RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

TOME QUATRIÈME. — ADMINISTRATION GÉNÉRALE (SUITE).

LIVRE IV. — ADMINISTRATION PROVINCIALE.

CHAPITRE V. — LES INTENDANTS.

 

 

Le pouvoir central, ses usurpations. — Les secrétaires d'État sous Louis XIII, façon dont ils administrent. — Origine des bureaux de ministère. — Les premiers intendants de justice avant Richelieu, et son rôle dans leur développement. — Bien qu'il n'y ait pas d'édit portant création de l'intendance, le cardinal est vraiment le fondateur de l'institution : sa permanence, son universalité, sa substitution aux autres autorités, l'accroissement des attributions qu'on lui confère. — Des personnages qualifiés d'intendants ; diversité de leurs ressorts et de leurs juridictions ; variétés des  « commissions » et des « pouvoirs ». — Gouvernement de ces nouveaux fonctionnaires, ils continuent la confusion de l'exécutif et du judiciaire. — Leurs conflits avec les corps existants ; les intendants dans l'opinion publique. — Leur recrutement ; presque tous au début sont maîtres des requêtes. — Ce que devient l'intendance au dix-huitième siècle.

 

En effet, la centralisation dont nous souffrons est venue aussi lentement, elle a été aussi longue à prévaloir, il y a deux siècles et demi, qu'elle parait devoir être longue à extirper dans l'avenir. Les lois et les mœurs ont les unes sur les autres une action mystérieuse : si les mœurs président à la formation des lois, les lois à leur tour créent des mœurs à leur image, des mœurs politiques s'entend. Un peuple prend ou perd le goût de la liberté sous des influences et pour des causes multiples ; s'il le possède on ne le lui enlève pas en un jour, s'il l'a perdu il le recouvre malaisément. De toutes les tyrannies d'un gouvernement despotique, qui a su durer longtemps, la plus difficile à détruire c'est peut-être la tyrannie de l'habitude, qui finit par empêcher les nations de s'apercevoir de toutes les autres.

Une fois pliés à obéir, les citoyens conservent le pli de l'obéissance, lors même qu'ils ont perdu leurs maures ; si dans un moment d'irritation ils les ont renversés, ils en cherchent d'autres. C'est un besoin pour eux d'être fortement administrés ; ils ont contracté le goût du joug, ils savourent la volupté de sentir un mors dans leur bouche, quelle que soit la main qui tienne les guides. Plus ils vont, et plus ce joug devient pesant, et plus ils l'aiment, plus ils l'estiment nécessaire au maintien de l'État. Par contre, ils se dégagent insensiblement de toute responsabilité ; un abîme se creuse, dans l'opinion, entre les affaires privées et les affaires publiques, qui, intéressant tout le monde, ne regardent plus spécialement personne. Ces affaires publiques deviennent de plus en plus nombreuses, on met en commun ce qui pourrait, ce qui devrait rester séparé. Le pouvoir social grandit ; en accroissant ses prérogatives il en assure aussi l'exercice ; il resserre en même temps l'indépendance individuelle dans des bornes plus étroites. L'autorité se concentre en moins de mains et en des mains plus fortes. Ce que Richelieu n'aurait sans doute pas imaginé appartenir à l'État, Louis XIV s'en emparera comme naturellement, et ce à quoi Louis XIV même n'aura pas touché, la tribu administrante des intendants du dix-huitième siècle le confisquera tutélairement sous Louis XV. États particuliers, constitutions municipales, dit Augustin Thierry, tout ce qu'avaient stipulé comme droits les pays agrégés à la couronne, tout ce qu'avait créé la bourgeoisie dans son âge héroïque, fut refoulé par la royauté plus bas que jamais. Il y eut là des souffrances plébéiennes, souffrances malheureusement nécessaires (?), mais que cette nécessité ne rendait pas moins vives et qui accompagnèrent de crise en crise l'enfantement de la centralisation moderne[1]. Ce mouvement ne s'arrêta pas à la chute de l'ancien régime ; on aurait pu croire qu'en 1789 il avait atteint son buts il n'en était rien. Les ministres jacobins s'assirent aux places encore chaudes que venaient de quitter les secrétaires d'État de Louis XVI, et conservèrent pour Napoléon cet organisme dont le premier Empire, en le modernisant dans la forme, accrut encore au fond les abus.

On était loin, sous Richelieu, de cet état de choses. Non que le pouvoir du Roi fût contesté : tout sujet français eût volontiers écrit, avec la soumission de Baradas disgracié : Je sais bien que tout dépend de S. M. et que, hors d'Elle, point de salut. Seulement Sa Majesté, c'est-à-dire l'État ou le pouvoir central, comme on voudra l'appeler, régnait plus qu'elle ne gouvernait ; et l'on se convainc, par la lecture des documents de ce temps-là, principalement des arrêts du Conseil et de la correspondance des secrétaires d'État avec les provinces, que le ministère n'intervenait que lorsqu'il y avait litige entre deux autorités diverses, ou entre un représentant du Roi et un particulier. Investis d'un rôle d'intermédiaires entre le Roi et le cardinal d'un côté et de l'autre les individus de quelque qualité qu'ils soient qui ont à désirer quelque chose du prince, ces agents virent leurs attributions tripler ou quadrupler peut-être sous Louis XIII, comme nous l'avons exposé précédemment[2] ; mais ce triple ou ce quadruple était encore fort peu de chose auprès de ce qu'il devint Cinquante ans plus tard, il n'était rien auprès de ce qu'il fut à la fin de la monarchie.

