques légistes qui, s’en firent une arme contre le clergé et la noblesse, en feignant d’ignorer que les redevances pour cause de mariage existaient dans le peuple comme dans les classes privilégiées cette erreur fut encouragée et presque avouée par certains seigneurs libertins qui, dans leurs petites maisons de Paris, ou dans quelque ruelle galante, se vantaient de privilèges qu’ils eussent été bien marris d’avoir exercé dans leurs fiefs, quelquefois aussi imaginaires que leurs prétendus droits.

Je vais plus loin : lorsqu’un de ces riches partisans à qui son immense fortune amassée en quelques années permettait de tout acheter, lorsqu’un grand seigneur, un prince, le roi lui-même trouvait un homme assez complaisant pour donner sou nom à une maîtresse délaissée, ce financier, ce ministre, ce souverain ne pouvait-il pas dire qu’il avait exercé le droit du seigneur ?

M. Delpit ne s’est pas aperçu, après avoir avancé que le droit du seigneur était de l’essence même de l’esprit et des mœurs des premiers siècles du moyen âge, qu’il se démentait lui-même quelques pages plus loin eu multipliant les citations pour établir que cet abus existait de toute antiquité[68]. Je me contente de lui emprunter un texte de Lactance, relatif à l’empereur Maximien Galère ; Skene, Booth ou Buchanan n’auraient pas mieux dit : Maximianus Galerius... jam induxerat morem ut nemo sine ejus permissu uxorem duceret, ut ipse in omnibus nuptiis prægustator esset. Lactance répétait ainsi une accusation portée contre un persécuteur de la foi chrétienne ; on avait dit à peu près la même chose sur César et sur Caligula. J’ai fait remarquer, au commencement de ces recherches, que la malveillance, à toute époque, avait employé ce moyen.

C’est qu’aussi, il faut l’avouer, sans remonter aux Grecs ni aux Romains, sans énumérer les peuples au sujet desquels les historiens antiques se sont exprimés comme Montaigne, dans les quelques lignes que j’ai transcrites, l’abus de la force et de l’intimidation pour favoriser le libertinage est de tous les temps et de tous les pays.

Cet abus existait sous la féodalité lorsqu’un seigneur, par menace ou autrement, s’emparait de sa sujette ou de la femme de son sujet ; mais ce seigneur usait de violence et non pas d’un privilège.

Cet abus existait sous la monarchie, lorsque pour’ obtenir une faveur, pour éviter une disgrâce à son mari, une femme sacrifiait son honneur ; mais l’arbitraire et la corruption ne constituaient pas un droit.

Cet abus existait après la ruine de la féodalité et de la monarchie, pendant la république, lorsque, sous la promesse quelquefois fallacieuse de la grâce d’un père, d’un frère ou d’un époux, une fille, une sœur ou une femme cédait aux propositions d’un proconsul terroriste ; mais la brutalité et l’arbitraire ne donnent ni droit ni privilège.

Que dirait-on, à notre époque, si, en présence de la proportion toujours croissante des attentats contre la propriété, attentats que la loi ne peut pas toujours réprimer, quelqu’un venait dire sérieusement que certains individus ont le droit du voleur ?

Le prétendu droit du seigneur existe-t-il encore maintenant que la démocratie a remplacé la féodalité ? — J’ai dit au début de cet article que je faisais une œuvre de bonne foi, et que je m’abstiendrais de personnalités. Or la bonne foi me défend de répondre négativement, et je ne veux pas faire de personnalités.

 

 

 



[1] M. Jules Delpit, dans une brochure intitulée : Réponse d’un campagnard à un Parisien, ou réfutation du livre de M. Veuillot sur le droit du seigneur (Paris, Dumoulin, 1857), a cherché à établir que ce droit avait existé dans le Dauphiné, la Bourgogne, la Champagne, l’Auvergne, le Berry, l’Anjou, le Limousin, la Guyenne, le Quercy, le Languedoc et le Béarn. Je m’étonne qu’en employant le mode d’argumentation adopté par lui, et les preuves, très discutables, présentées systématiquement à l’appui de sa thèse, M. Delpit n’ait pas simplement énuméré toutes les provinces de la France.

