Leurs membres ; autorité, attributions, immunités. — Devoirs et obligations. — Gages des magistrats ; prix des offices. — Position sociale, la noblesse de robe. — Nominations et réceptions. — Examens, leur peu de valeur. — Hiérarchie judiciaire ; préséance des membres d'un parlement entre eux ; le chancelier. — Ressort des Cours ; créations d'offices nouveaux. — Audiences et vacations ; les palais de justice centres de vie locale. — Esprit judiciaire ; l'égalité devant la loi. — Relations avec le Roi et le ministère.Juger, en France, jusqu'à Richelieu, c'était aussi administrer et presque légiférer. Exerçant à des degrés divers le triple pouvoir exécutif, législatif et judiciaire, soit qu'ils en fussent régulièrement investis, soit qu'ils l'aient usurpé, les juges gouvernaient le pays. Cette confusion, contraire au bon ordre moderne, était le fondement d'une certaine liberté politique et civile. Des magistrats ne gouvernent pas de la même façon que des fonctionnaires, surtout si ces magistrats sont sans exception, inamovibles, et presque tous héréditaires. L'absolutisme trouve quelque sorte de correctif dans sa durée même ; les traditions du corps formaient un contrepoids permanent à l'extrême autorité du juge. Cette autorité à son tour balançait naturellement l'arbitraire royal. De tout cela résultait la monarchie tempérée que nous avons décrite. En étudiant la part de collaboration des Cours souveraines à la confection de la loi, l'histoire s'est trop préoccupée de certains édits politiques ou fiscaux que les ministres tenaient absolument à faire passer ; ce sont là les conflits, et en cas de conflit le souverain avait presque toujours le dernier mot. Mais, si l'on recherchait une à une la masse des ordonnances, déclarations et autres décisions royales, et que l'on vit ce qu'en pratique elles étaient devenues, on s'apercevrait que les parlements amendaient, abrogeaient et interprétaient à leur guise, sans que le pouvoir central intervint, soit qu'il l'ignorât, soit qu'il laissât faire. Aussi faut-il, pour parler de l'état légal du pays, savoir, non pas la loi, mais la jurisprudence. Grande difficulté, parce que si la loi est simple et générale, l'usage est multiple et changeant. Les lois n'étaient pas toutes appliquées ; celles qui l'étaient ne l'étaient pas partout, ni dans leur entier. On observait tel article et non tel autre. Par contre, des usages qui n'étaient codifiés nulle part, avaient force de loi en beaucoup de tribunaux. Comme il n'était pas d'endroit où la justice ne pénétrât, pas de choses dont elle ne se mêlât, pas de gens sur lesquels elle ne prétendît avoir juridiction, elle remplissait le rôle de ce qu'on nomme : l'Administration[1]. Ainsi l'officier de justice d'autrefois, depuis nos seigneurs du parlement de Paris, jusqu'au bailli seigneurial enfoncé dans les boues du plus modeste village, ne ressemble guère que par la robe au magistrat actuel, dépouillé par l'institution du jury de la justice criminelle, étroitement borné en matière civile par des textes précis, dépendant d'un ministre qui distribue l'avancement, et, s'il appartient aux parquets, simple agent soumis aux fluctuations des partis. L'œuvre de la monarchie absolue consista à retirer aux juges presque tout pouvoir législatif, pour le maintenir au Roi seul, et à les dépouiller de l'autorité administrative pour la confier à des serviteurs amovibles : les intendants. Quant aux attributions judiciaires, Richelieu, sans porter la main sur l'organisation existante, créa une justice à côté : les commissaires. Par cette révolution peu bruyante mais très-profonde, le pouvoir royal, sans se modifier dans la forme, se trouva au fond tout autre... Malgré les imperfections de sa procédure, l'exagération de ses châtiments, l'impuissance