Mort de Charles-Louis. — Liselotte, le roi et Mme de Maintenon. — Les grands chagrins.
LA crise dans laquelle sombra le bonheur de Madame n'a jamais été étudiée. On manquait de documents. En France, Saint-Simon n'est venu à la Cour que longtemps après ; Dangeau n'a commencé son Journal qu'en 1684, et celui du marquis de Sourches, commencé le 25 septembre 1681, n'a été imprimé qu'il y a une vingtaine d'années. En Allemagne, la majeure partie des matériaux n'ont également vu le jour que dans la seconde moitié du XIXe siècle, et ils n'ont pas encore été utilisés pour un travail sérieux. Aujourd'hui, même, malgré l'afflux des publications sur la princesse Liselotte, il y a dans sa vie des recoins, si j'ose ainsi parler, où le regard ne pénètre qu'avec difficulté, et la première raison en est qu'elle ne s'est pas souciée d'y laisser voir trop clair. Madame, qui bravait à tout instant le reste du monde, se trouvait sans force et sans courage à la seule pensée d'être blâmée par sa tante la duchesse Sophie. Plutôt que de s'y exposer, elle ne disait pas tout, arrangeait même les faits ; on la prend en flagrant délit de mensonge pour des choses que cent personnes avaient vues ou entendues, et sur lesquelles Liselotte devait pourtant savoir qu'elle ne donnerait pas le change à quelqu'un d'aussi bien informé que la duchesse Sophie. Comment s'y prenait celle-ci pour être au courant des menus faits de la cour de France, je ne saurais le dire ; mais il est certain que l'absence de journaux n'empêchait pas les chroniques mondaines de faire leur tour d'Europe, complétant ou rectifiant, à leur passage à Hanovre ou à Osnabrück, les lettres de Liselotte à sa tante. Une seconde raison contribuera encore à rendre notre tâche délicate. Les peines qui vinrent à Madame du dehors se doublèrent, d'une crise sentimentale dont elle n'eut garde de parler, car elle ne se rendit jamais compte de ce qu'elle éprouvait. Elle sut seulement qu'elle souffrait, qu'une grande ombre s'étendait sur sa vie, jusque-là si joyeuse, et qu'elle était au désespoir. Pourquoi cette peine amère, pourquoi ce cœur en deuil ? Plus d'un crut le deviner, et l'on en souriait entre soi, mais l'on n'en parlait guère, — prudence ou amitié, — et la cause de ce grand trouble nous échapperait aujourd'hui sans quelques lettres françaises qui s'éclairent les unes les autres. Nous espérons, avec leur aide, réussir à démêler d'où étaient nés les chagrins dont la pauvre Liselotte devait garder l'âme assombrie jusqu'à son dernier soupir. L'horizon s'était obscurci pour elle de tous les côtés à la fois. En Allemagne, son père s'aigrissait de plus en plus par l'effet de l'âge, des infirmités, et de graves soucis politiques dont il reportait une large part, injustement, et nous avons dit pourquoi, à l'indifférence ou à l'incurie de sa fille. Avec les idées fausses dont il s'était toujours bercé sur le crédit de Liselotte auprès du roi de France, on comprend qu'il ne pût se défendre d'une profonde amertume en comparant ce qu'il était à ce qu'il avait espéré. Il avait tant compté sur ce mariage pour lui être une source d'avantages, qu'il s'exaspérait à chaque nouveau déboire, et la série ne faisait pas mine de s'arrêter. L'Électeur Palatin, beau-père de Monsieur, n'était pas mieux traité qu'un autre dans les conseils de Saint-Germain, et la paix de Nimègue (1678-1679) avait été suivie de temps véritablement cruels pour les États allemands limitrophes de notre pays. Louis XIV l'avait mise à profit pour suivre avec ténacité, sans aucun ménagement pour les voisins qui s'en trouvaient lésés, ce que Raidie appelle son projet capital, et qui n'allait à rien moins qu'à compléter la défense de nos frontières. Les difficultés étaient considérables. Le royaume étant envisagé comme une immense place forte, l'enceinte présentait des trouées à boucher ou à protéger, et cela était souvent impossible sans une rectification de frontière, sans un lambeau de territoire que les traités ne nous avaient pas donné et que Louvois, ou Vauban, jugeaient indispensable à l'exécution de leurs plans. Ce fut à s'assurer, sans coup férir, les agrandissements convoités que tendit la politique extérieure du roi. Il s'agissait d'inventer un expédient pour rendre la paix rongeante et envahissante. On le trouva. Ce fut la création des chambres de réunion, chargées de rechercher si les provinces, les villes, les forteresses, les simples villages, annexés à la France, depuis le début du règne, n'avaient point possédé à une époque quelconque, fût-ce sous les premiers Capétiens, fût-ce sous les Mérovingiens, des dépendances dont les traités récents n'avaient pas fait mention parce que la mémoire s'en était abolie, et qui auraient dû cependant — telle était du moins la thèse française — suivre le sort des centres de population auxquels ils se rattachaient jadis. On se mit à fouiller dans les archives : On rappelle un testament de Hugues Capet ! écrivait la duchesse de Hanovre avec indignation[1]. On remonta jusqu'à Dagobert. On finissait toujours par découvrir quelque vieux parchemin nous donnant des droits sur le territoire désiré, et on engageait alors avec le possesseur du moment des pourparlers qui rappellent la conversation du loup et de l'agneau dans la fable de La Fontaine. Je n'ai garde de défendre le système ; je ferai seulement observer qu'après l'avoir justement maudit, les Allemands lui ont trouvé du bon lorsqu'ils ont été les plus forts. L'Électeur Palatin fut l'une des victimes des Chambres de réunion. La France s'adjugea des morceaux de ses États qui avaient figuré jadis parmi les dépendances de l'évêché de Metz. Nos troupes les occupèrent sans cérémonie ; nos agents délièrent les habitants de leur serment de fidélité à l'Électeur[2], leur en firent prêter un autre au nouveau maitre, et réclamèrent en son nom des contributions qu'il fallut payer. Deux d'entre eux s'installèrent à Heidelberg, sous prétexte d'affaires à traiter, et s'y rendirent intolérables. Ils se grisaient avec le vin de Charles-Louis, et devenaient alors si insolents que le pauvre homme en était réduit à s'estimer trop heureux quand sa santé, devenue très précaire, lui fournissait une excuse pour manger à part dans sa chambre. Il écrivait à sa sœur, le 3 avril 1680 : Mon indisposition me rend libre [des insultes] qu'on souffre de ces messieurs français à table, quand ils s'enivrent, et mon maréchal en a le plaisir et l'incommodité, qui leur peut rendre la pareille pendant que je mange encore mon pain seul et en repos, sans me soucier des bisques. De la duchesse Sophie, le 18 avril : Je trouve insupportables les insolences que vous êtes obligé de souffrir du sieur de la Goupillière[3] ; la faveur de Liselotte lui sert de peu de chose, si elle ne peut obtenir qu'on vous traite d'une autre manière. De Charles-Louis, le 24 avril : Si vous saviez comment je suis tourmenté et par ci et par là vous pardonneriez aussi bien à ma cervelle qu'à mes yeux que je vous rends compte si confusément de mes pensées. Liselotte s'était pourtant mise en mouvement, par extraordinaire ; mais le peu qu'elle obtenait avec l'aide de son époux était aussitôt compensé par une nouvelle exigence : (1er mai 1680.) Liselotte fait [de] son mieux, et Monsieur aussi, à ce qu'elle me mande, et la faveur qu'ils me prétendent faire à la Cour pour l'amour d'eux n'est jamais sans queue.... Suivent des explications sur la faveur offerte, qui était plutôt une aggravation, d'après Charles-Louis. Je crois, continuait celui-ci, qu'il n'y a [pas] d'homme sensé qui ne voie que sur les maximes présentes de la Cour de France, et avec le pouvoir qu'elle a en main, sans apparence de résistance, il n'y a personne en ces quartiers qui soit assuré de demeurer quinze jours en possession du sien sans se faire leur esclave, ce que l'Électeur Palatin n'est pas en humeur de vouloir faire. C'est pourquoi vous l'apprendrez bientôt chassé du Palatinat ou de ce monde ; ce dernier lui sera plus heureux peut-être et plus honorable ; au moins la fin de tous ses maux. La lettre suivante nous fait entrevoir les progrès de la France dans l'Est, sous le régime de la paix rongeante et envahissante. Charles-Louis vient de parler à sa sœur d'une affaire de famille pour laquelle il compte sur la générosité et l'équité de son beau-frère Ernest-Auguste. Je voudrais, poursuit-il, en pouvoir attendre autant de mon grand tuteur[4], qui le veut être et le sera de toute la chrétienté, si l'on n'y met ordre de bonne heure, à quoi je vois peu d'apparence sans quelque changement imprévu ; au moins je tâcherai à faire mon devoir tant que mon peu de pouvoir me (le) permettra, et faudra laisser le reste au destin, dont mes années et ma constitution ne (me) permettront pas de participer longtemps, qu'il soit bon ou mauvais, et... je serai des premiers mangé, étant situé entre le marteau et l'enclume[5].... De la duchesse Sophie : (27 mai 1680.) Je suis si vivement touchée de l'indigne traitement qu'on vous fait, que je ne sais comment Liselotte peut regarder son idole de bon œil. L'idole de Liselotte, c'était le roi, et sa tante ne partageait plus son admiration pour ce prince. La duchesse avait cessé tout d'un coup de l'aimer. Elle l'appelait à présent le grand dogue, niait résolument sa grandeur, et s'excusait de son enthousiasme d'antan : Il est heureux et paie de paroles et de mine, mais au reste, c'est un homme tout comme un autre ; ce n'est que dans des vers qu'il passe pour un dieu (5 juillet 1680). Peut-être entrait-il du dépit maternel dans celle aigreur ; le Grand Dauphin épousait décidément la princesse de Bavière. Liselotte avait prévenu sa tante, dès le 28 octobre 1679,
qu'elle avait fait un voyage inutile et que sa fille ne serait pas reine de
France : Personne ne doute qu'au printemps prochain,
nous n'ayons ici la princesse de Bavière, car le roi en parle souvent, et il
disait encore l'autre jour : Si elle a de l'esprit, je la taquinerai tout de
suite sur sa laideur.... Il a demandé à M. le
Dauphin s'il pourrait se résoudre à prendre une femme laide. Celui-ci a
répondu que cela lui était parfaitement égal ; que, pourvu que sa femme eût
de l'esprit et de la vertu, il en serait content, quelle que fût sa laideur.
C'est ce qui a décidé le roi pour la Bavière. Madame ignorait
évidemment le traité de 1670. Elle ne savait jamais rien, et elle le prouva une fois de plus en cette occasion. Elle n'avait pas pu se faire à l'idée d'une tante Sophie humiliée et offensée. Il lui sembla soudain que le mariage de Bavière pouvait encore se rompre, qu'il n'y fallait qu'un peu d'aide, et qu'elle saurait intriguer tout comme un autre ; en quoi elle se calomniait. Pour la première fois de sa vie, Madame se mêla d'une affaire et essaya de jouer au plus fin avec le roi et avec Louvois. Montrons-la sous cet aspect nouveau, car nous n'en retrouverons pas l'occasion ; elle ne recommença jamais, peut-être parce que le résultat n'avait pas été encourageant. Elle débuta par offrir une réconciliation à Louvois, sa
bête noire à cause des affaires du Palatinat, mais l'homme indispensable dans
la circonstance. Ils se donnèrent tous les deux de bonnes paroles ;
seulement, Liselotte croyait Louvois et s'imaginait naïvement l'avoir gagné,
tandis que lui, quand Madame lui promettait de tout
oublier, il savait bien que ce n'était que des mots, sans compter que
cela n'avait aucune importance, puisque le mariage de Bavière était comme
fait : (Saint-Germain, le 15
décembre 1670.) La princesse Palatine a joint
ses efforts aux miens, et finalement nous avons si bien mené l'affaire, que
Louvois s'est décidé, et il m'a dit que si la première affaire, avec la
Bavière, était aussi compromise qu'on le prétendait, il parlerait au roi de
notre princesse. Il m'autorisa aussi à lui en parler dès que j'en trouverais
l'occasion. Je m'imaginai donc que l'affaire était en bonne voie, et quand je
me trouvai avec le roi dans la calèche, j'amenai tout doucement la
conversation sur le mariage de son fils. Le roi me dit que la chose avait de
la peine à s'arranger avec la Bavière. L'on fait souvent, dis-je, en
fait de mariage, des propositions qui ne sont pas agréées, comme pour le
mariage bavarois, par exemple. Le roi me répliqua vivement : Quoique
ce mariage ne soit pas fait, je ne le tiens nullement pour rompu ; mon fils a
maintenant une telle envie de se marier, qu'il ne veut pas attendre davantage
; je suis sûr que, si je cède sur quelques points, ils me jetteront leur
princesse à la tête. A quoi je répondis : Ce sera un grand honneur
pour les Bavarois d'avoir amené Votre Majesté à céder en quoi que ce soit.