[2] Craig, de feudis, II, d. 3, sec. 31. Quod ad marchetas mulierunt puto hoc falso nostrorum hominum moribus tantum ascribi, quasi apud cos solum domini pudicitiam virginum soliti essent delibare quæ in eorum territorio locarentur ; salis enim constat, et eumdem morem in Gallia fuisse, et ab iis ad nos cum feudis transiisse. Si le droit féodal français a été importé en Angleterre, ce fut par les Normands : or les recherches si consciencieuses de M. L. Delisle ont suffisamment établi que le droit du seigneur n’avait pas existé en Normandie.

[3] Coutumes locales du bailliage d’Amiens, t. II, p. 60, Auxi-le-Château, en 1507.

[4] Coutumes locales du bailliage d’Amiens, t. II, p. 77, Baronnie de Blangy-en-Ternois, en 1507.

[5] Nicolas Boyer, connu sous le nom de Boerius, né à Montpellier, fut professeur de droit, puis avocat à Bourges, et mourut en 1559, président à Bordeaux.

[6] Le droit du seigneur au moyen âge, par L. Veuillot, Paris, L. Vivès, 1854.

[7] Histoire morale de la femme, par E. Legouvé, de l’Académie française, 1856, Dentu, p. 84.

[8] Bulletin de la Société de l’histoire de France, 1855-1856, p. 117.

[9] Histoire de la ville et de l’ancien comté de Bar-sur-Seine, par Lucien Coutant, 1855, p. 55. — Ce passage est d’autan plus incompréhensible que l’auteur ne peut rien citer de positif sur l’existence du droit du seigneur dans le comté de Bar. Il se contente de relater une légende d’après laquelle un seigneur, pour avoir abusé de l’une de ses vassales, aurait vu son château incendié par ses hommes, le Parlement absoudre ceux-ci et le condamner au bannissement, et le pape enfin l’excommunier.

[10] Mémoires de la Société du Berry, 1863-1864, page 269 et sqq.

[11] C’est en partant de ce principe que M. Delpit et d’autres ont cru pouvoir établir que le droit du seigneur avait dû exister dans plusieurs provinces. — Dans toute discussion il est indispensable de préciser le sens des mois que l’on emploie. Je pose en fait que la plupart du temps, faute de bonnes définitions ou d’une entente préalable sur la valeur des termes dont on se sert, le débat se prolonge inutilement.

[12] Je dois constater que j’ai vu la mention d’un seigneur qui prétendait avoir le droit de cuisse en 1684. C’était François Chalier qui, venant d’acquérir la seigneurie de Pérignat-ès-Allier, en Auvergne, voulut sans doute s’attribuer un droit qu’il avait entendu citer comme un privilège nobiliaire. Lorsqu’on lut, au prône, le dénombrement des droits prétendus par le nouveau seigneur, les justiciables, pour qui c’était chose nouvelle, s’empressèrent de protester ; Fr. Chalier plaida, mais sans succès ; un jugement du 21 juin 1686, déclara que le droit de cuisse était une innovation qui devait être rayée. (D. Branche, Études sur les droits seigneuriaux de l’Auvergne, 1857.) — Notons qu’il est impossible de trouver une preuve quelconque du prétendu droit de cuissage qui aurait appartenu aux chanoines-comtes de Lyon : j’ai fait faire les recherches les plus minutieuses.

[13] Il est indubitable que des abbés, des évêques, s’attribuèrent cette prérogative en qualité de seigneurs temporels ; et il n’y a pas bien longtemps que ces prélats se sont désistés de cet ancien privilège pour des redevances en argent... Mais remarquons bien que cet excès de tyrannie ne fut jamais approuvé par aucune loi publique..... Vous ne trouverez ni dans les constitutions de l’Allemagne, ni dans les ordonnances des rois de France, ni dans les registres du Parlement d’Angleterre aucune loi positive qui adjuge le droit de cuissage aux barons. (Voltaire, Dict. philos.)

[14] Léopold Delisle, Études sur la condition de la classe agricole et l’état de l’agriculture en Normandie au moyen âge, p. 671.

[15] Verson fut donné au Mont-Saint-Michel par Richard Ier, duc de Normandie, mort en 996. (Voy. Mém. de la Soc. des Antiq. de Normandie, IIe série, t. II, p. 109.)

