ANNIBAL DANS LES ALPES

 

PREMIÈRE PARTIE. — L'ITINÉRAIRE

CHAPITRE XIII. — LA TRAVERSÉE DES ALPES.

 

 

Les routes des Alpes. - Evaluation des distances. - Moyens de contrôle. — L'Itinéraire d'après le colonel Perrin. - Un piège. - La roche nue. - Le col. - La descente. - Le défilé de trois demi-stades. - La neige ancienne. — Récapitulation des distances.

 

LES ROUTES DES ALPES

Annibal était engagé dans la vallée de l'Arc parla rive gauche, et avait à la remonter. Il ne pouvait suivre le lit encaissé, dans lequel viennent se baigner en plusieurs points des contreforts infranchissables.

En l'absence de roules entretenues, il dut chercher les zones de terrain les plus praticables, celles où étaient déjà tracées des pistes de communication. Elles ne manquaient pas d'après Polybe, qui s'exprime ainsi au sujet, de quelques écrivains : Lorsqu'ils nous disent que dans ces Alpes ce ne sont que déserts, que rochers escarpés, que chemins impraticables, c'est une fausseté manifeste. Avant qu'Annibal approchât, les Gaulois habitant les rives du Rhône avaient passé plus d'une fois ces montagnes, et venaient tout récemment de les passer pour se joindre aux Gaulois des environs du Pô contre les Romains. Et de plus les Alpes mêmes ne sont-elles pas habitées par un peuple très nombreux ? C'est là ce qu'il fallait savoir[1].

Admettant donc que le modelé général du terrain est resté sensiblement le même, le colonel Perrin a recherché les zones dans lesquelles pouvaient se développer ces pistes praticables. Il a même restitué les étapes en plaçant chacune d'elles auprès d'un lieu favorable au campement.

Évaluation des distances. — Dans ces conditions, une estimation exacte des distances est difficile. Les cartes usuelles ne peuvent la donner. Encore maintenant, quand les troupes alpines ont fait une marche en montagne, elles ne savent pas au juste à la fin de la journée la longueur du chemin parcouru. Ce n'est d'ailleurs pas par la distance horizontale peu connue, mais par la hauteur verticale franchie que l'on exprime la fatigue supportée. On dit qu'on s'est élevé de mille à douze cents mètres par exemple, sans s'inquiéter du développement des lacets par lesquels on a fait, l'ascension. Dans une marche continue et, de longue haleine, les troupes ne s'élèvent que de 300 mètres à l'heure ; avec des pentes comme celles que nous allons rencontrer, la distance correspondante est de 4.000 mètres ; ce qui donne une moyenne de pente d'environ 1/13e (300/4000  = 1/13e).

C'est en combinant ces estimations de temps et de hauteur, en s'aidant de la carte, et en répétant au besoin le trajet, que le colonel Perrin a évalué les distances. Ce moyen, tout approximatif qu'il soit, est encore supérieur à ceux dont — pour celle région — Polybe a pu disposer.

Moyens de contrôle. — En dehors du nombre des jours et des positions de campement, la justesse de ces évaluations admet d'ailleurs dés contrôles. Malgré leur laconisme sur cette partie de l'itinéraire — que nous savons dirigé vers le Clapier, — Polybe et Tite-Live nous ont laissé deux indications précieuses : la réception des chefs gaulois le sixième jour (4e jour de la marche) ; le combat le huitième jour, à une marche du col de passage.

 

L'ITINÉRAIRE D'APRÈS LE COLONEL PERRIN

Le colonel Perrin a restitué le parcours par des sentiers à mi-côte avec un souci de l'exactitude qui ne peut être surpassé ; son itinéraire sur cette partie nous semble être le vrai[2], et ses idées nous paraissent justes, sauf quelques points de détail.

Nous indiquerons seulement dans le texte les têtes d'étape et quelques points intermédiaires par lesquels passent les sentiers.

1re et 2e journées. — Nous avons vu que la première journée Annibal était arrivé à Saint-Alban, que la deuxième il s'y était reposé. Notre itinéraire[3] diffère en cette partie de celui du colonel, qui mène Annibal de Hauteville à Saint-Alban, en le faisant passer par la vallée de Montendry.