Bouthillier est nommé secrétaire d'État en 1628 ; il commence par verser deux cent quarante mille livres à madame d'Ocquerre, veuve de son prédécesseur, et doit acheter, suivant l'usage, une charge de secrétaire du Roi, maison et couronne de France qui, dit-il, vaut dix mille écus, dépense bien fâcheuse. Puis il déménage et prend un logement moitié plus spacieux que le sien, qui ne lui coûtera que cinq ou six cents livres davantage. Il lui fallait de la place pour installer ses bureaux ; quelque trois ou quatre pièces sans doute, comme l'étude d'un notaire de nos jours où travaillent quatre ou cinq clercs. Le sieur Cotignon, premier commis de son prédécesseur, lui offre ses services ; il les accepte volontiers : Je n'ai garde d'y manquer, et il se pouvait passer d'en importuner le Roi, écrit Bouthillier au Cardinal, il est bon homme et franc, sait fort bien tout ce qui est du formulaire et de la routine de la charge, et ne manque même pas, je crois, de quelque lumière. Il a cru que mon neveu lui ferait obstacle, en quoi il s'est trompé, car je ne m'en servirai en sorte quelconque dans mon office, n'y ayant point d'assurance, parce qu'il est neuf et ne servirait qu'à embarrasser. Il est du reste maître absolu du recrutement de son personnel, cela ne regarde que lui-même, et il s'excuse en terminant d'ennuyer ainsi Richelieu de ses petites affaires[3]. Voilà, jusque vers le milieu du dix-septième siècle, le type modeste du ministre auquel ressort une des branches de l'administration.

Aussi bien ce mot même d'administration n'a-t-il pas tout à fait alors le sens qu'on lui a donné depuis. Il ne si0nifie pas, selon la définition de M. Guizot, un ensemble de moyens destinés à faire arriver le plus promptement et le plus sûrement possible la volonté du pouvoir central dans toutes les parties de la société, et à faire remonter vers le pouvoir central les forces de la société, soit en hommes soit en argent[4] ; mais simplement la gestion des intérêts publics en eux-mêmes, et la solution des difficultés qui s'élèvent à leur sujet, sans tenir compte de la subordination des diverses autorités les unes aux autres. L'administration parait encore, ce qu'effectivement elle doit être, une besogne éminemment locale ; la seule différence qu'il y ait à cet égard entre les pays d'États et les pays d'élections, c'est que les premiers ont à leur tête des administrateurs élus, tandis que les seconds n'en ont pas. Mais quand Servien écrit par exemple à des trésoriers de France que le Roi lui a fait l'honneur de mettre dans le département de sa charge les affaires de leur généralité, cela ne signifie pas qu'il ait quelque pouvoir spécial sur cette portion du pays, mais qu'il servira, le cas échéant, d'agent de transmission entre le Roi et ses sujets de Poitiers, de Bretagne ou de Lyon.

Les communications de Paris avec le reste du royaume sont fréquentes : non-seulement le cabinet expédie aux gouverneurs et aux parlements d'assez nombreuses circulaires pour leur faire part d'un changement de politique on d'un simple fait intéressant, mais on ne regarde pas à dépêcher courriers sur courriers, dans les conjonctures graves, à envoyer même, pour un rien, un exprès d'un bout de la France à l'autre[5]. De leur côté les gouverneurs correspondent avec le Roi ou le premier ministre pour les tenir au courant de ce qui se passe de notable dans l'étendue de leur charge ; au besoin on les mande à la cour, afin d'être particulièrement informé de toutes choses dans leur gouvernement, ce qui ne se peut bien faire que de vive voix. Des agents très-secondaires, humbles fonctionnaires financiers, lieutenants criminels de petites villes, étaient parfois invités par lettres de cachet à venir parler au souverain ou plutôt au secrétaire d'État dont dépendait leur province. L'autorité du pouvoir central se manifestait par des décisions analogues à nos décrets et arrêtés modernes que l'on nommait : brevets, lettres patentes, arrêts du conseil, mais tout cela était exception et non règle, tout cela ne constituait pas une action normale, préventive. On exigeait que les collections d'individus (provinces ou villes) obéissent au Roi en tout ce qu'il ordonnait, comme lui obéissaient isolément tous ses sujets ; mais le Roi, en fait, ordonnait peu de chose. Tant qu'une région ou une cité vivait tranquille, sans faire parler d'elle — cas le plus ordinaire, ces autonomies de clocher étant, de leur nature, pacifiques et conservatrices — les rênes du char de l'État flottaient pour elle assez lâches[6].

Convenait-il à Paris de raccourcir ces rênes, de faire sentir aux peuples le frein ou de les exciter du fouet ? Ceux qui, dans les provinces, devaient exécuter ces ordres étaient, on vient de le voir, des serviteurs d'une espèce particulière : soldats grands seigneurs, bourgeois porteurs de toges, tous gens identifiés avec le sol ; ils se considéraient comme chargés aussi bien de représenter leur district auprès du Roi que de maintenir l'autorité du Roi dans leur district. Par suite, ils discutaient avant d'obéir, démontraient les inconvénients de décisions prises en haut lieu, les faisaient souvent modifier ou rapporter. N'ayant rien à espérer ni à craindre, ils n'avaient rien à cacher : un simple trésorier de France, un infime magistrat de robe courte, tel que prévôt de maréchaussée, ne pouvait être contraint de se démettre de sou office à moins d'être perdu d'honneur et noté d'infamie ; encore fallait-il une consultation préalable des corps judiciaires. Il n'existait point, pour surveiller, toutes les branches de la vie publique, sans appartenir précisément à aucune, des représentants du pouvoir exécutif dont la spécialité fût de n'en avoir pas[7].

