Variété des systèmes électoraux et des constitutions municipales. — Ancienneté et bizarrerie de quelques-unes. — Communes urbaines et communautés rurales ; nos communes actuelles sont-elles les filles des unes ou des autres ? — Cette distinction va s'affaiblissant et disparaît politiquement à la fin du dix-septième siècle. — Conseils de ville ; qualité des électeurs et des éligibles ; modes de sélection, durée du mandat, titres des administrateurs selon les provinces de France. — Types divers ; partout oligarchie libérale. — Lieux de vote, brigues des candidats. — Intervention régulière et irrégulière des seigneurs dans les élections. — Ingérence de l'État ; candidatures imposées par le pouvoir central ; restriction et destruction de la liberté des choix.C'est un spectacle infiniment varié, un vrai régal d'homme
d'État, que l'examen de la législation municipale du dix-septième siècle.
Comme un auteur dramatique cherche dans le fatras énorme des pièces oubliées
ou vieillies le germe obscur de situations nouvelles qui puissent être
fécondées par son génie, ainsi l'architecte des constitutions présentes ou à
venir peut trouver dans les mille combinaisons de gouvernement local, fruit
de l'invention et de l'expérience de nos pères, une mine inépuisable de
systèmes administratifs. Des sources de l'Escaut à celles de Ces lois réglaient, prévoyaient, ordonnaient tout ce qui
concernait la vie de chaque jour, la vie urbaine s'entend ; seule vie commune ; l'homme des champs — l'habitant du plat pays — n'ayant avec ses voisins que des
rapports courts et rares. On trouve dans ces chartes toutes les solutions aux
difficultés que devaient faire naître l'entrechoquement quotidien d'appétits
ardents à se satisfaire, tous les procédés que des gens qui se mettent en
société emploient pour se faire une existence tolérable, voire avantageuse ou
agréable si possible. Cette multiplicité de codes, aux origines fort
dissemblables, subirent probablement bien des vicissitudes. Antérieurs pour
la plupart à l'établissement de la féodalité, et par conséquent à la dynastie
capétienne elle-même, ces gouvernements municipaux fonctionnaient librement —
on en a plus d'une preuve — bien avant l'octroi
des chartes concédées par les rois ou les grands vassaux. Ces chartes ne sont
en général que des titres de confirmation,
qui donnent une forme nouvelle à des communes
existant déjà en fait, en expliquent ou même en restreignent les privilèges[1]. Il est probable
que l'on a pris, en bien des cas, des reconnaissances pour des créations, les
gens du moyen âge aimant à rafraîchir de temps à autre la propriété de leurs
droits. Nombreuses sont les cités comme Saint-Malo qui, après s'être donné à Quant à la distinction généralement établie entre les communes et les communautés, les unes concédées, jurées et résultant d'une faveur, les autres existant de droit naturel ; les unes, sortes de républiques indépendantes, assez analogues aux villes impériales de l'Allemagne, ou du moins aux bourgs d'Angleterre ; les autres soumises aux suzerains dans les domaines desquels elles étaient situées, elle avait, au dix-septième siècle, perdu grande partie de sa valeur. Il est bien vrai qu'on n'appelle cités municipales que celles qui jouissent d'une constitution et de lois particulières toujours octroyées ou supposées telles ; en 1619, Louis XIII autorise ainsi par lettres patentes la création d'une municipalité à Port-Louis, en Bretagne ; — il est également vrai que la base du droit communal ce sont les statuts de chaque ville, et que ces statuts, quelque bizarres qu'ils fussent parfois, subsistaient çà et là depuis des temps reculés dans leur intégrité ancienne ; Rodez, par exemple, capitale du Rouergue, est divisée en deux morceaux, la cité et le bourg, formant chacun une ville absolument distincte de l'autre ; l'évêque dominait sur la première, le comte était seigneur de la seconde, où se trouvait le siége de son fief. Chacune avait son administration propre, son hôtel de ville, ses consuls, ses contributions, ses réunions publiques. Mais ces singularités devenaient rares. A mesure que le Roi gagnait du terrain, il voyait d'un moins bon œil ces fortes individualités roturières — les communes — qu'il avait encouragées dans le principe, alors qu'elles déplaisaient aux seigneurs ses rivaux, mais qui désormais allaient le gêner lui-même, maintenant qu'il était le seigneur universel et que les féodaux politiques avaient disparu. Les Jacques Bonhomme épars dans les champs ou rassemblés autour de quelque clocher de village, ne voyant plus au-dessus d'eux qu'un procureur fiscal nommé par leur suzerain, se trouvaient donc à peu près dans la situation des habitants des communes rurales d'il y a vingt ans, dont le maire était désigné par un pouvoir étranger[2]. La commune allait se rapetissant