La question. - Départ d'Espagne. - La route. - L'arrivée en Italie. — Les auteurs. - Polybe. - Tite-Live. - Strabon. - Table de Peutinger. — Les manuscrits. - Comparaison. - La méthode. - Citations. - Omissions. - Limites de l'étude.Départ d'Espagne. — L'an 218 avant J.-C, au début de la deuxième guerre punique, Annibal quitte l'Espagne, à la tête d'une armée de 50.000 hommes de pied et 9.000 chevaux ; il prend sa marche vers l'Italie. Auparavant, il avait fait reconnaître les pays qu'il devait traverser ; il avait ouvert des négociations avec les chefs gaulois, tant avec ceux delà Cisalpine qu'avec ceux qui demeuraient dans les Alpes mêmes. Ses courriers lui avaient l'ait espérer un accueil favorable des populations ; ils lui avaient appris aussi la hauteur extraordinaire des Alpes et les fatigues qu'il devrait essuyer dans le passage. C'est seulement après avoir reçu ces renseignements, qu'Annibal s'était mis en route. La route. — Après
avoir franchi les Pyrénées orientales, il s'avança sans difficulté à travers
le sud de L'arrivée en Italie. — Mais Annibal marchait rapidement. Arrivé par un pays de plaine à l'entrée des Alpes, il s'était engagé dans les montagnes, les avait gravies au prix de dures fatigues et de sanglants combats, s'était reposé deux jours, à leur sommet, et était enfin descendu dans les plaines du Pô. C'est cet itinéraire dans les Alpes même que nous nous proposons d'étudier. LES AUTEURS Le récit détaillé de cette campagne nous a été laissé par deux historiens ; l'un, à peu près contemporain, Polybe, l'autre postérieur de près de deux siècles, Tite-Live. Nous rappellerons sommairement ce que furent ces écrivains. Polybe. — Polybe (206 à 128 avant J.-C), né en Grèce, prit une part active aux affaires de son pays, comme diplomate et comme militaire. Déporté en Italie, il sut gagner la faveur des Scipions et demeura seize ans à Rome. Il fut le précepteur, puis l'ami de Scipion Emilien, celui
qui prit Carthage et qui était le fils de Publius Scipion, le premier
adversaire d Annibal en Italie. Il put consulter à loisir les archives de
l'État et les papiers d'une famille mêlée à toutes les grandes entreprises de
l'époque. Ayant plus tard recouvré la liberté, il fit divers voyages,
notamment en Espagne et en Gaule. Il recueillit ainsi des renseignements très
documentés au moyen desquels il composa ses Histoires. Au point de vue du
passage d'Annibal dans les Alpes, il est très affirmatif : il parle de la question avec assurance, ayant appris les
faits par des témoins contemporains et étant allé dans les Alpes pour en prendre
une exacte connaissance[1]. Tite-Live. — Tite-Live (59av. J.-C, 17ap. J.-C), vécut sous le règne d'Auguste ; protégé et encouragé par l'empereur, il écrivit une histoire complète de Rome. On lui reproche d'avoir mêlé la légende à l'histoire, d'avoir présenté avec le même caractère d'authenticité les faits réels et les rumeurs accréditées dans le peuple. Peut-être prévoyait-il ce reproche ; au début de son ouvrage il a fait les réserves nécessaires, et il les a parfois renouvelées discrètement au cours de son récit. Vivant dans le voisinage de la cour, il n'a pas voulu heurter les croyances de son temps ; citoyen romain, il a présenté les faits à l'avantage de ses compatriotes. Mais le traiter de rhéteur, de lettré superficiel, de romancier sans vergogne, ne nous semble ni juste ni vrai. La qualification d'historien officiel nous paraît suffisamment préciser le caractère de sincérité qu'on trouve dans ses écrits. Strabon. — Tite-Live a nommé les peuples qu'Annibal a traversés, mais il n'a pas indiqué le territoire que ces peuples occupaient ; aussi, pour interpréter son texte, a-t-on parfois recours à Strabon, son contemporain. Strabon écrivit en grec, sous le règne d'Auguste, une géographie générale qui renferme même l'histoire de cette science, et qui, malgré ses erreurs, le fait considérer comme un géographe de valeur. Il avait beaucoup voyagé, malheureusement ailleurs que dans les Gaules. Table de Peutinger.
