LA FEMME BIBLIQUE

 

LIVRE QUATRIÈME. — LA FEMME DEVANT L'HISTOIRE

CHAPITRE DEUXIÈME. — ÉPOQUE NATIONALE.

 

 

Miriam. — La fille de Ramsès-Meïamoun. — Jocabed. — Tharbis, princesse d'Éthiopie. — Les filles du cheikh de Midian. — Les femmes célèbrent le passage de la mer Rouge. — La Couschite. — Les filles de Moab et de Midian. — Rahab. — Lanière de Nicha. — Les vierges de Silo. — Débora et Jahel. — La vengeresse de Thèbes. — Influence des femmes sur Samson. — Anne, mère de Samuel. — La veuve de Phinées. — Jeunes filles de Rama montrant Samuel à Saül. — Nichai. — Les femmes d'Israël exaltent la première victoire de David. Impression que produisent sur Saül leurs chants de triomphe. — Abigaïl. — La pythonisse d'Endor. — Bethsabée. — La messagère de Joab. — La fille des Pharaons sur le trône d'Israël. — Une reine de l'Yémen. — Les femmes du harem royal. — La première reine des dix tribus. — La régente Maacha. — Jézabel. — La veuve de Sarepta. — La femme de Sunem. — Deux mères à Samarie. — Athalie. — La mollesse et le luxe des femmes hébraïques leur attirent les sombres avertissements d'Amos et d'Isaïe. — Judith. — La prophétesse Holda. — Femmes de Juda menacées par Jérémie. — Yasthi et Esther, épouses de Xerxès, roi de Perse. — Les femmes étrangères. — La mère des Maccabées.

 

Sur les bords du Nil, une jeune fille semblait attendre. Son regard était attaché sur les roseaux du fleuve. Au sein de cette végétation aquatique flottait un berceau de papyrus.

Un groupe de baigneuses descendit vers le Nil. Ce groupe se composait d'une jeune femme, de ses suivantes.

Le berceau de papyrus attira l'attention de la maîtresse. A son ordre, une esclave le lui apporta. La jeune femme l'ouvrit ; et un bel enfant de trois mois, pleurant et criant, lui apparut.

Elle s'attendrit. Jeune fille, cédait-elle à cette impression par laquelle toute vierge, à la vue d'un enfant, sent palpiter en elle un cœur de mère ? Épouse, ravivait-elle, devant la frêle créature, les souffrances de sa stérilité ? Son émotion trahissait-elle un pressentiment ou un regret ?

Elle regardait l'enfant, et disait :

Il est des enfants des Hébreux, celui-ci[1].

Cette jeune femme était la fille du roi d'Égypte, Ramsès-Meïamoun, le Sésostris des Grecs[2]. Elle avait appris que l'homme vaillant à qui elle devait sa naissance, redoutant la famille même de ce Joseph que les Egyptiens avaient salué comme un sauveur, avait été entraîné par la crainte, à une barbarie étrangère à sa grande âme.

Ramsès se souvenait, que c'était au temps des rois pasteurs que les enfants de Jacob s'étaient établis sur la terre de Gessen. Il savait quelle affinité de race, quelle homogénéité de coutumes, unissaient les anciens tyrans de l'Egypte aux hôtes israélites de cette contrée. Et, prévoyant qu'une nouvelle invasion des hordes asiatiques pourrait être favorisée par une révolte des nombreux habitants de Gessen, il voulut affaiblir, annihiler même, le caractère profondément accentué des tribus sémitiques, étouffer en elles les aspirations de liberté auxquelles les livrait l'indépendance du régime patriarcal. Pour parvenir à son but, il les courba sous le joug d'un écrasant labeur. Le travail libre, manifestant la puissance de la volonté de l'homme sur ses forces, lui donne la mesure de sa valeur. Le travail forcé, le privant de ses droits sur ses facultés mêmes, lui enlève le sentiment de sa dignité.

Les Hébreux, ces cheikhs qui, dédaignant l'art de bâtir, régnaient dans leurs tentes nomades et dans les prairies où broutaient leurs troupeaux, les Hébreux durent contribuer, sous la surveillance de chefs de corvée, à ériger ces immenses constructions qui, de nos jours, racontent l'histoire des oppresseurs d'Israël.

Deux places fortes furent élevées par les Hébreux : Pithom et Ramsès. C'est sous les doubles pylônes royaux de cette dernière ville, que le poète égyptien Pen-ta-our fait entrer, au moment même où commence notre récit, Ramsès-Meïamoun, vainqueur des Chétas[3].

Ramsès avait réussi à dégrader moralement les Hébreux ; mais leur nombre allait sans cesse se multipliant, et une prophétie sacerdotale apprit au roi que, parmi eux, naîtrait un homme qui leur insufflerait l'esprit national, et les vengerait de leurs oppresseurs.

Ramsès ordonna la mort de tous les enfants mâles qui désormais viendraient au monde en Israël.

C'est pourquoi la fille de Ramsès dit avec pitié en recueillant un enfant abandonné au milieu des roseaux du Nil

Il est des enfants des Hébreux, celui-ci.

Toutes les prévoyantes sollicitudes de la mère s'éveillèrent dans l'âme de la princesse. Elle voulut faire allaiter le petit garçon, mais aucune nourrice égyptienne ne fut accueillie de lui.

La jeune personne qui, avant l'arrivée de la princesse, semblait veiller sur le berceau flottant, s'approcha de la fille de Ramsès.

Dois-je aller t'appeler une nourrice des femmes des Hébreux pour qu'elle te nourrisse l'enfant ?[4] lui dit-elle.

Va[5], répondit la princesse.

La jeune fille s'éloigna. A son appel, une Israélite parut.

Prends cet enfant, dit la princesse à cette dernière, nourris-le moi, je te donnerai ton salaire[6].

La nourrice hébraïque s'approcha de l'enfant, et celui-ci aspira le lait qu'elle lui offrait : il s'était senti sur le sein maternel !

Personne n'avait soupçonné que la jeune messagère de la princesse fût Miriam, sœur de -l'enfant arraché aux ondes ; ni que la nourrice qu'elle avait amenée fût Jocabed, leur mère à tous deux..

C'était Jocabed qui, après avoir dérobé pendant trois mois le nouveau-né à la mort, l'avait confié, sur le fleuve, à la Providence de Dieu.

 

Trois ans après cette scène, l'enfant qui avait sans doute sucé avec le lait maternel la première notion de l'Être suprême, l'enfant fut rapporté par Jocabed à la princesse, et celle-ci fut irrésistiblement attirée à lui. Il avait ce charme ineffable du jeune âge, ce charme qui, s'insinuant dans notre cœur, y fait pénétrer les plus pures, les plus douces, et aussi les plus austères émotions. Nous aimons l'enfant, parce que son âme, toute fraiche éclose sous les mains du Créateur, encore réfléchi aucune de nos misères, et qu'elle ignore tout, tout, excepté l'amour ! Nous aimons l'enfant, parce qu'il est faible, et qu'il a besoin de notre appui pour-résister au premier souffle qui le ramènerait vers sa divine patrie. Nous aimons l'enfant, parce que, espérance incarnée et vivante, il sera l'un des combattants et peut-être fun des triomphateurs de l'avenir ! La princesse céda à l'entraînement de son cœur. Elle appela son protégé son enfant. Elle ne lui avait pas, il est vrai, donné la vie, mais elle la lui avait sauvée, et c'était là encore une maternité !

La fille de Ramsès, perpétuant le souvenir du jour où elle avait recueilli le rejeton d'une race proscrite, nomma celui-ci Moïse, sauvé des eaux.

Avec cette liberté dont jouissaient les Egyptiennes, ces femmes associées aussi bien aux honneurs du trône qu'à l'autorité du foyer domestique, la princesse, tenant son fils dans ses bras, vint à son père, et déposa sur le sein du roi le doux présent du Nil[7].

Ramsès était jeune encore, et dans le premier éclat de cette gloire dont l'avaient couvert ses expéditions contre les Éthiopiens et les Chétas.

Nous avons sous les yeux le sphinx qui représente les traits du conquérant[8]. La tête, belle et imposante, empreinte d'un caractère d'intelligence, de franchise, de fermeté, de douceur, a une majesté et une grâce toutes royales. On aime à se figurer ainsi Ramsès-Meïamoun, quand, recevant dans ses bras l'enfant de ses victimes, il l'attira à lui, et le serra sur son cœur.

Dans l'un de ces épanchements familiers auxquels les Pharaons aimaient à se livrer avec leurs enfants, Ramsès essaya son diadème au front de Moïse. Mais celui-ci, avec la pétulance de son âge, rejeta cette couronne, et la foula aux pieds.

Le prêtre qui avait prédit que, parmi les descendants de Jacob, un enfant naîtrait pour la gloire d'Israël et la honte de l'Égypte, ce prêtre était là... Devant le geste dédaigneux du fils adoptif de la princesse, ce prêtre, appliquant à Moïse sa prophétie, excita Ramsès à faire périr le jeune Hébreu. Mais la princesse, effrayée, reprenant son enfant, s'éloigna avec lui, sans que le roi eût même la pensée d'entraver ce mouvement instinctif.

Cédant aux nécessités de sa politique, Ramsès pouvait dicter une sentence de mort contre des innocents qui lui étaient inconnus ; mais eût-il souffert l'immolation de l'enfant adoptif de sa fille, cet enfant qui, jouant sur ses genoux, avait reçu ses caresses ?

La princesse dirigea l'éducation de Moïse. Ce fut par elle qu'introduit au collège sacré d'Héliopolis, il s'initia aux sciences dont la caste sacerdotale gardait le dépôt.

Nous ne rappellerons pas ici la double influence qu'exercèrent sur le législateur des Hébreux, les croyances religieuses qu'il dut à Jocabed, et les idées philosophiques que lui fit inculquer la fille de Ramsès. Moïse devint un homme de pensée et d'action. Il pouvait servir une cause, et de son âme, et de son bris.

L'Égypte était alors envahie par les armées éthiopiennes. Les pyramides de Memphis, le sphinx colossal qui se détache de la chaîne Lybique, les avaient vues passer, et elles s'avançaient jusques aux bords de la mer.

Cependant une voix mystérieuse annonçait qu'un Hébreu seul sauverait l'Égypte. L'attention de Ramsès se porta sur le fils adoptif de sa fille, et le roi pria la princesse de lui donner en Moïse le général de son armée.

La princesse céda son fils à sa patrie. Toutefois. craignant plus pour Moïse la trahison de la nation qu'il allait défendre, que la résistance des peuplades qu'il allait attaquer, elle fit jurer à son père que son fils ne courrait d'autres dangers que ceux des combats.

Alors, convaincue qu'en arrachant Moïse à la mort, elle avait préservé en lui la dernière espérance de son pays, elle eut un indicible mouvement de fierté. S'adressant aux prêtres, elle leur rappela sévèrement le temps où ils voulaient faire périr comme un ennemi de l'Égypte, celui qui était destiné à venger leur patrie.

C'est la dernière apparition de la fille de Ramsès dans les traditions juives.

Un attrait mystérieux enveloppe cette princesse dont la Bible ne nous a même pas conservé le nom[9]. Devant l'ascendant qu'elle exerça sur Ramsès, au début même du règne de celui-ci, nous nous rappelons involontairement Athyrte, cette fille de Sésostris, qui, selon Diodore de Sicile[10], inspira à son père le dessein de faire de l'Égypte la reine du monde, et lui donna des moyens de réaliser ce plan que le Pharaon n'exécuta qu'en partie. Nous aimerions à identifier l'héroïne de Diodore, cette femme qui unissait à l'enthousiasme de l'imagination la fermeté du caractère, nous aimerions à identifier l'héroïne de Diodore avec celle de la Bible. Nous retrouvons dans la seconde ce généreux élan, cette persévérance dans le bien, cette noble et fière attitude, que l'historien grec attribue à la première. Nous découvrons de plus, dans la mère adoptive de Moïse, la sensibilité féminine qui accompagne si bien le courage viril.

En fondant en une seule individualité les éléments de ces deux portraits, on obtiendrait une des ligures les plus' imposantes qui aient plané sur les temps historiques. La même femme qui avait tenté d'asservir le monde ancien à la domination égyptienne, aurait, en sauvant, en élevant le fondateur de la nation de Jehova, préparé le règne de la vérité sur l'humanité nouvelle. Est-ce ainsi que devait se réaliser ce rêve de conquête universelle, que caressa la fille de Sésostris ?

L'étude des monuments égyptiens permettra-t-elle un jour de reconstituer sur cette base le type de la mère de Moïse ? Ne parviendra-t-on pas du même coup à distinguer sa figure parmi les portraits des filles de Ramsès-Meïamoun, sur le bas-relief de la salle hypostyle du Ramesseum, ou sur la façade de ce spéos d'Ibsamboul qui fut dédié à Hâthor, la Vénus égyptienne, par la reine Tmaoumen-Nofré-Ari, première femme de Sésostris[11] ?

 

Cependant Moïse, refoulant les Éthiopiens, reportait le foyer de la guerre dans leur propre pays.

Assiégeant la ville de Saba que rendait imprenable sa situation entre trois fleuves, il souffrait impatiemment les longueurs de cette campagne, lorsque, pendant une attaque où il déployait toute sa valeur, Tharbis, fille du roi d'Éthiopie, l'aperçut du haut des murailles.

Guerrier ou martyr, celui qui se dispose à sacrifier sa vie à la cause qu'il défend, se transfigure sous l'action de ce que la nature humaine offre de plus divin : l'abnégation, le dévouement ! Et, détaché de la matière qu'il méprise, absorbé par l'idée à laquelle il s'immole, il semble déjà participer à l'existence des purs esprits, et se couronner des premiers rayons de l'immortalité.

Tharbis devait particulièrement être captivée par l'attrait magnétique de la valeur guerrière. Les femmes d'Éthiopie frémissaient elles-mêmes du souffle belliqueux qui animait leur race. Elles connaissaient les sévères émotions de la bataille ; et les pylônes des pyramides d'Assour et ceux du temple de l'Ouest à Naga[12], rappellent, aujourd'hui encore, que ces femmes ressentirent les joies orgueilleuses de la victoire.

Tharbis aima le jeune chef ennemi et lui fit exprimer son désir de s'unir à lui. La reddition de la place assiégée, telle fut la condition à laquelle le général de l'armée égyptienne accepta la main qui se tendait vers lui.

La princesse éthiopienne épousa l'enfant d'Israël. Triomphant, Moïse ramena en Égypte les troupes de Ramsès.

 

Pendant que, dans le palais de sa mère adoptive, Moïse jouissait de sa gloire naissante, il voyait ses frères courbés sous le joug de ce roi qu'il avait défendu.

Un jour, devant un Égyptien qui frappait un Israélite, il sentit bouillonner en lui le sang généreux et ardent du Sémite : pour sauver et venger la victime, il tua l'agresseur.

Ramsès apprit ce meurtre et voulut en châtier l'auteur. Il se résolut à frapper de mort le fils de sa fille.

Mais déjà celui-ci, rompant volontairement les liens de son brillant esclavage, foulait les sables du désert.

Il était parvenu au fond de l'Arabie, dans cette région qu'habitaient les Midianites, descendants du quatrième fils d'Abraham et de Cetura. Il se reposait près d'un puits, quand les sept filles du cheikh de Midian[13], venant chercher de l'eau pour désaltérer le troupeau de leur père, furent brutalement repoussées par des bergers.

Moïse, élevé parmi ces Égyptiens qui entouraient la femme d'un culte respectueux, Moïse, qui ne pouvait voir l'humiliation et le, souffrance de l'opprimé sans s'indigner contre l'Oppresseur, Moïse s'était levé. Il chassait les lâches qui ne s'étaient sentis forts que devant la faiblesse de quelques jeunes filles, et abreuvait lui-même le troupeau que conduisaient ses protégées.

Grâce à la courtoise intervention de l'étranger, les filles du cheikh revinrent plus tôt que de coutume auprès de leur père.

Pourquoi avez-vous aujourd'hui hâté votre retour ? leur demanda Jethro.

Un homme égyptien nous a sauvées de la violence des bergers, répondirent-elles ; il nous a puisé aussi de l'eau, et a fait boire le troupeau.

Où est-il ? Pourquoi avez-vous quitté cet homme ? Appelez-le, qu'il mange notre pain[14].

Moïse demeura dans la famille du cheikh, et celui-ci lui fit épouser Séphora, l'une des jeunes filles qu'il avait protégées.

L'enfant d'Israël retrouvait, chez les Midianites, la vie pastorale et nomade des patriarches. Il l'adopta, et se compléta par elle.

Il avait dû à ses études spéculatives la hauteur de son intelligence ; à ses expéditions militaires, l'affermissement de son courage ; à ses habitudes de cour, l'expérience des hommes et des choses. Le recueillement du désert épura ses instincts, agrandit sa pensée ; et quand Celui qui est lui ordonna de délivrer ses frères, de les guider vers la terre où reposaient Abraham, Isaac et Jacob, il était digne, malgré ses angoisses, malgré ses défaillances, d'être le mandataire de l'Éternel, le fondateur de la nation de Jehova.

Accompagné de sa femme, des deux fils qu'elle lui avait donnés, Moïse se dirigea vers l'Égypte.

Aaron, son frère, vint au-devant de lui dans le désert[15]. Selon une tradition talmudique, il dit à Moïse en lui désignant Séphora et ses enfants :

A qui sont ceux-ci ?

Celle-ci est ma femme que j'ai prise dans le Midian ; ceux-ci sont mes fils, répondit Moïse.

Où les mènes-tu ?

En Égypte[16].

Aaron, rappelant à Moïse l'affliction que leur causait le malheur de leurs frères, lui reprocha de venir augmenter le nombre de ceux pour lesquels ils souffraient tous deux.

C'était là une parole qui trahissait la douleur du proscrit et la pitié de l'homme. Moïse comprit son frère. Il ne voulut pas exposer aux miasmes énervants de l'esclavage la libre existence des enfants du désert. Sacrifiant ses joies domestiques à la tranquillité de ceux auxquels il les devait, il renvoya sa femme et ses fils sous la tente de Jethro.

Moïse et Aaron arrivèrent ensemble sur la terre des Pharaons.

Ramsès était mort. Son fils Ménephtah lui avait succédé. Le sphinx de ce dernier[17] est la révélation même de son caractère. Au premier abord, on croit lire sur son visage une souriante bonhomie ; mais en le considérant avec quelque attention, l'on ne tarde pas à y découvrir une expression de duplicité qui contraste avec le grand air de loyauté que respire la physionomie de Sésostris. C'est bien là ce Pharaon égoïste et trompeur contre lequel eut à lutter le libérateur d'Israël.

Au nom de l'Éternel, Moïse et Aaron prièrent le roi de permettre que les Hébreux allassent, dans le désert, sacrifier à leur Dieu. Ménephtah résista. Mais la main de Jehova s'appesantit sur les oppresseurs de son peuple ; et de même que le vautour blessé, affaibli, lâche la proie qu'étreignait sa serre, l'Égypte, saignant encore des plaies que lui avait infligées la colère divine, laissa s'échapper ses captifs.

Les descendants de Jacob s'avançaient vers la mer Souph[18]. Du sein d'une colonne, nuageuse le jour, flamboyante la nuit, Jehova dirigeait Israël.

Les Hébreux étaient campés près de Pi-Hahirôth. Ils levèrent les yeux, jetant un dernier regard sur la terre qu'ils allaient quitter. Ils levèrent les yeux et frémirent. Six cents chars de guerre couraient sur eux. Ménephtah avait appris que l'excursion de ses esclaves n'était que le prétexte de leur fuite. Et lui-même s'était élancé sur leurs traces, entouré de ses archers.

Resserrés entre la mer, les montagnes et l'armée égyptienne, les Hébreux se livraient à un sombre désespoir qu'irritaient encore les larmes de leurs femmes, de leurs enfants[19] ; et tournaient leur colère, non contre leur tyran, mais contre leur libérateur. Moïse invoquait l'Éternel.

Les Égyptiens approchaient toujours. Ils allaient atteindre les fugitifs..... Soudain ils ne les virent plus...... La colonne de nuée, se plaçant derrière les Israélites, dérobait ceux-ci au regard de leurs ennemis.

La nuit s'avança. Le phare divin s'illumina. Selon l'ordre de Jehova, Moïse étendit. la main sur la mer. Un vent violent souffla de l'est. Les eaux se séparèrent. Le lit de la mer apparut et les Hébreux le traversèrent à sec, entre deux murs liquides. Les archers du Pharaon s'élancèrent sur cette route nouvelle.....

Les Égyptiens étaient au milieu de la mer Dieu enleva les roues de leurs chars. Ils eurent peur, ils voulurent fuir, regagner le rivage..... Moïse étendait la main sur l'abîme.

La terre trembla ; la nuit devint noire ; les éclairs déchiraient par intervalles les ténèbres épaisses[20] ; et pendant que la foudre grondait, les eaux mugissantes reprenaient possession de leur lit ; et la mer Souph, la mer des algues, ensevelissait à jamais ces Égyptiens qui, croyant que leurs cadavres momifiés auraient la durée de leurs monuments, s'étaient préparé leurs demeures éternelles dans la vaste nécropole de Memphis.

 

Quand se lève le jour, les Hébreux sont sauvés. Entendons-nous le cri de reconnaissance que laissent échapper six cent mille poitrines d'hommes, ces poitrines qui, pour la première fois, aspirent le souffle de la liberté ! Entendons-nous ce chœur célébrer dans le salut d'Israël la victoire de Jehova :

Je chante à l'Éternel, car il a glorieusement triomphé : le coursier et son cavalier, il les a précipités dans la mer.

Ma victoire, mon chant, c'est Iâh[21] ; c'est lui qui fut mon secours. Il est mon Dieu, je veux le glorifier, le Dieu de mon père, je veux l'exalter !

..... Éternel est son nom[22].

Et le chant poursuit son cours impétueux, solennel.....

Mais quel est ce chœur, plus doux, mais non moins enthousiaste, qui répond au premier ?..... Miriam, sœur de Moïse, Miriam la prophétesse, Miriam et toutes les femmes d'Israël qu'entraine son élan, frappant leurs cymbales, cadençant leurs pas, rappellent à leurs pères, leurs frères, leurs époux, la première strophe de l'hymne d'actions de grâces :

Chantez à l'Éternel ; il a glorieusement triomphé ; le cheval, le cavalier, il les a précipités dans la mer.

 

Cette explosion de foi et de patriotisme n'était que le résultat d'une surexcitation fébrile et passagère. Le long asservissement des Israélites avait émoussé en eux cette force virile qui permet à un peuple de soutenir les austères émotions de l'indépendance. Devant les obstacles que leur opposait la stérile nature du désert, ils employaient ce qui leur restait d'énergie, non à résister aux difficultés de la route, mais à se révolter contre leur guide, contre Moïse.

Il était des heures où ce dernier semblait près de se décourager. Son Dieu se constituait le soutien, le nourricier, le législateur des Hébreux ; il leur donnait une patrie, il se donnait-lui-même à eux ; et ces hommes au cou dur chancelaient, regrettaient le pain de l'oppresseur ; et, au pied même du Sinaï, adoraient un Apis à la fonte duquel avaient servi les bijoux des filles de Jehova !

D'autres douleurs étaient réservées à Moïse. Si le peuple doutait de sa mission, sa famille, qui la comprenait, en était jalouse.

Miriam, elle aussi, se sentait animée du souffle de l'esprit divin. C'est même en elle, nous l'avons vu, que l'on reconnut pour la première fois directement le don du prophétisme. Et nous avons entendu Michée lui attribuer un rôle dans l'affranchissement des Hébreux.

Sœur aînée d'Aaron et de Moïse, Miriam se croyait l'égale du sauveur d'Israël.

C'était à Hacérôth. Courroucée du mariage de Moïse avec une Couschite, Miriam trahit dans un entretien qu'elle eut avec Aaron ses ambitieuses aspirations,

Miriam et Aaron dirent :

Est-ce que c'est avec Moïse seul que l'Eternel a parlé ? n'est-ce pas aussi avec nous qu'il a parlé ?[23]

Ce cri d'orgueil monta vers le ciel. Dieu réunit au tabernacle Moïse, Aaron, Miriam. Il parut à l'entrée de la tente, et appela les deux coupables. Ceux-ci vinrent à lui. Moïse demeura dans le sanctuaire.

Alors l'Éternel, enlevant à Miriam et à Aaron les illusions qui les ont égarés, leur fait comprendre quelle différence existe entre les inspirations qu'il leur envoie et les révélations qu'il confie à Moïse. Que, dans leurs songes, la Yérité suprême se laisse entrevoir à eux, soit ! Mais ce n'est pas au milieu des troublantes impressions d'un rêve qu'elle apparaît à Moïse, c'est dans toute sa réalité.

Miriam pâlit..... Aaron se tourna vers elle..... Elle était lépreuse.

Dans des paroles pleines d'angoisses, Aaron en appela à la générosité de Moïse. Celui-ci, oubliant l'offense de Miriam et ne pensant qu'à ses souffrances, la crut suffisamment châtiée. Le cri de détresse qu'il jeta au ciel témoigne de son affection pour cette sœur qui avait veillé sur son berceau, et partagé les périls de son œuvre d'affranchissement.

Oh Dieu ! guéris-la maintenant ![24]

Pendant sept jours Miriam fut retranchée du camp. Le peuple attendit pour partir qu'il pût de nouveau recueillir la prophétesse dans son sein.

Quelle était cette étrangère, cette Couschite dont le mariage avec Moïse avait provoqué la faute de Miriam ? Était-ce Tharbis, la princesse d'Éthiopie ? Était-ce Séphora, fille de ces Midianites qui, peut-être, avaient mêlé dans leurs veines le sang de Cham à celui de Sem ? Alors, il est vrai, Séphora était revenue auprès de son époux, conduite par son père, accompagnée de ses enfants. C'était au pied du Sinaï, non loin de la demeure de Jethro, que la fille du désert avait rejoint les Israélites délivrés de l'oppression égyptienne. Mais depuis longtemps, Tharbis et Séphora s'étaient alliées à Moïse, et une récente union pouvait seule amener une explosion de colère semblable à celle qui agita Miriam.

Ce fut sans doute pendant le séjour des Hébreux dans le désert que Moïse contracta ce mariage antinational.

 

De Hacérôth les Israélites entrèrent dans le désert de Pharân. Ils arrivèrent à Kadès, près de la mer Morte.

Enfin ils approchaient du terme de leur pèlerinage. Leur patrie était devant eux, belle, fertile, habitée, il est vrai, par des hommes redoutables. Mais que devaient importer les périls au peuple de Jehova ! Aux yeux de ceux qui étaient assurés de l'appui de Dieu, cette patrie qu'il leur fallait conquérir devait être doublement attrayante, et par ses charmes, et par ses dangers. Sans doute les Israélites allaient marcher en avant, et saluer avec une émotion solennelle cette terre où ils combattraient, vaincraient, et acquerraient les droits du citoyen ?... Non. Ils eurent peur ! peur pour leurs femmes, peur pour leurs enfants, qu'ils ne savaient pas défendre ; et, au seuil du pays que leur montrait le doigt de Dieu, ils reculèrent, éperdus ; et voulurent aller reprendre en Egypte les chaînes de leur esclavage.