[16] J’emprunte à M. Bouthors, t. II, p. 166, la meilleure explication de cette redevance due à l’occasion du mariage d’une vassale avec un étranger : Lorsqu’un étranger épousait la sujette d’un antre seigneur, il fallait qu’il fit acte de soumission à ce seigneur, ou qu’il payât l’amende si le mariage avait lieu sans l’accomplissement de cette formalité. Cette exigences explique jusqu’à un certain point, car la femme suit toujours la condition de son mari : si elle épouse un étranger qui va demeurer ailleurs, elle prive nécessairement son seigneur des profits qu’il retirerait de l’habitation des deux époux sur ses domaines.

[17] XXV. Item notandum quod quilibet qui tenet plenum vilanagium si maritaverit flliam suam infra terram sancti Michaelis, tenetur reddere XVIII d. ; et qui minus tenuerit reddet pro portione quam tenebit. L. Delisle, op. laud. (p. 680). L’abbaye de Saint-Georges de Bocherville percevait la même redevance, d’après une coutume rédigée dans les mêmes termes (Id., p. 69).

[18] L. Delisle, op. laud., p. 125.

[19] L. Delisle, p. 72.

[20] Le document a été signalé en partie par M. G. Bascle de la Grèze dans une brochure intitulée : Essai sur le droit du seigneur à l’occasion de la controverse entre M. Dupin aîné et M. Louis Veuillot, Paris, Charavay, 1855. Il est bon de remarquer qu’en Béarn on ne trouve pas d’aveux ou de dénombrements antérieurs à 1536.

[21] Aas, commune supprimée aujourd’hui et réunie aux Eaux-Bonnes.

[22] Les maisons au nombre de neuf se nommaient Cents, Horque-Dessus, Casamayour, Orteig, Casenave, Forgue-Debat, Puyou, Court et Soulé.

[23] Revue des Sociétés savantes, 1864, Ier sem., p. 163 ; 2e sem., p. 11.

[24] La même clause se retrouve dans le dénombrement rédigé en français, fourni le 13 octobre 1614 par Jacob du Vignau, seigneur de Bizanos, qui prétend trois écuelles de Bibaroou : elle a disparu dans le dénombrement de Henri du Vignau, qui est du 21 décembre 1682, et dans lequel il n’y est fait aucune allusion.

[25] De 1538 à 1546, en Béarn, les dénombrements étaient vérifiés par un commissaire du roi de Navarre : pour les deux premiers actes de Bizanos et celui de Louvie Soubiron, le commissaire fut Jacques de Foix, évêque de Lescar. Le dénombrement de Louvie porte, en outre, les conclusions du procureur général qui réserve les droits appartenant à la haute justice, sans autres explications. Voici la formule dont on usait plus tard pour admettre tes dénombrements présentés à Jacques de Foix : elle donne une idée de l’arbitraire avec lequel ils ont été établis : Nous, Jean-Baptiste d’Elissalde et Jean-Jacques de Fayet, conseillers du roi en ses conseils ci ses avocats généraux au Parlement de Navarre, séant à Pau, certifions que, suivant la jurisprudence constante du Parlement, les dénombrements présentés à Jacques de Foix sont admis comme des titres qui établissent ce qui y est contenu, quoiqu’ils n’aient pas été vérines pourvu néanmoins qu’ils ayent été suivis de l’exécution. En foi de quoi Bous avons donné la présente déclaration signée de nous et contresignée de notre secrétaire à laquelle nous avons fait apposer le sceau du parquet. À Pau, le 1er août 1781. — La disparition de la redevance du bibarou en 1682, permettrait de conclure que cette servitude avait été supprimée sous l’influence de la législation française ; j’ajouterai que si on ne retrouve pas postérieurement à 1538 de dénombrement de Louvie mentionnant le droit sur les Bragarii, il ne serait pas trop hardi de supposer que le défaut d’exécution annula les prétentions plus ou moins fondées de jean de Louvie Soubiron.

[26] Annals of Scotland, vol. III, p. 2, Edinburgh, 1797.

[27] Je remarque une tradition analogue dans l’ouvrage intitulé : Femmes arabes avant et depuis l’Islamisme, par le docteur Perron, ch. VII, p. 52. Le chef de la tribu des Djadis aurait exercé le droit du seigneur sur la tribu des Tasmides. Des auteurs ont voulu établir une analogie entre ce qui se serait passé au moyen âge dans notre pays, et ce qui a lieu dans la Bosnie et l’Herzegovine. Je n’admets pas que l’on puisse assimiler la féodalité française avec ce que l’on appelle la féodalité musulmane. L’esclavage aussi dur que dans l’antiquité païenne, et le paradis de Mahomet n’ont jamais eu de rapports avec le servage et les croyances chrétiennes. (Cf. G. Lejan, Revue contemporaine, LXLI, p. 740.)

