LA FEMME BIBLIQUE

 

LIVRE DEUXIÈME. — LA JEUNE FILLE ET LE MARIAGE

CHAPITRE PREMIER. — COUTUMES PATRIARCALES.

 

 

Le sauveur des filles arabes, épisode de l'histoire antéislamique. — Par la naissance d'une fille, le patriarche hébreu voit s'anéantir la perspective de transmettre à la postérité sou nom et son héritage. — Nom de la jeune fille. — Les plaines d'Aram-Naharaïm. — Liberté de la vierge araméenne. Ses occupations. — Puissance paternelle. — Pureté de la jeune Araméenne. Le mariage, première obligation sociale de l'humanité à son berceau. Recherche d'une femme. — La fille du Sémite ne jouit pas de la même liberté que la fille de l'Arya dans le choix d'un époux. — Mohar et Mattan. — Mariage de Rébecca.

 

Un Ismaélite, issu de la race de Modhar, la plus noble et la plus fière des familles arabes, Sassaa, aïeul du célèbre poète Farazdak, avait perdu deux chamelles près de devenir mères. A l'Arabe des temps antéislamiques, le sobre et robuste animal du désert est aussi précieux que son coursier, aussi cher que la femme qu'il aime ; et les poètes des moallacât[1] célèbrent à l'envi la chamelle indomptée, au regard farouche, légère comme l'autruche, rapide comme le torrent[2].

Aussi Sassaa n'hésita-t-il pas à s'élancer sur son chameau et à rechercher lui-même les traces des chamelles égarées.

Deux tentes réunies s'offrirent à sa vue. Leur disposition annonçait que l'une était occupée par un chef de famille, l'autre par sa femme. Sassaa pénétra sous la tente de l'époux.

Un vieillard s'y trouvait, et, sur la demande du voyageur, l'informa du sort de ses chamelles.

Descendant, lui aussi, de Modhar, il avait pour toute richesse conservé le souvenir de cette origine. C'était auprès de lui que se trouvaient les chamelles de Sassaa, qui, devenues mères, avaient nourri de leur lait et le vieillard et sa famille.

Le voyageur écoutait son hôte. Soudain une voix, s'élevant de la tente voisine, apprit au vieillard qu'un enfant lui était né..... sans doute, au cri suprême de la maternité, allait répondre le tressaillement de l'amour paternel ?..... Pas encore. De quel sexe est l'enfant ? demanda le vieillard. Si c'est un garçon, nous partagerons avec lui notre nourriture ; si c'est une fille, qu'on l'enterre[3].

Si c'est une fille, qu'on l'enterre ! — Ainsi parlait, quand un enfant lui naissait, tout Arabe trop pauvre pour surveiller la conduite d'une fille, trop noble pour en supporter le déshonneur.

Un cri de terreur, un cri de mère, répondit à l'ordre du vieillard : C'est une fille. Quoi ! faudra-t-il donc la faire mourir ?

Le cœur de l'étranger défaillit : Épargne-la, dit Sassaa au père, je t'offre de l'acheter.

Mais le vieillard frémit d'indignation. Vendre sa fille, lui, homme de noble race ! Lin descendant de Modhar ne vend pas sa fille : il la garde, ou la tue !

Et Sassaa se hâte de compléter sa pensée. Il veut, non emmener, esclave, la fille de son hôte, mais la laisser, libre et rachetée, sous la tente paternelle. Ses deux chamelles, leurs petits, le chameau qui l'a conduit à leur recherche, deviennent la rançon de l'enfant condamnée. Et de ce jour Sassaa, ému d'une généreuse indignation, jura de payer d'un prix semblable la vie naissante et déjà menacée des filles de l'Arabie.

Trois cent soixante enfants furent ainsi sauvées par lui jusqu'au jour où l'islam abolit la barbare coutume des Arabes païens. Et le poète Farazdak, élevant au-dessus de toute noblesse de race la noblesse de cœur de son aïeul, établissait la suprématie de son origine sur celle d'un rival en disant : Je suis enfant de celui qui rappelait les morts à la vie[4].

 

Il y avait dans l'usage que prohiba Mahomet un développement exagéré du sentiment de réprobation qui, à l'époque patriarcale, s'attachait à la naissance d'une fille. Saris doute les ancêtres hébreux des Ismaélites eussent reculé avec horreur devant le meurtre d'une créature de Dieu ; mais, de même que les Arabes riches[5], ils durent accueillir avec tristesse l'enfant qui ne pouvait perpétuer leur héritage[6].