de sa police et l'anarchie de ses juridictions, la haute magistrature s'offre à nos veux, au dix-septième siècle, avec une dignité qui commande le respect. Les hommes qui la composent ont un vif sentiment de la sainteté de leur profession. Il s'en faut peu que la religion et la justice n'aillent de pair, et que la magistrature ne consacre les hommes comme la prêtrise. L'homme de robe ne saurait guère danser au bal, paraitre aux théâtres, renoncer aux habits simples et modestes, sans consentir à son propre avilissement. La soutane qu'il porte est celle du clergé, avec cette nuance que souvent le clergé la délaisse, tandis que le plus frivole des jeunes conseillers ne peut s'en affranchir. Qu'il soit de robe longue ou courte, tout autre costume est pour lui indécent[2]. Le bon magistrat doit être intègre et sobre[3], ne point jouer ni chasser, n'être ni parfumé ni teint, ne point rire d'une manière immodérée, ne point parler de choses légères. Il est impossible d'ailleurs, conclut celui qui trace ces préceptes, de trouver un parfait magistrat. Néanmoins plus d'un personnage ressemble au modèle, et monte à son siège comme à un autel. En retour de tout ce qu'on exige d'eux, les membres du Parlement jouissent d'une situation hors de pair : Commis par le loi, dit au Dauphin le premier président de Rouen, et assis en son lieu pour exercer sa principale fonction, qui est de rendre la justice, nous portons ses robes, ses manteaux et ses mortiers, habillements et couronnes des anciens rois ; nous séons en ces places si respectées que les princes du sang même, enfants des souverains dont nous sommes les très-humbles sujets, nous les cèdent par honneur... Ceux qui prononcent les arrêts sont assis au-dessous de l'image de Dieu[4]. Ils sont inviolables ; leurs actes font preuve ; ils s'anoblissent eux et leurs familles par leurs charges ; ils ne peuvent être jugés que par leurs pairs. A Aix ceux du Parlement sont respectés comme des Rois ; selon l'ancienne coutume qu'ils conservent de se faire conduire au palais par leurs clients, tel conseiller sera parfois accompagné de cinq à six cents personnes. A Dijon, les magistrats sont qualifiés dans les actes d'État civil de hauts et puissants seigneurs. Les présidents, en voyage, sont complimentés par les corps de judicature partout où ils s'arrêtent ; les simples conseillers sont salués par les autorités locales, on leur offre le pain et le vin d'honneur. Quant à Monsieur le premier qui tient dans la province le timon de la justice, c'est tambour battant et enseignes déployées que les jeunes gens vont au-devant de lui, c'est au bruit des canonnades, et en passant sous des arcs de triomphe à ses armes, qu'il se rend à son hôtel. Et ces honneurs qui l'accueillent à son arrivée dans sa capitale, lorsqu'il vient prendre possession de son poste, se renouvellent, quoique avec moins de pompe, lorsqu'il revient après une absence un peu longue ; on lui fait la petite entrée[5]. Pécuniairement la situation était moins brillante ; les
charges coûtaient cher et les gages étaient modestes. Comparons le capital
représenté par les offices aux appointements, pensions, profits directs ou
indirects qu'on en retirait, nous verrons qu'ils ne rapportent pas plus de 5
à 6 pour 100 dans les parlements ; par conséquent le magistrat n'était pour
ainsi dire pas payé, puisque s'il était rentré dans la vie privée, le prix de
vente de sa charge lui eût procuré le même revenu qu'auparavant. Une place de
conseiller au Parlement qui valait 40.000 écus en 1635, et 55.000 vers 1656,
était de Les menues indemnités qu'on leur alloue — à Gassion,
président de chambre en Béarn, Comme au temps passé sur des mules, Avec un clerc, et sans laquais... si, dès le début du ministère de Richelieu, il n'y a juge qui n'ait sa porte cochère, un on deux carrosses,