J'espérais que cela le piquerait, mais il m'a répondu que c'était chose
faite, et que la nouvelle en réjouirait bien son fils, qui était inquiet de
ne pas voir l'affaire de son mariage se conclure ; qu'il allait lui dire
d'écrire à la princesse. Voyant cela, je me suis tue et n'ai pas soufflé mot
de l'autre affaire. Hier, la lettre à la princesse de
Bavière a été écrite. Si cette folle envie de se marier n'avait pas pris au
fils du roi, j'aurais eu bon espoir. Cela seul nous gâte tout et, comme vous
voyez le mariage bavarois est déjà si avancé, que rien sans doute ne pourra
plus le rompre[6]. Madame en fut pour sa réconciliation avec Louvois ; le Grand Dauphin épousa Marie-Anne de Bavière le 7 mars 1680. Dans l'intervalle, la tante Sophie avait reçu une belle fiche de consolation par la mort de son beau-frère Jean-Frédéric[7], duc régnant de Hanovre. Il ne laissait point d'enfant mâle. Ernest-Auguste lui succéda, et ni lui, ni la duchesse Sophie, quoique unis au défunt par une fort tendre amitié[8], ne mirent de sourdine à leur joie. Le récit de leur prise de possession, en présence du cercueil, est d'une jovialité déconcertante : (15 mars 1680.) Nous voici arrivés dans notre palais princier, où il fume si fort dans toutes les chambres, que nous pleurons le défunt sans aucune peine et avec beaucoup d'incommodité.... Je voudrais qu'il sût toutes les cérémonies que l'on va faire pour l'enterrer, cela lui servirait de Paradis.... Tandis que ceux-là se réjouissaient sans vergogne de leurs belles étrennes, Charles-Louis, poussé à bout par les inhumanités françaises, sommait une dernière fois Liselotte de parler au roi, mal instruit peut-être de l'insolence et de toutes les exigences de ses agents. Madame fit longtemps la sourde oreille : Il sera mardi prochain six semaines, écrivait son père à la duchesse Sophie, le 17 janvier 1680, que je n'ai point de réponse de Liselotte. Les six semaines devinrent six mois. Enfin, le 29 juillet, la duchesse Sophie écrit à son frère : Liselotte me mande[9] avoir eu un grand dialogue avec [le grand dogue] sur votre sujet, dont elle vous a mandé le détail à ce qu'elle dit. Je crois qu'il n'a pas été de grande efficacité pour vous, puisque vous n'en mandez rien et que vos lettres à la diète de Ratisbonne montrent assez le tort qu'on vous fait et le besoin que vous avez d'être promptement secouru. De Charles-Louis : (31 juillet 1680.) Le jeune Botzheim, jadis page de Liselotte, me doit apporter le dialogue entre elle et Louis le Grand, mais il est n'est [pas]... arrivé. Encore une lettre de la duchesse, encore un billet de six lignes, dicté par l'Électeur, et la toile se lève brusquement sur le prologue du drame dont Madame ne s'est jamais remise. La scène est en Allemagne, dans un des paysages des environs de Heidelberg[10]. Depuis la mort de Louise de Degenfeld, Charles-Louis faisait l'été de longs séjours à Friederichsburg, auprès de la Suissesse Mlle Berau. Il emmenait dans ces expéditions ses trois filles les raugraves, son aumônier et toute sa cour, en homme qui n'a rien à cacher, et qui suit à la face du soleil les voies de la bonne nature. Le 26 août 1680, il eut à Friederichsburg trois légères attaques qui lui ôtèrent momentanément l'usage de la parole. Il s'en remit très vite et annonça le lendemain soir, contre l'avis des médecins, qu'on partirait le 28 de bon matin pour aller passer quelques jours à Heidelberg. Le 28, on le crut tout à fait bien parce qu'il avait recommencé, dit une relation, à pester contre ses gens, qui ne l'habillaient jamais assez vite à son gré. A sept heures du matin, tout le monde était en route[11]. A neuf, l'Électeur se sentit vaincu. Il se fit porter dans un jardin, où un grand arbre enveloppa son lit de repos d'ombre et de paix, et il jouit une dernière fois de la douceur du monde. On l'entendit murmurer : Comme ça sent bon, ici ! et, presque aussitôt, une attaque miséricordieuse lui ôta sans retour la connaissance et la parole. Quelques heures se passèrent à essayer d'inutiles remèdes. Quand il fut visible que la fin approchait les raugraves se mirent à genoux, toute la Cour se mit à genoux, les soldats et les officiers de l'escorte se mirent à genoux, et le prédicateur de la Cour récita parmi les pleurs et les cris une prière que les assistants répétaient après lui. Elle disait que si Dieu, dans sa sagesse, avait résolu de ne point permettre que Sa Grâce se relevât de cette maladie, Dieu était supplié de rappeler Sa Grâce à Lui : Amen, amen, Seigneur Jésus, amen. La prière terminée, on la recommença, et, au moment précis où les amen montaient une seconde fois[12] dans les airs, Charles-Louis expira sans avoir fait un seul mouvement. Le tableau ne manque pas de grandeur. Dans le désarroi qui suivit, on pensa à envoyer chercher à Francfort deux cents aunes de velours noir pour le baldaquin et le lieu de repos ; mais on oublia d'écrire à Liselotte, d'où la scène contée par Mme de Sévigné : (18 septembre 1680.) Le père de Madame est mort : un gros Allemand le dit à Madame sans aucune précaution. Voilà Madame à crier, à pleurer, à faire un bruit étrange, on dit à s'évanouir, je n'en crois rien ; ce n'est point une personne à donner cette marque de faiblesse. La première lettre que nous ayons de Liselotte après la
catastrophe est du 24 septembre et adressée à sa tante : bien que les yeux me fassent si mal à force de pleurer que
je n'y vois presque pas clair et que j'ai beaucoup de peine à écrire, je n'ai
pas voulu laisser partir notre prince[13] sans lui donner une lettre pour Votre Dilection ; et, bien
que la perte effroyable que nous avons faite me cause une tristesse et une
douleur au delà de toute expression, il me semble pourtant que cela me
soulage un peu le cœur, d'écrire à une personne qui est aussi triste que moi
et qui partage ma douleur. Quant à dire à Votre Dilection ce que j'éprouve,
et dans quel état je passe mes jours et mes nuits, cela serait difficile par
lettre ; mais Votre Dilection, hélas ! peut en juger d'après elle-même.
Maintenant que j'ai une occasion sûre, je peux parler librement. Je vous
dirai donc que Votre Dilection est encore plus heureuse que moi, car, si vous
perdez autant, du moins n'êtes-vous pas obligée de vivre avec ceux qui ont
certainement causé la mort de l'Électeur par le chagrin qu'ils lui ont donné,
et c'est ce qui m'est dur à digérer. Votre Dilection me dit dans sa dernière
lettre que vous vous réjouissiez avec moi que je sois auprès du roi, avec qui
j'aime tant à être. Oui, avant qu'il eût ainsi persécuté papa, je l'aimais
beaucoup, je l'avoue, et j'avais du plaisir à être avec lui. Mais depuis, je
peux assurer à Votre Dilection que cela m'est devenu très pénible, et qu'il
en sera de même toute ma vie. Je n'aurais même pas pu m'y résoudre plus
longtemps, s'il ne m'avait promis à Fontainebleau[14] d'arranger les choses et de mettre fin à l'état actuel, à
la seule condition que nous soyons bien ensemble. Aussi ai-je fait de mon
mieux pendant ce voyage. Votre Dilection voit que, malheureusement, cela n'a
pas réussi. Si le Dieu tout-puissant me faisait la grâce de me réunir à papa,
ce serait le plus grand bonheur qui -pût m'arriver, car je n'ai plus devant
moi qu'une existence misérable, Votre Dilection le sent bien.... Le temps ne fit qu'aigrir sa douleur : (Saint-Germain, 11 décembre 1680.) Je dois avouer à Votre Dilection que vous avez très bien
deviné quand vous dites que ce qui me fait tant de peine, c'est la crainte
que papa ne soit mort de chagrin, le cœur brisé, et la pensée que si le grand
homme et ses ministres ne l'avaient pas tant tourmenté, nous l'aurions gardé plus
longtemps. Je suis toute mélancolique quand j'y pense... j'ai cependant à présent une consolation : c'est
l'assurance que vous me donnez que Sa Grâce l'Électeur n'a pas été fâchée
contre moi dans les derniers temps de sa vie. Ce qui m'étonne, c'est qu'il ne
vous ait pas envoyé le dialogue[15] que j'ai eu avec le grand homme, car je sais positivement
qu'il l'a reçu quinze jours avant sa maladie. Comme il ne m'a pas répondu,
qu'il s'est contenté de faire écrire qu'il l'avait reçu, j'ai eu peur qu'il
ne fût pas content de moi ; mais, puisqu'il n'en a pas parlé à Votre
Dilection, j'espère que je m'étais trompée. A la manière dont on traite
maintenant mon frère[16], il semble bien qu'on n'avait pas l'intention de changer
de façon de faire. Nous savions de longue date que Liselotte sentait vivement ; mais l'amertume qui perce dans ces lettres est chose nouvelle sous sa plume. Avant la mort de son père, jamais on ne s'était aperçu qu'elle en voulût au roi des vexations qu'elle connaissait à merveille, puisque Charles-Louis ne cessait de lui en écrire. Ni plaintes, ni reproches n'avaient eu le pouvoir de lui gâter son idole. Elle n'en avait pas moins mis tout son bonheur à être avec le roi, cachant si peu son jeu, en honnête femme qui n'a rien à cacher, que la cour de France souriait de plus en plus ; on s'amusait de voir la vertueuse Madame, la farouche Madame qui chassait ses filles d'honneur pour la moindre coquetterie, tourner à son insu à l'amitié amoureuse. Dans ces conditions, c'est à se demander si la scène d'explications de Fontainebleau avait existé ailleurs que dans son imagination ? Le récit qu'elle en donne est criant d'invraisemblance, à l'examiner de près. Voilà une démarche que son père attendait avec anxiété depuis plusieurs mois. Elle se décide à la tenter, obtient de Louis XIV une promesse qui peut mettre fin aux tribulations du Palatinat, et elle n'en souffle pas mot à Charles-Louis, ni à la duchesse Sophie[17] ; cela est au moins très singulier. Singulière aussi, à la longue, l'exaltation qui s'était
emparée de Madame en recevant la communication brutale du gros Allemand de Mme de Sévigné. Autant cette
exaltation avait été naturelle sous le choc, autant, les premiers temps
passés, on a de peine à se l'expliquer. Il n'était plus question d'accuser
Louis XIV d'avoir été le bourreau de Charles-Louis. Sans doute, le roi lui
avait rendu la vie pénible. Les attaques qui emportèrent l'Électeur avaient
eu toutefois une autre cause, qui n'avait rien à faire avec la politique, et
que Madame a connue ; elle en a parlé plus tard avec son impudeur accoutumée
: (3 avril 1710.) Ce qui a malheureusement abrégé la vie de Sa Grâce
monsieur mon père, comme Louise pourra vous le dire[18], c'est que Sa Grâce n'a que trop cherché à chasser la
tristesse, et a voulu se réjouir au delà de ses forces avec une jeune et
robuste Suissesse, qui avait été l'une des filles de Madame la raugrave.