Toutefois la fille du patriarche ne souffrait pas (le la déception qu'avait causée sa naissance à son père. Elle recevait un nom qui éveillait une souriante image : Rébecca, jeune fille qui attache par sa beauté[7], Thamar, palmier[8], peignaient la grâce sympathique, l'élégante attitude de la vierge ; Rachel, brebis[9], exprimait sa douceur ; Débora, abeille[10], rappelait sa destinée laborieuse, sa mission utile et bienfaisante ; Peninnah, perle[11], évoquait l'ensemble des qualités aimables et solides attribuées à la femme et le prix qu'on y attachait.

C'était dans les plaines d'Aram-Naharaim de Padan-Aram, le pays entre les fleuves, le district cultivé au pied de la montagne, c'était dans cette région mésopotamienne que furent élevées la plupart des jeunes filles auxquelles s'allièrent les descendants immédiats d'Abraham. Là était cette patrie que le patriarche avait quittée pour aller répandre dans le pays de Canaan le nom de l'Éternel. Là était mort son père. Son frère, ses neveux y vivaient ; et dans leur lignée seulement, il voyait se perpétuer, sinon le pur souvenir du Révélateur suprême, du moins le respect de la loi naturelle.

C'est donc sous une autre latitude que la vallée d'Hébron qu'il nous faut suivre les premiers pas des filles des patriarches. — Pénétrons dans cette contrée qui, située au pied de l'Ararat, est entourée, ainsi que d'une ceinture argentée, des flots de l'Euphrate et du Chabor ; cette contrée qui, à nos yeux, a le charme si puissant et si doux de nous rappeler au sein de l'exubérante végétation de l'Orient, la flore de nos climats[12].

Peu d'arbres forestiers, il est vrai, dans cette région mésopotamienne ; mais, çà et là, des bois de noirs cyprès, des bouquets de peupliers, de poiriers, de cognassiers, de noyers, contrastent avec les éblouissants massifs des orangers, des cerisiers, des citronniers et des grenadiers.

Libres de leurs mouvements, les filles des patriarches parcouraient, le visage découvert, ce pays qui, au luxuriant aspect d'un jardin, unit la solitude d'un désert, et que seuls troublent le cri du chacal, le vol de l'autruche, la course rapide de l'antilope et de l'âne sauvage[13]. Tantôt, un vase sur l'épaule, la vierge allait puiser à la source l'eau destinée aux besoins de la maison paternelle[14] ; tantôt elle guidait les troupeaux du patriarche[15] dans ces prairies sans cesse arrosées par les fleuves, et qu'émaillent les corolles immaculées du lis, les capitules rouges du chardon, les fleurons d'or de l'absinthe, les étoiles d'azur du bluet. La brebis, le mouton à large queue, broutaient les salsolas[16], ces plantes marines qui, éloignées des flots où elles se sont baignées, conservent encore dans l'intérieur des terres le sel vivifiant dont elles se sont imprégnées. Là aussi les bestiaux rencontraient d'odorants pâturages : le thym, le serpolet, l'origan et le safran, dont la fleur ou blanche, ou pourpre, ou lilas, laisse s'échapper ces stigmates d'un rouge orangé qui exhalent un pénétrant parfum.

Soumise au pouvoir royal de son père, la jeune fille araméenne était tout ensemble protégée et menacée par le sévère tribunal de la famille, qui savait ou la venger ou la frapper[17]. Mais rares durent être ces cas où le père pouvait appliquer le droit de mort que la coutume lui accordait sur ses enfants. Et le soin qu'avaient les patriarches, de rechercher au sein de leur parenté les épouses de leurs fils, témoigne de la pureté, de la modestie de ces vierges qui devaient être les mères éducatrices du peuple de Jehova.

Parvenu à l'âge où il devait, en se mariant, remplir la première obligation imposée aux chefs de race, l'Hébreu comprenait que Dieu, en instituant le lien nuptial, avait posé avec le principe de la reproduction de l'espèce humaine celui de son perfectionnement social. Dans la chaste Araméenne seulement il savait devoir trouver cette aide qui, mêlant sa force morale à la sienne, rendrait plus ferme et plus sereine leur marche commune dans le sentier du devoir ; cette compagne qui, destinée à partager ses joies et sur tout ses douleurs, doublerait les premières, allégerait les secondes ; — cette part de lui-même enfin, qui complèterait son existence ! C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère, s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair, lui disait la voix antique dont l'Éden avait entendu vibrer l'écho. Il entrevoyait tout ce que devait avoir d'austère et de tendre cette affection conjugale qui était appelée à remplacer l'amour filial. Et il sentait que deux cœurs ainsi unis ne sont plus seuls, et cependant sont toujours un !