six chevaux à l'écurie, doubles palefreniers, quatre laquais, deux valets de
chambre, outre le train de Mademoiselle (sa
femme) qui est égal ; ce n'est pas que
les emplois judiciaires soient devenus plus lucratifs qu'ils ne l'étaient
jadis, c'est que leur obtention à prix d'or est le but de presque tous les
détenteurs roturiers de la fortune publique[10]. Les Parlements,
sauf celui d'Aix, où figurent les grands noms de Provence, les Forbin,
Grimaldi, Foresta, Villeneuve, Coriolis, Sabran, etc., et celui de Rennes, où
les plus vieilles races du pays étaient représentées, et où l'égalité entre
la toge et les armes avait existé dès le début, les Parlements se composaient
exclusivement des familles de haute bourgeoisie : Faucon de Ris à Rouen, de
Gourgues à Bordeaux, Le Goux de Noblesse de robe, très-accessible et plus élastique que la noblesse militaire. Cette caste nouvelle ne se recrutait — c'était son défaut — que de familles ayant fait dans la richesse ou l'aisance un stage d'une génération au moins ; elle n'acceptait qu'avec une extrême répugnance un ancien marchand, et repoussait tout net les fils de personnes viles et abjectes comme sergents, boucliers ou ravaudeurs, quoique plusieurs papes et empereurs, remarque gravement un magistrat du temps, n'aient pas été de meilleure extraction. Socialement parlant, les gens de robe formaient un monde à part, supérieur à la ville, inférieur à la cour, où du reste ils ne tiennent pas plus à aller qu'on ne désire les y voir. Courtisans et parlementaires ont peu de contact ; dans les rares occasions où ils se rencontrent, au bal chez le chancelier par exemple, ces derniers sont mal à l'aise ; leurs femmes, par l'absence de ce je ne sais quoi de grâce et d'entregent que donne le grand monde, par l'air et par l'allure seraient prises volontiers pour les filles de chambre des dames de la cour[12]. Deux abus monstrueux en eux-mêmes : la vénalité des
charges d'abord, leur hérédité ensuite, firent la force et la grandeur des
corps judiciaires pendant deux cents ans. Nous avons dit ce que nous pensions
de la vénalité ; il est certain que durant cent ans — de 1515 à 1615 — elle
fut honnie ; le roi qui l'inventa, François Ier, se défendait toujours de
vendre les offices ; c'était, disait-il, un prêt qu'on lui faisait, et qu'il
rembourserait plus tard. Le remboursement ne fut opéré qu'en 1790. Par L'examen auquel étaient soumis les fils de juges reçus en
survivance, aussi bien que les acquéreurs étrangers, était, il faut en
convenir, une chose tout à fait nulle. Déjà l'Hôpital remarquait que l'on
n'interrogeait que sur des choses triviales.
On faisait mainte plaisanterie au sujet de ces examens ; l'un fut reçu,
dit-on, grâce à ce seul vocable : Quanquam,
qu'on lui avait appris, l'autre dut son succès à l'emploi judicieux du mot distinguo. Bien qu'il fallût répondre en latin,
bien que l'on pût être interrogé sur une foule de matières à la fortuite ouverture du livre sur chaque volume du
droit, le candidat pipe assez ordinairement
la loi, c'est-à-dire qu'il choisit en présence de M. le Premier
président celle sur qui il paraît tomber par hasard[16]. La satire
s'applique assez bien aux membres des tribunaux inférieurs, médiocrement
instruits pour la plupart ; mais elle n'atteint pas la haute magistrature,
peuplée de personnages dont l'érudition aussi profonde qu'étendue, attestée
par si grand nombre de travaux, défie presque l'émulation de leurs modernes
successeurs. Jamais on n'était refusé pour incapacité — on n'en trouverait
pas trois exemples sous Louis XIII — mais on l'était parfois pour défaut de
moralité ou d'âge. On se moqua beaucoup des trop jeunes conseillers, nommés
au Parlement de Metz lors de sa création (1633).