et la communauté grandissant ; le joug devenait ici plus léger et là plus lourd. Comme presque toutes les paroisses urbaines jouissaient, sous Richelieu, en vertu d'un écrit antique ou récent d'une organisation spéciale, tandis que dans les paroisses champêtres on s'en rapportait aux usages et traditions verbales —usages très-différents selon les provinces et, dans la même province, à quelques lieues de distance, puisque le subdélégué de l'intendant de Guyenne envoyait, en 1765, aux principales localités de l'Agenais un questionnaire dont les réponses étaient destinées à le renseigner sur la forme d'administration des bourgs[3] ; — en ce temps-là commune est synonyme de ville, communauté est l'équivalent de village ; mais, toute proportion gardée entre l'importance, les ressources, les besoins, l'intensité de vie d'un chef-lieu de province et d'un humble hameau, il n'y a plus grande différence entre les libertés locales des uns et des autres. En 1625, les petites gens de la campagne, le dimanche, sous le porche de leur église, décident de leurs gros sous avec autant d'autorité que les hauts échevins et les majestueux capitouls disposent des sacs d'écus de leurs coffres, sous les lambris de leur palais municipal. Que nos communes actuelles soient les filles des communes de l'ancien régime ou, comme on l'a dit, celles des communautés d'habitants, la chose n'offre en soi, par conséquent, qu'un intérêt secondaire, puisque jusqu'à la fin de la monarchie communautés et communes tendirent à se rapprocher sans cesse, et que même on pourrait prétendre avec vérité qu'à partir de l'érection en offices des emplois municipaux, sous Louis XIV (1693) et de la mise aux enchères des mairies qui découla de cette tyrannique mesure, les communautés se trouvèrent plus libres en quelque sorte que les communes soi-disant privilégiées. Cependant, notre législation moderne en confiant à des conseils électifs la gestion des intérêts locaux se rapproche bien plus de l'échevinage restreint des villes d'autrefois, que des publiques assemblées rurales où les femmes elles-mêmes prenaient part. Aucune règle fixe n'ayant présidé à l'institution des
municipalités, il n'y en a pas dix qui se ressemblent : la qualité des
électeurs et des éligibles, la forme des élections, la durée du mandat, le
titre des administrateurs, l'étendue de leurs pouvoirs, la nature de leurs
fonctions, tout cela change d'un lieu à l'autre selon les tendances
particulières de chaque population, et cette bigarrure est la liberté même.
Faisons le tour de Ailleurs, les maîtres-échevins
désignés par les plus notables de la cité,
étaient renouvelables annuellement par moitié[5]. A Cognac, au
quinzième siècle, les bourgeois s'assemblaient avec le maire qu'ils élisaient
tous les ans ; sous Louis XIII, le corps de ville
s'y composait de douze échevins et douze conseillers institués, en 1507, par
la régente Louise de Savoie, à cause de la fidélité
et générosité que les habitants firent paraître aux diverses occasions contre
les ennemis de l'État, selon la formule usitée. Ce corps de ville,
humilié par les gouverneurs de la citadelle, chargé d'impôts et docile
néanmoins aux volontés des pouvoirs supérieurs, ce corps de ville, sous
Richelieu, respire encore. Plus tard, les élections cessent d'être directes,
les citoyens donnent, par une procuration notariée, pouvoir à six d'entre eux
de les représenter au scrutin ; et, à la fin du règne de Louis XIV, le
beffroi sonne pour assembler une municipalité composée du maire perpétuel et
de ses trois cousins. Angoulême, quoique petit,
dit-on, en 1643, est décoré de beaux droits ; les
douze échevins et les douze conseillers de la maison commune, qui demeurent
fixes à perpétuité, sont nobles, eux et leurs descendants ; l'un de
ces échevins vend sa place Le parlement communal de Bordeaux est plus nombreux encore
: les cent-trente, comme on les nomme,
assistent le maire et les six jurats
ou gouverneurs qui administrent la
capitale de Presque toutes les communautés rurales, en Guyenne, sont régies par quatre ou six consuls ; mais le recrutement de ces consuls diffère fort d'une localité à l'autre : A Meilhan, ils sont élus par la jurade, le 1er janvier de chaque année ; à Duras, à Gontaud, la jurade, sorte de conseil de ville permanent qui compte de vingt-cinq à quarante membres, se borne à dresser une liste de huit candidats dont le seigneur tire les quatre consuls. A Puymirol, à Astaffort, les consuls sortants choisissent eux-mêmes chaque année leurs successeurs soit parmi les jurais en exercice depuis au moins un an, soit parmi les habitants privilégiés, seuls capables d'être appelés à ces fonctions. Sous le règne suivant le premier consul fut souvent nommé par lettres de cachet ; c'était à lui, lors même qu'il existait un bailli d'honneur qu'appartenait la direction effective des affaires. A Mézin, qui avait six consuls, on n'en changeait annuellement que trois, et le quatrième consul de l'année précédente passait de droit au premier rang[7]. Quant à la jurade, elle se complétait elle-même au fur et à mesure des vacances, et l'on invitait à prendre part à l'élection une assemblée de gens capables et sans reproche. En Languedoc même variété, même sélection compliquée ;
