LA FEMME BIBLIQUE

 

INTRODUCTION.

 

 

Notre siècle assiste à l'un des spectacles les plus curieux, les plus intéressants que l'érudition puisse faire apparaître à nos regards : il est témoin de la résurrection du monde primitif. L'archéologue évoque les monuments antiques ; et ceux-ci, secouant la poussière où ils étaient ensevelis, se relèvent et revoient la lumière. Le linguiste, retrouvant les idiomes disparus, découvre la pensée des peuples qui ne sont plus, et la rend au fonds commun de l'esprit humain. Et l'imagination de l'historien, groupant les édifices qui surgissent de terre, reconstruisant les cités écroulées, leur redonne, en les repeuplant de leurs habitants, la vie morale qui les animait.

Devant l'apparente variété des civilisations primitives, le polygéniste s'est écrié une fois de plus : Sur divers points du globe sont nées des races humaines. Devoir leur existence à la même force naturelle, telle est leur seule communauté d'origine.

Sous l'expression particulière au génie de chaque peuple, le polygéniste n'a-t-il donc pas découvert que, d'un hémisphère à l'autre, cette expression voilait la même pensée, que cette expression n'était qu'une des manifestations de l'âme de l'humanité ?

De son côté, le rationaliste, voyant chez toutes les nations antiques le culte du bien, a dit : La vérité ne s'est pas fait uniquement entendre sur la terre d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. La vérité est la voix de la conscience humaine ; où l'homme a passé, cette voix -a vibré.

Oui, reconnaissons-le avec joie, et que ceci soit la meilleure preuve de la commune origine des races : ce qui frappe, ce qui émeut, dans la reconstitution de l'antiquité, ce n'est pas seulement la beauté, la grandeur des monuments de marbre ou de granit ; c'est aussi, c'est surtout cette voix de la conscience humaine qui s'élève des ruines du passé. A l'aurore de toutes les civilisations orientales plane la vérité. Mais quand on s'éloigne des premiers temps de leur existence, où la vérité s'est-elle conservée ?

Est-ce sur la terre des Pharaons ? Ses monuments attestent, en effet, que la justice y régna, même sur les rois, pendant leur vie, après leur mort ! Mais les lois auxquelles les Égyptiens attribuaient la durée de leurs monuments en eurent aussi l'immobilité ; et l'immobilité, même dans le bien, c'est la mort ! L'Égypte s'arrêta, ses institutions s'écroulèrent, et la licence succéda à la loi.

Pénétrons maintenant chez cette nation qui eut même renom de sagesse que l'Égypte, la Chine. Nous y trouvons, il est vrai, le culte de la raison, mais le culte immobile de cette raison humaine, bornée, qui, en se creusant sans cesse elle-même, ne rencontre que le néant.

Enfin, voici la poétique contrée où le génie des races aryennes se déploya dans son premier et radieux épanouissement. C'est l'Inde ! Ah ! nous comprenons l'enthousiasme qu'elle inspire ; cet enthousiasme, nous l'avons partagé, exprimé, et nous l'éprouvons toujours ! Oui, nous nous souvenons encore de notre étonnement, de notre bonheur, quand, transportée au sein des grands paysages de la nature tropicale, nous y vîmes les sentiments les plus délicats, les plus tendres, exprimés avec un exquis abandon, mais toujours soumis et souvent sacrifiés à la règle austère du devoir ! Cependant, tout en aspirant les parfums d'une exubérante végétation, tout en nous berçant de cette harmonieuse poésie où vibre l'écho de la beauté morale, nous nous sentions peu à peu oppressée par une mystérieuse puissance : l'inaction du peuple indien l'avait soumis au destin, et le devoir était devenu la fatalité.

Où donc la vérité se conserva-t-elle ? Elle se conserva là où le souvenir de son auteur se perpétua. Quand la justice, la raison, le devoir cessent d'avoir Dieu pour principe, la vie leur échappe, et avec la vie, la possibilité du progrès.

La vie, le progrès, c'est là ce qui caractérise l'idée religieuse, telle que la comprit le peuple de Dieu.

Sans doute, les Hébreux ne surent pas toujours entendre cette idée dans toute sa pureté ; et, au nom même de Celui qui vint pour perfectionner la loi, nous protestons contre celles de leurs interprétations que réprouvent les droits imprescriptibles de la conscience. Quelle que fût l'inspiration divine à laquelle obéît l'Hébreu, il était homme, et devait mêler à l'esprit quelque limon terrestre. Mais de ce que le vase qui reçoit une eau vivifiante, y infiltre un peu de son argile, il ne s'ensuit pas que cette eau ait jailli moins pure de la source, ni qu'elle ne puisse recouvrer sa limpidité. Dans la Bible, l'idée religieuse confiée aux communs ancêtres de toutes les races se pose, se transforme, s'épure chez le peuple qui la garda, et reçoit du Verbe de Dieu ce caractère d'excellence, d'universalité, qui fera de l'Évangile le guide de l'humanité. Ainsi, la notion dont le Créateur accorda l'intelligence au premier homme est celle qui, perfectionnée par l'Homme-Dieu, ramènera les enfants d'Adam à leur unité première, et répondra aux plus légitimes, aux plus généreuses aspirations de leur âme libre et régénérée. Ne cherchons pas une autre religion de l'avenir que celle dont la naissance se rattache à notre extraction même.