Quand et par qui Madame avait-elle été mise au courant, elle a négligé de le
dire ; on sait seulement que les occasions ne lui auraient pas manqué, entre
ses nombreux correspondants et le flot des Allemands en voyage qui
accouraient la saluer et lui donner les nouvelles du Paradis perdu de sa
jeunesse : J'ai eu hier vingt-neuf princes, comtes
ou gentilshommes allemands, dit une lettre. Quoi qu'il en soit, Liselotte ne retrouvait point le calme. Elle avait repris son existence accoutumée. Pour qui ne voyait que la surface, sa gaieté était revenue ; elle s'en est accusée, le 95 avril 1681, auprès de sa sœur Louise : Dieu m'est témoin que la mort de Sa Grâce l'Électeur m'avait été tellement au cœur, que je m'étais imaginé que je ne pourrais plus jamais rire ! J'ai été plus de deux mois mortellement triste, mais ensuite, je suis forcée d'avouer que je n'ai pu m'empêcher de rire.... Elle riait, mais elle restait désemparée, très surexcitée, très troublée dans le fond de son âme. La fin soudaine de son père, la maladresse du gros Allemand, n'avaient été que l'occasion d'une crise qui couvait depuis longtemps. A l'origine du mal était Louis XIV ; non pas le Louis XIV des Chambres de réunion et des contributions de guerre ; celui-là encore une fois, avait peu préoccupé sa jeunesse insouciante ; mais le Louis XIV familier que si peu de gens ont connu, le fidèle camarade de ces longues chevauchées dans les grands bois qui inquiétaient Charles-Louis, homme porté au soupçon. Mme de Sévigné s'est trouvée par hasard très bien placée pour commettre des indiscrétions sur les sentiments secrets de Madame. C'est à elle que nous nous adresserons d'abord. Madame avait trouvé en France une sœur de sa mère, la princesse Amélie de Hesse-Cassel, mariée en 1648 à Henry-Charles de la Trémoille, dit le prince de Tarente[19], grand seigneur huguenot, et au service de la Hollande. Il finit par revenir en France, et la princesse sa femme y resta après son veuvage, survenu en 1672. Elle habitait Vitré, d'où elle voisinait avec Mme de Sévigné, quand celle-ci était aux Rochers, C'est la bonne Tarente des Lettres, l'Allemande sentimentale aux amours innombrables, dont le cœur s'obstinait à ne pas vieillir, en dépit des années et des avertissements de son miroir : Elle a le cœur comme de cire, rapportait Mme de Sévigné, qui lui faisait doucement de la morale. Mais la bonne Tarente répondait qu'elle avait le cœur ridicule, façon de dire qu'elle n'y pouvait rien, et il n'en était ni plus ni moins[20]. Elle avait plu à Madame, qui lui passait ses faiblesses, sans doute parce qu'elle était Allemande et que tout est pur aux purs. Madame regrettait même de ne pouvoir se l'attacher. Faute de mieux, elle lui écrivait avec beaucoup de familiarité et de tendresse[21] de grandes lettres que Mme de Sévigné se faisait traduire, et, elle la mandait de temps à autre auprès d'elle, comme sa bonne tante[22]. C'est en revenant de chez Liselotte que la princesse de Tarente, un jour qu'elle était en veine de confidences, conta à sa voisine ce qui n'était plus un secret à la Cour de France que pour l'héroïne du roman : (7 juillet 1680.) Pour sa nièce, elle en parle fort plaisamment : elle a une violente inclination pour le frère aîné de son époux, elle ne sait ce que c'est : la tante le sait bien ; nous rimes de ce mal qu'elle ne connaît point du tout, et qu'elle a d'une manière si violente. C'est un patron rude, qui se tourne selon son caractère ; c'est la fièvre qu'elle a. Elle n'a de sentiment de joie ou de chagrin que par rapport à la manière dont elle est bien ou mal en ce lieu-là : elle se soucie peu de ce qui se passe chez elle, et s'en sert pour avoir du commerce et pour se plaindre à cet aîné. Je ne puis vous dire combien cette voisine conta tout cela d'original, et confidemment et plaisamment. Mme de Grignan manifesta apparemment quelque incrédulité, car sa mère lui réplique le 28 juillet : La bonne princesse de Tarente... n'attribue l'agitation de sa nièce qu'à ce que je vous ai dit, et que c'est une fièvre violente, et qu'elle s'y connaît[23] : voulez-vous que je dispute contre elle ? Tout le monde commençait par être incrédule. L'idée d'un sentiment tendre allait si mal avec Madame, sa perruque de travers, sa laideur rubiconde, sa voix rude et ses sorties impitoyables contre les pauvres pécheresses, que le premier mouvement était de rejeter cette pensée bien loin ; le second était d'en rire, et on en riait[24], mais discrètement, lorsqu'on n'était pas au fond de la Bretagne ; c'était plutôt un sourire. Une lettre de Mme de Maintenon à son amie Mme de Brinon nous donne le ton. Elle est du 23 décembre 1686, six semaines après l'opération du roi[25] : Le roi... a entendu trois messes aujourd'hui, après lesquelles il est venu voir Madame, où il a été une grosse heure.... Madame se porte fort bien. La joie est peinte sur son visage de la guérison du roi. Je crois que vous n'en doutez pas. On s'amusait de l'idée que Madame ne fût pas invulnérable, et il ne venait toutefois aucune mauvaise pensée à âme du monde, car, sans parler de raisons qui pourraient être désobligeantes, on la savait l'honnêteté même. Elle, cependant, était en train de perdre la tête. Nous touchons au moment où Liselotte va afficher follement sa haine furieuse contre Mme de Maintenon, une véritable haine de femme jalouse, et qui serait restée une énigme, sans la bonne Tarente et quelques autres indiscrets. Les maîtresses du roi n'avaient jamais porté ombrage à Madame ; leurs intérêts étaient trop différents. Madame n'en faisait point sa société ordinaire ; elle ne les évitait pas non plus, et elle s'était même rapprochée de Mlle de La Vallière après son entrée au couvent : Je lui ai souvent dit, écrivait-elle[26], qu'elle n'avait fait que changer l'objet de ses sentiments, qu'elle donnait à Dieu tout ce qu'elle avait eu dans le cœur pour le roi. Ce fut autre chose quand Mme de Maintenon se fit auprès de Louis XIV cette place à part où elle ne voulait pas entendre parler d'amour. Elle allait sur les brisées de Liselotte quand elle découvrait au roi le pays de l'amitié[27]. Elle était sa rivale, et une rivale heureuse, quand les délices de sa conversation, l'une des plus parfaites de la Cour, disaient les connaisseurs, lui ramenaient un prince qui avait commencé par ne pouvoir la souffrir. Elle achevait la défaite de Liselotte, quand elle osait parler au roi sérieusement et lui dire ses vérités. La pauvre Liselotte avait trop peur de déplaire. Elle cherchait trop à faire rire. On ne peut pas toujours rire. Peu à peu, le roi se passa plus aisément de sa joyeuse belle-sœur. Vint le jour où il la congédia d'un signe de tête, pour se diriger vers l'appartement de Mme de Maintenon, et cela recommença le lendemain, le surlendemain, toujours. On se représente la souffrance d'une créature de passion comme Liselotte. On aura remarqué que la lettre de Mme de Sévigné reproduisant les confidences de la bonne Tarente est à peu près contemporaine de la mort de Charles-Louis. De telles secousses, se succédant de si près, furent plus que Madame n'en pouvait supporter. Elle se mit à déraisonner, et par contre-coup, la petite cour de Monsieur fut sens dessus dessous. Les agitations n'y manquaient jamais, ni ce que Saint-Simon appelait les horreurs ; mais tout cela n'avait pas eu des conséquences très graves pour Madame tant qu'elle en avait haussé les épaules. Dans l'état d'énervement où l'avaient mise des chagrins plus importants, les coups d'épingles de la cabale lui devinrent intolérables, et ce fut sa perte ; le chevalier de Lorraine se hâta de profiter de ce qu'elle avait perdu tout sang-froid, tout empire sur elle-même, pour achever de brouiller les cartes. Il s'était contenté jusque-là de prélever des pots-de-vin sur les fournisseurs, de faire chasser par Monsieur les domestiques qui plaisaient à Madame, et autres méfaits du même ordre, puant étrangement l'office pour un homme de sa qualité. Il alla tout d'un coup plus loin. Devinant l'heure propice aux fâcheries et aux disputes, il s'entendit avec ses acolytes pour répandre le bruit que Madame avait une galanterie avec un officier des gardes du corps nommé Saint-Saëns. Cette sottise vint aux oreilles du roi, lequel, connaissant sa belle-sœur, jugea prudent de la mettre au courant pour lui recommander la sagesse. Il l'engagea fortement à ne pas faire le jeu de ses ennemis en s'occupant de leur méchant complot[28], et ne put se faire écouter. Madame tout échauffée voulait qu'il prit sa cause en main, qu'il avertît Monsieur, en un mot qu'il fit du bruit. Plus je réfléchis, répondait le roi, moins je vois qu'il soit nécessaire que j'en parle, car mon frère vous connaît bien, et tout le monde voit assez, depuis dix ans, qu'il n'y a pas m'oins coquet, que vous. Vos ennemis peuvent dire tout ce qu'ils voudront, cela ne peut pas faire grand effet. C'était le bon sens même. Madame demeura cependant très mélancolique : On a attaqué mon honneur et ma réputation, disait-elle, et il était impossible de l'apaiser. Monsieur remarqua sa tristesse et insista pour en savoir la cause : Je finis par tout lui dire.... Il fit l'étonné, et dit... que si je n'avais pas d'autre raison de me tourmenter, je pouvais être bien tranquille, car il me croyait incapable d'être coquette, et il savait bien ce qu'il répondrait si quelqu'un avait l'impudence de lui donner un pareil avis. C'était parler comme il faut ; mais il était au-dessus des forces de Monsieur de garder un secret, et sa femme n'aurait pas dû l'oublier. Ses favoris surent par lui que Madame s'était plainte d'eux, et furent dans une grande colère. Madame s'emporta, la tête montée par les rapports que lui faisait avec plus de zèle que de tact Mlle de Théobon, sa grande amie et sa confidente[29]. La cour de Saint-Cloud prit l'aspect d'une loge de portier en ébullition. A une époque où l'on y vivait encore dans une tranquillité relative, Mme de Sévigné avait décrit en ces termes les remous d'un commérage au Palais-Royal : Cela fait une fourmilière de dits, de redits, d'allées, de venues, de justifications, et tout cela ne pèse pas un grain[30]. En 1682, où chacun criait du haut de sa tête, c'était proprement à fuir. Nous n'entrerons pas dans le détail fastidieux de ces querelles[31]. Les contemporains avaient déjà de la peine à s'y intéresser. Mlle de Théobon avait-elle averti Madame des débauches de Monsieur ? Mlle de Loubes — l'une des filles d'honneur de Madame — avait-elle entendu Madame se moquer de Monsieur ? Cette bagatelle, avouait le marquis de Sourches[32], n'inquiétait guère le public, et l'on était bien plus en peine de ce que le Pape ne s'adoucissait point à l'égard de la France. On avait raison ; c'était plus important. Nous nous en tiendrons aux conséquences des bagatelles. Il est bon d'avertir ici le lecteur, pour lui permettre de situer les scènes qui vont suivre, que Louis XIV abandonna définitivement Saint-Germain le 20 avril 1682, Versailles venait d'être agrandi et était encore plein de maçons. Le roi se transporta à Saint-Cloud, avec l'intention d'y attendre que son nouveau logis fût débarrassé des ouvriers. Au bout de quinze jours, l'impatience le prit. Il partit le 6 mai pour Versailles, y retrouva les maçons et s'installa quand même, malgré le bruit et la poussière. Ce fut pendant son séjour à Saint-Cloud que les choses se gâtèrent entre les maîtres de la maison. Les grands torts étaient tous à Monsieur. Madame se donna les petits comme à plaisir. Il était resté à Monsieur, de la fin tragique de sa première femme, une terreur bienfaisante de se brouiller avec la seconde ; on l'aurait accusé, à la moindre indisposition, de l'avoir aussi empoisonnée. La crainte du scandale est un commencement de vertu. Madame commit la faute de ne pas respecter cet embryon de morale. Son agitation, ses plaintes bruyantes et publiques jetèrent Monsieur dans une exaspération qui triompha de sa prudence, et il pria le roi de faire quelque avanie à Madame. Il fut refusé net. Liselotte dut se coucher, ce soir-là toute ragaillardie ; son grand ami ne l'abandonnait pas dans ses traverses. Il la défendait, et il la prêchait, l'adjurant de tenir sa langue et de rester tranquille. Mais on se rappelle le mot de la bonne Tarente sur la douceur de se plaindre à cet aîné. Liselotte ne résistait pas à l'attrait de cette douceur. Elle aurait dû prévoir que le roi en aurait vite assez des histoires de Théobon et de Loubes ; elle l'en accabla, si bien qu'un jour, je trouvai, dit-elle[33], le roi tout changé. Quand je lui parlais de mes affaires, il me répondait à peine et m'entretenait d'autre chose. Elle l'ennuyait. Ce fut le dernier coup. La brouille avec Monsieur suivit de près. En juin, on eut à Versailles de mauvaises nouvelles de Saint-Cloud. La discorde y était à son comble, et la voix publique reprochait à Mlle de Théobon