LES EMPRUNTS. - TRAITÉ DE CATEAU-CAMBRÉSIS§ I. — LES EMPRUNTS. Henri II emprunta plusieurs fois[1], moyennant une
rente accordée aux prêteurs volontaires[2], notamment pour
solder les troupes soumises aux ordres du duc de Guise, alors qu'il alla
reprendre Calais[3].
La position du royaume se trouvait donc changée par rapport à celle qu'il
avait trouvée lors de son avènement, puisque cette dernière était bonne au
dire de Brantôme[4].
Tout le peuple en chacun état eut grandement à
souffrir des besoins financiers de ce règne, ajoute François de
Rabutin. En 1552 un impôt de vingt livres tournois avait été levé par clocher, et accordé au roi pour luy subvenir et aider à l'urgente et extresme nécesité de ses affaires de guerre[5]. Henri II, par imitation du pape Paul IV qui faisait chercher partout des alliés et des secours pour sa politique, et finalement se vit près d'appeler les Turcs[6] en Sicile, contracta un singulier emprunt : non seulement il demanda de l'argent aux corsaires algériens[7], mais il sollicita un prêt des cantons suisses qui l'accordèrent en obtenant le royaume de France pour hypothèque, c'est-à-dire que, dans le cas où le roi ne les rembourserait pas, ils pourraient légalement ravager le royaume[8]. § II. — TRAITÉ DE CATEAU-CAMBRÉSIS[9]. J'ai lu dans un livre escrit en espagnol, dit Montluc, que le roy Henri II avait rendu 198 forteresses[10] où les Français tenaient garnison. Nous avons déjà cité ce passage, mais il est bon de le répéter. Montluc ajouta : Je laisse à penser à chacun combien il y en avait d'autres sous l'obeyssance de celles-là. Telle était la paix conclue à Cateau-Cambrésis, dont il nous reste à parler. Evidemment ce traité fut fait à bonne fin, mais outre que pour conserver Metz, il céda trop, il laissa la cour de France dans un repos qui ramena la mode des tournois, et motiva celui où Henri II perdit malencontreusement la vie ; or, en dépit des fautes de ce règne, il valait mieux en France un monarque de 40 ans, et probablement à cet âge corrigé, tout au moins expérimenté, qu'un roi adolescent comptant 16 ans et demi à peine. Ledit traité, signé le 3 avril 1559[11], fut la conséquence de la perte des batailles de Saint-Quentin et de Gravelines, ainsi que de la captivité du connétable, captivité pendant laquelle Catherine de Médicis lui souhaitait de ne pas trop s'ennuyer[12], et qui pesa autant à Henri II qu'au prisonnier, car le monarque voulut racheter ce dernier à tout prix, ce dont les Espagnols s'aperçurent vite et ce pourquoi ils haussèrent le prix de la rançon. Fait singulier, le connétable fut chargé de conclure ce traité, avec l'aide du cardinal de Lorraine, du maréchal de Saint-André, de MM. de Morvilliers, et de L'Aubépine, mission dont il lui eut été convenable de s'abstenir. Les conditions en furent débattues, au regard de la France, entre le roi et lui, autre faiblesse du souverain[13], trop pressé d'en finir, car d'autres avis eussent été bons à entendre. Cependant, au dernier moment, Henri II fut obligé d'écouter les deux principaux opposants, le duc de Guise et le maréchal de Brissac, celui-ci s'expliquant par l'intermédiaire de son secrétaire Boyvin du Villars, venu exprès en France. Boyvin nous a laissé le récit de son audience où il parla surtout au point de vue de nos conquêtes dans le Piémont. Son discours fit plusieurs fois pâlir et soupirer le roi, qui enfin le dépêcha à Guise auprès du connétable pour discuter avec lui. Quoique entêté, ce dernier engagea le représentant du maréchal de Brissac à le suivre afin qu'il lui communiquât les négociations au fur et à mesure de leur avancement : nonobstant cette invitation, on assure que le représentant de notre armée d'Italie fut mal reçu à Guise, ce à quoi le roi de France s'attendait[14]. La France céda définitivement à Philippe II 145 forteresses, grandes ou