[28] Alleurs Boot oublie l’étymologie tirée du demi-marc d’argent pour parler d’un nummus aureus, comme représentant cette redevance. Une monnaie d’or écossaise du onzième siècle, serait une belle découverte pour les numismatistes. Les textes qui mentionnent le montant de la marquette prouvent qu’il ne s’agissait ni d’un demi-marc d’argent, ni d’une pièce d’or. (Cf. Bœthius, III, 35, a, b., et XII, 269, a.)

[29] Annals of Scotland, op. laud., p. 278 et sqq.

[30] Acts of the parliament of Scotland, vol. I, ann. 1124-14.3 : London, 1844, in-f°.

[31] Op. laud., p. 14.

[32] Spelman, Glossary, p. 398 ; ex reg. abb. de Burgo S. Petri.

[33] Op. laud., p. 9, d’après P. Blesensis contin. Ingulphi, p. 215.

[34] En Écosse on appelait ourloup le délit causé par le passage du bétail sur un pâturage. Ailleurs nous lisons : In Fiskerton and Moreton every she native that maried or commited fornication, paid pro redemptione sanguins, 5 s., 4 d. (Blount, ancient tenures, p. 153.)

[35] Si quis violaverit ancillam alicujus... dominus ejus debet habere ab eo XII denarios. Quotiescumque aliquis ancillam alicujus sine licentia cognoverit toties domino suo XII denarios reddat. (De Courson, Histoire des peuples bretons, II, p. 67.)

[36] Anciennes lois des François conservées dans les coutumes angloises, t. I, p. 332. Vov. aussi : On the custom of borouch englisch as existing in the county of Sussex, by George R. Corner, esq. f. s. London, 1853.

[37] Ric-Burre tenet unum mesuagium, et debet tallagium, sectam curiæ et merchet, hoc modo : quod si maritare voluerit filiam suam cum quodam libero homine extra villam, faciet pacem domini pro maritagio, et si eam maritaverit alicui costumario villæ, nihil dabit pro maritagio. (Ext. maner. de Wivenho, 18 dec., 40 Edw. III).

Johanna Deakony attachiata fuit ad respondendum hominibus de Berkholt, quare exigit ab eis alia servitia, etc. Unde dicit quod tempore regis H avi solebant habere talem consuetudinem, quod quando maritare volebant filias suas, solebant dare pro filiabus suis maritandis duas oras, quæ valent 32 denarios, etc. Postea veniunt homines et concedunt, quod..... debent dare meschetum pro filiabus suis maritandis, scilicet 32 denarios. (Placita coram concilio domini regis. Term. mich. 37. Henr. III. Rot. 4 Suffolk. apud lord Hailes, p. 11.)

[38] Nous trouvons dans une loi d’Hoël, c. XXI, un passage qui indique en termes exprès l’obligation pour le sujet de demander au seigneur la permission de marier sa fille : Nemo feminam det viro, antequam de mercede domino reddenda fidejussorem accipiat : puella dicitur esse desertum regis, et ob hoc regis est de ea antachyr habere. Pour interpréter ce texte, je ne puis mieux faire que de renvoyer à la note que j’ai empruntée à M. Bouthors (cf. note 16).

[39] Cf. du Cange, v° Maritagium.

[40] Cf. J. Delpit, p. 53.

[41] J’ai traité la question des Quintaines et du Bouhourdage, dans des articles publiés dans la Revue de Bretagne et Vendée : on y remarque que les nouveaux mariés ne sont pas les seuls vassaux qui aient été les acteurs de ces sortes de réjouissances populaires.