Cette génération, inerte et lâche, n'était pas capable d'accomplir les desseins de l'Éternel. Dieu déclara qu'à l'exception de Caleb et de Josué, tout homme âgé de plus de vingt ans à la sortie d'Égypte mourrait dans le désert où pendant trente-huit années encore Israël fut condamné à errer. Il fallait tout ce temps à Moïse pour élever dans la crainte de Dieu et l'amour de la patrie une génération nouvelle qui sût donner des hommes libres à la cause de Jehova.

 

Pendant ces trente-huit années, Miriam suivit les Hébreux.

Avait-elle, elle aussi, à expier un doute, une défaillance ? ou n'avait-elle pas été assez punie de sa rébellion contre Moïse ? La prophétesse ne vit pas se rétablir en Canaan l'idée de la Justice éternelle, cette idée à l'intelligence de laquelle elle avait contribué. Elle fut frappée par ce Dieu vengeur qu'elle avait exalté. Elle mourut à Kadès[25]. (Premier mois de l'an 1456 avant Jésus-Christ.)

Expirer à l'heure où la cause qu'elle avait soutenue allait triompher, c'était le plus âpre châtiment qui pût être réservé à cette nature exaltée et fière, qui eut et la conscience et l'orgueil de sa mission.

 

Moïse et Aaron eux-mêmes ne tardèrent pas à souffrir des angoisses de l'incertitude. Ils avaient compté sur la courageuse confiance de cette jeune génération qu'ils avaient élevée, et quand ils virent celle-ci se révolter contre eux, ils doutèrent de tout, même de la Providence.

De même qu'à l'ancienne génération, Dieu leur interdit la jouissance d'un avenir dont ils avaient osé désespérer.

Aaron tomba le premier. Seul des trois libérateurs d'Israël, Moïse continua de diriger les descendants de Jacob vers le pays de Canaan.

L'heure des luttes guerrières approchait. Moïse ne voulait pas s'emparer des pays situés sur la rive orientale du Jourdain. Mais les Amorrhéens ayant cherché à entraver la marche d'Israël, ils furent massacrés avec leurs femmes, leurs enfants, par le peuple hébreu qui fit de leurs deux royaumes, Hesbon et Basan, ses premières conquêtes.

Témoins de la chute de leurs voisins, les Moabites et les Midianites craignirent pour leurs propres domaines l'invasion des Israélites ; et n'osant attaquer ceux-ci par les armes, ils essayèrent d'attirer sur eux les ma-édictions du ciel. Mais en vain appelèrent-ils à leur secours le devin Balaam, celui-ci ne put que bénir, avec un enthousiasme prophétique, le peuple contre lequel il devait lancer l'anathème.

Balaam comprit que ce qui l'avait lui-même subjugué à Israël, c'était cette force morale que les Hébreux de la nouvelle génération savaient, malgré leurs égarements, retremper dans leur croyance aux promesses divines. Il comprit aussi que, pour les perdre, il fallait leur enlever et cette fermeté d'âme, et cette foi religieuse, qui les rendaient invincibles. D'après ses conseils, les Moabites et les Midianites essayèrent d'attirer par leurs filles le peuple de Jehova à Baal-Phéor, leur impure déité.

Ils y réussirent.

Une plaie frappa les Hébreux. Au moment où, entourant Moïse, ils pleuraient devant Dieu, ils virent Zimri, un des Nasis de la tribu de Siméon, introduire dans leur camp une princesse midianite, Cozbi, fille de Tsour, chef des peuples. Indigné de cet outrage à la majesté d'un Dieu Courroucé, au repentir d'un peuple en deuil, un petit-fils d'Aaron, Phinées, frappa de sa lance les deux coupables.

Le fléau cessa.

 

Les Midianites se disposaient à venger leur jeune sœur. Moïse prévint l'exécution de leurs desseins, et douze mille Israélites commandés par Phinées, le meurtrier de Cozbi, les attaquèrent.

Quand les Hébreux revinrent de cette expédition, ils avaient exterminé la population mâle de Midian, et ils amenaient avec eux les veuves et les orphelins de leurs victimes.

A la vue de ces femmes qui avaient provoqué la démoralisation et le châtiment des Israélites, Moïse, reprochant violemment aux vainqueurs de les avoir épargnées, ordonna qu'elles fussent tuées ainsi que leurs enfants mâles.

Il laissa la vie aux vierges.

Ses lois n'accordaient pas la même faveur aux jeunes filles cananéennes.

Ah ! il fallait que Moïse, naguère le protecteur des opprimés, le défenseur des filles de Jethro, il fallait que Moïse eût bien souffert des infidélités d'Israël, il fallait qu'il en redoutât bien le retour, pour qu'il pût immoler aux cruelles exigences de son plan religieux et politique ces êtres à qui leur faiblesse même sert de sauvegarde : la femme, l'enfant !

 

Moïse vit approcher le moment où il rejoindrait Miriam et Aaron. En vain avait-il supplié l'Éternel de lui permettre de passer le Jourdain, de contempler le bon pays qui s'étendait sur la rive occidentale du fleuve, et le Liban, la montagne de neige qui, au nord, ceignait la Terre de promission. Il allait mourir !

Il rappela aux Israélites ce que Jehova avait fait pour eux, ce que Jehova attendait d'eux. Domptant par la terreur leurs instincts de rébellion, il énuméra avec brièveté les récompenses que leur mériterait leur fidélité à la loi, et s'étendit longuement sur les châtiments que leur attirerait leur désobéissance à la parole divine. Il leur montra tous les fléaux s'abattant sur eux, leurs fiancées déshonorées, leurs filles captives ; la famine forçant les époux de dévorer leurs enfants, et de se repousser l'un l'autre, avec jalousie, de ce sanglant repas.

Il rassembla ensuite tous les Israélites, hommes, femmes, enfants. Il leur fit jurer leur alliance avec Jehova, et déclara que tout homme ou toute femme qui transgresserait son serment verrait retomber sur sa tête le poids de son imprécation.

Après avoir désigné en Josué son successeur, Moïse adressa aux Hébreux ce cantique où Jehova, évoquant au souvenir de ses fils, de ses filles, et ses bienfaits, et leur ingratitude, est la plus éclatante personnification de la justice vengeresse.

Dans ce chant, Moïse avait épuisé toute l'amertume dont l'avaient abreuvé ceux qu'il avait sauvés ; il ne lui restait plus que son amour pour eux. Et quand il bénit ce peuple dont il avait fait une nation, quand il lui prédit le glorieux avenir qui lui était réservé, les Israélites durent sentir, à l'ineffable tendresse de ses accents, qu'il leur avait pardonné.

Il gravit le mont Nébo. De là ses regards embrassèrent ce pays de Canaan que ses pas ne devaient point fouler.

La seule récompense que recueillit ici-bas l'homme qui, pendant quarante années, avait cherché la patrie de son peuple, la sienne, c'était ce suprême coup d'œil qu'au travers du voile de l'agonie il jetait sur la Terre de promission !

Sa vie entière passa dans ce regard, et s'éteignit avec celui-ci.

 

Quand mourut Moïse, déjà les tribus de Ruben, de Gad et une partie de la tribu de Manassé, avaient obtenu en faveur de leurs nombreux bestiaux la possession des terres aux gras pâturages conquises sur les Amorrhéens. Après avoir installé dans leurs nouveaux domaines leurs femmes, leurs enfants, leurs troupeaux, les hommes de ces tribus se disposaient à passer le Jourdain, à aider leurs frères dans la conquête du pays situé sur la rive occidentale du fleuve.

Séparée du camp israélite par le Jourdain, la ville de Jéricho était la première place que les Hébreux dussent attaquer. Josué envoya deux explorateurs dans cette cité.

 

Sur une muraille de Jéricho s'élevait une maison. Cette demeure était habitée par une femme nommée Rahab.

Fille de Canaan, adoratrice d'Astarté, Rahab vivait au sein d'une brûlante atmosphère, dans cette plaine où les palmiers croissaient à profusion parmi les rosiers, les sycomores, les oliviers, les myrobolans, les cyprès qui donnent le henné à l'Orientale, et les arbustes d'où jaillit le baume de Judée[26].

La volupté du culte, l'ardeur du climat, la molle beauté du paysage, toutes ces influences énervantes avaient empêché Rahab de réagir contre les séductions du mal : elle s'était perdue.

Pendant qu'elle se livrait aux égarements de la passion, elle apprit qu'un peuple se préparait à conquérir son pays. Rien n'avait arrêté les envahisseurs, ni les éléments, ni les hommes. Ils s'étaient frayé un passage entre les flots de la mer, et avaient brisé les nations qui s'étaient opposées à leur marche. Ils étaient guidés par leur Dieu, et ce Dieu n'était pas l'une de ces vaines et impures idoles qu'adorait le Cananéen : c'était la -Vérité éternelle, l'immuable Perfection.

Les habitants de Jéricho s'alarmèrent. Rahab partagea leur effroi, fa avec eux elle pressentit la grandeur d'Israël, la puissance de Jehova.

En vain l'éducation d'un peuple lui a-t-elle appris à faire de ses vices ses lois, ses divinités même ; cette éducation ne peut intervertir dans sa conscience la notion du bien et celle du mal ; et quand il voit la vérité, il la reconnaît, fût-ce même pour la fouler aux pieds. Rahab était sous l'impression du trouble qu'avait jeté dans Jéricho la nouvelle de l'approche des Hébreux, quand elle vit entrer chez elle deux jeunes gens. Elle leur accorda l'hospitalité.

Pendant la nuit, elle reçut un message du roi de Jéricho. Les deux hommes qu'elle avait reçus étaient les émissaires de Josué ; et son souverain lui ordonnait de les lui livrer.

Rahab n'avait pas ignoré quels étaient ses hôtes ; elle n'avait pas ignoré qu'en les abritant elle exposait sa vie ; mais elle bravait le péril qu'elle courait ; car, dans le néant d'une existence qu'elle croyait perdue, une tâche sublime s'était offerte à elle.

Les envoyés de Josué accomplissaient les desseins de l'Éternel, Rahab le savait ; et ces desseins qu'elle avait redoutés, elle se voyait appelée à les servir, elle, la Cananéenne, elle, la courtisane !

Devant la grandeur du but que l'Esprit divin lui montrait, Rahab arrachait son âme à la léthargie où elle l'avait laissée pendant sa sensuelle existence. Les généreuses émotions du réveil suffisaient pour expier des rêves coupables. La femme qui s'était senti la force de s'immoler à la cause de Dieu s'était régénérée par ce sacrifice.

La courtisane avait disparu, l'héroïne apparaissait.

Rahab répondit aux messagers de son roi qu'en effet deux inconnus étaient venus à elle ; mais, quand les ombres du soir s'étaient étendues sur la plaine, ils étaient partis.

Je ne sais où sont allés ces hommes, dit-elle ; poursuivez-les promptement, vous pourrez les atteindre[27].

Les envoyés du roi de Jéricho se dirigèrent vers le Jourdain. Rahab monta sur la plate-forme de sa maison : là, sous des tiges de lin, avaient été cachés par ses soins les explorateurs israélites.

Rahab s'adressa à eux. Sa parole décelait cette agitation intérieure qui suit le calme qu'aux heures de péril une nature énergique possède.

Je sais que l'Éternel vous a donné le pays[28], dit-elle à ses hôtes.

Et elle leur peignit la terreur qu'avaient inspirée à ses concitoyens, à elle, la valeur des Israélites, la protection que leur accordait leur Dieu, leur Dieu en qui elle saluait l'Éternel, le Dieu du ciel, le Dieu de la terre. Cette terreur allait livrer Jéricho au peuple de Jehova.

Rahah adjura ceux qu'elle avait sauvés de se souvenir d'elle quand l'armée d'Israël entrerait victorieuse dans Jéricho. Pour eux, Rahab avait joué sa vie, mais elle ne pouvait leur sacrifier celle de son père, de sa mère, de ses frères, de ses sœurs, de toute cette famille dont elle s'était séparée. Au nom de l'Éternel elle demanda à ses hôtes de lui promettre sous serment que la maison de son père serait épargnée.

Notre vie répond de la vôtre[29], lui dirent les envoyés de Josué, qui posèrent une condition à leur foi : le silence de Rahab sur leur entretien avec elle.

A l'aide d'une corde que leur tendait Rahab, les jeunes gens se laissèrent glisser de la muraille sur laquelle était assise la maison de leur hôtesse. Rahab leur conseilla de se diriger vers la montagne, de s'y cacher pendant trois jours. Alors ceux qui les poursuivaient seraient rentrés à Jéricho, et les deux Israélites pourraient continuer leur route.

Les envoyés de Josué, renouvelant à leur bienfaitrice l'assurance de protéger la vie de sa famille, lui recommandèrent d'attacher à la fenêtre par laquelle ils venaient de s'échapper un cordon d'écarlate qui signalerait l'hospitalière demeure de Rahab au respect de l'armée israélite, et l'invitèrent à rassembler sa famille dans cette maison qui les avait abrités. Sans cette dernière précaution, ils ne pouvaient répondre de la sûreté de sa famille.

Avant de quitter leur hôtesse, ils lui rappelèrent que leur fidélité dépendrait de la sienne.

Selon vos paroles, ainsi sera-t-il[30], dit Rahab.

Et elle congédia ses hôtes.

Au septième jour du siège de Jéricho, Rahab entendit et le son des trompettes guerrières, et un cri immense s'élever du sein de l'armée israélite. Les murailles de la ville s'écroulèrent, et les Hébreux se précipitèrent dans la cité, frappant, massacrant tout ce qu'ils rencontraient sur leur passage, hommes, femmes, vieillards, enfants, animaux.

Au milieu du tumulte, Rahab vit entrer dans sa demeure les deux hommes qu'elle avait arrachés à la mort. Ils la firent sortir de la ville, ainsi que sa famille.

Alors les flammes de l'incendie coururent sur la cité. Bientôt Jéricho n'existait plus.

Josué remercia Rahab de son généreux concours. Elle épousa Salmon, prince de Juda[31]. Était-ce, comme on l'a supposé[32], un de ceux qu'elle avait sauvés ?

Rahab fut l'une des aïeules du Christ. Elle était devenue digne d'être nommée parmi les ancêtres du

Verbe incarné, la femme qui aida au triomphe de l'idée que représentait Israël, cette idée que le Christ devait transformer et répandre. Plus que Ruth, l'épouse de son fils Booz, Rahab symbolisa et la coopération d'un peuple païen à l'extension de l'idée religieuse, et l'universalité de la loi évangélique.

Elle jouit aussi par anticipation de ce miséricordieux intérêt que le christianisme devait accorder à la pècheresse. Les Hébreux, d'ordinaire impitoyables pour le déshonneur de la femme, firent fléchir leur rigueur devant la courtisane qui, unissant un courage viril à la tendresse de son sexe, avait sacrifié à Dieu sa vie, sa patrie, tout, hors ceux qu'attachaient à elle les liens du sang. Les Hébreux pardonnèrent à Rahab sa chute, en faveur de l'attitude qui la releva.

 

La conquête de Canaan est l'une des phases les plus brillantes de l'histoire des Hébreux. Nous n'entendons plus sourdre de leur camp ces murmures de rébellion qu'avait dû si souvent étouffer la sévérité de Moïse. Nous ne sommes plus témoins de ces défaillances qui les soumettaient à de séduisantes et fatales influences. Ils ont l'ardeur de la foi, l'élan de la bravoure, la vivacité du sentiment national. Et quand du haut des monts Ébal et Garizim, hommes et femmes d'Israël entendent Josué leur rappeler la Thorah, ainsi que les bénédictions, les malédictions que, selon Moïse, devait leur attirer leur respect ou leur mépris pour cette loi, ils ont été fidèles à la parole de Jehova, et n'ont mérité que les bienfaits du ciel.

Entreprise avec ce saint enthousiasme, la conquête se poursuivit ; Sans attendre qu'elle fût achevée, Josué procéda au partage du Pays de Canaan.

Le chef d'Israël mourut sans s'être désigné de successeur, et après avoir laissé à chaque tribu le soin de compléter elle-même le territoire qu'il lui avait assigné. Par ces deux fautes politiques, Josué affermissait chez les Israélites, au détriment de l'esprit national, le

caractère patriarcal des races sémitiques. S'habituant à vivre isolément, comme tribus d'abord, comme individus ensuite, les Hébreux perdirent de vue l'unité de leurs intérêts et de leurs croyances. Vivant au milieu de celles des peuplades cananéennes qu'ils n'avaient pas exterminées, ils s'allièrent à elles par des mariages mixtes, et subirent leur funeste ascendant.

Sur la montagne d'Éphraïm, on vit une femme d'Israël, recouvrant des mains de Micha, son fils, une somme que lui avait dérobée celui-ci, témoigner à l'Éternel sa reconnaissance en consacrant une partie de cet argent à la fonte d'une statue de Jehova, le Dieu immatériel. Micha dédia un temple à la statue, et la fit desservir par un lévite. Un jour, six cents hommes de la tribu de Dan enlevèrent l'idole, en emmenèrent le prêtre ; l'une devint l'objet de leur adoration, l'autre le ministre de leur nouveau culte, le fondateur d'une race sacerdotale héréditaire.

Pendant ce temps, le tabernacle, le sanctuaire central, était à Silo.

Les Hébreux ne se contentèrent pas d'adapter au culte de Jehova les formes de l'idolâtrie, ils adressèrent leur hommage même aux dieux de Canaan, à Baal, à Astarté.

Leurs mœurs s'altérèrent avec leur foi, et un jour arriva où Israël fut saisi de terreur devant le degré d'abaissement où une partie de ses enfants était descendue.

Ce jour-là, chacune des douze tribus avait reçu un lambeau de chair humaine : c'étaient les débris du corps d'une femme. Celte femme avait été victime des outrages des habitants de Gabaa, ville de Benjamin ; et c'était son époux lui-même, un lévite, qui, dépeçant son cadavre, en avait envoyé les morceaux à ceux auxquels il confiait le soin de la venger.

Le cri de la conscience éveilla les Israélites et les unit. Ils agirent comme un seul homme[33].

La nation, représentée par quatre cent mille hommes de guerre, s'assembla à Mitspâ, entendit la cause du lévite, reconnut la culpabilité des habitants de Gabaa et somma la tribu de Benjamin de lui livrer ces derniers. Les Benjamites refusèrent, et se réunirent à Gabaa dans une attitude menaçante.

Alors la nation qui, en se constituant en tribunal, avait jugé ses propres enfants, se levant pour exécuter sa sentence, frappa tout ensemble et ceux que condamnait son arrêt, et ceux qui ne l'avaient point respecté.

Au nom de Jehova, le grand prêtre Phinées, le meurtrier de Cozbi, l'implacable défenseur de la loi morale, excitait la nation à poursuivre la mission douloureuse qu'elle s'était imposée.

La tribu de Benjamin fut exterminée. Six cents de ses fils échappèrent au carnage, s'enfuirent dans le désert. Survivant à leur tribu, ils ne pouvaient la perpétuer en Israël, car, à Mitspâ, les Hébreux avaient dit : Nul d'entre nous ne donnera sa fille à un Benjamite pour femme[34].

 

Ce n'était pas sans déchirement que la nation israélite avait frappé l'une de ses filles. Quand elle la vit tomber, le juge disparut, la mère seule resta. Et celle-ci pleura.

Les Hébreux désirèrent faire revivre la tribu qu'ils avaient voulu retrancher de leur communauté. Leur serment les empêchant de donner leurs filles aux Benjamites qui avaient échappé à leur vengeance, ils se souvinrent qu'une de leurs villes, Jabès-Galaad, ne les avait pas aidés à châtier la tribu rebelle. Attaquant cette place, en massacrant les habitants, ils n'en épargnèrent que les vierges. Ils avaient trouvé les compagnes des derniers Benjamites.

La patrie, rappelant clans son sein ses membres exilés, leur offrit les femmes qu'elle leur avait conquises.

Mais quatre cents jeunes filles seulement avaient été trouvées à Jabès-Galaad, et six cents Benjamites avaient échappé à l'extermination de leur tribu. Deux cents d'entre eux resteraient-ils sans compagnes ?

Les Hébreux conseillèrent aux Benjamites d'enlever les femmes qu'ils ne pouvaient leur accorder. Une fête devait se célébrer au sanctuaire central, à Silo : c'était le temps où, au milieu des vignes, les vierges dansaient. Qu'à ce moment les Benjamites, embusqués dans les ceps, s'emparent des filles de Silo. Et quand les pères, les frères des captives se plaindront de ce rapt à l'assemblée d'Israël, celle-ci leur déclarera qu'ils ne seront point parjures en sanctionnant des alliances contractées sans leur participation.

Les Benjamites suivirent le conseil de leurs frères. Le succès couronna leur entreprise.

Par ces deux derniers actes, la nation israélite avait de nouveau perdu la noble attitude qu'elle avait prise en sacrifiant un de ses enfants à son honneur, et en pleurant sur sa triste victoire.

 

Sans gouvernement central, sans communauté d'intérêts et de croyances, les tribus, déjà livrées à des influences antinationales, subirent jusqu'à cinq fois la domination étrangère.

A ces heures de honte et de découragement, il se trouvait des citoyens qui, fidèles à l'esprit de la loi mosaïque, comprenaient que, perdus par leur isolement, les enfants d'Israël se sauveraient par leur union. Au nom de Jehova, ces citoyens, ces juges, jetaient le cri de l'indépendance, et le peuple de Dieu savait encore répondre à cet appel. Mais la liberté reconquise ne tardait pas à devenir l'anarchie, et celle-ci provoquait une nouvelle chute du peuple hébreu.

 

Deux fois Israël avait été sauvé quand les tribus septentrionales furent asservies par Yabin, roi de Hasor. C'était un Cananéen.

Le profond mépris de l'Israélite pour l'indigène rendait plus âpre la tyrannie de celui-ci, plus amère la servitude de celui-là.

Depuis vingt ans, les Hébreux souffraient de cette oppression. Dans leur désespoir, ils se souvinrent de leur Dieu, et jetèrent vers lui un cri d'angoisse.

Alors on voyait les Israélites gravir la montagne d'Éphraïm, s'approcher d'un palmier qui étendait son bouquet de feuillage entre Rama et Bethel. Une femme demeurait sous cet arbre. Elle se nommait Débora[35].

C'était vers elle que se dirigeaient les Hébreux. Cette femme, c'était leur patrie, leur patrie avec ses souvenirs de gloire, leur patrie avec ses immortelles espérances.

Gardienne de la loi, Débora en était l'interprète inspirée. Elle jugeait Israël. Elle était Nebiah[36] et Schophêt[37]. Pénétrer l'esprit de la loi, c'était comprendre l'œuvre réservée au peuple qui en était le dépositaire ; c'était se préparer à lui faire relier l'avenir au passé.

Le jour approchait où la prophétesse allait unir à l'élan de la pensée celui de l'action.

 

Débora manda Barak, fils d'Abinoam.

L'esprit de Dieu reposait en elle, vibrait dans sa parole. Elle ordonnait à Barak de se diriger vers le Thabor, de rassembler une armée qui défendrait et ferait triompher la cause de la nation de Jehova. Barak ne céda pas à l'impulsion de Débora. Ah ! si dans l'entreprise à laquelle elle l'excitait, il avait à son côté la prophétesse dont la parole de feu savait embraser Israël, il serait assuré de l'indomptable élan des Hébreux. Mais sans elle, il doutait de tout. Sans elle, il ne partait pas.

Devant cet homme qui ne savait pas croire en lui-même, la prophétesse eut un mouvement de colère et de dédain :

J'irai bien avec toi, dit-elle ; toutefois il n'y aura pas de gloire pour toi dans le chemin que tu prends, car l'Éternel livrera Sisara aux mains d'une femme[38].

Et Débora accompagna Barak.

La prophétesse, le général, l'armée d'Israël, arrivaient au Thabor. La montagne, isolée, reliée toutefois à l'ouest par une étroite chaîne aux collines de Nazareth, élevait devant eux son cône tronqué. Ils gravirent ces pentes tapissées de plantes grimpantes au brillant feuillage, ces pentes ombragées par les chênes, les pistachiers, qui y croissent avec exubérance et qui abritent le loup, le sanglier, le lynx, le serpent.

C'était là le site approprié à la marche d'une prophétesse guerrière et de son armée.

Les Israélites s'arrêtèrent sur ce plateau ovale du Thabor, où planent l'aigle et le vautour. De ce sommet la vue embrasse un horizon immense.

A l'est se découvre le bassin de la mer de Cinnéreth, une partie de l'étincelante surface de ce lac, le cours du Jourdain, et au delà du fleuve, les monts de Galaad et de Basan. Au sud s'élève le Gelboé et s'entrevoient les montagnes et les vallées qui forment le cœur du pays de Canaan. A l'ouest la Méditerranée, le Carmel, bornent le paysage. Au nord se dessinent les dernières chaînes du Liban, d'où s'élance fièrement l'Hermon, ceint de sa couronne de neige.

C'est la Terre de promission tout entière qui se laisse voir ou deviner. La prophétesse avait-elle compté sur ce que l'aspect de cette patrie pouvait inspirer d'exaltation et d'héroïsme au peuple qui s'apprêtait à la reconquérir ?

Autour du Thabor se déroule la plaine de Yezreel, avec ses molles ondulations[39]. C'est là que le Cananéen attendait sa victime révoltée.

A la tête des troupes de Yabîn, de ses neuf cents chariots de fer, était son général Sisara.

 

Lève-toi, dit Débora à Barak ; car c'est en ce jour que l'Éternel livre Sisara en ta main ; certes, l'Éternel est sorti devant toi

A ce signal, dix mille soldats d'Israël, suivant avec confiance le Dieu qui les conduisait à la victoire, se précipitèrent du Thabor dans la plaine (1335 av, J.-C.).

 

Près de Kédès-Nephthali, un guerrier, seul, à pied, fuyait à travers les arbres d'un bois. Ce guerrier était Sisara, le général des Cananéens ; ces arbres étaient les chênes des nomades[40] qui abritaient la tente du Bédouin Héber[41].

Sisara avait seul échappé au carnage que les Israélites avaient fait de son armée. Il venait chercher un refuge auprès d'Héber, l'allié de son roi.

Le Bédouin était absent. Sa femme, Jahel, vit accourir le fugitif, et, fidèle aux traditions de l'hospitalité patriarcale, elle vint à lui.

Entre, mon seigneur, lui dit-elle ; entre chez moi, ne crains rien[42].

La tente de la femme arabe était un asile inviolable ; le général cananéen pénétra dans la demeure de Jahel. Il se crut sauvé.

Jahel l'entoura de cette sollicitude délicate dont la femme possède le secret. Il était brisé de fatigue, et elle étendit sur lui une couverture qui abritât son sommeil. Il avait soif, lui demandait un peu d'eau, et elle lui offrit du lait dans une coupe précieuse.

Sisara pria Jahel de veiller à l'entrée de la tente ; puis, cédant à la lassitude qui l'accablait, il s'endormit avec sécurité sous la garde de sa généreuse protectrice.

Alors une femme se glissa vers Sisara. De la main droite elle tenait un marteau ; de l'autre, une des longues chevilles qui fixaient les cordes de la tente. Elle avançait, avançait toujours, et quand elle fut près du guerrier, elle lui perça la tête.

