LA FEMME GRECQUE

 

TOME DEUXIÈME

CHAPITRE IV. — LES HÉROÏNES DES POÈTES TRAGIQUES (SUITE). - THÉÂTRE D'EURIPIDE.

 

 

Caractère des œuvres d'Euripide. — Phèdre. L'héroïne de Racine. Médée. — Créuse, mère d'ion. — Hermione, Andromaque. Les mêmes figures peintes par Racine. — Hécube, Polyxène. — Hélène, Théonoé. — Iphigénie à Aulis, Clytemnestre. La fille de Jephté. L'Iphigénie et la Clytemnestre de Racine. Praxithée, suivant un fragment de l'Érechthée, tragédie perdue d'Euripide. Iphigénie en Tauride. — L'Électre de l'Oreste. — Mégare. — Macarie, Alcmène. — Jocaste et Antigone comparées aux types créés par Sophocle. — Ethra, Évadné. — Alceste.

 

Euripide nous fait descendre sur la terre. Nul ne connut mieux le cœur humain ; nul ne reproduisit avec plus de vérité les sentiments et les instincts de l'homme, nul ne les rendit avec un accent plus pathétique. Suivant l'expression attribuée à Sophocle, il peignit les hommes tels qu'ils sont. C'est une méthode qui a son utilité, mais qui a aussi ses écueils. Il est certains côtés de la nature humaine qu'il vaut mieux laisser dans l'ombre. Or, Euripide est le premier tragique qui ait retracé les égarements de la passion. Le moraliste, il est vrai, n'abandonna pas alors le poète, et la voix sévère de l'un se mêla toujours aux accents enchanteurs de l'autre. Mais il ne faut pas familiariser l'homme avec l'aspect de la dépravation morale. On ne le fortifie pas en lui découvrant à nu ses faiblesses. On ne le prépare pas à vaincre ses mauvais instincts en lui montrant en ceux-ci les irrésistibles tendances de son être. Quelles que soient les luttes de la vertu, il suffit qu'elle succombe pour que cet exemple soit mauvais. Quel que soit le châtiment qui suive la violation du devoir, les âmes vulgaires sont plus séduites par la brillante peinture du mal qu'elles ne sont averties par la punition du coupable. Euripide lui-même ne s'est-il pas condamné en mettant sur les lèvres de Cassandre cette grande parole : Mieux vaut taire les choses honteuses, et que ma muse reste sans voix plutôt que de célébrer des crimes ![1]

C'est à la tragédie d'Hippolyte, que se rapportent si naturellement les remarques que nous venons de faire.

Vénus elle-même nous apprend qu'Hippolyte, fils de Thésée et de l'Amazone[2], ayant méprisé son joug pour suivre dans les forêts, Diane, la vierge chasseresse, elle châtiera le jeune homme de son inviolable pureté. Elle a donc allumé pour lui dans le cœur de Phèdre, sa belle-mère, une passion coupable qui causera la mort d'Hippolyte. Phèdre en sera aussi victime ; qu'importe à la déesse une créature qui, il est vrai, ne l'a jamais offensée, mais dont la perte lui servira à se venger d'un ennemi !

Cependant Phèdre, dévorée par la flamme secrète dont elle a horreur et qui la consume, Phèdre veut échapper au crime par la mort, et se prive de toute nourriture. Étendue sur sa couche, la jeune reine abrite sous un voile sa belle tête à la blonde chevelure. Après s'être renfermée dans le palais, elle désire revoir cette radieuse lumière si chère aux Grecs, et sa nourrice la porte devant sa demeure. Là se trouvent les femmes de Trézène[3], informées de la maladie de Phèdre par une de leurs compagnes qui lavait à une source, des vêtements de pourpre, et les exposait ensuite aux rayons du soleil sur la pente du rocher.

Encore affaissée sur son lit de douleur, la mourante n'a plus la force de se mouvoir ; son voile même lui pèse. Que ses femmes la soulèvent ! Que sa nourrice découvre sa tête et laisse tomber sa chevelure sur ses épaules !

Phèdre promène sa pensée dans les sites riants où le calme de la nature contraste avec l'agitation de son cœur. Que n'est-elle au bord d'une source dont l'eau limpide apaiserait sa soif ! Abritée par les peupliers, que n'est-elle étendue sur l'herbe ! Puis son rêve prend une direction moins pure, et suit l'objet de son criminel attachement. Qu'on la guide vers la montagne ! Elle veut s'enfoncer dans la forêt de pins. Que ne peut-elle exciter de sa voix les meutes acharnées à la poursuite de la bête fauve, et faire voler sur celle-ci le trait rapide ; ou plutôt, que n'est-elle sur la plage où elle dompterait des coursiers !

Et comme la nourrice que les vœux de la reine plongent dans la stupeur, lui fait remarquer l'étrangeté de ses paroles, Phèdre a peur de s'être trahie dans son délire. Que sa nourrice la couvre de son voile et cache ainsi ses larmes et sa honte !

La vieille esclave souhaite de mourir. Sa vie tout entière repose sur la frêle créature qui s'éteint devant elle et dont elle ignore le mal. Une absence de Thésée ne lui permet pas de faire partager à l'époux de la reine le fardeau de ses inquiétudes. Elle supplie Phèdre de lui avouer la cause de ses souffrances.... La jeune femme ne répond pas.

La nourrice tente alors d'émouvoir le cœur de la mère. Que Phèdre le sache ! Par sa mort, elle aura trahi les enfants dont elle est la protectrice, et qui seront frustrés de l'héritage paternel par le fils de l'Amazone, Hippolyte.... Ce nom arrache un cri à la reine, un cri dans lequel la nourrice croit avec satisfaction, lire la haine d'une marâtre....

PHÈDRE.

Tu me fais mourir, nourrice. Au nom des dieux, je t'en prie, à l'avenir garde le silence sur cet homme.

LA NOURRICE.

Vois- tu ? ta haine est juste, et cependant tu refuses de secourir tes fils et de sauver tes jours.

PHÈDRE.

Je chéris mes fils ; mais ce sont d'autres orages qui m'agitent.

LA NOURRICE.

Ô ma fille ! tu as gardé tes mains pures de sang.

PHÈDRE.

Oui, mes mains sont pures ; mais mon cœur est souillé[4].

Pressée par les instances de cette femme qui s'attache à ses genoux, Phèdre résiste longtemps à ces ardentes prières : elle veut garder le secret d'une lutte intérieure où elle peut encore obtenir une glorieuse victoire.... Enfin elle va céder à celle qui l'a nourrie.... Elle évoque les malheurs de sa race, le crime de sa mère Pasiphaé, la faute d'Ariane, sa sœur....

Et moi, je meurs la dernière et la plus misérable[5].

Elle avoue que c'est à l'amour qu'elle doit ses souffrances.

LA NOURRICE.

Que dis-tu ? Ô mon enfant, aimes-tu quelque homme ?

PHÉDRE.

Tu connais ce fils de l'Amazone ?

LA NOURRICE.

Hippolyte, dis-tu ?

PHÈDRE.

C'est toi qui l'as nommé[6].

Cette révélation est le coup de foudre qui éclaire d'une effrayante lumière les nuages amoncelés.... La nourrice éprouve un sentiment d'horreur que partagent les femmes de Trézène. Mais Phèdre reprend la parole. Elle dit que la passion n'obscurcit pas la perception qu'elle a de sa faute ; elle retrace ses luttes contre son amour, luttes qui l'ont brisée, et auxquelles le trépas seul peut la soustraire. Elle meurt pour préserver de toute souillure son époux et ses enfants ; elle meurt pour que ses fils, fiers de leur mère, soient heureux et libres à Athènes ; car l'homme, même le plus audacieux, devient esclave dès qu'il a rougi de sa mère ou de son père[7].

Jusqu'à présent, Phèdre n'a eu à combattre qu'elle-même ; mais voici que sa constance subit une plus rude épreuve. La nourrice qui d'abord a frémi de sa passion criminelle, n'éprouve plus que la terreur de sa mort prochaine. Forcée de choisir entre la vie et l'honneur de la reine, elle tente de faire succomber celui-ci pour sauver celle-là. Phèdre repousse d'abord avec indignation les infâmes conseils que dicte à cette femme une aveugle tendresse. Elle lui ordonne de se taire. La nourrice brave la défense de la reine ; elle lui parle d'un charme qu'elle possède et qui unit les cœurs. Phèdre ne résiste plus que faiblement aux suggestions de l'esclave ; elle ne l'empêche même plus de chercher son philtre. Elle redoute seulement que cette femme ne trahisse auprès d'Hippolyte le secret qu'elle s'est laissé arracher ; mais la nourrice ne la quitte pas sans l'avoir rassurée.

Plus près du palais que le chœur qui occupe le devant de la scène, Phèdre entend des cris qui la bouleversent. C'est la voix d'Hippolyte, d'Hippolyte, qui adresse à la nourrice des menaces dont l'expression prouve à la compagne de Thésée que sa confidente a initié le prince au sentiment dont elle se meurt !

Hippolyte et la nourrice paraissent. Hors de lui, le jeune homme ne voit pas la malheureuse reine ou ne daigne pas remarquer sa présence. Il accable de son indignation la vieille femme qui, effrayée, embrasse ses genoux. Il enveloppe dans le même mépris le sexe auquel appartiennent Phèdre et la nourrice. Toutefois il ne dénoncera pas à son père la honteuse intrigue qui lui a été dévoilée. Il n'oublie pas que lorsque la misérable esclave est venue à lui, elle lui a fait jurer de ne point révéler ce qu'elle allait lui dire. Il s'éloigne en protestant de la haine qu'il a vouée aux femmes.

Et pendant ce temps, Phèdre est là et dévore sa honte[8]. Après le départ d'Hippolyte, son désespoir et sa colère éclatent. Elle profère des imprécations contre sa nourrice, et la chasse. La reine mourra ; mais ce ne sera pas sans avoir entraîné dans sa perte l'homme qui a dédaigné ses souffrances.

Thésée, à son retour, ne trouve plus que le cadavre de sa femme. La princesse s'est suspendue à un lacet[9]. Rempli de douleur, le roi veut suivre Phèdre dans son dernier séjour..... Il aperçoit dans la main de la morte, des tablettes que scelle l'anneau d'or de la reine. Il les prend, il les lit, et s'affaisse.... Cet écrit accuse Hippolyte du mémo crime auquel il ne s'est pas laissé entraîner.

Thésée se souvient que Neptune, son père, lui a promis d'exaucer trois de ses vœux. Qu'avant la fin du jour, le roi des mers punisse Hippolyte !

Accouru aux cris de son père, le jeune prince est accablé de reproches par Thésée. Il jure qu'il est innocent ; mais, enchaîné par le serment qu'il a fait à la nourrice, il ne peut révéler le secret qui le sauverait.... Insensible à ses protestations et à ses larmes, le roi le bannit.... Et quand Diane elle-même apparaît au roi d'Athènes pour lui dévoiler la vérité, il est trop tard : le malheureux père sait déjà que Neptune l'a exaucé et que son fils se meurt. Thésée ne peut plus que recevoir le pardon que l'agonisant lui accorde avec une touchante générosité.

Selon les remarques préliminaires de ce chapitre, l'un des défauts que nous reprochons à l'Hippolyte, est d'intéresser le spectateur à des souillures qui appelleraient ce voile sous lequel Phèdre cachait la honte de son visage. Cette tragédie a encore un autre inconvénient ; c'est de faire jouer au Destin un rôle qu'il ne remplit dans aucune autre production du théâtre grec.

 

En ouvrant les œuvres de Sophocle, nous avons vu sans doute cette mystérieuse puissance s'exercer d'une manière terrible. Mû par une inexorable fatalité, l'homme commettait des actions qui ne lui paraissaient pas répréhensibles et dans lesquelles il découvrait plus tard des crimes qui le faisaient frémir. Mais il n'était que l'aveugle instrument du Destin, et sa conscience restait pure de toute mauvaise intention. La Phèdre d'Euripide, au contraire, sait quel est l'acte auquel elle est entraînée ; elle en a la conscience, elle en a le remords ; mais c'est en vain qu'elle se débat contre la puissance inique que personnifie ici Vénus.... Elle a perdu son innocence du moment où elle a permis à sa funeste conseillère de chercher le philtre magique qui la fera aimer d'Hippolyte.

Le Destin apparaît donc dans cette tragédie sous son côté le plus odieux. Ailleurs il fait perdre à l'homme la liberté de ses actes ; ici, il lui enlève la liberté de sa conscience.

Quels dieux que ceux vers lesquels les Grecs croyaient pouvoir faire remonter la responsabilité de leurs plus indignes erreurs ! Que nous avons de peine à concevoir que de semblables divinités aient pu être vénérées, nous, enfants du Dieu qui n'inspire aux hommes que le bien et qui les secourt dans leurs tentations !

Euripide est d'autant plus coupable d'avoir célébré la pernicieuse et irrésistible influence d'une déesse que lui-même n'y croyait pas. Disciple d'Anaxagore, adorateur de l'Être immatériel qui a créé l'univers et qui éclaire l'âme humaine[10], Euripide ne dit-il pas ailleurs, que les passions des mortels sont la Vénus à laquelle ils obéissent[11] ?

Le poète chrétien qui, après le tragique grec, chanta les malheurs de Phèdre, adoucit en elle des traits qui eussent blessé les justes susceptibilités de son auditoire. La Phèdre de Racine avoue, il est vrai, elle-même, son affection à Hippolyte ; mais c'est au moment où elle se croit veuve. Ce n'est pas elle qui le dénonce à Thésée, bien qu'elle n'empêche pas sa nourrice de le faire. Enfin, c'est elle qui, après s'être empoisonnée, s'accuse elle-même auprès de son époux. Son repentir corrige ici l'antique fatalité.

La notion du Destin, idée qui, pour Euripide, n'était qu'un ressort dramatique, est presque absente dans la tragédie de Médée : ce qui y domine, c'est la volonté humaine, entraînée toutefois par la puissance de la passion[12].

Médée a tout sacrifié à sa tendresse pour ce Jason qui, par elle, a conquis la toison d'or. Cet amour lui a fait trahir son père et sa patrie ; cet amour lui a fait égorger son frère et l'a rendue coupable d'autres crimes encore ; et c'est clans ce même amour que la justice éternelle la frappe.

Hôte de Créon, roi de Corinthe, Jason aime la fille de ce souverain, et l'hyménée va l'unir à la jeune princesse. Médée connaît la trahison de son mari. Étendue sur le sol, refusant tout aliment, elle regrette l'ingrat que ses reproches n'ont pu ébranler. Ses amis essayent de la consoler, elle ne les regarde pas, elle ne les écoute pas ; et si un mouvement l'agite, c'est qu'elle a détourné son visage pour cacher les larmes que lui arrache le souvenir du père et de la patrie envers lesquels elle a été si coupable. Elle sait maintenant ce qu'il y a d'amertume à pleurer l'abandon sur une terre étrangère.

Mais ce désespoir sera terrible. Médée n'est pas l'une de ces natures qui, soit qu'elles s'arment d'une divine résignation, soit qu'elles cèdent à leur propre inertie, souffrent l'outrage en silence. La fière princesse fera cruellement expier à Jason les larmes qu'il lui a causées. Ce n'est pas seulement à lui et à sa rivale qu'elle souhaite la mort. Déjà ses regards se sont portés- sur ses enfants avec une expression farouche ; déjà elle a formé le vœu qu'ils périssent avec leur père, et elle a appelé sur sa propre tète les éclats de la foudre.

Et après ces fureurs de lionne, elle exprime des sentiments remplis de grâce et de mélancolie. Elle retrace les douleurs des femmes trahies, douleurs que leur vie sédentaire rend plus poignantes encore. Un homme, dit-elle, quand l'intérieur de sa famille lui devient à charge, peut en sortir, et délivrer son âme de tout ennui par le commerce de quelque ami ou des personnes de son âge : mais nous, nous ne pouvons regarder que dans notre cœur[13].

Elle ignore cependant toute la profondeur ; de son infortune. Elle n'a prévu que le triomphe de sa rivale : maintenant le père de la jeune épouse vient signifier à Médée qu'il la condamne, ainsi que ses enfants, à un exil immédiat, car sa présence seule est un danger pour la nouvelle compagne de Jason. Il sait que, chez Médée, l'art de la magicienne peut aider à la vengeance de la femme.

La princesse accueille en gémissant l'arrêt de Créon ; mais ses plaintes, loin d'être amères, ont une douceur attendrissante. Elle paraît souffrir des craintes qu'elle provoque, et déplore cette réputation de science et d'esprit à laquelle elle les doit. Que le roi ne la redoute pas ! Pourquoi lui ferait-elle du mal ? Ce n'est pas lui, c'est Jason qu'elle hait. Que Créon ne l'éloigne pas, elle saura se résigner au, nouvel hymen de son mari ! Et comme le roi, se méfiant de ces séduisantes paroles, résiste aux supplications de la femme belle et fière qui gémit à ses pieds et embrasse ses genoux, Médée n'implore plus de lui qu'une grâce : celle de retarder d'un seul jour son exil, afin qu'elle puisse chercher un refuge pour elle et pour ses enfants. Que Créon, qui est père, ait pitié de ceux-ci. Ce n'est-pas sur elle qu'elle pleure, c'est sur eux !

Le roi ému lui accorde à regret cette faveur, tout en la prévenant que si le lendemain elle se trouve encore sur le territoire corinthien avec ses enfants, elle expiera sa désobéissance par sa mort. Un jour ! Un seul jour ! Créon ne pense pas que ce délai suffise à Médée pour se venger.... Un jour ! La magicienne saura renfermer dans ce court délai toute une série de crimes ! C'est pour arriver à ce but qu'elle s'est humiliée et courbée devant un roi à qui, sans une telle intention, elle n'eût pas daigné seulement adresser la parole.

L'épouse délaissée médite sa vengeance. Par une préoccupation personnelle indigne de sa fierté et de son énergie[14], elle dit que si elle est assurée de trouver un asile après l'exécution de ses sinistres projets, elle fera mourir en secret ses ennemis. Sinon, elle agira ouvertement contre eux, et saisissant le glaive, elle les tuera, dût-elle tomber avec eux. Par Hécate, sa souveraine, la déesse qui préside aux enchantements, Médée jure que jamais elle ne sera impunément outragée.

Jason se rend auprès de Médée pour concerter avec elle les mesures qui assureront son avenir et celui de ses enfants. Mais la princesse n'axant aucun besoin de son mari, ne s'humilie pas devant lui comme elle l'a fait devant Créon. Elle accuse de lâcheté et d'impudence l'homme qui affronte la présence de la femme qu'il abandonne. Elle lui reproche les bienfaits dont elle l'a comblé, les crimes qu'elle a commis pour lui. Croit-il donc que les dieux devant lesquels il a juré d'être fidèle à sa compagne, ont été renversés, et que les hommes sont soumis à des lois nouvelles ? Mais elle veut lui parler comme à un ami. Où ira-t-elle maintenant ? Rentrera-t-elle au foyer paternel qu'elle a trahi pour lui ? Ira-t-elle chez les filles de Pélias, ces princesses qui, par ses conseils perfides, ont fait périr à leur insu leur propre père, le spoliateur et le persécuteur de la famille de Jason ? Pour l'homme qui la trahit maintenant, Médée s'est exposée à la haine de ceux qu'elle aurait El aimer : aussi a-t-elle reçu son salaire. Elle reconnaît avec une indescriptible ironie que Jason l'a rendue la femme la plus heureuse de la Grèce, et qu'elle-même a en lui le meilleur des époux. Quelle gloire pour lui de voir que ses propres fils et la femme à laquelle il doit la vie, errent misérablement sur la terre d'exil ! Ah ! pourquoi Jupiter a-t-il permis aux hommes de distinguer l'or véritable de l'or faux, quand aucune marque extérieure ne désigne le méchant ?

