Les officialités diocésaines. — Maréchaussée, prévôts des maréchaux ; tribunal de la table de marbre. — Chambre des comptes et Cour des aides. — Juridictions diverses : Eaux et forêts ; Cours d'amirauté, des monnaies, des salines ; capitaineries, grand prévôt de l'hôtel. — Conseil privé. — Les tribunaux extraordinaires : grands jours de Poitiers, Chambre de justice contre les financiers. — La justice de Richelieu ; les commissaires. — Arbitraire accepté par la noblesse, repoussé par les parlements. — Maréchal de Marillac.Certaines classes d'individus tels que les soldats ou les prêtres, certaines catégories de procès formant le contentieux financier ou maritime, certains morceaux du territoire comme les grands chemins, les forêts et les maisons royales, étaient soustraits à la justice ordinaire et soumis à des tribunaux spéciaux. Plusieurs de ces exceptions subsistent de nos jours, principalement dans les cas où le gouvernement est pris à partie par les particuliers, auxquels la législation actuelle n'offre pas, à dire vrai, plus de garantie que l'ancienne. Chaque diocèse avait son officialité[1], seule en pouvoir de juger les ecclésiastiques, et dont la juridiction s'étendait sur les clercs, même mariés. Il était toutefois interdit aux officiaux d'emprisonner aucun prêtre sans information et réquisitoire du promoteur[2]. Le tribunal religieux, devant qui les laïques comparaissaient pour tout ce qui touchait au côté sacramentel du mariage, ne connaissait pas seulement des causes spirituelles, puisque nous voyons celui de Mende condamner, pour faux, un notaire à trois ans de prison, et procéder contre un homme marié accusé d'avoir entretenu des rapports criminels avec une femme[3]. Les châtiments ordinaires de l'officialité ne sont pas bien rigoureux : des jeûnes (que personne ne surveille), la récitation des psaumes à genoux, quelques jours de prion. Dans ce code, certaines rigueurs contrastent singulièrement avec certaines indulgences. Le clergé demandait pourtant, aux États de 1614, la permission de condamner aux galères. Le peuple, disait-il, n'est point satisfait des peines spirituelles qui lui sont inconnues[4]. Aux moines États le tiers se plaignit que les juges d'Église étaient souvent des laïques ; il réclama contre le nombre des degrés de la juridiction ecclésiastique, quatre ou cinq parfois avant d'arriver au Pape[5] — reproche qui pouvait s'adresser, comme on l'a vu, à la justice royale. — Il demandait enfin l'expédition des sentences en français. Le clergé de son côté protestait contre les parlements qui ne laissaient exécuter les jugements des prélats qu'après les avoir revus, et au besoin corrigés, qui prétendaient faire la police intérieure de l'officialité, imposaient des choix, s'opposaient à des révocations, etc. ; bref, l'évêque payait cher, par l'invasion de la surveillance civile dans sa juridiction religieuse, l'extension de celle-ci à quelques matières laïques[6]. Comme les gens d'Église, les gens de guerre étaient en
dehors du droit commun. La connaissance des délits militaires, de ceux même
commis par des civils au préjudice des militaires, appartenait aux prévôts
des maréchaux — vice-baillis et vice-sénéchaux, selon les divers noms qu'ils
portent. Supposez la gendarmerie actuelle joignant à ses attributions
multiples une autorité judiciaire, le maréchal des logis ou le lieutenant
condamnant les voleurs ou les meurtriers qu'ils ont arrêtés, prononçant
jusqu'à la peine de mort, et vous aurez une idée assez exacte de la
maréchaussée du dix-septième siècle[7]. Tantôt
l'intendant met les prévôts en queue à
quelque criminel qui mérite la corde, tantôt
le gouvernement leur ordonne de se tenir avec leurs
archers à la suite des soldats qui traversent une province, pour les faire
vivre en bon ordre et discipline, et punir les déserteurs ; tantôt il les fait monter à cheval, les forme en corps de
troupes comme les gendarmes en 1870[8]. La maréchaussée
est hiérarchisée ; dans chaque province elle obéit à un prévôt général,
office sérieux et honorable pour un homme d'épée. La charge de prévôt de