C'était Jahel qui assassinait son hôte.

Barak avait suivi les traces du général cananéen ; il pénétrait sous les chênes des nomades.

De même qu'elle avait été à la rencontre de Sisara, Jahel alla au-devant de l'ennemi de celui-ci.

Viens dit-elle à Barak, je te montrerai l'homme que tu cherches[43].

Il la suivit sous la tente.

 

Ah ! nous ne légitimerons pas le meurtre dont il nous a fallu évoquer le souvenir ! En tuant Sisara, Jahel immolait avec une froide cruauté, non-seulement un hôte, un malheureux, désarmé, endormi, mais encore un ami de sa maison. Et eût-il même été l'adversaire de sa famille, les traditions de sa race eussent chi prévenir son crime, car le Bédouin, si âpre à la vengeance, le Bédouin qui égorge avec volupté un ennemi sur le champ de bataille, le respecte sous sa tente hospitalière !

Arabe, Jahel n'avait même pas l'excuse du patriotisme en assassinant l'ennemi des Hébreux. Elle ne servait même pas la cause de la nation de Jehova, puisque cette cause avait loyalement triomphé par les armes du peuple élu, et que la perfide Bédouine ne frappait qu'un vaincu.

Détournons-nous ; fuyons les ombrages qui recélèrent la trahison, le meurtre. Aussi bien sommes-nous attirée dans le camp des Hébreux par les éclatantes fanfares du plus ancien hymne de victoire que nous aient légué les traditions sacrées.

La prophétesse chantait, et Barak redisait ses accents. Elle célébrait la nation de Jehova, parce que, dans un élan sublime, Israël s'était disposé à racheter de son sang sa liberté. Elle célébrait le Dieu d'Israël, le Dieu du Sinaï, parce que Jehova avait donné à son peuple l'inspiration de l'héroïsme et l'honneur de la victoire.

Lorsque dans Israël s'est exercée la vengeance ;

Lorsque la nation s'est offerte ;

Bénissez Jehova !

Écoutez, rois, princes, prêtez l'oreille ;

Moi, à Jehova, je vais chanter ; moi !

Je célébrerai Jehova, Dieu d'Israël.

Jehova ! A ta sortie de Séir,

Lorsque tu t'avanças des champs d'Édom,

La terre trembla, même les cieux se fondirent,

Même les nues se fondirent en eau.

Les montagnes s'agitèrent devant Jehova ;

Ce Sinaï, devant Jehova, Dieu d'Israël[44].

Dans l'enivrement du triomphe, la prophétesse rappelle les périls passés. Autrefois l'Hébreu avait peur de traverser les plaines : le regard de l'oppresseur pouvait l'y suivre. C'était dans les sentiers des montagnes que se cachait, glacé d'effroi, le peuple de Dieu, jusqu'au moment où Débora réchauffa sur son sein Israël, son enfant !

Aux jours de Samgar, fils d'Anath,

Aux jours de Jahel,

On évitait les routes ;

Et ceux qui naguère marchaient sur des chemins battus

Marchaient en de tortueux sentiers.

On évitait les campagnes en Israël,

On les évitait ;

Jusqu'à ce que je me sois levée, moi Débora,

Que je me sois levée, mère d'Israël[45].

Le peuple élu avait payé de son esclavage son infidélité à son Dieu. En cessant d'être soutenu par l'Esprit divin, il avait perdu la force qui le faisait réagir contre le danger. Seul, il s'était senti faible, et il était devenu lâche :

Il avait choisi des dieux nouveaux.

Dès lors la guerre, aux portes.

Et voyait-on un bouclier, une lance,

Dans quarante mille Israélites ?[46]

La prophétesse a été sévère, sévère à l'heure même où Israël a lavé la honte de son passé. Elle semble s'en apercevoir ; et avec cette délicatesse particulière aux âmes viriles, elle donne avec enthousiasme son amour, son admiration, aux chefs.qui ont conduit Israël sur le chemin du sacrifice :

Mon cœur est aux chefs d'Israël

Qui se sont offerts pour le peuple[47].

Mais cette valeur qu'elle exalte, à qui l'attribue-t-elle ? Écoutons-la :

Bénissez Jehova[48], dit-elle.

Pour célébrer le grand combat, que tout le peuple se réunisse ; et le riche, et le pauvre, qui, de nouveau, jouissent d'une paisible sécurité :

Vous, montés sur de luisantes ânesses,

Vous, assis sur des tapis,

Vous, en marche sur la route,

Racontez,

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Qu'alors descendit aux portes le peuple de Jehova[49].

Devant la grandeur du sujet qu'elle aborde, Débora, trouvant que son souffle n'est pas assez puissant encore, en ranime l'ardeur :

Réveille-toi, réveille-toi, Débora,

Réveille-toi, réveille-toi, dis le chant[50].

Et, commençant par évoquer le souvenir de son appel au général hébreu, elle s'écrie :

Lève-toi, Barak,

Ramasse tes captifs, fils d'Abinoam[51].

A cette parole, dix mille Hébreux ont vaincu les forces considérables du roi cananéen. C'est par la prophétesse que l'armée d'Israël a fait triompher sur les forts[52], la cause de Jehova !

Débora loue ceux qu'a entraînés sa voix. Puis, à ses sympathiques accents, succèdent de mordantes paroles. Elle raille les tribus que leur indécision ou leur indolence a éloignées du champ de bataille : Ruben qui, assis entre ses ruisseaux, se berçait du bêlement de ses moutons ; Gad qui suivait tranquillement des yeux le cours du Jourdain ; Dan, Aser, qui s'étendaient voluptueusement sur leurs côtes maritimes, pendant que Zabulon et Nephthali, donnant à l'armée d'Israël la plus grande partie de ses guerriers[53], se disposaient à combattre, à mourir !

Débora se rappelle les émotions de la bataille. Elle voit arriver les Cananéens, et les nomme avec un mépris ironique les rois[54], pour les faire tomber de plus haut. Ils sont nombreux, les rois, et Israël a peu de guerriers ; mais Dieu combat avec son peuple, et l'aide à écraser leur ennemi commun.

 

Le torrent Kison roule les cadavres des Cananéens. A l'évocation de cette scène, la prophétesse excite encore son poétique élan :

Torrent des anciens temps, torrent Kison !

Mon âme ! marche avec vigueur ![55]

Dans la déroute des ennemis, Débora entend le sabot des chevaux frapper le sol. Devant le triomphe des Hébreux, elle appelle la malédiction sur Meroz, cité israélite qui a refusé de s'associer à la révolte de la patrie. La prophétesse arrive enfin à ce tableau que, tout à l'heure, nous eussions désiré voiler : la mort de Sisara.

 

Disons-le à regret. Débora exalte le crime de Jahel. Il fallait que le nom de Sisara personnifiât pour elle toutes les souffrances de sa patrie pour qu'elle pût redouter encore ce général isolé, fuyant ; pour qu'elle crût le destin d'Israël attaché à la vie d'un vaincu. Avec quel enthousiasme elle loue Jahel ! Avec quelle complaisance elle vante sa trahison ! Avec quelle volupté sauvage elle se repaît de l'agonie de Sisara, cette agonie dont elle note d'une voix palpitante les dernières convulsions !

Bénie soit plus que toutes les femmes, Jahel, femme de Héber, le Scénite ;

Plus que toutes les femmes sous la tente.

De l'eau il demanda,

Du lait elle offrit,

Dans le vase des opulents

Elle lui présenta de la crème.

Elle porte sa main sur la cheville,

Sa droite sur le marteau des hommes de peine,

Frappe Sisara,

Lui brise la tète,

La fracasse et lui perce la tempe.

Entre ses pieds il s'agenouille, tombe, s'étend ;

Entre ses pieds il s'agenouille, tombe ;

Où il s'agenouille, là il tombe détruit[56].

Et pendant le supplice du Cananéen, la pensée de a prophétesse se reporte vers la mère de la victime. Débora voit cette femme regardant derrière le treillis de sa fenêtre, attendant son fils ; gémissant et disant :

Pourquoi son char tarde-t-il à venir ?

Pourquoi les roues de ses chariots restent-elles en arrières ?[57]

Des suivantes entourent la mère de Sisara, et Débora les entend calmer les angoisses de la pauvre femme. Celle-ci aussi veut espérer, et elle se répond à elle-même ce que ses femmes lui disent :

N'ont-ils pas trouvé, ne partagent-ils pas le butin ?

Une, deux jeunes filles à chaque capitaine ;

Des vêtements resplendissants, butin pour Sisara,

Des vêtements resplendissants, brodés, pour butin,

Des parures éclatantes, brodées,

Au cou des belles captives[58].

Frappée du contraste des deux tableaux qu'elle vient d'évoquer, Débora s'arrête brusquement et s'écrie :

Ainsi périssent tous tes ennemis, Jehova ![59]

Depuis le récit de la mort de Sisara jusqu'à cette sombre apostrophe, ce n'est plus la parole de Dieu qui se fait entendre dans les accents de Débora : c'est le langage d'une créature humaine attribuant ses passions à l'Être immatériel, ses instincts de vengeance à la Justice souveraine.

Mais de nouveau la prophétesse reparaît ; sa pensée reflète avec un pur et doux éclat l'image d'un Dieu secourable à ceux qui l'aiment :

Ses amis seront comme le soleil levant, dans toute sa force ![60]

 

Nous nous sommes longuement arrêtée sur le type de Débora parce que cette figure, nous le disions plus haut, est la personnification de la nation hébraïque telle que la rêvait Moïse.

Débora, c'est Israël, le peuple de Jehova, veillant avec un soin jaloux sur une loi dont la diffusion n'est pas encore possible ; c'est Israël, comprenant que sa nationalité est l'expression de sa loi ; sauvegardant avec son indépendance le dépôt qui lui est confié ; frappant dans les violateurs de sa liberté les ennemis de sa foi. C'est Israël, l'instrument et la verge d'un Dieu sévère ; Israël, puisant dans l'intelligence de son rôle un courage héroïque, mais aussi une inflexibilité qui outrepasse la justice divine.

Débora n'est pas toutefois un de ces types qui, en représentant une idée, perdent leur individualité, ont toute la froideur, toute l'impersonnalité de l'abstraction. Débora n'idéalise pas seulement la nation de Jehova, elle l'incarne, la fait vivre et palpiter de sa propre vie, lui communique la chaleur de son cœur, la vivacité de ses instincts, l'éclat de son imagination. Et c'est précisément ce mélange de l'inspiration divine et de la passion humaine qui fait de l'hymne de Débora l'une des notes les plus sublimes que le souffle sacré ait arrachées au vigoureux et personnel génie des poètes antiques.

 

Pendant de longues années, les Hébreux demeurent livrés à cet état de malaise qui précède l'organisation politique d'un peuple. Quarante années après leur victoire sur Sisara, nous les voyons soumis aux Midianites, et délivrés par Gédéon. Las de leur indépendance mal dirigée, ils éprouvent le besoin d'un pouvoir central, et offrent la royauté à leur sauveur, qui la refuse et qui demeure leur juge. A sa mort, son fils Abimélech recherche la dignité que Gédéon a repoussée, et les habitants de Sichem le proclament roi. Mais ces derniers ne tardent pas à briser eux-mêmes la joug qu'ils se sont imposé. Abimélech fait rentrer violemment Sichem dans l'obéissance, et s'empare d'une autre ville, Thébès. Il entre dans cette dernière place, et se dirige vers une tour forte située au milieu de la cité. Là se sont réfugiés les habitants de Thébès. Abimélech attaque cette tour. Il allait l'incendier quand une meule de moulin, lancée par une femme, lui brise le crâne.

Tire ton glaive et tue-moi, dit à son écuyer le hautain guerrier ; on pourrait dire : Une femme l'a tué[61].

Israël désirait un maître, il repoussait un tyran.

 

Les Hébreux s'écartent de plus en plus des voies de Dieu. Les Ammonites et les Philistins les asservissent. Jephté, dont nous avons raconté plus haut le sacrifice, les délivre des premiers. A la mort de ce juge surgit un athlète qui les défend contre les seconds : c'est Samson. Mais à la vigoureuse organisation physique de ce dernier manque la force morale. Il ne sait pas résister aux séductions des femmes.

Les Philistins découvrent le côté vulnérable de cette robuste nature. Par une de leurs filles, Dalila, ils font perdre à l'athlète et son énergie, et son désir même de vivre. Samson est livré à ses ennemis par l'enchanteresse qui l'a asservi.

Ne nous arrêtons pas sur ces scènes. Sans doute, elles comportent un grave enseignement. Mais ce qui nous occupe ici, ce ne sont pas les séductions exercées par les femmes sur les figures qui n'ont laissé aucune trace morale dans l'histoire sacrée : c'est l'influence de notre sexe sur les destins des représentants de l'idée religieuse.

C'est ainsi que, nous éloignant des compagnes de Samson, nous nous approchons d'une femme qui fit entrer dans une phase nouvelle les croyances des Israélites.

La sévère éducation du malheur avait appris aux Hébreux à revenir à Celui qui seul pouvait les sauver.

Parmi les pèlerins qui, chaque année, montaient au sanctuaire central pour offrir à Jehova les prémices de leurs champs, les premiers-nés de leurs troupeaux, se trouvait un homme de Rama, ville située sur la montagne d'Éphraïm. Cet homme se nommait Elkana. Ses deux femmes, Anne et Peninnah, ses fils et ses filles, l'accompagnaient. La première de ses épouses était triste, car ce n'était pas d'elle qu'étaient nés les enfants d'Elkana. Ceux-ci formaient la couronne maternelle de Peninnah.

Cependant Anne aurait pu être heureuse. Sa stérilité était probablement la raison qui avait obligé son époux de lui adjoindre une rivale. Mais en partageant entre ses deux femmes le titre d'épouse, Elkana n'avait point divisé son amour, qui reposait tout entier sur Anne.

Elkana avait pour celle-ci toutes les délicatesses d'un sentiment passionné. Il la voyait courbée sous cette honte qui, en Israël, accablait la femme à laquelle la nature avait refusé la maternité ; il la voyait insultée dans ce malheur même par la hautaine Peninnah ; et lui accordant à son foyer le rang qu'elle occupait dans son cœur, il lui réservait la meilleure part des sacrifices qu'il offrait à l'Éternel.

Et quand il s'apercevait qu'oppressée par la douleur, malgré les hommages affectueux qu'il lui rendait, elle ne goûtait même pas aux aliments qu'il lui avait choisis, il la consolait avec tendresse.

Anne, lui disait-il, pourquoi pleures-tu, et pourquoi ne manges-tu pas, et pourquoi ton cœur est-il si attristé ? Est-ce que je ne vaux pas plus pour toi que dix enfants ?[62]

Malgré cette touchante sollicitude, Anne souffrait toujours. Peut-être même sa nature aimante et fière trouvait-elle un nouveau sujet de douleur dans la généreuse affection d'Elkana : Anne n'avait pu donner le bonheur à l'homme qui lui avait abandonné le meilleur de son âme !

Elkana et sa famille étaient à Silo. Anne venait d'assister à un festin. Son cœur était déchiré. Elle éprouvait une de ces peines que nul secours humain ne peut alléger, et que seule la miséricorde divine sait calmer.

Elle se leva, alla au tabernacle. Là, elle laissa déborder devant le Tout - Puissant l'amertume de son âme. Des pleurs inondaient son visage, et son cœur délirant soupirait une prière qui n'était interprétée que par le mouvement de ses lèvres.

Anne supplie l'Éternel de jeter sur elle un regard, d'avoir pitié de ses souffrances, de guérir la plaie qui la ronge... Elle le supplie de lui donner un fils ! Ce fils, il ne sera pas à elle, il appartiendra à Celui qui lui aura donné le bonheur suprême de la maternité ; il sera Naziréen, non pendant un temps limité, mais pendant toute sa vie !

C'est la première fois que la prière nous apparaît dans l'histoire sacrée, avec ce silencieux caractère d'abandon intime, de ferveur émue, que Jésus devait lui imprimer. Ce n'était pas ainsi que priait l'Israélite : il criait devant l'Éternel. Aussi le grand prêtre Éli qui, assis sur le siège du juge devant le tabernacle, contemplait la femme d'Elkana, attribua-t-il à l'ivresse son agitation intérieure, et lui exprima-t-il avec sévérité son sentiment.

Non, mon seigneur, répondit Anne, je suis une femme qui a le cœur lourd ; je n'ai bu ni vin, ni boisson forte, mais j'ai répandu mon âme devant l'Éternel.

Ne prends pas ton esclave pour une femme dissolue, car c'est de grande tristesse et de chagrin que j'ai parlé jusqu'à présent[63].

A l'accent de douceur et d'émotion de ces paroles, Éli dut regretter ses soupçons.

Va en paix, dit-il à la malheureuse femme ; le Dieu d'Israël accordera la demande que tu lui as faite.

Que ta servante trouve grâce à tes yeux[64], répliqua la femme d'Elkana. Et elle s'éloigna.

Quand elle revint dans sa famille, elle put manger. Une transformation subite s'était opérée en elle. Son épanchement dans le sein de Dieu, sa confiance en Celui qui ne change jamais, en cet Être immuable, éternel, qui, par la voix d'Éli, avait répondu à sa prière, ces influences avaient apaisé son âme, rasséréné son visage.

 

L'année suivante, Anne n'accompagnait pas son époux à Silo : elle nourrissait un enfant, son fils !

Elle n'avait pas oublié son vœu. Elle attendait qu'elle pût sevrer son enfant pour aller le déposer au tabernacle.

 

Anne est au sanctuaire central. Elle vient consacrer Samuel, son fils, à l'Éternel. Son époux l'accompagne.

Après avoir offert à Jehova le sacrifice d'un bœuf, Anne et Elkana présentent leur enfant à Éli. La mère de Samuel rappelle au grand prêtre le jour où elle priait en sa présence. Alors elle demandait à Dieu le fils qu'elle lui promettait de lui consacrer. Le Seigneur l'a exaucée. A elle maintenant d'accomplir son vœu !

Les pèlerins se prosternent. Ce n'est plus une prière muette qui s'échappe du cœur de la mère, c'est un hymne de triomphe au rythme éclatant.

A la fierté de ses accents, on devine avec quelle joie enivrante la femme, naguère écrasée par une orgueilleuse rivale, s'est vue relever par le Tout-Puissant, le destructeur de la violence, l'appui de la faiblesse ; par le souverain Principe du vrai et du bien, qui sait distinguer l'injustice sous les voiles dont celle-ci se couvre.

Devant le Dieu en qui elle reconnaît la source de la vie universelle, Anne est le premier interprète de la croyance à l'immortalité de l'âme, l'âme, ce souffle de l'Être impérissable ! Devant le Moteur suprême, Anne exalte aussi l'action de la Providence sur l'humanité entière.

L'élan de son esprit a fait pénétrer à la mère de Samuel la pensée de Dieu. En contemplant l'Idée éternelle, Anne entrevoit l'avenir, elle devient prophétesse ! Et elle annonce la venue triomphale du Messie.

Mais pourquoi résumer ce chant ? Le cri de l'âme ne s'analyse pas, il se répète. Disons donc avec notre héroïne :

Mon cœur a tressailli dans Jehova !

Et par Jehova ma force s'est relevée ;

Ma bouche s'ouvre librement contre mes ennemis ;

Car je me réjouis de ton secours.

Nul n'est saint comme Jehova ;

Nul n'existe hors de toi !

Nul n'est puissant comme notre Dieu.

Ne continuez pas de proférer des paroles hautaines, altières ;

Que la violence ne s'échappe plus de votre bouche ;

Car il est le Dieu de l'intelligence, Jehova,

Devant lui les actions sont pesées.

L'arc des héros est brisé,

Et les faibles sont armés de force.

Ceux qui étaient rassasiés se sont engagés pour du pain ;

Ceux qui étaient affamés ont cessé de l'être ;

Même la femme stérile enfante sept enfants,

Et celle qui en avait beaucoup dépérit.

Jehova fait mourir et vivre,

Fait descendre dans le Schéol et en fait remonter.

Jehova appauvrit et enrichit.

Abaisse et relève.

Il tire de la poussière l'indigent,

Du fumier il relève le nécessiteux

Pour le faire asseoir parmi les princes ;

Et leur donne en partage un trône de gloire ;

Car à Jehova sont les fondements de la terre,

Sur eux il a placé le monde.

Il préserve les pas de ses saints,

Les méchants sont anéantis dans les ténèbres ;

Car ce n'est pas par la force que peut vaincre l'homme.

Jehova ! ses adversaires tremblent devant lui ;

Du ciel il tonne sur eux.

Jehova juge les extrémités de la terre ;

Il donnera la victoire à son roi, et relèvera la gloire de son oint[65].

Ce fut sous l'impression de ce saint enthousiasme qu'Anne se sépara de l'enfant qui, peu de jours auparavant, demandait encore à son sein la nourriture, la vie. L'historien sacré ne nous montre que l'exaltation de la prophétesse : il nous cache les larmes de la mère.

Une fois par an, à l'époque où les Israélites allaient déposer au sanctuaire central les prémices de leurs biens, Anne revoyait son fils et lui apportait un petit manteau.

Éli bénissait les parents de Samuel, et disait à Elkana :

Que l'Éternel te donne de cette femme une postérité, en place du prêt qui a été fait à l'Éternel[66].

Le vœu du grand prêtre fut exaucé : Anne eut encore trois fils et deux filles.

C'est là tout ce que nous apprend la Bible sur la mère de Samuel.

Anne n'apparaît qu'un instant sur la scène de l'histoire sacrée, mais elle y laisse une trace sympathique. et lumineuse de son passage.

En elle, nous aimons la femme avant d'admirer la prophétesse. Elle nous intéresse par ses longues peines, par la respectueuse tendresse qu'elle sut inspirer à son époux. Elle nous émeut par ce brusque élan de désespoir qui la jette, éperdue, aux pieds de Dieu. Elle nous entraîne par l'ardeur de sa foi, par l'expansion de sa prière. Quand nous la voyons promettre à l'Éternel le fils qu'il lui accordera, nous devinons, sous l'enveloppe de sa délicate et impressionnable nature, une âme virile qui a la force du sacrifice. Ce vœu nous prépare à la magnifique attitude de la mère de Samuel quand, présentant à Jehova l'enfant qui, par cette consécration même, deviendra le second fondateur de la nationalité hébraïque, elle manifeste les croyances spiritualistes que répandra le Dieu qu'elle annonce, le Dieu de l'Évangile, ce Dieu miséricordieux à qui, dans sa muette prière, elle semblait déjà s'adresser !

Anne est le premier type qui caractérise le passage de la loi mosaïque au christianisme.

 

Samuel croissait à l'ombre du sanctuaire, sous la surveillance d'Éli.

Grand prêtre et juge, Éli n'était pas à la hauteur de sa double mission. A ses vertus manquait la force active qui en eût assuré l'influence.

Ses deux fils, Ophni et Phinées, cohénime de l'Éternel, déshonoraient le sanctuaire ; et le faible vieillard, leur reprochant paternellement leur inconduite, n'avait pas le courage de les châtier avec la majesté du pontife, l'autorité du juge.

Pendant qu'Ophni et Phinées attiraient sur leur maison les menaces divines, Samuel, héritant du génie et de l'inspiration de sa mère, se préparait à faire rentrer le peuple de Jehova dans la voie où l'avait conduit Moïse.

Il était temps qu'une main virile soutînt les pas chancelants d'Israël.

Battus par les Philistins, les Hébreux, espérant que la présence de l'arche d'alliance leur assurerait la victoire dans une nouvelle rencontre, la firent chercher à Silo. Mais, placée entre les mains impures des fils d'Éli, elle ne put préserver d'une nouvelle défaite le peuple israélite. Elle-même tomba au pouvoir de l'ennemi, et ses deux gardiens périrent.

 

Un vieillard, aveugle, presque centenaire, assis sur un siège près de la route de Silo, attendait des nouvelles du combat : c'était Éli.

Il entendit une immense rumeur s'élever de la ville. Et comme le grand prêtre demandait ce qu'était ce bruit, un homme de Benjamin, les vêtements déchirés, la tête souillée de poussière, courut à lui.

Fuyant le champ de bataille, ce Benjamite venait annoncer à Éli la défaite d'Israël, la mort d'Ophni et de Phinées, la prise de l'arche sainte.

A la mention du troisième de ces malheurs, le pontife tomba et mourut.

Phinées avait laissé sa femme près de devenir mère. Quand elle apprit l'enlèvement de l'arche, la mort de son beau-père, celle de ce coupable époux qu'elle aimait encore, elle s'affaissa. Comme Rachel, la femme de Phinées donna, dans son agonie, la vie à un enfant. Comme à Rachel aussi, on lui cria qu'un fils lui était né. Et, de même que l'épouse chérie de Jacob, elle accueillit avec tristesse l'enfant de la mort et lui donna un nom qui exprimait son angoisse. Mais la tristesse de Rachel était toute personnelle ; celle de la femme de Phinées était patriotique. Aussi cette dernière n'appela-t-elle pas son enfant fils de ma douleur : elle le nomma I Kabod, où est la gloire ?

La gloire s'est éloignée d'Israël, car l'arche de Dieu a été prise[67], dit-elle en expirant.

 

La présence de l'arche d'alliance au milieu des Philistins ayant attiré sur eux des calamités, ils la renvoyèrent aux Hébreux.

Depuis vingt années l'arche était installée à Kiryath-Yaarim, et les Israélites se groupaient autour du sanctuaire central. Samuel comprit que les fautes qui tant de fois avaient perdu les Hébreux étaient, non des vices incurables, mais les égarements passagers de la jeunesse. Il ne fallait qu'imprimer une direction salutaire à la sève qui débordait de ces fortes natures.

Samuel fit disparaître de son pays les derniers vestiges de l'idolâtrie. Il excita les Hébreux au repentir. Il pria pour ce peuple qu'il dirigeait désormais. Puis, quand la nation se fût fortifiée en s'épurant, le nouveau Schophêt la conduisit au combat, et le Philistin tomba devant le peuple de Dieu.

Samuel avait affermi l'œuvre de Moïse. Il en assura la durée en confiant à l'ordre des prophètes, institué par lui, le soin de la faire vivre, progresser.

Samuel vieillissait. Ses fils n'étaient pas dignes de recueillir son héritage moral et politique.

Le prophète espérait que la nation saurait soutenir par elle-même son unité et son indépendance. Mais les Hébreux crurent qu'une royauté héréditaire pourrait seule consolider leur homogénéité. Ils prièrent Samuel de leur choisir un maître. Et, malgré les avis du prophète qui leur prédisait qu'un roi ferait de leurs fils et de leurs filles ses serviteurs et ses servantes, de leurs biens sa propriété, ils maintinrent leur vœu.

 

Deux hommes entraient dans la ville de Rama qu'habitait Samuel. L'un était Saül, fils de Cis, de la tribu de Benjamin ; l'autre était son serviteur.

Saül, cherchant les ânesses égarées de son père, venait recourir à ce don de seconde vue qu'on attribuait au prophète.

A l'entrée de la ville, Saül et son serviteur rencontrèrent des jeunes filles qui allaient puiser de l'eau.

Le voyant est-il ici ?[68] leur demandèrent les voyageurs.