3e journée. — De Saint-Alban à la Chambre.

L'armée carthaginoise suivit le ruisseau de Saint-Pierre pour arriver au Pré Jourdan (cote 1.400), descendit de là au Domaine, rejoignit la vallée, et dut camper en face de la Chambre. Distance : 25 kilomètres.

4e journée. — De la Chambre à Châtel.

Le passage de l'Arc s'imposait. Grâce à l'abondance des forêts, il dut être effectué sans difficulté. Après l'avoir franchi, Annibal gagna le Châtel par Saint-Martin de la Chambre, Monlaymont, la Colonna et Montvernier. Distance : 24 kilomètres.

5e journée. — De Châtel à Villard-Clément.

Là encore, le lit de l'Arc était barré par des escarpements. De Châtel, Annibal passa à Hermillon, arriva à Montandré et Greny, puis descendit à Villard-Clément. Il avait dû s'élever de la cote 533 à la cote 1465. Distance : 20 kilomètres.

6e journée. — De Villard-Clément à Saint-Michel. Distance : 15 kilomètres.

Il prit le chemin jalonné de nos, jours par Saint-Julien, Saint-Martin-de-la-Porte, la Porte et Vigny. C'est sans doute à Saint-Michel qu'Annibal reçut les ambassadeurs gaulois qui venaient solliciter son amitié. Il importait en effet pour eux qu'Annibal ne fût pas informé de l'éboulement récent, du Clapier, dont la descente était devenue à peu près impossible ; qu'il ne cherchât pas un nouveau chemin par la vallée de Valloire, celle de la Guisanne et le Mont Genèvre ; et aussi qu'il ne prît pas à Modane le col de la Roue pour aller à Bardonnèche et de là à Suse.

Tous les Gaulois avaient été prévenus du piège qu'on lui tendait. Ceux de l'Isère allaient arriver par Pragnolan et le col de Chavière toujours praticable aux piétons ; ceux de la vallée d'Oulx par le col de la Roue ; ceux de l'Arc et ceux du Briançonnais venus par le Galibier n'étaient déjà peut-être pas loin des positions.

7e journée. — De Saint-Michel à Villerey[4]. Distance : 16 kilomètres.

Il prit la roule facile qui passe à flanc de coteau, et qui fut sans doute plus tard voie romaine, puisque les habitants l'appellent la Vie ; il passa ainsi par la Ruffaz, Basilières, le Poncet, Orelle et Noiray-Bonvillard.

8e journée. — De Villerey à Aussois. Distance : 22 kilomètres.

C'est pendant celle journée que se produisit l'attaque des Gaulois. Nous allons donner des détails.

La vieille route passait par Saint-André, franchissait un peu plus haut le torrent descendu du col de Chavière, et arrivait au hameau de la Perrière ; puis, se maintenant sur les flancs à une grande hauteur, elle traversait la forêt au milieu d'éboulements gypseux, et descendait à Amodon. C'est cet itinéraire que suivit Annibal.

Un piège. — Pendant qu'ils (les Gaulois servant de guides) marchent en tête deux jours durant, dit Polybe, les autres se réunissent, suivent la colonne, et la surprennent à la traversée d'une vallée difficile et bordée de rochers[5]. La vallée dans laquelle s'avançait l'armée carthaginoise répond exactement à la description de l'historien grec ; car, encaissée entre d.es massifs d'environ 3.000 mètres de hauteur, elle est fermée en travers depuis l'aiguille de Scolette (3.500m) jusqu'à la pointe de Léchelle (3.300m), par le chaînon transversal qui porte aujourd'hui les forts de Lesseillon.

Du côté de la rive droite de l'Arc, les pentes boisées, raides et escarpées de la montagne deviennent douces et cultivées sur 800 à 1.000 mètres de largeur, et retombent en chute brusque et escarpée sur le lit même de la rivière, sauf à Avrieux où elles se prolongent jusqu'au bord de l'eau. Au sud d'Amodon et au sud-ouest du Bourget, le rocher forme une cuvette entourée de prairies.

