Intolérance et actes d'hostilité réciproques des protestants et des catholiques.
— Les huguenots à l'état de parti politique ; leurs exigences, leurs
prétentions. — Ils forment un gouvernement révolutionnaire. — Physionomie des
guerres de Languedoc et de la
Rochelle. — Modération de Richelieu.
Non-seulement ils retenaient l'usage
exclusif des églises, là où ils étaient les maitres, mais ils
interdisaient formellement le culte catholique dans leurs villes de sûreté.
C'est avec la plus grande peine que Sully fit obtenir aux prêtres le droit
d'entrer, à la Rochelle,
dans les hôpitaux, pour administrer les sacrements quand ils y seraient
appelés, le droit d'enterrer même avec fort peu de
solennité les morts de leur religion, la permission d'avoir une
église, et l'engagement de la municipalité d'empêcher le peuple d'injurier
les catholiques dans les rues. Dans les centres huguenots du Midi, la
minorité catholique était toujours à la veille d'être emprisonnée ou expulsée
en masse ; on en vit plus d'un exemple[1]. Les notaires
protestants de Millau refusent de passer les actes des dissidents ; on doit
annuler une promesse de mariage, en Béarn, parce que le fiancé ne peut
obtenir des ministres réformés de le marier, s'il ne
devenait protestant. Légalement, les seigneurs catholiques des lieux
où la majorité des habitants est protestante n'ont pas le droit de résider sur leurs terres, ni même
de laisser des domestiques catholiques dans les châteaux qu'ils y possèdent.
Parfois les huguenots forcent la porte d'une église paroissiale, et vont
enterrer près du grand autel un de leurs coreligionnaires. Durant la guerre
du Languedoc, les gens de Montpellier assassinent un président du parlement
de Grenoble que la cour envoyait pour négocier. Un ministre de Nîmes, accusé
d'avoir trahi la cause du protestantisme, voit ses biens ravagés, sa maison démolie
et est heureux d'éviter la mort au prix de la fortune[2].
Mais ce n'est pas au milieu des hostilités qu'on doit
étudier les deux partis ; la guerre, en tout temps, excuse, explique bien des
choses. C'est en pleine paix, sous le régime inauguré par l'Édit de Nantes,
qu'il faut voir leur attitude systématiquement belliqueuse. Fontenay-Mareuil
prétend que les anciens huguenots tenaient qu'on se
pouvait sauver dans toutes les religions où on croyait en Jésus-Christ, et
n'ont changé d'opinion que sur ce que les catholiques ne faisant pas de même,
et disant que hors de l'Église il n'y a pas de salut, ils les ont voulu
imiter[3].
C'est là un point de théologie protestante que nous ne pouvons discuter ici ;
mais on sait que Luther, Calvin et leurs disciples ont été, dès le début, aussi
absolus que la Cour
de Rome avait jamais pu l'être, et que partout où ils ont eu la force
publique à leurs ordres ils l'ont employée contre leurs adversaires. Les
apôtres de la réforme, au seizième siècle, n'entendaient pas prêcher la
liberté de penser, comme l'entendra l'école philosophique au dix-huitième
siècle ; ils préconisaient une certaine foi en opposition à une certaine
autre ; et dans une contrée comme l'Europe, où la religion faisait partie de
l'État, un non catholique était aisément un révolutionnaire. Cependant les
gouvernements et l'Église même consentirent les premiers à traiter ; ce
furent les peuples qui n'y consentirent pas.
C'est le peuple qui, en bien des villes, outrage des
huguenots, leur jette des pierres et insulte leurs convois funèbres ; qui
veut leur interdire de s'établir dans les villes catholiques, les empêcher
d'y bâtir des temples, et si les temples existants brûlent, les empêcher de
les relever ; qui s'émeut sans motif ou pour
des motifs futiles, et dans son émotion
ou son émeute, démolit le temple de
Charenton, comme plus tard il démolira la Bastille[4].