Quand arrivait pour le fils du patriarche l'heure des joies intimes qu'il rêvait, son père l'envoyait à la recherche de son bonheur[18] ; ou confiait à un serviteur, à un ami, le soin de découvrir en Mésopotamie et d'amener en Canaan la femme qui réaliserait les espérances du jeune Hébreu[19].

Ici une ombre voile ce qu'ont de pur et de touchant les coutumes nuptiales de l'époque primitive. La fille du Sémite n'avait pas, comme la vierge aryenne, le droit de nommer elle-même l'époux de son choix, de venir à lui, conduite par son père et dotée par celui-ci[20]. La main qui disposait de sa vie avait le même pouvoir sur sa liberté : la vierge devait suivre l'époux, même inconnu, que lui imposaient son père et ses frères adultes, et recevoir de lui le prix de cette union, le mohar[21]. Parfois même son père, vendant à celui qui recherchait son alliance l'autorité qu'il abdiquait sur elle, s'appropriait son douaire[22].

Le mohar de la fiancée consistait tantôt dans le fruit des services que rendait à son père son futur époux[23], tantôt en bijoux, en vêtements précieux, en vases d'or et d'argent[24]. La remise du douaire à la jeune fille, des mattan[25] ou dons à ses parents, constituait la base légale du mariage. Un festin, des réjouissances qui se prolongeaient pendant la semaine entière, complétaient la solennité nuptiale[26].

Les incidents qui accompagnaient la formation du lien conjugal chez les patriarches se retrouvent dans l’un de ces antiques récits bibliques dont s'est bercée notre enfance, et qui nous apparaissent toujours saisissants d'une beauté vivante, comme ces peintures qui, sous la poussière des siècles, ont conservé leur puissant coloris, et qui, revues mille fois, mille fois nous surprennent par un attrait nouveau.

Trois années s'étaient écoulées depuis la mort de Sara, et Isaac pleurait encore sa mère.

Pour dissiper les ombres de tristesse qui obscurcissaient la vie d'Abraham et d'Isaac, il fallait un rayon de jeunesse, de beauté et d'amour ; il fallait qu'une vierge qu'Abraham appellerait sa fille, qu'Isaac nommerait sa femme, vînt occuper la place laissée vide par celle qui naguère était saluée des titres d'épouse et de mère ; il fallait que, digne de succéder à Sara, à la fière et imposante princesse, dans l'autorité royale de la maîtresse dé la tente, l'épouse d'Isaac méritât de s'asseoir après elle au fond de ce sanctuaire domestique tout parfumé encore des vertus de la morte.

Et une poignante inquiétude étreignait le cœur d'Abraham. Il redoutait l'avenir.....

Alors il manda auprès de lui Éliézer de Damas, son vieux serviteur et son fidèle ami. Au nom de l'Éternel, Dieu du ciel, Dieu de la terre, il l'adjura de ne point livrer la tente de l'épouse sans tache à l'une de ces Cananéennes que l'immoralité de leur culte disposait à une effrayante dissolution de mœurs. Il lui fit jurer de chercher au berceau de sa race la compagne d'Isaac.

Mais une jeune fille consentirait-elle à abandonner son pays natal, et son père et sa mère, pour rejoindre, accompagnée d'un étranger, un époux dont elle ne connaîtrait que le nom ? Telle fut la crainte qu'Éliézer exprima à son maître. Fallait-il alors qu'Isaac lui-même quittât les vallées de Canaan pour les plaines mésopotamiennes ?

Une semblable éventualité effraya le patriarche. Et que deviendraient les promesses divines qui assuraient à sa race la possession de sa nouvelle patrie ?

Garde-toi d'y mener mon fils, dit Abraham.

L'Eternel, le Dieu du ciel qui m'a fait sortir de la maison paternelle et de mon pays natal, qui m'a parlé et qui m'a juré en ces termes : Je donnerai ce pays à ta postérité, c'est lui qui enverra son ange vers toi pour que tu prennes de là une femme pour mon fils ;

Mais si la femme ne veut pas te suivre, alors tu seras dégagé de ce serment que je te fais faire[27].

