LA FEMME BIBLIQUE

 

LIVRE TROISIÈME. — L'ÉPOUSE, LA MÈRE, LA VEUVE

CHAPITRE TROISIÈME. — LOI ÉVANGÉLIQUE.

 

 

Le christianisme développe les plus nobles et les plus doux penchants de la femme. — Apostolat de l'épouse. — Influence réciproque des époux. — L'union en Dieu. — Jésus et l'épouse infidèle. — Indissolubilité, unité du mariage. — La mère. — Son bonheur sans mélange. — Elle transmet à son fils une vie régénérée. Elle infuse dans l'âme de son fils ses qualités originales développées dans toute leur ampleur. Nos civilisations modernes témoignent de cette influence. — Reconnaissance filiale. — L'individualité que le christianisme imprime à la femme permet à la veuve te rôle de chef de famille ou celui de membre actif de l'humanité. — La veuve retrouve son époux en se recueillant en Dieu. — La veuve croira-t-elle que l'âme, dégagée de son enveloppe terrestre, abdique sa personnalité ? Fusion des âmes en Dieu.

 

Nous ne suivrons pas l'épouse chrétienne dans les détails matériels de sa vie domestique. Par ses occupations, la femme hébraïque posait les bases de sa maison. Par ses sentiments, la femme de l'Évangile coopérera à la fondation du monde nouveau.

Les vertus, les penchants que l'Évangile développait dans l'humanité, étaient précisément ceux qui sont innés dans le cœur de la femme. Quel que fût l'encens que brûlassent sur l'autel de Vénus le Grec et le Romain, le respect de l'homme saluait la chasteté de la vierge, de la matrone. Quelle que fût la déchéance civile de la femme dans le code de Manou, l'épouse subjuguait par la puissance infinie de sa tendresse et de son dévouement l'époux aux pieds de qui la courbait la loi. Quelle que fût la justice rémunératrice de l'Israélite, le poète sacré aimait à faire jaillir du cœur de la femme l'inspiration de la clémence, à faire déborder de ses lèvres ces paroles d'apaisement et de guérison, dont une sensibilité délicate sait trouver le secret.

La pureté, l'amour, le sacrifice, la miséricorde, le tact du cœur, n'est-ce pas l'essence du christianisme ? Que manquait-il donc à la femme, sinon de recevoir le souffle qui devait enflammer le feu qu'elle sentait couver dans son cœur ?

En donnant aux instincts de la femme cette puissance d'expansion qui allait se mêler aux forces civilisatrices, l'Évangile imprima au type de l'épouse sa véritable signification.

Consciente de son individualité, la femme chrétienne se recueille devant sa mission : infuser sa vie morale dans celle de son époux, tel est son but. Ce but, elle ne le poursuit point par l'apostolat de la parole, mais elle l'atteint par l'entraînement de l'exemple. Le regard fixé sur le Verbe incarné, l'écoutant dans le silence de son cœur, elle essaye de dégager en elle les traits de l'idéal divin, et les laisse exercer d'eux-mêmes leur irrésistible attraction. Et l'époux qu'elle enveloppe de sa tendresse dévouée reçoit en même temps les effluves magnétiques de sa vertu. Devant cette femme, l'idée du bien se présente à lui sous la forme sympathique que lui avaient donnée les rêves de sa jeunesse, et qu'avait altérée son expérience de la vie. Devant cette femme, il se dit que l'humanité est belle, et que sa grandeur morale témoigne de l'existence de Dieu ; il se dit que l'humanité, quelles que soient les ombres qui parfois l'égarent, marche vers la lumière ; qu'il est doux de lui pardonner ses erreurs au nom même de ses efforts pour atteindre la vérité ; qu'il est noble de la relever quand elle tombe et de guérir ses meurtrissures ; il se dit qu'il est grand d'aider à son mouvement dans la voie du progrès, et de mourir pour sa cause ! Il aime, il croit, il espère, avec toutes les délicatesses de la charité, tous les enthousiasmes de la foi, tous les pressentiments d'une généreuse attente !

La femme a animé son mari de la vie de son cœur ; l'époux fait vivre sa compagne de la vie de son intelligence. La femme sentait sa mission ; maintenant elle la comprend, et ses impressions deviennent des idées.

Au temps où elle partageait plus les sentiments que les idées de son époux, son activité morale risquait de se renfermer dans un cercle étroit ; désormais cette activité reçoit mie direction virile qui la maintient dans une sphère élevée.

La mansuétude de l'épouse a enlevé à l'homme son âpreté, sans le priver de sa mâle vigueur. L'énergie de l'époux fortifie l'épouse, sans lui faire perdre sa grâce et sa délicatesse.