[42] A Saint-Seine-l’Abbaye, les nouveaux mariés offraient à l’image de la Vierge un cierge dit chandelle des épousés. (Amanton, Essai chr. sur les mœurs, etc., de la Bourgogne, p. 74.) — 1358. Item quod a tempore et per tempus predictum, predicti sacrista et capitulum pro et ad opus quorumdam beneficiatorum et officiarforum in ipsa ecclesia, per ipsos percipit et percipere consuevit et sibi licuit et licet exigere ex quibuslibet nuptias et matrimonia contrahentibus infra dictam villam, et incolis villaæ, portions panis et vini et carnium crudarum et coctaram, et pastum cum nubentibus, scutellas matrimonii vulgariter nuncupatas, et in possessione predictorum fuerunt et sunt percipiendi et exigendi, et in iis paritum fuit, et est ipsis palam et notorie. (Privileg. du chap. de Saint-Barnard de Romans, en Dauphiné, confirmés en 1348, par le Dauphin et en 1358 par le roi Jean ; Ordonnances des rois de France, tome II, p. 279 et 285.) — A Beauvais, un officier épiscopal ayant pour mission de pourvoir d’acteurs les représentations populaires des mystères, avait un fief dit de la Jonglerie : parmi ses revenus il avait une redevance, à défaut du payement de laquelle il pouvait s’emparer de la robe de noces du marié, et exiger un pot de vin, un pain et ung mes de char ou de tel serviche comme on servait aux neuches. En 1330, l’évêque Jean de Marigny mit fin à ce droit afin de faire cesser les nombreuses discussions auxquelles il donnait lien la commune paya 800 livres parisis pour indemniser l’église de la diminution de son fief de la Jonglerie. (Hist. de la Cathédrale de Beauvais, par G. Desjardins, p. 134 et sqq.). — Dans l’histoire de l’abbaye de Saint-Étienne de Laon, M. Hippeau, p. 406, a rappelé que chaque vassal qui se mariait à Torteval et qui couchait la première nuit sur la baronnie, devait un gâteau de la valeur de 12 deniers, une longe de porc ou de bœuf et un gallon du vin de la noce : le tout était apporté à l’abbaye par la nouvelle mariée, accompagnée d’un servant ou valet, et les moines devaient un dîner à celle-ci.

[43] Dans l’aveu du fief de Sotteville (par. de Breteuil), par Philippe de Chantelou en 1611, les regards de mariage consistent en ung plat de viande avec deux pains et deux pots de boisson tel qu’il se boist en la feste qui se fait lorsque aucuns desdits vassaux se marient qu’il est tenu fournir et présenter au dîner du seigneur avec le convoy des menestriers de ladite feste, à peine de l’amende et estimation dudit plat. — En 1599, dans l’aveu de Timoléon de l’Espinay, pour le fief de Saint-Luc (par. de Saint-Luc-le-Château), on lit : Ledit sieur de Saint-Luc a droit sur tous les hommes et tenants de ladite sieurie de Saint-Luc tel que tous ceux qui se marient en ladite sieurie et y font le disner, luy doivent un plat de viande tel qu’il est servi à la dame des nopces, et lui doit estre apporté avec le tabourin et autres instrumens qui sont aux nopces. — Nicolas Daniel, en 1711, dans un aveu du fief de Fours (par. du même nom), disait : Quant un de mes hommes de mon vilage de Fours se marie, il doit apporter à mon hotel ung plat de toutes viandes, deux pots de vin et quatre pains blancs, les ménetriers faisant de violon mestier. » — Le seigneur de Flers avait aussi son droit de repas, ou du moins sa part au festin de noces sur ses tenanciers de la Crochére, mais simplement à cause du droit accordé à ceux-ci de prendre un fon dans la forêt seigneuriale, sans rétribution, à l’occasion desdites noces. (Hist. de Flers, par le comte H. de la Ferrière). — Tous ces exemples sont empruntés à des aveux de Normandie, mais on pourrait les multiplier en cherchant dans les archives de chaque province : ainsi, en Auvergne, le vicomte de Murat devait être invité au repas de noces : plus tard il exigea une redevance appelée droit de nappe qui lui rapportait, à la fin du XVIIe siècle, 100 livres par an. Les vassaux de Rouve (par. de Saugues) devaient le droit d’osquâ qui, acquitté en argent, était évalué à3 livres par an au moment de la Révolution : or, l’osquâ était un plat de ragoût de mouton aux raves. — Il ne faut pas croire que les seigneurs se réservassent seulement sur les nouveaux mariés le droit de prendre part à des festins : il y avait des abbayes qui en devaient, à certains jours, à. leurs fondateurs eu certains bienfaiteurs ; il y avait des seigneurs qui en devaient à d’autres seigneurs ; il y avait des communautés qui en devaient à des chapitres, à des évêques ; il y avait même des curés qui en devaient à certains seigneurs : témoin le curé de Plélo (Côtes-du-Nord), qui devait au seigneur de Saint-Thuriau une soupe de pain de seigle dans une écuelle de frêne : ce qui restait de cette maigre pitance était réservé pour le lévrier du seigneur : plus tard cette redevance au lieu de diminuer prit plus d’importance, et, le jour de Pâques, le recteur donnait nu véritable repas au seigneur de Saint-Thuriau, à sa suite, et il n’oubliait ni les chevaux ni les chiens. II faut dire que, primitivement, l’emplacement du presbytère avait été donné par un seigneur de Saint-Thuriau.