Et le patriarche, mal remis encore de son effroi, ajouta :

Mais tu n'y mèneras pas mon fils. Éliézer jura et partit. Des serviteurs, dix chameaux le suivaient.

 

Le vieux Syrien était arrivé près de la ville qu'habitait Nachor, frère d'Abraham.

Le jour disparaissait. Éliézer fit ployer les genoux à ses chameaux près d'une fontaine qui était située hors de la cité.

C'était l'heure où les vierges allaient renouveler la provision d'eau des demeures paternelles. Peut-être la compagne d'Isaac se trouvait-elle dans leur gracieux essaim..... A quel signe Eliézer la reconnaîtrait-il ?

A quel signe, si ce n'est à ce que le rôle de la femme offre de plus doux, l'exercice de la charité !

Et pendant que les jeunes filles se dirigeaient vers la source, Éliézer priait.

Il priait l'Éternel, le Dieu d' Abraham, de combler les bénédictions qu'il avait accordées au patriarche. Il le priait de permettre que la vierge qui, sur sa demande, inclinerait vers ses lèvres la cruche où elle aurait puisé l'eau de la fontaine fût celle que la Providence destinait à son jeune maître. Alors il reconnaîtrait que la main qui soutenait Abraham ne l'avait pas abandonné.

Il s'était tu ; et d'une maison sortait une jeune fille. Un vase sur l'épaule, elle descendit à la source. Et comme elle remontait, le vieillard courut à elle, l'arrêta, et la pria de pencher vers lui la jarre qu'elle avait remplie.

Bois, mon maître[28], répondit l'adolescente. Et avec un mouvement d'une grâce touchante, elle descendit le vase de son épaule, et l'approcha des lèvres d'Eliézer.

Lorsque celui-ci eut apaisé sa soif, la jeune fille reporta sa pensée sur les chameaux qui venaient de traverser une brûlante région ; et vidant dans leur abreuvoir l'eau que contenait encore sa cruche, elle courut, vive et légère, à la source, et y puisa l'eau qui les désaltérerait.

Silencieux, ému, Éliézer contemplait, aux dernières lueurs du soleil couchant, la jeune fille dont le beau et chaste visage reflétait l'âme virginale. Et le vieillard admirait.

N'était-ce pas là la femme généreuse et pure qui, sous la tente hospitalière, saurait aider le fils du patriarche à accueillir dans l'étranger un hôte de Dieu, à répandre une eau rafraîchissante sur ses pieds souillés de la poussière du chemin, à apaiser sa faim, et sa soif, pins cruelle encore ; à lui préparer la couche où se délasseraient ses membres fatigués ? Oui, dans cette jeune fille dont la prévoyante sollicitude s'étendait même sur les animaux, l'âme du vieillard saluait déjà la véritable reine de la tente hébraïque !

L'inconnue terminait à peine son œuvre bienfaisante, et déjà elle recevait des mains d'Éliézer une partie du douaire de la fiancée. Un nezem d'or[29], pesant un demi-sicle[30] ; deux bracelets de même métal et d'un poids vingt fois plus considérable, lui étaient remis ; et, dans le naïf langage des temps primitifs, le vieillard lui demandait :

De qui es-tu la fille ? Dis-moi donc, y a-t-il dans la maison de ton père de la place pour nous loger ?Je suis la fille de Bathuel, fils de Milca, qu'elle a enfanté à Nachor[31], répondit la jeune fille qui ne savait pas de quelle émotion profonde ses paroles pénétraient le cœur d'Éliézer. Et elle ajouta :

Il y a chez nous et de la paille et du fourrage, ainsi que de la place pour loger[32].

Le vieillard s'était agenouillé ; et le visage prosterné devant le Seigneur, il disait :

Loué soit l'Éternel, le Dieu de mon maitre Abraham, qui n'a pas retiré sa faveur et sa fidélité de mon maître ; je suis dans la voie ; l'Éternel m'a conduit à la maison du frère de mon maître[33].

La jeune fille avait disparu, et réfugiée auprès de sa mère, elle lui racontait la scène qui venait de se passer. Laban, son frère, entendit ce récit, vit l'or étinceler sur le visage, sur les bras de la jeune fille, et accourut vers la fontaine près de laquelle se tenait le voyageur et reposaient ses chameaux.

Entre, homme béni de Dieu, lui dit-il ; pourquoi restes-tu dehors ? J'ai préparé la maison, ainsi qu'un endroit pour les chameaux[34].

Le vieillard suivit son hôte.