Et elles répondirent à Saül, avec la grâce naïve des anciens temps :

Il y est, le voici devant toi. Dépêche-toi maintenant, car aujourd'hui il vient à la ville, parce qu'il y a aujourd'hui un sacrifice pour le peuple, dans le haut lieu. Dès votre arrivée à la ville vous le trouverez, avant qu'il monte au haut lieu pour manger, car jusqu'à son arrivée le peuple ne mangera pas ; car c'est lui qui bénit le sacrifice, ensuite les conviés en mangeront ; et maintenant montez, car aujourd'hui vous le trouverez[69].

Quand Samuel vit Saül avec sa mâle beauté, son imposante stature, une inspiration divine lui montra dans le fils de Cis le roi d'Israël.

Saül est roi. Son héroïsme guerrier a sanctionné aux yeux du peuple le choix que le prophète a fait de lui pour gouverner Israël.

Mais le nouveau souverain ne tarde pas à secouer le joug que Samuel fait peser sur lui. La rupture du roi et du prophète éclate après une victoire que Saül a remportée sur les Amalécites. A la voix de Samuel, le roi a exterminé ce peuple ; mais, contrairement aux ordres du prophète, il a respecté la vie du roi d'Amalek, et épargné le plus beau bétail de l'ennemi. Le prophète s'éloigne à jamais de l'homme qui, tout en l'aimant, n'incline plus devant lui la couronne qu'il lui doit.

Avant de quitter Saül, Samuel se souvient de ceux des Hébreux qui naguère tombaient sous les coups des Amalécites ; et d'après cette loi du talion qui semble aux peuples naissants l'expression même de la justice, il venge les veuves d'Israël en frappant dans son fils la mère du roi d'Amalek.

 

Cependant le prophète regrettait ce beau et vaillant souverain qui avait inutilement tenté de le retenir auprès de lui. Dieu, qui seul vit l'affliction de Samuel, en interrompit le cours en guidant le prophète dans le choix du successeur de Saül.

Ce fut dans la tribu de Juda, à Bethléem, au sein de cette famille où étaient entrées Rahab et Ruth, que Samuel reconnut le futur souverain d'Israël. Celui-ci était un jeune pasteur nommé David. Le prophète le sacra ; et l'Esprit divin, pénétrant dans le cœur de l'adolescent, fit comprendre à David ce que Jehova attendait de lui.

Après cette cérémonie qui se fit secrètement dans la maison d'Isaïe, père de David, Samuel se retira, et attendit que les événements amenassent, sans sa participation, un dénouement qu'il s'était contenté de préparer.

 

La douleur qu'avait causée à Saül l'abandon du prophète se traduisit par ce trouble nerveux que les Israélites attribuaient à une influence surnaturelle.

L'un des serviteurs du roi plaça auprès de lui, pour le calmer, un jeune musicien : celui-ci était David.

Le fils d'Isaïe plut au roi, qui le nomma son porteur d'armes. Quand, sous la violence d'une crise, Saül perdait tout empire sur lui-même, il aimait à voir l'adolescent avec sa chevelure dorée, son frais et gracieux visage, son beau regard ; il aimait à se bercer des vibrations de son kinnor ; et sous la sereine et bienfaisante influence du jeune artiste, il se sentait apaisé.

 

Les Philistins avaient attaqué Israël. Saül alla au-devant d'eux. Quand il les rencontra, ils étaient campés entre Socho et Azéka.

Chacune des deux armées était placée sur une hauteur ; une vallée les séparait.

David, à qui ldroi permettait quelquefois d'aller reprendre auprès d'Isaïe ses occupations pastorales, arriva au camp avec des provisions que son père l'avait chargé de remettre à ses frères, soldats d'Israël, et au chef de mille sous les ordres de qui étaient placés les fils d'Isaïe.

Quand David pénétra dans le camp, les armées étaient rangées en bataille, et Israël jetait le cri de guerre. Au milieu du tumulte, David vit un homme d'une taille colossale sortir des rangs ennemis. Ce guerrier proposait de confier au résultat d'un combat singulier le sort des deux peuples en présence. Il se constituait le champion de son pays, et jetait le défi à tout Hébreu qui voudrait le relever.

David apprit que, depuis quarante jours, celte scène se renouvelait soir et matin, et qu'aucun de ses compatriotes n'avait osé répondre à la provocation de l'athlète. Cependant, parmi les dons que le roi réservait au vainqueur de Goliath, était la main d'une de ses filles.

Saisi d'une généreuse indignation, David se proposa de venger l'honneur de cette patrie dont il devait être un jour le défenseur suprême.

Avec le fougueux élan de la foi et du patriotisme outragés, David n'eut besoin que de ses armes pastorales, une fronde et cinq cailloux, pour abattre le colosse qui avait humilié la nation de Jehova.

 

Ce fut avec la tête de Goliath à la main que David reparut devant son maître.

A ce moment, le fils aîné de Saül, Jonathan, était auprès de son père. Épris de la gloire, il en avait reçu les premiers sourires. Il la voyait maintenant se donner à un rival ; et, planant au- dessus des jalousies vulgaires, il la chérissait encore, cette gloire, dans celui à qui elle se livrait ! Il aima David comme son âme[70].

Le roi donna au vainqueur un commandement dans son armée. Quand il quitta le camp, il ramena le jeune chef à sa résidence.

Ce parcours fut un triomphe pour le héros, mais aussi une humiliation pour le roi. Les femmes d'Israël, sortant des villes, se portant au-devant de leur souverain, faisant retentir leurs tambourins et leurs cymbales, cadençant leurs pas, adressaient, dans leurs chants joyeux, un compliment ironique à Saül, un éloge enthousiaste à David :

Saül a battu ses mille, disaient-elles, et David ses dix mille.

Elles ont donné à David dix mille, et à moi elles donnent mille, dit, courroucé, le souverain israélite ; il ne lui manque que la royauté[71].

Saül se souvint des chants des femmes hébraïques.

Au lendemain de la scène que nous venons d'esquisser, Saül avait tenté de tuer David. Il l'éloigna de lui, le nomma chef de mille. Le peuple s'attacha au jeune guerrier.

Aussi modeste que vaillant, David n'avait pas réclamé le prix de sa victoire sur Goliath : le nom de gendre du roi. Pour son cœur désintéressé, il était un plus haut titre, celui de sauveur d'Israël.

Cependant Saül lui promit que de nouvelles actions d'éclat lui mériteraient la main de Mérab, sa fille aînée. Le roi espérait que le Philistin se chargerait de sa vengeance.

David déclina respectueusement l'honneur que lui offrait son roi. Saül n'insista pas, et maria Mérab à Adriel.

Peut-être alors le cœur de David n'était-il plus libre.

La beauté, la bravoure du jeune chef, la poétique exaltation de son caractère, son exquise sensibilité, la persécution même qui le menaçait, lui donnaient un attrait auquel céda la fille cadette de Saül, Michal.

Le roi fut informé de l'amour que David avait inspiré à la princesse, et il résolut de se servir de cette passion comme d'une arme contre le vainqueur de Goliath.

Il dit à ses serviteurs :

Parlez secrètement à David, savoir : Voici, le roi t'est favorable, tous ses serviteurs t'aiment, et maintenant deviens le gendre du roi[72].

Les messagers de Saül s'acquittèrent de leur mission ; mais David, n'osant croire à son bonheur, leur répondit :

Est-ce peu de chose à vos yeux de devenir le gendre du roi ? et je suis un homme pauvre, et sans importance ![73]

Quand Saül apprit par quelle délicatesse de sentiment David n'osait rechercher son alliance, il lui fit savoir que le meurtre de cent Philistins était le seul mohar qu'il exigeât de son gendre.

Alors le jeune homme qui, par son rang, se croyait indigne de Michal, sentit que, par sa vaillance, il pouvait s'élever jusqu'à elle.

Lorsqu'il revint de son expédition, il avait tué un nombre d'ennemis deux fois plus considérable que celui qu'avait fixé Saül.

Le roi unit sa fille à l'homme qu'elle aimait.

Ni la tendresse de Michal, ni l'amitié de Jonathan, ne purent prémunir David contre le jaloux ressentiment de Saül. Un jour vint où, irrité par la gloire croissante de son gendre, le roi voulut le tuer au moment même où David essayait de calmer une de ses crises par les sons du kinnor.

Le fils d'Isaïe s'enfuit dans sa maison. C'était pendant la nuit. Saül fit garder la demeure de son gendre par des émissaires qui, au matin, devaient assassiner David.

Michal est informée du danger que court son époux. Elle l'en avertit, et lui dit :

Si tu ne te sauves pas cette nuit, demain tu es mort[74].

Elle fait descendre par la fenêtre celui que, pendant de longues années, elle ne reverra plus. Mais ce n'est pas l'heure des larmes, c'est celle de la lutte.

Michal va au lit de David, elle y met une statue ; et lorsque les émissaires de Saül pénètrent dans la chambre pour s'emparer, de son époux : Il est malade[75], dit-elle.

Les messagers reviennent. Le roi a ordonné qu'on lui apportât le malade dans son lit.

La ruse de la jeune femme est découverte. Mais quand le roi reproche à Michal de ne point s'être opposée à la fuite de l'ennemi de son père, elle lui répond qu'en laissant s'échapper David elle n'a cédé qu'aux sombres menaces de celui-ci.

 

David est au désert de Pharan.

De longs et tristes jours le séparent de cette nuit où il a quitté Michal. D'abord, il s'est réfugié au pays des Philistins ; mais il y a retrouvé le souvenir de ces chants féminins qui célébraient sa victoire sur Goliath. Il a dû fuir, demander un asile à la caverne d'Adullam, située dans une vallée de Benjamin. Là, sa famille l'a rejoint ; et des hommes de condition précaire ou d'esprit mécontent sont venus à lui. Après avoir fait à Milspâ un séjour pendant lequel il a confié son père et sa mère au roi de Moab, il s'est retiré dans la forêt de Hareth. Un jour Abiathar, fils du grand prêtre Achimélech, s'est rendu auprès de lui, et lui a appris que, coupables d'avoir protégé la fuite du gendre de Saül, son père et ses concitoyens avaient été massacrés par l'ordre du roi. Personne, parmi les habitants de la ville sacerdotale de Nob, n'avait été épargné, ni les femmes, ni les enfants.

Mais l'exilé n'a pas abdiqué l'amour de sa patrie ; à la tête de ses partisans, il a combattu les Philistins. Il n'a même pas abdiqué sa vénération pour son roi ; et quand, dans le désert d'En-Gadi, le sort a livré Saül entre ses mains, David a respecté en lui l'oint de Jehova.

Peu de douleurs ont été épargnées au cœur aimant de David. Samuel, son protecteur, vient de mourir ; et Michal n'a pu lui conserver sa foi : Saül a marié sa fille cadette à Palti, fils de Laïsch.

Au moment où nous rencontrons David dans le désert de Pharan (1060 ans avant Jésus-Christ), il manque de vivres. Alors il se souvient que ses partisans et lui ont protégé, sur le Carmel[76], les pasteurs d'un homme de Maon, puissamment riche, et nommé Nabal. Maintenant celui-ci tond ses brebis sur la montagne. N'est-ce pas le moment de lui faire savoir que les hommes qui ont sauvegardé les troupeaux dont il recueille en ce jour la laine ont besoin de lui et lui tendent la main ?

Par dix de ses jeunes partisans, David fait appel à la générosité de Nabal. Un refus, dédaigneusement articulé, est la réponse de ce dernier.

Un des serviteurs de Nabal est péniblement impressionné de l'accueil hautain que les envoyés de David ont reçu de son maître. Il était du nombre des pasteurs sur qui veillaient David et ses soldats. Il se souvient de la délicatesse avec laquelle le fils d'Isaïe et ses partisans les traitaient. Sa conscience, son cœur, tout lui crie que Nabal, en repoussant la prière de ceux qui l'ont obligé, est injuste, ingrat. Mais comment le faire revenir sur sa résolution ? Nabal est dur, brutal ; et il ne souffrirait pas un avis, un conseil.

Ce n'est pas non plus auprès de lui que se rend son serviteur. Ce dernier sait où la voix de la charité peut se faire entendre : c'est chez une femme belle et pure, la propre compagne de Nabal, Abigaïl.

Le serviteur va à elle. Il 'Informe de la conduite de Nabal envers David. Il achevait à peine son récit, et déjà Abigaïl chargeait sur des ânes deux cents pains, deux outres de vin, cinq moutons préparés, cinq mesures de grain rôti, cent paquets de raisins de caisse et deux cents de figues sèches.

Passez devant moi, dit-elle à ses serviteurs ; j'arrive après vous[77].

Elle suivit le convoi. Son mari ignorait et son départ et les préparatifs qui l'avaient précédé.

Abigaïl descendait vers une vallée. Elle rencontre une troupe de soldats. Ce sont les partisans de David ; leur chef les dirige, et, avec leur secours, va se venger de Nabal.

Abigaïl a tout compris. La vie de Nabal est en danger ! Sans doute, cet homme est indigne d'elle, et elle ne peut l'estimer... Qu'importe ! il est son époux ; et la voix du devoir, sinon celle de l'amour, lui crie de le défendre, fût-ce au prix de sa vie !

Abigaïl était précipitamment descendue de sa monture ; et, prosternée devant David, son beau visage collé sur la terre, elle disait :

Que sur moi, moi, mon seigneur, tombe le châtiment ![78]

Elle accuse son mari, ce Nabal dont le nom exprime la folie : l'homme inconscient de ses actes doit en être irresponsable.

Et, tout en priant David de lui permettre de réparer une faute à laquelle elle n'a point participé, tout en lui offrant ses provisions, Abigaïl le détourne de ses projets meurtriers. Que l'homme qui conduit les batailles de l'Éternel ne venge pas lui-même sa propre cause ! Qu'il accueille avec sérénité l'outrage du pécheur, et qu'il laisse le soin de sa défense à cette Justice souveraine dont les desseins s'accomplissent, non-seulement dans le temps, mais dans l'éternité

Que si quelqu'un se lève pour te poursuivre et pour attenter à ta vie, l'âme de mon seigneur sera enveloppée dans le faisceau de la vie auprès de l'Éternel ton Dieu, mais il lancera l'âme de tes ennemis dans le creux de la fronde[79].

Abigaïl, reconnaissant en David le futur souverain d'Israël, l'exhorte à ne point souiller de sang la main qui gouvernera un peuple, à ne point préparer de remords au roi dont le calme regard doit planer au-dessus des passions humaines !

Et quand l'Éternel aura fait du bien à mon seigneur, souviens-toi de ta servante[80].

A ces paroles où respirait la douceur de la femme, mais où vibrait aussi un écho du langage prophétique, David sent son âme se rasséréner, s'élever. Devant l'idée de la Justice éternelle, qu'évoquait Abigaïl, il comprend le néant de ses projets de vengeance : c'était à la croyance à l'immortalité de l'âme qu'il appartenait de faire cesser la peine du talion ! — Devant la tendre charité de cette femme qui lui demande la grâce d'un époux méprisable, il se reproche d'avoir voulu frapper l'homme qui l'a offensé. — Puis une autre pensée traverse son esprit : il avait juré d'exterminer toute la maison de Nabal ; et si Abigaïl ne l'avait pas empêché de tenir son serment, il frappait, à côté de son ennemi, la belle et généreuse créature qu'il admire maintenant !

Sa voix émue bénissait dans Abigaïl la messagère de Dieu ; dans les conseils qu'elle lui donnait, l'inspiration du ciel. Et de sa main il acceptait les dons qu'elle lui avait offerts.

Remonte en paix à ta maison, lui dit-il, regarde, j'ai obéi à ta voix, et je t'ai été favorable[81].

La jeune femme revint auprès de son époux. Nabal était ivre ; Abigaïl se tut. Mais le lendemain, quand il fut en état de l'entendre, elle lui dit quel était le péril auquel elle l'avait arraché.

Faible comme l'indiquait la violence de ses instincts, Nabal demeura foudroyé de terreur.

Dix jours après, la justice de Dieu avait vengé David. Abigaïl était veuve.

Des hommes vinrent à la jeune femme.

David nous a envoyés vers toi afin de te prendre pour sa femme[82], lui dirent-ils.

Abigaïl, qui naguère avait dû tant souffrir de voir son existence à jamais rivée à celle d'un homme de mœurs grossières, Abigaïl se prosterna ; et parlant dans son cœur au fiancé qui faisait revivre en elle les espérances de sa jeunesse, elle dit :

Ta servante sera ton esclave pour laver les pieds des serviteurs de mon maître[83].

Depuis cette époque Abigaïl n'apparaît plus que dans la pénombre de la scène sacrée. Aussi retracerons-nous ici l'impression qu'elle a exercée sur nous.

Abigaïl est l'une de nos héroïnes de prédilection. C'est qu'elle nous semble le prototype de la femme de l'Évangile, la femme de l'Évangile aussi bien dans ses vertus domestiques que dans ses croyances spiritualistes. La belle et suave figure d'Abigaïl ne vieillira jamais, car, dans nos civilisations chrétiennes, les épreuves de ce type se multiplieront toujours.

Grande par l'intelligence et par le cœur, l'épouse de Nabal est unie à un homme qui ne peut comprendre ni l'élévation de ses idées, ni la noblesse de ses sentiments. Et néanmoins, maintenant intacte la dignité de son foyer, elle souffre en silence les fautes de son mari, s'efforce de les réparer, et s'expose elle-même au péril pour sauver le coupable. Que lui a-t-il fallu pour la soutenir dans son austère dévouement, sinon ce qu'elle a si éloquemment exprimé : la foi dans la Providence, et l'espoir de cette éternité en présence de laquelle les misères d'ici-bas semblent fugitives comme l'ombre ?

 

David était depuis seize mois installé dans la ville de Siclag, sous la protection d'Achis, roi de Gath. Les Philistins, qui naguère avaient repoussé en lui le vainqueur de Goliath, l'accueillaient maintenant comme l'ennemi de San Nombre d'Israélites venaient à lui, grossissaient son armée, l'aidaient dans les excursions guerrières qu'il entreprenait principalement contre les Amalécites. Pour mieux captiver la confiance du roi de Gath, David assurait à ce prince que ses expéditions étaient dirigées contre les Israélites ; et, de peur que des témoins ne s'élevassent contre lui, il exterminait jusqu'aux femmes de ses victimes.

Cette cruauté faillit lui devenir fatale.

Les Philistins avaient entrepris une guerre décisive contre Saül. David et ses partisans avaient dû se joindre aux ennemis d'Israël. Mais ceux-ci se souvinrent, cette fois encore, de cette victoire du fils d'Isaïe qu'avaient exaltée les femmes hébraïques ; et, redoutant, non sans justesse, la défection du frère adoptif de Jonathan, ils exigèrent de leur roi que David et ses troupes quittassent l'armée.

Quand David et ses soldats retournèrent à Siclag, ils trouvèrent la ville en cendres. Leurs femmes, leurs enfants avaient disparu. Parmi les premières étaient Abigaïl et Achinoam de Yezreel que David avait épousée avant de s'unir à la veuve de Nabal.

Les Amalécites avaient vengé leurs femmes :

David et ses guerriers sanglotèrent jusqu'à ce que la source de leurs larmes fut tarie. Alors, au désespoir que causait au jeune chef la disparition de ses femmes, se joignit la crainte d'un danger personnel, car ses gens, le rendant responsable de leur malheur, tournaient contre lui leur rage.

Mais, assuré par la voix de Dieu qu'il atteindrait les auteurs de la razzia, David entraîna à sa suite six cents de ses partisans.

David revint à Siclag avec les femmes, les enfants, le butin enlevés.

 

Pendant ce temps, le sort de Saül se décidait.

Une nuit, trois hommes pénétrèrent dans l'une des cavernes de la montagne sur laquelle repose le village d'Endor. Cet antre abritait une pythonisse[84].

L'un des trois visiteurs demanda à la sorcière de lui faire apparaître un homme qu'il lui nommerait.

Elle résista. Elle se souvenait que Saül avait exterminé les ohoth[85] et les yidonime[86], et elle redoutait un piège.

L'inconnu insista, promettant à la pythonisse que sa vie serait sauve.

Qui veux-tu que je te fasse monter ?[87] dit-elle, prête à se livrer à ses mystérieuses incantations.

Fais-moi monter Samuel[88], dit à cette femme son interlocuteur.

Soudain la sorcière jeta un grand cri. Elle n'avait pas le pouvoir de faire sortir un prophète de sa tombe ; et cependant elle voyait apparaître une ombre

Alors elle devina que la présence du visiteur était l'enchantement qui avait attiré le fantôme ; et elle dit à l'homme qui la consultait :

Pourquoi m'as-tu trompée, puisque tu es Saül ?[89]

C'était en effet le roi, le roi qui, avant de livrer la bataille, avait en vain demandé aux interprètes de Jehova quelle serait l'issue de ce combat, et qui, abandonné de l'Esprit divin, était réduit à solliciter le secours de cet art occulte qu'il avait-proscrit !

Cependant le prophète montait, enveloppé de son manteau. Il reprocha à Saül d'avoir troublé son dernier repos, et lui apprit que le lendemain, jour de la bataille, le roi, ses fils, l'auraient rejoint dans le Schéol, et qu'Israël serait vaincu.

Involontairement ici, nous nous souvenons de cette scène riante où les vierges de Rama montraient au fils de Cis, ce voyant, ce prophète, qui allait verser l'onction royale sur sa belle et noble tête. Qu'était devenu ce temps ?.....

Quand Saül entendit le sombre avertissement de Samuel, il n'avait rien mangé, ni pendant cette nuit lugubre, ni pendant le jour qui l'avait précédée. Épuisé par la faim, il ne put résister à la peur. Il défaillit et tomba.

La pythonisse vint au roi. Elle lui rappela que, pour lui obéir, elle s'était exposée à la mort ; et elle le supplia de céder, lui aussi, à sa prière. Elle lui conseilla de prendre quelque nourriture. Il refusa ; mais, vaincu par les instances de cette femme, il se releva, et, s'asseyant sur un lit, attendit que son hôtesse lui apportât des aliments.

La pythonisse avait un veau engraissé, elle s'empressa de le tuer ; elle prépara des pains dont elle n'eut pas le temps de faire lever la pâte ; puis elle servit au roi, aux deux hommes qui l'avaient suivi, le repas qu'elle leur offrait.

Josèphe loue avec raison le dévouement magnanime et désintéressé de cette femme, qui secourait son persécuteur au moment même où celui-ci allait descendre dans la tombe.

Quand le roi et ses serviteurs quittèrent l'antre de la pythonisse, le jour ne s'était pas encore levé.

 

David était à Siclag. Il apprit les résultats de la bataille qui s'était livrée entre les Philistins et les Israélites : la défaite de sa patrie, la mort de son frère Jonathan, le suicide de son roi.

David pleura sur Saül et sur Jonathan, sur son persécuteur et sur son ami. Dans une élégie où son âme généreuse et tendre respire tout entière, il demande qu'on n'annonce pas la mort des deux princes aux filles des Philistins, de peur que leurs tressaillements de joie ne répondent à ses larmes. Mais il excite les vierges d'Israël à pleurer sur Saül qui, vainqueur naguère, les couvrait de pourpre et d'or.

C'est sur Jonathan que s'arrête son plus amer regret, sur le frère dont l'affection lui était plus chère que l'amour de la femme

 

Roi de la tribu de Juda, David luttait contre un fils de Saül, Isboseth, qui avait été proclamé roi d'Israël.

David résidait à Hébron. Il y prit de nouvelles femmes. Parmi les enfants qui lui naquirent de ses six épouses, l'un d'eux, Kilab[90], dut le jour à Abigaïl qui avait vu le front de David se couronner des premiers rayons de cette gloire royale qu'elle avait annoncée à l'exilé.

Cependant l'admiration qu'Abigaïl avait inspirée à David n'avait pu faire oublier à celui-ci son premier amour. La femme de sa jeunesse était toujours présente à sa pensée. Et quand Abner, le principal soutien d'Isboseth, fit proposer à David de passer à son service, le roi de Juda accepta les offres du général à la condition qu'Abner lui ramènerait Michal. David fit aussi demander sa première femme à son rival Isboseth, frère de celle-ci. Il se rappelait que, pour la conquérir, il avait bravé les dangers de la guerre. Et pouvait-il oublier qu'il lui devait la vie ?

Isboseth renvoya sa sœur à David. Abner la conduisait au roi de Juda.

Mais alors, nous le disions plus haut, Michal avait contracté d'autres liens. Adorée de son second époux, le quittait-elle sans regret ? Palti ne pouvait se résigner à se séparer d'elle. Blessé au cœur, versant des larmes, il la suivit jusqu'à ce que, parvenu à Bahourime, il entendit Abner lui dire : Va-t-en, retourne[91].

Michal ne se souvint-elle pas de celle scène quand, arrivée à Hébron, elle n'occupa plus à elle seule le cœur de son premier mari ; quand, même après sa réunion avec David, celui-ci lui adjoignit d'autres rivales ? Fille de roi, et naguère compagne unique de David, que ne dut-elle pas souffrir dans sa double fierté de princesse et de femme !

Michal perdit son frère Isboseth, dont la mort violente fut vengée par David. Un seul survivant mâle représentait la race de Saül : c'était Méphiboseth qui, âgé de cinq ans quand mourut le roi son père, avait été emporté si précipitamment par sa gouvernante que cette femme l'avait laissé tomber : Méphiboseth était devenu boiteux.

Ce ne fut pas auprès de lui que se groupèrent les tribus. Michal vit la couronne d'Israël ceindre la tête de David. La fille de Saül était reine.

 

David avait conquis la forteresse de Sion. Jérusalem était la capitale d'Israël. (1031 ans avant Jésus-Christ.)

Michal était à une fenêtre de la maison royale ; elle assistait à la translation de l'arche d'alliance dans la cité de David.

Portée par des lévites, l'arche s'avançait. Parmi les musiciens dont les instruments accompagnaient l'hymne sacré, de jeunes femmes battaient des timbales[92].

Les chantres exaltaient la grandeur de ce Maître de l'univers qui allait fixer sa demeure sur la montagne de Sion. L'homme oserait-il approcher de ce sanctuaire ?... Oui, par l'amour de la vérité, par la pratique de la justice, l'humble créature peut s'élever jusqu'aux pieds de Celui qui est !

A Jehova est la terre et tout ce qui la remplit, l'univers et ceux qui l'habitent.

Car c'est lui qui l'a fixée sur les mers, et qui l'a affermie sur les fleuves.

Qui montera sur la montagne de Jehova et qui s'élèvera jusque dans son lieu saint ?

Celui qui a les mains pures et le cœur sincère ; celui dont le désir n'est pas excité pour ce qui est mauvais et qui ne fait pas un faux serment[93].

C'était un psaume de David qu'interprétaient les chanteurs. Et le roi lui-même, dépouillé des insignes de son rang, vêtu de lin et ceint de l'éphod comme les lévites, le roi mêlait à ce concert les accents de sa voix, les accords de sa harpe, et se livrait à l'une des principales manifestations de la joie religieuse chez les anciens : la danse.

Michal regardait son mari. Que de jours, que d'événements surtout, la séparaient de ce temps on, dans la maison de son père, elle laissait échapper le secret de sa tendre admiration pour le fils d'Isaïe ; de ce temps où elle abritait son jeune époux de son ardente sollicitude !