toujours des mandats de courte durée, et jamais de rééligibilité immédiate,
tels sont les principes qui dominent à peu près partout. Les capitouls de
Toulouse présentent leurs successeurs, ils ont toute liberté là-dessus ; il
est toutefois interdit aux capitouls-marchands de se faire remplacer par
aucun de leurs associés de commerce, parents ou alliés[8]. Les choix faits
par eux étaient tenus secrets et remis clos et
scellés au viguier. Le viguier, le sénéchal et le juge-mage nommaient
les personnes de qualité requise qui
devaient, avec les membres du consulat et du conseil secret, concourir aux
élections. Ces électeurs adjoints prenaient part quelquefois au gouvernement
de la cité, ils jouissaient d'attributions consultatives. A Molières (Tarn-et-Garonne) douze conseillers, d'accord
avec douze personnes parmi les plus qualifiées,
élisent les consuls, qui ne peuvent faire aucun acte d'administration, sans
l'avis de ces vingt-quatre assistants, e sous peine de nullité et de
responsabilité personnelle s. Les consuls devant représenter toutes les
classes de la société, la moitié d'entre eux étaient nobles, pour le haut parage, l'autre moitié, pour le populaire, marchands ou bourgeois. La
population de Nîmes est répartie en quatre échelles ou catégories, comme
celle de la république de Salente, imaginée par Fénelon dans son Télémaque.
La première comprend les gentilshommes et les avocats, la seconde les
médecins, notaires, bourgeois et gros négociants, la troisième les
procureurs, chirurgiens, apothicaires, marchands payant moins de A Bourg, le conseil des soixante, élu pour trois ans, délègue ses pouvoirs à des assemblées plus restreinte, l'une de vingt-quatre membres, l'autre de douze, qui elles-mêmes prennent pour mandataires deux syndics annuels. Jusqu'à la révolte de 1630, le maire de Dijon et ses vingt-quatre échevins étaient nommés par tout le peuple à la pluralité des voix ; à cette époque le Roi décida que le corps de ville comprendrait seulement six échevins et un procureur, et qu'au lieu d'être issus du suffrage universel ils seraient choisis par les députés de la magistrature et des trois principales églises, soit en tout quarante électeurs. Avallon est administré par un capitaine, un lieutenant du capitaine et quatre échevins (deux de la robe, deux du commerce) ; tous officiers très librement élus et renouvelés partiellement chaque année. Les fabriciens des églises procédaient également de l'élection directe des paroissiens. Troyes avait son maire, ses échevins, son conseil électif, dont la réglementation datait de Charles VIII ; une ordonnance de Louis XIII prescrivit d'adjoindre à cette municipalité trois conseillers ecclésiastiques[11]. Le mercredi des Cendres les habitants de Reims nommaient leurs douze échevins ; les douze connétables de la garde civique convoquaient la veille, à domicile, les bourgeois de leur compagnie, — rôles de la milice urbaine et listes électorales ne faisaient qu'un, les devoirs et les droits étant inséparables les uns des autres. — Ils se réunissaient à l'hôtel de ville pour procéder à l'élection de vingt personnes par compagnie, prises parmi les plus notables et partant les moins sujettes à impression et corruption. Sur ces vingt élus dix étaient tirés au sort et devenaient les nominateurs définitifs. Ces cent vingt électeurs du second degré, issus ainsi, dans les douze bureaux de vote, d'un libre choix, puis du hasard, se réunissaient le lendemain matin pour désigner les échevins ; on distinguait, sur la liste qu'on leur remettait, les noms de ceux qui sortaient de charge et qui ne pouvaient être réélus de deux ans — il y en avait chaque année deux sur douze — des noms des dix autres qui pouvaient être maintenus ou éliminés au gré des votants. Le lieutenant et les autres officiers de la ville étaient nommés de la même manière le mardi d'après les Brandons ; le lieutenant ne pouvait demeurer en fonction plus de trois ans, ni les procureur, receveur, et à maître des ouvrages municipaux plus de six ans. Ce n'était pas tout encore : le deuxième dimanche de carême, on procédait au renouvellement du conseil de ville, composé de seize membres dont quatorze étaient rééligibles, les deux autres devant être remplacés à tour de rôle. Un père et un fils, un oncle et un neveu de même nom, des
frères utérins ou consanguins ne pouvaient être en même temps conseillers ni
échevins[12].