l'Ile-de-France, achetée Les prévôts étant censés lieutenants des maréchaux, c'est à la table de marbre de Paris, cour supérieure, unique même à certains égards[10], qu'ils viennent de tous les coins du royaume prêter serment ; c'est elle qui réforme leurs sentences au nom des connétable et maréchaux de France, selon l'antique formule maintenue jusqu'en 1789, cent cinquante ans après la suppression des connétables[11]. Il ne parait pas que ces robes courtes fussent, dans les bas grades, des personnages exemplaires. Leurs sommaires jugements, les emprisonnements qu'ils font dans leurs domiciles privés, aussi bien que les élargissements arbitraires qu'ils ordonnent sont l'objet de vives critiques. Il faudrait pour les grands jours, dit Talon, un ou deux prévôts des maréchaux, gens de bien s'il s'en trouve[12]. Soi-disant pour appuyer et fortifier ces officiers, lesquels, épars comme ils sont, pourraient s'altérer, mais en réalité pour avoir quelques charges à vendre, l'État songea à créer quatre visiteurs généraux qui, assistés d'un tribunal ambulant et de vingt-cinq archers, auraient parcouru les provinces donnant avis de tout ce qu'ils apprendraient contre le service du Roi[13]. Ces projets, fort peu viables, demeurèrent enfouis dans les portefeuilles du premier ministre. Notre territoire regorgeait déjà de magistrats : les bois
royaux, les rivières et les moulins, avaient pour juges les grands maîtres enquêteurs des eaux et forêts avec
le cortège ordinaire de lieutenant, procureur et sergents[14]. S'il s'agissait
d'un délit de chasse, c'était à la capitainerie d'en connaître. Les faits
maritimes étaient de la compétence exclusive des sièges d'amirauté, une cour souveraine des Salines établie à Nous ne comprenons pas dans cette catégorie ces tribunaux
exceptionnels, chargés d'une mission temporaire : les Grands Jours de
Poitiers ou Il en était de même des Grands Jours, tenus à Poitiers
pendant cinq mois de l'année 1634. Les seize conseillers du parlement de
Paris qui constituèrent ce tribunal avaient, avant de quitter la capitale,
pris soin pour ne pas manquer de besogne d'enjoindre aux baillis d'informer en toute diligence des meurtres, assassinats,
voleries, rapts, enlèvements, violements de filles et femmes, levées de
deniers, etc. Ces vagues arrêts, ayant en vue une
lessive générale de l'arriéré, n'eurent qu'un mince résultat. On
n'offrit aux juges quand ils arrivèrent qu'un menu fretin ramassé pour la
circonstance. Après une réception splendide — le gouverneur de Poitiers était
venu à la rencontre de la cour dans la forêt de Châtellerault accompagné de
trois à quatre cents gentilshommes, les plus lestes,
les mieux montés et équipés de la province — après force compliments
et civilités, lorsque les affaires furent
échauffées, chacun songea à s'en retourner. D'ailleurs les captures, dans
lesquelles consistait la principale utilité de l'affaire, dépendaient des
prévôts, gens corrompus et sans foi[21]. Magistrats,
avocats, prévenus surtout, s'éclipsèrent par conséquent de bonne heure. En
une autre circonstance, le cardinal avait institué des juges spéciaux pour
confisquer les biens de ceux qui adhéraient aux
Anglais et aux rebelles de Il n'en fut pas ainsi des commissions politiques, dont le
caractère partial et agressif justifia la colère des contemporains, comme il
a mérité la réprobation de la postérité. En respectant ce cours ordinaire de la justice dont il parle avec
éloge, lorsqu'il s'en sert, Richelieu eût obtenu la condamnation de ceux de
ses ennemis qui étaient vraiment coupables ; quant à ceux qui étaient
innocents et qui eussent été acquittés, l'homme d'État eût épargné à sa
mémoire la tache de leur sang injustement répandu. L'archevêque de Toulouse,
Montchal, raconte que Son Éminence aurait demandé au Pape un bref permettant de faire mourir sans forme de procès des personnes
en prison, quoiqu'il n'y eut preuve concluante contre eux, ni assez de
charges pour les condamner[23]... Les
assertions de ce prélat, adversaire déclaré de Richelieu, ne peuvent être
admises qu'avec réserve ; niais la conduite et le langage du cardinal les
rendent vraisemblables. Aussi souple que personne à l'occasion, comédien
parfait, si l'on en croit Un coupable puni est un exemple
pour la canaille, un innocent condamné est l'affaire de tous les honnêtes
riens. Ce mot de |
[1] Composée d'un official, d'un lieutenant, d'un promoteur et d'un greffier. Comme seigneur féodal le prélat a, de plus, un tribunal laïc. — En Provence, les contestations survenant entre le clergé et les seigneurs feudataires étaient l'objet d'une enquête devant l'évêque du diocèse et un gentilhomme nommé par le corps de la noblesse, qui statuaient de concert. Arch. Bouches-du-Rhône, C. 107.
[2]
Arrêt du Parlement 15 juillet 1632. — Arch. Aube, G. 136. — Aff. Étrang., t.
[3] Arch. Lozère, G. 930. — BASSOMPIERRE, Mémoires, 77. — Pour les Mariages, v. notre t. I.
[4]
Arch. Sarthe, G. 489. — PICOT,
États Généraux, III, 492, 494,
[5] En principe, trois décisions conformes valaient une décision souveraine.
[6] Règlement du 14 avril 1636. — Déclaration du 28 septembre 1637. — Arch. Haute-Garonne, B. 508.
[7] Chaque siège avait un prévôt des maréchaux, lieutenant, assesseur, procureur, exempt, greffier, commissaire, contrôleur du commissaire et huit archers. Édit de janvier 1638. — Arrêt du conseil privé du 24 mars 1623.