Ce devint le rôle des intendants de justice, police et finances. Leur création, bien qu'antérieure à Richelieu, mérite cependant de lui être attribuée par l'histoire, comme elle le lui a été par ses contemporains. La question de l'origine des intendants a préoccupé plus d'un érudit de notre temps[8]. Par suite de nous ne savons quelle tradition, on s'était habitué à chercher dans des édits de 1635 et 1637 l'institution régulière de ces agents. L'examen un peu sérieux de ces documents a suffi à leur restituer leur véritable caractère de mesures fiscales ; ils ne concernaient en rien les nouveaux fonctionnaires. L'édit de 1635 séparait, sous des prétextes plus ou moins plausibles, les charges de président du bureau des finances des généralités de celles de trésorier de France, mais permettait en même temps à ceux que l'on amputait ainsi de la moitié de leur titre, de le racheter moyennant un léger versement de trois ou quatre mille livres à Sa Majesté ; et, pour leur faire bonne mesure, on les gratifiait par-dessus le marché de la qualité d'intendants généraux des finances. Cette désignation était de nature à établir une confusion entre eux et les intendants des finances ; mais l'édit n'eut apparemment aucune suite[9]. Les trois intendants des finances n'avaient, on le sait, rien de commun avec les intendants de justice, police et finances de province. C'étaient des contrôleurs, analogues aux inspecteurs généraux d'aujourd'hui ; on se fiait à eux du soin de débrouiller les comptes du Trésor qui demeuraient accrochés, semblables, au dire du surintendant d'Effiat, à un peloton de fil mêlé duquel vous ne pouvez tirer un bout que vous ne serriez davantage tous les autres[10].

Des recherches plus approfondies firent ensuite reconnaître que, non-seulement dans la première partie du ministère de Richelieu et pendant la régence de Marie de Médicis, non-seulement sous Henri IV et vers la fin du seizième siècle, mais dès le règne de Henri II, on trouvait des commissaires départis exerçant l'emploi et portant même quelquefois le nom des intendants futurs. Sans remonter au delà de Louis XIII, nous rencontrons, dés 1612, du Coudrai, conseiller au parlement de Paris et échevin de la Rochelle, que la Reine, pour lui donner de l'autorité en dehors du ressort de ce parlement, avait muni d'une commission d'intendant de justice, mais non de police, parce que les Rochelais ne l'auraient pas souffert. Il ne faisait d'ailleurs aucun usage de sa prétendue intendance. Des lettres patentes de 1614 confèrent à maître Louis Le Febvre, seigneur de Boissy, le droit de remplir les fonctions d'intendant de justice et police, en Picardie, en l'absence du sieur de Caumartin, son père, pour assister notre cousin, le marquis d'Ancre, maréchal de France, lieutenant général, de ses sages avis et conseils. Bassompierre nous parle, en 1615, des intendants de finances et justice qui accompagnaient les armées. Les limites de leur juridiction variaient, en effet, autant que la durée et l'étendue de leurs pouvoirs : la mission du sieur de Bitaut, intendant de justice, est bornée aux villes de Nîmes, Montpellier et Béziers (1618) ; celle du sieur de Marescot, conseiller d'État, comprend tout le gouvernement de Champagne et Brie (1620). Les officiers du présidial d'Angers n'ayant pas voulu poursuivre un crime, écrit Richelieu à Marillac (1619), on envoie l'intendant de justice en Anjou pour en informer et pour apprendre la vérité sur plusieurs autres. Et, tandis que ce personnage ne parait faire ici métier que de juge d'instruction et de ministère public, l'intendant de police et justice près du duc d'Épernon, Séguier d'Autruy, aussitôt son arrivée à Bordeaux (1622), rend des ordonnances générales et particulières qui participent de la sentence et du décret, et le maître des requêtes Turquant, intendant en Normandie, agit de même (1623)[11]. En somme, dès 1627, on parle des intendants de justice et des gouverneurs comme existant aussi régulièrement les uns que les autres[12].

Toutefois, pris en bloc, les intendants n'ont pas d'acte de naissance. Aucune déclaration royale, aucun édit ne leur a donné le jour. Il semble que ces nouveaux venus se soient peu à peu introduits dans l'organisme administratif, y aient prospéré, en véritables parasites, aux dépens de tous les autres, se soient gorgés d'attributions avec la complicité, ou mieux suivant les impulsions du pouvoir central et, étendant sans cesse leurs racines sous terre et leurs branches au soleil, aient fini par concentrer en eux le détail comme l'ensemble, le principal comme l'accessoire, de l'État Louis quatorzien des derniers siècles. Chose plus singulière encore : non-seulement, à ne consulter que les documents dans leur nudité, il semble que Richelieu n'ait proprement créé ni l'intendance ni les intendants ; mais, dans ses Mémoires, il n'en parle qu'une seule fois, incidemment, lorsqu'il mentionne l'envoi dans les provinces, pour châtier les rebelles (1632), de trois ou quatre maîtres des requêtes auxquels il ne donne même pas le nom d'intendants[13]. Ces volumes assez prolixes, où il prend soin de nous aviser de tout ce qui lui arrive ou arrive par lui, où il recueille de longs discours et de menus avis, n'en disent pas plus sur cette institution politique, grosse de tant de conséquences. D'autre part, les papiers personnels du cardinal, conservés aux Affaires étrangères, où sont entassés pêle-mêle des lettres, des notes, des rapports, des projets de toutes sortes, où, sur de grandes pages blanches, des idées ont été jetées en quelques lignes, parfois en trois mots qui courent l'un après l'autre, comme au hasard, ces papiers ne nous apprennent rien sur les intendants de généralités.

