HISTOIRE DE HENRI II

 

CHAPITRE XIII.

 

 

MORT DE HENRI II. - SON CARACTÈRE.

 

Les jours de Henri II se terminèrent par une mort qui n'est pas digne d'un roi[1] ; mille fois eût mieux valu qu'il succombât dans une action de guerre. Ainsi voilà un monarque, entouré de grands hommes, qui souvent conduit mal la guerre, quoiqu'il l'aime et ne s'y épargne[2] pas, le voilà qui commet la faute de la remplacer par des tournois, car on a été jusqu'à dire qu'il avait conclu si vite la paix — à Cateau-Cambrésis — afin de se livrer à sa passion des luttes en champ clos. Où mène l'amour de la gloriole[3], et qu'on ne dise pas que c'était le goût du temps, puisqu'il est le seul de nos rois s'y livrant avec une pareille frénésie[4] !

Les carrousels préparés à Paris, du palais des Tournelles aux écuries royales, traversant la rue Saint-Antoine dépavée exprès, préparés, disons-nous, pour célébrer les noces de la princesse Marguerite avec le duc de Savoie Emmanuel Philibert, avaient lieu depuis plusieurs jours lorsqu'il plut au monarque d'y prendre part en luttant contre Montgommery (2 juin 1559) ; les lances des deux jouteurs se brisèrent ; le roi, dont la visière était levée, fut blessé à l'œil par le tronçon de lance que son adversaire avait eu tort de conserver à la main[5] : un abcès se déclara malgré les soins et Henri succomba le 10 juillet comptant 40 ans et 3 mois d'âge[6].

En mourant Henri II pardonna à Montgommery[7], mais jamais la reine Catherine n'oublia qu'il était l'auteur de la mort de son époux, et cela quoiqu'elle ait mieux exercé l'autorité sous ses fils qu'elle n'eût jamais fait du vivant de Henri II[8].

On a justement reproché à Henri II la violation de la trêve conclue avec l'Espagne c'est surtout la faute des Caraffes et de la Papauté qui les couvrait, car on ne délie pas ainsi un monarque de son serment clans le but de satisfaire à ses passions. D'ailleurs on sait que les Caraffes n'hésitaient pas à supposer une lettre pour la substituer à la véritable[9].

On lui a également reproché l'avilissement de la magistrature ; il est certain qu'il en diminua l'importance par l'établissement des sièges présidiaux[10], destinés à juger les affaires de peu d'importance, et que le connétable fit sentir aux magistrats sa prévention contre eux[11].

Henri II avait une belle prestance ; il était agréable, fort adroit et dispos, grand de taille, un peu moricaud de teint, rapporte Brantôme. Assez ménager en tant que dauphin[12], il devint un roi prodigue[13], dépensant trop en fêtes et ne faisant pas garder assez d'argent en son trésor pour assurer le paiement régulier de ses troupes. De là plus d'un retard pour les opérations militaires, plus d'une mutinerie dans ses armées, le peu de progrès que le maréchal de Brissac a accompli dans ses longues guerres du Piémont, et aussi les premiers embarras du règne de François II.

Ce monarque, qui donna commencement aux divisions de la France par l'accroissement immodéré des deux maisons de Guise et de Montmorency, laissa la France ruinée[14], alors que son prédécesseur lui avait légué quelques économies ; pourtant le connétable, très travailleur et fort dur dans l'application, avait introduit un certain ordre dans les finances, mais le choix des surintendants des finances ne fut pas toujours heureux sous ce règne[15].

On a prétendu que ce souverain, dont le caractère au fond était triste, plus triste certes que celui de son père, et aussi plus faible[16], avait besoin d'être distrait ; de là un besoin à peu près permanent de fêtes, surtout quand les insuccès et d'autres événements graves vinrent l'assaillir, de là plusieurs de ses entrées somptueuses dans nos grandes villes.