Quand elle vit le roi se livrer devant l'arche aux transports d'une joie délirante, l'aimait-elle encore ? Non, elle ne l'aimait plus, car elle put le mépriser !

Cependant la marche triomphale poursuivait son cours. L'arche allait être placée sous la tente que David lui avait réservée. A ce moment, deux chœurs de lévites, se répondant, rendent les derniers et sublimes élans du poème royal :

Portes, soulevez-vous ; portes de l'éternité, élevez-vous, que le roi de la gloire fasse son entrée.

Qui donc est le roi de la gloire ? C'est Jehova, puissant et fort, Jehova, fort dans la guerre.

Portes, soulevez-vous ; portes de l'éternité, élevez-vous, que le roi de la gloire fasse son entrée.

Qui est-il donc, ce roi de la gloire ? Jehova puissant et fort, Jehova Sabaoth, c'est lui qui est le roi de la gloire[94].

L'arche est dans la tente.

David offre à l'Éternel des holocaustes, des sacrifices pacifiques. Roi guerrier, il bénit ses sujets au nom de Jehova Sabaoth, le Dieu des armées. Tout homme, toute femme d'Israël reçoit de lui un pain, une mesure de vin, un gâteau. Puis David se dirige vers sa demeure, pour y appeler sur ses femmes, sur ses enfants, le regard favorable de Dieu.

Jusqu'à présent le roi a été témoin de l'enthousiasme d'un peuple qui salue, dans le symbole de la présence divine au milieu de lui, la consécration de son unité nationale. Sans doute David rencontrera dans sa famille quelque trace des solennelles émotions ite ce jour ?

Michal se rendait au-devant de lui. Mais loin d'attendre les paroles d'amour et de paix qui allaient déborder des lèvres de son époux, elle tarit en lui, par une hautaine ironie, la source des effusions intimes

Qu'il s'est montré grand, aujourd'hui, le roi d'Israël ! qui s'est mis à découvert aujourd'hui aux veux des servantes de ses serviteurs, comme se mettrait à découvert un homme de rien[95].

Ce n'était plus la compagne de David qui parlait : c'était la fille de Saül. Le roi le sentit, et reprit cette majesté souveraine qu'il n'avait abaissée qu'aux pieds du Maître de l'univers.

C'est devant l'Éternel, qui m'a choisi plutôt que ton père et toute sa maison pour m'ordonner chef du peuple de l'Éternel, d'Israël, c'est devant l'Éternel que je me suis réjoui.

Et quand je m'abaisserais encore plus que cela, si j'étais humble à mes yeux je serais honoré auprès des servantes dont tu as parlé[96].

Le dernier lien qui attachât David à sa première femme venait de se rompre. Jamais la fille de Saül ne devint mère.

La figure de Michal nous semble peu sympathique si nous ne la considérons que dans sa dernière apparition. L'attitude railleuse de cette princesse nous glace. Mais à notre froideur succédera un profond sentiment de pitié si, évoquant le passé, nous voyons-cette femme placée d'abord entre son obéissance filiale et son amour conjugal ; arrachée ensuite à l'époux de son choix, et livrée à un second mari ; puis, au moment où peut-être elle s'attachait à ses derniers liens, obligée de reprendre la chaîne qu'elle avait été contrainte de briser ; retrouvant enfin dans son premier époux, non plus l'ami de sa jeunesse, mais le maître d'un gynécée. Nous comprendrons alors qu'au milieu de ces tiraillements une âme ardente et généreuse ait dû perdre ses illusions, ses espérances même, et qu'elle se soit fermée sur une blessure envenimée.

Et d'ailleurs, en restituant à Michal la place qui lui est due, nous reconnaîtrons que ce fut par elle que la dynastie davidique, sauvée dans son chef, put voir se dérouler ses hautes destinées.

David était dans toute l'exubérance de sa puissante vitalité. Longtemps courbé sous le joug du malheur, il se redressait, enivré de gloire, altéré de plaisir.

Victorieux des Philistins, des Moabites, des Syriens, des Edomites, il entreprend encore une expédition contre les Ammonites ; mais cette dernière campagne, qui cimente sa puissance guerrière, devient pour lui une occasion de déchéance morale. C'est au siège de Rabbath-Ammon qu'il expose la vie d'Uri, brave et austère officier dont il aime la femme, Bethsabée. Uri est tué, et David peut épouser la veuve de l'homme qu'il a envoyé à la mort.

Bethsabée devient mère ; mais David, le riche pasteur qui, selon le touchant apologue du prophète Nathan, a enlevé au pauvre son unique brebis, son amie, sa fille, David a mérité d'être frappé dans ses meilleures affections. La mort de cet innocent enfant qui a inspiré au roi une tendresse aussi pure que celle qu'Uri avait vouée à sa femme, la mort de l'enfant de Bethsabée sera la rémunération du crime de David.

Le roi expie son péché par ses remords, et par la résignation avec laquelle il accepte son châtiment. Il se rappelle sa première jeunesse, si belle, si austère, si enthousiaste, et ce souvenir le brise de douleur. Sont-elles donc à jamais flétries, les saintes aspirations de son adolescence ? Oh non ! Dieu peut purifier le cœur où elles se sont fanées[97].

David consola la pauvre mère. La naissance d'un autre fils, de Salomon, cimenta le pardon que Dieu accordait aux coupables.

Mais les entrainements auxquels avait cédé le roi devinrent d'un funeste exemple pour ses enfants. Il avait eu de Maacha, princesse de Gessur, une fille, Thamar. Celle-ci fut outragée par Ammon, fils de David et d'Achinoam de Yezreel. Son frère Absalom la recueillit, tua l'homme qui l'avait insultée, et s'enfuit.

Trois ans après, le roi avait cessé de pleurer la mort d'Ammon ; il regrettait l'exil du fratricide.

Joab, fils d'une sœur de David, et chef de l'armée d'Israël, s'aperçut du changement qui s'était opéré dans l'âme du roi.

Une femme de Thecoa vint se jeter aux pieds de David :

Ô roi ! secours ![98] lui dit-elle.

Cette femme est veuve. Elle avait deux fils. Ses enfants se sont querellés, l'un a frappé l'autre, et maintenant la veuve n'a plus qu'un fils.... Ce fils même va expirer, car les rédempteurs du mort exigent de la mère qu'elle leur livre le coupable. Devant le danger que court son enfant, cette mère, loin de vouloir venger le meurtre de la victime, implore du roi la grâce de l'assassin.

David la lui accorde.

L'Éternel est vivant ! dit-il. Pas un cheveu de ton fils ne tombera à terre ![99]

Alors la parole de la veuve devient sévère. Pourquoi le roi n'exécute-t-il pas dans sa propre maison une sentence analogue à celle qu'il vient de prononcer ? Le roi est donc coupable, en repoussant Absalom ?

Car certes, ajoute-t-elle, nous mourrons, et nous serons comme les eaux qui s'écoulent sur la terre, que nul ne recueille[100]......

Et néanmoins, dans ce court passage de la vie à l'éternité, Dieu ne veut pas que le' pécheur se perde sans retour. Il soutient encore le coupable qui, par cet appui, peut rentrer dans la voie du salut.

La femme de Thecoa n'ignore pas la témérité des conseils qu'elle ose donner à son roi. Mais elle espère que le mandataire de la justice divine aura la sérénité du pouvoir qu'il représente.

Le roi parla. Il n'y avait, dans son langage, ni colère, ni dédain.

De grâce, dit-il à la veuve, ne me cache rien de ce que je te demande !

Que mon seigneur le roi parle.

Est-ce que la main de Joab n'est pas avec toi dans tout ceci ?[101]

Avec une noble sincérité, la veuve de Thecoa avoue qu'elle n'a été que la messagère de Joab.

Le roi ordonna au général de lui ramener son enfant. Cette fois encore, une femme avait exprimé la croyance au Dieu des miséricordes qui, sachant que ses jugements sont éternels, secourt le pécheur avant de le condamner.

 

Malgré le pardon que lui avait accordé David, un jour vint où Absalom se révolta contre son père.

Le roi fuyait devant son fils. Deux de ses partisans apprirent par une servante, messagère d'un de leurs affidés, qu'Absalom poursuivait l'homme qui lui avait donné la vie. Ils allèrent avertir leur souverain. Pendant leur route, ils avaient fait halte dans la maison d'un habitant de Bahourime, dont la femme les avait cachés dans un puits.

Le roi se prépara au combat.

Quand la bataille eut cessé, le vainqueur n'avait plus de fils, et le roi pleurait le rebelle.

 

David eut à comprimer une autre révolte. Séba, fils de Bichri, se leva contre lui, et se retira dans la ville d'Abel, où Joab l'assiégea.

Une femme sage d'Abel, interpellant Joab, lui reprocha de vouloir détruire une cité israélite. Le général lui répondit que l'extradition de Séba serait la rançon de la ville.

Selon le conseil que cette femme donna à ses concitoyens, la tête de Séba fut jetée à Joab par-dessus la muraille d'Abel.

La vieillesse accablait David. Il allait mourir, laisser à un successeur un État à l'apogée de sa puissance, de sa civilisation. Véritable roi d'un peuple animé de l'enthousiasme patriotique et de la ferveur religieuse, David avait su, malgré ses fautes, en comprendre l'esprit, en diriger les aspirations.

Pendant qu'il étendait son empire jusque vers l'Euphrate, il amassait à Jérusalem les matériaux destinés à ce temple dont l'érection était réservée à son fils Salomon, mais qui devait retentir des chants que le roi-prophète avait composés à ses heures de souffrance ou de joie.

Par droit d'aînesse, l'héritage du trône eût appartenu à Adoniah, fils de Haguith ; mais David avait promis à Bethsabée que Salomon serait son successeur.

Néanmoins Adoniah étalait un faste royal, et son père n'osait lui rappeler qu'il ne serait qu'un des premiers sujets de son frère.

Le roi avait confié l'éducation de Salomon à Nathan, le même prophète qui lui avait reproché la faute dont la femme d'Uri avait été complice.

L'homme de Dieu vient à Bethsabée. Il l'avertit qu'un grave danger menace la vie de son fils, la sienne. En ce moment, un festin réunit les partisans d'Adoniah, qui saluent en celui-ci leur seigneur, leur roi.

D'après les conseils de Nathan, la reine pénètre dans la chambre de David. Auprès du roi se tenait une femme jeune et belle, Abisag de Sunem. Elle répandait sur la vieillesse du roi le charme de sa grâce virginale ; et David la considérait comme sa fille.

Bethsabée, s'inclinant devant la majesté royale, se prosterne.

Qu'as-tu ?[102] lui demande son époux.

Mon seigneur ! répond-elle, tu as juré par l'Éternel ton Dieu à ta servante : Certainement Salomon ton fils régnera après moi, et il sera assis sur mon trône.

Et maintenant voici, Adoniah est devenu roi, et toi, mon seigneur, ô roi, tu ne le sais pas.

Il a fait tuer des bœufs, des veaux gras, et des brebis en quantité : il a invité tous les fils du roi, Abiathar le cohène, et Joab, chef de l'armée, mais il n'a pas invité Salomon, ton serviteur[103].

Le peuple, ajoute Bethsabée, attend que le roi lui nomme son maître futur.... Un jour viendra-t-il où Salomon et sa mère seront exposés à la vengeance du prince dont David leur avait sacrifié les droits ?

Bethsabée en appelait et à l'honneur du roi, et à la tendresse de l'époux, et à l'amour du père. Elle parlait encore quand une voix se fit entendre :

Voici Nathan le prophète ![104] annonçait-on. L'homme de Dieu confirme à David ce que vient de lui dire Bethsabée. Vive le roi Adoniah ![105] crient les convives d'Adoniah.... Ce cri trouvera-t-il un écho dans le cœur de l'époux de Bethsabée ?

La reine s'était éloignée.

Appelez-moi Bethsabée[106], dit le roi.

La souveraine, revenant auprès de son époux, se tient devant lui, et attend.

David prend la parole :

Il est vivant l'Éternel, qui m'a délivré de toute angoisse !

Que comme je t'ai juré par l'Éternel, Dieu d'Israël, disant : Que Salomon ton fils régnera après moi, et qu'il sera assis sur mon trône après moi, ainsi ferai-je en ce jour[107].

Bethsabée était aux genoux de son mari, et le cri de l'orgueil maternel éclatait dans le vœu qu'elle émettait pour que David occupât longtemps encore le trône réservé à Salomon :

Vive mon seigneur le roi David à jamais ![108]

Pendant cette scène, quelles étaient les pensées d'Abisag ? Adoniah l'aimait....

 

David venait de mourir. Salomon régnait.

Adoniah se rendit auprès de Bethsabée. Il fit appel à son cœur de femme. Par droit de naissance la couronne lui appartenait. Un autre l'a obtenue. Adoniah y renonce. Mais en faisant taire son ambition, il laisse échapper le secret de son amour. Il supplie Bethsabée de demander pour lui à Salomon la main d'Abisag, la jeune fille qui a adouci les derniers jours de son père.

Bethsabée y consent.

Quand Salomon voit venir à lui sa mère, il se lève, va au-devant d'elle, s'agenouille. Un siège est placé pour Bethsabée à la droite du trône.

La reine mère apprend à Salomon qu'elle a une faveur à lui demander, et le roi lui promet de la lui accorder. Pouvait-il refuser quelque chose à la femme qui lui avait donné sa couronne, et de laquelle il disait :

J'ai été... le fils tendre et unique de ma mère ?[109]

Mais à peine Bethsabée a-t-elle exposé à Salomon le but de sa visite, qu'une parole amère trahit le mécontentement du roi. Demander l'une des femmes qui ont servi son prédécesseur, n'est-ce pas prétendre à la succession royale ? Pourquoi Bethsabée ne sollicite-t-elle pas aussi le trône pour Adoniah ?

La démarche du fils aîné de David devint son arrêt de mort.

Ici se termine le rôle de Bethsabée. Les dernières phases de la vie de cette reine nous font oublier sa triste entrée dans l'histoire. Nous ne nous arrêterons donc pas sur les fautes de l'épouse d'Uri. Mais, soit que nous voyions Bethsabée regretter la mort de son premier-né, l'enfant du crime ; soit que nous la voyions placer son second fils sur le trône, nous nous souviendrons avec intérêt des douleurs et des joies de sa maternité. Et non-seulement nous la respecterons dans les sentiments que lui inspirèrent ses enfants, mais nous l'admirerons même dans l'exercice de ses devoirs maternels. Bethsabée n'usa de son autorité sur son fils que pour essayer de le maintenir dans les voies de la justice et de la clémence. Et si, en écrivant les conseils que le roi Lamuel recevait de sa mère, le Sage se rappelait les leçons de Bethsabée ; si le portrait de la femme forte fut tracé par cette dernière, l'influence morale qu'elle exerça sur Salomon suffit pour racheter les erreurs de sa jeunesse, ces erreurs contre lesquelles elle voulut au moins prémunir son fils ! C'était à la mère qu'il appartenait de régénérer la femme.

La réhabilitation de Bethsabée explique la majesté de son attitude de reine et de femme, et la rend digne d'avoir donné le jour à l'un des ancêtres du Rédempteur.

 

Dans les premières années de son règne, Salomon, déjà marié à l'Ammonite Naama, s'allia à une princesse égyptienne que l'on croit fille de l'un des deux Psebencha, Pharaons de la vingt et unième dynastie[110].

La royale fiancée reçut en dot de son père l'emplacement de la ville cananéenne de Guézer que le Pharaon avait brûlée.

Aux fêtes de son mariage, la jeune femme souffrait. Transportée dans une cour étrangère, elle se souvenait de sa patrie ; auprès d'un époux encore inconnu, elle regrettait sa famille.

Soudain les fils de Coré entonnent un de ces chants dont l'expression concise, nerveuse, éclatante, révèle le fougueux élan de leur génie :

Mon cœur bouillonne d'un bon propos, je dis : Mes ouvrages seront pour le roi, ma langue sera le stylet d'un écrivain habile[111].

Le plus doux hommage qui puisse être offert à une fiancée, c'est l'éloge de l'homme à qui elle va s'unir. Le chœur exalte Salomon, et dans cette beauté plastique, si chère aux antiques pontes ; et dans cette grandeur morale qui ceint encore Salomon d'une austère auréole.

Les fils de Coré louent aussi leur souverain dans sa magnificence. Voici, dans son palais aux murs ornés d'ivoire, le vrai roi asiatique, au jour de son hymen, assis sur son trône, le glaive au côté, parfumé d'aromates, bercé d'harmonies, servi par des filles de roi !

À la droite du mélech[112] est la princesse d'Égypte, la reine d'Israël, la compagne de Salomon, couverte d'or d'Ophir. Et les fils de Coré, devinant la mélancolie de la fiancée, adressent à la jeune femme de caressantes et flatteuses paroles. Qu'elle penche vers eux sa belle tête attristée ; qu'avec eux elle considère son bonheur ; qu'elle oublie et la terre d'Égypte, et le palais des Pharaons, pour ce jeune époux que l'on vient de célébrer, et celui-ci l'aimera ! Que le dévouement de l'épouse paie l'époux de sa tendresse :

Écoute, fille, et considère, incline ton oreille, et oublie ton peuple et ta maison paternelle.

Et le roi sera épris de ta beauté, car c'est lui qui est ton maître ; prosterne-toi devant lui[113].

Et les Tyriens, et les grands d'Israël, offriront leurs hommages, exposeront leurs vœux à la jeune souveraine.

Qu'elle se rappelle l'allégresse répandue sur son passage quand, présentée au roi, dans sa parure de fiancée, avec ses vêtements brodés d'or, elle était suivie par ses jeunes compagnes !

Se souvient-elle encore de sa patrie ? Peut-être. Mais si le prestige du rang suprême, si l'amour d'un roi jeune, beau, magnanime, ne peuvent là consoler, ne voit-elle pas dans l'avenir des enfants qui remplaceront ses pères ?

Reine, épouse et mère, puissante de cette triple autorité, elle fera de ses fils les princes de la terre. Et sa gloire ne sera pas éphémère, car en la chantant, cette gloire, le pote lui a assuré l'immortalité !

 

Salomon entoura de sa sollicitude la fille du Pharaon. Ménageant sa fierté de princesse née sur le trône, il lui réserva une habitation distincte du gynécée royal, dans la maison de la forêt du Liban, ce palais de cèdre qu'il se fit construire après l'érection du temple.

 

Le renom de sagesse et de magnificence du roi Salomon s'étendait au loin.

Dans cette Arabie Heureuse qui, au milieu d'arides solitudes, étale sa luxuriante végétation ; dans cette contrée où les arbres épanchent la myrrhe et l'encens, où les fleuves roulent des paillettes d'or, où les montagnes recèlent l'agate, l'onix, le rubis, était le royaume de Saba[114]. C'était là que les charmes de l'Arabie aromatifère se déployaient dans tout leur éclat.

Dans la montagneuse région où reposait le pays de Saba, une nature prodigue répandait les fleurs, les fruits, la verdure. Des fleuves, des canaux alimentaient la fraîcheur de ces jardins, de ces vergers, de ces pâturages. Les arbres croissaient avec une telle exubérance que le pays entier n'était qu'un berceau de feuillage.

Le luxe du royaume répondait à la fécondité de la nature. Mais, loin de se laisser amollir par leur climat et par les raffinements de leur civilisation, les habitants de Saba avaient le culte des vertus sévères. Partout où la beauté morale leur apparaissait, ils la saluaient avec amour, et pour la voir dans tout son éclat, ils n'hésitaient pas à chercher au loin les types qui l'idéalisaient.

Aussi, quand la reine de Saba entendit louer le roi des Hébreux, elle quitta son royaume enchanté, et se rendit à Jérusalem pour y éprouver la sagesse de Salomon[115].

Les chameaux de la caravane royale étaient chargés d'aromates, d'or et de pierres précieuses.

Quand la reine entendit Salomon lui expliquer les énigmes qu'elle lui proposait, quand elle vit le luxe de son palais, elle fut saisie d'une vive émotion. Hors d'elle, elle manifesta au roi les sentiments qui l'agitaient. Naguère elle n'osait ajouter foi aux récits dont le roi d'Israël était le héros ; et cependant ce qu'elle ne pouvait croire n'était que la moitié de ce qu'elle voyait.

Ah ! elle enviait le bonheur de ceux qui pouvaient vivre dans l'intimité de Salomon ! Elle bénissait l'Éternel qui avait aimé son peuple jusqu'à lui donner, pour le conduire, l'incarnation même de la justice !

Il y avait, dans les paroles que la femme arabe adressait à Salomon, une mélancolie qui semblait trahir un

sentiment plus vif que l'admiration. Aussi les traditions arabes prétendent-elles que, lorsque la reine de Saba quitta Salomon, elle était sa femme et la mère d'un de ses enfants. Mais la Bible ne mentionne pas ce mariage.

La reine de Saba, offrant au roi d'Israël les produits de son beau pays, lui donna cent vingt talents d'or, de nombreuses pierreries et la plus grande quantité d'aromates qui fût jamais apportée au pays de Canaan. Avant de partir, la princesse étrangère reçut de Salomon les marques d'une reconnaissance toute royale.

Le jour devait venir où les étrangers chercheraient à Jérusalem, non plus le théâtre de la sagesse humaine, mais le lieu que sanctifia la source même de cette sagesse, la parole de Dieu. Alors, de même que la reine de l'Yémen et le roi d'Israël, les peuples s'uniraient entre eux dans le culte de la vérité éternelle.

 

Cependant ce même faste qui, à la cour hébraïque, avait ébloui la reine de Saba, devait être fatal au roi d'Israël.

Amolli par le luxe, Salomon ne sut pas se préserver de l'influence des femmes étrangères ; cette influence qu'il retraçait dans ses Proverbes, avec un si saisissant relief, une si énergique expression. Parmi les mille femmes de son gynécée, sept cents étaient reines.

En aimant les étrangères, Salomon adopta leurs cultes, éleva des autels à leurs dieux. L'érudition moderne a découvert sur le mont du Scandale un bloc monolithe de style égyptien, qui domine le point le plus sinistre et le plus resserré de la vallée de Josaphat. C'était, paraît-il, l'oratoire de la fille du Pharaon[116].

Pour satisfaire ses goûts fastueux, Salomon écrasait d'impôts ce peuple qui, au temps de la royauté de Saül, conservait encore ses habitudes pastorales.

La prédiction de Samuel s'était réalisée. Le maître des Israélites en était devenu le tyran.

Les Hébreux le comprirent. Aussi, quand Salomon mourut, quand Roboam, fils et successeur de ce prince, prétendit élargir encore la voie funeste qu'avait ouverte son père : A tes tentes, Israël ![117] s'écria le peuple.

Longtemps comprimés, les instincts d'indépendance du Sémite faisaient explosion dans ce cri de révolte.

Dix tribus élurent pour roi Jéroboam. Juda et Benjamin restèrent seules fidèles à la postérité de David. Et les deux royaumes divisés, Israël et Juda, commencèrent cette lutte fratricide où devait s'émousser leur force.

 

Ce n'était pas pour revenir à la foi et à la simplicité antiques que dix tribus s'étaient séparées de leurs sœurs.

La politique de Jéroboam dicta au chef du nouveau royaume d'Israël l'idée d'opposer au sanctuaire national de Jérusalem, deux foyers d'idolâtrie : Dan et Béthel.

Jehova frappa Jéroboam dans l'un de ses fils, le seul de sa maison qui eût conservé quelque amour du bien. Le jeune prince tomba malade. Alors Jéroboam se souvint du prophète Achiah qui, sous Salomon, lui avait annoncé son élévation au trône. Le roi ordonna à sa compagne, la mère de l'enfant, de se rendre auprès d'Achiah, sous le déguisement d'une femme du peuple, afin que l'homme de Dieu lui dît sans détour ce qu'allait devenir le malade. Jéroboam conseilla à la princesse d'offrir au prophète un don qui pût le fléchir : dix pains, du biscuit, un vase de miel.

C'était à Silo que résidait Achiah. L'âge avait éteint sa vue ; mais une intuition surhumaine lui fit reconnaître, dans l'humble femme qui venait à lui, la reine d'Israël.

Entre, femme de Jéroboam, lui dit-il ; pourquoi fais-tu semblant d'être étrangère ? j'ai une mission dure pour toi[118].

Et il dit à la reine ce qu'elle devra répéter à son époux. Tous les membres de la maison de Jéroboam périront, tous, jusqu'à ce pauvre enfant qu'Israël pleurera, et qui mourra au même instant où sa mère sera de retour à Thirsa, la résidence royale.

Le prophète ajoute que le nouveau royaume sera bouleversé par des troubles jusqu'au jour où, exilé sur la terre étrangère, Israël expiera son idolâtrie.

Le cœur de la mère agonisait. Elle se lève. Sans doute, elle veut courir à son fils, l'arracher, s'il se peut, à la mort, à Dieu même..... Elle se hâte[119]..... Mais ne se souvient-elle pas de l'arrêt du prophète ? Au moment où elle rentrera à Thirsa, son fils rendra le dernier soupir Et chacun de ses pas précipite la mort de l'enfant qu'elle veut sauver.....

Quittons ces scènes douloureuses. Pénétrons dans le royaume de Juda. Au pied du sanctuaire, trouverons-nous la sérénité ?

Non. Ici aussi, sur les hauts lieux et sous les ombrages, se dressent des autels consacrés aux divinités étrangères. Une femme même, l'épouse de Roboam, la mère du roi Abiam, régente pendant la minorité de son petit-fils Asa, Maacha place une idole dans un bocage.

Mais Asa, ressaisissant les saintes traditions abandonnées par Salomon et méprisées par les successeurs de celui-ci, Asa retire le pouvoir à son aïeule, brûle le dieu qu'elle adore et dont le Cédron charrie la cendre.

Josaphat, fils d'Asa, poursuivit avec plus de vigueur encore que son père les projets de rénovation religieuse qu'avait formés celui-ci.

Pendant que régnaient en Juda Asa et Josaphat, les rois se succédaient rapidement sur le trône d'Israël. Pour la plupart, ils s'y frayaient un passage par l'assassinat d'un prédécesseur.

Le fils du chef d'une nouvelle dynastie, Achab a pu recueillir le royal héritage de son père Omri.

Esclave de l'impression du moment, Achab n'a de force pour persévérer ni dans le bien, ni dans le mal. Sa faiblesse, son irrésolution, le livrent à l'ascendant d'une femme, de Jézabel.

Fille d'un roi de Sidon, Jézabel attire par son époux les sujets de celui-ci au culte de Baal. Alors surgit une apparition fulgurante : celle d'Élie. Le prophète annonce au roi que la famine punira Israël de s'être livré à l'idolâtrie phénicienne.

Le châtiment annoncé par Élie frappe le royaume. Seule, une veuve de Sarepta qui, dans sa misère, allée encore la faim du prophète, voit se prolonger sa provision de farine et d'huile. Auprès de cette femme, Élie perd son aspect menaçant, et révèle toutes les délicatesses d'une âme sensible et généreuse. Que le fils de son hôtesse soit glacé par le contact de la mort, Élie l'enlève au sein maternel, l'emporte ; et quand il revient auprès de la veuve, il tient l'enfant dans ses bras, et le rendant à la mère, il dit à celle-ci : Regarde, ton fils vit[120].