Cet endroit était admirablement choisi pour y tendre une embuscade[6], et l'on conçoit quel désordre les Gaulois attaquant à l'improviste durent jeter dans la colonne : les positions dominantes appartenaient aux ennemis, dit Polybe, et les barbares, manœuvrant à liane de coteau, roulaient des pierres ou lançaient des cailloux à la main. (Polybe, III, 53. 4.)

Heureusement pour l'armée, les bagages et la cavalerie étaient en tête : ils purent descendre vers Avrieux pour échapper à l'attaque, et c'est précisément le seul point où le lit du torrent, qui se jette dans l'Arc, peut être franchi sans difficulté. Le convoi dut ensuite remonter le long de la crête rocheuse de Lesseillon, et venir passer, en montant les lacets, sous le fort Marie-Christine, ce qui ne fut pas très difficile[7].

Annibal eut fort à faire pour protéger la marche de ce convoi (Polybe, III, 53. 4 et 5) : le danger fut tel qu'Annibal fut contraint avec la moitié de son armée de passer la nuit sur un rocher fort et dénudé, coupé de sa cavalerie et de ses bêtes de charge. Il tint bon, et la nuit tout entière suffit à peine au convoi pour se dégager du défilé[8].

La roche nue. — Le rocher dont parle Polybe, est ce rocher fort et dénudé que l'on voit se dresser comme une citadelle sur la rive droite de l'Arc, quand on prend la route de Modane à Bramans qui suit la rive gauche. Mais il faut remarquer que la dénudation ou la blancheur n'est pas un fait exceptionnel dans ces régions, comme on a souvent semblé le croire ; à notre avis, la roche nue ou la roche blanche n'est donc pas sur la route d'Annibal un repère aussi important que beaucoup d'écrivains ont voulu le dire ; sans doute faut-il pouvoir la retrouver vers l'endroit où a eu lieu l'embuscade, mais on en trouverait partout dans ces vallées, à quelque endroit que l'on place l'embuscade[9].

Si Polybe a signalé ce rocher dans son récit, c'est sans doute parce qu'il présente un aspect particulier, et qu'il apparaît aux yeux du voyageur comme une fortification naturelle, mais c'est surtout parce qu'il joua, dans la lutte que soutint Annibal contre les Gaulois, un rôle prépondérant. C'est là que s'appuyait la gauche de l'infanterie carthaginoise, qui avait fait face aux Gaulois apparus sur la montagne, et c'est le point sur lequel devait se porter naturellement l'effort des assaillants. M. le colonel Perrin ne croit pas qu'Annibal ail laissé ses troupes s'étendre jusque vers le bord de l'Arc, parce qu'elles n'auraient plus eu alors de ligne de retraite. Voici ce qu'il nous a écrit à ce sujet[10] : Jamais ses troupes ne durent s'étendre vers les points du contrefort escarpé sur l'Arc, car elles n'auraient plus eu de ligne de retraite ; je suis même certain que cet espace libre engagea les Gaulois à l'occuper, et que, dès qu'ils eurent fait cette faute, Annibal, formant une colonne massive où entraient ses éléphants, passa entre l'escarpement et la gauche de son armée, et, repoussant par un effort violent les Gaulois, les précipita dans l'Arc ; ceci fait, ses troupes remontèrent appuyer celles qui combattaient vers le Bourget.

Il est très probable en effet que le combat a dû se passer de cette façon ; mais, pour la nuit, les troupes gardèrent les points importants, et vers lesquels un retour inattendu de l'ennemi pouvait causer la perte de toute l'armée. C'est pour cela qu'Annibal passa la nuit à la roche nue, avec la moitié de son armée ; il avait choisi Ce point parce qu'il était de grande importance, et l'avait garni de troupes, sans toutefois les pousser jusqu'à l'escarpement, ce qui eut pu devenir dangereux en cas d'attaque ; il avait sans doute porté ses réserves de ce côté, pour être prêta foute éventualité.