Entre les fêtes qui lui furent données[17], il faut citer la fête officielle de son entrée à Lyon en septembre 1548 ; Brantôme se plait à en narrer les détails. Ce monarque y prit un tel plaisir qu'il les fit répéter devant lui six jours après. On y voyait des combats de gladiateurs, le simulacre de la lutte des Horaces et des Curiaces, une naumachie ainsi que, enfin, une tragi-comédie fort bien représentée.

Vieilleville cite sa débonnaireté ; on a même parlé de sa bonhomie. Il était affable dans la forme[18] plus qu'au fond. Sa conduite envers les conseillers Louis Faur et Anne Dubourg qui, sur son invitation, avaient franchement parlé devant lui en Parlement, son ardeur contre le dernier dont le langage sévère avait honni le parjure et l'adultère, doivent nous trouver méfiant envers sa prétendue bonté, car ce jour-là il avait trompé[19] les magistrats en les engageant à parler ouvertement, alors qu'il nourrissait des dispositions hostiles, inspirées par le cardinal de Lorraine, et, suivant l'expression de Vieilleville, il avait fait l'office d'inquisiteur[20].

Henri II n'avait pas toujours été prudent vis-à-vis de son père : par exemple, en 1538 — il comptait 19 ans —, il s'était mis avec son entourage à jouer au roi, et à désigner plusieurs de ses favoris pour telle ou telle fonction, disant déjà qu'il rappellerait à la cour le connétable ; pareille parodie fut contée par le fou Briandas à François Ier[21], qui prit mal la chose, et le Dauphin fut obligé de s'absenter pour un mois[22].

Henri II se sentait inférieur à son père, et avec raison, car ce dernier, quoique devenu prisonnier de Charles-Quint, sut en somme se tirer de ce mauvais pas et relever la France[23] ; ce fut en partie, il est vrai, en manquant de parole, mais cette manière d'agir fut à peu près générale chez les monarques du XVIe siècle[24].

Henri II aimait la chasse ; l'histoire a conservé le nom de plusieurs de ses veneurs, par exemple celui de Thiénot que le poète Claude Gauchet, de Dampmartin, signale en son Plaisir des Champs[25].

Il aima la guerre[26] en s'y exposant[27] ; Brantôme lui rend ce témoignage que nos pages confirment On devait s'y attendre, car sa devise comme Dauphin avait été ambitieuse[28]. Il aimait jusqu'à l'apparence de la guerre ; les fêtes militaires lui plaisaient.

Henri II affectionnait les gens de lettres, parmi lesquels, un historien complaisant le pourrait ranger, car on lui attribue des vers[29] ; il connaissait plusieurs d'entre eux, notamment Ramus. La poésie le réjouissait ; il octroya un don de 500 écus à Sodelle pour sa tragédie de Cléopâtre. On sait qu'il aimait à se faire lire les beaux ouvrages. Il parlait bien l'espagnol, qu'il avait appris, au point d'oublier un peu le français, alors qu'il était retenu en Espagne comme otage, pour garantie des promesses de son père rendu à la liberté.

Il aimait ses enfants et se laissait câliner par eux, surtout par sa belle-fille Marie Stuart : quant à Catherine de Médicis, il devait être peu tendre pour elle, car il lui inspirait de la crainte.

L'influence exercée sur lui par Diane de Poitiers[30], malgré le grand âge de cette maîtresse, tenait moins à la fidélité qu'à la force de caractère de cette femme, qui du reste ne cachait pas ses relations avec son royal amant, au rebours des dispositions de ce dernier, qui préférait taire ses amours. Mais, du silence royal, il ne faut pas conclure, avec certains contemporains, que la galanterie de ce monarque se bornait à un commerce de sentiment et de confiance[31] ; les amours de Henri II ne sont pas plus à nier que plus tard ceux de Henri IV, atténués par un historien[32] ; l'on ne peut oublier les enfants naturels laissés par ces deux souverains ; enfin il serait téméraire de ne tenir compte des plaintes de Catherine et de Marie de Médicis au sujet des amours adultères de leurs époux.