Entre les époux chrétiens naît un amour que jusqu'à l'Évangile l'homme pressentait sans en comprendre toute la valeur. Dans le regard de sa compagne, l'époux lit-il le calme de l'innocence, l'ardeur du bien, l'émotion de la charité, il surprendra en elle le principe de la beauté morale. Sur le front de l'homme, la femme voit-elle rayonner l'auréole du génie ou le nimbe du martyre, elle sentira ruisseler en lui la source inspiratrice des plus saints enthousiasmes. Et les époux aimeront et vénéreront l'un dans l'autre le Dieu qui les anime tous deux. C'est l'apparition de l'amour idéal, c'est-à-dire de la réunion en Dieu de deux âmes jumelles qui se touchent et se confondent. Ainsi se trouve complètement rempli le rôle qu'à la première page de l'histoire du monde Dieu avait attribué à la femme, en la nommant aide et compagne de l'homme. Ainsi se trouve reconstitué dans toute son ampleur le type de l'être humain, de l'être double et cependant un.

En proscrivant le règne de la violence, même quand il peut préparer celui de la justice, la loi chrétienne assure à la femme la liberté de ses pensées, de ses actions. En apprenant à l'homme que la force n'a d'autre privilège que celui de soutenir la faiblesse ; en le pénétrant, pour la souffrance d'autrui, de ce tendre respect que l'on nomme la pitié, l'Évangile fait de la délicatesse physique de la femme un titre de plus à l'affection de son époux. L'homme a compris sa mission protectrice ; il en a le respect, la fierté ; il la con-- sidère comme un devoir d'honneur ; et puise dans le cœur de Jésus le secret de cette sollicitude délicate qui lui fait craindre de heurter, même en l'abritant, la frêle créature dont sa vigueur est l'appui.

Le dévouement conjugal devient l'expression la plus intime de la charité évangélique. Ce n'est pas seulement sur son lit de maladie que l'homme est soutenu par la présence assidue de la femme qui le soigne, le calme et le rassure. Que, perdant de vue la lumière du devoir, il vienne à chanceler, c'est cette même femme qui raffermit ses pas, et qui, s'il tombe, le relève avec amour, même quand la chute du coupable a été un outrage à la dignité de l'épouse. En appuyant sur la croix ses lèvres muettes de douleur, la femme n'a-t-elle pas vu le Christ prier et mourir pour ses meurtriers !

L'épouse elle-même courait-elle sur la pente du mal, les législations antiques refermaient impitoyablement sur elle l'abîme qui s'ouvrait sous ses pas. Comment la loi chrétienne, la souveraine expression du spiritualisme, châtiera-t-elle la violation de son principe de pureté ?

Jésus était assis dans le temple.

Les scribes et les pharisiens entrèrent dans la maison de Jehova. Ils entrainaient une femme qu'ils placèrent au milieu d'eux. Cette femme avait trahi la foi conjugale, et, selon la loi de Moïse que les scribes et les pharisiens rappelèrent à Jésus, elle avait mérité la lapidation : Toi donc, que dis-tu ?[1] ajoutèrent-ils.

Si la justice du Dieu prononçait l'arrêt, que devenait la clémence de Jésus ? Si la miséricorde du Rédempteur faisait taire la sévérité du juge, où donc était la véracité de Celui qui avait dit : Je viens, non pour abolir, mais pour accomplir ?

C'était un piège ; et ceux qui le dressaient comptaient que le Sauveur y perdrait sa popularité ; ou le Dieu, son autorité.

Le front incliné, le Christ se taisait. Son doigt traçait sur la terre de mystérieuses paroles. Il se taisait ; et les scribes, les pharisiens, le pressaient de parler.

Il se redressa.

Que celui de vous qui est sans péché jette contre elle la première pierre[2], dit-il.

Et, retombant dans sa méditation, de nouveau se courba, et continua d'écrire sur le sol.....

L'orgueil du pharisien, celui du docteur, avaient cédé au cri de la conscience de l'homme. Les vieillards, les hommes mûrs, les jeunes gens, tous avaient, fun après l'autre, passé devant la coupable, sans la frapper, sans l'insulter. Tous avaient disparu. Tous s'étaient sentis responsables de l'iniquité de la femme qu'ils avaient accusée..... Le Christ venait de poser le principe de la solidarité humaine.

Quand Jésus se releva, seule la pécheresse était devant lui.

Femme, dit-il, où sont ceux qui vous accusaient ? Aucun ne vous a-t-il condamnée ?[3]

Aucun, Seigneur[4], répondit-elle.