Jason répond avec calme à cette impétueuse attaque. Il diminue la part de reconnaissance qu'il doit à Médée. Si celle-ci l'a sauvé, c'est qu'elle l'aimait, et qu'elle obéissait forcément ainsi, croit-il, à la puissance de Vénus. Il convient cependant qu'il a reçu d'elle des services ; mais ne les lui a-t-il pas rendus avec usure en lui faisant habiter cette Grèce où son génie est honoré, et où elle a obtenu une gloire qui lui eût manqué dans sa lointaine patrie ? Jason prétend même que son mariage avec une autre femme, prouve encore son affection pour Médée et pour les enfants dont elle l'a rendu père. Ici il est obligé de contenir la fougueuse princesse. Il lui explique que son royal hyménée assurera le sort de leurs fils. Il accuse Médée de méconnaître ses intentions, et exhale contre les femmes en général cette haine qui a laissé tant de traces dans les œuvres d'Euripide.

Médée repousse l'étrange bonheur dont Jason lui offre la perspective. Elle dédaigne une opulence que payeraient les tortures de son cœur. Elle refuse mémo l'asile que le prince lui ferait obtenir chez les hôtes de sa famille. Elle n'acceptera rien de cet homme.

Médée a souhaité de trouver un refuge qui lui permit de se soustraire aux suites des crimes qu'elle prépare. Elle rencontre Égée, roi d'Athènes. Elle lui apprend la perfidie de son époux, et cette ingratitude excite le blâme du généreux Athénien. Embrassant les genoux d'Égée et touchant son visage comme une suppliante, Médée lui demande de la recevoir à Athènes, et le roi y consent.

Maintenant la magicienne peut agir. Elle feindra de se réconcilier avec Jason ; elle le priera de conserver leurs fils auprès de lui ; elle enverra à la nouvelle épouse ces enfants qui offriront à celle-ci un péplus et une couronne, et si la fiancée se pare de ces ornements, le poison qu'ils recèlent la dévorera ! Puis.... Médée ne peut penser sans terreur au dernier acte de sa vengeance.... elle tuera les fils de Jason, ces fils qui, hélas ! sont aussi les siens, et elle privera ainsi l'infidèle de la postérité qu'il a déjà et de celle qu'il aurait pu avoir de sa nouvelle épouse.

Jason et Médée sont en présence. La femme trahie demande pardon à son mari de la colère qu'elle a laissé éclater contre lui. Elle reconnaît qu'en se remariant, Jason assure le sort de leurs fils. Elle appelle les enfants, leur dit de se joindre à elle pour embrasser leur père.

Prenez ma main. Ô cruelle pensée ! comme mon cœur frémit en secret ! 0 mes enfants, vous verrai-je encore longtemps, ainsi vivants, me tendre vos bras chéris ? Ah malheureuse !... je sens couler mes pleurs et je frissonne. En me réconciliant avec votre père après de si longs débats, je sens mon visage inondé de larmes[15].

Jason témoigne de sa sollicitude pour ses fils. Qu'ils croissent sous la protection de leur père et des dieux ! Mais pourquoi, à ces mots qui devraient la rendre heureuse, Médée détourne-t-elle son beau et pale visage ? pourquoi pleure-t-elle ?

Je les ai mis au monde ; et quand tu formais des vœux pour leur vie, j'ai frémi à la pensée que peut-être ils seraient vains[16].

Médée exhorte Jason à supplier sa fiancée en faveur de leurs enfants. Le prince espère que la fille de Créon cédera à une pensée de miséricorde : n'est-elle pas femme ?

La magicienne remet à ses fils les présents qu'elle destine à la jeune épouse. Le père et les enfants sont partis.... Quelques instants après, l'esclave qui a la garde de ces derniers, apprend à Médée que la fille du roi a accepté leurs offrandes. Cet homme est surpris de la douleur avec laquelle Médée accueille une nouvelle qui devrait la combler de satisfaction. Elle l'envoie dans l'intérieur du palais pour préparer les soins quotidiens qu'il rend aux enfants. Ceux-ci restent auprès d'elle. Médée leur adresse d'émouvantes paroles. Ces enfants dont la naissance et l'éducation lui ont coûté tant de souffrances, ces enfants qui devaient soutenir sa vieillesse et ensevelir ses restes, ces enfants vont être séparés de leur mère qui languira loin d'eux.... Séparation plus effrayante et plus longue que celle dont l'exilée semble parler ![17]

Les enfants regardent leur mère, ils lui sourient.... Médée sent que sa force lui échappe.... Que va-t-elle faire ?... Frapper ses fils ? Oh ! non, jamais ! Elle les gardera, ils la suivront dans son exil. Pour châtier Jason, elle ne déchirera pas ses propres entrailles.... Mais la pensée de sa vengeance l'obsède.... Médée se débat entre son amour pour ses enfants et sa haine contre leur père.... Et ce dernier sentiment l'emporte dans une lutte acharnée qui laisse Médée affolée de douleur, niais résolue à terminer son œuvre, à glacer pour toujours ces petites mains et ces joues roses qu'elle baise avec transport ; à arrêter pour toujours cette suave haleine qu'elle respire avec ivresse.

Ah ! sortez, sortez ! je ne puis plus soutenir votre vue, je succombe à tant de maux. Je sais quels forfaits j'ose accomplir ; mais ma colère est plus forte que ma volonté, et cette passion cause les plus grands malheurs des hommes[18].

Une joie sinistre éclairera encore cette âme tourmentée. Médée apprend que la nouvelle épouse de Jason est morte par elle, et que la jeune femme a entraîné son père dans son trépas. Ce n'était point sans effort qu'elle était devenue la protectrice des fils de Médée. Quand Jason était entré chez elle avec ceux-ci, elle n'avait vu d'abord que lui, et son regard s'était reposé avec amour sur son fiancé ; mais en apercevant les enfants, elle s'était voilée et détournée. Apaisée par Jason, et surtout par les dons que lui avaient offerts les petits messagers, elle avait promis de les soutenir. Que les parures qu'ils lui avaient remises étaient précieuses ! A peine s'étaient-ils retirés avec leur père qu'elle déployait sur ses épaules le léger péplus ; et que, plaçant sur ses boucles la couronne d'or, elle souriait devant un miroir à sa radieuse beauté. Alors elle a voulu juger de l'effet que produisait sur sa taille son riche vêtement. Elle est descendue de son trône, et marchant avec grâce, elle se retournait pour admirer la chute de ses draperies. Soudain, elle a pâli, reculé d'effroi, et se retenant péniblement à son trône, elle s'est évanouie. Elle n'est revenue à elle que pour subir un horrible supplice. Sa couronne dardait des jets de flamme ; son péplus brûlait son corps. En vain, se levant, a-t-elle cherché à. détacher sa couronne : par ses efforts elle n'a fait qu'activer l'ardeur du feu qui la dévorait. Elle tombe à terre, vaincue par la douleur, méconnaissable à tout autre qu'à l'œil d'un père. Ses yeux défigurés n'offraient plus de formes certaines, son visage avait perdu toute sa beauté, le sang ruisselait de sa tête sur ses joues embrasées ; les chairs, comme des larmes de poix ardente, se détachaient des os, consumées par un invisible poison.

Il accourt, ce père qui seul maintenant peut reconnaître sa fille dans ces restes sanglants et carbonisés. Il se jette sur ce cadavre dont tout le monde s'éloigne avec effroi. Serrant sa fille sur son cœur, il souhaite de mourir avec celle qui est ravie à sa vieillesse chancelante.... Ce vœu est exaucé.... Le tissu empoisonné s'attache à lui, et le roi expire auprès de sa fille.

Médée a encore une œuvre à accomplir : oublier qu'elle est mère, oublier qu'elle aime ses fils, et, après les avoir fait périr, s'abandonner au désespoir qui la trouble encore pendant qu'elle les sacrifie.

Par les cris de terreur que jettent les enfants, le chœur des femmes corinthiennes sait maintenant que Médée a terminé sa tâche.

Lorsque Jason, exhalant contre sa première femme le courroux dont l'animent la mort de sa fiancée et celle de Créon, vient pour soustraire ses fils aux représailles de la maison royale, il apprend que ceux-ci ne sont plus et que leur propre mère les a égorgés. Essayant de faire sauter les portes du palais, il veut revoir une dernière fois ses enfants et châtier Médée. La magicienne lui ravit l'une et l'autre de ces consolations. Lui apparaissant sur un char aérien, et emportant les jeunes victimes, elle dédaigne ses transports de fureur, ses imprécations, rejette sur lui la responsabilité du double parricide qu'elle a commis, et demeure même insensible aux larmes avec lesquelles il la supplie de lui laisser toucher les deux cadavres.

Si Médée apparaissait seulement aux spectateurs comme une belle et dangereuse sirène, charmant avec perfidie les objets de sa haine ; si elle ne se montrait encore à eux que dans les affreux résultats de ses desseins, elle leur causerait une horreur telle que ce personnage ne pourrait même pas être supporté sur la scène. Mais avec quel art Euripide a su nous faire accepter une semblable création ! À force de génie, il est parvenu à nous inspirer plus de pitié que de répulsion pour cette femme énergique et intelligente qui aurait pu mettre dans le bien toute la force de volonté qu'elle déploie dans le mal, pour cette femme qui sait aimer comme elle sait haïr, et qui, même lorsqu'elle immole ses enfants à sa vengeance, peut encore avoir des larmes maternelles.

Médée doit moins ses crimes à une perversité naturelle qu'aux funestes entraînements de son cœur ; et c'est la passion qui lui fait violer le devoir. C'est cette passion qui l'incite tantôt à servir par le crime l'homme qu'elle aime, tantôt à châtier encore par le crime l'homme qui lui est infidèle.

Le plus souvent, c'est par la souffrance que les héroïnes d'Euripide sont entraînées au mal. A l'origine de presque toutes leurs fautes, nous trouvons une amère affliction. Ainsi le malheur qui épure et fortifie les grandes âmes, abaisse les caractères moins magnanimes.

Nous avons vu Médée commettre ses derniers crimes en cédant aux douloureux ressentiments de la jalousie. Des chagrins de cette nature rendent coupables aussi deux autres femmes mises en scène par Euripide : Créuse et Hermione.

Créuse, fille d'Érechthée, roi d'Athènes, a été malgré elle aimée d'Apollon. Elle en a eu secrètement un fils qu'elle a abandonné dans la grotte de Pan, et le berceau du nouveau-né a été une corbeille qui pouvait être son cercueil. A la prière d'Apollon, Mercure a transporté sur les marches du temple de Delphes, l'enfant que la Pythie a recueilli sans connaître son origine. Le fils d'Apollon a grandi à l'ombre du sanctuaire, et, devenu homme, il a eu la garde des trésors du dieu.

Quant à Créuse, son père, dérogeant aux coutumes athéniennes qui ne permettaient pas qu'une citoyenne épousât un étranger, l'a mariée à un défenseur d'Athènes, Xouthos, petit-fils de Jupiter. Les deux époux n'ont pas eu d'enfants ; et la tragédie d'Ion nous montre Xouthos à Delphes où il vient demander à Apollon le bonheur de la paternité. Créuse l'accompagne. Le désir de savoir ce qu'est devenu le fils qu'elle a naguère exposé, n'est pas étranger au voyage de la reine.

Créuse rencontre à l'entrée du temple un jeune prêtre qui est entraîné vers elle par un doux attrait ; et la reine qui partage cette sympathie, envie le sort de la femme qu'il nomme sa mère. Mais le jeune homme, qui est le propre fils de Créuse, ignore quels sont ses parents, et la maternelle sollicitude de la Pythie ne peut le consoler du chagrin qu'il éprouve de ne pas connaître sa mère.

Le pieux serviteur d'Apollon ne tarde pas à devenir pour Créuse un Objet de haine. Guidé par l'oracle d'Apollon, Xouthos a donné à ce prêtre le nom de fils. Le roi a cru ainsi retrouver en lui un enfant de son sang et né d'une autre femme que la reine. Aussi a-t-il voulu cacher encore à Créuse un bonheur qu'il ne lui devait pas. Mais c'est en vain qu'il a menacé de faire mourir les esclaves de la reine si elles révélaient ce mystère à leur maîtresse ; ces femmes, indignées de penser que Xouthos, un étranger, livre à un fils qu'il n'a pas eu de sa compagne, le trône que lui a valu sen hymen, ces femmes dévoilent la vérité à la reine. La douleur de sentir que son mari est heureux sans elle, blesse l'épouse dans ses sentiments les plus délicats. Et Creuse, laissant alors échapper le secret de sa maternité, reproche amèrement à Apollon d'avoir donné un fils à son époux, tandis que l'enfant issu de son alliance avec le dieu a été dévoré par les oiseaux de proie.

Un ancien serviteur de sa famille excite la reine à embraser le temple ; elle ne l'ose. Cet homme lui conseille alors d'attenter à la vie du roi ; Créuse, se souvenant que son mari l'a aimée, refuse de commettre ce meurtre. Mais quant au fils de Xouthos, quant à celui qui maintenant se nomme Ion, la reine, cédant au vieillard, consent à ce que celui-ci le fasse périr. Elle remet à ce serviteur un poison sûr ; mais cette criminelle tentative est déjouée. Condamnée à mort par les magistrats de Delphes, poursuivie par le peuple de cette ville, Créuse se réfugie près de l'autel d'Apollon. Le fils de Xouthos la rejoint dans cet asile. Hors de lui, il oublie de quelle inviolable majesté le dieu couvre la suppliante, il va arracher son ennemie à l'autel, quand la Pythie se présente et l'arrête. Elle lui prescrit de retourner dans sa patrie, de chercher sa mère, et lui remet la corbeille dans laquelle elle l'a trouvé. La prophétesse se retire.... Ion pleure sur son enfance délaissée, et plaint la mère infortunée qui a dû souffrir en l'abandonnant. Il déroule les bandelettes qui enveloppent la corbeille que Créuse reconnaît.... La reine a retrouvé dans celui qu'elle voulait faire périr et qui lui-même allait la livrer au supplice, le fils même qu'elle regrettait. Bravant le trépas qu'elle peut trouver hors de son refuge, elle quitte l'autel et s'attache au jeune homme qui d'abord croit à une nouvelle ruse d'une marâtre, mais qui, bientôt convaincu, jouit avec ravissement des caresses maternelles dont la privation lui a été si amère. Créuse lui dit qu'il est le fils d'Apollon, et comme il en doute, Minerve elle-même vient dissiper ses incertitudes, et lui prédire un heureux avenir. Ion sera la souche de la race glorieuse qui portera son nom, et qui, d'Athènes, fera jaillir sur les îles de l'Archipel et sur les rives asiatiques, ses rameaux féconds et brillants. De Xouthos et de Créuse naîtront Doros et Achaeos, pères des Doriens et des Achéens[19].

Après avoir satisfait la morale par les terreurs qui châtient Créuse de son attentat, le poète lui rend à la fin de la tragédie, le charme touchant avec lequel elle avait paru tout d'abord sur la scène. Le dernier souvenir qui nous reste d'elle, n'est pas celui de l'empoisonneuse du jeune Ion, c'est celui de sa mère.

Avec Hermione, nous nous trouvons encore avec celles des femmes d'Euripide qui ne savent pas maîtriser la voix de la passion.

Mariée presque enfant à Néoptolème, fils d'Achille, Hermione rencontre dans le palais de son époux une femme en qui elle redoute une rivale : c'est Andromaque. La malheureuse veuve n'a suivi qu'à regret le fils de celui qui avait tué son mari, le maître qui l'arrachait aux ruines de sa patrie, aux cendres d'Hector et aux restes de ce pauvre enfant qu'elle avait vu précipiter du sommet d'une tour. Mais esclave, elle a dû obéir ; et elle a donné un fils au vainqueur de Troie.

Hermione, fière de sa naissance, de son pays, et surtout de cette dot qui l'a suivie dans la maison conjugale et qui lui permet de parler librement, Hermione s'irrite d'avoir pour rivale une étrangère, une esclave ! Née dans une contrée où règne la monogamie, la Spartiate est blessée de voir à son foyer, sinon une autre épouse, du moins une femme qui pourrait le devenir. Ce qui l'aigrit le plus, c'est qu'elle n'est pas mère et qu'Andromaque a un fils. Hermione accuse même injustement la captive de lui ravir par des maléfices les joies de la maternité, et de vouloir gouverner à sa place la maison de Néoptolème. Cependant depuis son mariage avec la fille de Ménélas, le roi de Phthie a rompu les liens qui l'attachaient à Andromaque.

Profitant d'une absence de Néoptolème, Hermione, aidée par Ménélas qui est arrivé de Sparte pour la soutenir, veut faire périr la captive. Celle-ci cache son fils Molossos dans une maison, et se réfugie dans le temple de Thétis. Là une Troyenne qui donne encore le nom de maîtresse à sa compagne d'esclavage[20], la prévient que Ménélas recherche l'enfant. Désespérée, Andromaque envoie cette femme chercher le secours de Pélée, aïeul de Néoptolème. Pendant que la fidèle Troyenne, bravant le danger de cette démarche, se rend à Pharsale où règne le vieux souverain, Hermione vient outrager la suppliante et la menacer de mort. Elle ose même lui reprocher l'alliance à laquelle l'a contrainte le fils du meurtrier d'Hector. Andromaque répond à ces injures avec tristesse, mais avec modération. Dans un langage grave et digne, elle demande à la reine à quel titre elle pourrait être sa rivale au foyer. Serait-ce par la gloire de sa patrie, par l'éclat de son sort, par l'épanouissement de sa jeunesse et de sa beauté ? Et quel serait le résultat de la victoire que remporterait la captive ? Les Grecs consentiraient-ils à ce que sa postérité occupât le trône de Phthie ? Andromaque déclare à la jeune épouse que celle-ci doit l'antipathie de son mari, non aux sortilèges d'une rivale, mais aux défauts de son caractère orgueilleux. Le véritable philtre, le voici : ce n'est pas la beauté, ô femme, ce sont les vertus qui plaisent aux maris[21]. La captive reproche à Hermione la jalousie qui la rend cruelle, et Andromaque oppose à ce sentiment la miséricorde qu'à Troie, elle eut pour ses rivales. Prémunissant avec sévérité la fille d'Hélène contre le manque de modestie qui a perdu sa mère, la veuve d'Hector ne lui laisse pas ignorer qu'en se plaignant de ces blessures morales sur lesquelles le foyer doit jeter une ombre discrète, la souveraine manque aux lois de la bienséance.

Ces avertissements irritent encore le ressentiment de la jeune femme. Elle somme la suppliante de quitter son refuge, menace même de la cerner de flammes ; enfin, sachant un moyen plus sûr de l'arracher à son asile, elle se retire... Et peu après, nous voyons Ménélas tenant dans ses bras le fils d'Andromaque, l'enfant qu'elle avait caché et qu'il a découvert. Le roi de Sparte laisse à l'esclave le choix entre ces deux alternatives : sa mort ou celle de son fils.