petites. Sans offrir le tableau détaillé de ces regrettables cessions, nous rappellerons que, d'après les Mémoires de Boyvin du Villars[15], nous possédions en Italie, à la date de 1554, 58 places, forts, villes ou châteaux, que ce nombre s'accrut dans les années suivantes, et que le nouveau traité nous réserva seulement cinq villes et quatre châteaux, pouvant être gardés par 8.130 hommes de pied et 430 chevaux : que l'on juge, d'après ce rapprochement, du dommage causé par un trait de plume. Un historien, M. Mignet, trouve inconcevable l'assentiment de Henri II. Ce traité fut néanmoins assez bien reçu en France et accueilli par des feux de joie, tant on avait besoin de la paix, tant certains esprits de ce temps répétaient que le roi de France était assez grand pour ne pas convoiter plus que son royaume[16]. En compensation, l'Espagne rendit ses conquêtes dans les Pays-Bas et dans la Picardie. Quant à l'Angleterre, que la réconciliation de la France et de l'Espagne menaçait[17], on lui refusa Calais : la France fut admise à conserver ce grand port durant huit ans : au bout de ce temps, elle devait payer 800.000 écus en cas de non-restitution, tout acte préjudiciel de l'Angleterre envers nous dégageant à cet égard notre promesse[18]. On a dit que Henri II avait tout sacrifié au désir de garder Metz et les Trois-Evêchés et d'arrondir ainsi sa frontière[19], car n'y eut pas cession véritable de ces pays, l'Empereur, par un article secret, déclara qu'il ne tenterait rien pour recouvrer ces trois villes : et l'on a ajouté qu'on s'était trop hâté[20] de sacrifier autant de possessions[21]. Pareille assertion est exagérée. On a dit aussi que Henri II avait eu la main forcée[22] par des motifs impérieux, le besoin d'argent par exemple ou la nécessité d'avoir les mains libres afin de lutter dorénavant contre les hérétiques, dont les plus grandes familles du royaume faisaient déjà ou allaient faire partie[23]. Il serait aussi exact de dire que ce prince désirait la paix afin d'en revenir aux fêtes et aux tournois : en cela il courait à sa perte. Le maréchal de Brissac, désolé qu'on quittât ses conquêtes du Piémont, s'opposa à la conclusion de la paix, offrant de conserver cette province à ses frais : Je vendrai, disait-il, ma terre d'Estelan et j'en tirerai cinq cent mille écus que je prêterai au roi ; c'était d'un noble cœur. Quoique appuyé par le duc de Guise[24], il lui fallut céder. Parmi les opposants à ce traité, citons encore Gaspard de
Saulx-Tavanes[25]
: La paix honteuse, dit-il, fut dommengeable, les associez y furent trahis, les
capitaines abandonnez à leurs ennemis, le sang, la vie de tant de François
négligés, cent cinquante forteresses rendues[26], pour tirer de prison un vieillard connestable, et se
descharger de deux filles de France[27], qui fut une pauvre couverture de lascheté. Une dernière réflexion : par les villes que nous conservions en Italie, la France avait toujours le moyen de pénétrer dans cette contrée sans qu'il lui fût nécessaire de raisonner comme plus tard son roi Henri IV : Le jour où les Etats italiens auront besoin de mes secours, ils sauront bien me faciliter l'entrée dans la Péninsule. |
[1] En 1553, il avait levé une somme de 13.000.000 livres de crue. Mémoires de Jehan Vaulthier, p. 50.
[2] Henri II laissa 43 millions de dettes, pour lesquels il payait 6 millions (soit un septième) d'intérêts : le règne de son père François Ier, et de son fils François II, valent mieux que le sien sous le rapport financier.
[3] Michel de L'Hospital en parle dans l'épitre 6 de son livre III, Sur la double conquête de Calais et de Guines.
[4] Vie de Henri II, au début.
[5] Lettres de Catherine de Médicis au cardinal de Bourbon, 29 avril et 12 mai 1552.
[6] Du moins Caraffa le fit en son nom, et soutint depuis qu'il avait à ce sujet pris les ordres du pape.