d'attiser le feu ; elle passait pour une intrigante : Monsieur, rapporte le marquis de Sourches[34], persuadé, selon toutes les apparences par le chevalier de Lorraine, que Mlle de Théobon, et le comte de Beuvron, son capitaine des gardes[35], fomentaient la mauvaise intelligence qui était depuis longtemps entre lui et Madame, son épouse, en fit ses plaintes au roi, et, de son agrément, chassa Mlle de Théobon de sa maison et fit donner ordre au comte de Beuvron de se défaire de sa charge. Il n'y a rien de pareil au chagrin que Madame sentit en cette occasion ; Mlle de Théobon était presque la seule personne en qui elle pût avoir confiance ; aussi l'aimait-elle tendrement, et, comme elle était naturellement fière, elle ne pouvait souffrir qu'on lui enlevât d'autorité la seule consolation qu'elle avait dans ses afflictions. Elle pleura beaucoup et ne cacha ses larmes ni au roi, ni à toute la Cour. Cependant Monsieur vint trouver le roi et le pria de le raccommoder avec Madame, lui disant qu'il n'y avait plus d'obstacle à leur réunion, puisqu'il venait d'éloigner ceux qui la détruisaient par leurs mauvais conseils. Mais l'esprit de Madame n'était pas si facile à appaiser ; Monsieur l'attendant pour souper, elle refusa de venir manger avec lui et témoigna son déplaisir hautement par toutes les marques qu'elle en put donner. Le roi, voyant cette discussion, crut qu'il y allait de son honneur de la faire cesser, et, ayant fait revenir Monsieur et Madame à Versailles[36], il les alla voir l'un et l'autre dans leurs appartements, et après bien des allées et venues qu'il voulut bien faire lui-même, il fit en sorte de rapprocher ces deux esprits qui étaient si fort aliénés l'un de l'autre, de manière qu'il les fit embrasser.... Madame nous a conservé[37] le détail de ces négociations laborieuses. Elle a reproduit ses entretiens avec Louis XIV en français, ce qui nous vaut de précieux échantillons du langage du grand roi dans l'intimité. Le Louis XIV qu'elle nous montre est beaucoup plus près de l'humanité que le monarque majestueux qui congédiait sèchement les visiteurs avec, pour toute réponse, son fameux je verrai. Sa belle-sœur l'avait accueilli par une prière de finir ses jours à Maubuisson, requête fort
inattendue de sa part ; elle avait les couvents et la vie de couvent en
horreur. Le roi répondit : Mon frère est dans des
sentiments bien différents. Il m'a écrit une lettre par où il me prie de vous
parler, et pour vous porter à vous raccommoder avec lui, et je vous avoue que
je le souhaiterais de tout mon cœur par l'amitié que j'ai pour vous deux, et
je vous assure que je désirerais fort de pouvoir contribuer à vous donner du
repos ; car je suis fâché de vous voir si affligée, et j'y prends part[38], Madame insista,
et termina son plaidoyer par ces mots : Laissez-moi
donc aller à Maubuisson. Mais, Madame, reprit le roi, songez-vous bien ce que c'est pour vous que cette vie-là
que vous êtes jeune encore, que vous pouvez avoir bien des années à vivre, et
ce parti est bien violent. Madame lui représenta, et non sans
éloquence, qu'elle était sans secours contre
ses ennemis, qu'ils l'avaient déjà perdue dans l'esprit de Monsieur, et que sais-je, ajouta-t-elle, si bientôt ils ne vous persuaderont pas aussi ? — Non, non, Madame, interrompit le roi, je suis très persuadé de votre vertu et je vous connais ;
sur ce chapitre, personne ne vous pourra nuire, soyez en repos de ce côté-là
Et vous voyez bien que mon frère ne les croit pas tant aussi, car il veut se
raccommoder avec vous. Elle refusait encore de se rendre, alléguant
qu'après ces éclats, elle n'osait plus se montrer : C'est pourquoi, au nom de Dieu, permettez-moi que je m'en
aille où je vous ai dit, car aussi bien ne puis-je plus vivre entourée de mes
plus cruels ennemis et les voir triompher avec tant de joie de mes douleurs
et des peines qu'ils me causent. Non, ne craignez pas que je quitte le inonde
avec regret : j'ai regret de n'avoir plus l'honneur de vous suivre, mais hors
cela je ne regrette rien en toute la France[39]. Elle termina en
le suppliant de ne pas abandonner la pauvre Théobon.
Le roi promit : Tout ce que je pourrai faire sans
fâcher mon frère, lui disait-il, pour
soulager votre douleur, je le ferai. Mais il ne cédait point sur Maubuisson,
Madame non plus : Nous en reparlerons une autre fois,
fit-il, et il la congédia pour aller endoctriner Monsieur. Le même jour, il emmena sa belle-sœur dans sa calèche : Eh bien ! Madame, dans quel sentiment êtes-vous
présentement ? Elle était toujours dans le même sentiment, décidée à
se séparer de Monsieur. Eh bien ! Madame,
puisque je vois que c'est véritablement votre intention d'aller à Maubuisson,
ôtez cela de votre tête, car tant que je vivrai je n'y consentirai point, et
m'y opposerai hautement et de force. L'ami avait fait place au
souverain, qui n'entendait point raillerie sur les scandales de la famille
royale, les siens exceptés, bien entendu. Vous êtes
Madame, continua Louis XIV, obligée de tenir
ce poste. Vous êtes ma belle-sœur, et l'amitié que j'ai pour vous ne me
permet pas de vous laisser aller me quitter pour jamais. Vous êtes la femme
de mon frère, ainsi je ne souffrirai pas que vous lui fassiez un tel éclat,
qui tournerait fort mal pour lui dans le monde. Ne songez pas non plus à
combattre ces raisons-ci, car en un mot commue en mille, arrive ce qui
pourra, mais je ne vous laisserai point aller en un couvent[40]. Madame n'essaya
plus de résister : Vous êtes mon roi,
dit-elle, et par conséquent mon maitre, et
elle souscrivit à tout. Le roi s'engageait à faire renvoyer de sa maison les
gens qui lui déplaisaient, à doubler la pension de Mlle de Théobon et à
veiller à ce que Monsieur tint ses promesses. Le soir même, il amena son
frère dans la chambre de Madame et leur fit un petit discours plein de
sagesse. Surtout, leur disait-il, je vous recommande de ne faire guère d'éclaircissements,
car cela ne sert qu'à aigrir les esprits. On s'embrassa, et ainsi fut fait cet accommodement, qui n'en fut
pas un dans le fond, ni Monsieur ni Madame ne s'étant pardonné. La duchesse Sophie ne le savait que trop, dans son palais enfumé de Hanovre, et elle se demandait avec anxiété où les imprudences de sa nièce allaient la conduire. L'opinion n'était pas tendre, en ce temps-là pour les princesses qui faisaient passer leur bonheur de femme avant ce qu'elles devaient à leur rang, et la duchesse approuvait complètement l'opinion. Elle-même avait fait ses preuves de patience, — ou de philosophie, — et gagné le droit de parler haut en pareille matière. Ernest-Auguste n'avait jamais pu lasser son indulgence. Il avait beau la tromper, elle répétait avec le même sourire qu'elle était la plus heureuse femme du monde. Il avait pris une maîtresse en titre, — une peste, la comtesse Platen, — et la duchesse Sophie avait fait bon visage à la favorite. Ernest-Auguste n'était pas un ingrat ; il témoignait à sa femme une estime profonde, une parfaite confiance, et s'intéressait à son bien-être. Était-elle de celles à qui cela suffit ? Tout ce qu'on peut dire, c'est que les cieux époux, en fin de compte, s'arrangeaient très bien ensemble. Pour des esprits ainsi faits, c'était folie pure de crier ses affaires de ménage sur les toits et de mettre toute l'Europe dans la confidence de ses querelles. Liselotte reçut lettre sur lettre où sa tante Sophie la tançait d'importance. Comme elle ne répondait point, ne pouvant prendre sur soi de reconnaître ses torts, la duchesse appela à son aide le raugrave Carl-Lutz, qui venait de partir pour Paris : (7 novembre 1682.) Les nouvelles que nous avons de France nous apprennent votre arrivée à Paris, et qu'il y a un nouveau démêlé entre Monsieur et Madame. J'en suis au désespoir ; on dit qu'elle dit hautement qu'elle sait bien qu'on l'empoisonnera comme on a fait à feue Madame[41] ; mais au lieu de l'appréhender, elle le souhaite. Ce sont des discours qui ne peuvent être fort agréables [à] Monsieur, et qui ne partent pas d'un cerveau bien timbré. Je lui écris fort franchement sur ce sujet ; je vous prie de me seconder ; je lui ai mis l'exemple de Madame sa mère sous les yeux, sans la flatter. Si elle se sépare, elle se trouvera aussi méprisée qu'elle dans le monde[42]. L'intervention de Carl-Lutz amena enfin une réponse de Liselotte ; mais on aimerait mieux qu'elle ne l'eût pas écrite, ou que la lettre se fût perdue avec tant d'autres. Les mensonges en sont trop gros. Quel que fût son désir de se justifier auprès de sa tante Sophie, de ne plus être grondée, Madame a perdu ce jour-là le droit de reprocher à Monsieur son manque de véracité : (Paris, 24 novembre 1682.) Je suis vraiment honteuse quand je regarde les huit lettres de Votre Dilection qui sont là devant moi, et dont je ne vous ai pas encore remerciée ; mais j'espère que Votre Dilection aura de l'indulgence pour une pauvre tête troublée comme la mienne.... Je ne suis pas étonnée que mes ennemis répandent en Allemagne, et dans le monde entier, des histoires de leur invention. Dieu m'est témoin, ainsi que toute la Cour et tous mes gens, qu'au milieu de mon chagrin, il ne m'est jamais échappé une mauvaise parole contre Monsieur ; que je ne lui ai jamais fait l'ombre d'un reproche, et que je n'ai jamais dit du mal de lui derrière son dos. Je me suis étudiée au contraire à ne rien dire qui pût le blesser, et, quand il me picote, je ne souffle pas mot. Comment aurais-je pu lui reprocher la mort de sa femme, moi qui suis plus convaincue que personne au monde que cela s'est fait sans qu'il le sache ? J'avoue que j'ai dit une fois, — il me reprochait de me tuer par mon chagrin[43] et ma violence, — que ma mort ne serait pas un grand malheur, et que je ne tenais pas assez à la vie pour craindre la mort, mais c'est tout.... Je ne comprends pas pourquoi on dit que Monsieur et moi, nous vivons comme chat et chien. Nous avons toujours gardé les dehors, et au delà ; nous ne nous sommes jamais disputés.... Des mois passèrent, puis des années, sans amener une franche réconciliation. La cabale continuait à exciter Monsieur, et le roi laissait faire. Assurément, ce n'était pas des conditions de bonheur pour Madame, l'éternelle vaincue de ce conflit inégal. Elle s'en serait pourtant tirée, s'il n'y avait pas eu Mme de Maintenon. Liselotte était capable de surmonter les chagrins provenant du chevalier de Lorraine, de retrouver le lendemain d'une insolence son bon rire et son cœur gai. Il n'en était pas de même des peines où elle s'imaginait voir la main de Mme de Maintenon ; celles-là étaient trop pesantes pour les pouvoir porter, car le roi y était toujours mêlé. On m'a pris mon cœur gai, disait-elle en 1689. Le rire revenait toujours plus ou moins, parce qu'elle riait comme un autre respire ; le cœur restait lourd. La princesse Liselotte devenait une personne gémissante, voyant de la persécution partout, et incapable de se contenir devant l'ascension de sa rivale vers la toute-puissance. Françoise d'Aubigné, née en 1635 dans une prison, veuve en 1660 du cul-de-jatte Scarron et restée très pauvre, avait accepté en 1670 d'élever les enfants de Louis XIV et de Mme de Montespan. Le roi l'avait d'abord trouvée insupportable, puis il s'y était fait, puis ce fut quelque chose de plus ; quand Mme Scarron, au bout de quatre ans, fut payée de ses bons soins par la terre et le nom de Maintenon[44], pas n'était besoin d'être grand clerc pour deviner que ce n'était qu'une entrée en matière. Quelques mois plus tard, elle était triomphante[45], et Mme de Montespan avait à se défendre contre cette gouvernante qui lui devait tout, et qui osait sommer le roi de rompre avec elle, appelant cela, dans son ingratitude orgueilleuse, servir Dieu et parler en chrétienne[46]. Madame avait assisté à ce duel, qui fut violent, fertile en scènes terribles, et qui se termina au printemps de 1679 par la défaite de la favorite, tombée au rang de simple spectatrice, après avoir joué si longtemps le premier rôle. A l'époque où le ménage de Monsieur se disloqua, Mme de Maintenon avait déjà tout pouvoir auprès du roi[47]. Il n'était question toutefois que d'amitié et de confiance. La reine vivait encore, et la nouvelle amie avait quarante-sept ans ; vertueuse ou non, on ne devient pas la maîtresse d'un grand prince à quarante-sept ans, pour peu qu'on ait de l'esprit, et Mme de Maintenon n'en manquait pas. Sans compter que ce n'était pas une passionnée ; elle était incapable d'un coup de folie. Il ne faudrait pas se figurer Louis XIV abîmé à ce point dans le respect qu'elle lui inspirait, qu'il ne lui ait jamais proposé de mal faire ; mais il fut toujours éconduit, ce qui dut le surprendre, et peut-être l'amuser ; c'était nouveau, cela le changeait. La mort presque subite de la reine, le 30 juillet 1683, vint tout arranger. Le roi est effroyablement affligé, déclara Liselotte[48], que les