Il faut bien se représenter en effet la manière dont la lutte s'était engagée. L'avant-garde carthaginoise avait déjà atteint le plateau d'Aussois quand les Gaulois donnèrent le signal de l'attaque : la cavalerie qui marchait en tête dut alors occuper le plateau, et remonter un peu la gorge d'Aussois pour empêcher les Gaulois de déboucher de ce côté. Le reste delà cavalerie elle convoi, sur lesquels roulaient des rochers, se réfugia vers Avrieux. On comprend quelles difficultés ils éprouvèrent à remonter le long de la crête de Lesseillon jusqu'au passage sous le fort Marie-Christine. Pendant ce temps, Annibal et ses fantassins soutenaient tout l'effort du combat ; la roche nue, vers laquelle se trouvait la queue de la colonne quand l'attaque s'était dessinée, devenait, un des points de contact entre les assaillants et les Carthaginois ; vainqueurs, ces derniers couchèrent sur les positions.

Le convoi, après avoir passé par le col des forts de Lesseillon, et être arrivé sur le plateau d'Aussois, ne suivit pas le chemin qui conduit à Thermignon ; mais, descendant dans le lit du ravin de Saint-Pierre (rive gauche), où passe un chemin encore très fréquenté de nos jours, il se dirigea vers Bramans. Le lendemain, les ennemis partis, Annibal le rejoignit.

9e journée. — D'Aussois au col du Clapier. Distance : 25 kilomètres.

Les troupes traversèrent l'Arc en face de Bramans, gagnèrent le Planais[11] et gravirent les lacets du Petit Mont Cenis qui étaient analogues à cette époque à ce qu'ils sont aujourd'hui.

Le col. — L'armée dut ensuite tourner à droite à cent mètres en-dessous du sommet, passa par une corniche assez large[12], nullement dangereuse, et gagna les jolies prairies où sont les granges de Savine. De là, elle put facilement arriver auprès du lac de Savine. La vallée est abritée du nord et dirigée de l'est à l'ouest, dit le colonel Perrin ; la place pour un campement est bonne.

Nous avons suffisamment parlé du col du Clapier au chapitre X pour ne pas insister sur ce sujet. Nous ajouterons cependant que le récit de Tite-Live, représentant Annibal qui s'arrête au commencement de la descente pour montrer l'Italie à ses troupes, peut être exact. Au lieu de s'engager dans le sentier au point le plus direct où est la croix, et d'où l'on n'aperçoit que la chaîne de l'Assiette, on peut y arriver par le coin opposé d'où la vue est celle que nous avons décrite ; on n'allonge pas sensiblement le chemin.

10e et 11e journées. — Séjour.

Nous croyons, contrairement à l'opinion de plusieurs auteurs, que c'est ainsi que Polybe a entendu les deux jours de repos.

La descente. — 12e journée. — Du col du Clapier à Suse. (Descente des bagages, de l'infanterie légère et de la cavalerie). Distance : 20 kilomètres.

Le col est raide, mais ne présente pas d'obstacle sérieux au début. C'est seulement après être descendu de 600 mètres environ (de la cote 2.400 à la cote 1.800), qu'on arrive à un petit plateau où sont les ruines de un ou deux chalets et un petit moulin. Ce plateau, appelé dans quelques documents le plan Clapier, est celui où Annibal dut faire camper les premières troupes qui étaient descendues. Devant lui se trouvait en effet le précipice de trois demi-stades qui existe encore.

Le défilé de trois demi-stades. — Le colonel le décrit ainsi[13] :

De tous les côtés les précipices vous entourent, et en avant, un clapier effrayant de 200 mètres de hauteur ; c'est bien le défilé d'un stade ½ de Polybe. Vous prenez un sentier très étroit qui longe la paroi de gneiss écroulée ; au milieu de ce chaos, vous ne savez où placer le pied, les chèvres et les jeunes génisses seules y passent. On peut se briser une jambe à chaque instant ; Annibal fit camper la portion qui était déjà descendue sur ce plateau, où était une légère couche de neige ; c'est au milieu de ce clapier que poussent des noisetiers et quelques genévriers, premiers arbustes que l'on rencontre ; à droite et à gauche, impossible de passer. C'est donc au col du Clapier qu'il dut essayer de chercher un passage.

