Époque de la transformation. — Le Rhône des anciens. - Le texte de Polybe. — Le Rhône de César. - Les Allobroges. - Les campagnes de César. - Guerre des Helvètes. - Interprétation du colonel Stoffel. - Critique de ce système. - Une autre opinion. - La septième campagne.ÉPOQUE DE Nous venons de voir comment la concentration des eaux du Rhône a pu se faire dans un seul chenal, celui de Pierre-Châtel. Elle s'est accomplie sans qu'aucun écrivain fasse mention de ce changement. S'ensuit-il qu'on doive le regarder nécessairement comme un fait préhistorique ? Pourquoi cette absence d'une catastrophe générale n'indiquerait-elle pas aussi bien que le changement s'est fait par degrés insensibles ? C'est ce qui a eu lieu, croit-on, pour la mer du Morbihan, pour les marais de Vendée, pour d'autres points encore. LE RHÔNE DES ANCIENS Le Rhône des anciens serait alors le Rhône bifurqué, comprenant encore une branche méridionale passant par Chambéry. Celle-ci aurait été la première connue des Italiens, et c'est à elle que Polybe et César auraient donné le nom de Rhône. Les Gaulois, mieux renseignés, donnaient le nom d'Ile à la zone inter-fluviale ainsi embrassée.
En admettant le croquis ci-contre, les difficultés se trouvent expliquées. La marche d'Annibal devient toute simple. Le texte de Polybe.
— Le Rhône est bien celui qu'a décrit Polybe, coulant vers le couchant
d'hiver, encaissé dans une vallée sur la plus grande partie de son cours.
Annibal a du le longer depuis le passage jusqu'à la montée des Alpes, près du
confluent de l'Arc ; ce chemin s'est développé sur une longueur approximative
de 1.400 stades ou Ainsi ce refrain monotone : le long du fleuve, le long du fleuve, qui paraissait contredire tout le reste, le voilà devenu l'appui de notre restitution. L'historien grec a, par un seul trait de plume, dépeint le fleuve et le chemin ; dans son esquisse sommaire, il n'a pas tenu compte des sinuosités. LE RHÔNE DE CÉSAR C'est peut-être le même fleuve à branche méridionale que César a vu un siècle et demi plus fard, et qu'il a désigné dans ses Commentaires, où le mot d'Isère n'est pas prononcé. Et cette nouvelle interprétation n'obligerait, à modifier que sur deux ou trois points les idées généralement reçues sur l'histoire de ces temps. Nous allons les examiner. Les Allobroges. — D'abord la position des Allobroges : ils occuperont toujours la haute vallée du Rhône de Genève à Grenoble ; mais ils auront seulement la partie sud[1] de la région entre Rhône et Isère, au besoin jusqu'à la ville de Vienne — ce qui représentera leurs bourgs et leurs possessions au-delà du Rhône — ; peut-être possédaient-ils à cette époque une partie du Valentinois. Ce peuple aurait ainsi changé l'assiette de ses habitations comme voulurent te faire les Helvètes, puis comme le firent les Boïens pendant le proconsulat de César ; les exemples de pareilles migrations ou plutôt de tentatives de migrations remplissent l'histoire des quatre à cinq premiers siècles de l'ère chrétienne. Les Allobroges en 218 n'avaient rien, dans l'Ile, où
régnait Brancus ; ils ne dépassaient pas la vallée du Graisivaudan, et
Annibal ne s'engageait qu'avec crainte sur leur territoire[2]. Ils durent
profiter des dissensions de leurs voisins pour s'agrandir du côté de l'ouest,
pour donner la main aux Arvernes et combattre avec eux les Romains ; ils
étaient même descendus vers Pendant les guerres des Gaules, ils restèrent les alliés
de César ; en récompense de leur fidélité, ils purent recevoir un agrandissement
de territoire vers le Nord, tout le pays jusqu'au cours actuel du Rhône. Lyon
devenait ainsi la tête de Si nous franchissons encore un demi-siècle, nous les retrouvons tels que les a décrits Strabon, réduits à cultiver cette plaine et les premières vallées des Alpes. Ils n'étaient plus que les habitants de l'Ile, et Tite-Live écrivant l'histoire d'Annibal placera chez les Allobroges le différend entre Bran eus et son frère ; il étendait leur nom aux anciens possesseurs de l'Ile, à ceux qui s'y trouvaient deux cents ans plus tôt[3]. Au sud de l'Isère, les Ségalauniens étaient probablement un démembrement de la confédération allobroge. Un siècle plus tard, le nom même de ces peuples aura disparu de la géographie politique dans les montagnes qui avaient été leur berceau. ApresJe-iac.de Genève, nous dit Ammien Marcellin, le Rhône coule en Savoie et chez les Séquanes[4]. La nation allobroge avait perdu son unité ; les habitants de la métropole s'appelaient les Viennenses, d'autres descendants allaient s'appeler les Grenoblois ou les Genevois. Dans l'exposé qui précède, nous avons expliqué les conséquences
qu'entraîne notre conjecture, c'est-à-dire la limitation du territoire
allobroge vers le nord, vers Lyon, et son extension temporaire vers le sud de
l'Isère. Cette opinion ne contredit pas les récits des anciens. César dit que
les Ségusiaves touchaient à la province de l'autre côté du Rhône : Inde in
Allobrogum fines, ab Allobrogibus in Segusiavos exercitum ducit. Hi sunt
extra Provinciam trans Rhodanum primi[5]. Il dit aussi que
les Eduens et les Ségusiaves étaient limitrophes de Les campagnes de César. — Mais, avec cette modification, que vont devenir les campagnes de César ? Elles peuvent rester ce qu'elles sont, sauf la première contre les Helvètes. Rappelons sommairement les faits. Guerre des Helvètes.
