LA FEMME BIBLIQUE

 

LIVRE PREMIER. — LA FEMME DEVANT LA RELIGION

Dieu, le culte, la loi morale, l'immortalité de l'âme

CHAPITRE QUATRIÈME. — RÉVÉLATION ÉVANGÉLIQUE.

 

 

Décadence politique et religieuse des Juifs. — Les sectes. La femme devant les pharisiens, les saducéens, les esséniens. — La Vierge amène le règne de la vérité sur l'humanité entière. — La Galilée. Appropriation de cette contrée à l'esprit de paix et à l'universalité de la prédication évangélique. — La nature âpre et heurtée de la Judée est le théâtre de la lutte de l'esprit nouveau contre la lettre morte. — Jésus et les femmes. — Amour de Dieu et de l'humanité. — L'idée de la Providence exclut-elle la nécessité du travail ? Prière de l'humanité. — Charité, miséricorde, tolérance. — Absence de lois cérémonielles dans l'Évangile. — Les nouveaux sacrifices. Apostolat. Mission de la femme. — Influence de la loi d'amour sur le caractère de la femme. — La mort, seuil de l'éternité.

 

Le temps n'était plus où l'inspiration prophétique communiquait la vie, le mouvement, aux institutions de Moïse.

Ceux que désormais on nommera les Juifs, c'est-à-dire les Judéens[1] ramenés par un édit de Cyrus dans le pays de leurs pères, s'attachaient à conserver la lettre des anciennes traditions, mais ne savaient pas en ressusciter l'esprit. Soumis tour à tour à la domination de Babylone, de la Perse, de la Macédoine, de l'Égypte, de la Syrie et de Rome, ils sentaient le froid de la mort glacer leur existence politique, et désireux de faire survivre à celle-là leur loi religieuse, ils croyaient la protéger en l'environnant d'une haie d'épineuses prescriptions.

Peu à peu la haie étouffa, en se développant, le plant précieux que Jehova avait confié à Israël. L'idée de Dieu se rétrécissait, la Providence devenait le Destin, la loi morale disparaissait au sein de l'inextricable tissu des prescriptions rituelles. Et par un étrange contraste, la même doctrine qui imposait à l'homme les plus minutieuses formalités cérémonielles enlevait à la femme les droits religieux que Moïse lui avait accordés : telle fut l'œuvre du pharisaïsme.

Ceux qu'éloignait la forme sévère et mesquine de la doctrine des pharisiens se rejetaient au sein d'une autre secte qui, n'entrevoyant nul avenir au delà de la tombe, bornait à la terre les jouissances de l'homme, et opposait à l'austérité, à la foi étroite des pharisiens, l'immoralité et le scepticisme des épicuriens : c'était le saducéisme. Quelle part pouvait accorder à la femme une philosophie toute sensualiste ?

Un troisième groupe semblait, par la pureté de ses principes, pressentir la loi évangélique : c'était la secte des esséniens. Mais tout entiers aux vertus contemplatives et pratiques de l'homme intérieur, ses adeptes négligeaient les vertus actives du citoyen, et éloignaient la femme de leurs solitudes claustrales[2].

Cependant une aurore nouvelle naissait. Le germe de la vérité éternelle, c'est-à-dire de la loi naturelle, ce germe, déposé par Moïse dans le code sinaïque, incubé par l'inspiration des prophètes, brisait son enveloppe matérielle, et allait éclore à la lumière de la Parole de Dieu.

Le Verbe, descendant vers l'humanité, s'incarnait dans ce qu'elle renferme de plus pur, de plus sacré, la Vierge ! L'antique et consolatrice promesse de Dieu se réalisait. Ève écrasait la tête du serpent ; et la mère sauvait ce qu'avait perdu la femme.

C'est en Galilée que le messager du ciel salue en Marie la Mère de Dieu. C'est là que Jésus passe sa jeunesse et commence sa prédication.