[44] Mesdits hommes sont subjets, quant ils se marient sur mondit fief que leurs femmes me viennent dire le lendemain de leurs nopces une chanson. (Aveu du fief de Theureyen 1607, par Tanneguy de Chambray). — Le propriétaire de la Poulinière, commune de Coulon, devait annuellement, à l’issue des premières vêpres de la Saint-Jean, présenter à la passée et entrée du cimetière, sous peine de saisie, une couronne de cerfeuil sauvage aux officiers du seigneur de Montfort qui la portaient sur la motte aux mariées où devaient se trouver réunies, sous peine de 60 sous à amende, toutes les nouvelles mariées des paroisses Saint-Jean et Saint-Nicolas de Coulon ; celles-ci dansaient et chantaient chacune une chanson ayant à tour de rôle la couronne sur la tète. Le seigneur fournissait 100 fagots pour le feu de joie qui était allumé pendant la danse. La fête terminée, chaque mariée embrassait le seigneur ou son procureur fiscal, et la couronne restait à la dernière. (Hist. de Montfort., par F.-L.-E. Oresve).

[45] Voy., plus haut, ce que j’ai signalé à propos d’un droit du seigneur de Châteauroux. — Les potiers de Tramain (Côtes-du-Nord) devaient aux seigneurs de la Villeneuve, le dimanche avant la S. Jean-Baptiste, un pot garni de fleurs qui était offert par le dernier marié d’entre eux, accompagné d’un joueur d’instrument.

[46] Ce regard de mariage est indiqué dans l’Histoire des grands panetiers de Normandie, par M. le marquis de Belleuf.

[47] Ne pourront demander lidit seigneur et dames esdiz habitanz ne avoir d’iceulx nulle chose pour cause de ost, de chevauchée, de subvention..... de mortailles, de noçailles, de chevalerie, etc. (Ordonnances des rois de France, t. VI, p. 63 ; chart. de Tannay, art. 14.) — En la baronnie de la Roche-Vernassal (Auvergne), un officier du château était convié au repas de noces ; les mariés étaient, en outre, tenus de faire au seigneur un présent de vin, pain et viande désigné sous le nom de droit de noces. (D. Branche, d’après une charte de 1291.)

[48] A propos du nuptiaticum, du Cange cite plusieurs textes parmi lesquels j’emprunte les deux qui suivent : 1428 : Lesquels compaignons conclurent entreulx que il convenait aler en la chambre de l’espousée demander deux pots de vin pour le vin de couchier, comme l’en seult faire en teles noces audit païs (de Reims) disans que s’ils ne les avoient, l’espousée ne s’en iroit pas couchier. — 1479. Une meslée de gens qui estoient assemblez au lieu de Semur pour cuider avoir les pastez de certaines noces, lesquelz on a acoustumé de bailler aux varlets à marier.

[49] Voyez plus haut la coutume de Blangy.

[50] Quitavi etiam dictis hominibus quemdam redditum qui culagium dicebatur videlicet tres solidi quos mihi singuli reddebant quando filias suas maritabat. (Bibl. de l’Ecole des Chartes, 7e série, t. III (1857), p. 168, art. de M. de Beaurepaire.)