Après qu'on eut lavé les pieds d'Eliézer et ceux des gens de sa suite, après qu'on eut soulagé les chameaux du poids de leurs fardeaux, on offrit au voyageur des aliments ; mais il refusa d'y goûter avant d'avoir expliqué le but de sa mission.

Il montra l'émir, son maître, entouré de serviteurs et de servantes ; riche, non-seulement des biens du pasteur, mais de ceux de l'homme des cités, et renfermant des trésors d'or et d'argent sous cette tente nomade autour de laquelle erraient ses troupeaux de brebis, d'ânes, de chameaux, Un seul fils devait hériter de l'opulence du patriarche, et c'était pour ce fils qu'Eliézer demandait la jeune fille que le doigt de Dieu lui avait désignée.

Et maintenant, continua-t-il, si vous êtes dans l'intention de montrer de la bienveillance et de la fidélité envers mon maître, dites-le-moi ; sinon, dites-le-moi aussi, je me tournerai alors à droite ou à gauche[35].

L'Éternel avait parlé : Bathuel et Laban s'inclinèrent devant la volonté suprême.

Voici, Rébecca est à toi, emmène-la et pars ; soit la femme du fils de ton maître, ainsi que l'Éternel l'a dit[36].

Après avoir rendu grâces au Seigneur, Éliézer, complétant le mohar de la fiancée, lui offrit des vases d'or et d'argent, des vêtements ; et partagea les mattan entre la mère et le frère de Rébecca.

Le lendemain le serviteur d'Abraham pria ses hôtes de le laisser partir ; et le cœur fraternel de Laban et les entrailles de la mère de Rébecca s'émurent. Eh quoi ! disparaîtrait-elle sitôt de la demeure paternelle, la jeune fille que, la veille encore, rien ne menaçait d'arracher à la tendresse des siens ? Et le frère et la mère demandaient un délai de dix jours que n'osait leur accorder Éliézer. Là-bas, dans le pays de Canaan, deux hommes, assombris par de récentes douleurs, attendaient, livrés à l'espoir, à la crainte, le retour de leur messager ; et celui-ci leur apportait le bonheur !

Appelons la jeune fille et interrogeons-la[37], dirent Laban et sa mère.

Et comme Rébecca paraissait, ils lui demandèrent : Veux-tu aller avec cet homme ?

Calme et confiante, la fiancée d'Isaac répondit simplement : J'irai[38].

Sa nourrice, ses filles de service devaient la suivre en Canaan.

Au moment du départ, les parents de la nouvelle épouse, la bénissant, lui souhaitaient toutes les joies, tous les triomphes de la maternité :

Notre sœur ! puisses-tu devenir mille fois plusieurs mille, et que ta postérité possède la porte de ses ennemis[39].

Rébecca se leva, monta sur un chameau et suivit Eliézer. Tous deux partirent accompagnés de leur suite, et la caravane disparut dans l'éloignement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les voyageurs approchaient du pays du midi[40]. Un homme errait dans la campagne. Soudain ses yeux se fixèrent sur les chameaux d'Abraham.

Rébecca, relevant son regard abaissé, vit l'inconnu. Quel est cet homme qui, dans les champs, vient au devant de nous ? demanda-t-elle à Eliézer. Le vieillard répondit : C'est mon maître[41].

C'était Isaac. C'était celui pour qui la jeune fille avait renoncé aux premières joies du foyer paternel et affronté les périls d'un long voyage sur la terre étrangère ; c'était son époux, et désormais son unique protecteur !

Et la vierge déroba son trouble sous le voile qu'elle avait ramené sur son visage.

Isaac s'était approché. Eliézer lui apprenait comment Dieu avait béni la demeure du patriarche en y amenant lui-même la femme pure et noble dont Isaac avait déjà entrevu les traits suaves, et dont le récit d'Eliézer lui faisait connaître l'âme dévouée et tendre.

L'époux guida l'épouse sous la tente où s'était exhalé le dernier soupir de Sara ; il l'aima, et Isaac se consola de la mort de sa mère[42], dit la Genèse.

C'est une dernière touche ajoutée à ce poétique tableau, que cette première apparition dans nos annales sacrées du véritable amour, l'amour consolateur !