Un dimanche, à Tours, les fidèles rencontrent au sortir de
vêpres, c'est-à-dire de meilleure heure que d’habitude, les réformés qui
portent en terre un de leurs morts. Murmures, risées ; les gamins leur font
escorte jusqu'au cimetière ; des paroles on en vient aux mains, et la
populace finit par déterrer le cadavre pour le brûler, et par mettre le feu
au temple. A coup sûr, de pareils attentats ne restent pas impunis ; la
justice royale ne manque pas de pendre quelques-uns
des plus mutins ; n'importe, il en reste toujours de prêts à
recommencer. Les huguenots sont responsables de tout, comme en d'autres temps
les aristocrates ; un pont s'écrase-t-il, un incendie dévore-t-il quelque
monument ? on les soupçonne aussitôt d'en être cause ; ils sont en danger d'être massacrés. Des
provocations bêtes et terribles s'étalent tout à coup sur les murs : Pauvres catholiques, lit-on, prenez garde aux huguenots, visitez leurs maisons et les
désarmez ; l'on dort et le huguenot veille. Des missionnaires laïques,
dont les plus éminents sont des merciers, cordonniers, couteliers, courent de
consistoire en consistoire, pour y faire des défis aux ministres, préciser la
controverse dans les places publiques ; sur quelques tréteaux comme les
opérateurs forains, fatiguer le menu peuple et les
femmes par leurs chicanes basses et ridicules, tenant à honneur d'exciter des
tumultes et de se faire maltraiter. Les parlements, même les plus
hostiles aux réformés, celui de Rouen, par exemple, qui n'enregistra que
vingt ans après leur promulgation les articles secrets de l'Édit de Nantes,
n'hésitent pas à sévir et à défendre à ces prêcheurs de
mettre la tranquillité publique en péril. ils entrent dans l'intention
qu'a le Roi de réunir, selon le mot du duc de
Rohan, les volontés de ses peuples, tandis
que les peuples s'obstinent à n'être pas réunis, et ne songent au contraire
qu'à se molester réciproquement[5].
Entre les deux cultes, l'un exigeant trop, l'autre ne
cédant pas assez, la balance était bien difficile à tenir. Les catholiques
voulaient contraindre les protestants à payer les chines dont ils s'étaient
exemptés, à se mettre en état de respect
lorsqu'ils rencontraient le Saint Sacrement, c'est-à-dire les hommes à se
découvrir, les femmes à se mettre à genoux[6]. Tel réformé, par
contre, fait porter des vilenies et immondices
devant la porte du logis où se célèbre le service divin ; tel autre
s'en va arracher le calice des mains du prêtre au milieu de la messe, ou se
place sur le passage de la procession pour l'injurier. Ces bravades coûtent
cher ; trop cher même puisqu'on les paye quelquefois de sa tête ; mais leurs
auteurs ne savaient-ils pas à quoi ils s'exposaient ? Benoît, dans son Histoire
de l'Édit de Nantes, reconnaît que les ministres conservaient
la coutume de parler de l'Église romaine d'une manière que les catholiques
jugeaient peu respectueuse. Or cette manière la voici : elle
consistait — Benoît dit, ingénument, que c'est nommer
les choses par leur nom avec une grande liberté — à appeler l'Église
romaine infâme paillarde ou l'idolâtre Babylone, le Saint Sacrement un dieu de pâte, une oublie dont le prêtre veut persuader
qu'il a fait un dieu quand il a soufflé dessus ; ils traitaient la
messe de farce et de mômerie, la Sainte Vierge d'idole, son culte d'abomination,
la vie des Saints de tissu d'extravagances et de
rêveries, le pape d'Antéchrist, capitaine des
coupeurs de bourses, etc.[7] À ces injures on
répondait par des coups, lorsqu'on était le plus fort, par des arrêts de
parlement ou par des déclarations royales lorsqu'on était trop faible pour
engager la lutte.
Puis c'étaient les mille taquineries de chaque jour :
l'interdiction aux magistrats réformés de porter à leur temple la robe rouge,
aux ministres d'assister les condamnés aux supplices, la défense d'admettre
les invalides protestants comme Frères lais dans les monastères, le refus de
la population catholique de comparaitre devant les chambres
de l'édit, juges des procès entre les deux cultes ; toutes les
chicanes enfin qu'une majorité impérieuse sait faire à une minorité vaincue[8]. C'était aussi,
après tant de guerres et de violences réciproques, l'inextricable chapitre
des liquidations difficiles : ici les Pères Chartreux réclament les matériaux
de leur église, démolie depuis cinquante ans par les religionnaires ; là un arrêt
du Parlement autorise le premier consul d'Uzès, dont les maisons ont été
détruites par ordre de Rohan, à s'indemniser par la
saisie des biens des rebelles jusqu'à concurrence de 12.000 livres
; plus tard des lettres patentes imposent les protestants de Nîmes pour la
reconstruction du couvent des Augustins[9]. On ne peut nier
malgré tout que les réformés lie se soient, sous Louis XIII, révoltés sans
motifs valables. Henri IV, si l'on en croit Richelieu, l'avait prédit, et se
méfiait d'eux. Ennemi de l'État, disait-il à
la reine Marie, leur parti ferait un jour du mal à
son fils, s'il ne leur en faisait le premier[10]. Il avait à
peine rendu le dernier soupir que déjà l'assemblée de Saumur (1611) ouvrait les hostilités, en présentant
à la régente des cahiers composés de telle façon,
que quand le conseil même eût été huguenot, il n'eût su leur donner
satisfaction[11].