Le Testament politique seul leur consacre un paragraphe : Je crois, dit-il, qu'il sera très-utile d'envoyer souvent dans les provinces des conseillers d'État ou des maîtres des requêtes bien choisis, non-seulement pour faire la fonction d'intendant de justice dans les villes capitales, ce qui peut plus servir à leur vanité qu'à l'utilité du public, mais pour aller en tous lieux s'enquérir des mœurs des officiers de justice et des finances, voir si les impositions se lèvent conformément aux ordonnances et si les receveurs n'y commettent pas d'injustice en vexant les peuples, apprendre comment se gouverne la noblesse et arrêter le cours de toutes sortes de désordres et spécialement des violences de ceux qui, étant puissants et riches, oppriment les faibles et pauvres sujets du Roi[14]. Nous avons eu déjà l'occasion de remarquer, notamment en matière financière, que Richelieu, dans ce bréviaire posthume de sa politique, confie autant à la postérité ce qu'il fallait faire ou ce qu'il voulait faire que ce qu'il a fait. Si l'on prenait à la lettre les lignes du Testament, on pourrait vraiment croire qu'il n'a jamais existé d'intendants sous ce ministère. Ceux qui louent le cardinal, en une phrase qui a beaucoup traîné dans les manuels, d'avoir eu les intentions de tout ce qu'il fit, commettent donc une gracieuse erreur. Le grand ministre, comme les plus illustres hommes d'État, se trouva amené par les circonstances à faire bien des choses qu'il blâmait et qu'il n'avait par conséquent pas l'intention de faire ; par contre, il fut contraint de renoncer à bien des projets qu'il avait longtemps caressés. Il est difficile, puisqu'il ne nous en dit rien, de savoir si Richelieu voulait ou non fonder l'intendance ; le fait est pourtant qu'il l'a fondée, sans plan préconçu peut-être, mais tout autre qu'il ne la souhaite dans son Testament, tout autre aussi qu'on serait tenté de la peindre d'après les commissions et provisions délivrées à Paris ; ces commissions ressemblant à des programmes, tantôt dépassés, tantôt imparfaitement remplis.

Ces chevauchées de maîtres des requêtes, d'où l'intendance devait sortir, avaient été, au début, populaires. Les états généraux de Blois et Orléans désiraient qu'elles fussent nombreuses, périodiques même. Les justiciers du Roi allaient, le cul sur la selle, jeter le coup d'œil de l'État sur ces prétoires de province, assez indépendants pour être tentés de devenir tyranniques. Inspection, surveillance, c'était la vraie mission de la royauté : le chêne de saint Louis rendu ambulant. Peu à peu le caractère de la fonction se modifia ; pour la première fois, en 1614, les états généraux ne demandent plus de missi dominici. Au contraire, c'est la couronne qui les propose aux notables (1617) en ces termes : Envoyer un maître des requêtes en chaque gouvernement, lequel ira par tous les siéges et fera tel séjour qu'il jugera à propos, reconnaîtra les abus et malversations, pourvoira à faire garder les ordonnances, fera le procès des juges coupables et l'instruira entièrement, nonobstant appel ou oppositions quelconques, et, le procès tout instruit, le renverra au parlement où le siége ressortit... Et, afin que les marres des requêtes ne prennent point d'habitudes esdites provinces et ne donnent du support à ceux avec lesquels ils auraient acquis familiarité, ils seront changés de temps eu temps, selon qu'il sera avisé.

C'était l'idée géniale de l'administration vagabonde des commissaires, substituée à l'ancienne administration sédentaire des magistrats ; idée si favorable au despotisme, que les régimes autoritaires des temps modernes n'ont fait que la développer. Il est fort possible que le projet ci-dessus ait eu pour auteur principal l'évêque de Luçon, qui ne quitta le ministère qu'au moment de l'assassinat du maréchal d'Ancre, à la fin d'avril de cette année 1617. Il visait dès lors, et c'est en quoi il inaugurait un système nouveau, à avoir des délégués royaux partout et toujours, à les rendre permanents et universels. Plus tard, devenu premier ministre, il réalisa ce vœu. Il existe toutefois, entre les velléités de 1617 qui sanctionnaient elles-mêmes un état de choses antérieur et l'organisation de 1642, une différence fondamentale en ce que les intendants, sous Richelieu, joignirent à la justice et à la police, l'armée et les finances, c'est-à-dire la totalité du pouvoir exécutif ; et que, loin de renvoyer aux parlements les procès qu'ils avaient instruits, ils s'érigèrent en tribunal[15] pour juger à leur aise, soit seuls, soit assistés de qui bon leur semblait, au civil comme au criminel, les sujets français, à quelque catégorie qu'ils appartinssent, sans plus se soucier de toutes les juridictions, de toutes les lois et de toutes les règles existantes, que si le royaume avait été subitement envahi par une nation étrangère dont le chef ne se crût tenu à respecter en rien les coutumes des anciens habitants.

Quelque timide que paraisse la proposition royale de 1617, les notables ne l'acceptèrent qu'avec répugnance, et moyennant cette clause formelle que, pour prévenir toute usurpation, les commissions des maîtres des requêtes en tournée devraient être vérifiées et enregistrées par le parlement dans le ressort duquel ils feraient leur inspection[16]. Quinze ans après, ce n'était plus d'inspection judiciaire qu'il s'agissait, mais bien de politique, de toute la politique, et comme il n'est rien dans la vie nationale, provinciale ou communale, qui, par un point ou par l'autre, ne touche à la politique, ce fut du gouvernement même de la France que les intendants nouveaux, transformés en vice-rois, eurent à s'occuper. La transformation était si radicale, qu'elle fit l'effet d'une création. — O. Talon la date de 1633, Séguier de 1635, d'autres écrivains la reculent ou l'avancent ; — tous les contemporains signalent cette révolution faite à petit bruit. et si grave. En 1627, Pomereu, envoyé en Picardie, n'est rien de plus qu'enquêteur ; il devra faire les visites prescrites par les ordonnances et dresser des procès-verbaux qui seront transmis au garde des sceaux. Il fut remplacé par Laffemas, qualifié d'intendant de justice et police ; à Laffemas succède le sieur de Bellejammes qui, le premier (1635), eut titre d'intendant de justice, police et finances, ou d'intendant de Picardie, appellation jusqu'alors inusitée et qui se généralisa dans toutes les provinces[17]. L'intendant part avec sa commission en poche et son secrétaire ; c'est là tout. Sans habitude ni crédit dans le pays où il ne coursait personne, isolé, étranger, il n'est rien. Pis encore, pour tous les gouvernants du cru, il est un rival, un ennemi. Mais ce papier où pendent les fleurs de lys de cire au bout de lacs de soie rouge qu'il apporte et qu'il déplie, c'est un firman de pacha, une bulle de légat du moyen âge, le morceau de la souveraineté royale dont il est détenteur et au nom de qui il impose l'obéissance. Si cette obéissance est trop contestée, la robe longue saura d'ailleurs, comme Machaut en Languedoc, se faire accompagner de deux régiments partout où besoin sera.