La veuve de Sarepta reconnaissait, dans le sauveur de son fils, l'envoyé de Dieu.

 

Pendant même le fléau qui punissait le crime auquel elle avait entraîné les Israélites, Jézabel nourrissait à sa table les nombreux prophètes de Baal. Quand, à la voix puissante et redoutée d'Élie, ces prophètes sont massacrés, la reine se dispose à les venger ; et l'homme de Dieu, fuyant devant elle, éprouve un moment de découragement et appelle la mort !

Délivrée de la présence de celui qui eût peut-être arraché Achab à son influence, Jézabel continue d'entraîner son époux sur la pente où elle court. Que le roi désire une terre, que cette terre soit la vigne du pauvre, que celui-ci préfère s'attirer la colère de son souverain plutôt que d'abandonner l'héritage paternel, Achab se contente de se livrer à une morne tristesse. Mais que Jézabel connaisse le sujet du chagrin d'Achab, alors, riant de sa faiblesse, elle ordonne que deux faux témoins accusent Naboth, le pauvre, d'un crime imaginaire. Et, triomphante, elle peut offrir à son époux la vigne qu'il convoitait, et dont le propriétaire a été lapidé.

Achab vient prendre possession de son nouveau vignoble. Soudain une figure imposante se dresse devant lui. C'est Élie, l'interprète des décrets divins, le vengeur des droits du peuple.

Le prophète venait annoncer à l'époux de Jézabel que l'extermination de sa maison allait répondre à l'assassinat juridique de l'un de ses plus humbles sujets. Élie ajoutait :

Contre Jézabel aussi l'Éternel a parlé, disant : Des chiens mangeront Jézabel près du rempart de Yezreel[121].

C'était à Yezreel que se trouvait la vigne de Naboth...

Achab déchira ses vêtements, se livra au jeûne, au repentir. Le Dieu des miséricordes eut pitié de lui et permit qu'il ne- vît point la ruine de sa maison.

Josaphat, le pieux roi de Juda, s'était allié au roi d'Israël en mariant son fils Joram à Athalie, fille d'Achab et de Jézabel. Il prêta son concours au père de sa bru, dans une expédition contre les Syriens. Ce fut pendant cette campagne que périt le roi d'Israël.

L'héritier d'Achab, Ochosias, suivit l'exemple que lui avait donné Jézabel. Il rejoignit son prédécesseur dans le Schéol. Son frère Joram lui succéda. Ce dernier aussi avait subi l'influence démoralisatrice de sa mère ; mais il en avait été moins perverti que son frère.

L'atmosphère est lourde et brûlante dans ce pays d'Israël. L'air et la lumière y manquent à la fois, et l'on ne s'y sent soulagé que quand la voix des prophètes, semblable au fracas de la foudre, décharge momentanément l'électricité qui nous oppresse.

Gravissons les pentes du Carmel, et laissons à nos pieds les nuages qui nous attristent.

Abrités par les épais ombrages des chênes, nous marchons sur un sol rocailleux, mais tapissé d'herbes odoriférantes, de fleurs grimpantes, de jasmins et de roses trémières[122].

La chaîne du Carmel se prolonge jusqu'à la Méditerranée où, par une brusque découpure, s'arrête son mur de roc. Dans une grotte qui domine la mer se réfugia un homme trop grand pour son siècle, et qui, en présence de l'infini, put déployer toute l'étendue de sa pensée.

Nous ne rencontrons plus cet homme sur le Carmel. Élie a disparu. — C'est Élisée, son disciple, qui réside maintenant sur cette montagne.

Le caractère d'Élisée, imposant et sévère, est cependant plus calme que celui d'Élie ; mais le disciple a, dans la pratique du bien, non moins d'ardeur que le maître.

Avant de se retirer sur le Carmel, Élisée préserva de la cruauté d'un créancier les deux fils d'un homme mort insolvable. En multipliant la provision d'huile de leur mère, il permit à celle-ci d'acquitter la dette de son mari et de soutenir sa famille.

Une femme de Sunem comprit la mission d'Élisée. Riche, généreuse, elle prépara la chambre haute pour y recevoir l'homme de Dieu. Élisée accepta l'hospitalité de cette femme. Quand il lui fit demander de quelle manière il pourrait reconnaître ses soins, elle répondit avec fierté : Je demeure au milieu de mon peuple[123]. Elle n'avait plus rien à attendre des hommes ; mais Elisée apprit qu'il lui manquait un bonheur que Dieu seul pouvait lui accorder. Elle n'avait pas d'enfants. Le prophète lui annonça que, dans un an à pareille époque, elle serrerait dans ses bras un fils.

Et elle, n'osant se livrer à cette espérance, elle suppliait Elisée de ne point faire naître en son cœur une illusion qu'il lui faudrait détruire.

Plusieurs années se sont écoulées depuis ce dernier incident quand nous rencontrons Elisée sur le Carmel.

Le prophète voit, dans le lointain, s'approcher une femme qu'il reconnaît.

Voilà cette Sunamite[124], dit- il à son serviteur Guéhazi.

A l'ordre d'Élisée, Guéhàzi court à la voyageuse, s'informe de sa santé, de celle de sa famille.

Nous allons bien[125], dit-elle.

Se dirigeant vers Élisée, elle embrasse, comme une suppliante, les pieds du prophète.

Guéhazi voulait l'arracher à cette position ; mais le prophète dit à son serviteur : Laisse-la, car son âme est attristée, et l'Éternel me l'a caché et ne me l'a point déclaré[126].

Alors éclate la secrète douleur de cette femme : Avais-je demandé un fils de mon seigneur ? n'ai-je pas dit : Ne me donne pas d'espoir trompeur ?[127]

Le prophète devine tout. Ce fils qu'à sa prière Dieu avait accordé à son hôtesse, ce fils vient de mourir ! Frappé d'un coup de soleil pendant la moisson, l'enfant avait été, par l'ordre de son père, rapporté souffrant à sa mère. Celle-ci l'avait gardé sur ses genoux, elle l'avait vu mourir dans ses bras ; comprimant son désespoir, elle avait déposé son fils sur le lit du prophète ; et sans informer son mari de leur commun malheur, elle l'avait prié de lui envoyer un serviteur, une ânesse, afin qu'elle pût se rendre sur la montagne auprès de l'homme de Dieu. Et comme son mari, étonné, lui objectait qu'il n'y avait, en ce jour, ni sabbat, ni néoménie qui dussent l'attirer chez le prophète, elle répondait : Tout va bien[128], elle sellait l'ânesse et disait à son serviteur : Mène-moi et marche ; ne m'empêche pas d'avancer, à moins que je ne te le dise[129].

Quand Élisée apprend le malheur de son hôtesse, il ordonne à son serviteur d'aller toucher de son bâton le visage de l'enfant. Mais cela ne suffit pas à la mère, qui exige que le prophète lui-même vienne à son fils.

L'Éternel est vivant, dit-elle, et ton âme est vivante, que je ne te laisserai pas[130].

Élisée cède à cette prière impérative. Il suit la femme de Sunem. Guéhazi qui l'a précédé, et qui a touché l'enfant avec le bâton du prophète, vient au-devant de son maître et lui dit :

L'enfant ne s'est pas réveillé[131].

Elisée monte dans sa chambre, en ferme la porte, demeure seul avec le mort, prie l'Éternel, s'étend sur le cadavre, prend les mains de l'enfant dans les siennes, noie dans ses yeux ce regard qu'anime la flamme prophétique, appuie sur sa bouche ces lèvres qui ont laissé passer le souffle ardent de l'inspiration. Sous l'influence de cette prière, de ce contact de feu, l'enfant s'échauffe, s'éveille.

Le prophète fait appeler son hôtesse, et lui dit :

Emporte ton fils[132].

Sans prononcer un mot, la mère se précipite aux genoux d'Élisée, prend son enfant, et sort.

 

Cette femme, dont l'histoire sacrée ne nous a pas conservé le nom, est l'un des types les plus caractérisés de la galerie biblique. Au milieu des scènes de carnage qu'évoquent les livres des Rois, cette figure austère et généreuse, énergique et tendre, repose notre cœur.

Qu'autour de la femme de Sunem ses compatriotes perdent l'antique croyance à la mission du peuple élu, elle demeure fidèle à l'esprit de la loi ; et quand l'un des interprètes de la parole de Dieu passe auprès d'elle, elle le reconnaît et l'abrite.

Elle puise dans l'ardeur de ses convictions religieuses la force de résister au malheur. Que la mort terrasse ce qu'elle a de plus cher, elle sent que sa foi est plus inflexible encore que le sépulcre. Elle ne pleure pas devant le cadavre de son enfant, car sa pensée se reporte vers le prophète qui peut ramener la vie dans ce corps inerte. Seule sa parole brève, impérative, trahit son agitation. Son énergie ne l'abandonne qu'au moment où, ressaisissant l'enfant qu'elle a reconquis sur la mort, elle s'enfuit avec lui[133].

 

Pendant qu'au milieu même de la dépravation sociale l'idée religieuse, soutenue par le prophétisme, surnageait dans quelques âmes, les Israélites voyaient tomber sur eux les châtiments qui, selon Moïse, attendaient leur infidélité à la loi.

Ben-Hadad, roi d'Aram[134], assiégeait Samarie, ville fondée par le père d'Achab, Omri, qui en avait fait la capitale de son royaume.

La cité était réduite à la famine. Le roi Joram passait sur la muraille. Il s'entendit interpeller :

Au secours, mon seigneur le roi[135], criait une voix de femme.

Joram crut que c'était là le cri de la faim. Ce cri, il ne pouvait l'apaiser !

Non, que l'Éternel t'aide, dit-il à la suppliante ; de quoi t'aiderai-je ? est-ce de l'aire, ou de la cuve ?

Qu'as-tu ?[136] ajouta-t-il cependant. Elle lui répondit :

Cette femme m'a dit : Donne ton fils, et mangeons-le aujourd'hui, et nous mangerons demain mon fils.

Nous avons fait cuire mon fils et nous l'avons mangé ; je lui dis le jour d'après : Donne ton fils pour que nous le mangions ; mais elle a caché son fils[137].

Quel appel à la justice d'un roi !

Joram n'en entendit pas davantage. Il déchira ses vêtements.

 

Ce fut avec ce malheureux roi que tomba la maison d'Achab.

Jézabel reçut le châtiment de l'influence qu'elle avait exercée sur les Israélites. Le chef d'une nouvelle dynastie se leva. Jéhu tua Joram, dont les restes furent jetés dans le champ de Naboth. Jézabel elle-même fut, par l'ordre du nouveau roi, précipitée du haut d'une fenêtre au moment où, fardée et parée, elle insultait l'usurpateur avec une hautaine et incisive ironie. Jéhu fit passer son cheval sur le corps de la veuve d'Achab. Cependant il se souvint qu'elle était fille de roi, et voulut la faire ensevelir. Il était trop tard.... La prédiction d'Élie avait reçu son sinistre accomplisse ment....

 

L'esprit de vertige qui avait perdu le royaume d'Israël troublait jusqu'au royaume de Juda.

Athalie exerça sur son mari, sur son fils, l'influence à laquelle Jézabel avait soumis Achab et ses enfants.

Le roi Ochosias, fils d'Athalie, se trouvant auprès de Joram, frère de sa mère, pendant le massacre de la maison d'Achab, n'échappa point à ce carnage.

Alors Athalie veut gouverner, non, comme sa mère, par l'ascendant de sa volonté sur les membres régnants de sa famille, mais par sa propre et souveraine autorité. Elle extermine tous les princes de la maison royale ; elle ne se réserve même pas un successeur parmi eux. Peu lui importe qu'à sa mort la couronne ceigne le front d'un chef de dynastie ! Un héritier du trône pourrait devenir son rival.

Pendant six ans Athalie, qui ne recherche d'autre appui que celui de Baal, vit dans la sécurité qu'elle doit à ses cruautés. Mais, dans la septième année de son règne, elle entend une rumeur immense s'élever du temple : Vive le roi ![138] s'écriait-on. Et le peuple frappait des mains.

Athalie courut au temple. Une foule joyeuse s'y pressait ; les trompettes retentissaient ; et, sur une tribune, un enfant de sept ans, protégé par la garde royale, était couronné du diadème.

Cet enfant était le dernier rejeton de la dynastie davidique. Pendant le massacre de la maison royale, il avait été préservé de l'aveugle fureur d'Athalie par Josabeth, sœur de son père Ochosias, et compagne du grand prêtre Joïada. Il devait la couronne à l'époux de la femme qui lui avait sauvé la vie.

Athalie déchira ses vêtements.

Conjuration ! conjuration ![139] s'écria-t-elle.

Nulle voix ne répéta ce cri.

Joïada, menaçant de mort celui qui suivrait la reine, la fit conduire hors du temple par la porte des chevaux. La fille de Jézabel fut tuée dans la vallée du Cédron. (879 av. J.-C.)

 

L'œuvre de rénovation religieuse et sociale, inaugurée par Asa et Josaphat, interrompue par l'influence d'Athalie sur Joram, sur Ochosias et le peuple qu'elle gouverna, cette œuvre est tour à tour reprise et abandonnée par Joas et ses successeurs.

Mais, nous le disions plus haut, ce n'est pas dans les annales de ses derniers rois qu'il faut chercher la véritable histoire du peuple de Dieu ; c'est dans les chants de ses hommes inspirés, dans cette poésie prophétique dont le foyer projetait alors ses plus chauds rayonnements. C'est là qu'apparaît, au milieu même d'un édifice politique en ruines, l'idée que symbolisait le peuple élu. C'est là que se révèlent les influences corruptrices qui empêchaient la masse des Hébreux de suivre les prophètes dans la voie spiritualiste et progressive où ceux-ci tentaient de faire entrer leurs compatriotes.

Aussi bien au pays d'Israël qu'au pays de Juda, nous voyons dans le luxe des femmes l'une des causes de la décadence des deux royaumes. Pour satisfaire les goûts ruineux de leurs compagnes, les chefs des Hébreux deviennent les exacteurs du peuple. La voix sévère et rustique du pasteur Amos, flagellant les femmes de Samarie, leur annonçait qu'à la mollesse de leurs habitudes succéderaient les humiliations de l'esclavage[140].

Plus tard Isaïe attaquait, avec la mâle hardiesse de son génie, les femmes de Jérusalem. La voici, la brillante Sionite. Drapée dans ses fines tuniques, dans son ample manteau ; couverte d'anneaux, de bagues, de bracelets ; parée d'une chaîne où est suspendu le flacon d'essence et où étincellent les croissants, les amulettes ; elle lève sa tète altière dont la chevelure, frisée ou tressée, est abritée par le filet et le turban que surmonte le diadème. Chaussée de sandales, elle régularise ses pas en liant ses pieds avec des chaînettes auxquelles sa marche enfantine imprime un murmure argentin[141].

Isaïe prédit à ses concitoyennes que ces cheveux qu'elles parent avec amour tomberont aux jours de malheur. Alors la corde de la captivité remplacera l'élégante ceinture ; le sac de la pénitence, le manteau traînant : le stigmate de la servitude enfin, la radieuse empreinte de la beauté.

Et le prophète évoque l'image de Sion, Sion en deuil, couchée par terre, et pleurant ses fils tués ou exilés. Mais trouvant dans le châtiment de ses compatriotes une expiation suffisante de leurs fautes, il montre Jérusalem donnant, dans son agonie même, la vie à l'idée évangélique.

 

Le royaume d'Israël est tombé[142]. Les dix tribus sont captives à Ninive.

Juda, le seul des deux royaumes séparés, qui, malgré de nombreuses erreurs, dit conservé le sens des traditions divines, Juda, tout en se soutenant encore, chancelle déjà. Le roi Manassé, dont le père, Ézéchias, a été témoin de la chute d'Israël, le roi Manassé n'a point puisé dans ce sinistre exemple la force de continuer la mission régénératrice poursuivie par son prédécesseur. Il a sacrifié aux dieux étrangers.

Hommes et femmes de Juda pleurent aux pieds de Jehova, car le vainqueur d'Israël menace ce qui reste du peuple de Dieu.

Les nations sur lesquelles a passé l'invasion assyrienne ont été brisées par sa marche impétueuse, ou se sont courbées sous l'ouragan.

 

Les habitants de Béthulie descendaient de la montagne sur laquelle reposait leur cité, quand ils virent un homme attaché à un arbre. Ils le délièrent, l'amenèrent à Béthulie, l'interrogèrent sur son malheur. C'était un prince arabe, Achior, chef d'Ammon. Il avait osé dire à Holopherne, chef des troupes assyriennes, que la force des Hébreux consistait dans la puissance de leur Dieu. Courroucé, Holopherne l'avait envoyé partager le sort qu'il réservait à la nation de Jehova.

Le lendemain, Holopherne assiégeait Béthulie.

Par l'ordre du général assyrien, les puits qui entouraient la ville furent gardés. Alors le peuple qui, croyant naguère que sa montagne lui servirait de forteresse, avait espéré pouvoir braver les flèches de l'ennemi, le peuple eut peur et vint à Ozias, l'un de ses princes. Devant leurs familles, les hommes de Béthulie demandèrent à Ozias de livrer leur ville aux Assyriens. Plutôt que de voir leurs femmes, leurs enfants, expirer sous les ardentes étreintes de la soif, ils préféraient être captifs, ils préféraient même périr par le glaive.

Ils pleuraient et suppliaient l'Éternel d'oublier leurs fautes et de ne se souvenir que de son alliance. Bientôt, épuisés par leurs gémissements, ils se turent,

Ozias se leva. Son visage était inondé de pleurs. Le prince conjura les habitants de Béthulie d'attendre, pendant cinq jours encore, la protection de Dieu. Passé ce délai, Ozias céderait au vœu de ses concitoyens.

 

A cette époque vivait à Béthune une femme jeune et belle, Judith, fille de Mérari, et veuve de Manassès.

Depuis trois ans et six mois, Judith avait perdu son époux. Héritière de la grande fortune de celui-ci, elle ne jouissait point de ses richesses. Tout entière au souvenir de rami de sa jeunesse, au culte de la foi qui lui faisait supporter sa douleur, elle vivait dans la chambre haute de sa maison. Là, sans autre compagnie que celle de ses servantes, elle ceignait ses reins d'un cilice, et n'interrompait son jeûne qu'aux sabbats, aux néoménies, aux fêtes nationales.

Dans cette sévère retraite, elle était vénérée du peuple.

Judith apprit et le danger que couraient ses compatriotes, et le désespoir qui allait les jeter aux pieds de leurs ennemis. Alors cette veuve, qui ne vivait plus que dans l'ombre du passé, se rattacha à la vie. Elle avait pu ensevelir dans la tombe de son mari les illusions de la femme, non les immortelles espérances de la fille de Jehova, de la citoyenne d'Israël. Le cœur de Judith, mort aux jouissances humaines, pouvait encore frémir d'indignation au déshonneur de la terre de Jehova, et battre d'enthousiasme pour sa délivrance.

Forte de l'autorité que lui donnent son rang et son renom, Judith appelle auprès d'elle Chabri et Charmi, prêtres de la ville. L'accueil qu'elle leur fait est sévère. Qu'est-ce que ce bruit de reddition ? Qu'est-ce que ce délai fixé par l'homme à la miséricorde de Dieu ? Qu'est donc l'homme pour qu'il assigne une limite à l'infini, une durée à l'éternel ? L'homme ose concevoir un Dieu à son image ? Ah ! si Dieu était réellement tel que se le représente l'homme, il s'irriterait de se voir amoindrir par sa créature ! Mais, inaccessible aux passions humaines, il plane, clans son inaltérable sérénité, au-dessus de cette orageuse région. Qu'ils se repentent donc, ceux qui ont voulu tenter le Seigneur ! Cette même miséricorde dont ils ont douté accueillera leurs regrets.

Pourquoi les habitants de Béthulie craignent-ils d'être abandonnés par le Tout-Puissant ? Lui ont-ils été infidèles ? Non. Mais leurs pères ont péché ? Qu'importe à la Justice souveraine ! Que l'homme pleure les fautes paternelles, mais qu'il en rejette la responsabilité ! L'Éternel ne punit pas les pères dans leurs enfants.

Les habitants de Béthulie ont pu oublier, non leur Dieu, mais sa loi. Eh bien ! qu'ils regrettent leurs erreurs ; et leur humiliation devant Dieu sera leur force contre leurs ennemis. Que leurs prêtres leur fassent comprendre que Dieu éprouve par leurs souffrances leur foi en lui-.

Tel était le sens des conseils que Judith adressait aux deux prêtres. Ozias était avec eux. Tous trois s'inclinèrent devant la vérité de ses paroles, et lui demandèrent de prêter aux habitants de Béthulie le secours de ses prières, les prières d'une sainte femme

Mais Judith semblait vouloir aider au salut de son pays par un autre moyen encore. A elle d'agir ! A ses compatriotes d'appeler sur elle la protection de Dieu ! — Cette nuit, quand Ozias et les prêtres seront aux portes de la ville, Judith sortira. Que personne ne cherche à connaître la cause de son départ.

Ozias lui dit : Allez en paix, et que le Seigneur soit avec vous pour nous venger de nos ennemis[143].

 

Judith se retire dans la chambre haute de sa maison. Vêtue d'un cilice, la tête couverte de cendres, elle est prosternée devant l'Éternel. Elle semble frémir de la résolution qu'elle mûrit ; et, pour l'accomplir, il lui faut le secours, non de ce Dieu de clémence dont elle évoquait tout à l'heure l'image, mais de ce Dieu à qui croyait obéir son père Siméon quand il lavait dans le sang la tache de Dina !

Elle, elle s'apprête à venger plus que l'honneur d'une sœur : celui d'une mère ! Et de quelle mère, la patrie !

Judith est faible ; mais que le Créateur, le Moteur de l'univers, jette sur les Assyriens le regard qu'il laissa tomber sur l'armée du Pharaon, et par la main d'une femme l'ennemi roulera dans l'abîme.

Judith va se rendre auprès d'Holopherne. Elle supplie le Seigneur de donner à sa beauté cette puissance fascinatrice qui dompte l'homme Que Dieu veille sur elle à ce moment suprême Si elle allait céder à l'amour qu'elle inspirera ? Si, par l'amour, la pitié pénétrait dans son âme ?

Donnez le courage à mon cœur, afin que je le méprise ; et la force, afin que je le frappe[144].

Maintenant, puisse Jehova se souvenir de son alliance, et venger avec Israël le respect de son nom !

 

Pendant la nuit, Ozias et les prêtres sont aux portes de Béthulie. Judith leur apparaît.

Surpris, ils la regardent..... Est-ce encore l'austère veuve de Manassès qui se présente à eux dans cette femme parfumée de myrrhe, couverte de riches vêtements, chaussée de brillantes sandales, parée de bracelets, d'anneaux, de pendants d'oreilles, de lis ; belle d'un charme enivrant, irrésistible ? — Mais, fidèles à la promesse qu'ils lui ont faite, ils ne l'interrogent pas.

Ils lui adressent les vœux qu'ils forment pour le succès de son entreprise, et le peuple, s'associant à eux, ajoute :

Qu'il soit ainsi, qu'il soit ainsi[145].

Judith ne répondait pas ; elle priait, et franchissait les portes de la ville.

Une servante la suivait, portant de la farine, des figues sèches, des pains, du lait caillé, et deux vases contenant, l'un du vin, l'autre de l'huile.

L'aube naissait. Les Assyriens virent descendre de la montagne deux femmes. C'étaient Judith et sa servante.

Arrêtée par les soldats des avant-postes, Judith s'annonce à eux comme une fille des Hébreux, comme une transfuge. Elle demande à parler à leur général.

Introduite sous la tente d'Holopherne, elle voit le satrape étincelant d'or, d'émeraudes et d'autres pierreries, et abrité par un pavillon de pourpre.

Elle s'avance, attache sur lui un regard qui le trouble, puis se prosterne à ses pieds.

Relevée par l'ordre du général, elle répond à ses interrogations. Elle a quitté son peuple, dit-elle, parce qu'elle le sait abandonné de Dieu. Fidèle à Jehova, elle croit le servir en se séparant de la nation qu'il a rejetée. Ce Dieu est tout-puissant. Aussi Judith continuera-t-elle de l'adorer, et ira-t-elle remplir, hors du camp, ses devoirs religieux. Quand Jehova lui aura dit quel jour il livrera Israël aux mains d'Assur, Judith préviendra le général.

Et Holopherne, admirant l'intelligence qui anime les paroles de la belle étrangère, assure à la fille des Hébreux que, si Jehova lui livre le pays de Juda, Jehova sera son Dieu, et que Judith aura un rang élevé dans la maison royale d'Assur.

Le général donne pour résidence à la jeune femme la tente où sont déposés ses trésors. Il veut prélever sur sa propre table les repas de l'étrangère ; mais Judith refuse : elle craindrait d'attirer sur elle le châtiment de Dieu, et elle se contentera des aliments dont elle a chargé sa servante.

Si la nourriture que tu as apportée avec toi vient à te manquer, que te donnerons-nous ?[146] lui demande Holopherne avec une prévoyante sollicitude.

Et Judith répond au général par ces mots dont il ne comprend pas l'expression étrange et sinistre :

Par mon âme, mon seigneur, votre servante n'aura pas mangé toute cette nourriture avant que Dieu fasse par mes mains tout ce que j'ai pensé[147].

Depuis trois jours Judith reçoit l'hospitalité d'Holopherne, et ne quitte le camp assyrien que pour aller, chaque soir, prier dans la vallée de Béthulie et se purifier dans une fontaine.

Au quatrième jour, nous la trouvons auprès d'Holopherne. Elle assiste à un festin que donne celui-ci. Le cœur du général, débordant de passion, n'a pu retenir l'aveu de son amour. Jamais Judith n'a été plus séduisante ; et sa grâce enchanteresse a perdu toute sévérité.

Holopherne voit même la jeune femme mouiller ses lèvres à la coupe de vin, et prendre devant lui le repas qu'a préparé sa servante.

 

Le soir est venu. Les convives d'Holopherne se sont retirés.

La servante de Judith veille à la porte de la tente d'Holopherne. Sa maitresse est demeurée seule auprès du général.

Dans sa joie, Holopherne s'est livré à un excès de boisson auquel il n'est pas accoutumé. Alourdi par l'ivresse, il s'est endormi.

Judith se tient devant le lit où repose le général. Elle pleure ; elle prie... Elle va tuer... Elle a peur !... Cet homme l'aime... Le frappera-t-elle ?...

Dans le sentiment d'une mission surhumaine, elle a cru pouvoir étouffer et la voix de la conscience, et le cri de la nature... Et cependant ses larmes coulent

C'est le moment où, chaque soir, Judith se rend dans la vallée de Béthune. Elle peut sauver son pays, aller à ses concitoyens pour les exciter à achever son œuvre... Faiblira-t-elle à cette heure qui plus jamais ne se représentera peut-être ?... Déjà Israël est tombé, et le sort des derniers Hébreux est entre les mains de Judith.

Seigneur Dieu d'Israël, disait Judith dans sa douleur, pendant que le mouvement de ses lèvres trahissait seul sa prière, fortifiez-moi, et regardez en cette heure les œuvres de mes mains, afin que vous éleviez Jérusalem, votre cité, selon votre promesse, et que j'achève ce que j'ai cru pouvoir faire par vous[148].