On a reproché à Henri II son air pesant[33], il faudrait plutôt, dans cette expression du temps, voir un reflet de sa taciturnité et de son peu d'expansion, notamment en comparaison de son père ; mais on ne peut dire de lui qu'il fut un prince négligent et paresseux, car il veillait souvent lui-même à la rédaction de ses dépêches ; d'ailleurs sa politique revêtait d'autant plus d'importance que son gouvernement, contrebalancé par l'indépendance de certaines provinces et la liberté d'allures de plusieurs parlements, était loin de ressembler à une autocratie monarchique.

Au total, malgré des conquêtes réelles[34], mais en partie abandonnées[35], ce fut un règne peu utile. Pourtant Henri II eut des inspirations, par exemple quand il voulut, à la fin de son règne, renvoyer les Guises en Lorraine[36].

Pour Catherine de Médicis[37], sa femme, on ne peut nier que la Providence, ou les réserves du sort, diront quelques-uns, ne lui tint ou lui tinssent un rôle tout préparé : dédaignée par son mari, sans autre influence, au début de son mariage, que l'affection de son beau-père François Ier elle va devenir régente et posséder le vrai pouvoir sous ses trois fils, au moins sous les deux aînés, et elle se tirera de cette situation délicate en reine habile, certes appliquée à sa besogne royale et travailleuse ; sa correspondance le prouve.

 

 

 



[1] Historia de Felippe II, par Evaristo San Miguel, Madrid, t. I, p. 253. Montluc prétend en avoir eu le pressentiment : voyez fin du livre IV des Commentaires.

[2] Brantôme, Vie de Henri II.

[3] Martis imago, dit le poète contemporain Etienne Forcadet.

[4] Il aimait les exercices du corps et y excellait, surtout à sauter, ce que Brantôme signale au début de sa Vie de Bonnivet ; la faveur de ce dernier tient en partie à ce talent, qui rappelle un usage du royaume de Lilliput où l'on obtenait un ministère en sautant.

[5] Mémoires de Vieilleville VII, 28. L'auteur de ces Mémoires, Vincent Carloix, appelle cet adversaire : le comte de Montgommery, grand et roidde jeune homme, lieutenant du sieur de Lorges, son père, l'un des capitaines des gardes.

[6] Philippe dépêcha de Bruxelles le fameux André Vesale, mais ce médecin arriva trop tard à Paris.

[7] Le Compte des dépenses, relatives aux funérailles de Henri II, a été publié en 1869, à Paris, chez Fontaine, par M. de Galambert.

[8] Voyez notre Histoire de Charles IX, p. 446.

[9] Henri II fut-il délié de son serment, puisqu'il offrit cinquante mille écus au Saint-Père et fit un traité d'alliance ? Lisez Une Question italienne au XVIe siècle, par de Samm, p. 36 et 43.

[10] Il divisa le Parlement de Paris en deux semestres, l'un d'hiver, l'autre d'été, et l'on parvint à les faire agir en sens inverse. Dans certains conseils du roi, il existait encore en 1789 des conseillers par semestre ; voyez La France en 1789, par M. Pizard, p. 136.

[11] Lacretelle, Histoire des guerres de religion, livre III, t. I, p. 160.

[12] Lettres de Catherine de Médicis, introduction, p. 47. En 1558, la reine avait dépensé à peine 60.000 livres ; idem, p. 12.

[13] M. Guiffrey le représente, Lettres de Dianne de Poytiers, p. 477, comme un souverain assailli par une meute de mendiants titrés et de grands seigneurs faméliques.

[14] Sa captivité de 4 ans en Espagne, comme otage de son père, aurait dû le rendre plus sage et plus circonspect, car il y avait été assez maltraité, affirme M. Mignet, Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, t. II, p. 435.

[15] Témoin celui de M. Gonnor qui sut gagner, en sa première année d'exercice, 200.000 écus bien comptés, ce qui ne l'empêcha pas de devenir maréchal après cette charge ; reportez-vous à la Vie du maréchal de Cossé par Brantôme. C'est ce seigneur que l'on surnommait le maréchal des bouteilles et pour cause.

[16] Début des Mémoires de Gaspard de Saulx-Tavanes.