Jodelet, l'acteur du Marais, vendit des barbes à leur usage à la grande joie
de la galerie. L'opinion exige que l'on ait fait quelque temps fonction
d'avocat, porté la robe au palais, avant d'être
admis à un office, comme elle tient à ce qu'on ait manié le mousquet comme
volontaire, avant de commander une compagnie. Avocat vingt et un ans,
d'Expilly est substitut à vingt-quatre, procureur général à Les premiers présidents, en effet, étaient les seuls magistrats nommés par le Roi. L'usage autorisait quelques cours à dresser une liste de trois noms[18], mais pour la plupart des ressorts, pour Paris notamment, le ministère désignait à sa guise. La politique et les influences jouaient naturellement grand rôle dans ces nominations, niais on comptait avec l'opinion publique. On ne pouvait confier au premier venu le soin de diriger une assemblée de juges héréditaires, à laquelle obéissait une province. Plus le poste est grand, plus est restreint le nombre des candidats possibles. Quelle affaire que de choisir le P. P. du Parlement de Paris ; il faut contenter le barreau, le parquet, les anciens collègues, les gens de lettres, la ville et la cour ! Celui-ci est d'entière probité, cet autre d'éminent savoir, celui-là a bruit d'être de très-bon sens, mais non de grande littérature. Comme ces premiers de cours souveraines, quoique représentants de la volonté royale sont inamovibles — on ne citerait en plusieurs siècles que trois ou quatre premiers présidents interdits de leur fonction[19], — ils n'ont pas de peine à reprendre, une fois installés, la portion de leur indépendance qu'ils avaient peut-être aliénée pour parvenir. L'histoire de leurs rapports avec le gouvernement le prouve assez[20] Quant à ceux qu'on nommait les gens du Roi : les deux avocats généraux, et un peu au-dessous d'eux le procureur général, leur élévation toute récente — un siècle avant, le greffier en chef les précédait encore aux cérémonies publiques — ne va pas jusqu'à les mettre sur la même ligne que les présidents aux enquêtes ou requêtes, lesquels ne sont eux-mêmes rien de plus, comme rang, que les conseillers de la grand'chambre. Souvent rivaux, en tout cas indépendants les uns des autres : procureur général pour la plume, avocats généraux pour la parole, les membres des parquets d'alors ne ressemblent en rien à la magistrature dite debout, et effectivement peu stable d'aujourd'hui. Ils sont propriétaires de leurs charges comme leurs collègues assis, et, comme les avocats ordinaires, plaident si bon leur semble pour les particuliers[21]. Quoique le premier avocat général passe pour le maitre du parquet, la charte des gens du Roi est que quand l'un d'eux parle, ses collègues se lèvent en même temps que lui, et se découvrent avec lui, pour marquer que sou avis doit être regardé comme leur avis commun[22]. L'autorité des parlements est collective, non individuelle ; la conduite des affaires appartient à la communauté. Ces premiers présidents qui vont par la ville en robe rouge, s'agenouillent à l'église sur un coussin d'écarlate, et font placer après eux, en séance, les fils du Roi eux-mêmes, écrivent à leurs collègues en corps : Messeigneurs, ou Nos très-honorés seigneurs et frères, tandis que le Parlement leur répond : Monsieur ou Notre très-cher sieur et frère[23]. C'est le Parlement en effet : les fiers présidents à mortier dont on prend l'avis tête nue[24], les respectables conseillers de la grand'chambre à laquelle les autres doivent porter révérence et honneur, les maîtres des requêtes inspecteurs des justices secondaires, les ardents et jeunes membres des enquêtes, qui possèdent en commun cette juridiction, contestée peut-être, mais si vaste, dont jouit la cour souveraine[25] Le chancelier, premier magistrat du royaume, n'eût jamais pensé gouverner ses confrères[26], comme un ministre de la justice, depuis le premier Empire, mène son personnel. Duvair et Marillac prient les parlements de Rouen et d'Aix de les assister de leurs sages avis et conseils ; ce sont des rapports de président à collègues, non de chef à subordonnés. Et pourtant ce garde des sceaux qui donne aux actes de la puissance royale, par l'apposition de la cire verte ou jaune, le caractère authentique dont aucune signature ne saurait tenir lieu[27], est le pivot de toute l'administration. Le conseil d'État se réunit indifféremment au Louvre ou chez lui, sa rue est sans cesse obstruée de longues files de carrosses influents, à la portière desquels s'accrochent des grappes de tenaces solliciteurs. Quoique nous n'ayons jamais rien
eu en plus singulière recommandation que d'abolir en notre royaume la
vénalité des offices, et supprimer par mort le nombre excessif de nos
officiers, il est arrivé par divers troubles... que non : n'avons pas été seulement traversés en l'exécution
de ce louable dessein, mais encore contraints eu diverses occurrences d'en
augmenter le chiffre... L'édit de 1630, qui débutait en ces termes,
avait pour objet la création de nouvelles charges judiciaires ; il ne fut pas
le seul. La multiplication des juges était une conséquence indirecte de la
multiplication des soldats. L'argent qu'on tirait des uns passait à payer les