— Nous aurons à citer à quelques reprises Les manuscrits. — Les ouvrages de Polybe et de Tite-Live ne nous sont parvenus qu'en partie ; ce qui nous en reste est contenu dans des manuscrits relativement récents. Le meilleur manuscrit de Polybe est à Rome et est connu sous le nom de Vaticanus ; il remonte au onzième siècle ; on en possède aussi quelques autres du dixième et du onzième siècle[3]. La troisième décade de Tite-Live, celle qui contient le récit du passage des Alpes, est le mieux représentée par un très bon manuscrit du septième siècle à Paris, nommé Puteanus, et par un Mediccus du onzième siècle[4]. Ainsi, un intervalle de temps de 1200 années pour l'un, de 600 années pour l'autre, séparent des écrits originaux les textes que-nous possédons. Par quelle filière de copies ont-ils été transmis ? On l'ignore. Comparaison. — En somme, des deux historiens que nous venons dé citer, Polybe est le seul contemporain ; il est d'ailleurs compétent, bien renseigné, calme et impartial. C'est son récit que nous prendrons pour base de notre étude. Nous reproduirons aussi le récit de Tite-Live ; moins précis, moins documenté, il ne peut être mis en balance avec le premier, mais il faut le connaître pour s'expliquer comment certaines erreurs ont pu être commises. Citations. — Non seulement nous avons tenu à reproduire intégralement la pensée de ces deux auteurs, mais nous n'avons pas craint de répéter plusieurs fois certains passages qui reviennent comme des réminiscences ou des leitmotivs ; les points essentiels prennent ainsi du relief. Omissions. — Nous avons passé sous silence nombre d'auteurs anciens ou modernes parce que leurs témoignages sont des apports de seconde ou de troisième main. Leurs redites ou leurs amplifications n'ajouteraient rien, ne retrancheraient rien à nos preuves. De longues et inutiles énumérations sont ainsi évitées. Si on les abrège, si on les réduit à des noms propres, elles n'offrent plus à l'œil qu'une succession de symboles trop rapide pour éveiller une idée précise ; c'est la foule qui passe donnant des impressions, mais ne laissant aucune sensation définie ; on est distrait, non renseigné. L'esprit veut-il au contraire s'appliquer lentement sur chaque mot, il ne tarde pas à s'irriter d'une pâture monotone dans laquelle il ne trouve rien à s'assimiler. Enfin, pour d'autres raisons, nous n'avons même pas
mentionné divers documents tels que les Itinéraires d'Antonin, les Vases
Apollinaires[5],
Nos limites. — Voici d'après quelles considérations nous avons limité l'étendue des extraits de Polybe et de Tite-Live. Notre but est d'étudier l'itinéraire d'Annibal dans les Alpes elles-mêmes ; mais il faut savoir comment il les a abordées et comment il en est sorti. Nous le prendrons donc au moment où, après avoir traversé le Rhône à quatre journées au-dessus de son embouchure, il en a remonté le cours, et nous le quitterons seulement à son arrivée dans les plaines du Pô. Les deux récits de Polybe et de Tite-Live ont été reproduits sans lacune ni addition ; toutefois, la division par alinéas et les indications marginales n'existent pas dans le texte. Nous avons adopté celles qui nous ont paru le mieux convenir au présent travail. |
[1] Polybe, III, 48, 12.
[2]
[3] Les manuscrits de Polybe sont indiqués en détail dans le 1er volume de l'Édition des Histoiræ, par M. Frédéric Hultsch (Polybii Hisioriœ, Recensuit Fr. Hultsch. Berolini. Apud Weidmannos. 1888.)
[4]
Voir
[5]
Voir des détails sur les Vases Apollinaires et l'Itinéraire d'Antonin, dans
Ernest Desjardins,
Les Vases Apollinaires, découverts en 1832 à Vicarello, étaient à la fois des gobelets et des livrets-postes, et avaient dû être offerts comme stipex à Apollon ; ils portaient, gravés en dehors, les noms et les distances exprimées en milles de toutes les stations postales, depuis Gadès (Cadix) en Espagne, jusqu'à Rome. On en découvrit trois, puis un quatrième qui avait été dérobé fut retrouvé.