LA FEMME BIBLIQUE

 

LIVRE DEUXIÈME. — LA JEUNE FILLE ET LE MARIAGE

CHAPITRE TROISIÈME. — LOI ÉVANGÉLIQUE.

 

 

Pourquoi la naissance d'une fille n'attriste pas le disciple de Jésus. — Le christianisme, en créant le type de la vierge, développe l'individualité de la femme. — La mission de Marie devient celle de toute vierge chrétienne. L'éducation chrétienne anéantira-t-elle le mariage ? — Le mariage évangélique. — Transformation des coutumes nuptiales.

 

Quand l'idée de l'immortalité de l'âme s'est dégagée dans toute sa spiritualité, l'homme redoute moins de mourir sans laisser une postérité mâle qui perpétue sa mémoire ici-bas. Son nom vivra éternellement dans sa céleste patrie ; et le véritable héritage du chrétien, celui de ses croyances et de ses vertus, sera aussi dignement recueilli par une fille que par un fils.

Le peuple hébreu avait vécu le temps nécessaire à l'éclosion des vérités qu'il avait enfantées. La chrysalide était morte, le papillon avait pris son vol ; Israël n'existait plus, à le Verbe planait sur le monde entier. — Pour ceux des Hébreux qui avaient salué dans le christianisme la transformation du mosaïsme, la naissance d'une fille ne pouvait plus froisser le patriotisme du citoyen, ni inquiéter l'attention vigilante du gardien de la parole divine. Et l'enfant devait être accueillie sans tristesse par un père que ne préoccupaient ni la crainte du néant, habituelle aux patriarches, ni la piété nationale du peuple élu.

Tout en reconnaissant dans la femme une enfant de Jehova, la loi ancienne n'élevait en elle que la compagne de l'homme ; la loi évangélique élèvera en elle la fille de Dieu. Le mosaïsme, lui refusant une existence indépendante de la vie de l'homme, faisait de la première le complément de la seconde ; le christianisme, dégageant la personnalité de la femme, créera le type qui sera la plus complète expression de son individualité : le type de la vierge.

A l'aurore des temps messianiques, ce type nous apparaît couronné d'un nimbe lumineux. La Vierge, symbole sublime de l'humanité nouvelle fécondée par l'Esprit-Saint, la Vierge reçoit l'idée suprême, Dieu ! Et, sachant qu'elle porte dans son sein la pensée rédemptrice de l'Éternel, elle la donne au monde vieilli et mourant qui y puise la régénération, la vie, et une nouvelle et immortelle jeunesse !

La divine maternité de la Vierge deviendra la mission même de la fille chrétienne.

Tout dans l'éducation de la jeune fille devra tendre désormais au développement des facultés de son âme, à cet épanouissement de la vie morale qui est le but de la loi évangélique. L'idée de la Perfection suprême, inculquée dans l'intelligence naissante de l'enfant, préparera celle-ci à enflammer, à alimenter, en elle d'abord, en autrui ensuite, l'étincelle divine qui anime tout être humain.

C'est ainsi que la vierge sera appelée à recevoir le Christ et à le donner au monde. Elle accomplira cette mission par l'amour de la famille et par la charité, qui n'est que le premier de ces deux sentiments appliqué à l'humanité. Sans pureté de cœur, point de véritable tendresse. Où donc les trois grands amours, Dieu, la famille, l'humanité, auraient-ils plus de force d'expansion et de sacrifice que dans l'âme immaculée de la vierge chrétienne ?

Soit que, enchaînée au foyer domestique par le plus saint des dévouements, car il en est le plus obscur, la jeune fille anime la tendresse filiale d'un reflet de l'adoration divine ; soit que, libre de tout lien, elle puisse, sans violer les lois de la famille, servir le Christ dans les faibles et les souffrants, elle aura appris à vivre par elle-même, et le célibat ne sera plus pour elle l'isolement d'un être incomplet.

Ainsi comprise, l'éducation chrétienne anéantira-t-elle le mariage ? Non, bien qu'elle en restreigne la coutume, elle en perfectionnera l'institution.

Quand la femme, en pleine possession de ses facultés personnelles, saura vivre de sa vie propre, alors seulement, épouse, elle sera digne de partager l'existence de l'homme ; alors seulement, mère, elle sera digne de donner l'être aux générations à venir, et de les enrichir de sa valeur originale.

Que si deux d'entre vous sont unis sur la terre, quoi qu'ils demandent, cela leur sera fait par mon Père qui est dans le ciel, car lorsque deux ou trois sont unis en mon nom, je suis au milieu d'eux[1].

Naguère, nous voyions uniquement dans ce verset de l'Écriture la fondation de l'Église. Aujourd'hui, l'un de ces nobles apôtres qui puisent dans l'œuvre du Christ l'inspiration du véritable progrès[2], nous a révélé dans toute sa grandeur le sens de cette parole évangélique en t'appliquant particulièrement au mariage.

C'est, en effet, après avoir exprimé ce qu'a de puissance surnaturelle l'union des âmes dans une pensée de prière et d'adoration, que Jésus rappelle l'antique tradition de la Genèse : la femme, aide, compagne et moitié de l'homme Ainsi rapprochés, ces deux textes sont la base du mariage chrétien.

Dans l'antiquité, l'hymen perpétuait les races, multipliait la vie matérielle. Du mariage évangélique, du croisement des facultés individuelles de l'homme et de la femme, de la fusion de leurs âmes en Dieu, la Vérité souveraine, naîtra la vie morale des civilisations à venir.

Plus de barrières nationales désormais entre les époux. L'idée religieuse aura ramené le genre humain à son unité d'origine.

L'homme n'achètera plus sa compagne. On vend un corps périssable, on ne vend pas une âme immortelle, et le souffle de liberté qui émane de l'Évangile affranchira l'esclave.

Jésus et Marie sanctifièrent de leur présence les cérémonies du mariage. C'est aux noces de Cana que le Christ change l'eau en vin. N'y-a- t-il pas dans cette action un symbole de la force que le christianisme devait communiquer à un lien salutaire ?

Le caractère des fêtes nuptiales sera plus austère sous la loi évangélique que sous les institutions de Moïse. Aux élans de la passion humaine succéderont les épanchements d'une tendresse divine. Aux joies enivrantes dont le Cantique des cantiques nous redit l'écho, viendront se substituer les émotions graves et recueillies, réservées à ceux qui ont la conscience d'un grand devoir à accomplir, d'une mission sublime à exercer.

 

 

 



[1] Matthieu, XVIII, 19, 20, traduction du R. P. Gratry, Commentaires sur l'Évangile selon saint Matthieu, seconde partie, 1865.

[2] Le R. P. Gratry. Cf. l'ouvrage ci-dessus.