années et les chagrins n'avaient pas rendue moins naïve. Louis XIV pleurait très facilement et se consolait de même ; trois jours après la mort de Marie-Thérèse, la Cour partait pour Fontainebleau. Madame de Maintenon... parut aux yeux du roi dans un si grand deuil, avec un air si affligé, que lui, dont la douleur était passée, ne put s'empêcher de lui en faire quelques plaisanteries[49]. Elle fit le voyage dans son carrosse. Il la mil à Fontainebleau dans l'appartement de la reine et prit l'habitude de tenir le conseil des ministres chez elle. En septembre, ils convinrent de se marier. Quelques mois plus tard, la cérémonie eut lieu à Versailles, de nuit et devant trois témoins. On en ignore la date. Les preuves morales du mariage foisonnent, mais il n'y eut rien d'écrit, et, dans la suite, aucun aveu formel. En 1687, Madame, qui aurait tant voulu savoir ce qu'il en était, répond à une question de sa tante : Je ne peux vraiment pas vous le dire. Peu de gens en doutent, mais, tant que le mariage ne sera pas déclaré, j'aurai de la peine à y croire[50]. Elle s'informe, fait une enquête, et n'aboutit point : (14 avril 1688.) Je n'ai pas pu apprendre si le roi, oui ou non, avait épousé la Maintenon. En revanche, Madame croyait savoir des choses qui n'existaient que dans son imagination, aiguillonnée par la jalousie. Elle se flattait d'être un objet d'inquiétude constante pour Mme de Maintenon, depuis que la mort de la reine avait permis à cette dernière les plus vastes ambitions. Elle se figurait, dans sa candeur, que la vieille guenipe, comme elle l'appelait, ou encore la vieille ordure, la haïssait et la craignait parce qu'il aurait dépendu d'elle, Liselotte, d'ouvrir les yeux au roi sur l'ignominie de sa compagne. De là les menées de la vieille gueuse pour ruiner son crédit auprès du monarque ; au lieu de reconnaître la discrétion qui lui fermait la bouche, la vieille ripopée avait travaillé à la séparer du roi et à supprimer leurs tête-à-tête, de peur que Madame ne s'échappât en confidences sur les galanteries de Mme Scarron. Si Liselotte avait su combien peu Mme de Maintenon se souciait d'elle et pensait à elle, sa vie en aurait été bien simplifiée ; mais on a presque toujours de la répugnance à comprendre que l'on ne compte pas. Il était plus agréable à son amour-propre de voir la main de la vieille ratatinée dans tous ses malheurs. L'idée tourna à l'obsession et au délire de la persécution. Mme de Maintenon ne se faisait, pour sa part, aucune illusion sur ce que Madame pensait d'elle. Mme de Maintenon avait de la psychologie ; elle l'a bien prouvé. D'ailleurs, ce que Madame pensait, Madame l'écrivait, et, ce que Madame écrivait, il ne tenait qu'à Mme de Maintenon de le lire, sauf les quelques lettres, importantes à la vérité, envoyées de loin en loin par des occasions sûres. Le cabinet noir faisait des extraits en français de ce qui passait par la poste, et son choix se portait naturellement sur ce qui lui semblait écrit dans un mauvais esprit. Madame prétendait même que les employés en ajoutaient, par ordre de Louvois et de Torcy, afin de lui nuire auprès du roi. Au fond, elle n'était peut-être pas fâchée de posséder une voie pour dire leur fait aux gens qui usaient du cabinet noir. On le croirait, à la lire. Elle déclarait folie de ne pas retenir sa plume, et elle lui lâchait constamment la bride : Toutes les lettres sont ouvertes, écrivait-elle à sa sœur[51]... je le sais très bien, mais je m'en moque, et n'en écris pas moins tout ce qui me passe par la tête. Et elle va, va, cassant les vitres et mettant les pieds dans le plat, quitte à geindre quand il lui en arrive quelque désagrément. Dans sa correspondance et ses conversations, également sincères et imprudentes, Mme de Maintenon ne pouvait pas ignorer que Madame l'honorait des aimables noms cités tout à l'heure, et de quelques autres qu'il est impossible de répéter ; ni qu'elle décriait avec acharnement son passé de jeune femme veuve, belle et nécessiteuse ; ni qu'elle la dépeignait comme une méchante bête, rapace et malfaisante ; ni qu'elle ne lui pardonnerait jamais, jamais, d'avoir inspiré au roi une affection respectueuse qui était autant de volé à elle-même, la princesse Liselotte et l'amie désintéressée. Mme de Maintenon sut tout cela, et eut assez d'empire sur elle-même pour n'en rien laisser paraître. Elle fut toujours déférente, ne se vengea point, ce qui lui aurait été si facile, et nous la verrons même, dans une conjoncture critique, rendre un grand service à Madame. Il y aurait injustice à lui en demander davantage, et à lui reprocher de ne pas avoir encouragé l'intimité de Louis XIV avec sa belle-sœur. Il est de fait que cette intimité prit fin avec l'arrivée de Mme de Maintenon aux grandeurs. Le roi cessa bientôt, ou à peu près, d'emmener Madame à la chasse. C'est un ordre de la vieille, expliquait Liselotte à la duchesse Sophie[52]. Il n'a plus le droit de m'emmener nulle part et, si j'avais quelque chose à lui dire, je serais obligée de demander une audience dans les règles. Mme de Maintenon ne se hasardait guère à donner des ordres à Louis XIV, mais elle était persuasive. Elle avait entrepris de lui faire faire son salut, c'était la raison qu'elle s'était donnée, probablement de bonne foi, pour justifier à ses propres yeux sa conduite peu reluisante envers Mme de Montespan, — et elle n'avait pas trouvé Louis XIV insensible à la crainte de l'enfer. Un vent d'austérité souffla sur la cour de France, qui en avait bon besoin, il faut le reconnaître, et, par une bizarrerie du sort, l'honnête Liselotte en fut l'une des premières victimes. Louis XIV découvrit subitement, — le découvrit-il tout seul ? — que les propos salés dont il avait tant ri depuis douze ans étaient déplacés, et même scandaleux, à la cour du roi Très-Chrétien, et il arriva ce que voici : (Versailles, le 11 mai 1685.) Le roi a envoyé son confesseur trouver le mien, et m'a fait donner ce matin un savon épouvantable, en trois points. Premièrement, je suis trop libre en paroles, et j'ai dit à Monseigneur le Dauphin : Et je
vous verrais nu du haut jusques en bas Que
toute votre peau ne me tenterait pas. Secondement, je permets à mes demoiselles d'avoir des galants[53] ; troisièmement, j'ai plaisanté avec la princesse de Conti[54] de ses galants ; trois choses qui ont tellement déplu au roi, qu'il m'aurait renvoyée de la Cour, si je n'avais pas été sa belle-sœur. J'ai répondu que, en ce qui concernait Monseigneur le Dauphin, j'avouais, je l'ai dit, car je n'aurais jamais pu m'imaginer qu'il y eût de la honte à ne pas éprouver de tentation... ; et quant à lui avoir parlé librement de... et de... — deux mots qu'on ne peut citer —, c'est la faute du roi, bien plus que la mienne ; Je lui ai ouï dire cent fois qu'on pouvait parler de tout en famille. S'il a changé d'avis, il aurait dû me faire avertir ; c'est la chose du monde dont il est le plus facile de se corriger a[55]. Pas tant que cela, et elle s'en aperçut dans la suite. Elle se défendait sur les deux autres points, plutôt mal que bien, et concluait en ces termes : J'avoue que j'en ai plein le cœur contre le roi de m'avoir traitée comme une femme de chambre. Cela conviendrait mieux à sa Maintenon qu'à moi : elle est née pour cela, moi pas. Je ne sais pas si le roi a regretté de m'avoir fait faire cette harangue ; ce matin, en allant à la messe, il m'a souri d'un air aimable ; mais moi, je n'avais pas envie de rire. Je lui ai fait comme à l'ordinaire une profonde révérence, mais avec une figure qui était le contraire d'aimable. Le roi était certainement fâché de lui avoir fait de la peine. Il lui garda toujours de l'affection. Cependant, il goûtait de moins en moins sa société. Mme de Maintenon faisait du tort à Liselotte même sans y tâcher, simplement parce qu'elle infusait au roi la passion de la correction extérieure, que ce prince, médiocre connaisseur en morale, confondait avec la vertu. Cela nous amène à parler de la liberté de langage qui valut à Liselotte son savon royal. Bien des gens se la représentent comme la princesse des contes de fées qui ne pouvait ouvrir la bouche sans qu'il en sortît des crapauds. Ils exagèrent. Liselotte ne s'exprimait pas habituellement en langage de corps de garde. Sa correspondance en fait foi. Les éditeurs ont pu en retrancher un certain nombre d'anecdotes trop grossières, ils n'en ont pas changé le ton général, qui est proprement savoureux. La vérité, c'est qu'elle était rabelaisienne à ses heures, avec ferveur et avec délices, et que, lorsqu'elle s'y mettait, il n'y avait pas d'obscénité trop grosse, ou de saleté trop sale, pour cette grande princesse. Il existe d'elle une lettre adressée à sa tante et supprimée par tous les éditeurs[56], qui n'est qu'une longue variation sur le thème de Cambronne. La duchesse Sophie en fut si peu choquée, qu'elle répondit par une seconde variation sur le même sujet. Bien plus, elle fit courir le chef-d'œuvre de sa nièce, et l'en informa comme d'une chose toute simple. Il me semble, lui récrivit Madame[57], qu'il n'est pas poli que la duchesse de Celle fasse lire la lettre ordurière devant des étrangers. Je n'aurais jamais cru que cette lettre aurait tant de succès. Mgr le Dauphin tire aussi grand parti de ce thème. Mgr le Dauphin ne se contentait pas d'être rabelaisien en
paroles. Il était pratiquant : Il aimait beaucoup
qu'on l'entretînt tandis qu'il était sur la chaise percée, ce qui se faisait
très décemment, car alors on lui tournait le dos. Je l'ai souvent entretenu
de cette façon du cabinet de sa femme, ce qui la divertissait[58]. J'ose dire que
Madame se trouvait ici dans son élément. Elle adorait jusqu'aux simples
incongruités qu'il est d'usage de s'interdire en société, et dont Louis XIV,
pour sa part, s'était toujours fait grand scrupule
; c'est par une lettre de Liselotte que ce point est acquis à l'histoire. Mais, poursuivait-elle, Mgr
le Dauphin et moi, nous avons souvent parié à qui en ferait le plus, et nous
nous en sommes très bien trouvés. Pour ces sortes de choses, tout dépend de
la manière de s'y prendre[59]. A titre de tableau de mœurs sous le grand roi, Mme de Maintenon étant toute-puissante, nous tenterons de faire deviner une scène dont Madame nous a laissé un récit qu'il est difficile de reproduire et qu'elle appelle, un peu ambitieusement, un dialogue entre elle, Monsieur, et leurs deux enfants déjà grands. Les quatre altesses venaient de souper, et elles étaient seules dans une pièce de leur appartement. Monsieur se taisait : Il ne nous trouvait pas d'assez bonne compagnie pour causer avec nous[60]. Après un long silence, il interpella tout d'un coup Madame et lui adressa une grosse incongruité. Madame riposta du tac au tac, et sur le même ton, par une autre incongruité. Le jeune Duc de Chartres — le futur Régent — se récria de joie et fit chorus, et voilà une conversation de princes, à Versailles, en 1693. Il va de soi que Liselotte n'apprit jamais à être convenable. Elle en aurait été désolée. Le jour où la duchesse Sophie, devenue vieille, se lassa à son tour des polissonneries et des plaisanteries scatologiques, sa nièce le déplora : (9 mars 1710.) Je suis fâchée que Votre Dilection ne veuille plus rire de rien d'indécent, car cela entretient la gaieté, et la gaieté entretient la santé et la vie. On ne la vit pas non plus prendre un air dévot, ni feindre de s'intéresser à la maison de Saint-Cyr. L'hypocrisie n'était pas son fait. Dès que Liselotte eut compris que c'en était fini des longues causeries, tête à tête, à l'ombre des forêts, qu'elle ne verrait plus le roi qu'en public et de loin, elle jugea duperie de s'exposer tout le long du jour aux méchancetés de la cabale, qui lui attirait des affaires en dénaturant ses paroles et en interprétant malicieusement ses actes. On la vit se terrer au beau milieu de la cour de France, trouver le moyen de vivre en ermite dans le palais de Versailles ou à Saint-Cloud. Quand le Dauphin, à défaut du roi, ne l'emmenait pas à la chasse, ou qu'elle n'était pas commandée pour figurer avec les autres princesses dans quelque divertissement, Madame s'enfermait chez elle, toute seule, de peur d'être accusée d'intrigues secrètes. Cette idée peu banale lui était venue dans l'année qui suivit le savon de 1685 ; elle en fait part à sa tante, qui certainement ne l'admira point, dans une lettre datée de Saint-Cloud, le 18 mai 1686 : Je ne joue pas. Je me tiens dans mon cabinet, où je suis bien tranquille. Jusqu'à l'heure où l'on se promène à pied ou en voiture, je lis, j'écris, je regarde des gravures, quelquefois je range mes armoires, et j'ai beau être seule toute la journée, je ne m'ennuie jamais, et j'ai au moins la consolation, si je suis privée de société, d'être sûre qu'on n'interprétera pas mes paroles en mal, et de ne pas voir les espions qui vous regardent sous le nez pour deviner ce