Cette contrée, l'une des plus luxuriantes que puisse rêver l'imagination du poète, s'étend au sud d'une prolongation du Liban[3]. Le sommet de la montagne, coupé en plateau, disparaît sous une couche de chênes nains, de vergers, et d'aubépines aux teintes virginales, au suave parfum. Arbres et arbustes, ici s'entrelacent en épais bosquets, là se groupent en vertes clairières. A l'est, un fleuve naissant et un lac, véritable mer, limitent la Galilée : ce fleuve, c'est le Jourdain ; ce lac, c'est la mer de Génésareth. Au nord-ouest du lac ruisselle, de la fontaine ronde de Capharnaüm, une source qui, courant au milieu des aliziers et des lauriers-roses, répand sur son passage une traînée de verdure[4]. Le Jourdain, sortant du lac où il a mêlé ses eaux, continue la limite orientale de la Galilée jusqu'à Scythopolis. Ici la frontière méridionale de la province se dessine, court à travers la plaine d'Esdrélon, et s'étend au pied des montagnes d'Éphraïm et du Carmel. Le sud de cette contrée embrasse une succession de collines et de vallées qui n'offre rien de heurté ; les collines, tapissées de forêts, arrondissent leurs moelleux contours, et descendent en ondoyant au sein des vallées sinueuses. A l'ouest, une lanière du territoire phénicien sépare la Galilée de la Méditerranée. De ce côté, les étrangers, qui formaient la masse de la population galiléenne[5], pouvaient entrevoir ou deviner la patrie absente ; et le Grec saluait peut-être les flots d'or et d'azur qui, de leur sein, faisaient jaillir ses îles chéries, ou qui ceignaient de leur frange d'écume les rives helléniques.

Cette contrée était admirablement appropriée à la révélation évangélique. Sur le pic sévère et menaçant du Sinaï, l'Éternel avait confié à Israël la garde du pacte qu'au sein des plus ravissants paysages du monde naissant il avait conclu naguère avec Adam et sa postérité. Dans des sites aussi doux que les jardins d'Éden, que les cimes de l'Ararat, que la vallée d'Hébron, il devait donner à l'humanité le gage de l'alliance qu'il avait nouée avec elle. Oui, la Galilée, avec le dessin pur et harmonieux de ses lignes, le suave coloris d'un paysage qu'animent les teintes d'une lumière éclatante, et que baigne une transparente atmosphère, la Galilée semblait avoir été créée pour être le théâtre de la promulgation d'une loi sereine et lumineuse comme elle ! Au milieu de ce peuple où les enfants de l'Égypte, de la Grèce, de l'Arabie, de la Syrie, se mêlaient aux fils d'Israël, sur les bords de cette mer au delà de laquelle vivaient ou s'éveillaient les peuples nouveaux, devait rayonner le foyer où l'humanité allait éclairer son esprit, échauffer son cœur.

Mais, pour établir cette doctrine de paix il fallait, et combattre, et souffrir, et mourir ! C'est au cœur du pharisaïsme, c'est à Jérusalem, que la flamme de l'esprit nouveau luttera contre les ténèbres de la lettre morte ; c'est au sein des rocs et des déserts de la Judée que se dérouleront les scènes de la passion du Sauveur.

Autour du type de la beauté humaine transfigurée par la beauté divine, ayant le charme vivant et fascinateur de la première et la calme grandeur de la seconde, autour de l'Homme-Dieu se groupèrent les femmes de la Galilée. Elles le suivirent de Capharnaüm à Jérusalem, du lac de Génésareth à la montagne de Golgotha. Elles vécurent de sa vie mortelle, partagèrent les angoisses de son agonie ; et, les premières, saluèrent sa résurrection.

Elles adoraient ce Maître qui initiait à sa mission la Samaritaine, admirait la foi ardente d'une fille des Syriens, aimait la pécheresse qu'une faute avait perdue devant le monde, mais que le repentir sauvait devant Dieu. Elles adoraient ce Maître qui rassasiait la faim de leur corps et la faim de leur âme ; ce Maître qui guérissait leurs souffrances physiques et leurs blessures morales ; ce Maître qui ne leur imposait d'autre joug que l'amour de Dieu et l'amour de l'humanité.

Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit.

C'est là le grand et le premier commandement.

Et le second est semblable au premier : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Ces deux commandements renferment toute la loi et les prophètes[6].

Dans ces deux commandements, non, dans cet unique commandement, se trouve le germe de toutes les vertus. Aimer Dieu, l'aimer avec toutes les forces de l'intelligence, c'est aimer le vrai, le beau, le bien, idées éternelles dont il est le type. Aimer Dieu avec toutes les puissances du cœur, c'est appliquer ces divins principes, c'est pratiquer le devoir.

Aimer l'humanité, c'est, dit Jésus, une loi semblable à la première. Oui, aimer l'homme dans sa grandeur, c'est aimer Dieu, c'est aimer le Verbe agissant dans l'âme qu'il habite, lui donnant l'inspiration des grandes pensées et la force des grandes actions ! Aimer l'homme dans sa déchéance, c'est encore aimer Dieu, c'est ramener le Verbe dans l'âme qui a cru le chasser et qui lui devra l'impulsion du repentir et le courage de la réhabilitation !