[51] Ledit seigneur (Olivier de Vrenade, seigneur de la Bastée et Barlin) tient la terre et seigneurie de Barlin, appartenances et apeudances d’ieclle, en un seul fief, de madame de Humbercourt, à cause de son châtel de Honnebin, de la comté de Saint-Pol ; auquel fief il a toute justice, haute moyenne et basse, à cause dudit fief, visconté, baronnie et seigneurie de Barlin, ledit seigneur a plusieurs beaux droix, previliéges et prérogatives sur tous ses hommes et tenans ; et sy a certain droit de cuilage qui est tel que toutes les femmes qui tiennent fief dudit seigneur de Barlin, toutes et quantes fois qu’elles se maryent ou changent de mary, elles ou leursdits maris sont tenues paier assavoir les fiefs, reliefs, limites et coteries, le sixième denier de la valeur ; duquel droit de collage, ledit seigneur de Barlin est tenu faire pareil droit à madame de Humbercourt. (Bouthors, Coutumes locales du bailliage d’Amiens, t. II, p. 432). Ann.1507.

[52] Aujourd’hui encore, dans un grand nombre de communes, les jeunes gens ne laissent pas sortir de la maison paternelle la fiancée lorsqu’elle se rend à l’église sans lui barrer le passage avec un ruban ; le ruban tombe lorsque le fiancé a donné aux jeunes gens une certaine rétribution : j’ajouterai que cela ne se fait que pour les jeunes tilles considérées. D’après M. Bouthors, l’usage du vin de mariage, sous peine de charivari, existé en Picardie pour les étrangers à la commune.

[53] Essais, c. XXII, t. I.

[54] 1375. Comme en la ville de Jallon-sur-Marne et ou païs d’environ, il soit accoustume de longtemps que ung chascun varlet, mais qu’il ne soit clerc ou noble, quant il se marie, soit tenuz de paier aux autres compaignons et varlez à marier son berc-jaune, appellé oudit païs coullage. — 1385. Le vin du couillage du fils Petitpas, qui fu de nouvel mariez. — 1391. Auquelles noces certain grant débat fu meu entreulx pour savoir à qui appartenoit le droit du coillage, deu par ledit espousé. — 1396. — Lesquels se partirent tous ensemble du lieu de la Grève après eure de cueuvre-feu, pour venir au lieu de Montierender en espérance de aler demander à Jehan Thibaut, vigneron, son coillage pour ce que ce jour il avoit espousé une fille dudit lieu de la Grève... lequel Jehan Thibaut ne leur voulsit donner aucune chose, fors... que son pain et de son vin et des biens de son hostel. — 1454. Lesquelz compaignons envoyèrent audit hostel où se faisoient les nopces pour demander à l’espousé son culaige ainsi qu’ils ont accoustume de faire audit lieu (de St-Leu-en-Rethelois). — 1458. Fut par les varlets de la ville de Saint-Just demandé le vin ou coullaige, qui est une chose accoustumée ou pays. — Il est à remarquer que toutes ces citations sont empruntées à des lettres de rémissions données à la suite de contestations et de rixes provenant du refus des nouveaux mariés de se soumettre à un usage traditionnel.

[55] 1507. Item se ung homme foraing se marie et prend femme en ladite ville (Brestel-lez-Doulens) laquelle y soit demourant, alors qu’il la fianchera, il doist et est tenu payer le jour qu’il espousera au seigneur de Brestol, II deniers, et s’il desfault à les payer, il eschet envers ledit seigneur en amende de LX solz. (Bouthors, t. II, p. 85.)

[56] 1507. Item et quant aucun des subgietz ou subgietes dudit lieu de Drucat se marye, et la feste et nœupces se fond audit lieu de Drucat, le maryé ne pœult coucher la première nuyt avec sa dame de nœupces sans le convié, licence et auctorité dudit seigneur, ou que ledit seigneur ait couchié avec ladite dame de nœupces ; lequel congié il est tenu demander audit seigneur ou à ses officiers ; pour lequel congié obtenir, ledit maryé est tenu baillier un plat de viande tel que on la mangue ausdites nœupces, avec deux los de breuvaige tel que l’on boit ausdites nœupces ; et est ledit droit appelé droit de cullage ; et d’icelluy droit de cullaige ledit seigneur et ses prédecesseurs ont joy de tout temps, et de tel qu’il n’est mémoire du contraire. (Bouthors, t. I, p, 484.)