Andromaque couvre de son mépris ce lâche souverain qui ne sait se montrer courageux que devant une femme. Quel résultat aura son supplice ou celui de son enfant ? Le premier appellera sur Hermione et sur Ménélas le châtiment du peuple, le second les vouera à la vengeance du roi qui est le père de M)- 'esses.

Ce n'est pas sans effroi et sans douleur qu'Andromaque voit le trépas suspendu au-dessus de sa tête.... Et la veuve d'Hector s'étonne de tenir encore à une existence qui lui a été si amère. Cette vie, ah ! elle l'immole à son fils ! Maintenant elle abandonne l'au-. tel qui la protège, elle se livre elle-même à ses ennemis ! Que Molosses n'oublie pas les chagrins qu'a' éprouvés celle qui lui a donné l'existence et qui meurt pour la lui conserver ; et quand son père l'embrassera, qu'il dise à celui-ci au milieu de ses larmes et de ses caresses, quel a été le sacrifice de sa mère : Oui, pour tous les hommes, nos enfants sont notre vie ; celui qui me blâme, parce qu'il ignore ce sentiment, a sans doute moins de souffrances, mais son bonheur n'est qu'un malheur[22].

Parole admirable ! La femme qui paye de sa vie le salut de son fils, trouve digne de pitié l'homme qui ne comprendrait pas ce qu'il y a de divin à souffrir pour un être aimé !

Ce sacrifice est inutile. La proposition de Ménélas n'était qu'un piège infâme pour arracher la suppliante à son refuge.

Le traître apprend à Andromaque que le dévouement qui la perd ne sauvera pas son enfant, et que c'est à la reine qu'il appartient de décider si Molossos doit vivre. La femme d'Hector se retrouve une fois de plus dans la captive pour flétrir l'astucieux caractère du Lacédémonien. Que Ménélas frappe ! Jamais elle ne s'humiliera devant sa fille et lui. Elle fut reine dans Ilion comme il est roi à Sparte.... Jamais, a-t-elle dit, elle ne s'abaissera.... Fière protestation que bientôt démentira son cœur de mère ! Lorsque, marchant enchaînée au supplice, elle entend dire à Ménélas que si elle meurt par lui, Molossos est condamné par Hermione, elle frémit de n'être pas défendue par le bras et la lance d'Hector[23], puis.... elle fait agenouiller son fils devant leur bourreau....

Ô ami, ami, ne me livre pas à la mort ![24] dit l'enfant..... Ménélas demeure insensible. La mère et le fils vont périr.... Mais voici que se présente le seul appui qui reste à Andromaque, l'homme qu'elle a mandé à son secours : Pélée, le père d'Achille, l'aïeul de son maitre ! La prisonnière tombe aux pieds du vieillard. qui, devant cette femme soustraite par la ruse à l'autel de Thétis, sa divine compagne ; devant son arrière-petit-fils condamné à la même mort qu'elle, est transporté d'une telle indignation, qu'il menace le roi spartiate de le frapper avec son sceptre. Tout le mépris que le père d'Achille nourrissait contre l'époux d'Hélène, déborde alors. Si Ménélas et Hermione ne quittent pas le palais, Néoptolème, à son retour, chassera ignominieusement la jeune reine. La colère de Pélée contre les persécuteurs, ne lui fait pas oublier les secours que réclame la victime. Il détache en tremblant les liens d'Andromaque, ces liens qui ont ensanglanté les petites mains de la jeune femme, et qui, selon l'énergique expression de Pélée, auraient pu assujettir un taureau ou un lion. Le vieillard attire dans ses bras le fils de son petit-fils ; et afin, sans doute, que la mère se sente déjà soulagée par le contact de l'enfant, il veut que Molossos l'aide à détacher les liens de la captive. Le vieux roi dit à son jeune rejeton qu'il élèvera en lui l'ennemi des Spartiates. Ménélas part pour Lacédémone en' dissimulant sous un air de bravade la honte de sa retraite, et Pélée emmène les deux faibles êtres que, faible lui-même, il a cependant arrachés au trépas.

Le poète osera-t-il maintenant faire reparaitre Hermione, cette femme qui, malgré sa tendre jeunesse, n'a pas même reculé devant le meurtre d'un petit enfant ? Ah ! si le spectateur la revoyait en ce moment, pourrait-il tolérer son odieuse présence ? Admirons avec quel tact Euripide prépare l'arrivée de cette femme criminelle.

Une esclave qui a paru devoir être la nourrice d'Hermione[25], précède sa maîtresse. Elle annonce que la jeune femme, privée de l'appui paternel et enfin livrée à elle-même, est torturée par le remords de son attentat, par la terreur de son châtiment, et qu'elle cherche à se donner la mort. Ses serviteurs ne réussissent que difficilement à prévenir ce suicide, et c'est en se débattant contre eux qu'elle se précipite sur la scène qui va retentir de ses gémissements. Puisque Hermione se repent, nous pouvons la revoir et la plaindre

Au milieu de son amère affliction, Hermione revoit Oreste, son cousin, Oreste, le fiancé que Ménélas a écarté pour donner sa main à Néoptolème. Embrassant les genoux du prince, elle implore sa pitié. Oreste, surpris de ce mouvement, ému de cette douleur, questionne la reine avec intérêt. Elle s'accuse des fautes auxquelles elle a été entraînée par les conseils de femmes perfides, et prononce une violente diatribe contre l'influence néfaste de son sexe. Ô Euripide, ce n'est pas votre héroïne qui calomnie ainsi les femmes : c'est le poète qui les a tant haïes qu'il semble les avoir beaucoup aimées ! — Tout en avouant sa faute, Hermione a supplié son cousin de lui faire quitter une terre qui lui a été si fatale. Elle ne s'est pas trompée en recourant au dévouement d'Oreste. Il savait qu'elle n'était pas heureuse, et c'est pourquoi il est venu, lui qui souffrait de l'avoir perdue ! Maintenant il va la ramener chez son père.

Pour toute réponse, la jeune femme dit que le don de sa main dépend de Ménélas, et elle presse son parent de l'emmener rapidement hors de sa demeure.

En partant, le fils d'Agamemnon profère de sinistres menaces contre Néoptolème, ce roi qui l'a naguère privé de sa fiancée. Et néanmoins Hermione n'hésite pas à suivre l'homme qui va assassiner son mari....

La manière dont la jeune reine fuit le toit conjugal, l'assentiment tacite qu'elle donne au meurtre d'un époux qui cependant ne l'a jamais offensée, sont des traits qui enlèvent à Hermione la pitié qu'elle commençait déjà à nous inspirer. A ce moment, du reste, elle disparaît complètement de la scène.

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Un messager vient informer Pélée que son petit-fils, victime d'un complot ourdi par Oreste, a trouvé la mort dans le temple de Delphes. Brisé de douleur, le vieillard déplore qu'Hermione n'ait pas été frappée de la foudre avant d'avoir causé ce malheur.

Une douce consolation est réservée à Pélée. La divine mère de son fils lui apparaît et l'exhorte à se calmer. Thétis lui annonce qu'Andromaque doit s'unir à Hélénos, fils de Priam, et habiter parmi les Molosses' avec son enfant qui sera la tige des rois de cette nation. La Néréide ajoute qu'après que le vieillard aura rendu les honneurs funèbres à Néoptolème, il partagera l'immortalité de sa compagne, demeurera avec elle et reverra Achille.

Andromaque et Hermione éveillent l'intérêt à des degrés divers. Mais chez la première, cet intérêt s'attache à la vertu de la femme, au dévouement de la mère, aux malheurs qui la frappent dans sa personne et dans celle de son fils. C'est avec un tact particulier qu'Euripide nous a laissé voir surtout dans Andromaque la veuve d'Hector ; mais cette délicatesse sera 'encore surpassée par Racine.

Dans l'œuvre de ce dernier, Andromaque n'épouse le fils d'Achille que pour sauver son enfant qui est aussi celui d'Hector ; et elle a résolu de mourir après la cérémonie nuptiale qui ne l'aura rendue un instant la femme de Pyrrhus[26] que pour assurer en celui-ci un protecteur à son fils.

Quant à l'Hermione d'Euripide, après avoir été pour nous un objet d'horreur, elle nous émeut pendant quelques moments par la violence de son repentir, par l'inexpérience de sa jeunesse. Ce qui la distingue surtout de l'Hermione de Racine, c'est qu'elle parait plus sensible aux blessures de sa fierté qu'à celles de son amour. A la différence de l'héroïne qu'a immortalisée le poète français, elle a plus de haine contre sa rivale que de colère contre le roi qu'elle lui dispute ; elle ne provoque même pas la mort de celui-ci, bien qu'en la tolérant, elle soit plus criminelle encore que l'Hermione de Racine qui fait tuer en Pyrrhus, non un époux innocent, mais un fiancé infidèle. Chez le poète grec, Hermione n'a pas non plus pour le roi épirote cet amour que, chez le poète chrétien, elle lui garde encore en se vengeant de lui. Euripide ne nous dit pas que la fille de Ménélas ait fui Oreste après le meurtre de Néoptolème. Telle n'est pas l'Hermione de Racine quand elle reproche à l'assassin qu'elle a armé, la mort de la victime qu'elle lui a désignée, cette victime qu'elle pleure devant lui ! Telle n'est pas non plus l'Hermione française lorsqu'elle se tue sur le cadavre de l'homme qu'elle a fait assassiner.

Si Euripide n'avait peint que Phèdre, Médée, Créuse et Hermione, nous pourrions croire qu'il pensait tout le mal qu'il a dit des femmes, et qu'il ne voyait en elles que des esclaves de leurs instincts[27]. Mais dans Andromaque, nous saluons déjà l'un de ces types si purs et si touchants qui égalent plusieurs héroïnes d'Euripide aux plus nobles créations féminines de Sophocle.

Sans doute, parmi ces sympathiques figures, toutes n'ont pas une beauté morale sans mélange. Hécube, par exemple, n'a pas la sublime sérénité, de Polyxène et d'Alceste ; mais, dans ses fautes même, combien elle mérite de pitié !

La veuve de Priam ?emplit de ses malheurs deux tragédies d'Euripide : Les Troyennes et la pièce qui porte son nom.

La première de ces œuvres dramatiques nous présente Hécube après la prise de Troie. Reine, elle devient esclave à l'âge où plus que jamais elle aurait besoin d'être elle-même servie. Troyenne, elle doit quitter sa patrie. Veuve et mère, il lui faut abandonner les restes de son mari, ceux de ses fils ; et privée de la consolation de pleurer avec les filles qui lui restent, elle se voit enlever Polyxène et Cassandre, l'une, destinée à être immolée sur le tombeau d'Achille, l'autre, condamnée à suivre Agamemnon. Mais il lui reste un petit-fils, Astyanax, l'enfant d'Hector et d'Andromaque ; cet enfant est un danger pour l'armée grecque : il périra. Hécube assiste à la poignante séparation d'Andromaque et d'Astyanax ; elle voit l'enfant effrayé de sa mort prochaine, se serrer, en pleurant, contre le sein maternel qui ne peut, hélas, remplacer pour le protéger, le bras paternel ! C'est elle, l'aïeule chargée d'ans, c'est elle qui reçoit le petit corps inanimé que lui envoie la jeune mère embarquée déjà sur le vaisseau de Néoptolème ; c'est Hécube encore qui place l'enfant dans le cercueil que lui a destiné la veuve d'Hector : le bouclier de ce héros ! Ainsi la vieille souveraine rend les derniers devoirs au petit-fils dont la voix enfantine les lui promettait naguère à elle-même.

Est-ce assez de ces épreuves pendant lesquelles la veuve de Priam tombe sur le sol, se frappe la tète et la poitrine ? Non... Voyez-vous cette flamme immense qui s'élève ? C'est l'incendie de Troie ! En vain Hécube veut se précipiter dans ce brasier, elle est entraînée vers les vaisseaux des Grecs ; ses regards ne distinguent même plus l'emplacement de son palais, mais elle entend encore le fracas d'Ilion qui s'écroule....

Dans la tragédie d'Hécube, la reine d'Ilion ne se borne pas à une douleur passive. Ici le poète, retardant l'immolation de Polyxène, place cet événement dans la Chersonèse de Thrace où relâche l'armée grecque. Hécube, qui ignore la destinée réservée à sa fille, est agitée pendant la nuit par une sinistre vision. Polydore, l'un des fils qu'elle a donnés à Priam et que le vieux roi a fait élever pendant la guerre chez son hôte Polymestor, est apparu à Hécube comme un fantôme.... La captive sait aussi que l'ombre d'Achille, se dressant sur la tombe du héros, a réclamé le sacrifice d'une Troyenne.... Que les dieux éloignent de sa fille Polyxène un semblable péril ! Au moment où la reine forme ce vœu, le chœur des esclaves troyennes lui apprend que son dernier pressentiment n'était que trop fondé, et qu'Achille, naguère fiancé à Polyxène, exige que la jeune fille le suive chez les morts.

Attirée par les cris de sa mère, Polyxène quitte la tente des captives. Hécube lui annonce le sort qui l'attend, et la noble jeune fille ne voit dans cette catastrophe que la douleur de ne plus pouvoir partager les souffrances de sa mère : Ah ! c'est sur toi, mère infortunée, c'est sur toi que je pleure et que je gémis : quant à ma vie, tissu d'outrages et d'opprobre, je ne la pleure pas ; mourir est plutôt un bonheur pour moi[28].

Ulysse qui a conseillé aux Grecs l'immolation que leur demandait Achille, Ulysse vient chercher la victime : La veuve de Priam fait appel aux souvenirs du héros. Ulysse se rappelle-t-il que le jour où il pénétra en espion dans Troie, Hélène le reconnut, le désigna à Hécube, et que le roi d'Ithaque, embrassant les genoux de la souveraine, implora sa protection ? Elle le sauva alors : il la perd aujourd'hui ! Mais il peut encore lui rendre le bienfait qu'il a reçu d'elle. C'est elle maintenant qui est aux pieds d'Ulysse, c'est elle qui le supplie de ne pas la faire mourir dans sa fille.... Sa fille ! Mais en cette enfant, elle possède et sa patrie et le bâton de sa vieillesse ! Qu'Ulysse protège la jeune captive ! Les Hellènes tueront-ils maintenant des femmes dont ils ont respecté la vie alors qu'ils les enlevaient aux autels d'Ilion ?

Le roi grec reconnaît ce qu'il doit à Hécube ; mais il ne croit pas juste de lui accorder la grâce qu'elle réclame, et de refuser à Achille le prix de son glorieux trépas.

La reine espère que les supplications de sa fille seront plus puissantes que les siennes. Ulysse n'est-il pas père, lui aussi ? Le héros se détourne, et cache sous son manteau cette main que son cœur lui conseillerait peut-être de tendre à Polyxène, mais qu'il n'ose laisser toucher à la victime.... La jeune fille, qui a vu ce mouvement, rassure le roi. Qu'il ne craigne pas ses prières ! Elle n'aura point recours à la pitié d'Ulysse ; elle accepte le trépas ! Fille et fiancée de rois, il ne lui a manqué que l'immortalité pour égaler les déesses. Et maintenant je suis esclave !... Il commence à me faire aimer la mort, ce nom auquel je ne suis point faite[29].

La grandeur d'âme que laisse éclater la sœur d'Hector, fait plus sentir encore à Hécube la profondeur de la perte qu'elle va faire. Elle veut mourir pour sa fille ! N'est-elle pas plus coupable que cette dernière ? N'a-t-elle pas donné le jour à Pâris, le meurtrier d'Achille ? Ulysse lui répond que la victime désignée par Achille est Polyxène. La reine réclame du moins la grâce de tomber avec son enfant, et cette faveur lui est refusée. La mort de ta fille suffit ; n'y joignons pas d'autre sacrifice ; et plût aux dieux que le sien ne fût pas dû par nous ![30]

La persistance d'Hécube à vouloir partager le trépas de Polyxène, et à refuser de se séparer d'elle, va contraindre Ulysse d'employer la violence pour repousser cette mère qui s'enlace à sa fille comme le lierre s'attache au chêne[31]. La princesse essaye de calmer sa mère par de douces paroles. Que la vieille reine ne s'expose pas à être renversée par un jeune homme : Ce serait indigne. Mais plutôt, ô mère bien-aimée, tends-moi cette main chérie, et approche ton visage du mien.... Hélas ! c'est pour la dernière fois[32].... Adieu l'éblouissante lumière de la Grèce ! Polyxène ne la reverra plus. Adieu l'hymen autrefois attendu ! C'est son fiancé même qui l'appelle chez les ombres. Adieu les premières tendresses du foyer ! C'est seulement dans son funèbre séjour qu'elle en retrouvera maintenant une partie : Que dirai-je pour toi à Hector et à ton vieil époux ?

HÉCUBE.

Dis-leur que de toutes les femmes, je suis la plus infortunée[33].

Polyxène elle-même demande à Ulysse de l'emmener et de la voiler : elfe ne peut plus supporter les gémissements d'Hécube, et devant le désespoir de sa mère, elle sent déjà les étreintes du trépas.

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La reine est étendue sur le sol quand le héraut Talthybios vient la chercher pour qu'elle rende à sa fille les derniers devoirs d'une mère. C'est en pleurant qu'il lui retrace la mort héroïque de Polyxène. L'armée grecque était réunie devant le tombeau d'Achille. Néoptolème a conduit sur ce tertre la fiancée de son père, et au milieu du silence de la foule, a prié Achille d'agréer les libations funèbres et de boire le sang de la vierge royale. Tirant son glaive, le prince a ordonné à de jeunes Hellènes de maintenir la victime ; mais Polyxène, déclarant qu'elle consentait à son immolation, a demandé que ses mains ne fussent pas liées. Elle a voulu mourir, non en esclave, mais en reine. De l'armée s'est élevé un sympathique murmure, et le dernier vœu de Polyxène a été exaucé. Fléchissant le genou devant Néoptolème, la princesse a présenté sa poitrine au fer meurtrier.... Et à l'aspect de cette victime si noble et si pure, le jeune roi, ému de pitié, a hésité.... Le fils d'Achille a enfin frappé. En tombant, la vierge s'est chastement enveloppée de ses draperies. Morte, elle reçoit les hommages de ses meurtriers qui l'admirent ; ils jonchent son corps de feuillage, lui préparent un bûcher et lui apportent les funèbres parures.

Pendant que la pauvre mère, à qui la gloire de sa fille a rendu quelque courage, va chercher dans sa tente les offrandes qu'elle destine à la morte, une esclave apporte un cadavre sur la scène. Hécube, qui revient, s'étonne de ce que le corps de Polyxène lui soit rapporté alors que les Grecs devaient accomplir les rites funéraires.... Hélas ! ce ne sont pas les restes de sa fille, ce sont ceux de son dernier fils, le jeune prince que son mari confia au roi 'thrace avec des trésors.... Après le désastre d'Ilion, l'hôte perfide a assassiné l'enfant dont il convoitait les richesses ; et le cadavre du jeune prince, jeté à la mer, a été porté par les flots sur le rivage où l'esclave troyenne l'a recueilli. Pendant ce temps, selon la croyance hellénique d'après laquelle les enfers ne s'ouvraient pas à l'ombre d'un corps qui n'avait pas reçu la sépulture, le fantôme de Polydore errait non loin de sa mère ; et c'est cette cruelle apparition qui, la nuit précédente, avait épouvanté Hécube.