[17] C'était la mode de cette époque ; certaines entrées de Charles-Quint et de Philippe II ont eu de la célébrité.

[18] Il entendait et acceptait la plaisanterie, si nous en croyons la nouvelle 117e des Nouvelles Récréations de Bonaventure des Periers publiées en 1858, avec le Cymbalum mundi par le bibliophile Jacob, in-18, p. 272.

[19] Henri IV n'eut pas agi de la sorte : Rien ne conserve, dit-il, l'autorité des princes, que la réputation. Lettre à d'Ossat, 7 mars 1597, citée dans les Lettres du cardinal d'Ossat, in-12, Amsterdam, chez Humbert, avec les notes d'Amelot de La Houssaie, t. II, p. 523.

[20] Mémoires de Vieilleville, VII, 24.

[21] Briandas commit là un bavardage dangereux, et François Ier prit trop à cœur une scène excusable par l'étourderie du jeune prince.

[22] Mémoires de Vieilleville, I, 24, 25. Vincent Carloix nomme Briandas un fou à bourlet ; son nom manque dans plus d'un des livres consacrés aux fous et aux bouffons de l'ancienne cour de France. Les deux fous principaux de François Ier furent Triboulet, connu de la génération contemporaine par le drame de Victor Hugo : Le Roi s'amuse, et Caillette dont parlent Bonaventure des Périers, 2e nouvelle, et Rabelais, III, 37.

[23] C'est le seul de nos souverains pris à la guerre qui sut agir de la sorte.

[24] Histoire du château de Blois, par La Saussaye, p. 131, 132 et mon Mémoire sur François Ier.

[25] L'Esté, en tête de la Curée, après la Chasse du lièvre à force. Edition elzévirienne, 1869, Paris, chez Vieweg, p. 144. A la page 151 la femme et la fille de ce veneur sont citées. Sur les noms de chiens de cette époque, lisez p. 177.

[26] C'est pour cela que dès la maladie qui emporta François Ier on fut préoccupé politiquement parlant ; car mort à 54 ans, le vainqueur de Marignan pouvait vivre encore 20 ans et maintenir la paix durant ce temps.

[27] On attribue ce propos au connétable : Sire, si vous voulez faire cette vie, il faut qu'ayons forge neuve pour forger tous les jours de nouveaux rois, si tous les autres veulent faire tous de même que vous.

[28] Il portait en effet une lune croissante avec ces mots : Donec totum impleat orbem. Ragionamento di Paolo Giovio, Venise, 1556, p. 20.

[29] M. Guiffrey cite à sa page 227 un morceau de poésie adressé par lui à Diane de Poitiers, et le déclare authentique : laissons-lui la responsabilité de sa déclaration, car notre génération a vu des œuvres souveraines qui n'étaient pas du prince dont le nom figurait sur le titre.

La poésie de Henri II finit ainsi :

J'aroys grand tort prouchaser otre plase,

Car j'en resois trop de contantemant.

[30] Suivant Brantôme, Vie de Henri II, cette favorite ne fut ni mauvaise, ni malfaisante.

[31] Lisez à ce sujet Lettres inédites de Henri II, Diane de Poitiers etc., par l'helléniste Gail, in-8°, Paris, 1818, chez Delalain et Treuttel, p. 6.

[32] M. Poirson.

[33] Tableaux chronologiques faisant suite à l'ouvrage cité de M. Poirson, 1819, p. 76.

[34] Metz et Thionville.

[35] La Corse.

[36] Brantôme et Lacretelle — Le cardinal de Lorraine blessait par sa fierté et par sa violence.

[37] En quittant, dans ces pages, la personnalité de Henri II, mentionnons que le cheval de bronze de Daniel de Volterre, fondu à destination de sa statue, servit plus tard à porter une statue de Louis XIII. Voyez à ce sujet Curiosités de l'Archéologie et des Beaux-Arts, par Lalanne, 1855, p. 150, et sur ce Volterre, le Dictionnaire de Jal, au mot Ricciarelli.