Quant aux droits que l'intendant va exercer, en voici le détail dans le pouvoir donné à celui qui se rend en Champagne (1633) : Nous vous commettons et établissons par ces présentes, y est-il dit, pour faire la charge d'intendant de la justice, police et finances, tant en nosdites armées qu'aux villes de la province de Champagne, Metz, Toul et Verdun, et autres lieux. de notre obéissance et protection ; informer des menées secrètes qui ont été faites contre notre service pour entreprises de places, levées de gens de guerre sans permission, amas et transports d'armes, décréter contre les coupables, leur faire et parfaire le procès souverainement et en dernier ressort, jusques à jugement définitif et exécution d'iceux inclusivement, appeler avec vous le nombre de juges portés par nos ordonnances ; procéder à la réformation de la justice, régler les contentions de nos officiers, ouïr les plaintes de nos sujets contre lesdits officiers et y pourvoir ; visiter tous les siéges présidiaux et royaux, bureaux des finances, élections et autres lieux où on administre la justice ; présider, sans distinction de personnes, aux affaires civiles et criminelles qui s'y traiteront ; faire observer les règlements de la police par les maires et échevins des villes, conférer avec eux dans leurs assemblées où vous présiderez, pareillement connaître des moyens d'empêcher la disette des vivres et en procurer l'abondance aux lieux où nos armées passeront ; vous trouver avec nos généraux d'armée, assister aux conseils qu'ils tiendront, faire vivre les gens de guerre avec discipline ; rendre la justice sincèrement entre eux et nos autres sujets ; punir et châtier ceux qui contreviendront à nos ordonnancés exemplairement, afin que les autres ne tombent en même faute, soit gens de guerre, officiers de justice, finances et autres ; prendre garde que les deniers par nous ordonnés pour la solde, tant des armées que des garnisons, soient distribués selon notre intention ; assister, quand vous le pourrez, aux payes et revues pour voir si les compagnies sont remplies du nombre d'hommes portés par leurs titres... comme aussi avoir soin, en vous arrêtant dans les villes de ladite province, que les deniers d'octrois et autres destinés aux réparations des ponts, pavés, chaussées, murailles desdites villes, soient utilement employés[18]....

On le voit par cette nomenclature que nous abrégeons, rien n'était laissé à l'abri de l'initiative de ces proconsuls ; en sus des besognes spéciales qu'on leur trace, ils pourront s'occuper — d'autres provisions les y engagent de tout ce qu'ils verront bon être ; ce sont eux qui font marcher les régiments contre les communes rebelles, et les communes dociles contre les régiments indisciplinés ; eux qui excitent les agents des finances quand ils sont trop indolents au recouvrement et qui les modèrent quand ils sont trop exacts et suscitent des révoltes par leur dureté ; eux qui, selon les cas, font réparer ou abattre les fortifications des villes, dressent les rôles de l'impôt direct au détriment et malgré les plaintes des trésoriers de France, règlent les budgets municipaux et assignent devant eux les syndics des diocèses et des paroisses[19]. Leur correspondance, éparse un peu partout, nous révèle la limite ou mieux l'absence de limites de leurs attributions ; on y trouve leurs qualités, car ils en ont de grandes, et leurs défauts. Leurs qualités tiennent toutes à leur personne, leurs défauts tiennent presque tous à leur emploi. Il est peu d'intendants aussi intraitables que Machaut, terrible abatteur de donjons, qui fait rouer force gens en chair et os ou en effigie ; il en est moins encore d'aussi mous que Champigny ou du Gué, dont on tire, au siège des îles Sainte-Marguerite (1637), assez peu de devoir et d'assistance pour que Son Éminence soit obligée de les réprimander. Le plus grand nombre sont des hommes intelligents, appliqués, intègres ; quand Talon vint en Dauphiné changer de fond en comble l'assiette de l'impôt, la noblesse prétendit que les portes de son logis étaient vénales, qu'il était défrayé par les membres du tiers état et qu'il recevait des présents ; ce n'était pas vrai. Talon se retira les mains nettes ; comme ses collègues, c’était un ambitieux, non un voleur[20]. Nous avons vu le travail des intendants dans l'organisation de la comptabilité, de l'approvisionnement militaire, de tout ce qui, dans l'armée, porte aujourd'hui encore le nom d'intendance ; ç'a été certainement le meilleur de leur œuvre, là ils ont édifié, ailleurs ils ont plutôt détruit.