Elle semblait attendre. Les hommes l'avaient absoute, Dieu lui pardonnerait-il ? Elle se tenait devant son Juge suprême

Dès le commencement de cette scène, l'intuition de l'Homme-Dieu avait-elle surpris dans la coupable plus de souffrance de sa faute que de terreur de ce châtiment qui l'avait menacée ? Jésus eut un de ces divins mouvements de pitié par lesquels il savait faire succéder chez les pécheurs, aux étreintes du remords, les larmes salutaires du repentir.

Et moi je ne vous condamne pas, dit-il ; allez, et ne péchez plus[5].

Le déshonneur de l'épouse était la seule cause de répudiation qu'admit le Christ[6]. En commençant sur la montagne sa prédication, il avait déclaré que l'homme qui renverrait une épouse vertueuse serait responsable de la conduite à laquelle la tristesse de l'isolement et le besoin d'affection entraîneraient la femme répudiée[7]. Plus tard quand les pharisiens, que nous avons vus multiplier les motifs de divorce, demandent à Jésus :

Est-il permis à l'homme de quitter sa femme pour quelque cause que ce soit ?[8] il leur répond :

N'avez-vous point lu que celui qui a fait l'homme dès le commencement l'a fait mâle et femelle, et qu'il dit :

A cause de cela, l'homme laissera son père et s'a mère et s'attachera à sa femme ; et ils seront deux dans une seule chair.

C'est pourquoi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l'homme ne sépare donc pas ce que Dieu a joint.

Pourquoi donc Moïse a-t-il commandé de donner à sa femme un acte de répudiation et de la renvoyer ?[9] reprennent insidieusement les docteurs.

Mais le Christ, montrant ce qu'ont de périssable les lois qui, ne pouvant encore élever l'homme à l'idée du devoir, approprient momentanément celle-ci à sa faiblesse, dit :

À cause de la dureté de votre cœur, Moïse vous a permis de renvoyer vos femmes : mais au commencement il n'en était pas ainsi[10].

Et devant l'indissolubilité du lien nuptial, Jésus déclare que ni l'homme qui a injustement renvoyé sa compagne, ni sa femme elle-même, ne pourront, sans crime, rechercher l'un hors de l'autre le bonheur conjugal.

 

Les mêmes raisons qui consolaient le disciple du Christ de mourir sans enfants mâles devaient, en effaçant la honte du manque de postérité, empêcher, sinon de fait, au moins de droit, la répudiation de l'épouse stérile, et abolir la polygamie et le lévirat.

La femme hébraïque jetait un cri d'orgueil en se sentant sauvée par sa maternité ; elle aimait dans son fils le prix de sa victoire. — Régénérée par la divine maternité de Marie, la femme chrétienne ne mêlera à sa tendresse pour son fils nulle préoccupation personnelle. Son bonheur en sera-t-il moins profond ? Oh ! rappelons-nous Jésus peignant les tortures de celle qui va être mère, et dont le visage, altéré par la souffrance, soudain se rassérène, se transfigure : Elle ne se souvient plus de sa douleur à cause de sa joie, parce qu'un homme est né au monde[11].

Un homme est né au monde ! Telle fut aussi la première pensée de la première mère ! pensée empreinte de tristesse pour la femme coupable qui transmettait à son fils l'héritage de ses fautes et de ses douleurs ; pensée remplie d'un bonheur ineffable pour la femme régénérée qui ouvrait à son enfant l'entrée d'une vie libre et sainte, couronnée par l'éternité !

Les Sages d'Israël avaient noté l'influence de la mère sur le caractère du fils. Cette influence s'accentue sous la loi évangélique. En pleine possession de ses facultés originales, l'épouse chrétienne, enrichie encore des qualités viriles qu'elle doit à son association plus intime à la vie de son mari, l'épouse chrétienne est digne de former des hommes au monde nouveau ; elle a même la force de les lui sacrifier, et de se rappeler que, debout au pied de la croix, une mère adopte l'humanité pour laquelle son fils expire.

De cette participation de la femme à l'éducation des générations chrétiennes naîtront la foi ardente et émue, le sacrifice de soi-même à Dieu, à l'humanité ; les délicatesses du cœur, de l'esprit, de la parole, tout ce qu'il y aura enfin de pur et d'élevé dans les civilisations qu'enfantera le moyen âge.

Le chrétien ne lancera pas l'anathème de Job contre le jour qui a vu naître le fils de la femme : le chrétien ne doit à sa mère que des espérances ! Et si même la persécution le frappe et le renverse, soldat, le chrétien maudira-t-il la main qui l'a envoyé à la gloire, à l'immortalité !