A gauche, les rochers bouleversés du Bard ; à droite, il dut essayer de descendre dans le lit du ruisseau où sont toujours des neiges durcies que recouvrent de nouvelles neiges. C'est là que les troupes, en tournant le coin de l'éperon rocheux qui s'avance, et où les roches sont délitées et instables, roulaient dans les précipices sans pouvoir se retenir aux aspérités du sol, où les bêles de somme, s'enfonçant dans la neige et traversant la couche durcie, ne pouvaient plus avancer, ce qui força Annibal à s'ouvrir une route dans le défilé du Clapier. Il suffisait de combler les vides entre les débris rocheux, de casser les pointes de ceux qui avançaient dans le sentier, pour permettre aux hommes et aux mulets de passer. Ce travail, en effet, dut être exécuté très rapidement et permettre dans la journée aux bêtes de charge de descendre à Jaillon et à Suse.

La Notice historique et descriptive de la province de Turin (Ministère de la Guerre, 1888) dit plus simplement qu'au-delà du plan Clapier on ne peut descendre dans la vallée de Jaillon qu'en passant par l'escalier du Clapier taillé dans une crevasse entre deux assises de schiste.

13e, 14e et 15e journées. — Travail de rodage par les Numides, pour élargir le sentier du Clapier et permettre aux éléphants de descendre à leur tour.

Annibal prit deux jours de repos (trois suivant Tite-Live), et, le troisième jour (Polybe), il descendit dans la plaine près de Rivoli.

Annibal débouchait ainsi en Italie vers la ville désignée plus tard par César et Strabon sous le nom d'Ocelum, et qui fut la position limitrophe des deux provinces de Gaule ; la vraie position de cette ville a été déterminée récemment[14] à Drubiaglio, en face d'Avigliana, sur la rive gauche de la Doria Riparia, à vingt milles de Suse : Annibal était là au seuil de la plaine de Turin.

La neige ancienne. — L'identification de la descente proposée par le colonel Perrin est parfaite, et tous les termes de Polybe s'appliquent au terrain qu'on a sous les yeux. Un seul détail laisse à désirer : Sur la neige ancienne et persistante de l'hiver précédent, dit Polybe (III, 55. 1), il venait l'année même d'en tomber de nouvelle. Or, il n'y a pas de neiges éternelles au col du Clapier[15]. Le 14 août 1900, nous n'avons pas trouvé trace de neige au col même, nous avons seulement rencontré des coulées de vieilles neiges grisâtres au bas des pentes venant des glaciers, et dans les ravins abrités du soleil situés au sud-est du col. Et cependant, Polybe parle de neige ancienne.

Il est facile de répondre à cette objection. Il est en effet une observation que bien des alpinistes ont faite, et que la science elle-même a enregistrée, ce sont les variations périodiques des glaciers des Alpes ; là où jadis s'étendaient des neiges éternelles, on peut maintenant passer en été en foulant, le sol naturel. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que le Clapier eût été jadis couvert de glaces toute l'année.

Mais on peut admettre plutôt que la couche inférieure durcie était constituée par de l'ancienne neige tombée non pas l'hiver précédent, mais l'année même ; il faut songer qu'Annibal passait le col du Clapier vers le 29 octobre, et qu'à pareille époque il a neigé depuis longtemps sur les Alpes ; la vieille neige avait eu déjà le temps de fondre sous l'influence de la chaleur du jour, et de se congeler pendant la nuit, puis d'être recouverte par une couche nouvelle.

Enfin, il a pu se fa ire que l'année ait été par exception très froide, et que la neige n'eût pas été fondue aussi complètement qu'il l'ordinaire. Il se produisait donc en ce cas un phénomène accidentel, et peut-être est-ce là ce que veut dire Polybe quand il considère ce fait comme étant d'une étrange singularité. (Polybe, III, 55. 1.)

 

RÉCAPITULATION DES DISTANCES

 

Du Pontet à Saint-Alban par le col du Grand Cucheron et détour par les hauteurs (bataille du Cucheron)

15 à 16

kilomètres

De Saint-Alban à la Chambre par le Pré Jourdan

25 à 30

De la Chambre au Châtel

24

De Châtel à Villard Clément

20

De Villard Clément à Saint-Michel

15

De Saint-Michel au Villarey

16

Du Villarey à Aussois

22

D'Aussois au col du Clapier

25

Du col du Clapier à Suse

20

De Suse à Drubiaglio

30

Total

212

kilomètres

 

L'itinéraire d'Annibal dans sa traversée des Alpes aurait donc, d'après nous, 212 à 218 kilomètres.

