LA FEMME BIBLIQUE

 

PRÉAMBULE.

 

 

L'homme seul dans le paradis terrestre. — La première femme. — Institution du mariage. — L'Éden de Milton et celui de la Genèse. — Première influence de la femme.

 

L'œuvre immense de la création semble achevée. La nature, radieuse de jeunesse, porte dans sa beauté immaculée la récente empreinte de son Auteur. Déjà l'homme en est le roi. Les cieux, abaissant autour de lui leur dôme d'azur, lui ont révélé leur magnificence ; il a vu le soleil les baigner des teintes rosées du matin, les enflammer des rayons éblouissants du jour, les colorer des nuances pourprées du soir ; il a vu la nuit, les noyant dans son ombre, faire jaillir de leur voûte les étincelles qui sont des mondes, et le globe dont la lueur argentée glisse mystérieusement sur la nature endormie.

L'Éden[1] lui a dévoilé la riante variété de ses sites ; les forêts lui ont ouvert leurs profondeurs ; l'arbre a incliné vers lui ses rameaux chargés de fruits. Le fleuve, déroulant sa ceinture de cristal, l'a abreuvé d'une onde pure de tout limon. La verdure a déployé devant lui son tapis velouté. Les fleurs lui ont envoyé leur parfum ; les oiseaux leur chant. La bête fauve a obéi à sa voix. La création entière lui a offert son hommage, le Créateur même est descendu vers lui ! Et cependant, entouré de cette atmosphère de paix, de joie et de bénédiction, il souffre ! Il a adoré, il voudrait aimer !

Dieu a compris les vagues aspirations du cœur d'Adam. Il n'est pas bon à l'homme d'être seul[2], dit-il.

Il n'est pas bon à l'homme d'être seul ! L'Être divin en qui se concentrent la puissance, l'intelligence, l'amour, avait néanmoins voulu que sa puissance se réfléchît dans une œuvre, et il avait créé le monde ; il avait voulu que la lumière de son intelligence éclairât un être vivant, que la flamme de son amour l'embrasât, et il avait créé l'homme, il l'avait animé de son souffle immortel. L'Être qui, de toute éternité, existe par lui-même, l'Être immatériel, l'Être qui se suffit à lui-même, n'avait pas voulu régner sur le néant : il comprit que l'homme, l'être né de la terre, l'être de chair et de sang, l'être pensant et aimant, ne pourrait exister qu'en se sentant vivre dans un autre soi-même.

Il n'est pas bon à l'homme d'être seul, avait dit le Seigneur. Il ajouta : Faisons-lui une aide semblable à lui[3].

Et cette aide semblable à l'homme sera formée de sa propre substance ; c'est par elle qu'il complétera son existence désormais partagée ; avec elle seulement qu'il sera vraiment lui. A l'homme la force qui dompte, à sa compagne la grâce qui attire ; au premier la protection, à la seconde le dévouement. A tous deux le même besoin de pénétrer le sens divin de leur existence, d'adorer Celui qui du néant fit jaillir la vie, et de s'aimer en Lui ! Il comprendra plus ; mais elle sentira mieux ! Dieu, séparant pour unir davantage, animant deux vies du même souffle, a, de la même pensée, créé la femme, institué le mariage dans son unité, dans son indissolubilité, et posé, avec la famille, les assises des sociétés à venir.

Elle entre dans la vie, la compagne plutôt pressentie qu'attendue d'Adam. Dieu la présente et la confie à l'homme, et celui-ci la salue de ce cri de bonheur qui lui révèle à lui-même pourquoi il s'était senti seul en présence de Dieu et de la nature :

Cette fois, c'est un os de mes os, c'est la chair de ma chaire ![4]

L'être créé à l'image de Dieu, reconnaissant en sa compagne le souffle sacré qui l'anime lui-même, appelle d'un nom semblable au sien celle qui le rendra père de l'humanité[5], celle qui lui inspire l'unique loi sociale qu'il ait léguée à sa postérité.

Que celle-ci soit appelée femme, parce qu'elle a été prise de l'homme ;

C'est pourquoi l'homme quitte son père et sa mère, s'attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair[6].