La femme se mêla activement au mouvement d'élaboration, d'amélioration, d'expansion dont la Bible reproduit les phases. Le sujet de notre étude, la condition et l'influence de notre sexe chez la nation hébraïque, se lie donc étroitement à notre histoire religieuse.

Notre travail, au frontispice duquel nous avons placé la figure d'Ève, la femme-type, notre travail se divise en quatre livres : la femme devant la religion ; — la jeune fille et le mariage ; — l'épouse, la mère, la veuve ; — la femme devant l'histoire.

Dans le premier livre, nous essayons de suivre l'idée religieuse depuis la révélation primitive jusqu'à la révélation évangélique inclusivement, et nous indiquons d'une manière générale la coopération de la femme au développement de cette notion.

Dans les deux livres suivants, nous esquissons les types de la jeune fille, de la fiancée, de l'épouse, de la mère, de la veuve, en signalant les modifications qu'ils subirent sous l'influence même de la transformation de l'idée religieuse.

Après cette étude de la femme biblique, considérée comme être collectif, nous suivons les applications de son caractère dans l'histoire du peuple hébreu et dans celle du Christ. C'est là l'objet de notre quatrième et dernier livre.

Nous nous sommes attachée dans le cours de ce travail à faire vivre la femme dans le milieu qu'elle traversa. Nous avons cherché à connaître les coutumes qui lui furent particulières ; la demeure, le paysage qui lui servirent de cadre. A cette intention, nous avons consulté les traditions talmudiques, les études de l'hébraïsant allemand Michaëlis et de M. Salvador sur les institutions mosaïques ; les travaux archéologiques ou géographiques de MM. de Saulcy, Munk, du docteur américain Robinson[1] ; et le vaste répertoire anglais des antiquités bibliques, édité par M. Smith, et rédigé, non-seulement par des hébraïsants, mais encore par des égyptologues, des assyriologues, etc.

Ce n'est pas uniquement, en effet, dans leurs livres nationaux qu'il faut étudier les Hébreux. Les vérités bibliques ont laissé des traces dans tout l'Orient ; nous en avons recueilli quelques-unes. — La vie même des Hébreux s'est mêlée à celle des Chaldéens, des Arabes, des Égyptiens, des Assyriens, des Perses. L'origine des habitants du Hedjaz nous autorisant à commenter par leurs coutumes celles de leurs ascendants, les patriarches hébreux, nous avons appelé à notre aide cette poésie antéislamique dont la simplicité, la vigueur, la hardiesse et l'éclat sont merveilleusement appropriés aux scènes de la tente et du désert. Le séjour des Israélites sur la terre de Gessen nous a permis de demander aux vestiges de l'art pharaonique quelques indices de l'influence égyptienne sur les enfants de Jacob. Quand il nous fallait suivre les femmes de la Bible hors de leur patrie, les traditions des Ismaélites, les annales de la Perse nous livraient de curieuses révélations sur l'histoire de nos héroïnes.

Dans ces recherches, nos guides ont été, pour l'Arménie, le Mékhitariste Indjidji, dont les travaux ont été résumés en italien par Cappelletti ; pour l'Arabie, MM. le baron Sylvestre de Sacy, Reinaud, Caussin de Perceval ; les traducteurs de Maçoudi, MM. Barbier de Meynard et Pavet de Courteille ; pour l'Égypte, MM. le vicomte de Rougé, Champollion-Figeac, Brugsch, Reginald Stuart Poole ; pour la Chaldée, l'Assyrie, la Perse, MM. G. Rawlinson, Hœfer, Layard, Oppert, Fergusson, etc.

 

Ce n'est pas une vaine curiosité qui attire notre temps à l'étude des antiquités bibliques. Cette étude, c'est celle de nos origines morales, et c'est pourquoi elle agite les âmes comme une question actuelle.

Femmes-chrétiennes, nous sommes toutes intéressées à suivre la formation de notre type, et à voir se dessiner dans la suite de l'histoire sacrée cette individualité dont nous devons à l'Évangile la pleine possession[2].

 

 

 



[1] Nous regrettons que l'achèvement de notre essai, précédant la publication des résultats du voyage scientifique qu'a fait récemment en Palestine M. le duc de Luynes, ne nous ait pas permis de recourir aux découvertes dues à l'homme illustre qui donne et l'inspiration, et l'exemple des œuvres de l'intelligence.

[2] L'exposé de notre plan indique suffisamment que nous n'avons point voulu recommencer l'œuvre que le vénérable et éloquent archevêque de Paris a publiée sous ce titre : Les Femmes de la Bible, principaux fragments d'une histoire du peuple de Dieu, avec collection de portraits des femmes célèbres de l'Ancien et du Nouveau Testament, gravés par les meilleurs artistes, d'après les dessins de G. Staal, 2 vol. gr. in-8°.