Dans des localités de moindre importance la seule parenté prohibée est celle
du père et du fils. Tel est le cas de Sainte-Menehould : ici les élections
ont lieu le premier dimanche après Sous la diversité des types on reconnaît l'unité de
l'espèce ; à travers les mille réglementations de détail de ces constitutions
minuscules apparaît la persistance d'un moule rudimentaire unique : une
oligarchie libérale. Faire sortir du rang tous ceux qui ont quelque titre à
la confiance : instruction, courage, fortune ; puiser dans l'élite ainsi
triée les gérants de la chose publique, mais empêcher par de sages
précautions qu'aucun d'eux ne parvienne à s'approprier une autorité
exclusive. C'est l'essence même de la bonne aristocratie. L'Europe, depuis Cette entrée au conseil de ville, ce haut bout du banc où
siége le maire, c'est le sujet de bien des intrigues, le but de bien des
efforts. Cent moyens servaient à faire de la
popularité ; une pièce satirique de 1622 fait dire à un procureur à la
barre du Châtelet : Je demande acte de ma plaidoirie
(pour la mise en liberté d'un client) afin de m'en servir lorsque je briguerai l'échevinage.
Le parlement de Rouen se plaint des tentatives faites
par plusieurs pour entrer aux charges de quarteniers, au préjudice de la
liberté requise ; il menace de frapper de nullité les élections
suspectes de quelque irrégularité. Au premier janvier, à Ces suffrages d'ailleurs n'étaient pas partout souverains. Le seigneur, ecclésiastique ou laïque, intervenait dans les campagnes et même dans quelques cités importantes, soit pour approuver les choix, soit pour recevoir le serment de fidélité des syndics paysans, soit pour désigner lui-même sur la liste de six ou huit noms, dressée par ses vassaux, les trois ou quatre qui jouiront du pouvoir exécutif. Ces privilèges qui ne s'exercent que dans des limites assez étroites, — tel baron doit choisir quatre magistrats municipaux parmi les six noms qui lui sont présentés — et qui souvent sont entourés de restrictions — faute par tel suzerain d'avoir fait sa désignation dans les trois jours, les habitants sont libres de s'assembler à l'effet de procéder définitivement à l'élection[17] — ces privilèges n'étaient pas toujours, comme on pourrait le croire, des vestiges de la féodalité. Par une transaction passée en 1599 entre la communauté de Sainte-Colombe et son seigneur, il est entendu que les consuls, au lieu de nommer leurs successeurs eux-mêmes avec l'assistance de la jurade, présenteront deux listes de quatre noms chacune à ce seigneur, qui choisira l'une des deux. Des conventions semblables étaient-elles le résultat d'une entente cordiale, la récompense d'un service rendu, le prix d'une protection promise, ou bien l'une des parties les imposait-elle à l'autre ? Nous ne saurions le dire exactement. Sans doute il y avait un peu de tout cela dans ces rapports complexes et peu connus que l'on observe, de siècle en siècle, entre ceux qui possèdent la suzeraineté et ceux qui la subissent. Nous y voyons en tout cas et que l'autorité seigneuriale n'alla pas en décroissant constamment depuis l'abolition du servage jusqu'au ministère de Richelieu, mais que sur certains points, à certaines heures, elle prit ou reprit un terrain jadis négligé ou perdu, et que cette autorité était strictement bornée par des textes écrits ou par des usages ayant force de loi. En Dauphiné, le greffier d'un seigneur ne pouvait jamais être élu consul ; la justice civile et criminelle de première instance, en Guyenne, appartenait conjointement, — plusieurs contrats le constatent — au balle ou bailli du seigneur, et aux mandataires du suffrage universel. Tout est minutieusement prévu et réglé : à Brueilh, le maréchal de Roquelaure et la prieure du lieu prétendent tous deux recevoir le serment des officiers municipaux ; le parlement décide qu'ils le feront concurremment et que, pendant cette cérémonie, le maréchal tiendra le livre des Évangiles de la main droite et la dame prieure de la main gauche. Si le gentilhomme veut excéder son droit, il se trouve en face de gens qui savent maintenir le leur : la comtesse de Laserre, à Francescas, ayant témoigné le désir qu'un cordonnier fût admis dans le conseil, l'assemblée répond que la coutume s'y oppose, les jurats ne devant pas être choisis parmi les artisans. Quels que soient le crédit et la taille du personnage avec qui il leur faut