autres. Au lieu de réduire le Parlement de Paris aux cent magistrats qu'il
avait sous Louis XII, comme on en eut un moment le projet, on lui adjoignit
plusieurs fois de nouveaux membres, si bien qu'à la mort de Richelieu il
comptait deux cents conseillers, cinquante-six maîtres des requêtes, quatorze
présidents de chambre et sept présidents à mortier[28]. Ce nombre est
considérable si on le compare à l'état de la magistrature actuelle. Le Parlement
de Paris comprenait dans son ressort trente et un de nos départements, et
joignait à des attributions plus étendues que celles de nos Cours d'appel,
celles de Il n'y a pas, dit un
voyageur anglais, de sessions à Paris comme à
Londres (mot qui prouve entre parenthèses combien s'identifiaient, dans
l'esprit des étrangers, les deux parlements de France et d'Angleterre), mais une seule session non interrompue, excepté pendant
le temps des vendanges, de sorte que toute l'année les gens de loi se
réunissent au palais pour discuter les affaires[33]. Les vacances — vacations en style judiciaire — étaient plus ou
moins longues selon les cours, depuis Aix qui rentrait le 2 octobre, jusqu'à
Pau qui ne recommençait à siéger que le 1er décembre[34]. Pendant l'année
chaque compagnie avait ses fêtes particulières et ses anniversaires chômés :
une dizaine à Paris, une quarantaine à Toulouse. Par ordonnance de Charles
Vil était enjoint aux gens de justice de venir au palais incontinent que six heures seront sonnées, ou au moins
dans un quart d'heure après. Sous Louis XIII, où beaucoup d'hommes
d'affaires donnent leurs rendez-vous entre six et sept heures du matin, où
l'on peut faire des visites aux dames dès huit heures dans l'intimité, les
-juges ne sont plus cependant aussi matinaux. Les audiences ont lieu de huit
à dix heures du matin depuis Le prétoire — le plaid
— n'est pas seulement le centre de la vie politique, commerciale et mondaine,
il est le foyer d'un sentiment généreux : l'amour de la loi, la volonté de
rendre tous les citoyens égaux devant elle. Dans l'enclos du palais toute
distinction cesse, toute juridiction étrangère disparaît ; ici, l'évêque doit
cacher sa croix et le gentilhomme ôter ses éperons. Tout individu qui
introduirait des gens armés dans cette enceinte commettrait un crime[36]. Devant les
magistrats un prince de maison souveraine déposait comme un simple
particulier. Le prince de Condé, quoique chef du conseil royal, est forcé,
dans une instance qu'il soutient au Parlement, de subir un curateur, parce
qu'il n'a pas encore atteint sa majorité. Le comte de Sault, lieutenant du
Roi en Dauphiné, ayant comme tel séance au-dessus du doyen du Parlement, est
obligé pour exposer sa plainte, en un procès, d'aller se confondre à la barre
dans la foule des justiciables. Sont-ils accusés ? les plus grands personnages
sont ouïs sur un escabeau, tels que les
prévenus ordinaires ; et que leur posture soit modeste, qu'ils ne mettent pas
le poing sur la banche, et n'avancent pas un pied plus que l'autre ! les
juges ne souffrent aucune affectation d'insouciance. Ils envoient à la
conciergerie pour lui faire abattre les cheveux et
la barbe, un seigneur qui durant son interrogatoire avait plusieurs
fois retroussé sa moustache[37]. Les reines,
dans leurs affaires privées, sont soumises aux formes de la justice ; leurs
créanciers peuvent les poursuivre ; ceux de la reine Marguerite ne s'en
firent pas faute, et l'esprit gouailleur d'alors s'en amusa. Marie de Médicis
étant régente de France, plaida contre divers particuliers tant à Quand Il est une autre vertu qu'on ne peut refuser aux parlements : l'esprit de bon ordre, le loyalisme ; ils sont vraiment nationaux et conservateurs. Quelle ardeur contre les ennemis de l'État ! Louis XIII s'adresse à eux avec confiance pour obtenir des arrêts contre les États de Languedoc qui ont trempé dans la révolte de Montmorency, contre l'archiduc au sujet de la mouvance du comté de Saint-Pol, contre le duc de Lorraine pour ce qu'il nomme le rapt commis en la personne du duc d'Orléans, à l'occasion de son second mariage. Le même souverain n'a-t-il pas mauvaise grâce ensuite à menacer quelques magistrats qui lui résistent de les envoyer dans une compagnie de mousquetaires pour y apprendre l'obéissance[40] ? Ces parlementaires dont la doctrine politique se peut résumer en cette phrase d'une harangue de l'un d'eux : Sire, votre peuple vous doit tout, et vous lui devez justice ! idée qui revient sans cesse dans leurs rapports avec le pouvoir royal, ces parlementaires n'avaient peut-être pas la piété monarchique de Richelieu, qui ôtait son bonnet toutes les fois qu'en public il prononçait le nom de Sa Majesté, mais tout en critiquant le gouvernement, ils ne cessaient de l'aimer[41]. Qu'on nous permette, sur cette opposition si dynastique, l'observation suivante : les historiens indulgents aux parlements du dix-septième siècle sont précisément les amis de la royauté. Les plus sévères pour les cours souveraines sont les adversaires déclarés de la forme monarchique, qu'ils ne veulent pas voir améliorer mais détruire : les révolutionnaires de droit divin. FIN DU TOME TROISIÈME |
[1] Nous le verrons à l'Administration provinciale. Tome IV.