 

 

 



[1] Les Sept Moallacât ou Poèmes suspendus, sont les poésies les plus remarquables qu'aient produites les temps antéislamiques. Elles étaient écrites en lettres d'or sur des étoffes précieuses que l'on tendait aux portes de la Caaba, le temple de la Mecque. Cf. sur les moallacât, le jugement du savant qui fut le père des études orientales en France, le baron Sylvestre de Sacy, Mémoires de l'Académie des inscriptions, t. L ; et Mélanges de littérature orientale, précédés de l'Eloge de N. de Sacy, par M. le duc de Broglie, dont la parole, d'une éloquence austère et noble, rappelant les titres scientifiques du célèbre orientaliste, nous initie avec tant de charme à ce que son caractère eut d'élévation morale.

[2] Cf. Les Moallacât d'Imroulcaïs, d'Amr, fils de Colthoum ; d'Antara, traduites avec la couleur et la verve orientales par H. Caussin de Perceval ; Essai sur l'Histoire des Arabes avant l'islamisme.

[3] Traduit du Kitâb-al-Aghâni, IV, folio 224, par M. Caussin de Perceval, et inséré dans sa notice sur les trois poètes arabes Akhtal, Farazdak et Djérir. Nouveau Journal asiatique, tome XIII.

[4] Femmes arabes avant et depuis l'islamisme, par M. Perron, 1858.

[5] Cf. Le Coran, XVI, 59-61.

[6] Par exception et comme une dernière bénédiction accordée à Job, ses filles eurent une part dans son héritage. Cf. Job, XLII, 15.

[7] Note 21 du chapitre XLVI de la traduction de Jérémie, par Cahen.

[8] Palestine, par M. Munk.

[9] Palestine, par M. Munk.

[10] Palestine, par M. Munk.

[11] Palestine, par M. Munk.

[12] Cf. pour la description géographique de la Mésopotamie : Habor, Mesopotamia, by G. Rawlinson (Dict. of the Bible) ; et pour la flore et la faune de cette contrée, l'ouvrage d'un savant à la fois naturaliste et archéologue : Babylonie, par M. Hœfer, Paris, 1852.

[13] Cf. Xénophon, Anabase, I, 5.

[14] Cf. Genèse, XXIV, 11, 15, 16.

[15] Cf. Genèse, XXIX, 6, 9.

[16] Le salsola est la soude.

[17] Sur la terre de Canaan, les frères de Dina vengent leur sœur outragée ; et Juda condamne à mort sa bru coupable, et légalement considérée comme sa fille. Cf. Genèse, XXXIV et XXXVIII.

[18] Genèse, XXXVIII, 2.

[19] Genèse, XXIV.

[20] Cf. notre premier essai : La Femme dans l'Inde antique.

[21] Cf. Marriage, by William Latham Bevan (Dict. of the Bible). L'auteur combat avec succès, en s'appuyant sur le rapprochement des textes, une opinion généralement admise de nos jours, et d'après laquelle le mohar aurait été reçu par le père de la fiancée comme prix de sa fille. Les plaintes de Lia et de Rachel prouvent que Laban avait dérogé à la coutume en vendant ses tilles comme des étrangères. Cf. Genèse, XXXI, 14-16.

[22] Cf. la note précédente.

[23] Cf. Genèse, XXIX et XXXI, 14-16.

[24] Genèse, XXIV, 22, 53.

[25] Genèse, XXIV, 22, 53, et Marriage, by William Latham Bevan, étude déjà citée.

[26] Cf. Genèse, XXIX, 22, 27.

[27] Genèse, XXIV, 6-8, traduction de Cahen.

[28] Genèse, XXIV, 18, traduction de Cahen.

[29] Un ornement de nez. Cf. Histoire de l'Art judaïque, par M. de Saulcy.

[30] On croit que le sicle d'or revient à 11 livres 12 sols de notre monnaie. Note de Cahen.

[31] Genèse, XXIV, 23, 24, traduction de Cahen.

[32] Genèse, XXIV, 25, traduction de Cahen.

[33] Genèse, XXIV, 27, traduction de Cahen.

[34] Genèse, XXIV, 31, traduction de Cahen.

[35] Genèse, XXIV, 49, traduction de Cahen.

[36] Genèse, XXIV, 51, traduction de Cahen.

[37] Genèse, XXIV, 57, traduction de Cahen.

[38] Genèse, XXIV, 58, traduction de Cahen.

[39] Genèse, XXIV, 60, traduction de Cahen.

[40] Isaac demeurait alors dans la région méridionale de Canaan.

[41] Genèse, XXIV, 65, traduction de Cahen.

[42] Genèse, XXIV, 67, traduction de Cahen.