entrer en conflit, la lutte n'est pas pour effrayer une modeste communauté de village, à plus forte raison une ville disposant de ressources solides : les démêlés de Mende avec son évêque, qui était aussi son seigneur, remplissent l'histoire du chef-lieu actuel de la Lozère[18]. En 1469, création par Louis XI d'un consulat librement nommé chaque année par le suffrage des habitants ; au quinzième siècle, cette municipalité impose la taille, perçoit les droits d'entrée, marque les poids et mesures, choisit les régents des écoles, administre à sa guise... Au début du seizième siècle le prélat est réintégré dans les prérogatives anciennes de son église, il redevient le vrai maire de Mende et des environs, les consuls demeurent, mais sous sa coupe ; c'est un gouvernement ecclésiastique, comme celui d'un électorat d'Allemagne, et qui ne parait d'ailleurs pas mauvais. Au milieu du dix-septième siècle les dissensions renaissent, on veut s'émanciper de la mitre ; des consuls épiscopaux et des anti-consuls laïcisés sont en présence et plaident ; le Conseil d'État donne raison aux uns, le parlement de Toulouse aux autres, les États provinciaux s'interposent, et l'évêque obtient enfin gain de cause définitif... pour quelque temps. Ce ne sont là du reste que des exceptions ; presque partout le seigneur, en matière d'administration communale, s'effaça peu à peu depuis l'établissement de la monarchie absolue jusqu'à ce qu'il disparût tout à fait, remplacé insensiblement par les agents du pouvoir central. Pour les villes, pour les villages même et même pour la royauté cette ingérence de l'État fut un malheur. Les villes y perdirent cette honorable indépendance, si chèrement achetée, si dignement possédée depuis deux ou trois cents ans ; les villages qui venaient de naître à la vie publique grâce à l'expansion de la bourgeoisie dans les campagnes, à l'appauvrissement de la noblesse, au relâchement du lien politique vers la fin du seizième siècle, retombèrent dans leur servitude ancienne, en changeant un maître assez doux, parce qu'il était faible, contre un despotisme anonyme de commis. et de bureaux dont les décisions furent sans appel. Enfin la royauté, en se chargeant de cent besognes et de cinquante soins qui ne lui incombaient pas jusqu'alors, endossa du même coup une responsabilité gigantesque sous le poids de laquelle elle demeura accablée. Cette mise en tutelle des communes, petites ou grandes, ne fut pas, hâtons-nous de le reconnaître, l'œuvre propre du ministère de Richelieu ; mais elle fait partie de son système, elle découle logiquement de cette omnipotence de l'État sur les individus et les collections d'individus qui le composent. Le plus sûr moyen de s'emparer de la gestion des affaires locales, c'était d'en choisir, soi-même les gérants, de remplacer les maires électifs par des personnages à sa dévotion, de substituer la délégation d'en haut à la délégation d'en bas, et des officiers immuables à des municipalités urbaines sans cesse renouvelées, sur lesquelles on n'avait aucune prise. Cette innovation fut accomplie par Louis XIV ; ce qui, du vivant de son grand-père, de son père même, était accidentel, avec lui devint normal. Henri IV, il faut l'avouer, avait trop bataillé contre les villes, il les avait trop redoutées pour être demeuré fort ami de leurs franchises. Dans la seule province de Bretagne nous le voyons, à Rennes, attribuer au gouverneur la mairie perpétuelle et se réserver à lui seul le recrutement des échevins ; à Nantes, décider que les habitants, au lieu de nommer annuellement leur maire, feraient désormais (1598) une liste de trois candidats sur laquelle il choisirait personnellement ce magistrat. Souvent il recommande un sujet qu'il désire voir figurer sur cette liste — ce qui nous sera fort agréable — et, si le sujet n'y est pas compris, il se fâche, et le nomme maire quand même. Et lorsqu'au bout de l'année les Nantais, tout eu écrivant au Roi, pour l'amadouer, qu'ils rendent hommage à la bonne administration de ce maire imposé, insistent pour jouir de leurs privilèges, Henri leur répond, en vrai Gascon, que puisqu'ils sont satisfaits de leur maire, le mieux est de le garder[19]. Les faits de ce genre vont se multipliant sous Louis VIII,
et on n'y met plus, à Paris, la même bonne humeur. Marie de Médicis écrit au
conseil de ville d'Angers (1623) pour
faire continuer en sa charge le maire M.