[7] Le sultan refusa en 1558 à la France un emprunt de deux millions d'or en s'appuyant sur les règles de la religion de Mahomet.
[8] Le traité date du 11 mars 1551 : ces 50.000 écus furent remboursés en 1599, 1609 et 1613. Lisez à ce sujet Monteil, Histoire des Français des divers états, XVIe siècle, station XLVIIIe, intitulée Les calculs de Chartres, t. VI, p. 27.
[9] Voyez le texte de ce traité au Corps diplomatique de Dumont, t. II.
[10] 189 en Italie seulement, dit-on, mais on y conserva un peu plus de cinq places comme on le rapporte généralement : lisez ci-après.
[11] Il en est question dans la lettre de Catherine de Médicis du 15 octobre 1558.
[12] Lettre de fin août 1557. Dans une autre lettre, de la fin de février 1558, la reine désire que la plaie du connétable soit toute guérie. — Le connétable reçut en sa prison d'autres consolations que lui prodiguèrent outre Henri II, Diane de Poitiers et Marie Stuart. Lisez Lettres inédites de Henri II et de Diane de Poitiers, par Gail, 1828, p. 10.
[13] La principale faiblesse du roi de France fut un excès de sensibilité pour son compère (il avait coutume d'appeler ainsi le connétable devenu prisonnier et même les Suisses). Lisez à ce sujet la note 2 de la page 456 du recueil Lettres inédites de Dianne de Poytiers, par M. Guiffrey, et Lettres inédites par Gail, p. 29 et 33.
[14] Lacretelle, Histoire des guerres de religion, fin du règne de Henri II. Cet auteur défend le traité de Cateau-Cambrésis, qui n'eut, affirme-t-il, aucune suite funeste pour la France. Toujours est-il que Montmorency poussa vers la conclusion de la paix, parce qu'il avait promis à l'Espagne de la faire, sous condition que sa rançon serait réduite de moitié.
[15] Page 408 à 410 de l'édition de 1606.
[16] La Noue, 20e des Discours politiques et militaires. Brantôme énonce dans le même sens : Lorsque le grand roi Henri II vint à la couronne, il s'y trouva fort heureux.
[17] On lit dans les Mémoires de Gaspard de Saulx-Tavanes : Le roi d'Angleterre qui a toujours été en crainte de France et d'Espagne, lesquels royaumes, unis ou séparés, pourvu qu'ils ne se contrarient, le peuvent aisément ruiner.
[18] C'est ce qui eut lieu, Elisabeth ayant secouru les calvinistes français et envoyé des troupes au Havre avant l'expiration du terme fixé.
[19] Lavallée, Histoire des Français. La France, après cinquante ans de guerre en Italie, se trouva heureuse de la conquête de quatre villes qui fermaient ses portes du côté de l'Angleterre et de l'Allemagne.
[20] Reportez-vous à l'Histoire du duc de Mercœur, Cologne, chez Pierre Marteau, 1669, p. 320.
[21] Ces abandonnements laissèrent (comme toujours) un grand nombre d'officiers et de magistrats français sans emploi, et par conséquent sans ressources pécuniaires. Voyez la fin des Mémoires de Boyvin du Villars.
[22] M. Edouard Rott rappelle ce point de vue à la page 105 de son intéressant ouvrage : Henri IV, les Suisses et la haute Italie, in-8°, Paris, 4882, chez Plon.
[23] La crainte des Réformés, suivant l'expression de M. de La Ferrière, p. 60 du t. I des Lettres de Catherine de Médicis.
[24] Et plus tard par le maréchal de Montluc, en ses Commentaires, au passage cité dans ce chapitre.
[25] Depuis maréchal. Reportez-vous à ses Mémoires, édition Michaud et Poujoulat, Paris, 1838, p. 222.
[26] Ces mémoires disent cent villes, à la page 221 : dans notre texte nous adoptons le chiffre de 145.
[27] L'une mariée à Philippe II, l'autre au duc de Savoie. Les mariages font la maison d'Espagne et défont celle de France, dit Gaspard de Saulx-Tavanes.