Le désespoir a atteint son paroxysme chez la veuve de Priam et lui a donné une force fébrile. Agamemnon, surpris de ne point la voir paraître aux funérailles de Polyxène, vient la chercher ; et remarquant le corps du jeune prince, lui demande quel est ce cadavre.

Méditant une prière qu'elle hésite d'adresser au roi, Hécube ne lui répond pas. Enfin, embrassant ses genoux, elle lui dit le crime du Thrace-et le supplie de châtier ce forfait. Elle est esclave, il est vrai ;.mais elle est soutenue par la loi ; la loi qui règne même sur les dieux ! Elle tente d'éveiller en Agamemnon la pitié que ses infortunes doivent lui attirer ; et, dans son égarement, la femme qui, tout à l'heure, invoquait avec majesté la souveraineté de la loi, appelle à son secours la passion que le chef de l'armée grecque a conçue pour sa fille Cassandre, la passion qui révoltait cette mère si pure[34] ! Que le prince venge, dans le fils d'Hécube, le frère de la femme qu'il aime ! La reine se courbe, elle s'humilie, elle flatte enfin le destructeur de sa race !

Le cœur d'Agamemnon l'entraînerait à exaucer Hécube ; mais la politique lui dit qu'il ne peut obliger les Hellènes à punir leur allié parce que celui-ci a frappé le fils de leurs ennemis.

Tout en plaignant les hommes qui, même rois, n'ont pas la liberté de suivre leur volonté personnelle, la captive déclare qu'aidée de ses femmes, elle suffira à sa vengeance. Que le souverain empêche seulement les Grecs de secourir Polymestor.

Après que, par une esclave, Hécube a mandé auprès d'elle le roi thrace et ses enfants, le maître de Cassandre la quitte en souhaitant qu'elle réussisse à châtier le traître qui a violé les lois de l'antique hospitalité.

Quelle entrevue que celle d'Hécube et de Polymestor ! Celui-ci croit que la reine n'a pas appris la mort de son fils. Il l'aborde avec des larmes hypocrites qu'il donne à ses autres malheurs... Hécube ne peut lever les yeux sur l'assassin de son fils ; son regard la trahirait.... Elle prie Polymestor d'attribuer son attitude à la honte qu'elle éprouve de paraître ainsi déchue, devant l'hôte qui l'a vue si grande et si honorée.... Elle a un secret à lui confier ainsi qu'à ses enfants. Que son escorte s'éloigne ! Et le roi y consent.

HÉCUBE.

Dis-moi d'abord si le fils que tu reçus de mes mains et de celles de son père dans ton palais est vivant ; je te questionnerai ensuite sur le reste.

POLYMESTOR.

Assurément ; en ce qui le touche, tu es heureuse.

HÉCUBE.

Ami chéri, que tes paroles sont bonnes et dignes de toi !

POLYMESTOR.

Que veux-tu donc en second lieu savoir de moi ?

HÉCUBE.

Se souvient-il un peu de sa mère ?

POLYMESTOR.

Il voulait venir secrètement ici auprès de toi.

HÉCUBE.

Et les trésors qu'il apporta de Troie sont en sûreté ?

POLYMESTOR.

En sûreté, sous ma garde, dans mon palais.

HÉCUBE.

Conserve-les, et ne convoite pas ce qui appartient à tes proches[35].

L'assassin n'a pas tressailli....

Rien de plus saisissant que ce dialogue où chaque interrogation, chaque parole d'Hécube, a une signification terrible que ne comprend pas son interlocuteur.-

La cupidité a rendu Polymestor criminel, c'est par la cupidité qu'il sera puni.

L'ancienne souveraine dit à son hôte qu'elle l'a fait venir pour lui confier les richesses qu'elle a sauvées de sa ruine ; les unes sont cachées à un endroit qu'elle lui indique ; les autres sont sous sa tente où elle attire Polymestor. Qu'il se hâte ! L'armée va remettre à la voile. Achève promptement ce que tu as à faire, dit-elle, afin que tu retournes avec tes enfants aux lieux où tu as mis mon fils[36].

Quel sens lugubre dans ces paroles !

Lorsque Polymestor quitte la tente, c'est en chancelant..... Il est aveugle ! Mais ses yeux, avant d'être fermés à la lumière, ont vu le massacre de ses fils.... Hécube et ses compagnes d'esclavage ont accompli leur vengeance.

Choisi pour arbitre entre la captive et le roi thrace, Agamemnon légitime l'action d'Hécube. Suivant la loi du talion, il pouvait l'approuver. Il eût mieux fait de ne pas abandonner à Hécube le châtiment du coupable. Quand on est constitué juge en sa propre cause, sait on quelles sont les limites où cesse la justice et où commence la vengeance ?

Mais encore une fois, ne transportons pas dans la Grèce, des idées qu'elle ne comprenait pas. Dans la circonstance particulière qui nous occupe, nous n'avons pas d'ailleurs la force d'infliger un blâme trop sévère à une femme aimante qui éprouva tout ce que les douleurs humaines ont de plus poignant, et qui, privée de son dernier fils par une infâme perfidie, fut entraînée par son exaspération, à un acte que ne comportait pas la générosité naturelle de son caractère.

Dans la même tragédie, nous avons admiré sans aucune restriction une autre figure féminine, celle de Polyxène, la vierge royale préférant la mort à l'esclavage, ne regrettant presque dans la vie que les maux dont elle déchargeait sa vieille mère ; n'abaissant pas pour sauver son existence, la fierté de sa race ; marchant au supplice sans se plaindre de ses bourreaux, et conservant dans sa mort la glorieuse couronne de son courage et l'auréole de sa chasteté.

Hélène qui traverse la pièce des Troyennes pour s'entendre flétrir par Hécube et menacer de mort par Ménélas, Hélène est réhabilitée dans la tragédie qu'Euripide lui a consacrée. Suivant le poète, ce ne serait qu'un fantôme semblable à elle que Pâris aurait enlevé ; et la véritable Hélène, transportée par Mercure en Égypte, serait demeurée pure.

Les angoisses de la femme innocente qui, vivant sur une terre étrangère, voit que son nom est maudit dans sa patrie, et que son déshonneur a tué sa mère, ses frères aussi peut-être, a rejailli sur sa fille, causé la mort de nombreux guerriers parmi lesquels figure, dit-on, son mari ; — les transports de Ménélas en retrouvant, à son retour d'Ilion, sa compagne pure et fidèle ; les larmes de joie que les époux versent dans les bras l'un de l'autre ; toutes ces émouvantes péripéties créées par l'imagination d'Euripide, nous intéresseraient bien plus encore, si la tradition reçue n'était là pour nous enlever toute illusion et pour faire évanouir le rêve charmant du poète.

La tragédie d'Hélène développe un second caractère de femme, celui de la prophétesse Théonoé, jeune fille qui, malgré la passion que le roi égyptien, son frère, a conçue pour la belle Grecque, aide les deux époux dans leur fuite. Le sentiment du devoir lui dicte cette noble et périlleuse résolution, car, ainsi qu'elle le dit elle-même dans un langage élevé, son cœur est le sanctuaire naturel de la justice.

Si Hélène ne peut plus mériter l'intérêt qui s'attache à la vertu malheureuse, combien il en est autrement de sa nièce Iphigénie, la seule femme qui, dans cette famille des Atrides, ait été à la fois chaste et miséricordieuse !

Iphigénie nous transporte à Aulis, port béotien où l'absence d'un vent favorable retient les vaisseaux grecs prêts à partir pour Troie.

Le jour ne s'est pas encore levé. Les étoiles brillent, les flots sont assoupis, les oiseaux se taisent. Tout est calme, excepté le cœur d'un roi et d'un père. Agamemnon, quittant sa tente, appelle un vieux serviteur. Il envie l'obscure condition de cet homme, et déplore les honneurs dont la poursuite est si séduisante, et la possession si amère. Le vieillard s'étonne de ce langage, et fait observer au roi que celui-ci doit souffrir puisqu'il est homme. Cette nuit, l'esclave a vu son maître écrire la lettre qu'il tient, en effacer ensuite les caractères, y imprimer et en briser successivement le cachet, jeter enfin ces tablettes en pleurant. De quel malheur le roi, est-il frappé ?

Agamemnon avoue à ce fidèle serviteur le motif de ses luttes et de sa douleur. Le devin Calchas a déclaré que l'immolation d'Iphigénie, fille du roi argien, assurerait seule l'heureuse navigation des Hellènes et la ruine de Troie. Agamemnon eût préféré licencier l'armée grecque ; mais les instances de Ménélas lui ont fait accepter l'arrêt des dieux ; il a mandé à Clytemnestre de lui envoyer leur fille sous le prétexte trompeur d'unir la princesse à Achille. Le devin, Ulysse, Ménélas et lui, connaissent seuls l'horrible mystère. Maintenant le père n'a plus la force de consommer ce sacrifice. La même lettre que le vieillard lui a vu écrire avec tant d'indécision, défend à Clytemnestre de faire venir Iphigénie à Aulis, et annonce à la reine que le mariage de la jeune fille est remis à l'année suivante. Que l'esclave se hâte de porter cette lettre à Argos ! qu'il ne s'arrête pas en route ! qu'il parte !

A peine le messager s'est-il éloigné qu'il est surpris par Ménélas ; le roi de Sparte lui arrache la lettre et la décachette. Son frère accourt aux cris du vieillard. L'époux d'Hélène, le prince qui va sacrifier une multitude d'hommes à la conquête d'une femme infidèle, ose s'indigner de ce que le roi d'Argos préfère la vie de sa fille au triomphe de la Grèce !

L'arrivée d'un messager interrompt les paroles amères qu'échangent les deux souverains. Cet homme précède Iphigénie. Clytemnestre elle-même et le petit Oreste accompagnent la princesse. La mère et la fille se sont arrêtées au bord d'une fontaine, et y baignent leurs pieds : auprès d'elles sont les coursiers que les serviteurs ont dételés du char pour les laisser paître en liberté l'herbe des prairies. Les Hellènes vont en foule contempler la jeune princesse dont l'arrivée fait pressentir une fête nuptiale....

Le messager s'éloigne, et Agamemnon laisse échapper ses pleurs. A ses angoisses se mêle l'inquiétude de savoir que Clytemnestre, bien qu'elle n'ait pas été mandée par lui, accompagne leur fille et sera ainsi témoin de sa perfidie. Ses entrailles s'émeuvent à la pensée de cette vierge qui bientôt sera l'épouse de Pluton. Il entend déjà les supplications qu'elle lui adressera. Aux prières de sa fille, son imagination joint les cris d'Oreste, cet enfant qui ne peut encore parler....

En voyant couler les larmes de son frère, Ménélas n'a pu retenir les siennes. Il demande à Agamemnon de lui tendre la main, et le malheureux roi la lui abandonne. Entraîné par un noble mouvement, Ménélas, avouant l'attendrissement auquel il vient de céder, se refuse à faire périr Iphigénie pour ses propres intérêts. Il renonce à la coupable Hélène ; que son frère congédie l'armée !

Cette générosité est trop tardive. Agamemnon redoute que Calchas ou Ulysse ne révèle aux Grecs la cause de leur licenciement, et que ceux-ci n'égorgent avec Iphigénie, Ménélas et lui. Il ne peut plus que prier sen frère de veiller à ce que Clytemnestre ignore le destin d'Iphigénie. Agamemnon recommande aussi le secret aux Chalcidiennes dont se compose le chœur et qui sont venues à Aulis pour voir la flotte hellénique.

Ces femmes éprouvent le plus affectueux intérêt pour les deux princesses qu'elles ne connaissent cependant pas encore, et qui s'acheminent vers le grand malheur que nulle des deux ne saurait soupçonner. Aussi, avec quelle tendre sollicitude les Chalcidiennes entourent les voyageuses ! Comme leurs bras se tendent vers la reine pour l'enlever de son char ! Émue de cet accueil, Clytemnestre y lit un heureux présage pour l'hymen de sa fille. Avant de quitter le char, elle en fait descendre Iphigénie, lui recommandant d'affermir les petits pieds que la vie du gynécée n'a pu fortifier, la confiant même aux bras des aimables étrangères. La reine accepte pour elle-même l'appui d'une Chalcidienne. Que ces femmes portent aussi l'enfant qui s'est endormi en route, et que celui-ci se réveille pour voir sa sœur s'unir à un héros dont l'alliance illustrera plus encore sa race !

Voulant se présenter aux étrangères dans tout l'orgueil de sa maternité, la reine invite sa fille à se mettre auprès d'elle ; puis elle lui montre Agamemnon ; et Iphigénie courant au roi, prie sa mère de lui pardonner cet élan. Après avoir été si longtemps séparée de son père, qu'elle est heureuse de le serrer sur son cœur, de le revoir ! Le prince reçoit avec affection les caresses de cette jeune fille, celle de tous ses enfants qui, d'après son propre aveu, l'a toujours le plus aimé. Une parole d'Iphigénie se rapporte cruellement à ses angoisses : la jeune fille s'exclame sur l'heureuse idée qu'il a eue en la faisant venir.... Et le roi exprimant à ce sujet quelque doute, la regarde avec tant d'inquiétude qu'Iphigénie s'en étonne ; mais le chef des alliés grecs s'excuse sur les doubles préoccupations de la royauté et du commandement suprême.

IPHIGÉNIE.

Sois à moi en ce moment, et laisse là tes soucis.

AGAMEMNON.

Mais je suis à toi tout entier, je ne songe pas à autre chose.

IPHIGÉNIE.

Eclaircis donc ce front sourcilleux, et prends un air serein.

AGAMEMNON.

Eh bien ! je me réjouis, ma fille, je me livre au plaisir de te voir.

IPHIGÉNIE.

Et cependant des larmes s'échappent de tes yeux.

AGAMEMNON.

C'est qu'une longue absence va nous séparer encore.

IPHIGÉNIE.

Je ne comprends pas tes paroles, ô père chéri ! je ne les comprends pas[37].

Non, elle ne comprend pas ! Cependant la séparation à laquelle son père fait allusion, ne lui paraissant devoir être que le départ du roi pour la Phrygie, elle engage celui-ci à ne pas quitter le foyer domestique, et maudit la guerre causée par Ménélas. Elle demande à Agamemnon où résident les ennemis qu'il va combattre. Que ne peut-elle l'accompagner ! Le roi lui dit qu'elle aussi, elle entreprendra un voyage, un voyage pendant lequel il ne sera pas oublié d'elle, un voyage pour lequel elle s'embarquera sans ses parents.... Et la jeune fille rêve à un prochain hyménée.

Iphigénie souhaite à son père un glorieux retour. Apprenant de lui qu'il doit célébrer un sacrifice avant de partir et qu'elle y assistera, elle lui demande :

Formerons-nous des chœurs de danse autour de l'autel, ô mon père ?

AGAMEMNON.

Heureuse ignorance, que je te porte envie ![38]

Le roi ne peut plus se contenir davantage. Il fait rentrer Iphigénie parmi ses compagnes ; mais il ne la congédie pas sans lui demander sa main et son filial baiser. Pendant qu'il la tient embrassée, il pense à ce que va devenir cette jeune et blonde tête.... Ses larmes le trahissent encore.... Il éloigne sa fille.

Demeuré avec Clytemnestre, Agamemnon la prie d'excuser une émotion si naturelle chez un père qui donne à une autre famille l'enfant qu'il a élevée.

Comme si l'attendrissement dont elle ignore la véritable cause, était pour elle une leçon de sensibilité, Clytemnestre répond sèchement qu'elle-même, en mariant sa fille, n'aura pas besoin d'être excitée par son mari pour souffrir de cette séparation. Elle interroge le roi sur l'origine d'Achille, sur le jour de l'hymen, sur le lieu où les femmes célébreront le festin nuptial. Agamemnon lui conseille de ne pas assister à un hymen conclu dans un camp, et de retourner à Argos pour y veiller sur les autres filles qu'elle y a laissées. L'idée de ne pas être auprès de son enfant à une heure aussi solennelle, révolte justement la mère. La reine jure par Junon qu'elle n'obéira pas à son époux, et laisse le roi plus perplexe que jamais. Il sort pour aller consulter Calchas.

Paraissant devant la tente d'Agamemnon, Achille témoigne de l'impatience avec laquelle ses Thessaliens et lui se voient si longtemps retenus au port. Clytemnestre l'entend, sort du pavillon royal, s'approche du jeune héros, et Achille demande quelle est cette inconnue dont il admire la pudique beauté. La reine d'Argos se nomme, et le guerrier veut se retirer pour respecter ces coutumes qui, aux temps d'Euripide, ne permettaient pas que les hommes s'entretinssent librement avec les femmes d'autrui.

Clytemnestre pense qu'elle peut retenir le fiancé de sa fille ; et comme elle prie Achille de lui donner la main en gage d'alliance, le jeune homme, surpris et mécontent, juge qu'il offenserait Agamemnon en accédant à cette demande. La princesse cherche à le rassurer. Achille n'a-t-ii pas le droit de toucher sa main puisqu'il va épouser sa fille ? L'étonnement de son interlocuteur redouble ; Clytemnestre ne croit d'abord y lire qu'une extrême réserve. Elle comprend enfin qu'elle a été trompée, rougit du rôle qu'elle vient de jouer, et ne pouvant plus supporter la vue d'Achille, prend congé de lui. Le prince lui- même partage sa confusion et se dispose à se rendre chez son mari. Au moment où la souveraine et le fils de la Néréide vont se séparer, la porte de latente royale s'entrouvre, et le vieillard qui, empêché par Ménélas, n'a pu prévenir l'arrivée d'Iphigénie, arrête d'une voix émue Achille et Clytemnestre.

Un secret semble l'oppresser. La reine lui tend la main pour l'encourager à parler. Cet homme rappelle à Clytemnestre qu'ancien serviteur de sa famille, il lui a été donné par Tyndare, son père, lorsqu'elle se maria, et qu'il lui est ainsi plus dévoué qu'au roi. Il lui révèle que l'hyménée auquel elle croyait conduire Iphigénie, n'était qu'un fallacieux prétexte pour attirer au camp la vierge dont l'immolation était nécessaire à la Grèce.

Clytemnestre sent avec désespoir que la mort de sa fille sera aussi la sienne. Elle prend à témoin de son malheur Achille qui, jusqu'à ce moment, s'est tu, et qui exprime alors l'indignation que lui cause la conduite du roi argien. La fière souveraine jugeant d'ailleurs qu'elle peut sans humiliation se courber devant le fils d'une déesse, tombe aux pieds du seul homme qui puisse sauver sa fille. Quelque illusoires qu'aient été de semblables fiançailles, qu'Achille ne laisse pas mourir la vierge qu'une mère a parée pour lui de la couronne nuptiale. Elle croyait l'amener à un époux, et c'est au supplice qu'elle la conduit ! Au nom de Thétis, mère d'Achille, elle supplie le prince de sauver une mère qu'il a involontairement perdue. Clytemnestre est faible, elle est femme, ses ennemis sont nombreux, mais si le héros la protège, sa fille et elle n'auront rien à craindre.