Jouet. Là-dessus le conseil élit un sieur Barbot. Le gouvernement répond à
celte fin de non-recevoir par un arrêt qui casse l'élection de Barbot et
maintient en fonction son prédécesseur. Depuis lors, malgré les députations envoyées en Cour par les Angevins, le Roi se
réserva la nomination des maires dans leur capitale et leur laissa seulement
un droit de présentation. Le Mans, Toulouse, Dijon, vingt autres villes font
des réclamations semblables et sont pareillement traitées[20] : s'agit-il
d'élire le premier magistrat municipal de Poitiers, l'intendant écrit au
chancelier Séguier : Je témoignai au maire sortant
que vous auriez bien agréable que le sieur Desforges fût favorisé dans sa
poursuite, à cause de l'honneur qu'il a d'avoir épousé l'une de vos proches
parentes, et même que, sur la proposition qui vous en avait été faite de
le faire ordonner par le Roi, comme une personne qui en vérité a toutes
les bonnes qualités pour remplir cette charge, vous aviez estimé plus
digne pour lui d'y être admis par les suffrages, ne croyant pas que nul
voulut traverser son dessein auquel vous preniez part....
Protestations empressées du maire qu'en effet personne n'oserait tenter rien
de semblable et que le sieur Desforges serait très certainement nommé.
L'intendant part, aussitôt un autre candidat se déclare et fait ses sollicitations en la forme ordinaire ; Effectivement ce concurrent, un sieur Guyon de Vabre, passa malgré l'intendant et le chancelier. Mais ce dernier ne se tint pas pour battu ; contrairement à l'avis de Servien qui insistait pour qu'on n'irritât pas, en ce temps de séditions, le peuple de Poitiers, en le privant de la liberté d'élire un maire, un arrêt du Conseil d'État cassa l'élection de Guyon de Vabre comme illégale et entachée de brigues et promesses[21]. Deux fois durant son règne, Louis XIII restreignit ou
suspendit la liberté électorale à Toulouse, et quoique la promotion des huit
capitouls eût été faite par le gouverneur, le plus
religieusement du monde, après avoir pris soin de s'informer des premiers et plus gens de bien de la ville,
les réclamations n'en furent pas moins vives, et le premier président, appuyé
par la bourgeoisie, voulut même qu'on procédât de nouveau aux élections, comme si le Roi n'avait choisi personne. Le
ministère affectait de ne pas comprendre cette résistance, alléguant que le
parlement avait souvent entrepris de faire des
capitouls d'autorité, sans que le corps de ville s'y fût opposé. Il
oubliait d'ajouter que l'intervention de la magistrature ne s'était produite
qu'en cas d'abus, et tendait uniquement à maintenir l'observation des
statuts, tandis que l'intervention royale n'avait d'autre but que de les
détruire. Le chef-lieu du Languedoc était si fort attaché à l'indépendance de
son capitoulat, qu'à l'époque où fut établie une mairie vénale il se rendit,
moyennant cinquante mille livres, acquéreur de cet office et conserva le
droit d'élection[22]. Bien d'autres localités agirent de même, dans le cours du
dix-huitième siècle, avec la permission des intendants. Dans celles où ce
rachat ne fut pas opéré, la vénalité des charges municipales produisit de
singuliers cumuls : le même homme put se trouver à la fois subdélégué de
l'intendance, maire et juge royal. Le lieutenant général de Bouchain (Flandres) prononçait comme juge dans des
procès où il était partie comme maire[23]. Ce que Louis le
Grand devait accomplir en cette matière, Louis le Juste, ou plutôt ses
conseillers, en avaient eu l'idée : on proposait, en 1642, de créer sous le