[8]
Arch. Guerre, XXIV, 170, 171 ; XXXII, 55, 163. — Aff. Étrang., t.
[9]
Déclaration du 2 août 1634. — TALLEMANT, X, 218. — Aff. Étrang., t.
[10] Il y avait une table de marbre à Rouen, et en 1641 il en fut institué une à Dijon à l'instar de Paris, mais l'une et l'autre n'avaient qu'une autorité maritime et forestière. Arch. com. Avallon, FF. 3.
[11]
Arch. dép. Lot-et-Garonne B. 12. — DANIEL, Hist. de
[12]
TALON, Mémoires,
40. — Arrêts du Parlement du 22 janvier 1624, du grand conseil du 29 juillet
1632. — Déclaration du 22 avril 1636. Quelques-uns de ces offices avaient des
propriétaires qui n'exerçaient pas ; ainsi Marillac fut jusqu'à sa mort prévôt
de Montfaucon en Argonne. Aff. Étrang., t.
[13]
Aff. Étrang., t.
[14] Arrêt du conseil privé, 15 avril 1636. — Déclaration du 9 juillet 1622.
[15] Arrêt du Parlement 17 avril 1635 (conseils d'amirauté). — Édit de décembre 1639. — Mss Godefroy CLXI. La création de la cour des Salines rapporta 50.000 écus au trésor. Elle fut supprimée en 1643. Sur la cour des Monnaies, v. notre t. I, et Édits de juin 1635, de novembre 1641. — Arch. nat. KK. 201.
[16]
Arrêt du conseil privé du 22 septembre 1627. — Aff. Étrang., t. 812, t. 230. Le
grand prévôt de l'hôtel ne relevait que du grand conseil. Cette charge fut
vendue (1643)
[17]
V. l'Introduction de M. DE
BOISLISLE aux Pièces
justificatives de l'histoire des premiers présidents de
[18] Arrêt du 6 mars 1630. Il y avait, outre celle de Paris, 4 cours des aides à l'avènement de Louis XIII : à Rouen, Clermont-Ferrand, Bordeaux et Montpellier. De plus les Chambres des comptes de Dijon et Aix, les parlements de Grenoble, Rennes, Metz et Pau avaient dans leur ressort compétence de cour des aides, comme aujourd'hui les tribunaux civils sur les matières commerciales, là ois il n'existe pas de tribunal de commerce. On établit, sous le ministère de Richelieu, les cours de Vienne (en Dauphiné), de Cahors, d'Agen, de Lyon et de Caen. Ces deux dernières furent supprimées peu après.
[19] V. à ce sujet notre t. I, Le conseil d'État.
[20]
On voit aux Aff. Étrang., t. 778 passim et
[21]
TALON, Mémoires,
35, 39. Talon remplissait la fonction d'avocat général aux grands jours. — Édit
de février 1631. Le ressort de la cour s'étendait sur
[22] Le tiers état en 1614, les notables en 1627, demandent la tenue des grands jours dans les provinces les plus éloignées, tous les deux ou trois ans. Ils repoussent la proposition, faite par Richelieu conformément au vœu de l'assemblée de 1617, d'une chambre ambulatoire et permanente. PICOT, États Généraux, IV, 23, 31.
[23]
Mémoires, I, 19. — Montchal affirme que Souvré, évêque d'Auxerre, tenait le
fait du nonce Bagni. Nous voyons proscrire des particuliers que selon l'état des procédures, il y aurait peine à mettre
en procès devant les juges. Aff. Étrang., t.
[24]
Lettres et papiers d'État, V, 308. — TALLEMANT, II, 163, 194. — Les commissaires, quand ils ne vont
pas assez vite sont accusés de favoriser les coupables,
et deviennent suspects à leur tour. Aff. Étrang., t.
[25]
Aff. Étrang., t.
[26]
Aff. Étrang., t.
[27]
Catherine de Melun, Dc de Marillac. Mon cher cœur,
lui écrit-il, recherchez la permission de me voir, car
là nous serait une extrême consolation à l'un et à l'autre. J'en ai de grandes
de la part de Dieu (j'espère qu'il en sera autant de vous), sans cela je ne
serais plus du nombre des vivants, car jamais prison ne fut plus dure que la
mienne, toujours malade et tenu si serré... Je
vous aimerai toute ma vie plus que moi-même. Aucune de ces lettres —
elles sont fort nombreuses — ne fut remise à leur adresse. On avait ordonné au
maréchal de les faire passer par Bouthillier, à qui il les envoyait, et qui,
sans doute, les garda, puisqu'elles se retrouvent toutes dans les papiers de
Richelieu. Il est navrant de voir le prisonnier continuer à écrire, même après
la mort de sa femme, qu'on lui cache. Peut-être espérait-on surprendre quelque
confidence utile à l'accusation. Aff. Étrang., t.
[28]
Aff. Étrang., t. 799 et 800. — Marillac était si peu au courant qu'il espère que