 

La Providence n'est plus le bras qui châtie ; c'est la main qui soutient et relève. L'Eternel n'est plus le Dieu des vengeances, c'est le Dieu des miséricordes. Jehova ne menace plus l'âme dans ses faiblesses, il ne l'accable plus dans ses chutes. Mais le Bon Pasteur guide son troupeau à travers les écueils, et cherchant au fond du précipice la brebis qui y tombe, la place avec amour sur son épaule, et, dans cette caressante attitude, la rapporte au bercail.

C'est alors que la Providence se mêle le plus intimement à la vie de l'homme, à sa vie matérielle, et surtout à sa vie morale. De même qu'elle revêt d'une robe virginale le lis des champs qui, sans souci de l'avenir, puise dans la terre des sucs vivifiants ; de même qu'elle livre à la recherche de l'oiseau le grain de mil qui le nourrit, de même elle fait trouver à l'homme, dans le labeur du jour, le pain du lendemain, et dans l'âpre poursuite de l'idée la vérité éternelle. Elle ne supplée pas au travail, elle le fait fructifier. Elle ne supprime pas l'ouvrier, elle en couronne l'œuvre. Et c'est ainsi que, ne permettant à l'homme d'autre préoccupation que la pratique du devoir et le respect de la justice, elle lui dit : Le reste vous sera donné par surcroît[7].

Tout ce que vous demanderez avec foi dans la prière, vous l'obtiendrez[8], dit Jésus. Comment, sous la loi évangélique, l'homme recourra-t-il à cet irrésistible appel à la Providence ?

Les Hébreux invoquaient dans le Tout-Puissant le protecteur d'Israël ; ils le priaient de les bénir dans leurs biens terrestres, dans leur patrie, dans leur postérité ; ils le suppliaient d'éloigner d'eux les dangers matériels et de renverser leurs ennemis. Les disciples du Christ invoqueront dans l'Éternel le Père de l'humanité ; ils lui demanderont le triomphe de la vérité sur toute la terre ; ils imploreront son secours dans les périls de leur âme ; ils défendront enfin devant lui ceux qui les attaquent devant le monde.

Dieu ne rend à l'homme que ce que celui-ci a donné à autrui. Avant de demander Dieu une assistance spirituelle, un secours matériel, que l'homme aille à son frère. Qu'il le console dans sa douleur, qu'il le soutienne dans sa misère. Avant d'implorer de Dieu le pardon de ses fautes, qu'il aille à son ennemi. Coupable, qu'il se jette aux pieds de celui qui le hait. Innocent, qu'il lui tende les bras. Avant de recourir à Dieu dans une défaillance morale, qu'il apprenne à respecter l'homme dans ses luttes, dans ses chutes même. Pour ramener celui qui s'égare dans l'obscurité, qu'il ne le pousse pas brutalement vers le droit chemin. Mais qu'il apporte la lumière, et les ténèbres se dissiperont, et le voyageur retrouvera sa route. Que l'homme, en un mot, sache unir la tolérance à la foi, et respecter tout ensemble les droits de la vérité et la liberté de la conscience !

 

Nulle prescription cérémonielle ne se mêle à la loi morale de l'Évangile. Le temple le plus cher au Sauveur, c'est le cœur de l'homme c'est cette demeure qu'il faut purifier pour la rendre digne de son hôte. Le Dieu qui s'était incarné dans le sein d'une vierge ne pouvait habiter qu'une âme immaculée.

L'idée des sacrifices[9] de la loi ancienne se dégage de ses liens matériels. Plus d'autre sacrifice expiatoire que l'eau du baptême régénérant les fils et les filles de la première femme, et que les larmes de la pénitence purifiant les pécheurs et les pécheresses. Plus d'autre agneau pascal que le Christ lui-même pénétrant dans l'âme du plus pauvre des hommes, de la plus humble des femmes, tel qu'il descendit dans le sein de Marie. Plus 'd'autre holocauste que l'embrasement du cœur des serviteurs et des servantes du Christ par la flamme de l'Esprit-Saint, le souffle de l'esprit nouveau !

Animés de ce feu, les apôtres du Christ deviennent les ministres de la loi évangélique. Ils ne conservent pas dans l'enceinte d'une nation le jaloux dépôt de la vérité, mais ils le rendent au monde entier.

Le sacerdoce n'est plus un privilège de la naissance, c'est une vocation de l'âme. Celui que le renoncement. aux biens matériels a conduit à la recherche des biens du ciel, celui qui veut dispenser à ses frères les nouveaux trésors qu'il s'est acquis, celui qui a compris que, se vouer à Dieu, c'est se sacrifier à l'humanité, celui-là est de droit prêtre de la religion nouvelle.

A la femme n'appartient pas la prédication intellectuelle ; mais il lui reste l'apostolat du cœur ; et la mission de sœur de charité fut tracée du jour où le Christ mourant, présentant à sa mère son disciple bien-aimé, confia l'humanité à une femme, à une vierge.