titre d'intendant, un officier dans chaque
paroisse de France ; on calculait que ces charges pourraient se
vendre six cents livres pièce, devant former un total, d'ailleurs
problématique, de vingt et un millions. Divers édits avaient déjà institué
des greffiers et procureurs, — sorte de secrétaires de mairie — inamovibles
et héréditaires, dans chaque ville ou communauté
de presque toutes les provinces. Ces mesures fiscales, qui n'avaient ni
considérants ni préambules, et que le monarque ne prétendait pas légitimer
autrement que par les dépenses de la guerre étrangère, n'ayant reçu aucune
exécution appréciable, n'ont exercé aucune influence sur le gouvernement
intérieur de la commune[24] ; mais à la
façon dont la royauté supprime, réforme, triture et pétrit à son gré ces
vieilles chartes et ces vieux usages, cimentés par tant de combats, consacrés
par tant de serments, il est aisé de voir qu'elle n'en a cure et entend ne
les respecter qu'autant qu'il lui plaît. A Rouen, A Aix et Marseille, ce sont les divisions et partialités de la maison commune qui donnent sujet à Sa Majesté de faire elle-même les consuls (1635) ; les assemblées provinciales redemandent en vain ce droit. A Lyon, sachant que le temps approche pour vous de procéder à la nomination des échevins, écrit le prince au corps de ville, il lui indique, pour le bien de son service, et sans que cela puisse tirer à conséquence dans l'avenir, les personnes de la fidélité desquelles il est assuré. Il fait de même à Avallon, à Amiens, et ne manque pas d'ajouter : sans préjudicier aux règlements sur l'échevinage que je veux maintenir. Malgré tout, les candidats officiels n'étaient pas élus ; exprès l'on en nommait d'autres, et ce déploiement d'autorité faisait naître des contestations sans fin[26]. |
[1] Témoin Tournai, dans le Nord, tout aussi indépendant avant l'établissement de la commune par Philippe-Auguste que dans la suite (abbé HANAUER, les Paysans d'Alsace, 309) et, dans le Midi, plusieurs villes de Provence et Languedoc.
[2]
Arch. dép. d'Eure-et-Loir, B. 430 ; de
[3] Arch. dép. de Lot-et-Garonne (Villeneuve d'Agenais, AA. 2) ; des Landes, A. 127. Dans ce dernier département les paroisses (et par conséquent les communes, puisque la paroisse était division politique en même temps que religieuse) furent érigées, séparées ou modifiées par décrets des évêques, jusqu'à la fin du dix-huitième siècle.
[4] Arrêt du Parlement du 3 décembre 1628.
[5] Arrêt du conseil privé du 21 avril 1621. — Édit d'avril 1634. — Arch. comm. d'Angers ; de Moulins (Introd.), de Nevers, AA. 2, BB. 2. —Voir, sur les administrations municipales, le Coutumier général de France, et RENAULDON, Dict. des fiefs (au mot Commune).
[6]
Arch. hist. de Saintonge et Aunis, V, 86 ; VII, 326 ; XI, 102, 174. — Édit de
février 1635 (Bordeaux). — Arch. dép. Landes (Saint-Sever, BB. ; Dax, BB. 1, BB. 10) ; E. 52.
[7] Arch. dép. Lot-et-Garonne (Duras, BB. 1 et 2 ; Mézin, AA. 1 ; Astaffort, BB. 1, CC. 5 ; Puymirol, BB. 1 ; Mas d'Agenais, BB. 1 ; Gontaud, BB. 1 ; Meilhan, BB. 1 ; Montcrabeau, BB. 1). Ailleurs les deux consuls sortants soumettent à l'assemblée une liste de huit jurats, pour qu'elle choisisse quatre noms à proposer au seigneur qui nommera les deux consuls nouveaux.
[8] La défense de nommer des parents est générale : en Guyenne, une élection est contestée parce que le consul élu est cousin germain par alliance de son électeur. La jurade, consultée, nomme un autre titulaire. (Arch. dép. Lot-et-Garonne, Puymirol, BB. 1.)