Cet appel sera entendu. Achille accordera à une mère si cruellement traitée, son appui sympathique. Il ne souffrira pas que son nom tue la fille de Clytemnestre. Par Nérée, son aïeul, par Thétis, sa mère, il jure que le roi d'Argos ne frappera pas Iphigénie. En agissant ainsi, Achille venge l'outrage que lui-même a reçu dans son honneur. Agamemnon aurait dû demander son assentiment avant d'ourdir cette trame, et si le roi et la reine d'Argos lui eussent accordé la main de leur fille, il aurait pu consentir à sacrifier sa fiancée à la cause de la Grèce. Il ne supportera pas le dédain que les Atrides lui ont témoigné en cette circonstance ; et avant la guerre, le glaive du défenseur d'Iphigénie pourra être rougi par le sang : Sois donc tranquille ; tu m'as imploré comme un dieu, je ne le suis pas, mais je le deviendrai pour toi[39].

Cette promesse remplit la reine de force et de consolation. Pour remercier dignement Achille, elle manquera, s'il le veut, aux bienséances ; et Iphigénie, modeste, mais digne, viendra s'agenouiller devant son protecteur. Le jeune homme refuse cet hommage. Il n'exposera pas la jeune fille aux médisances de la soldatesque. Que les princesses lui adressent ou non leurs prières, il remplira son devoir. Mais avant qu'il n'emploie la force, que la reine tente de fléchir Agamemnon. Si cette démarche échoue, Clytemnestre ne sera pas obligée de compromettre sa réserve féminine et sa dignité royale en courant à travers le camp pour chercher son défenseur : Achille veillera sur elle. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Clytemnestre, Iphigénie, sont devant Agamemnon ; la première, menaçante ; la seconde, voilant ses pleurs avec le péplus sous lequel elle porte son jeune frère. Le roi essaye inutilement de dissimuler encore ; il s'aperçoit avec douleur que sa femme et sa fille connaissent sa trahison.

La reine rappelle à son mari que, bien qu'elle l'ait épousé contre son gré, elle a été pour lui une compagne chaste et dévouée. Maintenant elle se voit enlever par lui l'un des enfants qu'elle lui a donnés. Et pourquoi ? Pour reconquérir la criminelle épouse de Ménélas ! Agamemnon sait-il quels ressentiments de haine et de vengeance fermenteront dans l'âme de Clytemnestre, pendant l'absence de son époux et devant la chambre virginale où ne sera plus sa fille ? En revenant d'Ilion, le roi s'exposera à trouver auprès de sa mère et des sœurs d'Iphigénie, un accueil qui répondra à ses œuvres.... Quelle grâce pourra demander aux dieux celui qui aura tué sa propre fille ? Quelle prière la mère de la victime pourra-t-elle faire pour lui ? Osera-t-il à son retour embrasser des enfants qui verront en lui le meurtrier de leur sœur ? Pourquoi est-ce à Iphigénie qu'il appartient de mourir pour la Grèce ? On aurait pu laisser au sort le choix de la victime ; ou bien, c'était à Ménélas de sacrifier sa fille pour retrouver sa femme. Ainsi Clytemnestre, l'épouse irréprochable, se verra enlever sa fille, et Hélène, la femme coupable, élèvera la sienne à Sparte.

Autant la reine se montre impétueuse et altière, autant Iphigénie est douce et suppliante. Elle regrette de n'avoir pas le génie d'Orphée pour moduler ces chants harmonieux auxquels la pierre même n'était pas insensible. Iphigénie n'a qu'une éloquence, celle de ses larmes ! Que son père n'interrompe pas le cours de sa vie ! La lumière est si belle à voir ! Que le prince n'oublie pas que c'est Iphigénie qui, la première, lui a fait entendre le nom de père ; qu'il n'oublie pas que c'est elle qui, la première, a sur ses genoux échangé avec lui les mutuelles caresses de l'amour filial et de l'amour paternel ! Des rêves d'avenir ajoutaient leur charme et leur mélancolie au bonheur de ces épanchements. Le père demandait : Te verrai-je, ma fille, dans la maison d'un époux vivre heureuse et florissante, comme il est digne de moi ?[40] L'enfant entourant de ses bras le cou d'Agamemnon, et touchant le visage du roi comme elle le touche encore, l'enfant répondait : Et moi, mon père, te recevrai-je vieillissant dans la douce hospitalité de ma maison, pour te rendre les soins qui m'ont nourrie ?[41]

Iphigénie a gardé la mémoire de ces paroles, mais son père en a perdu le souvenir, et il veut frapper de mort la jeune fille qu'il destinait à l'hymen. Qu'il ne la fasse pas mourir, Iphigénie l'en supplie au nom des aïeux paternels, au nom aussi de cette mère qui endure aujourd'hui, pour arracher son enfant au trépas, les mêmes souffrances qu'elle éprouva naguère pour lui donner la vie ! Que le roi ne détourne pas de sa fille son regard, qu'il lui accorde au moins un dernier baiser avant qu'elle ne meure ! Qu'Oreste, trop enfant pour parler, demande aussi par ses larmes la grâce de sa sœur ! Le petit prince a compris ; il implore du geste la pitié de son père. Non, Iphigénie ne veut pas mourir. Pour elle, la vie, c'est la lumière ; la mort, c'est l'ombre, c'est plus encore, c'est le néant !

Que ces pensées nous paraissent étranges, à nous qui croyons que le néant et l'ombre appartiennent à la terre ; et que la mort seule conduit l'âme à la vie et à la lumière éternelles ! Qu'elles étaient à plaindre ces créatures humaines qui, dans le trépas, ne sentaient que les angoisses de l'agonie et ignoraient les joies de la délivrance ! Aussi Iphigénie préférerait-elle à l'honneur d'une mort glorieuse, l'amère possession d'une existence misérable. Quand son père, inflexible par nécessité, s'est retiré, elle exhale de longues plaintes. Au milieu de son affliction, elle voit des hommes armés qui s'avancent. Sa mère lui nomme le chef qui les guide ; c'est Achille ! La jeune fille veut fuir, elle n'ose se trouver devant l'homme dont elle a vainement attendu l'alliance ; mais la reine l'oblige de rester : l'infortune où toutes deux sont plongées, doit lever de trop timides scrupules.

Sans s'adresser à Iphigénie, le jeune héros plaint Clytemnestre. Les Grecs réclament la victime ; ils ont même voulu lapider Achille coupable de vouloir la sauver ; ses guerriers eux-mêmes, loin de le secourir, ont été les premiers à le menacer. Il a déclaré qu'il protégeait en Iphigénie une fiancée. Cette fiancée, il la défendra encore avec les soldats qu'il amène et qui sont demeurés fidèles à leur chef. Quant à la reine, qu'elle s'enlace à sa fille.....

Pendant ce rapide entretien, l'âme d'Iphigénie s'est rassérénée. La jeune fille prévoit les difficultés de la lutte qui va s'engager à son sujet. Reconnaissante du généreux concours d'Achille, elle ne veut pas qu'il souffre pour sa cause. Elle mourra sans faiblesse. La Grèce la contemple. Iphigénie peut faire triompher ses compatriotes et faire éprouver aux barbares ce qu'il en coûte d'enlever les femmes des Hellènes. Je les sauverai toutes en mourant, et, libératrice de la Grèce, ma gloire sera digne d'envie. Dois-je, après tout, tenir tant à la vie ? C'est pour l'intérêt commun des Grecs que tu me l'as donnée, et non pour toi seule[42]. Alors que tant de guerriers et de rameurs vont lutter et tomber pour venger l'honneur de leur pays, Iphigénie n'entravera pas leur mission. Elle ne consent pas non plus à ce qu'Achille expose sa précieuse existence pour disputer à tous les Grecs une vie aussi humble que celle d'une femme. Et d'ailleurs, si Diane exige son immolation, comment la jeune fille pourrait-elle se soustraire à la volonté de la déesse ? Ce serait impossible ; je me dévoue donc à la Grèce. Immolez-moi, et allez renverser Ilion ; ses ruines seront les monuments éternels de mon sacrifice ; ce seront mes enfants, mon hymen et ma gloire. Il est dans l'ordre que les Grecs commandent aux barbares, et non les barbares aux Grecs ; ceux-là sont nés pour l'esclavage, ceux-ci pour la liberté[43].

A ces fières et généreuses paroles, Achille a reconnu la femme qui serait la digne compagne d'un héros. Pour la première fois il s'adresse directement à Iphigénie :

Fille d'Agamemnon, les dieux auraient fait mon bonheur si j'avais pu être ton époux ; mais je félicite la Grèce de ce que tu fais pour elle, et toi-même, de l'honneur de la Grèce ; car ton noble langage a été digne de la patrie.... J'ai conçu un désir plus vif de devenir ton époux quand j'ai connu ton caractère ; car tu as le cœur généreux. Vois donc ; je veux te servir, et t'emmener dans ma maison ; je suis au désespoir, que Thétis m'en soit témoin, si je ne te délivre en combattant contre les Grecs. Songes-y, la mort est un grand mal.

IPHIGÉNIE.

.... La fille de Tyndare, par sa beauté, a causé assez de combats et de meurtres ; toi donc, ne meurs pas à cause de moi, ne donne la mort à personne ; mais laisse-moi sauver la Grèce, si je le puis[44].

Achille admire cette magnanimité ; il n'entravera pas l'héroïque élan de la princesse. Cependant il n'abandonne pas l'espoir de la sauver. Lorsqu'elle verra de près la mort, peut-être consentira-t-elle à se laisser défendre par son fiancé. Il sera auprès d'elle à ce moment suprême. C'est à l'autel de Diane qu'il se rend, c'est là qu'il l'attendra.

Iphigénie doit encore supporter une pénible épreuve ses adieux à sa mère. Par une intuition prophétique de la destinée qui l'attend, elle prie la reine de ne pas porter son deuil. Elle vivra. Que Clytemnestre transmette ses adieux à ses sœurs ; qu'elle fasse un homme de ce jeune Oreste qu'Iphigénie embrasse pour la dernière fois, et dont la jeune fille reconnaît avec une maternelle tendresse l'enfantin dévouement. Iphigénie prie enfin sa mère de ne pas haïr à cause d'elle son père, son père qu'elle excuse. Clytemnestre trahit ici, par de menaçantes paroles, les sentiments qu'elle gardera désormais au meurtrier de son enfant. Elle veut accompagner à l'autel la jeune fille, dont elle saisit les vêtements. Soucieuse de la dignité de sa mère et de la sienne, Iphigénie ne consent pas à ce que l'armée soit témoin de leur séparation. Après une scène émouvante qui nous rappelle les adieux d'Hécube et de Polyxène, Clytemnestre est conduite dans la tente, et Iphigénie dit au chœur de chanter l'hymne de Diane. Le bandeau des victimes devient pour la triomphatrice d'Ilion la couronne des vainqueurs. Elle exhorte ses compagnes à former leurs danses autour de l'autel où elle sera immolée ; mais elle donne encore au souvenir de sa mère les larmes que les rites religieux bannissent des sacrifices ; et adressant à sa patrie une dernière pensée, et à la lumière un dernier salut, elle marche au supplice.

Iphigénie est partie, et le chœur demande à Diane que l'armée grecque s'immortalise à Troie.

Un messager appelle Clytemnestre pour lui apprendre le sort de sa fille.

Iphigénie étant parvenue au bois de Diane et à la prairie en fleurs où s'élève l'autel, l'armée est accourue, et Agamemnon, se détournant, a dérobé ses larmes sous son péplus. La jeune fille s'est avancée.

Me voici prête, ô mon père ! je donne volontiers ma vie pour ma patrie et pour toute la Grèce ; conduisez-moi à l'autel, immolez-moi, puisque l'oracle le veut ainsi. En ce qui dépend de moi ; soyez heureux ; prenez ce gage de la victoire, et revenez triomphant dans votre patrie. Au reste, que nul des Grecs ne porte ses mains sur moi ; je présenterai mon sein en silence et d'un cœur résolu[45].

Cette noble et courageuse attitude, que consacre un antique bas-relief[46], frappe les Grecs de surprise. Calchas couronne la victime. Achille, saisissant probablement une dernière occasion de se trouver auprès d'Iphigénie, Achille court autour de l'autel avec la corbeille et l'eau lustrale, et le héros prie Diane d'agréer, pour le triomphe de la Grèce, le sang virginal qui en est la rançon.... Le glaive du sacrificateur a frappé ; à ce moment, Iphigénie a disparu, et une biche d'une merveilleuse beauté a reçu le coup fatal[47].

Le messager est envoyé par le roi d'Argos lui-même pour annoncer à Clytemnestre la glorieuse destinée de leur fille. La mère doute encore ; mais Agamemnon, prêt à monter sur la flotte que guidera maintenant un vent favorable, Agamemnon vient confirmer les paroles de cet homme, et dire à sa femme qu'Iphigénie est avec les dieux. Que la reine retourne à Argos avec son jeune fils ; son époux ne la reverra peut-être pas avant longtemps, et lui adresse l'adieu du départ.

Si nous avons analysé dans tous ses détails l'Iphigénie à Aulis, c'est que cette tragédie nous a paru un tableau achevé des mœurs domestiques chez les contemporains d'Euripide. Nulle part surtout les relations de la jeune fille athénienne avec ses parents et avec les étrangers, n'ont été décrites avec plus de vérité naïve et d'élévation morale.

En voyant paraître Iphigénie, nous reconnaissons bien. en elle la vierge élevée à l'ombre du gynécée, faible, craintive, silencieuse. Mais, au milieu de toutes les figures inconnues et cependant bienveillantes qui se groupent autour d'elle, a-t-elle reconnu son père, comme l'élan de son cœur l'emporte sur sa timidité ! Avec quel abandon, se jetant dans les bras du roi, elle lui exprime le bonheur de le retrouver ! Combien elle est gracieuse dans la mutinerie avec laquelle elle exige que le chef de l'armée grecque oublie en la revoyant, les graves préoccupations du roi et du général !

Quand Iphigénie sait qu'elle doit quitter la terre, elle est aussi faible devant le trépas qu'elle l'était bout à l'heure devant la vie. Son cœur ne peut se résigner à se glacer avant d'avoir battu aux émotions humaines ; ses yeux ne veulent pas se fermer avant d'avoir longuement joui de la lumière. Pour attendrir ce père qui la chérit encore en l'immolant, elle emploie les moyens les plus touchants : les naïfs souvenirs de son enfance, ses larmes, celles de son frère, l'amour de la vie, l'effroi du tombeau. Elle échoue ; la mort est devant elle, sombre et inévitable. Elle a peur ; et alors seulement, dans sa terreur et dans son désespoir, elle accuse de sa mort son père, qui vient de la quitter. Enfin le salut s'offre à elle ; et, avec la vie, l'attachement, l'admiration de son illustre défenseur, et les joies d'une noble union. Mais, pour parvenir à ce résultat, il faudra que le sang coule, peut-être même celui d'Achille ; la jeune fille ne souffre pas que son existence soit payée d'un tel prix ; et, sous cette impression, elle subit la destinée Contre laquelle elle ne peut plus lutter[48]. L'enfant qui, tout à l'heure, marchait d'un pas timide et ne savait que craindre et gémir, se redresse dans une digne et généreuse attitude ; celle qui, tout à l'heure, préférait une vie misérable à un trépas glorieux, embrasse avec fermeté la perspective de donner sa vie à sa patrie.... Quelle transformation imprévue ! N'en faut-il pas chercher le mobile dans un sentiment que la jeune fille nous tait d'ailleurs, et dont probablement elle n'a même pas la conscience : la tendresse qu'elle éprouve peut-être pour un héros, cette tendresse qui la grandit jusqu'à lui et ne la rend attentive qu'au danger qu'il affronte ? Ne serait-ce point par l'amour qu'elle s'élèverait à une abnégation surhumaine ?

Quel que soit le motif de sa courageuse détermination, Iphigénie se montre sublime dans la sérénité avec laquelle elle accepte une fin cruelle et prématurée, et dans la grandeur d'âme avec laquelle elle prie sa mère de pardonner sa mort à son père.

Ailleurs, nous avons comparé la fille de Jephté à la fille d'Agamemnon[49]. La différence des mœurs hébraïques et des mœurs grecques s'est offerte à nous dans le contraste qui existe entre les deux héroïnes, La première, habituée à confondre dans le même sentiment, le culte d'un Dieu juste et l'amour de la patrie, accepte sans faiblesse la mission de mourir pour la terre de Jéhovah ; la seconde, étrangère par son éducation à des luttes nationales que suscitaient d'ailleurs des dieux souvent iniques, ne se résout qu'après de longues plaintes à consommer son sacrifice. La fille d'Israël, avons-nous dit, s'immole à une cause divine ; la jeune Grecque à une cause humaine, et peut-être, ajouterons-nous ici, à un amour ignoré d'elle-même.

Racine reproduisit la figure d'Iphigénie en remplaçant, comme toujours, l'inspiration antique par le souffle chrétien et français. Son héroïne, d'ailleurs moins naïve et moins gracieuse que l'Iphigénie d'Euripide, a plus de force morale que celle-ci. La perspective de la mort ne l'effraye pas. Si elle prie son père de l'épargner, c'est pour éviter à sa mère et à son fiancé les angoisses de la séparation. Lorsque le respect qu'elle a pour la volonté de son père lui fait repousser l'appui d'Achille, la résistance qu'elle oppose à ce dernier est plus méritoire que celle de sa devancière : l'homme qui veut la sauver n'est plus l'Achille grec qui a pour Iphigénie le paisible amour des anciens, et qui, paraissant plus encore admirer son courage que chérir sa personne, ne défend la jeune fille qu'autant qu'elle le lui permet ; c'est un chevalier français qui a pour sa fiancée la tendresse exaltée qu'enfanta le moyen âge ; et qui, s'indignant de la fermeté avec laquelle elle refuse son secours, la dispute à elle-même, au fer et à la flamme du sacrificateur, à la colère des hommes, à la volonté des dieux, jusqu'à l'heure où le ciel propice la conserve à son ardente affection.

Racine s'est plus rapproché d'Euripide en peignant la mère d'Iphigénie. Bien que la Clytemnestre française ait plus d'emportement que l'héroïne créée par le sobre génie hellénique[50], chez l'une et chez l'autre, on reconnaît la femme vindicative qui n'hésitera pas à tuer un jour son mari, la mère qui, pour défendre une fille aimée, est énergique comme la lionne dont on ravit les petits.

Aussi expansive dans sa tendresse maternelle qu'ardente dans sa colère contre Agamemnon, la Clytemnestre des deux poètes sait pleurer auprès de sa fille, et fléchir le genou devant le jeune homme à qui elle confie la cause d'Iphigénie.

Le tragique athénien qui créa ce type, retraça dans une autre pièce, aujourd'hui perdue, un caractère bien différent, celui de Praxithée, reine d'Athènes. L'orateur Lycurgue nous a conservé de cette œuvre un fragment qui appartient au rôle de Praxithée, et qui la montre sacrifiant volontairement la vie de sa fille au salut d'Athènes[51]. Tels sont les motifs qui la déterminent à cette résolution. Elle est fière du sol dont les Athéniens se croyaient nés ; elle juge que les femmes ne deviennent mères que pour donner des défenseurs aux autels nationaux et à la patrie. Alors que le trépas de sa fille peut racheter l'existence de ses nombreux sujets, les laissera-t-elle tomber ? Si, au lieu de filles, elle avait eu des fils, ne les eût-elle pas excités à défendre leur pays, elle qui ne peut souffrir que des mères aiment mieux la vie de leurs fils que l'honneur de ceux-ci ? Cependant les fils de Praxithée eussent partagé la noble mort de leurs compatriotes, tandis que sa fille aura seule, en périssant, la gloire de sauver Athènes.