que vous pensez, selon la mode actuelle. Elle soutint son personnage d'ermite ou, plutôt, d'ours dans sa tanière, jusqu'à la mort de Louis XIV, c'est-à-dire tout près de trente ans. A la duchesse Sophie : (Saint-Cloud, 3 juillet 1695.) Je vis dans le grand monde absolument isolée ; je fraye avec peu de gens, et suis d'ordinaire complètement seule pendant cinq heures en été, et sept heures en hiver. Dans toutes ses correspondances, et quelle que soit la date, c'est la même antienne, avec plus ou moins de détails sur ses occupations. A M. de Harling : (Marly, le 12 novembre 1711.) Je trouve toujours quelque chose à faire dans mon cabinet[61]. J'ai une assez belle suite de médailles d'or ; ma tante m'en a aussi donné d'argent et de bronze. J'ai deux ou trois cents pierres gravées antiques. J'ai beaucoup de gravures, que j'aime aussi beaucoup. Je lis volontiers. Le temps ne peut jamais me sembler long. Même à Trianon, elle parvenait à se cacher. A la duchesse Sophie : (Trianon, le 21 juin 1705.) Après le diner[62], je rentre immédiatement dans ma chambre. Je lis, j'écris, je bavarde avec mes dames, et l'après-midi passe. A six heures, je vais me promener jusqu'à sept heures et demie. Je reviens dans mon cabinet et, à dix heures moins le quart, je vais attendre le souper dans la galerie. Après le souper, vite dans ma chambre et au lit. Elle était déjà si bien entrée dans son rôle d'ours en 1693, lors de l'arrivée de Saint-Simon à la Cour, que ce dernier y fut trompé. Il crut que Madame avait toujours été la femme aigrie et sauvage qu'il avait sous les yeux, et qu'il a dépeinte dans une page merveilleuse[63] : c'est à propos de Saint-Cloud et de ce qui en faisait une maison de délices. Et tout cela, poursuit Saint-Simon, sans aucun secours de Madame, qui dînait et soupait avec les clames et Monsieur, se promenait quelquefois en calèche avec quelques-unes, boudait souvent la compagnie, s'en faisait craindre par son humeur dure et farouche, et quelquefois par ses propos, et passait toute la journée dans un cabinet qu'elle s'était choisi, où les fenêtres étaient à plus de dix pieds de terre, à considérer les portraits des Palatins et d'autres princes allemands dont elle l'avait tapissé, et à écrire des volumes de lettres tous les jours de sa vie.... Monsieur n'avait pu la ployer à une vie plus humaine et la laissait faire, et vivait honnêtement avec elle sans se soucier de sa personne, avec qui il n'était presque point en particulier. Dans cette profonde solitude morale, la princesse
Liselotte se rattacha définitivement à une idée qui la poursuivait déjà en
1671 sur la route de Strasbourg à Metz, tandis qu'elle hurlait de désespoir
d'avoir quitté son Palatinat chéri pour venir épouser un Duc d'Orléans. Il
devint tout à fait clair pour elle, tout à fait positif, qu'il ne peut pas y
avoir de bonheur en France pour une princesse allemande. Elle avait souvent
perdu de vue cette pensée, au cours de ses années de faveur et de leurs
joies. Jamais plus elle ne l'oublia. L'Allemagne
m'est toujours chère, disait-elle en 1706, et
je suis peu propre[64] à la France.... Vainement sa tante et ses sœurs
répondaient à ses plaintes indignées sur nos défauts et nos vices qu'il y
avait aussi à dire sur les Allemands et leurs mœurs. Madame s'étonnait de ces
révélations : Je suis fâchée que notre pays se gâte
et que les honnêtes gens y deviennent aussi rares. Ailleurs : Je ne puis m'étonner assez de voir à quel point tout est
changé en Allemagne. Il me semble que tout était mieux de mon temps[65]. Non, tout
n'était pas mieux ; il n'y avait de mieux que son âme de jeune fille
heureuse, voyant le monde et l'humanité en beau. Madame ne s'en rendait pas
compte et s'affligeait de ce qu'elle prenait pour une décadence ; mais sa
tendresse pour l'Allemagne n'en souffrait pas. Elle entrait dans les torts de
l'Allemagne comme dans ses peines. De l'Allemagne, elle comprenait tout ; de
la France, rien. C'est pourquoi, à l'heure des difficultés, elle n'inventa rien de mieux que de rentrer dans sa coquille. Elle donna l'exemple à la Dauphine, autre princesse allemande à qui la France ne réussissait pas non plus, et qui se montrait de moins en moins d'année en année. La Dauphine était une pauvre créature malsaine et mélancolique, qui ne sut pas prendre un parti avec le mari médiocre dont l'avait affublée la politique. Elle ne fit rien pour le garder, ne se résigna pas à le voir aller ailleurs, et s'enferma à son tour, dans de petits cabinets derrière son appartement, sans vue et sans air[66]. Le roi se mit en frais pour la rasséréner et la résoudre à remplir ses devoirs de future reine : il échoua. Madame l'excita contre Mme de Maintenon, et cela n'arrangea pas les choses. Finalement on la laissa dans son coin, et sa mort, survenue en pleine jeunesse (20 avril 1690), fut un soulagement pour tout le monde, elle incluse. Elle fut heureuse de ne pas vivre longtemps, déclare Saint-Simon[67], et personne n'y a jamais contredit. Celle-là aussi ne comprenait rien à la France. On la fait mourir de chagrin, avait écrit Madame[68] quelques semaines avant sa fin. On fait tout ce qu'on peut pour m'amener au même point, mais je suis une noix plus dure que Madame la Dauphine, et, avant de m'avaler, la vieille y aura perdu plus d'une dent. La noix palatine était en effet incomparablement plus dure que la noix bavaroise, aussi ne fut-elle pas avalée. En valut-elle beaucoup mieux et avait-elle fait sagement de jeter le manche après la cognée ? Nous laisserons parler les événements. Les préoccupations ne lui manquaient pas du côté de l'Allemagne. Charles-Louis avait laissé ses bâtards entièrement dépourvus : trois grandes filles non mariées, cinq fils dont quatre étaient encore des enfants. Ce n'était pas faute d'avoir pensé à eux. II avait commencé dès avant le mariage de Liselotte à assurer sur le papier l'avenir des enfants de Louise de Degenfeld ; son testament[69], daté du 1er mars 1670, contient des legs à tous ceux qui étaient alors de ce monde[70]. Mais ce ne fut que le point de départ d'une série de projets qui restaient en l'air. Il naissait des raugraves, il en mourait, et leur père défaisait, refaisait, paperassait, sans pouvoir se résoudre à la seule mesure pratique, qui aurait été de les pourvoir de son vivant ; il les chérissait, mais il chérissait encore plus ses écus et n'avait pas la force de s'en séparer. Si bien qu'à sa mort le prince Charles, son successeur, put arguer qu'il se trouvait en face de combinaisons vagues, que son père lui-même n'avait pas jugé à propos d'exécuter. La duchesse Sophie prit chaudement le parti des orphelins : La volonté de l'Électeur défunt est parfaitement claire, écrivait-elle[71] ; je ne doute donc pas que l'Électeur actuel ne trouve dans son cœur quelque reconnaissance pour Monsieur son père, et ne respecte ses dernières volontés. Le nouvel Électeur ne trouve dans son cœur de dévot qu'une provision de fiel, amassée depuis l'enfance contre ces bâtards envahissants qui lui avaient volé sa place au soleil, qui étaient choyés, caressés, magnifiquement entretenus[72], tandis que lui, le fils légitime, végétait mesquinement dans l'ombre, privé des soins les plus nécessaires[73], rudoyé, fagoté, sans le sol. L'un des premiers actes de son gouvernement fut d'interdire le territoire du Palatinat à Carl-Lutz, l'aîné, trop brillant et trop populaire. Un autre fut d'annuler[74] les arrangements pécuniaires ébauchés par son père en faveur des raugraves. Ceux-ci n'avaient d'autre appui que Madame et la duchesse Sophie. La duchesse, bien que peu riche, se montra généreuse, et veilla avec un dévouement inlassable sur le troupeau demeuré sans berger : J'aimerais mieux aller en chemise, écrivait-elle à Louise[75], que de vous laisser manquer ; vous pouvez y compter. Madame eut une conduite qui nous gène quand nous lisons sa tendre correspondance avec ses sœurs. En paroles, elle ne trouvait jamais que l'on fit assez
pour les raugraves. Elle fulminait contre son frère l'Électeur Charles, parce
qu'il s'était borné à leur accorder, avec beaucoup de peine et de regret, des
pensions que l'on devine avoir été chétives, et que, d'ailleurs, il ne payait
guère. Madame trouvait sa lésinerie inconcevable, et ne se gênait pas pour le
lui dire. Quand son frère fut mort (1685) et que le Palatinat eut passé à des
parents éloignés, les pensions furent encore moins payées : C'est une vraie honte, déclarait Liselotte ; ou
bien : C'est abominable à l'Électeur[76]. Elle reprochait
à la tante Sophie, sans laquelle toute la nichée n'aurait eu qu'à tendre la
main, de ne pas faire assez bien les choses[77]. En un mot,
c'était la mouche du coche. Quant à faire elle-même quoi que ce soit pour ses sœurs, oh ! que nenni ! Le parti pris fut le même que pour ses frères. D'argent, point, et c'était Madame qu'il fallait plaindre : elle était si à court ! Elle aurait tant aimé pouvoir donner ! Plût à Dieu que je pusse soulager ma tante la duchesse de la peine de pourvoir à vous autres ! Je m'en ferais une joie.... Plût, à Dieu que je fusse en situation d'aider votre ménage ! Que je m'estimerais donc heureuse ! C'est un vrai chagrin pour moi que cela ne puisse pas être[78]. Il serait aisé de multiplier les citations. Jamais elle n'eut un liard pour ces pauvres filles, ni après la mort de Monsieur, qu'elle accusait de donner tout l'argent de la maison à ses favoris, ni après que son fils, devenu Régent, eut rempli royalement sa bourse. Dans sa vieillesse, elle envoyait de loin en loin à Louise une bagatelle achetée à la foire de Saint-Germain[79] ou à la fête de Saint-Cloud : Je vous envoie vos étrennes.... Je vous envoie votre foire.... C'était maigre. Il y avait aussi volonté arrêtée de les tenir à l'écart et de ne pas s'en empêtrer. Deux ans après la mort de leur père, la duchesse Sophie suggéra à Madame de faire admettre Amélisse parmi les filles d'honneur de la Dauphine. Madame écrivit à Carl-Lutz : Ce n'est pas du tout mon idée. J'avoue qu'il me serait très désagréable de voir Amélisse trotter derrière Mlles de Rambures et de Jarnac, qui l'appelleraient ma compagne. Je crois que vous partagerez ma manière de voir[80]. Presque au même moment, le hasard des voyages[81] mettait Liselotte à portée de l'aînée des trois raugraves, Caroline, qui avait trouvé à se marier et était devenue comtesse de Schomberg. Une lettre de la duchesse Sophie à Caroline nous apprend ce qui en résulta : (5 juillet 1683.) Je suis fâchée que vous n'ayez pas vu Madame. Je ne doute pas que Leurs Altesses n'eussent tout fait pour vous obliger. J'espère que la maladie sur laquelle elle s'est excusée aura un bon motif. Impossible de se faire illusion ; Liselotte était bien résolue à ne se laisser ni exploiter, ni même déranger. On a hâte de la voir plus à son avantage. Nous arrivons ici à l'une des plus vilaines pages de l'histoire de France. L'incendie du Palatinat est pour nous une honte si grande, qu'on souffre à en parler, et l'on ne peut cependant s'en dispenser dans une biographie de la princesse Liselotte, prétexte innocent et témoin désespéré de la ruine barbare de sa patrie. Son contrat de mariage est à l'origine des abominations de 1689. On se souvient qu'elle y renonçait à ses droits successifs sur les biens souverains et féodaux... se réservant seulement ses droits sur... les allodiaux de sa maison[82]. Ce furent ces derniers mots qui ouvrirent la porte aux difficultés. Charles-Louis avait réglé sa succession dans le testament
dont nous avons déjà parlé : Nous ordonnons et
voulons en premier lieu que nos joyaux, peintures, chevaux, artillerie,
munitions de guerre, bibliothèque et tous autres meubles qui nous sont avenus
et arrivés de feu nos ancêtres ou que nous avons acquis ailleurs, quelque nom
qu'ils puissent avoir, appartiendront et demeureront, en tant que nous n'en
avons pas disposé ou que nous n'en disposerons pas autrement, à notre fils et
successeur Électoral, et après son décès à ses hoirs mâles, et au défaut
d'eux à ses filles, et lors qu'il n'y en aura point, à sa sœur germaine,
notre fille Élisabeth-Charlotte et à ses hoirs ; excepté néanmoins la
bibliothèque, artillerie et munitions de guerre, qui demeureront à la maison