Involontairement ici, le livre sacré nous échappe, et notre imagination se retrace les scènes qu'inspira l'esquisse de la Bible au génie chrétien de l'aveugle qui, ne voyant plus la terre, se représentait mieux le ciel. Avec Milton, nous pressentons les premières impressions de la femme, son étonnement du monde et d'elle-même ; l'effroi, le trouble de la vierge, et la chaste et confiante tendresse de l'épouse. Avec Milton, nous la voyons, préludant à sa mission domestique, recueillir le lait des troupeaux, le miel des abeilles et les fruits de la terre. Avec Milton, nous errons sur les pas du premier homme et de la première femme dans ces paysages que son pinceau anime des feux éblouissants de la lumière orientale ; nous les entendons, unissant leurs voix dans le même élan d'adoration, chanter le Dieu qui leur donna la vie, l'amour, la terre, et lui offrir l'hommage de ce qu'ils reçurent de lui ! Ah ! quittons ces pages, toutes frémissantes encore de l'enthousiasme du poète, et reprenons le livre simple et sublime qui les inspira. Ici l'auteur sacré ne s'arrête pas à respirer les parfums de l'Éden, la fraîcheur de ses eaux ; il n'en contemple pas les cieux de saphir, car il voit approcher le nuage qui, de ses flancs déchirés, fera ruisseler la foudre sur le premier, le dernier abri du bonheur humain. Il ne salue pas dans la femme la source de la vie, car il voit aussi en elle la source de la mort.

 

Tout, dans l'idéale beauté du type primitif de la femme, respire la délicatesse. Son âme sera-t-elle armée de la force qui manque à son organisation physique ? Quelle sera sur son époux son influence morale ? Le soutiendra-t-elle dans le sentier du bien, ou le fera-t-elle glisser sur la pente du mal ?

Moïse jette sur cette question une sombre lueur. Celui qui ne peut plus aimer, torturé par le bonheur du premier couple, l'empoisonne en y mêlant le doute impie du présent, la fallacieuse ambition d'un avenir plus qu'humain. Inspirant à la femme de nouveaux besoins intellectuels, il lui indique le moyen de les satisfaire. L'homme, la femme, vivent et pensent ; mais connaissent-ils le mystère de leur naissance, celui de leur intelligence ? La nature leur est soumise ; mais connaissent-ils les lois qui ont présidé à sa création ? Ils pratiquent le bien ; mais connaissent-il le mal ? Qu'ils acquièrent l'intelligence suprême, et par là ils égaleront ce Dieu qu'ils adorent et ne comprennent pas !

Et la femme, surprise, éblouie, tombe, et entraîne l'homme dans l'abîme. En cessant d'ignorer leur innocence, ils avaient appris à connaître le mal !

Alors éclate sur la femme le courroux céleste. Dieu, la frappant dans ses plus douces joies, dans ses plus ineffables espérances, lui fera, du mariage, un asservissement ; de la maternité, une douleur. L'homme, perdu par elle, par elle aussi connaîtra les luttes de la vie, lui qui ne les avait même pas soupçonnées, et la mort, mot à peine compris de celui qui, sur la foi de son innocence, avait cru à son immortalité !

La condamnation n'est pas encore prononcée que déjà un lointain espoir de pardon a adouci l'amertume du châtiment, et que Dieu, maudissant le principe du mal, s'est écrié :

Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la tienne. Elle te brisera la tête, et tu tâcheras de la mordre par le talon[7].

Toute la destinée de la femme biblique n'est-elle pas en germe dans ce récit ?

 

 

 



[1] C'est en Arménie que les traditions placent généralement le paradis terrestre. Cf. Armenia di Cappelletti, Firenze, 1841.

[2] Genèse, II, 18, traduction de Cahen.

[3] Genèse, II, 18, traduction de Le Maistre de Sacy.

[4] Genèse, II, 23, traduction de Cahen.

[5] En hébreu, le nom de la femme Ischa est dérivé du nom de l'homme Isch. Une dérivation analogue n'existe pas dans les autres langues sémitiques ou helléniques. Toutefois, les anciens Latins disaient vira de vir, d'où sont restés les mots virgo, virago. (Note de Cahen.)

[6] Genèse, II, 23, 24, traduction de Cahen.

[7] Genèse, III, 15, traduction de Le Maistre de Sacy.