Faut-il refuser cette gloire ? Non ma fille n'est à moi que par la nature ; je la donne à la patrie ; Eh I si Athènes est détruite, que me serviront mes enfants ? Dois-je, quand je puis l'empêcher, laisser tout périr ? D'autres gouverneront, moi je sauverai l'État.... Ô mes concitoyens ! Prenez mes enfants, je vous les abandonne, et par eux sauvez-vous, soyez vainqueurs.... Ô mon pays ! si tous tes habitants t'aimaient comme je le fais, nous serions plus sûrs de te posséder, et tu ne redouterais aucun malheur[52].

Bien que l'orateur Lycurgue trouve ces sentiments dignes de la cité qu'adopta la belliqueuse Pallas[53], nous y reconnaissons plutôt une mère spartiate qu'une mère athénienne, et nous croyons que les angoisses de Clytemnestre appartiennent plus à ce dernier type, qui est aussi le plus conforme à la nature humaine.

 

Une autre tragédie nous fait retrouver Iphigénie dans la résidence où Diane l'a transportée. Ce n'est pas chez les dieux, comme le supposait Agamemnon, c'est dans la Tauride. Iphigénie dessert le temple de la sanguinaire déesse que ce pays honore ; et, clans cette triste demeure que battent les flots de la mer, et où la prêtresse doit faire immoler tout étranger qui débarque sur ce sol inhospitalier, la fille des Hellènes souffre de son isolement et de son pénible ministère. Son âme élevée se refuse à croire que des sacrifices semblables à celui dont elle-même a dû être victime, soient agréables aux Immortels ; et la noble femme se dit que les hommes ont attribué leur propre cruauté à des dieux qu'elle juge trop purs pour être coupables.

Une nuit, l'exilée a été troublée par un songe qui lui a fait craindre la mort d'Oreste, et Iphigénie pleure ce frère qu'elle a connu alors qu'il était petit enfant.

Ce frère n'est pas loin d'elle. Débarqué en Tauride avec Pylade, Oreste doit y enlever la statue de Diane ; c'est ce moyen qui, selon le dieu de Delphes, calmera les fureurs dora le parricide est agité.... Les deux Grecs sont découverts, amenés à la prêtresse[54], et celle-ci les interroge avec un vif et sympathique intérêt. Quels sont leurs parents ? Ont-ils une sœur ? Comme Iphigénie plaint cette dernière ! Quelle est leur patrie ? Sur un seul de ces points, la curiosité de la princesse est à demi satisfaite. Iphigénie a appris avec une profonde émotion l'origine argienne d'un de ces prisonniers. Elle désire savoir de lui ce que sont devenus et Hélène, et Ménélas, et Calchas, et Ulysse ; et après avoir nommé ceux qui ont causé son malheur, elle s'informe de celui qui l'a défendue.... Achille est mort.... Iphigénie n'a pas encore adressé à l'Argien les questions qu'elle souhaite le plus de lui faire, mais dont elle doit aussi le pins redouter les réponses....

Et ce général que l'on disait si heureux ?

ORESTE.

Lequel ? car, hélas ! celui qui m'est connu n'est pas du nombre des heureux.

IPHIGÉNIE.

On l'appelait le roi Agamemnon, fils d'Atrée.

ORESTE.

Je ne sais rien ; femme, laisse là toutes ces questions[55].

Iphigénie presse l'inconnu, elle le supplie ; et elle apprend que son père n'est plus. Elle gémit, et cependant que de malheurs lui sont encore dévoilés ! C'est Clytemnestre qui a fait mourir le roi, puis elle a succombé sous la vengeance de son propre fils, vengeance qu'Iphigénie approuve avec tristesse. Ainsi il lui faut plaindre le père qui l'a livrée au sacrifice, et refuser ses regrets à la mère qui l'a ardemment disputée au trépas....

La prêtresse voudrait aussi savoir ce qu'on dit de cette fille d'Agamemnon qui fut offerte en sacrifice.... L'étranger lui répondant qu'on croit cette princesse morte, Iphigénie enveloppe dans la même pitié la victime et son père.... Elle demande enfin si le fils d'Agamemnon habite Argos. Le rêve funeste de la prêtresse ne s'est pas réalisé. Oreste vit. II vit, mais il est malheureux et errant !

Iphigénie fait alors une proposition à l'Argien. Elle a des amis dans la ville où il est né. S'il veut leur porter un message de sa part, il échappera au supplice.

Déclinant pour lui-même cette faveur, Oreste désire que la prêtresse en fasse jouir son compagnon. Iphigénie souscrit à ce vœu, tout en admirant le dévouement de 1'Argien, et en souhaitant que le frère qu'elle souffre de r, e point voir, ressemble au généreux inconnu. Et la victime ne regrettant dans !a mort que la privation des devoirs funéraires que lui aurait rendus sa sœur Électre, Iphigénie lui promet d'offrir elle-même à sa tombe ces pieux hommages....

Pendant qu'elle est sortie pour chercher la lettre qu'elle doit confier à Pylade, Oreste, manifestant à son ami l'étonnement que lui cause l'intérêt avec lequel la prêtresse parle des Grecs, suppose que c'est une femme originaire d'Argos.

Après un combat de générosité entre les deux amis qui veulent mourir l'un pour l'autre, Oreste fait comprendre à Pylade qu'une vie aussi tourmentée que la sienne n'est qu'une pénible charge. Quant au prince dont la maison n'a aucune souillure, quant à l'époux d'Électre, il doit vivre ; l'un de ses enfants pourra même faire subsister le nom d'Oreste. Celui qui va mourir prie son ami de consacrer à sa mémoire, dans la cité argienne, un tombeau que mouilleront les pleurs d'Électre, cette sieur qu'il recommande à Pylade d'une manière touchante.

Cependant Iphigénie apporte les tablettes qu'elle envoie à Argos. Si sa lettre se perd, le souvenir, du moins, en restera, car la prêtresse va la lire à Pylade. Ce message est adressé à Oreste, fils d'Agamemnon, par Iphigénie, la sœur qu'il croit morte et qui est la prêtresse elle-même. Par sa lettre, elle supplie son frère de la ramener à Argos, de l'arracher à ses barbares fonctions. Elle répète le 'nom d'Oreste, afin que le messager ne l'oublie pas.... Pylade tend ces tablettes à Oreste en le nommant ; et le frère d'Iphigénie saisit sa sœur dans ses bras. Elle doute que ce soit le fils d'Agamemnon, il le lui prouve ; et, tandis que la jeune femme se livre à une joie enivrante et mélancolique en revoyant sur une terre lointaine celui qui lui est si cher, Oreste, heureux de retrouver la sœur qu'il croyait à jamais perdue, Oreste mêle ses larmes aux siennes. La prêtresse frémit de penser qu'elle a été près de livrer son frère aux sacrificateurs. Cette réflexion lui rappelle le danger que court encore Oreste. Toutefois, avant qu'elle ne cherche les moyens de le sauver, elle s'informe d'Électre ; et sachant que celle-ci est unie à Pylade, leur cousin, elle salue en ce prince l'époux de sa sœur. Elle se préoccupe aussi de la cause qui rendit Clytemnestre si coupable ; mais, par un sentiment délicat, Oreste refuse de lui dévoiler la honte de leur mère. Il raconta à Iphigénie, et comment il fut jugé par l'aréopage, et comment celles des Furies qui ne consentirent pas à son acquittement, le poursuivent encore. Que la prêtresse le sauve en lui laissant enlever la statue qu'Apollon lui a prescrit de chercher ; et le frère et la sœur regagneront leur patrie.

Iphigénie accède à cette prière. Mais si Oreste ne l'enlève pas en même temps que la statue, elle périra ! Néanmoins, elle bravera la mort pour secourir son frère. Le fils d'Agamemnon ne veut pas de ce sacrifice ; il vivra avec sa sœur ou succombera avec elle. Iphigénie trouve enfin le moyen de réaliser le vœu d'Oreste. Elle dira à Thoas, roi de la Tauride, que l'un des Grecs est un parricide, que son ami est le complice de son crime ; que, par leur contact, ils ont souillé la statue de Diane, et qu'elle ne peut les laisser immoler qu'après les avoir purifiés sur le bord de la mer, ainsi que le simulacre de la déesse. Le vaisseau d'Oreste recevra alors les fugitifs....

Iphigénie s'assure que les captives grecques qui forment le chœur, ne trahiront pas le secret de cette entreprise ; elle promet à l'une de la ramener sur la terre hellénique, embrasse les genoux d'une autre, les supplie toutes de ne pas perdre leur maîtresse et son frère. Ces généreuses femmes lui promettent solennellement le silence qu'elle leur demande. Puis, lorsque les esclaves sont seules, leurs chants mélancoliques trahissent les souffrances des exilées. Comme l'alcyon, elles gémissent ; mais, plus malheureuses que l'oiseau qui plane sur les mers, elles n'ont pas d'ailes.... Au milieu des barbares, elles regrettent l'exquise conversation des Hellènes ; sur cette terre où règne la farouche déesse Taurique, sur ce rivage dépouillé d'arbres et contre lequel se heurtent les vagues, elles regrettent une autre Diane qui préside non à la mort, mais à la naissance ; Diane Lucine, qui a fixé son séjour sur le mont Cynthios, là où croissent les élégants palmiers, les lauriers au luxuriant feuillage, l'olivier dont la pâle verdure abrita les premiers instants de Ea vie. C'est vers cette retraite ombragée que s'étend le lac où les cygnes chantent les Muses.

Les captives se souviennent des pleurs qu'elles répandirent quand elles furent arrachées à leur sol natal ! Maintenant, vendues aux barbares, elles servent Iphigénie, elles sont consacrées au culte d'autels ensanglantés ; et celles qui n'ont connu le bonheur que pour en ressentir plus vivement la privation, envient les êtres qui ont toujours été malheureux.

Leur maîtresse va partir.... Son vaisseau voguera vers Athènes, et les esclaves demeurent dans l'exil !

Le sort de l'oiseau revient encore à leur mémoire. Ah ! que n'ont-elles des ailes pour fendre d'un vol rapide les lumineuses régions de l'éther ! Que ne peuvent-elles planer ainsi au-dessus du foyer paternel, se mêler de nouveau à ces chœurs de danses où, sous les regards maternels, elles rivalisaient de beauté et d'élégance avec leurs compagnes !

Iphigénie a réalisé son plan. Malgré la résistance des gardes qui accompagnaient les prisonniers, Oreste a porté sur son vaisseau la prêtresse chargée de la statue. Les Grecs ne sont cependant pas encore sauvés : les flots courroucés repoussent le navire sur le rivage. Thoas, prévenu de ces événements par tin messager que les esclaves grecques ont vainement tenté d'éloigner de lui, Thoas va poursuivre les fugitifs et punir ensuite leurs complices. Mais Minerve lui apparaissant, lui conseille de ne pas s'opposer à une entreprise qu'Apollon a ordonnée. De loin, la voix puissante de la Sagesse divine commande aussi à Oreste de ramener en Grèce les femmes qui l'ont secouru. Thoas se calme et rend la liberté à ses captives. Ainsi les nobles Grecques suivent dans la patrie qu'elles pleuraient, la princesse à laquelle elles furent si dévouées, et qui, même dans l'exercice d'un culte farouche, conserva sur les rives tauriques, l'exquise sensibilité qu'elle nous avait fait admirer à Aulis.

Nul plus que le fils d'Agamemnon ne ressentit les douceurs de l'amour fraternel. Euripide nous le prouve encore dans sa tragédie d'Oreste, où ce sentiment s'exprime avec une force incomparable.

Oreste est menacé d'être lapidé par le peuple en punition de son parricide. Ici Électre n'est coupable que d'une complicité morale[56], et cependant elle devra subir le sart de son frère. Elle oublie son propre péril pour s'occuper d'Oreste, Oreste, la proie des Furies qui, dans cette pièce, ne sont visibles que pour lui, et que lui montre une imagination troublée par le remords[57].

Électre veille sur le lit où son frère, épuisé par le délire, a enfin trouvé le sommeil ; elle protège avec sollicitude ce précieux repos ; elle invite ses amies à ne point le troubler par leurs pas et par leurs voix, et s'impatiente de ne pouvoir faire taire ses féminines visiteuses. Le prince se réveille-t-il, elle essuie l'écume qui humecte son visage, elle écarte de ses yeux sa chevelure inculte ; suivant attentivement les désirs capricieux et inquiets du malade, elle le soulève, le recouche, soutient sa marche chancelante. Est-il en proie à une nouvel :e 'crise, elle le presse sur son cœur, tandis que l'insensé, la prenant pour une Furie, se débat et veut la frapper.

Elle le voit enfin se calmer. A elle maintenant de recevoir les consolations de ce frère qui remarque ses pleurs, et qui souffre de répandre tant d'amertume sur la vie d'une sœur chérie. Ainsi qu'il le lui dit avec émotion, que tous deux se soutiennent mutuellement dans leurs défaillances ! Il l'exhorte à se retirer, à prendre quelque repos, quelque nourriture ; et, sachant qu'elle ne se soignerait pas pour elle-même, il la prie de se soigner pour lui, pour lui qui perdrait en elle son seul appui. Mais Électre, devinant cette ruse touchante[58], refuse d'abord de quitter un seul instant celui dont la mort entraînerait la sienne, et ce n'est que pour le satisfaire qu'elle se résout à s'éloigner.

La circonstance où l'attachement réciproque du frère et de la sœur éclate avec le plus de vivacité, est celle où le peuple ne leur accorde qu'une grâce : celle de n'être pas lapidés et de se donner eux-mêmes la mort. Électre s'effraye plus du trépas de son frère que du sien. Elle a des accents si douloureux, si pathétiques, qu'Oreste la supplie de ne point l'affaiblir. Mais quand, après avoir vainement demandé à son frère de la frapper lui-même, elle enlace pour la dernière fois dans ses bras le malheureux condamné et lui dit : Ô mon tendre frère, toi à qui le nom de ta sœur fut toujours si cher et si doux, et qui n'es qu'une âme avec elle ![59] il n'a pas la force de se contenir davantage, et s'abandonne sans réserve au charme poignant de cette émotion.

Tu me feras fondre en larmes. Oui, je veux répondre à ta tendresse par mes caresses ; et pourquoi en rougirais-je ?... 0 doux embrassements ! Ah ! ces adieux doivent, dans notre malheur, nous tenir lieu d'enfants et d'hyménée.

ÉLECTRE.

Ah ! que du moins, s'il est possible, le même fer nous frappe, et qu'un même tombeau nous reçoive ![60]

Pourquoi faut-il que cette jeune fille qui nous pénètre d'un sympathique attendrissement, perde à nos yeux son attrait par les mauvaises actions que lui font commettre le désir de la vengeance et le besoin du salut ?

Lorsque Oreste et Pylade ont résolu d'immoler Hélène pour châtier Ménélas d'avoir abandonné son neveu et sa nièce, Électre leur conseille d'enlever Hermione. Ainsi, pour préserver la vie de sa fille, Ménélas sera forcé de sauver les meurtriers de sa femme et Électre elle-même.

Pour faire tomber Hermione dans le piège, la sœur d'Oreste la prie d'intéresser Hélène à la cause des condamnés. La jeune fille accède à ce vœu avec une générosité qui rend plus odieuse encore la conduite d'Électre ; et entre sans méfiance dans le palais où Oreste et Pylade l'attendent en assassinant sa mère.

Hélène, mortellement blessée, est soustraite comme par enchantement à ses meurtriers ; et, transformée en astre, elle fait rayonner dans le ciel son éblouissante beauté. Les trois conjurés sont sauvés. Par l'ordre d’Apollon, Hermione épouse Oreste. A cet étrange mariage qui, sous une sanction divine, allie au meurtrier la fille de la victime, nous préférons l'hymen par lequel Apollon unit à Pylade la compagne de ses dangers, sa fiancée Électre, cette jeune fille dont nous ne légitimerons pas les fautes, mais dont nous ne pouvons oublier le sublime dévouement fraternel.

Malgré l'intérêt qui s'attache à la tendre et malheureuse sœur d'Oreste, nous n'aurons jamais pour elle cette sympathie sans mélange que nous ressentons pour celles de nôs héroïnes qui ont accepté la mort sans chercher à la donner. C'est cet attrait si pur qu'exerce Mégara.

Fille de Créon, roi de Thèbes, femme d'Hercule, Mégara voit assassiner le premier pendant que le second accomplit aux enfers le plus dangereux des travaux par lesquels Eurysthée, roi d'Argos, fait acheter au héros le droit de ramener un jour sur le sol natal son père exilé.

Lycos, le meurtrier de Créon, occupe le trône de celui-ci ; et, craignant que les fils d'Hercule ne deviennent les vengeurs de leur aïeul, il les condamne à mort ainsi que leur mère et leur grand-père paternel Amphitryon.

Des enfants, mie femme, un vieillard, ces êtres que leur faiblesse doit sacrer, telles sont donc les victimes du tyran. Les condamnés ont quitté le palais d'Hercule pour se réfugier à l'autel de Jupiter Sauveur. Mais la faim, la soif, la fatigue, ne leur permettent pas de demeurer longtemps dans ce lieu d'asile, que d'ailleurs le tyran va faire entourer de flammes. Amphitryon espère que le retour d'hercule sauvera la famille du héros ; mais la courageuse Mégara, n'osant plus-croire que son mari vive encore, engage le vieillard à ne pas l'attendre plus longtemps. Avec l'impétuosité de la jeunesse[61], elle aime mieux aller librement au-devant du trépas que de subir dans son refuge un supplice ignominieux ; et s'impatiente des vaines espérances que conserve encore le père d'Hercule. Elle persuade enfin le vieillard. Les victimes quittent leur asile. La princesse demande à Lycos une grâce suprême : celle de pouvoir donner à ses enfants leurs parures funèbres dans le palais d'Hercule. Que ce soit pour eux le seul héritage paternel auquel ils puissent maintenant prétendre ! Le tyran y consent.

Les vieillards de Thèbes pleurent lorsqu'ils voient reparaître la fille de leur ancien roi, soutenant la marche chancelante de son beau-père et les pas incertains de ses jeunes enfants. Mégara compare avec tristesse le sort actuel des fils d'Hercule à la brillante destinée qui leur était réservée. Que d'espérances nourrissaient pour eux leurs parents ! Hercule leur préparait des trônes ; Mégara, des compagnes d'élite : leurs épouses seront maintenant les Parques.... Lequel de ses trois fils la mère embrassera-t-elle le premier ou le dernier ?

Mégara invoque Hercule. Qu'il sauve son vieux père, ses enfants, la femme que son hymen rendait digne d'envie ! Qu'il vienne !... ou que son ombre du moins surgisse et les défende.... Mais qu'a-t-elle vu ? N'est-ce pas une illusion ? Non, elle ne se trompe pas, son époux est là ! Accourez, mes enfants, suspendez-vous aux habits de votre père ; allez, volez dans ses bras, ne le quittez point ; ce défenseur n'est pas moins sûr pour vous que Jupiter Sauveur[62].