[2]
FLOQUET, Parlement
de Normandie, IV, 29, 221. —
[3]
Il faut que le magistrat ressemble à l'olive, qui hait
l'odeur, l'ombre et le voisinage de la vigne.
[4] FLOQUET, Parlement de Normandie, I, 479. Les parlements, y compris celui de Paris, siégeaient presque tous dans les anciens palais des souverains. Celui de Toulouse était installé au château Narbonnais, ancienne demeure des comtes de Toulouse, on, disait-on, les magistrats romains avaient rendu la justice. DE BASTARD, Parlements de France, I, 185. — Par la formule de jugement : Notre dite Cour, le Roi, bien que son nom ne fût pas mentionné, semblait prononcer lui-même l'arrêt.
[5]
[6]
TALLEMANT, VIII,
182. — Aff. Étrang., t.
[7] A Rouen, plusieurs conseillers abusent du droit de faire entrer du vin en franchise, dont ils n'auraient dû profiter que polir leur consommation personnelle. En 1635, il entre sous le nom des privilégiés jusques à 13.000 pièces de vin. Tel en faisait venir 500 pièces qu'il vendait en fraude. FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 481. — DE BEAUREPAIRE, États de Normandie, année 1614.
[8]
En 1641, elle montait à
[9]
Arch. Basses-Pyrénées, B. 178, 321, 348. On donne
[10]
SAVARY, Le
parfait négociant, I, 336. — FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 306. — E. FOURNIER, Variétés
historiques, III, 47. Au XVIe siècle l'homme le plus riche s'appelait milsoudier, c'est-à-dire qu'il pouvait dépenser
[11] DE CARNÉ, États de Bretagne, I, 110.
[12]
FAUGÈRE, Journal
d'un voyage à Paris en 1657, p. 411. —
[13]
A propos d'une capitulation du Parlement devant le ministère, Morgues de
Saint-Germain (ce correcteur d'imprimerie, devenu curé, puis libelliste) dit : Le Parlement n'a pas été retenu par la belle Astrée, mais
par la belle Paulette. Aff. Étrang., t.
[14]
Les offices nouvellement créés dans les parlements ne sont pas vendus en bloc,
à un partisan, comme les autres charges. Le Roi les écoule directement ;
parfois il les laisse au rabais à un personnage qu'il veut obliger.
L'historiographe Dupleix avait ainsi reçu une partie
de la finance d’une place de conseiller au Parlement de Bordeaux. Aff.
Etrang., t.
[15]
Aff. Étrang., t.
[16]
Arch. Lot-et-Garonne, B, 15. — TALLEMANT, X, 32. —
[17]
Ce fut le cas de Le Goux de
[18]
A Toulouse par exemple ; mais le souverain conservait le droit de prendre le
titulaire en dehors de cette liste, pour certaines
considérations provenant du temps. Aff. Étrang., t.
[19]
Richelieu n'en a pas trouvé d'autre que le Sr Léger qui, sous Henri II, fut
déposé et fait abbé de Saint-Victor, pour s'être
émancipé de parler au Roi, en une harangue, plus licencieusement qu'il ne
devait. Aff. Étrang., t.