Evaluons les 1.200 stades de Polybe en kilomètres : 1.200 * 177m,60 = 213.120 mètres, c'est-à-dire 213 kilomètres. Nous arrivons donc, sans chercher à fausser aucun chiffre, à la distance donnée par l'auteur, à quelques kilomètres près ; l'approximation nous paraît suffisante pour être une nouvelle preuve à l'appui de notre système. Mais nous y attachons peu d'importance.

 

 

 



[1] Polybe, III, 48. 5. 6. 7. Ed. Hultsch, 1888, p. 202 et 233. Trad. Buchon, Ouv. hist. de Polybe, Paris, Desrez, 1838, p. 99.

[2] Le colonel ne s'est pas borné à des preuves positives. Il a donné de plus une description détaillée des vallées qui conduisent du Rhône en Italie ; sur chacune il signale des impossibilités ; c'est une nouvelle démonstration en faveur du Clapier.

[3] Voir chapitre XI.

[4] Le Villarey sur la carte au 1/80.000e.

[5] Polybe, III, 52. 8. Ed. Hultsch, 1888. p. 208. J. A. C. Buchon a traduit : un vallon qui de tous côtés était fermé par des rochers inaccessibles (Paris, Desrez, 1838), et cette traduction, moins littérale, exprime peut-être mieux la topographie des lieux que décrivait Polybe en quelques mots.

[6] Les Gaulois pouvaient se cacher et se dissimuler sur tous les points ; mais pour fondre sur l'armée d'Annibal, il fallait se réunir, et ils ne pouvaient le faire que sur le plateau d'Amodon. Ils ne purent l'attaquer vigoureusement, qu'au moment où son arrière-garde arrivait à hauteur du Bourget. Colonel Perrin, p. 58.

[7] Toute cette longue crête de Lesseillon était terminée par une paroi verticale de rochers inaccessibles, si ce n'est un peu au-dessous du fort Marie-Christine, où existe un cône de moraine qui permet de le franchir ; on peut encore y passer de nos jours. Colonel Perrin, p. 58.

[8] Il aurait donc fallu au convoi environ douze heures pour passer le défilé : on peut, on conclure sa longueur. En comptant 2 kilomètres à l'heure seulement connue vitesse d'écoulement, on trouverait 36 kilomètres de longueur pour la colonne. On doit y comprendre, il est vrai, toute la cavalerie, et elle était forte de 7 à 8.000 hommes au moins, puisqu'il l'arrivée en Italie, malgré les pertes subies au Clapier, elle était encore de 6.000 hommes.

[9] Nous avons longuement, correspondu au sujet de cette embuscade avec M. le colonel Perrin, qui nous écrivait très justement : Les contreforts des deux rives de l'Arc ne se composent, que de terrains gypseux ou dolomitiques ; vous avez dû remarquer, si vous avez couché à Bramans, que tous ces contreforts sont exploités pour la fabrication du papier : l'aspect, général est donc bien réellement blanc.

[10] Dans une lettre datée du 5 octobre 1901, de Périgueux où il s'est retiré.

[11] C'est alors sans doute qu'elles furent inquiétées par quelques maraudeurs, venus du vallon d'Etache. Peut-être le furent-elles aussi vers le sommet du Petit Mont-Cenis.

[12] Nous avons parcouru, au mois d'août 1900, les deux sentiers qui, partant des lacets du Petit Mont-Cenis, vont aux granges de Savine ; ils sont très praticables, quoique nullement entretenus. Ce sont, les chemins que suivent, les troupeaux qui vont, passer l'été dans les prairies de Savine ; les paysans qui habitaient, les chalets du Petit Mont-Cenis et, ceux qui habitaient, les granges de Savine nous ont dit que ce passage s'effectuait toujours sans accident, et sans difficulté. On s'en rend compte d'ailleurs facilement.

[13] Marche d'Annibal, Dubois, 1887, p. 63, 64, 65.

[14] Voir E. Desjardins, La Gaule romaine, t. I, chap. I, p. 82.

[15] Remarquons d'ailleurs que celle objection peut être faite à presque tous les cols proposés pour le passage d'Annibal.