Apôtres de l'obéissance passive, ils la subissent et l'imposent ; mais il semble que le prince, en confiant sans réserve à des représentants précaires l'usage de sa toute-puissance, qui n'était admise en théorie qu'à la condition d'être bornée en pratique, abuse de sa souveraineté elle-même, et qu'au droit de faire la loi, il veuille joindre encore celui de la violer. Aussi est-ce des rangs des hommes de loi que partent les protestations les plus vives. On a dit parfois que les intendants étaient destinés à tenir en échec l'autorité excessive des gouverneurs de province ; cette opinion n'est pas fondée ; les gouverneurs et les intendants vivent en très-bonne intelligence, ce qui prouve que les seconds n'empiétaient pas sur le pouvoir des premiers. Le duc de Chaulnes, gouverneur de Picardie, est accusé d'avoir trempé dans une sédition fomentée à Amiens par le corps de ville et la magistrature locale contre l'intendant ; six mille mutins, assemblés sur la principale place, firent passer une nuit blanche au président de Pomereu ; mais c'est un exemple quasi unique. Un général, dont l'envoyé de la cour réquisitionne les troupes, lui répondra peut-être en gouaillant : Je marcherai pour vous être agréable, non à cause de votre intendance. Au fond, quand ils ne sont pas directement en cause, les hommes de guerre ne sont pas fâchés de voir les gens de robe se manger entre eux[21]. C'est, du reste, auprès du gouverneur que l'intendant est accrédité, et c'est même le gouverneur qui le désigne parfois au choix du ministre : M. de Guise, écrit-on à Richelieu (1630), a demandé M. d'Aubray pour être intendant de la justice dans sa province et l'a obtenu... Il n'a pas, dit-on, assez de résistance pour l'esprit de M. de Guise ; néanmoins M. le garde des sceaux l'a commis, et lui a donné toutes les impositions des mains nécessaires, aussi bien qu'à M. de Vertamont qu'il envoie intendant de la justice en Guyenne, à la requête de M. d'Épernon[22].

C'est avec les autorités civiles que le nouveau représentant du Roi aura, dès le début, maille à partir ; on le prend de haut de part et d'autre. A un diapason si monté, le ton s'aigrit vite ; les décrets, les prises à partie vont leur train, et le pouvoir central contemple pacifiquement, de la salle du Louvre où siége le conseil d'État, ces corps-à-corps qu'il a prévus. Le sergent de l'intendant empoigne l'huissier du parlement qui, de son côté, l'appréhende au col ; ils s'assignent et s'arrêtent tous deux mutuellement, l'un criant : Haro ! à l'aide du Roi et de la Cour ! l'autre : Haro ! à l'aide du Roi et de Monsieur l'intendant ! Le peuple se chargeait de leur faire lâcher prise ; d'instinct, il était avec les parlements, les bailliages et les bureaux de finance contre les maîtres des requêtes, presque toujours porteurs de commissions désagréables. Quand de pareils faits se passent vers 1618, le chancelier arrange l'affaire, témoin Morant du Mesnil-Garnier en Normandie : C'est là, dit le Roi, une salade composée de mauvaises herbes des deux côtés[23] ; on déchire les arrêts de part et d'autre en renvoyant les adversaires dos à dos, et les pouvoirs exceptionnels sont révoqués. Quand, au contraire, les résistances se produisent vers 1628, où Servien, intendant de Guyenne, ayant fait pendre des soldats de la Rochelle, se voit poursuivi à son tour par le parlement de Bordeaux qui l'interdit et confisque ses biens, le dénouement n'est plus le même, et le souverain oblige la cour souveraine, en la personne de Monsieur le premier, à demander pardon. Cette scène, où Louis XIII tira brutalement le vieux président de Gourgues par sa robe pour le forcer, contre tous les usages, à s'agenouiller devant lui, pourrait servir, si la peinture nous l'avait conservé, à symboliser l'avènement de la monarchie absolue, comme les tableaux modernes, où le Roi prête serment de garder la charte, représentent le début de la monarchie constitutionnelle.

Anéantir l'esprit de discussion, chasser de la politique ces parlementaires raisonneurs et empiétants, les balayer, les refouler dans leur chicane, avec défense, mieux encore avec impossibilité d'en sortir jamais, telle était la pensée de Richelieu : L'autorité royale serait ruinée, dit-il, si on suivait les sentiments de ceux qui sont aussi ignorants en la pratique du gouvernement des États, qu'ils présument être savants dans la théorie de leur administration et ne sont pas propres à donner des arrêts sur le cours des affaires publiques qui excèdent leur portée... Dans les grandes compagnies, le nombre des mauvais surpasse toujours celui des bons ; et quand ils seraient tous sages, ce ne serait pas encore une chose sûre que les meilleurs sentiments se trouvassent en la plus grande partie[24]. Qui donc cependant jugera des sages et des non sages, des meilleurs et des moins bons ; il est facile de se charger de tout, moins facile de ne se tromper en rien. L'ancien régime a eu ses Turgot, il a eu aussi ses Calonne. La lutte des parlements et des intendants sous Louis XIII, c'est la lutte de la justice inamovible contre la justice amovible, de l'administration indépendante contre l'administration domestiquée. Qu'on ne voie pas, en effet, dans l'institution nouvelle, un commencement de sépara' ion de l'exécutif et du judiciaire ; non-seulement l'intendant est lui-même magistrat — officier du Roi, comme on dit — et d'un rang élevé, le plus souvent maître des requêtes ; et, quand il n'a rien ou peu à faire dans sa province, il demande, en cette qualité de maître des requêtes, à venir au conseil servir son quartier de trois mois[25], mais il fait partout et en toutes matières acte de juge, réforme ou annule les sentences des tribunaux ordinaires ; l'un d'eux rétablit sans plus de façon des consuls dont l'élection a été cassée par le parlement. Aussi les cours souveraines, en fulminant contre leurs contrefacteurs, prétendent-elles protéger autant leurs prérogatives judiciaires que leurs attributions administratives ; elles ne réussirent pas plus, d'ailleurs, pour les unes que pour les autres. En vain défendent-elles aux membres des bailliages et présidiaux de reconnaître ces commissaires et de leur donner entrée en leurs siéges, sous peine d'interdiction ; en vain commencent-elles contre eux des procédures frappées d'avance de stérilité, suscitent-elles des résistances sans lendemain et se répandent-elles en plaintes amères... ; ce qui peut arriver de plus heureux aux corps mécontents est que l'intendant, faisant bonne mine à mauvais jeu, affecte de dédaigner leurs protestations. Car si la bataille s'engage dans les règles, elle se terminera pour les magistrats par l'exil, la privation de leurs siéges, et le moins que puisse leur coûter la défaite sera quelque solennelle avanie[26].