Hercule s'étonne de l'appareil funèbre dont sa famille est entourée : Nous étions perdus[63], lui dit Mégara ; et la jeune femme, s'adressant à son beau-père, ajoute : Toi, vieillard, pardonne-moi si j'ai devancé la réponse qu'il t'appartenait de lui faire ; mais une femme est plus faible contre la douleur que les hommes, et mes enfants allaient mourir, et moi avec eux[64].

Elle raconte à son mari les infortunes qui l'ont atteinte depuis leur séparation. Hercule fait enlever aux victimes leurs bandelettes funèbres. Il se prépare à punir le tyran qui a osé le frapper dans sa famille. Eh quoi ! le héros à la force indomptable, le protecteur de l'humanité, se laisserait ravir ce qu'il a de plus cher au monde !.... Et qui donc dois-je défendre, si ce n'est mon épouse, mes enfants et mon père ? Périssent mes travaux ![65]

Hercule invite ses jeunes fils à le suivre dans son palais. A ce moment, la force qui a soutenu Mégara contre le malheur, l'abandonne après le péril. Hercule la voit trembler et se cramponner à lui ; il la rassure et dit gaiement qu'il n'a pas d'ailes, et qu'il ne veut pas quitter les objets de son amour. Voyant que la mère et les enfants se serrent plus que jamais contre lui, il comprend avec émotion combien fut grand le danger d'où il les a tirés ; et sa main les guide, pendant qu'il remarque que les grands et les petits de la terre se rapprochent par les sollicitudes de la paternité.

Lycas trouve la mort dans le palais où il cherchait ses victimes. Le chœur des vieillards thébains célèbre avec ivresse le retour de puissance accordé à la race de Créon.... Une horrible apparition interrompt leurs chants d'allégresse : la Rage, forcée d'obéir à l'ennemie l'Hercule, à Junon, la Rage vient communiquer ses transports au héros. Hercule troublé croit voir dans ses enfants les fils d'Eurysthée, son persécuteur. Il en massacre deux ; et l'égara fuyant avec le troisième, il fait sauter les portes de l'appartement où elle s'est réfugiée, et tue la mère et l'enfant.

Amphitryon, qui a échappé au carnage, veille sur le sommeil où son fils est tombé après cette crise funeste. Quel moment que celui où Hercule, se réveillant, apprend qu'il est le meurtrier de sa femme et de ses enfants ! Entraîné vers Athènes par Thésée, son ami, le colosse qui n'a jamais pleuré verse des larmes brillantes. Il recommande à son vieux père de déposer dans la tombe sa femme et ses fils, et de placer les enfants dans les bras de leur mère. Devant le cadavre de cette vaillante femme, aussi fidèle épouse que tendre mère, il se reproche amèrement la rémunération dont il a payé son dévouement conjugal. Et il se sépare avec désespoir des quatre corps inanimés qu'il embrasse pour la dernière fois.....

Des autres mariages d'Hercule naquirent des enfants qui perpétuèrent sa race. Après sa mort, sa jeune postérité fut proscrite par Eurysthée, qui la poursuivit chez les peuples où elle se réfugia. Une tragédie d'Euripide suit dans l'exil les Héraclides ou descendants d'Hercule.

Iolas, veillant sur les plus jeunes fils du grand homme dont il fut le compagnon ; Alcmène, mère d'Hercule, conduisant les filles de son fils, se sont réfugiés à Marathon chez les Athéniens, les généreux défenseurs des opprimés. Alcmène et ses petites-filles abritent dans l'intérieur du temple leur réserve féminine ; mais Iolas et ses protégés attendent à l'entrée du monument, le résultat du combat que Démophon, l'un des rois de l'Attique et l'un des fils de Thésée, va livrer pour les orphelins contre l'armée d'Argos.

Les oracles déclarent que le salut des Héraclides et la victoire des Athéniens sont attachés à un sacrifice dont la victime sera une jeune fille issue d'un père illustre. Démophon.s'attriste et se décourage. Il ne peut immoler sa fille, et ne peut demander à nul de ses sujets un tel sacrifice.

L'aînée des filles d'Hercule, l'enfant de la douce Déjanire, a entendu gémir Iolas. Elle quitte son asile, et priant les Athéniens d'excuser la témérité avec laquelle elle paraît en leur présence, elle interroge son vieil ami sur le chagrin auquel il se livre. Il lui dit quel est le prix d'où dépend la sécurité de sa famille.

Par un élan sublime, Macarie se dévoue. Elle mourra pour ses frères ! Athènes s'expose aux dangers de la guerre pour défendre ses hôtes, et ceux-ci ne s'associeraient pas à cette généreuse abnégation ! D'ailleurs, si la fille d'Hercule tombait au pouvoir des Argiens, quels outrages ne subirait-elle pas avant d'être livrée à la mort ! Ou si Athènes renvoyait les Héraclides, ne repousserait-on pas ailleurs les orphelins qui n'auraient pas trouvé parmi eux une âme assez courageuse pour les racheter ? Et Macarie fût elle même sauvée isolément, quel homme consentirait à l'épouser dans son abandon ? Plutôt périr que de supporter un état misérable qui blesserait la fierté de son origine ! Qu'on la conduise au sacrifice !

Cette vie, à laquelle je tiens peu, j'ai trouvé la voie la plus belle de la perdre avec gloire[66].

Le dévouement de Macarie excite l'enthousiasme des vieillards athéniens. Iolas, qui reconnaît en elle le sang d'Hercule, lui propose de laisser décider par le sort le choix de la victime entre les filles d'Hercule. Macarie n'accepte pas une situation qui ne permettrait plus à son dévouement de se déployer. Elle donne sa vie librement ; elle refuserait ce sacrifice si elle y était obligée. Noble fierté qu'admire le compagnon d'Hercule !

La victime désire que lorsque le coup fatal l'atteindra, elle tombe dans les bras de l'ami qui remplace son père ; mais Iolas sentant qu'il n'aura pas alors la force de se trouver auprès d'elle, Macarie demande que ce soient des femmes et non des hommes qui soutiennent alors son corps expirant. Le roi le lui promet en exaltant le courage qui la met au-dessus de son sexe, et Démophon la sollicite de dire à ses frères et à leur guide, les paroles du dernier adieu[67]. Ces paroles, elle les prononce avec recueillement et mélancolie. Que Iolas rende ses pupilles aussi vertueux que lui. Qu'il les protège et qu'il vive : les enfants d'Hercule sont les siens ! Que les frères de Macarie jouissent de la félicité qu'ils devront au sang de leur sœur ! Qu'ils honorent l'ami et la mère de leur père, et leurs hôtes athéniens ! S'ils posent un jour le pied sur le sol de leur patrie, qu'ils n'oublient pas de rendre à leur libératrice de grands honneurs funèbres : elle les a mérités, celle qui expire pour sa race. Les monuments qu'ils lui élèveront, la consoleront de n'avoir pas laissé d'enfants, si toutefois, ajoute-t-elle, le sentiment reste encore aux ombres ; et si ce sentiment devait leur servir à éprouver de nouvelles souffrances, elle souhaite qu'il s'anéantisse avec la vie.... Pauvre enfant qui ne voit dans la mort que la fin de ses peines, et qui ne pense pas que cesser de souffrir sur la terre, c'est commencer à jouir dans le ciel !

Ainsi donc, en mourant, elle n'avait aucune espérance, et c'était sa vie entière, même son âme, qu'elle croyait anéantir pour racheter ses frères. L'idée d'une rémunération céleste ne soutenait pas son courage ; et cependant elle consommait avec fermeté son sacrifice.... C'était grand ! Mais nous regrettons que le poêle n'ait pas fait luire sur cette héroïque et virginale figure, le rayon d'une autre immortalité que celle d'une gloire humaine. Nous regrettons qu'en disant adieu à la terre, la jeune fille n'ait pas adouci sa tristesse en souriant à l'éternité.

Le prix du dévouement de Macarie ne se fait pas attendre ; le fils aîné d'Hercule et de Déjanire, le jeune prince que Sophocle nous a fait connaître, Hyllos, apporte aux Athéniens le renfort de son armée. Les Argiens sont mis en fuite. Iolas s'empare d'Eurysthée, et c'est à Alcmène qu'il envoie le prisonnier, c'est à elle qu'il délègue le pouvoir de juger celui-ci. En voyant l'ennemi qui a torturé la vie de son fils, banni et poursuivi la mère et les enfants du héros, Alcmène devient cruelle ; elle outrage le vaincu, lui annonce une mort misérable ; et puisque les lois athéniennes ne permettent pas que l'ennemi pris vivant soit tué, c'est elle qui veillera à cette exécution

Quant à Macarie, son nom n'a plus été prononcé après les éloges que le chœur a donnés à sa magnanimité lorsqu'elle s'est éloignée. Le messager qui a transmis à Alcmène les nouvelles du combat, lui a seulement dit qu'une victime humaine avait été immolée avant la bataille. On épargnait sans doute ainsi à la vieille aïeule, la connaissance du deuil qui venait d'assombrir sa maison.

Macarie est une digne sœur d'Antigone.

Euripide a aussi célébré les malheurs d'Œdipe et le dévouement de sa fille[68] ; mais il a placé les personnages de ce drame dans une autre situation que celle où les a peints Sophocle.

Jocaste a survécu à la révélation des liens qui rattachent si étroitement à elle le mari qu'elle entoure encore de sa sollicitude. Étrange situation que Sophocle, nous l'avons vu, a évitée avec un tact admirable !

Jocaste est témoin des discordes qu'ont suscitées entre ses fils, les malédictions du royal aveugle que ceux-ci ont emprisonné dans le palais. Par ses conseils affectueux et graves, elle essaye d'empêcher la lutte fratricide qui se prépare. Passant des paroles aux actes, elle court même sur le champ de bataille où ses enfants vont s'entr'égorger.... Elle ne peut que recevoir leurs derniers soupirs, et se tue en réunissant les deux ennemis sur son sein maternel.

Antigone ne se présente pas d'abord avec cette fermeté qui la distingue dans la tragédie de Sophocle[69]. Par la première attitude qu'il lui donne, Euripide reproduit plutôt en elle la timidité d'une vierge d'Athènes que le caractère particulier de l'héroïne. Pendant qu'elle monte l'escalier de cèdre qui conduit à l'étage d'où le gouverneur de ses frères lui montrera le camp ennemi, elle fait soutenir sa marche craintive par le vieillard qui a soigneusement veillé à ce que personne ne vit la jeune fille. Toutefois le mouvement de tendresse qui entraîne le cœur d'Antigone vers Polynice que le guide de la princesse lui a désigné, fait pressentir le dévouement qu'elle témoignera à son frère.

La timidité d'Antigone se trahit encore quand Jocaste entraîne sa fille avec elle sur le champ de bataille où ses fils se disposent à leur lutte fratricide. Antigone redoute de paraître au milieu de nombreux guerriers ; niais la perspective de sauver ainsi ses frères, raffermit son courage, et nous retrouvons désormais en elle l'héroïne de Sophocle.

Ici c'est devant les cadavres de sa femme et de ses fils qu'Œdipe est banni de Thèbes. C'est là aussi qu'Antigone déclare fièrement à Créon qu'elle bravera les ordres de celui-ci en enterrant Polynice, et qu'elle guidera sur la terre d'exil son père vieux et aveugle.

La tragédie des Suppliantes nous fait assister à l'un des événements qui suivirent la mort des frères ennemis. Thèbes qui a privé Polynice de sépulture, refuse le même honneur aux sept chefs argiens qui l'ont soutenu.

Quel tableau se présente à nous ! Dans le temple d'Éleusis, des femmes âgées, des suppliantes en deuil, entourent de leurs rameaux une reine assise au foyer de l'autel, et lui, au nom de son pays, offre aux grandes déesses les sacrifices précédant le labourage[70]. Ces suppliantes sont les mères des sept chefs. Par l'intercession d'Éthra, vieille comme elles et mère aussi comme elles, les Argiennes voudraient obtenir que son fils Thésée reconquît pour elles les cadavres de leurs enfants. Adraste, roi d'Argos, le beau-père de Polynice, est à l'entrée du temple, et les orphelins qu'ont laissés les illustres guerriers d'Argos, entourent le vieux souverain. C'est ce spectacle qui frappe les regards de Thésée alors que celui-ci, inquiet de la longue absence de sa mère, vient la chercher dans le temple.

Thésée, jugeant imprudente la guerre qu'a entreprise Adraste, refuse à ce prince le secours que lui demande celui-ci. Mais les suppliantes se jettent à ses genoux, et leurs appels font pénétrer la pitié dans son noble cœur. Il voit que malgré les prescriptions qui interdisent de pleurer pendant un sacrifice religieux, sa mère ne peut retenir les larmes qu'elle cache sous un voile...

Après un instant d'hésitation, la reine juge qu'elle serait coupable si, pour être fidèle à la silencieuse réserve de son sexe, elle ne remplissait pas un grand devoir d'humanité. Elle exhorte son fils à ne point mécontenter les dieux et à soutenir ces opprimés dont la cause lui donne, à elle, la force d'élever la voix ! Que Thésée punisse les impies qui, refusant aux morts la sépulture, violent les lois de la Grèce ! En reculant devant les périls de cette mission, il encourrait le reproche de lâcheté.

Je ne crains pas pour toi quand tu t'armes pour une juste cause ; et, en voyant le peuple de Cadrans, après un premier succès, affronter encore une nouvelle chance, je suis pleine d'espoir, car Dieu soumet tout à de fréquentes révolutions[71].

Dans ces paroles qu'anime le souffle biblique, c'est la vraie mère qui se révèle ; la mère tendre et dévouée, mais ne voulant pas sauvegarder la vie de son fils aux dépens des sentiments élevés et généreux qu'elle lui a inculqués.

Éthra a vaincu. Thésée ne se dissimule pas que si la reine elle-même, la reine dont il connaît la maternelle et craintive sollicitude, l'encourage à braver un danger, il s'exposerait aux attaques de ses envieux en déclinant l'honneur de cette entreprise. Il soumettra à l'assemblée des Athéniens le projet de marcher sur Thèbes. Avant d'aller à l'agora, il ramène sa mère au palais en s'élevant contre ceux qui manquent au respect filial, et en ajoutant que les fils pieux sont rémunérés par leurs enfants des soins qu'ils ont rendus à leurs parents. Idée profonde qu'avait déjà formulée un sage de la Grèce[72], et qui nous rappelle le Décalogue.

Au prix d'un combat, Thésée a trouvé les restes de ceux qui ont péri avec Polynice. Après avoir enseveli les morts obscurs dans les vallées du Cithéron, il a recueilli les sept chefs, lavé leurs blessures, préparé leur couche funèbre, recouvert leurs corps. Maintenant il lés envoie à leurs mères.

En apprenant qu'elles vont revoir leurs fils, les Argiennes éprouvent quelque consolation ; mais devant ces corps inanimés qu'elles étreignent à travers les tissus qui les couvrent, c'est le désespoir qui l'emporte en elles. Craignant que l'aspect de ces restes défigurés ne fasse mourir les mères des victimes, Thésée exige qu'elles ne voient pas déposer leurs enfants sur le bûcher où ils vont être réunis[73].

Un bûcher spécial est réservé, sur la scène, à Capa-née, celui des sept chefs qui a été atteint par la foudre de Jupiter, et dont une semblable mort a consacré le, cadavre. La veuve du héros, Évadné, paraît sur le rocher au pied duquel s'élèvent les flammes qui consument son mari. Elle se rappelle les fêtes brillantes de son hymen, les flambeaux qui éclairaient la marche des époux. Aujourd'hui, c'est la lueur des flammes funéraires qui éclairera une autre fête nuptiale : Évadné se dispose à rejoindre son mari au sein du bûcher ; elle s'est parée pour cet hymen ! Elle s'élance dans le brasier, sans être arrêtée par le souvenir des enfants qu'elle abandonne, ni par la présence de son père, vieillard qui pleure déjà un fils parmi les sept chefs. Que de regrets poignants exhale le malheureux Argien ! Où ira-t-il ? Dans sa maison ? Elle est vide. Dans celle de son gendre, demeure qu'il aimait quand sa fille l'animait ? Mais elle n'est plus, elle qui se plaisait à approcher de mon visage sa bouche' caressante, et à tenir ma tète entre ses mains. Pour un père déjà vieux, rien n'est plus doux qu'une fille ; les fils ont l'âme plus fière, mais moins affectueuse et moins caressante[74].

Le vieillard veut se laisser mourir....

Non, nous ne saurions approuver le cruel héroïsme d'Évadné ! Nous avons blâmé ailleurs[75] la coutume indienne qui ne permettait pas à l'épouse de survivre à l'époux, et de rester mère ou fille en devenant veuve. Autant il est beau de donner sa vie pour sauver celle d'autrui, autant il est insensé de la sacrifier sans profit pour personne, alors surtout que d'autres devoirs rattachent au monde l'âme qui brise volontairement son enveloppe terrestre.

Nous ne méconnaîtrons pas l'amour et le courage d'Évadné ; mais elle eût été plus héroïque en survivant à celui qu'elle aimait pour le soigner encore dans les enfants qu'il laissait ; et en se souvenant qu'un père dont elle était l'unique consolation, vivait de sa vie et mourrait de sa mort.

Combien plus nous admirons l'utile sacrifice d'Alceste !

Le jeune roi de Phérès[76], Admète, allait succomber. Apollon qui, pendant son exil de l'Olympe, avait servi ce souverain, Apollon qui avait appris à l'estimer, obtint des Parques qu'Admète serait sauvé si un autre consentait à mourir pour lui. Le père et la mère du roi, chargés d'ans tous les deux, ne voulurent pas immoler à leur enfant le peu de jours qu'ils avaient encore à passer sur la terre : ce fut Alceste, sa compagne, qui racheta sa vie au prix d'une existence en fleur.

Le trépas de l'épouse dévouée, tel est le sujet de la tragédie d'Alceste.

Déjà, malgré les sacrifices qu'Admète a offerts aux dieux pour le salut de sa femme, la Mort plane sur le palais. Nous voyons les vieillards de Phères se presser devant la demeure royale, anxieux de savoir si la souveraine qu'ils chérissent, n'est plus qu'un cadavre. Une servante en pleurs vient leur retracer les scènes émouvantes qui se passent dans le palais. En voyant luire son dernier jour, Alceste s'est baignée et parée. Se prosternant devant son foyer, elle a demandé à Vesta, sa chaste souveraine, d'être une mère pour ses enfants. Elle a prié aussi devant les autels domestiques qu'elle couronnait de verdure, et sur lesquels elle jetait des feuilles de myrte. Elle ne pleurait pas, elle ne soupirait pas ; sa sereine beauté ne portait pas l'empreinte de la mort prochaine. Mais en entrant dans la chambre nuptiale, elle a perdu sa fermeté ; et se jetant sur sa couche, elle a versé des larmes abondantes à la pensée qu'une autre femme non pas plus chaste, mais plus heureuse[77], pourrait la remplacer auprès d'Admète. Sans cesse l'épouse quittait sa chambre, sans cesse elle rentrait dans cet asile qu'elle abandonnait pour toujours avec tant de douleur ! Ses petits enfants s'attachaient à ses vêtements et pleuraient ; elle les enlaçait tour à tour dans ses bras maternels, et leur donnait ses derniers baisers. La jeune reine tendait la main à ses esclaves dont elle voyait couler les larmes ; et parlant à tous, même aux plus humbles, elle accueillait leurs adieux : touchant détail que relève, avec une satisfaction si triste et si naturelle, la servante qui raconte ces incidents aux vieillards[78] !

