Travaux du Colonel Perrin. - Sa méthode. - Difficulté des reconnaissances. - Guide des recherches. — Le col du Clapier. - Le col. - Une élimination. - Le texte de Polybe. - La vue de l'Italie. - Faute à éviter. - Deux autres raisons. - La tradition.TRAVAUX DU COLONEL PERRIN Le col par lequel Annibal a passé les Alpes est à notre avis le col du Clapier. Nous avons sur ce point un précurseur, M. Perrin, colonel d'artillerie en retraite ; et si nous avons adopté un itinéraire que nous croyons préférable au sien, c'est lui du moins à qui revient tout le mérite d'avoir découvert le col par lequel a passé Annibal. En Sa méthode. — Pendant cinq années, j'ai parcouru la chaîne des Alpes
dans tous les sens, depuis le Grand Saint-Bernard jusqu'au col de
Largentière, cl, comme Polybe, je puis dire : je me suis rendu sur les lieux
et je puis en parler en connaissance de cause. Difficulté des reconnaissances.
— J'ai visité et souvent parcouru plusieurs fois
tous les lieux témoins de cette marche extraordinaire ; et, malgré la
facilité des communications, la possession des travaux topographiques
exécutés sur, la chaîne des Alpes par les gouvernements français et italien,
les grands moyens d'investigation mis à ma disposition par le poste que
j'occupais, il m'a fallu des années pour déterminer un itinéraire qui m'a
coûté de grandes fatigues, fait courir des dangers réels et supporter de
grandes privations. Le militaire qui exécute une
reconnaissance, qui veut se rendre compte des changements que vingt siècles
ont apportés dans l'aspect d'un pays, dans son accessibilité et dans sa configuration,
doit s'arrêter souvent, examiner, revenir sur ses pas, gravir les pitons qui
lui permettent d'apprécier dans son ensemble le terrain qu'il étudie ; et
souvent le soleil qui l'a vu à son lever commencer sa reconnaissance, le voit
encore à son coucher sur la cime des Alpes. Heureux lorsque le vent de A chaque pas, il faut relire
l'historien grec qui, malgré son laconisme, est d'une exactitude et d'une
clarté parfaites ; aussi, comme toutes ces vallées ont certains points de
ressemblance, il arrive qu'au bout de deux ou trois jours de marche, on s'aperçoit
seulement qu'on a fait fausse route, et qu'on s'est engouffré bien
inutilement dans des vallées telles que celles de l'Eygues, de Guide des recherches. — C'est le passage de Polybe qui représente Annibal montrant l'Italie à ses soldats, c'est ce renseignement précis qui a guidé toutes les recherches du colonel, qui a fixe toutes ses indécisions. Certes, d'autres points de la
chaîne des Alpes que celui où s'est effectué le passage de l'armée
carthaginoise on peut voir les plaines de l'Italie ; mais ces points sont
d'un accès difficile, très limités en étendue, à plusieurs heures de marche
d'un point propre à un campement, et une armée fatiguée, presque découragée,
qui venait d'échapper comme par miracle à un combat acharné, n'allait pas à
travers les neiges et les glaciers s'élever de 300 à LE COL DU CLAPIER Il fallait que des camps, sans
fatigue et tout naturellement, on pût contempler ce magnifique spectacle. Un
seul point réunit toutes ces conditions, c'est le col du Clapier (page 74). Le col. — Après avoir passé à côté du lac de Savine, si, au lieu de
gagner le col directement, on appuie de 200 à Une élimination. — Les cols auxquels fait allusion la dernière phrase correspondent à la haute vallée de l'Arc et sont situés sur la frontière italienne. Ce sont principalement : Le colonel Girard, qui traverse les glaciers où l'Arc
prend sa source. On dit que du col on voit les
plaines d'Italie, et, avec une bonne lunette, la ville de Turin ; je n'ai pu
m'en assurer à cause des brouillards qui couvraient la plaine (page 189). Le col de Lautaret (3.087m),
écrit l'Autaret sur les cartes (ne pas le confondre
avec ses homonymes), à Enfin, le glacier de Rochemelon, qui n'est pas un col, mais qui peut être traversé. Depuis le sommet (3.548m), on aperçoit non seulement toutes les plaines de l'Italie, mais la rivière de Gènes (page 172). Le col d'Ambin, à Il n'est d'ailleurs pas à notre connaissance que personne se soit avisé sérieusement de faire passer Annibal par un des cols que nous venons d'énumérer. La vue des plaines du Pô a une telle importance, que nous allons nous arrêter un instant sur le texte de Polybe. Le texte de Polybe. — On peut se demander à quelle forme de terrain répond la phrase que nous avons traduite : Car telle est la situation de ce pays au pied des montagnes dont nous