[9] Arch. dép. Haute-Garonne, B. 324, 391, 386, 413, 415, 445, 477, 4.80. — Arch. comm. Nîmes, BB. 2. — Mémoires de l'Académie de Mmes, 1884, p. 482. — 1 partir de 1630, la plupart des consulats de Languedoc durent être mi-partie composés de catholiques et de protestants. — En quelques localités les commanderies de Malte avaient des droits de nomination ; ailleurs certains corps d'Etat possédaient leurs représentants exclusifs : les tisseurs et tondeurs de drap de Montpellier nomment cinq consuls. Arch. Haute-Garonne, B. 298, 486.
[10] Arch. dép. Drôme, E. 5721. — Arch.
com.
[11]
Arch. comm. de Bourg, BB. 77 ; d'Avallon, p. 18, BB. 22. — Arch. dép.
Côte-d'Or, C. 2082 bis, f. 39 ; Aube, G. 907, 908. — Aff. Étrang., t.
[12] Règlement de janvier 1636, concernant la ville de Reims. Ce règlement supprima le conseil de ville et ne laissa subsister que les échevins.
[13] Lettres patentes de mars 1633 (Sainte-Menehould).
[14]
Arch. com. Langres, I. — Congrès scient. Arras (1853), I, 137. — DESHAYES DE COURMENIN, Voyage en
Danemark, p. 48. — Aff. Étrang.,
t.
[15] Aff. Étrang., t.
[16] Arch. comm. Sainte-Affrique, BB. 17. — Arch. dép. Drôme, E. 5873. — Dans les grands centres on pratique le sectionnement ; chaque capitoul de Toulouse représente un faubourg ; Nevers est partagé en quatre quartiers dont les assemblées ont lieu dans des cloîtres et des églises. (Arch. dép. Haute-Garonne, B. 458 ; Arch. comm. Nevers, BB. 2.)
[17] Les six candidats élus par les consuls sortant de Saint-Papoul sont confirmés ou remplacés par le peuple réuni en conseil général. La liste est alors portée à l'évêque qui se rend à la maison de ville, et là, après avoir pris l'avis de six des prud'hommes et des notables sur la probité, les mœurs et autres qualités exigées des présentés, il en nomme trois sur six. (Arch. de Haute-Garonne, B. 378, 388, 436 ; de Lot-et-Garonne, B. 12 [Sainte-Colombe, BB. 1].) A Espalais le seigneur élit deux consuls sur quatre.
[18]
Arch. dép. de
[19] DE CARNÉ, États de Bretagne, I, 255.
[20]
Arch. comm. d'Angers, BB. 68, 73. — Aff. Étrang., t.
[21] Arch. hist. de Saintonge et Aunis, VII, 296. — Lettres et papiers d'État, V, 71. — Arch. Guerre, XXXII, 341. — Richelieu était, l'année précédente (1635), moins tyrannique que Séguier, quand il faisait recommander par le Roi, au corps municipal de Poitiers, son médecin et ami, Citois, en ces termes : Nous avons été bien aise de voir, par votre déclaration, que vous ayez arrêté de donner à Fr. Citois, l'un de nos médecins ordinaires, en considération de Ses services, la première charge d'échevin vacante de notre ville de Poitiers, et nous eussions bien désiré que vous eussiez fait audit Citois la faveur entière, sans y apporter cette restriction que les pairs qui ont exercé et exercent la charge de maire erraient préalablement pourvus de l'échevinage... Le souverain demande que, sans tirer à conséquence, on passe sur cette formalité. (Arch. Guerre, XXIV, 240.)
[22]
Aff. Étrang., t
[23]
Arch. dép. Drôme, E 5685 ; Lot-et-Garonne (Mézin, AA. 2). — Arch. comm.
Bouchain (Nord), préf. IV. Une charge d'échevin, à Cognac, vaut
[24]
Édits de mai 1634 et de juin 1635. On attribuait à ces fonctionnaires futurs
des gages variant de 39 à
[25]
Déclaration du 14 novembre 1636. — Arch. Guerre, XXV, 231, 451. — Aff. Étrang.,
t
[26] Arch. Guerre, XXXI, 14, — Arch, dép. Somme, 13. 244. — Arch. comm. d'Avallon, BB. 22 (Inv. Som., p. 18). — Dans des communes rurales où, cent ans auparavant, tout habitant pouvait être nommé membre du conseil, il fallut, au dix-huitième siècle, payer un minimum de cinq livres d'impôt. Les membres, au lieu d'être renouvelables, furent nommes à vie. Les subdélégués firent sur tout cela des règlements, suivant leur bon plaisir. (Arch. dép. Drôme, E. 5968.)