— L'an 58 avant J.-C, les Helvètes voulaient émigrer et s'établir dans Cependant les Helvètes, repoussés d'un côté, n'avaient pas abandonné leur dessein ; ils avaient pris un autre itinéraire et obtenu des Séquanes et des Eduens la permission de passer par leur territoire. Déjà ils étaient arrivés sur les bords de l'Arar, que les trois-quarts de leur troupes avaient même franchie ; le quatrième canton était encore sur la rive gauche. César, appelé par les Eduens et les Ambarres dont le
territoire était ravagé, renseigné par ses éclaireurs, surprend et anéantit sur
la rive gauche le canton retardataire. Puis en un seul jour, jetant un pont
sur l'Arar et le traversant, il se met à suivre les Helvètes qui continuaient
leur route, et cherche une occasion favorable. If marche ainsi quinze jours
sans la trouver, mais, forcé de se ravitailler en blé, il se détourne sur
Bibracte (le mont Beuvray) éloigné de
18 milles ( Tels sont les faits. Interprétation du colonel
Stoffel. — Voyons comment, le colonel Stoffel, rectifiant la première
version de Napoléon III, les a expliqués[11]. Les Helvètes
ont passé au fort de l'Ecluse, puis ont suivi la trouée Culoz-Ambérieu et se
sont trouvés devant les Dombes. Leur mince colonne s'est étalée pour
traverser ce large plateau, et est arrivée
sur Voilà pour le commencement de la campagne. Quant à la
bataille finale, elle aurait eu lieu près du petit village de Montmort,
éloigné de
Carte de la première campagne de César. Marche des Helvètes d'après le colonel Stoffel. Critique de ce système. — Ce système est discutable en plusieurs points. Il y a d'abord la traversée des Dombes, qui sont bien un large plateau, mais aussi un plateau coupé de marais, où les Helvètes n'avaient que faire d'aller s'embourber. Il y a ensuite l'identification de la zone Trévoux-Riottier, dont les fouilles ont reçu une conséquence que Desjardins regarde comme inattendue[12]. Admettons, si l'on veut, que les Ségusiaves, dont le
principal établissement était sur la rive droite de Mais comment expliquer la lenteur des Helvètes, qui auraient marché quinze jours avec une vitesse moyenne de huit kilomètres par jour, comme l'indique le colonel Stoffel, et non pas de douze, comme l'avait d'abord pensé Napoléon III. Cette vitesse de douze kilomètres avait déjà paru étrangement faible. On était dans la dernière quinzaine de juin ; les jours sont longs, le temps est généralement beau à cette époque. En admettant que le convoi précédé de son avant-garde soit parti tous les matins à quatre heures, ce qui est plutôt fard, qu'il ait fait seulement trois kilomètres à l'heure, la tête de colonne serait donc arrivée à l'étape avant huit heures. Ce convoi avait sans doute plusieurs lieues de longueur, mais le colonel Stoffel s'avance beaucoup en disant que les voitures devaient marcher une à une. L'opinion contraire s'appuierait sur le texte de César qui, au commencement de la même campagne, pour faire apprécier la difficulté du Pas de l'Écluse, dit que les voitures étaient obligées de marcher ainsi[13] ; ce n'était donc pas le cas général. Une autre opinion.