Électorale. Le testament assurait encore à Liselotte sa dot, sa part d'ameublements et la moitié d'une créance très aléatoire. Il n'y était pas question des terres qui auraient dû rentrer dans les allodiaux sur lesquels son contrat réservait ses droits. Charles-Louis le faisait même remarquer à son fils, dans l'espoir que le prince Charles lui revaudrait cela en complaisances pour les raugraves : Nous avons la confiance paternelle... qu'en considération de ce que nous lui avons laissé par la présente disposition la meilleure partie de nos allodiaux... il se trouvera d'autant plus obligé, etc. On a vu que le prince Charles ne se trouva obligé à rien du tout. Il fit à son tour un testament[83], par lequel, n'ayant point d'enfants, il se désignait un héritier et successeur. Madame n'y était pas nommée. La duchesse Sophie prévit que ce testament-là plairait moins à Versailles que celui de son frère Charles. Louis, où Madame était nommée pour ce qui de droit lui devrait appartenir[84], et ce fut en effet ce qui arriva. La France protesta contre le testament du prince Charles et fit valoir que le droit naturel appelait Madame à sa succession, non pas seulement pour les portraits de famille ou l'argenterie, mais encore pour tous les pays, villes et places dont son père et frère ont joui paisiblement pendant leur vie[85], autrement dit pour le Palatinat tout entier. Quelque bien fondés, cependant, que fussent les droits de sa belle-sœur, le roi Louis XIV consentait, dans l'intérêt de la paix générale, et pour ne pas troubler l'Allemagne, alors en guerre avec les Turcs, à ne réclamer au nom de Madame, en fait de terres et gens, que les domaines rentrant dans les allodiaux. Malgré cette grande modération, que ses agents avaient chargé de faire valoir, des lambeaux du Palatinat — si ses prétentions étaient admises passaient à notre pays, et le frère du roi de France devenait prince d'empire, comme comte palatin de Simmern et Lautern[86]. Le nouvel Électeur, Philippe-Guillaume[87], et son fils après lui, se débattirent de leur mieux. On ergota ; les deux parties en appelèrent à la Diète, puis à l'Empereur et finalement au Pape, pris pour arbitre. On batailla ainsi près de vingt ans. La succession de Charles-Louis s'était compliquée dé celle de Charlotte de Hesse, sa femme légitime et mère de Madame. Cette pauvre agitée avait enfin trouvé le repos dans la mort, le 16 mars 1686. Son humeur, écrivait la duchesse Sophie à Carl-Lutz, ne l'a point quittée jusque dans le tombeau. Elle a ordonné tout l'ajustement qu'on lui devrait mettre après sa mort. Ce sera la seule fois qu'on l'habillera sans qu'elle gronde ou batte ses gens[88]. La duchesse écrivait d'autre part à la raugrave Louise, et les deux lettres disaient également la vérité : Je suis sûre que vous la regretterez, car elle a toujours été bonne pour vous tous. L'âme et le corps ne s'accordaient pas ; le bien que voulait l'une, l'autre le gâtait, faute à Sa Dilection de pouvoir se maîtriser[89]. Charlotte avait en effet été très bonne pour eux dans leur malheur, mais elle était neurasthénique ; elle avait trop souffert, de toutes les façons. Il existe sur elle un document pathétique ; c'est l'inventaire[90], après décès, de son mobilier et de ses nippes. Tandis que les vieilles chaises fort rompues, le lustre de cristal à douze bras dont deux sont cassés, les vingt-quatre vieilles chemises de femme et le tapis vert gâté disent la vie étroite et la gêne piteuse de cette princesse dont personne ne voulait[91], sa misère morale est, pour ainsi parler, déballée sous nos yeux avec le contenu de deux grands coffres découverts dans son grenier. L'Électrice Charlotte les avait emportés de Heidelberg lorsque Charles-Louis l'avait contrainte à céder la place à Louise de Degenfeld. Il y avait de cela vingt-trois ans, et jamais personne ne les avait ouverts. On en sortit les layettes de Liselotte et de son frère : leurs langes, leurs petits bonnets et petites camisoles, une belle toilette de baptême, deux pelisses, l'une en satin bleu, l'autre en satin jaune, des ceintures, des écharpes, des toques en velours ou en satin. Il y avait aussi les premiers pourpoints du prince Charles, et une robe de fille de six à sept ans, en moire couleur cerise, qui devait être, d'après l'âge, la belle robe de Liselotte au moment où elle fut arrachée à sa mère et envoyée à Hanovre, chez sa tante Sophie. A quel sentiment avait obéi Charlotte en s'encombrant de cette friperie ? Était-ce désir d'avoir un souvenir de ses enfants ? ou désir d'empêcher que leurs petites défroques ne fussent données aux bâtards de la maîtresse triomphante ? Les deux, très probablement, et les deux inspirent de la compassion pour la mère malheureuse. Les agents français envoyés à Heidelberg afin d'y suivre les affaires de Madame vendirent ce bric-à-brac à l'encan. En réunissant tout, ils en tirèrent 2.655 florins, plus 756 florins pour le carrosse et ses six chevaux noirs[92]. Le gros du mobilier provenant de Charles-Louis et du prince Charles fut aussi vendu aux enchères ; ci 24.016 florins. Leur cave produisit 9.075 florins, 53 kreuzer, plus 216 florins d'eau-de-vie, et la vaisselle d'argent 32.383 florins, 39 kreuzer. On remarquera la modicité de ces chiffres, s'agissant de princes souverains, et non des moindres de l'Allemagne. A la vérité, les objets de prix avaient été réservés. Ils furent expédiés par chariots à Saint-Cloud, un premier convoi en 1686, un second en 1688. Les frais de transport se montèrent à 2.014 florins, 46 kreuzer. Le nouvel Électeur laissait faire ; il cédait sur ce qui n'était pas la terre et les gens. Charles-Louis avait aussi laissé de l'argent. Tout compté, Liselotte héritait de plus de 350.000 florins, sans parler des objets en nature, et en dehors des terres allodiales, au sujet desquelles on n'était pas près de s'entendre. Mais elle ne vit pas un liard de l'argent et n'eut que le rebut des objets. Les florins servirent à embellir la maison de campagne du chevalier de Lorraine ou son appartement de Saint-Cloud, — il avait le plus beau du château, et il en fut de même de tout cc qui fut à son goût dans les caisses envoyées d'Allemagne : Madame, racontait sa tante Sophie[93], à dû voir avec patience les tapis et les meilleurs tableaux de Heidelberg dans la chambre du chevalier de Lorraine. Ce sont là de ces choses auxquelles les femmes sont particulièrement sensibles, et Madame ne les vit pas avec patience. L'agacement produit par ces ignobles tracasseries vint bientôt se perdre dans une douleur effroyable, et pour laquelle Liselotte a trouvé des accents poignants. L'orgueil et les exigences de Louis XIV avaient porté leurs fruits et noué contre la France la coalition formidable qui porte le nom de ligue d'Augsbourg. La guerre commença à l'automne de 1688 et le roi n'y oublia point les intérêts de sa belle-sœur : il envoya son fils conquérir le Palatinat. Le règne monarchique exigeait que Madame fût de tout cœur avec les armées de sa patrie d'adoption, même contre sa patrie d'origine ; règle barbare au premier abord, indispensable pourtant, si l'on y réfléchit, à la sécurité des royaumes où la famille régnante est mêlée d'étrangères. Aussi les manquements à cette servitude ont-ils été, de tout temps, difficilement pardonnés, aussi bien par les peuples que par les rois. Madame, en 1688, y manqua dès l'ouverture de la campagne. Elle ne se cacha point de penser et de sentir en Allemande, et non en Française. Au Grand Dauphin, lui détaillant ses futures conquêtes et attendant des remerciements elle repartit froidement : Je ne puis avoir que de la douleur et nulle joie de voir qu'on se serve de mon nom pour ruiner ma pauvre patrie[94]. A M. de Montausier, la complimentant de ce que le Dauphin allait lui conquérir son bien et ses terres[95], elle répliqua encore plus sèchement : Bien loin d'en ressentir de la joie, j'en suis très fâchée. Elle envisageait ce qui allait se passer avec un mélange
d'horreur et de colère. Déjà courait le bruit qu'on
se préparait à brûler, et justement au Palatinat. D'autre part, — car
il faut tout dire, — Liselotte savait que les conquêtes de la France, — si
nous en faisions, — seraient pour la France et non pour elle. Il n'y aurait
pas de contrat ni de testament qui tint, et elle se sentait lésée,
dépouillée, et écrivait rageusement : Si Monsieur ne
veut pas ouvrir les yeux pour voir comme on nous prend ce qui nous appartient
je ne peux pourtant pas empêcher les miens de voir la vérité. Elle ne
se découvrait aucune raison de s'intéresser à nos armes. Louis XIV le sut, et
ce fut assurément ce qu'il eut le plus de peine à lui pardonner dans toute
leur vie. Lui non plus, il ne cacha point sa façon de penser. Les événements marchaient. Le Grand Dauphin avait conquis le Palatinat, et Louvois, sans s'occuper de Madame, avait donné l'ordre de tout brûler et rebrûler, pour nous couvrir du côté de l'Allemagne par un désert où les armées ennemies ne pussent point subsister. Le 18 janvier 1689, on fit sauter une partie du château de Heidelberg- et l'on commença à arracher les vignes et les vergers des environs de la ville. Le 28, on brûla méthodiquement les villages de la rive gauche du Neckar. Le 29, le 30, le 31 et pendant tout le mois de février, l'incendie fut allumé de proche en proche, villes et campagnes brûlées et rebrûlées, avec accompagnement de massacres, de viols, de toutes les cruautés, de toutes les indignités dont est capable une soldatesque enivrée de crime par des ordres féroces. Le 2 mars, on mit le feu à Heidelberg, et, si une partie de la ville échappa à la destruction ; elle le dut à l'indignation des officiers français commis à l'exécution. Ce qui restait du château fut brûlé ; ses ruines sont toujours là qui crient contre nous, et, aujourd'hui encore, les petits enfants de ces contrées apprennent à lire dans des alphabets dont chaque image met sous leurs yeux, à l'âge où l'on n'oublie plus, l'une des scènes de l'incendie du Palatinat. Louvois eut son désert, mais il nous coûta cher dans l'estime du monde civilisé. Madame fut atterrée. Les lettres de cette période lui font honneur. Liselotte ne pense plus il elle ; c'est l'humanité outragée qui gémit dans ces pages douloureuses : (20 mars 1689.) Dût-on m'ôter la vie, je ne peux pas ne pas m'affliger, ne pas déplorer d'être pour ainsi dire la destructrice de ma patrie et de voir ce pauvre Manheim... n'être plus qu'un monceau de ruines. quand je pense à tout ce qu'on a fait sauter, je suis saisie d'une telle horreur que, la nuit, dès que je m'endors un peu, il me semble être à Heidelberg ou à Manheim, et voir cette désolation. Je me réveille alors en sursaut, et suis plus de deux heures avant de pouvoir me rendormir. Je revois comment tout était de mon temps, je me représente comment c'est aujourd'hui, je considère dans quel état je suis moi-même, et il m'est impossible de ne pas pleurer à chaudes larmes. Ce qui m'est aussi bien douloureux, c'est que le roi a attendu, pour tout réduire à la dernière misère, que je l'aie imploré en faveur de Heidelberg, et de Manheim. Et l'on trouve mauvais que j'aie du chagrin ! Je ne peux pas m'en empêcher[96]. Sa peine redoublait en songeant que ces choses odieuses se
faisaient en son nom : (14 avril
1689.) Ce qui me fait le plus de mal, ce
n'est pas encore l'état épouvantable ou l'on a mis le pauvre Palatinat, c'est
qu'on se soit servi de mon nom pour tromper les pauvres habitants ; c'est que
ces braves gens, dans leur innocence et par affection pour l'Électeur notre
défunt père, aient cru ne pouvoir mieux faire que de se soumettre
volontairement, dans l'idée qu'ils m'appartiendraient et qu'ils seraient plus
heureux qu'avec l'Électeur actuel, car je suis encore du sang de leurs
maîtres légitimes. Non seulement ils ont été trompés dans leur espoir et ils
ont vu leur affection très mal récompensée, mais ils sont tombés par là dans
un malheur et une misère éternels. Je ne peux pas le digérer, cela me fait
trop de chagrin. Il y avait bien de quoi s'user les yeux à pleurer. Madame était restée populaire au Palatinat. Chacun le savait. Elle y était extraordinairement aimée, note le marquis de Sourches (11 mars 1689), qui compatissait à sa souffrance. Les bonnes gens de là-bas comptaient sur Liselotte pour les protéger, et il en était d'eux comme des petits enfants que Gilles de Retz, l'original de Barbe-Bleue, prenait soin de s'attacher avant de les torturer ; une immense détresse morale se joignait aux maux que leur infligeait la tactique impitoyable de Louvois. (5 juin 1689.) Monsieur m'a dit une chose que j'ignorais et qui m'a fendu le cœur. Dans le Palatinat, le roi lève toutes les contributions en mon nom ; de sorte que ces pauvres gens se figureront que je profite de leur malheur et que je suis la cause de tout. Cela me désespère. Elle ne se trompait qu'à demi. Le peuple du Palatinat s'étonnait : pourquoi la princesse Liselotte ne venait-elle pas à leurs secours ? (30 octobre 1689.) On m'a conté hier une chose qui m'a profondément attendrie et que je n'ai pu entendre sans pleurer.... Quand il vient un Français à Heidelberg, les pauvres gens l'entourent en foule et lui demandent de mes nouvelles. Ils se mettent ensuite à parler de monsieur mon père et de mon frère, et ils versent des larmes amères, car ils n'aiment pas l'Électeur d'à présent. Liselotte avait reçu le baptême de la grande douleur, celle qui tue les faibles et fortifie les forts. Elle sortit grandie de l'épreuve. |
[1] Lettre du 27 mai 1680, à Charles-Louis.