[20]
Quoique n'étant pas vénaux en principe, les offices de R. P. l'étaient devenus
presque partout, en fait. Le Roi permit au P. P. de Harlay, qui se retira en
1611, de recevoir de son successeur une certaine récompense.
Une fois le précédent créé, tous les titulaires en obtinrent autant par la
suite. Le Roi fixait lui-même la somme que le nouveau pourvu devait payer aux
héritiers de son prédécesseur :
[21]
Lettres et papiers d'État, I, 612. —
[22] Voyez dans l'Hist. du Parlement de Normandie, par FLOQUET (IV, 285), les querelles de l'avocat général du Vicquet avec le procureur général Le Jumel qui vont jusqu'à s'injurier dans une audience solennelle. — Le procureur général choisissait toujours ses substituts comme bon lui semblait.
[23]
Le P. P. termine ses lettres au Parlement par : Votre
très-obéissant serviteur et frère. Le Parlement termine les siennes
au P. P. par : Les gens tenant le parlement du Roi,
vos frères. Aff. Etrang., t.
[24]
Les présidents à mortier prenaient rang au-dessus des ducs et pairs, tandis
qu'à la chambre haute d'Angleterre (1643) les juges
qui y avaient séance étaient assis aux bas sièges, pour voir ordonner ce qu'il
plairait aux lords, et donner leur avis, s'ils en étaient requis.
[25] Étienne PASQUIER, Recherches, liv. II, chap. lu. — FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 287 ; CABASSE, Parlement de Provence, II, 176 ; DE BASTARD, Parlement de France, I, 156 ; II, 93. — Le P. P. du Parlement de Paris est appelé tout court : M. le P. P. du Parlement même en présence des autres P. P. de province. Ceux-ci, au Parlement de Paris, n'ont rang qu'après les présidents à mortier.
[26]
C'était une question très-discutée de savoir si un chancelier pouvait juger
lui-même et présider un tribunal criminel. Aff. Étrang., t.
[27]
Aff. Étrang., t.
[28]
Aff. Etrang., t.
[29] Notre cour de cassation compte 49 membres : les cours d'appel qui se partagent l'ancienne juridiction du Parlement de Paris, sont celles de Paris, ayant 91 magistrats, d'Amiens, Angers, Bourges, Lyon, Orléans, Poitiers et Riom, ayant ensemble 211 magistrats.
Voyez le tableau des ressorts en 1640, à l'Appendice.
[30]
En 1638 on créa un Parlement à Nîmes, mais on le supprima un an après, sur la
demande des États de Languedoc. Le Parlement de Toulouse avait en son ressort
plusieurs districts de Guyenne, notamment l'arrondissement de Lectoure. Aff.
Étrang., t.
[31] Voyez Arch. des Basses-Pyrénées (Invent. sommaire).
[32] RICHELIEU, Mémoires, I, 211. — Édit de janvier 1633. Le Parlement de Metz eut 7 présidents, 54 conseillers, 1 procureur général, 2 avocats généraux, 4 substituts, 4 greffiers, 8 huissiers, 24 procureurs, etc. Les magistrats servaient seulement six mois par au : les uns de février à août, les autres d'août à février.
[33] Voyage de Th. CORYATE à Paris, en 1608, p. 19.
[34] La rentrée avait lieu le 5 novembre à Metz, le 26 novembre à Grenoble ; partout ailleurs le 12 novembre.
[35]
[36] Arch. Basses-Pyrénées, B. 3824. — FLOQUET, Parlement de Normandie, IV, 261. — DE BASTARD, Parlements de France, I, 155.
[37]
Mémoires d'ARNAUD
D'ANDILLY, 409 ; de RICHELIEU, II, 532. —
[38]
Aff. Étrang., t.
Les reines régentes écrivaient au Parlement : Chers et bien amis ; non régentes elles lui écrivaient : Messieurs. Les princes du sang terminent leurs lettres par : Votre obéissant meilleur ami ; les cardinaux par : Votre entièrement meilleur frère ; les connétable et chancelier par : Votre affectionné serviteur. Le Parlement leur répond par ce protocole : Les gens tenant le parlement du Roi, bien vôtres.
[39]
TALLEMANT, II,
81. — Lettres et papiers d'État, III, 803. —
[40]
Aff. Étrang., t.
[41]
Lettres et papiers d'État, IV, 520. — Aff. Étrang., t.