Cependant, ce nouveau venu si puissant peut, d'un instant à l'autre, rentrer dans l'obscurité ; s'il n'obtient pas, comme récompense de ses services, quelque première présidence de chambre des comptes ou de cour des aides de province, s'il n'a pas avec cela de fortune personnelle, il se trouve fort dépourvu le jour où un caprice parisien le met sur le pavé. Hay du Châtelet, l'ancien intendant de Bourgogne, à qui l'on avait donné seulement une place de conseiller d'État semestre, écrivait : Je n'ai ni retraite proche de Paris, ni autre occupation que celle du conseil, ni assez de bien pour subsister en cette dignité divisée[27]. Instable par nature et destinée à demeurer telle jusqu'à la fin de la monarchie, l'autorité des intendants n'avait encore, sous Richelieu, rien de fixe quant à son ressort. Ils ont juridiction tantôt sur un district spécialement créé pour eux, tantôt sur une généralité, quelquefois sur deux : Lasnier est intendant de justice en l'armée du duc de Rohan et Beaumont sur toutes les côtes de l'Ouest. En 1640, telle province a deux intendants, tel intendant a deux ou trois provinces et tel autre une province et demie. Villemontée s'intitule intendant aux provinces et îles d'entre Loire et Garonne, un autre se qualifie d'intendant en cette province et autres circonvoisines[28].

Mais presque tous déjà s'organisent : ils s'environnent d'un conseil moitié civil, moitié militaire ; ils ont leur procureur et se font représenter dans les villes de quelque importance par des subdélégués gens de probité, de crédit et d'expérience, choisis le plus souvent dans le pays, qu'ils nomment et révoquent à leur guise, selon le droit qu'une ordonnance royale leur avait conféré[29]. Leurs appointements, leurs frais de voyage sont payés par les villes, par les États provinciaux, et le poste en général parait lucratif[30].

Dès le règne de Louis XIV, l'intendant était, au point de vue décoratif, sur la même ligne que le gouverneur ; il recevait les mêmes hommages ; comme lui, au dix-huitième siècle, il se fit traiter de Monseigneur par ses administrés. Au point de vue de l'autorité, il la posséda sans partage et ses attributions allèrent toujours grossissant. L'un de ces fonctionnaires écrivait à la cour, sous le ministère de Colbert : Je ne manque point de m'opposer à ce que je vois contre l'ordre, ne craignant de déplaire à qui que ce soit, mais soyez persuadé qu'il n'y a que moi seul en la province qui ai cette volonté. Quelque suspects que puissent être des témoignages d'estime et de satisfaction que les intéressés se décernent à eux-mêmes, on serait injuste envers l'intendance si l'on confondait les titulaires batailleurs et discutés de celte première époque, avec leurs successeurs, dominateurs paisibles de la fin du siècle et du règne de Louis XV. Prise dans son ensemble et étudiée dans ses résultats, l'institution donna au pays tout ce que peut donner un gouvernement ordonné et despotique : tranquillité matérielle, garantie des intérêts privés, encouragements parfois utiles à l'agriculture, à l'industrie, au commerce. On voyait sous Louis XVI, à la tête des généralités, des économistes, des agronomes, des légistes, d'habiles et vertueux citoyens qui, dans toutes les branches de l'activité humaine, honoraient la patrie. Par contre, la sévère tutelle que l'État, par ses délégués, étendit sur les provinces, et la dépendance étroite, où il tenait ces délégués eux-mêmes, atrophia en France l'ancien esprit public ; l'initiative individuelle, paralysée sans cesse ou contrariée, s'assoupit ; le pays, de force d'abord, puis de gré, s'abandonna, et il s'établit en axiome qu'il n'y a point de milieu, dans une sage république, entre la révolte ou l'obéissance muette au souverain.

 

 

 



[1] Essai sur l'histoire du tiers état, p. 187.

[2] Voir notre t. I, Les secrétaires d'Etat.

[3] Aff. Étrang., t. 780, f. 14 ; t. 785, f. 85 ; t. 791, f. 153. Le traitement fixe des secrétaires d'État était de 3.000 livres, plus 300 livres d'étrennes, somme dérisoire en comparaison des prix que coûtait cet office. Mais ils recevaient des gratifications annuelles importantes de la part des provinces qui étaient dans leur ressort ; de Noyers a permission de prendre 7.000 livres sur les gabelles de Dauphiné ; il reçoit de Provence à peu prés autant. Arch. Guerre, XXXII, 292 ; XLII, 36. Il est vrai que tous les frais de personnel étaient payés de leur poche.

[4] GUIZOT, Hist. de la civilisation, 396. — Le comte D'HAUTERIVE, dans ses Observations sur la dépense d'une grande administration, p. 15, donne de l'administration en général une autre définition qui n'est pas non plus absolument exacte.

[5] Il est même étonnant, en présence de la rareté des moyens de transport, de voir comme les nouvelles importantes se répandent vite partout. (Arch. hist. Saintonge, V, 326.) Aff. Étrang., t. 785, f. t. 801, f. 218 ; t. 803, f. 316. — Aral. Guerre, XXIV, 78. — RICHELIEU, Mémoires, I, 304.

[6] On a vu (t. I) comment étaient rédigés et authentiqués les arrêts du Conseil ; il en était un peu de même des lettres patentes souvent corrigées, raturées et modifiées après avoir été signées par le Roi. L'expédition devenait fréquemment minute. Arch. Guerre, XXIV et suiv. — Aff. Étrang., t. 796, f. 324 ; t. 811, f. 26 ; t. 1,669, f. 99. — Lettres et papiers d'Etat, IV, 678.

[7] Aff. Étrang., t. 1,669, f. 119.