La doctrine évangélique qui, par le culte de la Vierge, devait faire mieux entendre le respect de la femme, cette doctrine de pureté et d'amour était la véritable religion d'un sexe dont les devoirs se résument en ces deux mots : chasteté et dévouement.

Les rigoureuses nécessités de la loi mosaïque avaient comprimé les instincts sympathiques et miséricordieux de la femme. Sous la pression de la loi d'amour ils débordaient avec effusion. Les filles d'Israël comprenaient que la justice doit régner sur le monde, non par la force qui ne dompte que le corps, mais par la douceur qui seule subjugue l'âme.

Œil pour œil, dent pour dent, leur avait dit la loi ancienne. A l'injure, à l'outrage, à la haine, le pardon, la bienfaisance, l'amour, leur disait la loi nouvelle. Concevant alors dans son véritable sens cette charité dont Moïse avait dû borner l'exercice aux limites de la Terre de promission, elles en étendaient le bénéfice au monde entier, et la charité devenait l'humanité.

Telles étaient les idées auxquelles les initiait le Sauveur. Ces idées, elles devaient, non les enfouir dans leur cœur comme l'avare cache son trésor, mais leur imprimer une valeur productive en les mêlant au grand courant de la vie sociale. Par la parabole des talents, Jésus avait prouvé que la foi sans les œuvres ne sauve pas, et que l'essence du christianisme est une vertu active.

Ne pensez point, avait dit le Christ au commencement de sa prédication, que je sois venu pour abolit la loi et les prophètes ; je suis venu, non pour les abolir, mais pour les accomplir[10].

Accomplir en perfectionnant, c'est là l'esprit de la doctrine évangélique. Ce fut ainsi que le Rédempteur apprit aux générations nouvelles comment, appuyées sur la foi, elles devaient marcher dans les voies du progrès et de la liberté.

Les natures jeunes et enthousiastes saluaient avec ivresse l'avènement du règne de la vérité sur la terre. Si leurs illusions menaçaient de se dissiper ici-bas, leurs espérances se reportaient vers une autre patrie. La croyance à l'immortalité de l'âme, la certitude d'une justice rémunératrice affermissaient les pas du voyageur, et la vue de la patrie céleste lui faisait oublier les meurtrissures de la route. Il savait qu'à la voix du Sauveur les justes qui, depuis Adam ; étaient descendus dans le schéol, s'étaient élancés dans l'éternelle lumière. Il savait que désormais le ciel ne devait plus tarder à s'ouvrir à ceux qui avaient servi le Christ dans l'humanité souffrante. Et si le martyre arrêtait dans sa course le défenseur de la justice et de la charité, il savait aussi que, s'il est beau de vivre pour une idée, il est plus beau encore de mourir pour elle !

 

 

 



[1] Les habitants du royaume de Juda, qui seuls étaient restés fidèles aux antiques croyances, profitèrent à peu près seuls aussi de l'édit de Cyrus, qui autorisait les captifs de Juda et d'Israël à rentrer dans leur patrie.

[2] Josèphe, Antiquités Judaïques, XVIII, 2.

[3] Cf. pour la description de la Galilée : Galilée, by Porter (Dict. of the Bible) ; Palestine, par M. Munk.

[4] Cf. Robinson's biblical researches.

[5] Le noyau de la Galilée consistait dans les vingt villes données par Salomon à Hiram, roi de Tyr, en échange de sa participation aux travaux du temple. Pendant la captivité, la population étrangère s'accrut, et, au temps des Maccabées, la Galilée ne comptait que peu d'Israélites. Strabon constate qu'à l'époque où il écrivit, cette province était principalement habitée par des Égyptiens, des Phéniciens, des Arabes ; et Josèphe mentionne les habitants syriens et grecs des cités galiléennes. Cf. Galilée, by Porter (Dict. of the Bible) ; Strabon, XVI, 2 ; Josèphe, Autobiographie.

[6] Évangile selon saint Mathieu, XXII, 37-40, traduction du P. Gratry. Cf. Commentaire sur l'Évangile selon saint Mathieu, seconde partie, 1865.

[7] Évangile selon saint Mathieu, VI, 33, traduction du P. Gratry.

[8] Évangile selon saint Mathieu, XXI, 22, traduction du P. Gratry.

[9] Notre plan n'embrassant pas les temps apostoliques, nous regrettons de ne pouvoir mentionner les fêtes chrétiennes, beaux et touchants souvenirs des événements évangéliques, mais dont l'institution est postérieure à Jésus-Christ, qui participa aux cérémonies du culte mosaïque.

[10] Évangile selon saint Mathieu, V, 17, traduction d'Osterwald.