avons parlé, que, si on regarde d'un côté ou de l'autre, les Alpes présentent la disposition d'une citadelle de l'Italie tout entière. C'est le mot à mot du texte grec[2]. Quelle configuration du terrain a pu inspirer ces lignes ? Par quels contours Polybe aurait-il exprimé son impression si, au lieu d'être écrivain, il eût été peintre ? C'est ce qu'on reconnaît immédiatement sur le terrain. Le tableau qu'on a sous les yeux peut se représenter géométriquement par le schéma ci-contre, où les points noirs figurent le fond de la vallée et son étalement en plaine. Sur cette profondeur de La vue de l'Italie. — Nous avons pu contempler ce magnifique spectacle, le 14 août 1900, avec M. Paul Joannon, lieutenant d'artillerie, de réserve. Partis de Modane à 4 heures du matin, nous passâmes par Bramans, et nous arrivâmes vers 10 heures au Planais ; à 11 heures, nous repartions, et nous étions vers 3 heures du soir au col du Clapier. Le temps était fort beau, et l'atmosphère d'une transparence assez rare dans ces régions à pareille époque. Arrivés à la croix, de bois qui marque la frontière, en face de la baraque des douaniers italiens, nous nous reposâmes un moment ; à nos pieds descendait le sentier du col, mais l'horizon nous était masqué par les contreforts élevés de l'Assiette. Comme nous ne pouvions passer la frontière sous les yeux des douaniers à cause de notre qualité d'officiers, nous fûmes obligés de remonter vers la droite, de l'autre côté du petit monticule auquel est adossée leur baraque ; au bout de cinq minutes à peine, nous étions sur une sorte de promontoire qui descend à pentes assez douces dans le ravin ; notre œil fut émerveillé de la vue que nous découvrîmes. Les contreforts de Rochemelon et ceux de l'Assiette
formaient comme un couloir au fond duquel serpentait Que doit être ce spectacle pendant une belle journée d'octobre, quand l'air est plus pur encore et sa transparence plus parfaite ! Faute à éviter. —
On peut très bien, si on n'est pas prévenu ; s'engager dans le sentier du col
sans se clou ter de l'existence de ce point de vue. Ce sentier suit la gauche
de la vallée ; et il faut s'en écarter de 2 à Deux autres raisons.
— En faveur du Clapier, nous pouvons donner deux autres raisons. L'une est
l'existence à la descente, à L'autre est lisible sur toute carte régionale à grande
échelle (le 1/500.000 suffit) ; on
se rend compte que le col du Clapier peut seul satisfaire à la condition de
visibilité. La partie Sud, celle qui est à droite du sentier et dont nous
avons parlé plus haut, est dans l'axe du cours moyen de La tradition. — Nous pouvons enfin, comme d'ailleurs les défenseurs de tous les systèmes, nous appuyer sur une tradition. C'est Larauza qui, bien involontairement sans doute, nous la rapporte[3]. En me montrant la gorge qui sépare la cime de cette montagne (Corna Rossa) de celle du Petit Mont Cenis, les gens du pays me disaient que leurs anciens leur avaient raconté qu'un fameux général nommé Annibal était passé par là il y a bien longtemps[4]. La direction ainsi indiquée est précisément celle des lacets du Petit Mont Cenis et du vallon de Savine, c'est la route même du Clapier. Si ce savant distingué, qui a côtoyé la vérité, avait consacré un jour de plus à son excursion, s'il avait eu le courage ou plutôt le temps de faire encore quelques kilomètres de montée par cette gorge que lui montraient les montagnards, il serait arrivé à la vraie roule d'Annibal et le terrain aurait parlé à ses yeux. Mais le Clapier est un col injustement méprisé ; les Alpinistes eux-mêmes le connaissent peu, comme nous l'avons remarqué ; la proximité des cols du Grand et du Petit Mont Cenis en est la cause. Peut-être le fait d'avoir livré passage à l'un des plus grands généraux de l'antiquité lui apportera-t-il dans l'avenir quelque célébrité. |
[1] Marche d'Annibal des Pyrénées au Pô, Paris, Ed. Dubois, 1887, pages 1, 3, 4 et 5.
[2] Polybe, liv. III, 34.2. Ed. Hultsch, 1888, p. 260.
[3] Histoire critique du passage des Alpes par Annibal, Paris, 1826, p. 127.
[4] Nous avons interrogé les gens du pays, aussi bien au Planais qu'aux Chalets du petit Mont Cenis et aux environs du grand Mont Cenis. Mais nous devons avouer qu'ils ne nous ont parlé ni de cette tradition, ni d'aucune autre, et qu'ils paraissaient fort peu se soucier d'Annibal. Il nous a cependant paru intéressant de rapporter celle recueillie par Larauza, puisque c'est une arme fournie par un adversaire dont la bonne foi ne saurait être suspectée.