Le cimeterre du général était suspendu à une colonne placée au chevet de son lit. Judith le détache... Elle saisit par les cheveux la tête du général... Celui qu'elle va assassiner n'est ni un homme, ni un ami... C'est l'adversaire de sa patrie !

Frémirait-elle encore ?.....

Seigneur Dieu, fortifiez-moi en cette heure[149].

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

Les gardiens des murailles de Béthulie s'entendirent interpeller pendant la nuit.

Ouvrez les portes, car Dieu est avec nous ; il a signalé sa puissance en Israël[150], criait dans le lointain, hors de la ville, une voix de femme, la voix de Judith.

Les gardes appelèrent les prêtres. Les habitants de Béthulie, allumant des flambeaux, allèrent à Judith, se groupèrent autour d'elle.

Montant sur une hauteur, la jeune femme, dominant tout le peuple, comprima le bruit de la foule. Au milieu du silence elle dit :

Louez le Seigneur notre Dieu, qui n'a point délaissé ceux qui ont espéré en lui.

Il a accompli en moi, sa servante, la miséricorde qu'il avait promise à la maison d'Israël, et dans cette nuit il a fait périr par ma main l'ennemi de son peuple[151].

Et retirant de son sac deux objets qu'elle montre au peuple, elle continue :

Voici la tête d'Holopherne, prince de la milice des Assyriens, et voici le rideau du lit où il était couché dans son ivresse, et où le Seigneur notre Dieu l'a frappé par la main d'une femme[152].

Elle prend Dieu à témoin qu'elle n'a pas eu à payer de son honneur le salut de sa patrie. La veuve de Manassès est toujours digne de pleurer son époux.

Judith excite le peuple à remercier Dieu ; et les habitants de Béthulie et leur prince bénissent Jehova dans son instrument.

Ozias, élevant Judith au-dessus de toutes les femmes de la terre, lui promet une gloire éternelle, parce qu'elle a frappé, frappé non sans souffrir, celui qui venait asservir son pays.

Et tout le peuple disait :

Il est ainsi, il est ainsi[153].

On appelle Achior, et Judith lui montre ce que, par une faible main, a fait d'Holopherne le Dieu dont le prince d'Ammon avait, au péril de sa vie, proclamé la puissance.

Achior tombe le front dans la poussière. Mais soudain, se relevant, il s'élance aux pieds de l'héroïne, et lui adresse un hommage tout arabe :

Vous êtes bénie de votre Dieu dans toutes les tentes de Jacob ; car le Dieu d'Israël sera glorifié en vous par tous les peuples qui entendront votre nom[154].

 

Effrayée par le meurtre de son général, l'armée assyrienne fuyait, poursuivie par les Hébreux. Elle avait abandonné dans son camp d'immenses richesses qui tombèrent au pouvoir des habitants de Béthulie.

Le grand prêtre, la classe sacerdotale, voulurent voir et bénir l'héroïne. Ils se rendirent à Béthulie.

Tu es la gloire de Jérusalem, tu es la joie d'Israël, tu es l'honneur de notre peuple[155], disent en unissant leurs voix les prêtres à Judith. Et ils reconnaissent que c'est l'austérité de ses habitudes qui a fortifié la jeune femme dans sa mâle résolution. C'est dans la pureté de la vie que se retrempe l'énergie du caractère.

Hommes, femmes, jeunes filles fêtaient le triomphe national au son des harpes et des cithares.

Et Judith, chantant l'hymne d'actions de grâces, offrait à Dieu l'hommage d'une victoire remportée, non par la force des géants, mais par la grâce séductrice d'une femme. À Jehova seul les Hébreux doivent leur reconnaissance. Par lui tout se fait de toute éternité. Malheur au peuple qui s'élèverait contre la nation de Jehova !

Les habitants de Béthulie vinrent à Jérusalem. Judith, qui avait reçu l'hommage des dépouilles d'Holopherne, offrit au sanctuaire national les armes du général. Elle joignit à ces dernières la tenture qu'elle avait enlevée au lit de sa victime.

Pendant trois mois Judith partagea les joies triomphales du peuple qui lui devait son indépendance. Puis les habitants de Béthulie revinrent sur leur montagne. Judith demeura au milieu d'eux[156]. Aux solennités d'Israël elle paraissait dans tout le prestige de sa gloire.

Judith ne vit pas la chute de sa patrie. Et quand, âgée de cent cinq ans, elle mourut, ses espérances patriotiques étaient immaculées comme le souvenir qu'elle avait conservé à son époux.

Ses restes furent réunis à ceux de Manassès. Le peuple la pleura pendant sept jours.

Une fête annuelle rappelait aux Hébreux la victoire de Judith[157].

Nous n'aurons pas pour Judith la même sévérité que pour Jahel. La femme du Bédouin Héber n'avait pas, nous le disions, l'excuse du patriotisme. Sans s'exposer à un danger personnel, elle frappait lâchement, sans hésitation, sans douleur, son bête, l'ami de sa maison. — Judith n'était pas née pour le meurtre. Nous l'avons vu : le Dieu qu'elle célèbre à son entrée sur la scène biblique est déjà le Dieu des prophètes, l'Être immatériel qui ne se venge pas comme l'homme. Pour se préparer à sa mission il lui faut effacer de son âme cette image miséricordieuse, et chercher dans le passé un aspect farouche au Dieu qu'elle a besoin d'in-voguer.

Bien que l'influence du prophétisme ait spiritualisé ses croyances, Judith a été nourrie des doctrines mosaïques. Elle ne sait pas que ridée religieuse, confiée aux Hébreux, peut désormais mûrir au sein d'une organisation politique qui se flétrit. Judith se croit conduite par Jehova en frappant l'ennemi du peuple élu. Nous ne partageons pas son illusion. Ah ! qu'une créature humaine nous révèle les vérités de l'ordre éternel ; ou bien qu'immolant jusqu'à sa vie pour soulager son semblable, elle réveille nos meilleurs sentiments de charité, de générosité, d'abnégation, nous saluerons en elle l'inspiration divine. Mais que, comme Judith, elle fasse servir le meurtre à la cause qu'elle défend, alors, quelle que soit la grandeur de cette cause, nous ne diviniserons pas les moyens qui la font triompher, et nous les attribuerons à l'exaltation de la passion humaine.

Tout en faisant cette réserve, nous aimons Judith, parce qu'elle eut une foi sincère dans la légitimité de sa mission ; parce qu'elle exposa sa vie pour la remplir ; parce que son éducation, ses idées, n'étouffèrent pas en elle l'horreur du meurtre. Nous l'aimons enfin parce que, avant d'entendre tomber le glaive de l'héroïne, nous voyons couler les larmes de la femme.

 

Amon, fils et successeur de Manassé, commit les mêmes fautes que son père. Mais son fils Josias reprit les meilleures traditions de la dynastie davidique.

Dans la dix-huitième année du règne de Josias, un exemplaire de la Thorah fut découvert dans le temple. Le roi se fit lire l'œuvre de Moïse.

Devant l'inflexibilité de principes du sévère législateur, que devait sembler à Josias la condescendance de ses prédécesseurs, celle de ses sujets même, pour les cultes polythéistes ? Lorsqu'il entendit énumérer les châtiments dont Moïse avait menacé les violateurs de la loi, le souverain déchira ses vêtements et pleura.

L'heure de la vengeance divine était-elle venue ? Jehova seul pouvait le faire savoir au roi.

Josias ordonna au grand prêtre Hilkia, au secrétaire royal Schaphan, à trois autres personnages, d'aller consulter l'Éternel.

Les messagers du roi s'adressèrent à une femme inspirée, à Holda[158].

Les tristes pressentiments de Josias n'étaient que trop fondés. La prophétesse déclara que le châtiment de Juda était proche. Toutefois elle ajouta que le souverain qui avait gémi des fautes de son peuple sans y avoir participé ne verrait pas tomber la nation à laquelle il avait essayé d'insuffler les généreuses aspirations de son âme.

Époque douloureuse que celle où le repos de la tombe devait être la récompense du juste !

Josias détruisit les objets des cultes étrangers. Il retrempa la vie morale de son peuple dans la loi mosaïque, qu'il lut à haute voix dans le temple. Les Hébreux renouvelèrent leur alliance avec Jehova.

Quand vint la Pâque, Josias, qui avait soumis à son pouvoir une partie de l'ancien royaume d'Israël, réunit à Jérusalem les restes des dix tribus et les habitants de Juda.

Les Hébreux n'avaient plus rien à espérer, ils allaient mourir ; mais, avant de tomber, ils se groupaient autour de l'antique sanctuaire national, et essayaient de sauver la loi que leurs pères avaient reçue de Jehova.

Cet élan sublime n'eut pas de lendemain. Jérémie accabla de ses sombres menaces les hommes et les femmes de Sion, qui, retombant dans leur idolâtrie, allaient être témoins du désastre de leur pays. Jérémie annonçait que, bientôt, aux chants des fiançailles succéderaient les gémissements des veuves. Il prédisait à ses concitoyennes, si fières de leur maternité, qu'elles la considéreraient désormais comme une souffrance. Et devant les malheurs qu'il prévoyait, le prophète, renouvelant l'anathème de Job, maudissait le jour de sa naissance.

Ce fut sous les faibles successeurs de Josias que se consomma la ruine de Juda.

 

Transportés à Babylone, les habitants de Juda furent placés sous la même domination que les captifs venus du pays d'Israël, car, à cette époque, Assur lui-même ployait sa tête altière sous le joug chaldéen.

Malgré la générosité de leurs vainqueurs, les exilés judéens durent envier le sort de ceux de leurs frères qui étaient tombés sur le sol natal. Mieux vaut mourir dans sa patrie que de vivre sur la terre étrangère !

Privés de leur existence politique, spiritualisés par leurs souffrances, les Judéens se rattachaient avec énergie à leurs saintes croyances. Avec leurs prophètes ils pénétraient le sens de leurs véritables destinées ; ils entrevoyaient, au delà de leur retour dans leur patrie, la réalisation de leurs espérances messianiques.

 

Cyrus, roi de Perse, avait asservi l'empire chaldéen. Par l'immatérialité de ses croyances, il était digne de comprendre l'œuvre religieuse des Hébreux : il leur avait accordé les moyens de la poursuivre en leur permettant de rentrer dans leur patrie, de reconstruire leur temple.

Une première colonie juive avait profité des généreuses intentions de Cyrus.

Nous sommes dans la troisième année du règne de Xerxès[159] (482 av. J.-C.). Excité par Mardonius à venger sur la Grèce le désastre de Marathon, le jeune roi a réuni à Suse les hauts dignitaires de son royaume pour leur soumettre son plan de campagne[160].

Avant de dissoudre l'assemblée qui a sanctionné ses projets, Xerxès donne à ceux de ses sujets qui se trouvent à Suse un festin de sept jours. Le roi préside le repas des hommes ; la reine Yasthi celui des femmes.

C'est dans le palais de la ville des lis[161] que les souverains de la Perse reçoivent leurs hôtes.

La cour du jardin intérieur sert de salle de festin[162]. Pavée de porphyre, elle est tendue d'étoffes blanches, vertes, bleu céleste, qui sont retenues par des cordons de lin et de pourpre à des rouleaux d'argent, à des colonnes de marbre.

Couchés sur des lits d'or et d'argent, les convives sont réunis pour la dernière fois. Surexcité par le vin qui ruisselle dans les coupes d'or, Xerxès, qui a montré toutes ses richesses à ses hôtes, veut leur faire admirer la beauté de la reine, sa compagne.

Les coutumes de la Perse autorisaient la présence des femmes aux grands repas[163]. Néanmoins, en recevant l'ordre de paraître devant les convives du roi, Yasthi sentit se révolter en elle les pudiques délicatesses de la femme, les fières susceptibilités de la reine. Elle refusa d'obéir à son époux.

Il se courrouça de cette résistance, le despote qui devait châtier un jour jusqu'à la révolte des flots[164] !

Xerxès demande à ses sept ministres quel châtiment a mérité la reine. Le chef de ses conseillers déclare que Yasthi a offensé, non-seulement la personne royale, mais la nation entière dans ses représentants. Il ne faut pas que les compagnes des Perses apprennent de leur souveraine à violer impunément le respect dû à la volonté d'un époux. Un grand exemple peut seul rappeler les femmes à leur attitude passive. Et le haut dignitaire conclut en demandant la répudiation de la reine.

Xerxès sacrifia son amour à une colère qu'avaient habilement attisée des courtisans jaloux peut-être de l'influence que pouvait prendre sur leur maître une femme jeune, belle, douée d'une âme vraiment royale.

 

Près de trois années se sont écoulées depuis cette scène.

Jetant dans sa mâle poésie toute la fougue de son élan guerrier, Eschyle rappelle à ses compatriotes ivres de gloire leur récente victoire sur la Perse. Son imagination pénètre dans ce palais de Suse, où Xerxès a organisé son expédition contre la Grèce ; et le poète savoure avec volupté, dans le désespoir de la veuve et des compagnons de Darius, le triomphe de sa patrie. Mais, au milieu même des scènes de deuil qu'il se plaît à retracer, il n'ignore pas que le Perse oubliera dans les jouissances matérielles l'outrage fait à son honneur. Quand l'ombre de Darius, évoquée par la femme qui fut son épouse, par les fidèles qui furent ses compagnons, va redescendre dans le sombre royaume d'Adès, Eschyle lui fait dire :

Adieu, vieillards ; même au temps de détresse et d'amertume, donnez votre âme à la joie, chaque jour[165].

En effet, Xerxès chercha dans les plaisirs la consolation de sa défaite. Mais ni la cruelle Amestris, ni Artaynte[166], ne lui firent oublier la compagne chaste et fière qu'il avait punie de sa pureté même.

Alors on chercha dans tout le royaume les vierges les plus belles. Elles furent réunies à Suse dans la maison des femmes. Parmi elles, Xerxès devait choisir la compagne qui remplacerait Vasthi sur son trône, dans son cœur !

Les jeunes filles passèrent à tour de rôle devant le roi. Mais vainement, pendant douze mois, s'étaient-elles ointes de myrrhe, de baume, d'odorantes senteurs ; vainement, pour paraître aux yeux du roi, avaient-elles ajouté à leur beauté le prestige du luxe, Xerxès les laissait partir. Elles devenaient les femmes de son gynécée. Aucune ne demeurait sa compagne.

Au dixième mois de la septième année du règne de Xerxès, l'une des jeunes filles réunies à Suse lui fut présentée. A la beauté qui attire le regard elle unissait la grâce qui inspire l'amour, la pudeur qui commande le respect. D'où venait-elle ? Nul ne le savait. Mais chaque jour, depuis l'entrée de l'étrangère dans la maison des femmes, un vieillard s'informait de son état. La jeune fille avait captivé la bienveillance de l'aga, et celui-ci lui eût volontiers donné toutes les parures qu'elle eût demandées ; mais elle n'en avait point désiré d'autres que celles qu'il lui avait remises.

En la contemplant, Xerxès ne chercha plus la femme qui devait remplacer Vasthi. De sa main il posa le diadème sur le front de la jeune inconnue.

En cette femme, la fille des captifs hébreux de Babylone, s'asseyait sur le trône des vainqueurs de la Chaldée.

Orpheline, la jeune Juive[167] avait été adoptée par le vieillard dont la tendresse veillait encore sur elle dans la maison des femmes. C'était Mardochée, son cousin.

Deux noms avaient été donnés à la fille des Hébreux : celui du myrte, Hadassa ; celui de l'étoile, Esther. Elle devait le premier à son idiome natal ; le second à la langue perse. Elle conserva celui-ci.

Ce ne fut pas uniquement par un festin d'apparat, le festin d'Esther, que Xerxès célébra son mariage. Il diminua les impôts de son peuple et lui fit des dons.

La loi de justice et de charité n'était pas impunément représentée par une femme auprès d'un despote.

 

Reine, Esther fut toujours entourée de la vigilante sollicitude de son père adoptif, et ce fut par celui-ci qu'elle put prémunir son époux contre une conspiration tramée par deux chambellans royaux.

Suivant le conseil de Mardochée, la reine avait continué de taire son origine.

 

Quatre années se sont écoulées depuis le mariage de Xerxès et d'Esther. Le roi a conféré à Aman, fils d'Amadatha, du pays d'Agag[168] ; les plus hautes dignités qui puissent être accordées à un sujet. A la parole royale, tout genou fléchit devant le ministre. Seul, Mardochée ne se prosterne pas aux pieds du favori : le Juif dédaigne de rendre à une puissance d'ici-bas l'hommage qui n'est dû qu'à Jehova.

Irrité de la froide et hautaine attitude de Mardochée, Aman se dispose à venger son orgueil blessé. Mardochée mourra... Mais il ne suffit pas qu'il meure... Que doivent importer au vieillard le peu de jours qu'il pourrait encore passer sur cette terre ? Fils du peuple de Jehova, il ferait avec calme le sacrifice du reste de son existence, car ses espérances lui survivraient... Sans doute, en tombant, il s'envelopperait encore dans sa fierté souveraine... Il ne suffit pas que Mardochée meure... Son peuple périra avec lui. L'homme fût resté impassible, mais le citoyen pleurera...

Aman dénonce à Xerxès un peuple qui vit dans ses États. Ce peuple est dangereux, car il observe des lois, des coutumes particulières. Puis il est riche... En le massacrant, le roi ne perdrait que des sujets d'une fidélité douteuse et gagnerait leurs trésors, dix mille talents d'argent.

Xerxès, à qui l'or importait peu[169], céda à la crainte d'un danger politique ; et, abandonnant à son ministre les biens des Juifs, il signa, au mois de nisan (avril, 474 av. J.-C.), un édit qui ordonnait à ses satrapes d'exterminer, le 13 adar suivant (mars, 473) toute la population hébraïque de son royaume.

 

L'heure à laquelle Mardochée se présentait d'ordinaire à la porte du gynécée était arrivée, et le vieillard n'avait pas encore paru. Les filles attachées au service de la reine, les gardiens du sérail, annoncèrent à leur maîtresse que Mardochée n'avait pu pénétrer dans le palais, parce que, revêtu d'un sac et couvert de cendres, son deuil lui interdisait l'entrée de la demeure royale. Profondément troublée, Esther envoya des vêtements à Mardochée ; celui-ci les refusa ; et quand, par l'ordre de la reine, un gardien du sérail vint demander au vieillard la cause de sa douleur, Mardochée remit à ce messager l'édit royal. Cet édit, la reine pouvait en prévenir l'exécution : le Judéen faisait dire à Esther d'implorer du roi la grâce de son peuple.

La reine hésita. Elle fit savoir à son père adoptif que, quelque rapproché du trône que fût un sujet, il était interdit à celui-ci de se présenter devant son souverain sans avoir été mandé. Seul le sceptre royal, étendu vers le coupable, pouvait le soustraire au châtiment d'un crime de lèse-majesté.

Mardochée accueillit avec sévérité la réponse de sa fille adoptive. Esther croirait-elle que Dieu l'a placée sur un trône pour son bonheur personnel ? Qu'elle se détrompe. En confiant la puissance à l'une de ses créatures, Dieu lui donne l'instrument suprême de l'abnégation et du dévouement. Si la reine refuse de secourir ses frères, Jehova trouvera un autre moyen pour les délivrer, et il frappera la souveraine qui aura lâchement décliné l'honneur d'exposer, pour leur salut, sa vie à un péril.

Esther comprend le rôle qui lui est réservé. Maintenant, que ses compatriotes prient pour elle !La reine leur ordonne un jeûne de trois jours. Ce jeûne, elle l'observera avec ses femmes. Après avoir ainsi dompté la chair rebelle, elle aura une plus grande force d'immolation.

 

Vêtue d'habits de deuil, la tête couverte de cendres, la reine est en prière. D'elle seule dépend sa résolution ; c'est contre sa propre faiblesse qu'il lui faut lutter ; et Dieu seul peut la soutenir dans ce combat intérieur : Mon péril est en mes mains[170], dit-elle.

Oui, son péril est en ses mains. Elle peut, si elle le veut, rejeter ce fardeau, s'abandonner tout entière à ses nouvelles destinées, s'enivrer des adorations d'un roi et des respects adulateurs d'un peuple...

Mais elle se souvient de la mission dont Jehova a chargé les enfants d'Israël. Cette mission, que deviendra-t-elle si le peuple qui doit la remplir n'existe plus ? Le péril d'Esther est en ses mains, a-t-elle dit ? Oui, mais l'avenir de l'idée religieuse repose aussi sur elle... Elle se dévouera. Que Dieu la soulage des angoisses qui l'étreignent. Qu'il lui inspire des paroles qui fléchissent le roi, ce fier lion !

Il sait, Celui qui voit tout, il sait qu'elle ne s'est point enivrée des honneurs de la royauté : il sait que sa couronne lui pèse, qu'elle la porte avec douleur devant le monde ; mais que, dans sa retraite, elle la rejette. Que Dieu ait donc pitié d'elle. Qu'il sauve le peuple dont il est le seul espoir ; et que la main dont il se servira pour délivrer Israël ne tremble plus à cette heure, l'heure du péril !

Esther quitte ses sombres vêtements, les remplace par ses parures de reine, se fait accompagner de deux de ses suivantes. L'une porte les plis traînants de ses riches draperies, l'autre la soutient.

L'émotion que ressent la jeune reine, la généreuse pensée de son sacrifice, communiquent à son teint l'éclat ; à son regard, la douceur et la flamme.

Elle arrive sous ce portique septentrional que soutiennent deux rangées de six colonnes : c'est la salle du trône[171].

Xerxès était sur le siège royal.

Quand on se représente un roi de Perse, le front ceint de la tiare, revêtu de la robe médique aux plis flottants, couvert d'or et de pierreries, on comprend l'impression que son aspect imposant devait produire sur ses sujets.

Xerxès lève les yeux. L'étincelle de la colère jaillit de son regard. Et la reine chancelle, et sa belle tête décolorée se penche sur l'épaule de sa suivante.

Xerxès n'était pas toujours cruel. Son cœur était accessible aux sentiments humains. Quand il voit s'affaisser sous le poids de son courroux cette femme qu'il chérit, il oublie son rang, il ne se souvient que de son amour... Éperdu, il s'élance de son trône, et recueillant sa femme dans ses bras frémissants, il la soutient, la rassure. Lui, le maître d'un gynécée, il parle à sa jeune compagne comme à une sœur :

Qu'avez-vous, Esther ? Je suis votre frère, ne craignez pas[172].

Est-ce pour elle que la loi à laquelle elle pense a été faite ? Mais si elle en redoute encore les suites, qu'elle s'approche, qu'elle touche ce sceptre d'or... La reine ne répondait pas.

Xerxès effleure de son sceptre le cou d'Esther ; et, posant ses lèvres sur le pâle visage de la souveraine, il lui dit :

Pourquoi ne me parlez-vous pas ?[173]

Se ranimant sous l'influence de ces caresses, de ces paroles, Esther essaie de prononcer quelques mots. Ne voulant pas sans doute que son époux puisse se reprocher de l'avoir effrayée par le regard qu'il a jeté sur elle à son entrée, elle attribue son évanouissement à l'impression que lui a causée l'éclat de la majesté royale. Et de nouveau elle se sent défaillir.

Le roi était troublé. Il demandait à sa femme ce qu'elle désirait de lui. Fût-ce la moitié de son royaume, il la lui accorderait.

La reine le prie d'assister, ce même jour, avec Aman, à un festin dont elle a ordonné les apprêts. Xerxès y consent.

Au festin, le roi engageait Esther à lui exprimer son vœu, et il lui rappelait l'offre qu'il lui avait faite dans la journée. Mais Esther, invitant le roi et son ministre à un autre festin qu'elle préparerait pour le lendemain, disait à son époux qu'à ce second repas elle lui communiquerait son désir.

Quand Aman, ivre d'orgueil, quitta Xerxès et Esther ; quand, à la porte du roi. il rencontra Mardochée que le malheur n'avait point humilié, le contraste de l'honneur qu'il recevait de ses souverains et du dédain que lui témoignait un proscrit le remplit de rage. Il avoua à ses amis que, devant les insultes de son ennemi, les faveurs royales lui étaient devenues indifférentes.

D'après les conseils de ses confidents, Aman fit dresser une potence, et se proposa de demander le lendemain au roi qu'on y suspendit Mardochée.

La nuit suivante, Xerxès, agité peut-être par les singuliers incidents de la journée, ne put se livrer au sommeil. Il se fit lire les annales de son règne. Dans cette chronique était consigné le souvenir de ce péril duquel Mardochée avait préservé le roi. Xerxès demanda quelle récompense avait été accordée à son sauveur, et il lui fut répondu que Mardochée n'avait reçu aucune preuve de la reconnaissance royale.

Au moment où Aman entrait chez le roi pour lui demander l'arrêt de mort de son ennemi, Xerxès cherchait un moyen de rémunérer dignement le service que lui avait rendu Mardochée. Il demanda à son ministre comment devait être traité l'homme à qui le roi voulait témoigner sa faveur.

Aman, croyant se préparer un triomphe personnel, déclare que cet homme doit revêtir le costume que mit Xerxès au jour de son couronnement. Monté sur le cheval qui, lors de cette cérémonie, portait le souverain, cet homme sera promené dans Suse par l'un des premiers satrapes du royaume ; et ce dernier, tenant par la bride le cheval du favori, criera : Ainsi il est fait à l'homme que le roi veut honorer[174].

Hâte-toi, dit Xerxès à son ministre ; prends le vêtement et le cheval, et fais ainsi au Judéen Mardochée qui est assis à la porte du roi ; ne néglige rien de tout ce que tu as dit[175].

 

Le cœur déchiré par la haine, le front couvert de honte, Aman a rempli sa mission. Sa femme, ses amis, l'avertissent que, si Mardochée appartient à la race hébraïque, son courroux sera impuissant contre son ennemi.

A ce moment les gardiens du sérail venaient chercher le convive d'Esther.

 

Reine Esther, dit Xerxès pendant le festin, quelle est ta demande ? elle te sera accordée ; et quelle est ta prière ? s'il s'agit de la moitié de mon royaume, il y sera fait droit[176].

Le moment suprême était arrivé.

Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, ô roi, répond la fille d'Israël, et si le roi le trouve bon, accorde-moi la vie à ma demande, et à mon peuple à ma prière.

Car moi et mon peuple nous avons été livrés pour être détruits, égorgés et anéantis. Encore si nous avions été livrés pour devenir esclaves, je me tairais, mais l'oppresseur n'a pas égard au dommage du roi[177].

A ces énergiques paroles, Xerxès se trouble. Eh quoi ! cette femme à laquelle il offrait la moitié du vaste empire qu'il possède, cette femme l'implore pour sa vie, pour celle de son peuple ? Esther, l'épouse bien-aimée de Xerxès, est en danger sur le trône de Perse ?

Qui est-il et où est-il, celui qui a l'orgueil d'agir ainsi ?[178] demande le roi.

Désignant le coupable à la justice vengeresse du souverain, la reine prononce ces paroles vibrantes d'une noble indignation :

L'homme, le persécuteur et ennemi, c'est ce méchant Aman[179].....