— Les difficultés marécageuses des Dombes et l'excessive lenteur du trajet
disparaîtraient si l'on admettait un Rhône à branche méridionale. Le passage
de l'Arar pourrait alors être placé sensiblement plus en aval, en un point qui
serait à trouver. César serait arrivé chez les Ségusiaves par le Vivarais,
et, pour aller surprendre les Helvètes, il aurait repassé l'eau. Si pour ces
deux traversées il n'a pas insisté dans ses Commentaires, c'est qu'il
a utilisé des ponts tout faits. Remarquons que dans le cours de ses
campagnes, il a dû franchir le Rhône à maintes reprises ; pas une seule fois
il n'a mentionné cette opération dans ses Commentaires. Dans d'autres
circonstances, il a insisté sur les passages de l'Allier ou de La septième campagne. — Nous croyons pouvoir arrêter là notre discussion, et laisser de côté la septième campagne de César, celle qui se termina par la prise l'Alésia ; la restitution de Napoléon III n'est peut-être pas définitive ; elle n'a jamais été admise par Quicherat. Ernest Desjardins et M. Elisée Reclus ont fait de singulières restrictions. Disons cependant ici qu'elle mentionne une diversion des Gaulois entreprise par ordre de Vercingétorix contre les peuples delà Province, et notamment contre les Allobroges ; d'après notre conjecture, cette diversion aurait eu lieu exclusivement par l'ouest, entre l'embouchure de l'Isère et le port d'Arles. |
[1]
Ils n'y occupaient, peut-être que des possessions disjointes, des enclaves,
comme plus tard en formèrent les Voconces, qui avaient conservé leurs lois au
milieu de
[2] Voir Pilot, Recherches sur les antiquités dauphinoises, 1833, t. I, p. 19. Il dit à l'égard du mot Allobroges qu'on peut, l'interpréter Allbrig, c'est-à-dire nation habitant les montagnes : al (alta) ; brigx ou brogx, troupe de gens armés, peuple, nation, expression celtique d'où paraissent dériver nos mots bourg et brigade.
Le savant docteur allemand Dietenbach (Celtica, I, p. 17, n° 10) donne la clef suivante : all signifie haut, bro signifie ferre, broïg campagne, brôg, broig, borg, burg, maison, village, de sorte que Allobroges voudrait dire hauts villages.
[3]
De la même manière, Dion Cassius racontant la guerre des Gaules appelle Celtes
(Κελτοί) les
peuples germains, tandis que d'après César le mot de Celtes (Celtæ) était celui par lequel les peuples de
[4]
Ammien Marcellin. Coll. Nisard. Paris, J. J. Dubochet
[5] Voir plus haut, chapitre XV. Citation (6). Commentaires de César, Livre I, X, 5. Ed. Benoist et Dosson. Hachette, 1899, p. 18.
[6] Livre VII, LXIV, 4. Ed. Benoist et Dosson. Hachette, 1899, p. 455.
[7] Aymar du Rivail, traduit par Ant. Macé, Description du Dauphiné. Grenoble, imp. Allier, 1852.
[8] G. Debombourg, Les Allobroges, Lyon. Aimé Vingtrinier, 1866.
[9] Macé conclut, que l'Isère séparait, les deux confédérations des Allobroges et des Voconces, et que ces derniers possédaient la rive gauche de celle rivière jusqu'à son confluent avec le Drac. (Ouvrage cité, notes du chap. XVI, p. 193).
Debombourg pense au contraire qu'à l'époque du passage d'Annibal les Allobroges occupaient le Graisivaudan et avaient probablement, pour clients les Uceni et les Tricorii, mais n'allaient pas jusqu'au Rhône. (Ouvrage cité, page 9).
[10] Par le mot mur, il faut entendre non pas une muraille continue en pierre ou en terre, mais un escarpement naturel recoupe et rendu plus raide. Le long des lignes, on trouvait le mur ainsi entendu doublé en quelques points par un fossé. Cette interprétation, due à Napoléon III et au colonel Stoffel, est admise aujourd'hui.
[11] Colonel Stoffel, Histoire de Jules César : Guerre civile. Paris, imp. Nationale, 1887. Voir le Supplément, p. 439 : Découverte du champ de bataille de Montmort, et planche 23 de l'Atlas. — Même auteur, Guerre de César et d'Arioviste, Paris, imp. Nationale, 1890. Voir le Préambule, p. 25-40, et Explications et remarques, p. 79.
[12]
Desjardins,
[13] Livre I, VI, 1. ... unum (iter) per Sequanos, angustum et difficile, inter montem Juram et flumen Rhodanum, vix qua singuli carri ducerentur. Ed. Dosson, Hachette, 1899, p. 10.