L'habitude de vivre de sa propre vie rendra à la femme chrétienne, sinon moins amer, du moins plus supportable, l'isolement de son veuvage.

L'Église du Christ devait hériter de la tutelle nationale qui, sous la loi ancienne, abritait l'épouse après la mort de l'époux. Notre plan n'embrassant pas les temps apostoliques, nous ne nous arrêterons pas sur l'ordre des veuves vraiment veuves, cette institution à laquelle saint Paul donna des statuts[12]. Mais dans la mission que l'intelligence de la loi évangélique devait révéler à la veuve, nous trouverons une nouvelle preuve de cette puissante individualité que le christianisme imprimait à son sexe.

Mère, que la veuve sache unir aux inspirations de son cœur la direction virile du pouvoir paternel. Qu'elle sache faire de ses fils des pères de famille.

Privée d'enfants, qu'elle sache être la mère de ceux qui ont besoin d'être aimés, guidés, consolés. En cessant d'appartenir à une famille, elle reste membre de l'humanité, et doit à celle-ci le dévouement qu'elle prodiguait à celle-là.

Si, fidèle au souvenir de son mari, elle ne retrouve pas dans une autre union le titre d'épouse, qu'elle attende le moment où la mort qui l'a séparée de son mari la réunira à lui. La femme chrétienne ne croira pas que l'âme de l'époux, affranchie de son enveloppe terrestre, ait en même temps rompu les liens qui l'unissaient à l'âme de l'épouse[13]. Que le souvenir des impressions que le corps seul a éprouvées s'anéantisse avec lui, soit ! Mais que l'âme oublie en regagnant sa patrie l'un des amours qui ont été sa vie pendant l'exil ; que l'âme n'ait plus conscience d'elle-même, et l'immortalité sera ce rêve monstrueux que les philosophies indiennes nomment l'absorption finale dans le grand tout.

Penser que ceux avec lesquels notre vie s'est confondue ne nous reconnaîtront plus quand nous les rejoindrons dans l'éternité, ce serait là une torture que le Dante lui-même n'a pas osé ajouter aux supplices de son enfer !

Mais la femme chrétienne n'éprouvera pas cette angoisse. Naguère, elle cherchait Dieu en aimant son époux. Maintenant, c'est en priant Dieu qu'elle retrouve celui dont elle pleure le départ. C'est en pratiquant le devoir qu'elle se prépare à cette réunion qui consomme dans l'éternité le mariage évangélique : la fusion des âmes en Dieu !

 

 

 



[1] Jean, VIII, 5, traduction de Genoude.

[2] Jean, VIII, 7, traduction de Genoude.

[3] Jean, VIII, 10, traduction de Genoude.

[4] Jean, VIII, 11, traduction de Genoude.

[5] Jean, VIII, 11, traduction de Genoude.

[6] Saint Paul, peu favorable cependant au mariage, en maintient l'indissolubilité. Et même, si celui des époux qui a violé sa foi n'abandonne pas de son propre mouvement le toit conjugal, l'apôtre désire qu'il n'en soit pas expulsé. L'innocent sauvera et régénérera le coupable. Cf. I Corinthiens, VII.

[7] Matthieu, V, 31, 32.

[8] Matthieu, XIX, 3, traduction de Genoude.

[9] Matthieu, XIX, 4-7, traduction de Genoude.

[10] Matthieu, XIX, 8, traduction de Genoude. Saint Marc reproduit aussi cette scène, X, 1-12.

[11] Jean, XVI, 21, traduction de Genoude.

[12] I Timothée, V.

[13] Les saducéens, niant que l'homme fût animé d'un souffle divin, ne pouvaient comprendre l'immortalité et l'union des âmes. Allant à Jésus, ils lui demandèrent auquel de ses époux appartiendrait dans l'éternité la femme qui aurait été mariée sept fois. Jésus leur répondit : Vous êtes dans l'erreur, ne sachant ni les Écritures ni la puissance de Dieu ; car au jour de la résurrection les hommes n'auront point de femmes, ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel. (Matthieu, XXII, 29, 30, traduction de Genoude. Cf. aussi : Marc, XII, 18-25.) N'est-il pas évident que, loin de rendre les époux étrangers l'un à l'autre, Jésus ne fait que spiritualiser leurs relations ? Ils ne sont plus femmes et maris, dit le Père Gratry. Ils seront amants éternels ! (Commentaire sur l'Évangile selon saint Matthieu, Seconde partie.)