[57] 1507. Item se aulcuns se conjoident par mariage en ladite ville et seigneurie (de Mesnil-lez-Hesdin) ou ailleurs vœullent couchier la premiere nuyt de leurs nœupces sur ladite seigneurie, soit qu’ilz soient subgetz ou non, le sire de nœupces ne pœult ou doit couchier avec sa femme et espouse ladite première nuyt, sans demander grâce et congié de ce faire audit seigneur, sur peine de confiscation du lit sur lequel lesdis conjoingz auroient couchié et de tout ce qui seroit trouvé sur ledit lit, lendemain au matin, le tout au droit et prouffit d’icelluy seigneur. ( Bouthors, t. II, p. 626.)

[58] 1350. Die nuptiarum dicti matrimonii de sero accesserunt ad domum dicti defuncti tunc sponsi, parentes et amici qui ad nuptias ipsas ratione amicitiæ convenerant.... causa solatii et quærendi gallum seu cochetum, ut in partibus illis est moris. (Lit. remiss., reg. 80, n° 423). — 1471. Le cochet qui est le droit que les espousez au pays ont accoustumé de donner le soir de leurs nopces aux compaignons du lieu et paroisse où se font lesdictes nopces. (Id., reg. 195, n° 636.)

[59] 1475. Lesquelz compaignons requirent à aucuns des parents et amis des mariés qui en leur voulsist donner le chaudeau comme l’on a coustume donner aux nopces. (Id. Id., n° 1503.)

[60] 1390. Quant l’espousée se deust couchier, vindrent plusieurs tisserans d’icelle ville de Dreux, lesquelz demandèrent... à l’exposant comme administrateur du vin leur droit de ban qu’ils disoient à eulx appartenir, c’est assavoir qu’ils dient avoir de coustume au lieu et au pays d’environ ; que quant aucun se marie, ilz doivent avoir de l’espousé ou de ses commis une carte ou deux de vin especial pour leur ban, ou argent pour la valeur, et pa ceulz qui sont du mesme mestier ou office de l’espousé : et pour ce aussi qu’il est accoustumé de chanter par esbatement une chançon par ceulx qui font laditte demande, ledit exposant respondit amiablement qu’ilz n’en auroient point, si ilz ne chantoient la chançon. (Id., reg. 139, n° 12).

[61] 1375. Guillelmus, Johannes ac ipsorum complices post cœnam et recessum dictarum nuptiarum redeundo de quodam spatiamento, le vin donner gallice nominato, in dictis partibus (en Normandie) fieri consueto, et quod spatiamentum supra maritum sumitur. (Reg. 87, n° 27.)

1404. Chascun maistre dudit mestier (de tanneur) sera tenu payer pour vin de mariaige XX solz tournois. (Ordonnances du roi de France, t. IX, p. 46.)

[62] Réponse d’un campagnard, etc., ch. I, p. 9.

[63] Cf. du Cange. — Delisle, p. 89.

[64] 1308. Item ledite église a bien en ledite villemille personnes et plus assez lesquelles ne se peuvent marier sans son convié, et du congié donner elle a sa droiture. — Item elle a sa droiture accoustumée en tant qu’il sont ensemble par mariage ; chascune personne paie a ledite église deux deniers parisis de son kief, et appelle en icelle condicion, en nom vulgal, caveliche, pour ce qu’il est payé par le kief. (Coutumes de la ville et banlieue de Corbie.)

[65] Delpit, p. 119.

[66] Dans le livre des Serfs de Marmoutiers publié tout récemment par M. Ch. Grandmaison, on trouve plusieurs exemples de sommes données par les serfs pour avoir le droit de se marier avec des serves appartenant à d’autres maîtres ; je citerai par exemple un fragment d’un acte de la seconde moitié du XIe siècle, p. 59 : Adelardus servus sancti Martini accepit in conjugio quamdam mulierum ancillam cujusdam hominis nomine Gualoii, quam postea calumniatus est ei prædictus homo, de qua calumnia venimus ad concordiam cum illo, et dedit ei isdem Adelardus de suo XIIIIim in solidos, et ita guerpicit Deo et sancto Martino mulierem illam cum fructu. Parmi les nombreuses citations que j’ai consignées dans cette étude, plusieurs établissent clairement que le formariage n’est qu’une nuance du maritagium, mais je crois que ce que j’ai exposé sur le culagium doit bien convaincre que le droit du seigneur n a rien à faire ici.

[67] M. Delpit, p. 123.

[68] Delpit, p. 275.