La terreur avait foudroyé le ministre, car le roi, violemment ému, s'était levé et s'était retiré dans le jardin intérieur. Ce mouvement était déjà l'arrêt de mort d'un sujet.

Par une inspiration subite, Aman se jette aux pieds de la reine. Elle est femme, peut-être se laissera-t-elle fléchir..... A ce moment le roi rentre. Il voit Aman penché sur le divan d'Esther ; il croit à une nouvelle insulte de son ancien favori, et sa colère éclate.

On couvre le visage du condamné, on l'entraîne. La potence qu'il a destinée à Mardochée devient l'instrument de son supplice ; et le pouvoir qu'il exerçait est conféré à l'homme qui allait être sa victime.

Xerxès savait alors quels liens unissaient sa femme à son sauveur.

 

Il ne suffisait pas à Esther que les biens d'Aman lui eussent été donnés par le roi, et que son père adoptif occupât la place de l'ancien ministre. Sa mission n'était pas encore remplie, car la sentence de mort prononcée contre les-Juifs planait encore sur eux.

Le lendemain de cette scène, Esther, pleurant aux pieds de son époux, le suppliait de faire rapporter l'édit qui frappait la race hébraïque.

Les décrets royaux étaient irrévocables ; mais Xerxès permit aux Juifs de se défendre contre leurs persécuteurs.

Le 13 adar, jour fixé pour l'extermination des Juifs, ceux-ci commencèrent le massacre de leurs ennemis.

Nous voudrions terminer ici l'histoire d'Esther, et ne pas ajouter que la reine vint demander à Xerxès que le carnage se continuât à Suse le lendemain, et que les fils d'Aman eussent la même fin que leur père.

Onze cents Perses furent frappés à Suse, soixante-quinze mille dans les autres parties du royaume.

Une fête commémorative, la fête des Purim ou des Sorts[180], précédée d'un jour d'abstinence, le jeûne d'Esther, célèbre de nos jours encore le salut de la race israélite par la main d'une femme.

 

N'appuyons pas sur l'impression pénible que nous fait éprouver la dernière action d'Esther.

Pure, gracieuse et tendre, la jeune Benjamite n'avait pas d'instincts sanguinaires. Ses premiers pas sont même caractérisés par une timidité toute féminine. Elle a besoin de lutter contre ses défaillances morales pour soutenir le rôle que la Providence lui impose. Elle a besoin de se pénétrer des destins d'Israël pour qu'elle leur sacrifie son repos, son bonheur. Alors, craignant que l'idée religieuse ne tombe avec le peuple qui la garde, elle s'immole au salut de sa foi. Mais quand elle a réussi dans son œuvre, la réaction de sa terreur même la rend implacable. Sa raison troublée n'est pas en état de comprendre l'inutilité actuelle de cette loi du talion que Moïse avait dû consacrer et que le Christ devait annihiler. Et la fille d'Israël venge la cause qu'elle a fait triompher.

 

Une seconde colonie juive rejoignit la première sur la terre de Juda. Esdras la dirigeait. A peine était-il arrivé à Jérusalem qu'il fut saisi de douleur devant la démoralisation de la première colonie. De nouveau la source de la vie morale, la famille, s'était altérée : les Juifs s'étaient alliés à des femmes étrangères. Au moment où, châtiés de leurs erreurs, ils auraient pu recommencer une vie nouvelle, ils avaient encore perdu le sens de leurs traditions, et s'étaiera exposés aux malheurs qui attendent les peuples quand ceux-ci s'écartent de leurs voies nationales.

A la vue d'Esdras qui, les vêtements déchirés, pleurait et priait devant le temple, les Juifs eurent un mouvement héroïque : ils consentirent à se séparer de leurs femmes étrangères, des enfants même qu'elles leur avaient donnés.

Avec le concours de -Néhémie, homme d'action qui, pour être utile à ses compatriotes, quitta la cour de Perse, Esdras se dévoua à la renaissance des institutions mosaïques. Il fit même renouveler aux hommes et aux femmes de Juda leur alliance avec Jehova.

Mais quand, après un voyage en Perse, Néhémie revint à Jérusalem, il vit le temple profané, les femmes étrangères introduites de nouveau dans les familles juives et jusque dans la maison du grand prêtre. Néhémie rappela avec indignation à ses concitoyens ce que les femmes étrangères avaient fait du plus sage des rois hébreux.

 

Il fallut que les Juifs fussent atteints dans les croyances même qu'ils laissaient sommeiller, pour qu'ils les sentissent se réveiller sous l'aiguillon de la douleur.

Après avoir subi le joug de la Macédoine, celui de l'Égypte, ils étaient soumis à la domination syrienne.

Il y avait, pour leurs maîtres, un danger permanent dans leurs institutions qui, bien que trop souvent négligées par eux, leur imprimaient un caractère indélébile.

Antiochus Épiphane qui, saccageant Jérusalem, en massacra les habitants mâles, en vendit les femmes, sentit qu'il frappait les hommes, non les idées. Il crut dompter à jamais les Juifs en substituant le culte énervant des divinités grecques à l'austère adoration de la Vérité éternelle. Il rencontra une résistance inattendue. Sans doute quelques Juifs avaient pu se laisser attirer aux élégances, aux voluptés de la civilisation hellénique ; mais la masse de la population rejeta avec horreur le culte que le tyran voulait lui imposer, et brava la persécution que lui attira sa fidélité au Dieu d'Israël.

On vit des femmes, coupables d'avoir fait imprimer à leurs fils le signe de l'alliance divine, précipitées du haut des murailles avec leurs enfants suspendus à leur sein.

Avant que le cri de l'indépendance eût été jeté sur les monts de Juda par une famille sacerdotale, on amena devant Antiochus sept jeunes gens et une femme âgée : c'étaient les Maccabées et leur mère.

Le roi veut forcer les Maccabées à goûter à un aliment défendu par la loi mosaïque. Ils résistent aux paroles d'Antiochus, ils résistent aux lanières qui déchirent leurs corps ; c'est qu'ils défendent plus qu'une de leurs coutumes : l'un des signes distinctifs de leur culte, de leur nationalité.

La mère des Maccabées voit six de ses fils martyrisés. C'est sa chair que l'on torture, c'est son sang qui coule..... Et cependant elle souffre sans faiblesse. Si l'existence matérielle qu'elle a donnée à ses fils s'éteint maintenant, jamais la vie morale qu'elle leur a insufflée ne s'est déployée avec plus de force. Elle reste calme devant leurs douleurs physiques, mais elle frémirait des défaillances de leurs âmes ! Elle-même les excite à braver le martyre. Elle leur dit qu'ils se doivent plus à Dieu qu'à leur mère. Elle ne sait comment l'âme qui les anime est descendue en eux dans son sein. Cette âme que Dieu seul leur a donnée, il saura la leur conserver à jamais.

Tombant l'un après l'autre, les Maccabées mouraient en se riant de la puissance d'Antiochus, celte puissance éphémère qui ne devait avoir nulle action au delà de cette vie. Ils mouraient en déclarant au roi que celui-ci leur ouvrait les portes de la bienheureuse éternité, mais que lui-même il ne les franchirait jamais.

Enfin le plus jeune des Maccabées a survécu à ses frères. Antiochus a pitié de lui ; et si celui-ci se courbe sous sa volonté, le roi jettera sur lui un reflet de sa puissance et lui accordera son amitié. Le jeune homme refuse les offres royales. Les honneurs terrestres ne le tentent pas : il a placé plus haut ses espérances.

Antiochus croit que la mère du jeune homme saura faire fléchir son austère résistance. Cette mère a sans doute assez lutté, assez souffert..... Son énergie brisée ne pourra plus contenir en elle le cri de la nature. Le roi la supplie de sauver le dernier de ses enfants ! Elle le lui promet.

Au nom de sa maternité, au nom des soins qu'elle a prodigués à son plus jeune fils, cette femme exhorte en hébreu son enfant à se souvenir qu'ici-bas tout est néant, que Dieu seul existe. Elle lui dit qu'elle-même va rejoindre ses fils. Le dernier des Maccabées manquerait-il à cette réunion ?

Elle n'avait point menti au roi, cette mère intrépide : elle avait sauvé son fils ! Elle le suivit dans la mort.

C'est par ce type que nous avons voulu clore les portraits des femmes de l'Ancienne Alliance. Placée presque sur le seuil du Nouveau Testament, la mère des Maccabées est la personnification la plus éclatante de cette foi israélite qui, développée par le prophétisme, n'avait plus qu'à recevoir le rayonnement de la lumière évangélique.

La mère des Maccabées pouvait, et pour ses enfants, et pour elle, dédaigner la terre, car elle savait que dans l'éternité seulement est la vie !

 

 

 



[1] Exode, II, 6, traduction de Cahen.

[2] MM. le vicomte de Rougé, Champollion-Figeac, Brugsch, ont établi l'identification de Sésostris avec le premier Pharaon de l'Exode.

[3] Les Chétas sont les Hethéens, cette peuplade cananéenne dont nous avons déjà parlé. Le poème de Pen-ta-our célèbre la victoire que remporta sur les Chétas Ramsès-Meïamoun. La foi de Sésostris dans la Providence a été exprimée par le poète épique dans un style qui rappelle celui de la Bible. Cf. le poème de Pen-ta-our, Extrait d'un mémoire sur les campagnes de Ramsès II (Sésostris), traduction de M. le vicomte de Rougé.

[4] Exode, II, 7, 8, traduction de Cahen.

[5] Exode, II, 8, traduction de Cahen.

[6] Exode, II, 9, traduction de Cahen.

[7] Cf. Josèphe, Antiquités judaïques, liv. II, chap. V, traduction d'Arnauld d'Andilly.

[8] Au musée égyptien du Louvre, salle Henri IV.

[9] Josèphe l'appelle Thermutis. Artapanus la nomme Merrhis, et dit que, fille de Palmanothes, roi d'Héliopolis, elle avait épousé Chenephres, roi de Memphis. Cette dernière tradition a peu de valeur. Suivant Josèphe, Artapanus, Philon, la mère adoptive de Moïse n'aurait pas eu d'enfants. Cf. Moses, Pharao's daughter, by Reginald Stuart Poole (Dict. of the Bible). — La Bible ne nous dit pas que cette princesse fût mariée.

[10] Liv. I, sect. II.

[11] On trouve aussi les noms des filles de Ramsès au spéos de Derri, etc. Parmi ces princesses, il en est cinq qui, sur plusieurs monuments, portent des titres royaux que leur ont sans doute valu leurs mariages avec des souverains. L'une de ces cinq reines, Bathianti, est la seule fille de Ramsès qui figure auprès de ce roi à Silsilis, et au temple d'Ammon, à Karnac. Cf. Égypte, par M. Champollion-Figeac ; Histoire d'Égypte, par le docteur Brugsch. Mais Bathianti ayant, été, selon M. Champollion-Figeac, l'enfant de la vieillesse de Sésostris, ne peut être confondue avec l'héroïne de la Bible, ni avec celle de Diodore, qui, toutes deux, exercèrent leur influence sur leur père, jeune encore, et récemment investi du pouvoir souverain.

[12] Cf. Nubie, par M. Cherubini, compagnon de voyage de Champollion le jeune en Égypte et en Nubie, Paris, 1847.

[13] C'est par le mot de cheikh que M. Reginald Stuart Poole exprime le pouvoir religieux et politique de Jethro. Cf. Moses (Dict. of the Bible).

[14] Exode, II, 18-20, traduction Cahen.

[15] Exode, IV, 27.

[16] Ce passage du Méchilta a été traduit par Cahen, Exode, XVIII, note 2.

[17] Au musée égyptien du Louvre ; salle Henri IV.

[18] La mer Rouge.

[19] Cf. Josèphe, Antiquités judaïques, liv. II, chap. VI.

[20] Cf. Psaume LXXVII, et Josèphe, Antiquités judaïques, liv. II, chap. VI.

[21] Jehova.

[22] Exode, XV, 1-3, traduction de Cahen.

[23] Nombres, XII, 2, traduction de Cahen.

[24] Nombres, XII, 13, traduction de Cahen.

[25] Suivant Josèphe, Miriam fut enterrée en grande pompe sur la montagne de Cîn ; pleurée par le peuple aussi longtemps que devaient l'être ses deux frères, c'est-à-dire pendant trente jours. A l'expiration de ce deuil, Moïse purifia le peuple par l'étrange et inexplicable sacrifice de la vache rousse, ce sacrifice dont l'institution précède immédiatement, dans le livre des Nombres, la mention de la mort de Miriam. — Du temps de saint Jérôme, on montrait, près de Pétra, la tombe de la prophétesse. — Josèphe dit que Miriam était femme de Hur et mère de Béséléel, l'un des deux artistes qui dirigèrent les travaux du tabernacle. D'après d'autres traditions, Hur était non l'époux, mais le fils de Miriam. Cf. Josèphe, Antiquités judaïques, liv. IV, chap. IV ; Miriam, by Arthur Penrhyn Stanley (Dict. of the Bible) ; Palestine, par M. Munk.

[26] Cf. pour la description de Jéricho : Josèphe, Guerre des Juifs, liv. IV, chap. XXVII ; Ecclésiaste, XXIV, 18 ; Itinéraire de Paris à Jérusalem, par Chateaubriand ; Palestine, par M. Munk ; Robinson's biblical rescarches ; Voyage en Terre-Sainte, par M. de Saulcy, 1865.

[27] Josué, II, 5, traduction de Cahen.

[28] Josué, II, 9, traduction de Cahen.

[29] Josué, II, 14, traduction de Cahen.

[30] Josué, II, 21, traduction de Cahen.

[31] Cf. Matthieu, I, 5.

[32] Cf. Rahab, by Ven. Lord Hervey (Dict. of the Bible).

[33] Josué, XX, 1, 8, traduction de Cahen.

[34] Juges, XXI, 1, traduction de Cahen.

[35] L'abeille étant, en Égypte, l'emblème du pouvoir royal, et ce terme étant appliqué, en Grèce, à des prêtresses de Delphes, à des poêles, on a conjecturé que Débora devait son nom à son autorité prophétique. Cf. Deborah, by Frederick William Farrar (Dict. of the Bible).

[36] Prophétesse.

[37] Juge.

[38] Juges, IV, 9, traduction de Cahen.

[39] Pour la description du Tabor, cf. Robinson's biblical researches ; Tabor, by H. B. Hackett (Dict. of the Bible) ; Domestic life in Palestine, by Miss Rogers.

[40] Cf. Jaël, by Frederick William Farrar (Dict. of the Bible).

[41] Héber descendait du frère de Séphora, Hobab. Celui-ci avait rejoint les Israélites dans le désert, les avait accompagnés dans leur pèlerinage, et sa famille s'était établie avec eux en Canaan.

[42] Juges, IV, 18, traduction de Cahen.

[43] Juges, IV, 22, traduction de Cahen.

[44] Juges, V, 2, 5, traduction de Cahen.

[45] Juges, V, 6, 7, traduction de Cahen.

[46] Juges, V, 8, traduction de Cahen.

[47] Juges, V, 9, traduction de Cahen.

[48] Juges, V, 9, traduction de Cahen.

[49] Juges, V, 10, 12, traduction de Cahen.

[50] Juges, V, 12, traduction de Cahen.

[51] Juges, V, 12, traduction de Cahen.

[52] Juges, V, 13, traduction de Cahen.

[53] Éphraïm, Benjamin, Manassé, Issachar, avaient fourni le reste des défenseurs d'Israël. Débora ne nomme ni Juda, ni Siméon ; sans doute ces deux dernières tribus étaient trop éloignées du théâtre de la guerre pour qu'elles pussent être appelées au combat. Cf. Palestine, par M. Munk.

[54] Cf. Herder, Vom Geist der Ebraischen Poesie, Leipzig, 1825.

[55] Juges, V, 21, traduction de Cahen.

[56] Juges, V, 24-27, traduction de Cahen.

[57] Juges, V, 28, traduction de Cahen.

[58] Juges, V, 30, traduction de Cahen. Selon la fine remarque de Herder, les femmes qui entourent la mère de Sisara ne veulent pas que le général reçoive des prisonnières de guerre pour sa part du butin. Cf. Vom Geist der Ebraischen Poesie.

[59] Juges, V, 31, traduction de Cahen.

[60] Juges, V, 31, traduction de Cahen.

[61] Juges, IX, 54, traduction de Cahen.

[62] I Samuel, I, 8, traduction de Cahen.

[63] I Samuel, I, 15, 16, traduction de Cahen.

[64] I Samuel, I, 17, 18, traduction de Cahen.

[65] I Samuel, II, 2-10, traduction de Cahen.

[66] I Samuel, I, 20, traduction de Cahen.

[67] I Samuel, IV, 22, traduction de Cahen.

[68] I Samuel, IX, 11, traduction de Cahen.

[69] I Samuel, IX, 12, 13, traduction de Cahen.

[70] I Samuel, XVIII, 1, 3, traduction de Cahen.

[71] I Samuel, XVIII, 7, 8, traduction de Cahen.

[72] I Samuel, XVIII, 22, traduction de Cahen.

[73] I Samuel, XVIII, 23, traduction de Cahen.

[74] I Samuel, XIX, 11, traduction de Cahen.

[75] I Samuel, XIX, 14, traduction de Cahen.

[76] Ce Carmel n'est pas la célèbre montagne du même nom.

[77] I Samuel, XXV, 19, traduction de Cahen.

[78] I Samuel, XXV, 24, traduction de Cahen.

[79] I Samuel, XXV, 29, traduction de Cahen.

[80] I Samuel, XXV, 31, traduction de Cahen.

[81] I Samuel, XXV, 35, traduction de Cahen.

[82] I Samuel, XXV, 40, traduction de Cahen.

[83] I Samuel, XXV, 41, traduction de Cahen.

[84] On montre encore de nos jours la grotte de la pythonisse. Cf. Palestine, par H. Munk ; En-Dor, by George Grove (Dict. of the Bible).

[85] Nécromanciens. Cf. Lévitique, XIX, note 31 de Cahen ; I Samuel, XXVIII, note 3 du même hébraïsant.

[86] Devins, id., id.

[87] I Samuel, XXVIII, 11, traduction de Cahen.

[88] I Samuel, XXVIII, 11, traduction de Cahen.

[89] I Samuel, XXVIII, 12, traduction de Cahen.

[90] Les Chroniques nomment le fils d'Abigaïl, Daniel. Cf. I Chroniques, III, 1.

[91] II Samuel, III, 16, traduction de Cahen.

[92] Cf. Psaume LXVIII, 26.

[93] Psaume XXIV, 1-4, traduction de Cahen.

[94] Psaume XXIV, 7-10, traduction de Cahen.

[95] II Samuel, VI, 20, traduction de Cahen.

[96] II Samuel, VI, 21, 22, traduction de Cahen.

[97] Cf. Psaume XXXII et LI.

[98] II Samuel, XIV, 4, traduction de Cahen.

[99] II Samuel, XIV, 11, traduction de Cahen.

[100] II Samuel, XIV, 14, traduction de Cahen.

[101] II Samuel, XIV, 18, 19, traduction de Cahen.

[102] I Rois, I, 16, traduction de Cahen.

[103] I Rois, I, 17-19, traduction de Cahen.

[104] I Rois, I, 23, traduction de Cahen.

[105] I Rois, I, 25, traduction de Cahen.

[106] I Rois, I, 28, traduction de Cahen.

[107] I Rois, I, 29, 30, traduction de Cahen.

[108] I Rois, I, 31, traduction de Cahen.

[109] Proverbes, IV, 3, traduction de Cahen.

[110] Cf. Histoire d'Égypte, par le docteur Brugsch.

[111] Psaume XLV, 2, traduction de Cahen.

[112] Roi.

[113] Psaume XLV, 11, 12, traduction de Cahen.

[114] Cf. Ézéchiel, XXVII, 22 ; Hérodote, liv. III, § CVII-CXIII ; Arabie par M. Noël Desvergers.

[115] Les Arabes identifient cette princesse avec Belkîs, la reine qui fit réparer cette digue de Mareb à laquelle le pays de Saba doit sa fertilité. Mais M. Caussin de Perceval démontre que cette dernière princesse fut à peu près contemporaine de Jésus-Christ. La légende de la reine de Saba qui visita Salomon est rapportée dans le Coran, chap. XXVII. — La chronique des rois d'Axum revendique pour les Sabéens de l'Éthiopie l'honneur d'avoir été gouvernés par la souveraine dont la Bible raconte le voyage à Jérusalem, et dit que Ménilek, fils de cette reine et de Salomon, fonda la dynastie des rois abyssins. M. Caussin de Perceval conjecture qu'il est possible de concilier les traditions arabes et abyssiniennes. Cf. Essai sur l'Histoire des Arabes avant l'islamisme ; Abyssinie, par M. Noël Desvergers.

[116] Cf. M. de Saulcy, Histoire de l'Art judaïque, et Voyage en Terre-Sainte.

[117] I Rois, XII, 16, traduction de Cahen.

[118] I Rois, XIV, 6, traduction de Cahen.

[119] Cf. Josèphe, Antiquités judaïques, liv. VIII, chap. IV.

[120] I Rois, XXI, 23, traduction de Cahen.

[121] I Rois, XXI, 23, traduction de Cahen.

[122] Cf. Carmel, by George Grove (Dict. of the Bible).

[123] II Rois, IV, 13, traduction de Cahen.

[124] II Rois, IV, 25, traduction de Cahen.

[125] II Rois, IV, 26, traduction de Cahen.

[126] II Rois, IV, 27, traduction de Cahen.

[127] II Rois, IV, 28, traduction de Cahen.

[128] II Rois, IV, 23, traduction de Cahen.

[129] II Rois, IV, 24, traduction de Cahen.

[130] II Rois, IV, 30, traduction de Cahen.

[131] II Rois, IV, 31, traduction de Cahen.

[132] II Rois, IV, 30, traduction de Cahen.

[133] Plus tard, Élisée, annonçant à la femme de Sunem qu'une famine de sept années allait ravager Israël, l'engagea à quitter sa patrie. Elle suivit ce conseil. Quand elle revint, un autre propriétaire occupait ses domaines. Elle alla implorer la justice de Joram. Tout en sachant persécuter Élisée, le roi le respectait. Connaissant l'intérêt que le prophète portait à cette femme, Joram lui rendit sa maison, son champ et le produit de ses biens ruraux pendait son séjour à l'étranger. Cf. II Rois, VIII, 1-7.

[134] Dans une récente incursion, les Araméens avaient fait prisonnière une jeune fille d'Israël, qui, esclave de la femme du général Naaman, fit connaître à ce guerrier, malade de la lèpre, le pouvoir surhumain d'Élisée. Naaman alla au prophète, qui le guérit. Cf. II Rois, V.

[135] II Rois, VI, 26, traduction de Cahen.

[136] II Rois, VI, 27, 28, traduction de Cahen.

[137] II Rois, VI, 28, 29, traduction de Cahen.

[138] II Rois, XI, 12, traduction de Cahen.

[139] II Rois, XI, 14, traduction de Cahen.

[140] Cf. Amos, IV.

[141] Cf. Isaïe, III ; Palestine, par M. Munk.

[142] Dans la grande inscription du palais de Khorsabad élevé par le roi Sargon, ce souverain atteste sa victoire sur le pays d'Israël : J'assiégeai, j'occupai la ville de Samarie, et réduisis en captivité 21.280 personnes qui l'habitaient ; j'ai prélevé sur eux 50 chars, et j'ai changé leurs établissements antérieurs. J'ai institué au-dessus d'eux mes lieutenants ; j'ai renouvelé l'obligation que leur avait imposée un des rois mes prédécesseurs. Grande inscription du palais de Khorsabad, publiée et commentée par MM. Jules Oppert et Joachim Ménant (Journal asiatique, janvier-février 1863).

[143] Judith, VIII, 34, traduction de Genoude.

[144] Judith, IX, 15, traduction de Genoude.

[145] Judith, X, 9, traduction de Genoude.

[146] Judith, XII, 3, traduction de Genoude.

[147] Judith, XII, 4, traduction de Genoude.

[148] Judith, XIII, 7, traduction de Genoude.

[149] Judith, XIII, 9, traduction de Genoude.

[150] Judith, XIII, 13, traduction de Genoude.

[151] Judith, XIII, 17, 18, traduction de Genoude.

[152] Judith, XIII, 19, traduction de Genoude.

[153] Judith, XIII, 20, traduction de Genoude.

[154] Judith, XIII, 31, traduction de Genoude.

[155] Judith, XV, 10, traduction de Genoude.

[156] Judith renvoya libre la servante qui l'avait accompagnée au camp des Assyriens.

[157] L'authenticité du livre de Judith est contestée par les protestants et par les Israélites.

[158] Holda était femme de Sallum, inspecteur des vêtements. Selon M. Munk, les fonctions de Sallum consistaient dans la garde des costumes sacerdotaux. Cf. Palestine.

[159] Cf. le travail d'un célèbre assyriologue : Commentaire historique et philosophique du livre d'Esther, d'après la lecture des inscriptions perses, par M. Jules Oppert. (Annales de philosophie chrétienne, janvier 1864. Nous devons au savant directeur de ce recueil, M. Bonnetty, la bienveillante communication du document précité.)

[160] Cf. Hérodote, liv. VII.

[161] Suse devait son nom aux lis qui croissaient abondamment dans son voisinage. Cf. Shushan. History, by G. Rawlinson (Dict. of the Bible).

[162] M. Fergusson croit que cette fête eut lieu devant l'un des portiques latéraux du palais de Suse. Cf. Shushan. Architecture (Dict. of the Bible).

[163] Cf. Hérodote, liv. V, § XVIII.

[164] Hérodote, liv. VII, § XXXV.

[165] Eschyle, Les Perses, traduction de M. Ad. Bouillet.

[166] Cf. Hérodote, liv. IX, § CVIII-CXIII.

[167] Elle appartenait à la tribu de Benjamin.

[168] Le pays d'Agag était inconnu jusqu'à nos jours. C'était une province médique, dont le nom a été retrouvé dans une inscription cunéiforme. Cf. Grande Inscription du palais de Khorsabad. Commentaire philologique, par MM. Oppert et Ménant. II. Partie historique, Campagnes de Sargon (Journal asiatique, janvier 1864).

[169] Cf. Hérodote, liv. VII, § XVII-XXIX.

[170] Esther, XIV, 4, traduction de Genoude.

[171] Cf. Shushan. Architecture, by J. Fergusson, étude citée plus haut.

[172] Esther, XV, 12, traduction de Genoude.

[173] Esther, XV, 15, traduction de Genoude.

[174] Esther, VI, 9, traduction de Cahen.

[175] Esther, VI, 10, traduction de Cahen.

[176] Esther, VII, 2, traduction de Cahen.

[177] Esther, VII, 3, 4, traduction de Cahen.

[178] Esther, VII, 5, traduction de Cahen.

[179] Esther, VII, 5, traduction de Cahen.

[180] Purim vient du mot perse lot, sort. Cette fête est ainsi nommée parce que Aman avait jeté le sort pour exterminer la race hébraïque. Cf. Esther, IX, 24, traduction de Cahen, et Commentaire historique et philologique du livre d'Esther, d'après la lecture des inscriptions perses, par M. Oppert. Étude citée plus haut.