[8] Il suffit de citer M. CAILLET (L'administration en France sous le ministère de Richelieu, p. 44 et suiv.), M. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE, M. DE BOISLISLE (Les chevauchées d'un maître des requêtes en Provence, 1556), savante dissertation qui fixe les débuts des missions provinciales confiées aux officiers de justice, enfin l'intéressant ouvrage de M. G. HANOTAUX (Origine de l'institution des intendants des provinces), contenant nombre d'instructions, de commissions et de pouvoirs des personnages qui furent investis de ces fonctions jusqu'à l'année 1634.

[9] V. ISAMBERT, Recueil des anciennes lois (Louis XIII, p. 442). Il en fut de même d'un autre édit, de septembre 1638, créant un intendant de justice en chacune élection", qui devait s'occuper exclusivement des procès financiers. — Dans le Plumitif de la Chambre des comptes, P. 2,762, f. 39, Jacques de Mesmes est appelé président et intendant du bureau des finances de Paris.

[10] Aff. Étrang., t. 794, f. 18. — Mss. Franc. (Bib. nat.), 18,510, f. 61.

[11] Règlement sur le sel, du 21 octobre 1623. — Arch. dép. de Lot-et-Garonne, B. 14 ; de la Somme, B. 17. — Arch. com. de Nîmes, DD. 4. — BENOÎT, Hist. de l'Édit de Nantes, II, 111. — Lettres et papiers d'État, I, 621. — Mémoires de RICHELIEU, I, 466 ; de BASSOMPIERRE, 98. — Arrêt du Conseil d'État du 16 juillet 1620. — On voit assez souvent des conseillers d'État envoyés en mission, pour une besogne déterminée, mais sans avoir qualité d'intendants.

[12] Voyez à l'Appendice la liste des intendants de province.

[13] RICHELIEU, Mémoires, II, 454. — Aff. Étrang., t. 785, f. 134.

[14] Testament politique, t. I, p. 210. — Voyez l'ouvrage de M. Hanotaux, cité plus haut.

[15] En fait d'impôts au-dessus des élus, dit M. CLAMAGERAN (Histoire de l'impôt, II, 504), il y avait le bureau de la Généralité ; au-dessus de la généralité la cour des aides ; au-dessus des intendants il n'y avait que le conseil du Roi, c'est-à-dire le ministre même qui les avait nommés, qui peut-être les encourageait dans la voie de l'arbitraire ; conseil, eût pu ajouter M. Clamageran, dont eux-mêmes faisaient partie.

[16] PICOT, Histoire des États Généraux, IV, 24.

[17] Après Bellejammes vint le Sr de Chaulnes, puis le Sr Gamin. Arch. dép. Somme, B. I.9, 23, 24. — Aff. Étrang., t. 802, f. 407.

[18] Arch. Guerre, XIV, 44.

[19] Arch. com. de Toulon, CC. 595 ; de Bourg, BB. 97. — Arch. dép. de Haute-Garonne, C. 714. — Aff. Étrang., t. 1,669, f. 138. — Mémoires du DUC D'ORLÉANS, 594. — FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 556. — CABASSE, Parlement de Provence, II, 131.

[20] Arch. Guerre, XXXI, 119. — Le Parlement prit également parti contre Talon, en cette occurrence, mais il ne donne aucune preuve des faits qu'il avance. Arrêt du Conseil d'État du 21 février 1637. — Aff. Étrang., t. 807, f. 50. — Correspondance de SOURDIS, I, 335. — Arch. Hist. Saintonge et Aunis, VII, 319.

[21] TALLEMANT, VIII, 168. — Aff. Étrang., t. 805, f. 263.

[22] Aff. Étrang., t. 796, f. 8 ; t. 800, f. 72.

[23] FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 484 et suiv.

[24] Testament politique, chap. IV, sect. III.

[25] Aff. Étrang., t. 794, f. 265 ; t. 810, f. 27. — Arch. Guerre, XLIX, 30E. — SÉGRAIS (Mémoires, 37) cite comme un fait étonnant que M. de Choisy ait été intendant de Metz sans avoir été maître des requêtes. Il y a pourtant d'autres cas, mais en petit nombre, et toujours il s'agit de gens qui avaient commencé par être investis de quelque charge de judicature. — LA ROCHE-FLAVIN, Treize livres des parlements, 30. — Jusqu'en 1624, on ne comptait que 56 maîtres des requêtes, ils servaient 14 par quartier, et servaient peu. Le plus souvent il n'y en avait pas un près du Roi ; c'étaient personnes riches qui avaient ces emplois pour l'honneur.

[26] Arrêts du Parlement de Paris 6 mai et 15 juillet 1626. — Arch. Haute-Garonne, B. 456, 497. — TALON, Mémoires, 37, 136, 138. — Remontrances du Parlement (mss. Bib. de l'Université, H. II, 8, f. 205). — FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 496. — HANOTAUX, Les premiers intendants de justice, 136, 146, — BENOIT (Hist. de l'Édit de Nantes, II, 576) se plaint qu'en 1637 les parlements et, a ce qui était le plus surprenant et le plus nouveau, les intendants même faisaient des entreprises sur la juridiction des chambres mi-parties.

[27] Aff. Étrang., t. 813, f. 34 ; t. 1,749, f. 123. — Arch. Guerre, LVI, 244. — CABASSE, Parlement de Provence, II, 203.

[28] RICHELIEU, Mémoires, I, 458 ; III, 132. — Aff. Étrang., t. 813, f. 43. — Arch. Guerre, LVI, 213 ; LXII, 73, 125, 257, 273.

[29] Le titre de subdélégué n'était pas nouveau ; le bureau de finances l'employait depuis longtemps quand il chargeait un de ses membres de quelque fonction temporaire. Arch. dép. Cher, C. 987. — PONTIS, Mémoires, 603.

[30] TALLEMANT (VIII, 145) dit que son cousin se faisait 60.000 livres par an de son intendance en Guyenne. — Règlement du 24 juillet 1638. — Arch. dép. Haute-Garonne, B. 438 ; Bouches-du-Rhône, C. 25, 26.