Et cet époux qui devait la vie au prochain trépas de sa femme, il pleurait ; et, rapprochant Alceste de son cœur, il semblait vouloir retenir ainsi sur la terre, la compagne que la mort glaçait dans ses bras.

La jeune femme a voulu revoir la lumière qui plus jamais ne sourira à son regard. Soutenue par son mari, accompagnée de ses enfants, elle sort du palais.... Alceste salue le soleil, et envoie un souvenir au pays natal qu'elle a quitté pour la maison d'Admète.

Son époux la supplie vainement de ne pas le délaisser.... Elle ne peut rester ; le nocher des ombres l'appelle ; une divinité l'entraîne : c'est la Mort.... Alceste repousse d'abord avec terreur cette étreinte. Elle a peur aussi de cette route inconnue qui s'ouvre devant elle. Que ses femmes l'étendent, elle ne peut plus se soutenir, et son regard s'obscurcit : Mes enfants, mes chers enfants, c'en est fait, vous n'avez plus de mère. Soyez heureux, mes enfants, puissiez-vous jouir tous deux de cette lumière du jour[79].

Les paroles d'Alceste paraissent plus terribles à Admète que la mort. Il conjure encore sa femme de ne pas abandonner l'époux qui sans elle ne pourrait vivre.

La mourante a vaincu les angoisses de l'agonie. Plus calme, elle exprime au roi ses dernières volontés.

Elle lui représente ce qu'elle a fait pour lui. Elle l'a aimé jusqu'à donner sa vie en échange de la sienne ; et cependant elle aurait pu recevoir de nouveau le titre d'épouse et jouir d'une brillante existence. Mais elle n'a pas voulu d'une vie à laquelle Admète ne serait plus associé ; elle n'a pas consenti à ce que ses enfants fussent orphelins de père. Tandis que les vieux parents du roi refusaient de racheter par leur mort la vie de leur fils unique, elle a immolé à son mari sa florissante jeunesse. Qu'en échange de ce service, il lui promette de ne pas donner à ses enfants une belle-mère, femme qui ne l'égalerait pas, et qui peut-être frapperait les rejetons d'une autre alliance. Alceste craindrait moins cette haine pour son fils qui aurait un appui dans la protection paternelle ; mais combien elle la redouterait pour sa fille dont l'innocence, privée de la sauvegarde d'une mère, trouverait peut-être dans une marâtre un contact déshonorant !

La jeune femme sent qu'elle a été la meilleure des épouses et la meilleure des mères ; et ce qu'elle sent, elle le dit avec cette sereine satisfaction qui, chez les mourants, n'est plus que la conscience du devoir accompli[80].

Admète promet à Alceste que la place de celle-ci ne sera occupée par aucune autre femme. Il gardera toujours le deuil de sa compagne. Plus de fêtes ni de chants dans son palais ! Avec Alceste disparaîtra tout l'attrait de sa vie. Sa seule consolation sera de placer sur le lit de la reine, une statue qui la représentera. Prosterné devant cette image, il cherchera à se persuader que c'est encore sa femme bien-aimée qu'il serrera sur son cœur. Qu'Alceste elle-même lui apparaisse dans ses songes ; c'est encore une joie que de revoir, ne fût-ce qu'en rêve, ceux que l'on a perdus. Si Admète avait le génie d'Orphée, il irait, comme l'époux d'Eurydice, chercher sa compagne aux enfers. Mais du moins, qu'Alceste y attende son arrivée, car, lorsqu'il mourra, le cercueil de cèdre où elle reposera, s'ouvrira pour le recevoir : Que la mort même ne me sépare jamais de toi, qui seule m'as été fidèle[81].

Alceste prend ses enfants à témoin que leur père lui a promis de ne pas se remarier ; elle les remet entre les mains d'Admète et demande à son époux d'être pour eux une mère.

Affolé, de désespoir, le roi supplie sa femme de l'emmener avec elle.... Ou plutôt qu'elle reste, qu'elle ne délaisse pas leurs enfants ! Qu'elle jette sur eux un regard, rien qu'un regard !

ALCESTE, expirante.

Adieu.

ADMÈTE.

Je suis perdu ! infortuné !

LE CHŒUR.

Elle n'est plus ; Admète n'a plus d'épouse[82].

Alceste n'entend pas les lamentations de son fils Eumélos qui sent déjà le vide que creuse auprès de lui la tombe maternelle : Écoute, écoute-moi, ma mère, je t'en supplie. C'est moi, ma mère, c'est moi qui t'appelle ; c'est ton petit enfant qui se penche vers tes lèvres[83]. Et Eumélos plaint sa sœur et son père....

Quant au roi, il lui faut préparer les funérailles de sa femme, et ce souci retarde l'explosion de son désespoir. Que tous ses sujets prennent le deuil de leur reine ! Que les crinières même des chevaux soient coupées !

Les vieillards de Phérès, seuls sur la scène, envoient à la morte le vœu qui accompagne le dernier départ : qu'elle soit heureuse dans son nouveau séjour ! Ils prédisent que les hommes aimés des Muses, trouveront dans son dévouement un grand sujet lyrique. Ce qu'Euripide prophétisait, il l'accomplissait en même temps.

Pendant qu'on se dispose à enterrer Alceste, Hercule se présente devant le palais. Admète le reçoit, la chevelure coupée, les yeux humides ; mais tout en lui avouant qu'il a perdu un être cher, il lui laisse ignorer que la personne morte appartient à sa famille. Dire à Hercule que la reine a expiré, ce serait lui faire chercher un asile sous un autre toit que celui de l'affligé ; et le roi ne manquera pas aux lois de l'hospitalité.

Après qu'Hercule est entré dans l'appartement des hôtes, Admète conduit le deuil de sa compagne. Il voit Phérès, son père, qui vient offrir à la morte une parure funèbre. Le roi repousse ce don, et accable de son courroux le vieillard qui s'est refusé au sacrifice dont Alceste est victime. Ne nous arrêtons pas sur une scène où le poète semble se plaire à abaisser le sympathique caractère d'Admète.

Poursuivi par les imprécations de son fils, Phérès part. Le roi et le chœur se retirent pour célébrer les funérailles.

Un esclave de la maison royale, chargé de servir Hercule, quitte l'appartement des hôtes ; il est péniblement impressionné de l'avidité et de la gaieté avec lesquelles l'étranger se livre à la boisson dans une demeure assombrie par le deuil. Il dit avec quelle contrainte ses camarades et lui, obéissent au roi qui leur a défendu de pleurer devant cet hôte. Ainsi le pauvre serviteur doit veiller au festin d'un étranger alors que la reine s'éloigne à jamais ; il ne peut la suivre, toucher sa main, en pleurant la maîtresse qui était la mère de ses serviteurs et qui savait calmer son époux quand le souverain était irrité contre eux.

Hercule rejoint l'esclave, et le blâme de montrer un visage soucieux à l'hôte de la maison. Paraissant surpris que l'étranger ne connaisse pas le motif de son chagrin, le serviteur le lui révèle ; et le héros se reproche d'avoir involontairement troublé la tristesse d'Admète. Il demande à l'esclave en quel lieu se trouve la sépulture d'Alceste, et se rend au tombeau de marbre qui a été consacré à la reine. C'est là qu'il guettera la Mort. Il luttera avec elle, pour qu'elle lui rende sa jeune et belle victime. S'il ne rencontre pis la sombre divinité, il cherchera aux enfers même, la compagne de cet hôte qui, pour lui, a fait violence à une amère douleur.

Quel n'est pas le désespoir d'Admète quand il revoit sa demeure ! Il a voulu se jeter dans la fosse où a été déposée sa compatie, et regrette d'en avoir été empêché. Quel contraste entre ce moment où il rentre seul dans son palais, et celui où il y conduisait pour la première fois sa compagne ! Alors les chants d'hyménée suivaient les époux ; maintenant les lamentations accompagnent le veuf. Admète envie le sort de sa femme. Morte avec gloire, elle ne traversera pas les cruelles épreuves de l'existence ; et lui, lui qui devait succomber, il commence une vie malheureuse. Il n'a pas la force de pénétrer dans sa maison. Cette demeure que remplit le souvenir d'Alceste et qui est vide d'elle, cette demeure où il sera accueilli par ses enfants demandant leur mère, par ses esclaves pleurant leur maîtresse, cette demeure le fera fuir.... Et où ira-t-il ? Se résignera-t-il à voir au dehors, les femmes thessaliennes, jeunes comme Alceste ? Quel aliment ses ennemis trouveront dans son malheur ! Ils l'accuseront d'avoir livré sa compagne à la mort pour y échapper lui-même.

Le chœur démontre au roi la puissance de la nécessité. Qu'il cesse de pleurer sur une morte que ses larmes ne ressusciteront pas ! Les vieillards célèbrent devant lui la gloire de sa femme. Que le tombeau d'Alceste reçoive des honneurs divins ; et que le voyageur s'y arrête en invoquant comme une déesse, l'épouse que son dévouement a immortalisée !

Hercule revient. Une femme voilée l'accompagne. Reprochant d'abord au roi de lui avoir caché la mort d'Alceste, le héros annonce que son courage va tenter un nouvel exploit chez les Thraces ; et pendant son absence, il confie à son hôte la femme qu'il amène et qui a été pour lui le prix d'une longue lutte. S'il ne revient pas, cette femme servira Admète. Le roi ne consent pas à recevoir sous son toit la captive d'Hercule. Il ne pourrait supporter la vue de cette femme. Où d'ailleurs pourrait-elle habiter ? Est-ce dans la demeure des hommes ? Elle risquerait d'y perdre son innocence. Est-ce dans le gynécée ? Admète ne s'exposera pas ainsi au blâme de ses concitoyens, et d'ailleurs il veut garder religieusement le souvenir de sa compagne. En considérant l'étrangère, il remarque combien par son attitude et par sa taille, elle ressemble à Alceste. Qu'elle s'éloigne ! Sa vue le blesse jusqu'aux larmes ! Il croit voir sa femme.... Jamais il n'a plus senti combien il était malheureux !

Hercule dit qu'il voudrait avoir la puissance de rendre Alceste à son mari, et celui-ci, tout en reconnaissant la sincérité de ce vœu, le regarde comme chimérique. Le héros essaye de raffermir Admète contre la douleur, et tente de lui faire espérer que le temps guérira cette blessure. Il émet jusqu'à la possibilité d'un nouvel hymen, et cette supposition révolte le roi, décidé à expirer plutôt que de trahir la morte.

Cependant Hercule insiste pour que son ami accueille l'étrangère. Admète s'y oppose encore. Vaincu enfin par les sollicitations du héros, il ordonne à regret que ses serviteurs conduisent cette femme au palais. Hercule exige que le roi lui-même la guide en la tenant par la main. Vivement agité, Admète reproche à son hôte la contrainte qu'il exerce sur lui. Hercule réitère sa demande. Le souverain frémissant d'horreur, prend la main de l'inconnue.

HERCULE.

La tiens-tu ?

ADMÈTE.

Je la tiens.

HERCULE.

Garde-la maintenant, et tu pourras dire que le fils de Jupiter est un hôte reconnaissant[84].

Et dévoilant l'étrangère, Hercule présente Alceste à son mari éperdu.

La jeune femme qui a vu éprouver la fidélité de son époux, ne répond que par son doux regard aux transports d'Admète. Immobile et silencieuse, elle ne pourra parler aux vivants qu'après avoir été purifiée de sa consécration aux divinités infernales.

Nous aimons à voir reparaître à la lumière l'épouse qui donna sa vie pour son époux, la mère qui ne souffrit de ce sacrifice qu'en pensant aux enfants dont elle n'abriterait pas la jeunesse, et qt.ie son trépas livrerait peut-être à des mains ennemies et brutales ; la femme enfin qui mourut avec résignation quand elle eut obtenu de son mari l'assurance qu'une étrangère ne prendrait pas sa place à son foyer.

Sous d'autres cieux, nous admirions cette Indienne, cette Sâvitrî, qui, après avoir essayé de racheter par une dure pénitence la vie de son époux, le disputa au dieu des morts et le reconquit par sa vertu[85]. En Grèce comme dans l'Inde, on crut que l'amour d'une femme pouvait dompter le trépas. Alceste qui incarna cette puissance en la payant de sa propre vie, Alceste nous a paru devoir clore la galerie athénienne de ces portraits féminins qu'ont dessinés Eschyle, Sophocle, Euripide, et où notre sexe, peint quelquefois avec de sombres couleurs, est le plus souvent éclairé par l'auréole de son dévouement.

 

 

 



[1] Les Troyennes, traduction de M. Artaud. A moins d'indication contraire, nos citations d'Euripide se réfèrent à cette traduction.

[2] Antiope, suivant Plutarque, Thésée.

[3] La scène se passe à Trézène, ville où Thésée avait dû s'exiler à le suite d'un meurtre.

[4] Hippolyte.

[5] Hippolyte.

[6] Hippolyte.

[7] Hippolyte.

[8] Une peinture d'Herculanum reproduit cette scène. (Museo Borbonico, vol. XI, tav. 2.)

[9] Phèdre tenant le lacet qui va terminer ses jours, est représentée sur une peinture de la villa de Munatia Procula. Raoul Rochette, Peintures antiques inédites.

[10] Patin, Études sur les tragiques grecs.

[11] Les Troyennes.

[12] La fatalité nouvelle de la passion, suivant l'expression de M. Patin, Études sur les tragiques grecs. Cf. M. Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique.

[13] Médée. Cf. M. Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique.

[14] C'est l'opinion de W. Schlegel, appuyée par M. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[15] Médée.

[16] Médée.

[17] Cf. M. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[18] Médée. Cf. M. Saint-Marc Girardin, Cours de littérature dramatique.

[19] Euripide modifie la généalogie des races helléniques. Voir le tome précédent, ch. III.

[20] Patin, Études sur les tragiques grecs.

[21] Andromaque.

[22] Andromaque.

[23] M. Patin fait remarquer par quel trait de génie Euripide montre Andromaque invoquant le secours de son premier mari, pendant, qu'elle tremble pour l'enfant qui doit le jour à un nouvel et odieux hymen. Études sur les tragiques grecs.

[24] Andromaque.

[25] Opinion de Hardion, citée par M. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[26] Le même que Néoptolème.

[27] Nous ne plaçons pas ici les Bacchantes, qui nous ont occupée quand nous décrivions les Bacchanales, et dont les caractères individuels disparaissent sous l'unique influence du délire orgiastique.

[28] Hécube.

[29] Hécube.

[30] Hécube.

[31] Hécube.

[32] Hécube.

[33] Hécube.

[34] Cf. M. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[35] Hécube.

[36] Hécube.

[37] Iphigénie à Aulis.

[38] Iphigénie à Aulis.

[39] Iphigénie à Aulis.

[40] Iphigénie à Aulis.

[41] Iphigénie à Aulis.

[42] Iphigénie à Aulis.

[43] Iphigénie à Aulis.

[44] Iphigénie à Aulis.

[45] Iphigénie à Aulis.

[46] A la galerie de Florence. M. Raoul Rochette fait remarquer que ce n'est plus la victime craintive dont Fuient Eschyle et Lucrèce, et qui est représentée sur le vase de Médicis, sur les urnes étrusques, et, ajouterons-nous, sur une peinture de Pompéi également reproduite par le savant archéologue. Le bas-relief que nous citons, traduit exactement la scène décrite par Euripide ; et, comme dans le célèbre tableau de Timanthe, on y voit même Agamemnon se voilant le visage. (Raoul Rochette, Monuments inédits d'antiquité figurée, pl. XXVI, 1.)

[47] La substitution de la biche à Iphigénie est reproduite, sans doute d'après une ancienne peinture, sur un vase grec de la Basilicale, où la fille d'Agamemnon, les yeux baissés, attend la mort avec une résignation qui n'est pas exempte de crainte. Suivant M. Raoul Rochette, c'est la première fois que ce sujet se présente sur les vases peints. (Raoul Rochette, Monuments inédits d'antiquité figurée, pl. XXVI, 13 ; de Witte, Catalogue Durand, n° 381.)

[48] Voir dans l'ouvrage de M. Patin, Études sur les tragiques grecs, des comparaisons aussi intéressantes que délicates entre l'Antigone de Sophocle et l'Iphigénie d'Euripide, et aussi entre cette dernière héroïne et Polyxène.

[49] Dans notre précédent ouvrage : La Femme biblique.

[50] Cf. M. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[51] Lycurgue, Contre Léocrate. Une partie de ce fragment se trouve aussi dans Plutarque, De l'exil.

[52] Fragment d'Érechthée, traduit par M. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[53] Cf. Lycurgue, Contre Léocrate.

[54] Un vase peint, de pur style grec, retrace le moment où Iphigénie assise, et s'appuyant du bras gauche sur le sceptre hiératique, reçoit les deux étrangers dont les mains sont liées. C'est dans cette attitude, en effet, qu'Euripide les représente lorsqu'ils paraissent devant la prêtresse ; mais celle-ci fait promptement tomber les chaînes que ne doivent plus porter les victimes de Diane après leur consécration. Pour la représentation de cette scène, voir Raoul Rochette, Monuments d'antiquité figurée, pl. XLI.

[55] Iphigénie en Tauride.

[56] Il n'en est pas ainsi dans l'Électre du même poète, tragédie dont l'héroïne a été comparée par nous à l'Électre d'Eschyle et à celle de Sophocle.

[57] Patin, Études sur les tragiques grecs.

[58] Patin, Études sur les tragiques grecs.

[59] Oreste.

[60] Oreste.

[61] Cf. M. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[62] Hercule furieux.

[63] Hercule furieux.

[64] Hercule furieux.

[65] Hercule furieux.

[66] Les Héraclides.

[67] En faisant prononcer au roi ces paroles que M. Artaud attribue au chœur des vieillards athéniens, nous suivons l'opinion de M. Patin.

[68] Dans la tragédie des Phéniciennes, ainsi nommée à cause des jeunes Phéniciennes qui en composent le chœur.

[69] Cf. M. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[70] Nous avons mentionné plus haut le sacerdoce des reines de l'Attique. Voir le tome précédent.

[71] Les Suppliantes.

[72] Diogène de Laërte, liv. I. ch. I, Thalès.

[73] A la fin de la tragédie, les fils des sept chefs apportent à leurs aïeules les urnes cinéraires de leurs pères.

[74] Les Suppliantes.

[75] Dans notre livre, La Femme dans l'Inde antique.

[76] Ville de Thessalie.

[77] Traduction de M. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[78] Patin, Études sur les tragiques grecs.

[79] Alceste.

[80] Le même sentiment de fierté se trouve dans les adieux de Macarie à ses frères. Patin, Études sur les tragiques grecs.

[81] Alceste.

[82] Alceste.

[83] Alceste.

[84] Alceste.

[85] La Femme dans l'Inde antique.