[2] Haüsser, II, 640.
[3] Commissaire français.
[4] Louis XIV.
[5] Du 20 mai 1680.
[6] Traduction Jaéglé. Il y avait eu des difficultés sur un point secondaire, et le roi avait cédé.
[7] Le 23 décembre 1679. Les obsèques n'eurent lieu qu'au mois de mars suivant.
[8] Lettre du 11 janvier 1680, de la duchesse Sophie à son frère.
[9] La lettre de Liselotte ne s'est pas retrouvée.
[10] Les détails qu'on va lire sont empruntés à deux relations sans noms d'auteur, publiées à la suite de la Correspondance de Charles-Louis avec la duchesse Sophie, p. 435-442.
[11] Y compris Mlle Berau, dit Haüsser, II, p. 686. Les deux relations taisent son nom.
[12] Une troisième fois, d'après l'une des relations.
[13] L'aîné des fils de la duchesse Sophie, le prince Georges-Louis, était venu faire un séjour en France.
[14] En 1680, la Cour arriva à Fontainebleau le 13 mai et y resta jusqu'au mois de juillet.
[15] Le dialogue a sans doute été perdu ou détruit, comme toute la correspondance de Madame avec son père, car on n'en trouve de trace nulle part.
[16] Le prince Charles, qui avait succédé à son père.
[17] Cf. la correspondance de l'Électeur avec sa sœur du 1er mai au 29 juillet 1680.
[18] La lettre est adressée à la duchesse Sophie.
[19] Saint-Simon, Écrits inédits, p. 205.
[20] De Mme de Sévigné, le 11 décembre 1675.
[21] De Mme de Sévigné, le 23 octobre 1675.
[22] De Mme de Sévigné, le 23 mars 1678.
[23] Souligné dans l'original.
[24] Mme de Maintenon d'après su correspondance authentique, par A. Geoffroy (Paris, 2 vol., 1887). Vol. I, p. 183. Sur ce chapitre délicat, cf. l'Histoire de Mme de Maintenon du duc de Noailles (Paris, 1857, 4 vol. gr. in-8°), vol. 171, p. 284.
[25] Le roi avait été opéré d'une fistule le 18 novembre. C'était ce qu'on appelait la grande opération.
[26] Fragments de lettres originales de Madame, etc. Vol. I, p. 107.
[27] Le mot est de Mme de Sévigné.
[28] Lettres du 12 et du 19 septembre 1682, à la duchesse Sophie.
[29] Mlle de Théobon, ancienne fille d'honneur de la reine, était sans fortune. Monsieur l'avait prise chez lui par charité.
[30] Lettre du 16 octobre 1676.
[31] Voyez les Lettres de Madame et les Mémoires du marquis de Sourches, années 1632 et suivantes.
[32] Vol. I, p. 156.
[33] Du 19 septembre 1682, à la duchesse Sophie.
[34] Vol. I, p. 136.
[35] On croyait Mlle de Théobon mariée secrètement au comte de Beuvron. Si ce n'était pas vrai, cela le devint bientôt après, et le mariage fut déclaré en 1686.
[36] Le 2 juillet.
[37] Lettre du 19 septembre 1682. Celte lettre, très volumineuse, contenait l'historique de toute l'affaire. Madame l'avait envoyée à la duchesse Sophie par une occasion de peur du cabinet noir.
[38] Cette dernière phrase a été coupée dans l'édition allemande. Elle est donnée dans Jaéglé, I, 36.
[39] Cette dernière phrase est aussi supprimée dans l'édition allemande.
[40] Phrase supprimée dans l'édition allemande.
[41] Henriette d'Angleterre, première femme de Monsieur.
[42] Briefe der Kurfürstin Sophie von Hannover an die Raugräfinnen, etc. (Leipzig, Hirzel).
[43] Les mots en italique sont en français dans l'original.
[44] L'acte d'achat de la terre et seigneurie de Maintenon est du 27 décembre 1664. Quelques semaines plus tard, le roi l'appela en public Madame de Maintenon, et ce fut chose faite.
[45] Lettre de Mme de Sévigné, du 6 mai 1676.
[46] Lettres de Mme de Maintenon à l'abbé Gobelin, juin 1670, avril 1675 (Geoffroy, vol. I).
[47] Mémoires de Sourches, I, 108, note 4.
[48] Du 1er août 1683, à la duchesse Sophie.
[49] Souvenirs de Mme de Caylus, p. 124.
[50] Du 13 mai 1687, à la duchesse Sophie.
[51] Du 15 mai 1701.
[52] Du 2 août 1688.
[53] Les mots en italique sont en français dans l'original.
[54] Marie-Anne de Bourbon, dite Mlle de Blois, fille du roi et de Mme de Montespan.
[55] Lettre à la duchesse Sophie.
[56] La lettre est datée de Fontainebleau, le 9 octobre 1694. G. Brunet eu a donné un fragment dans l'appendice du volume II de sa Correspondance de Madame, et il a joint la réponse de la duchesse Sophie, du 31 octobre 1694.
[57] Lettre du 18 novembre.
[58] Fragments des lettres originales, etc. Du 5 mai 1716. Vol. II, p. 74.
[59] Du 6 juillet 1710, à la duchesse Sophie.
[60] Du 18 janvier 1693, à la duchesse Sophie.
[61] Les mots en italique sont en français dans l'original.
[62] On se rappelle que le dîner était alors au milieu du jour. Le souper était à dix heures.
[63] Édition de Boislisle, VIII, 336.
[64] En français dans l'original. Lettre du 28 novembre 1706 à la raugrave Amélise.
[65] Lettres du 6 mars 1699 et du 29 avril 1704 aux raugraves. La même idée se retrouve nombre de fois dans ses diverses correspondances.
[66] Souvenirs de Mme de Caylus, p. 108.
[67] Additions au Journal de Dangeau, t. III, p. 103.
[68] Du 8 février 1690, à la duchesse Sophie.
[69] Arch. nat., K. 552, n° 8.
[70] 100.000 florins à Carl-Lutz, 107.862 florins à Carl-Édouard, 100.000 florins à partager entre les cinq filles alors existantes.
[71] A la raugrave Caroline, le 28 novembre 1680.
[72] La duchesse Sophie à Caroline, le 21 avril 1681.
[73] La duchesse Sophie en avait fait des reproches à son frère : (19 juin 1661.) Je suis tout à fait scandalisée du peu de soin qu'on avait de ce prince durant le temps que j'étais à Heidelberg, etc.
[74] Cf. Briefe der Kurfürstin Sophie von Hannover an die Baugräfinnen, etc., p. VIII.
[75] Du 28 octobre 1688.
[76] A ses sœurs, le 5 novembre 1705 et le 16 mars 1709.
[77] Cf. la lettre à Amélise, du 16 août 1704.
[78] A Louise, du 22 décembre 1691 et du 21 juillet 1695.
[79] La foire de Saint-Germain des Prés, à Paris. Elle ouvrait le 3 février.
[80] Du 18 juillet 1683.
[81] La cour de France était partie le 26 mai pour la Bourgogne, la Franche-Comté et l'Alsace. Madame avait donné rendez-vous à sa mère. Elle la vit, entre autres, le 4 juillet, près de Bouquenon (Gazette du 10 juillet 1683).
[82] Arch. nat., K. 542, n° 9. — En quoi consistaient au juste les allodiaux ? La question est très difficile ; le mot allodial avait plusieurs sens, selon les pays et les époques. En France et au XVIe siècle, l'expression d'allodiaux désignait généralement les francs-alleux c'est-à-dire les terres exemptes de droits seigneuriaux. Mais elle avait aussi désigné plus anciennement des biens compris dans la succession, ou ceux que le propriétaire du moment avait recueillis par succession, et Louis XIV cherchait à tirer parti de ces deux derniers sens. (Cf. le Recueil des instructions données aux ambassadeurs, etc., publié par le ministère des Affaires étrangères : Bavière, Palatinat, Deux-Ponts, éd. par A. Lebon ; p. 395 et 401. Paris, 1889.) En Allemagne, il existait des formes d'allodiaux que nous n'avions pas en France ; de là des complications à l'infini.
[83] Le 12 septembre 1684. Arch. nat., K. 552, n° 10.
[84] A Carl-Lutz, du 5 novembre 1685.
[85] Instructions données aux ambassadeurs. Bavière, Palatinat, etc., p. 401 et suivantes.
[86] Haüsser, II, 762.
[87] Philippe-Guillaume mourut en 1690 ; Jean-Guillaume, son fils et successeur, en 1716.
[88] Lettre du 12 avril 1686.
[89] Du 22 mars 1686, à la raugrave Louise.
[90] Arch. nat., K. 552, n° 4.
[91] Son fils, le prince Charles, était venu à son secours dès qu'il eut le pouvoir ; mais il mourut avant elle.
[92] Compte de la succession revenant à Madame, etc. Arch. nat., K. 552, n° 5.
[93] Lettre du 31 octobre 1687, à Ferdinand de Degenfeld. C'était un frère de Louise.
[94] A la duchesse Sophie, du 26 septembre 1683.
[95] A la même, du 10 novembre 1688.
[96] Cette lettre et les suivantes sont adressées à la duchesse Sophie.