La division du royaume en huit cercles, formant quinze ou
dix-huit provinces qui obéissaient à un conseil central, fut l'œuvre de
l'assemblée de Saumur. Cette division, détaillée fort sérieusement par
beaucoup d'historiens, est, disons-le d'abord, toute platonique. Elle n'a
jamais été appliquée ; &le ne pouvait l'are. L'administration officielle
était trop rudimentaire, pour qu'une contre-administration ait eu la force de
s'organiser en face d'elle. Le pouvoir régulier était encore bien trop
décentralisé pour que l'opposition, même l'opposition religieuse, ait réussi
un pareil essai de centralisation. Aussi cette tentative chimérique
servit-elle moins la faction protestante que le gouvernement, qui en usa
comme d'un épouvantail à agiter aux yeux des populations tranquilles[12].
Il faut remarquer en outre que dès la régence, à fortiori
sous le ministère de Richelieu, les huguenots de la première heure, ceux qui avaient combattu les papistes dans les guerres
civiles, étaient morts ou très-vieux et incapables de se rebattre. Les nouvelles générations avaient
grandi dans la paix ; de là ce résultat : le fanatisme est plus rare et moins
violent, surtout moins sincère. Il y avait beaucoup de catholiques dans les
troupes protestantes ; ce qui ne se serait pas vu au siècle précédent, et
montre que ce ne sont plus là de vraies guerres de religion, mais des
révoltes d'ambitieux. On disait plaisamment que, si les
huguenots publiaient un jeûne, c'est qu'ils avaient quelque dessein contre le
service du Roi. On distinguait les réformés
de parti des réformés d'État ; les
premiers toujours prêts à prendre part aux
brouilleries pour fouiller dans la bourse du public[13]. Châteaux qu'on
fortifie, fossés que l'on creuse, murailles que l'on relève, armes que l'on
transporte, tout cela ne plaisait guère aux réformés
d'État ; ils songeaient à ce que diraient les
étrangers, voyant que, ne se contentant pas de la liberté de conscience
qu'ils avaient toujours mise en avant, ils ne cherchaient qu'à faire du
désordre. C'est le langage des protestants de deçà
la Loire
; dans le Midi même l'enthousiasme est modéré. Nîmes promet de donner 1.000
hommes, et n'en fournit que 42. Aux anciennes
guerres, dit Rohan, il y avait du zèle, de la
fidélité et du secret ; aujourd'hui on a plus de peine à combattre la lâcheté
et l'irréligion des réformés que la mauvaise volonté de leurs ennemis.
Tel chef considérable, comme Châtillon, peut mettre
4.000 gentilshommes à cheval ; mais ces armées volontaires ne tiennent
pas ; les chefs ne peuvent pas plus récompenser les bonnes actions que punir
les mauvaises[14].
Les titres de généralissime,
de gouverneur de l'église réformée de telle
province, que prennent pompeusement les grands seigneurs qui marchent en tête
du mouvement, cadrent mal avec l'ébauche du parlementarisme moderne que les
pasteurs cherchent à faire fonctionner avec tous ses rouages et toutes ses
intrigues, en pleine guerre, dans des conditions exceptionnellement épineuses[15]. Quelles étaient
au reste les vues politiques du parti réformé ? L'histoire a peine à les
discerner. Le parti avait-il même des aspirations bien nettes, tiraillé comme
il était par les dissensions intestines de factions qui s'exécraient ? En un
synode général, le président cachait des mousquetaires au-dessus de la salle
des délibérations, pour faire main basse au besoin sur les membres de la
minorité ; lesquels, de leur côté, faisaient masser tous leurs amis en armes,
dans la cour, pour les secourir au premier signal. Si la devise des Rochelais
Pro Christo et Rege était tout à fait
mensongère, si les pieux calvinistes qui présidaient aux destinées de cette
ville regardaient comme une bonne œuvre de piller les navires français de
Nantes ou de Saint-Malo, et sollicitaient aussi bien les pistoles du roi
d'Espagne que les jacobus du roi d'Angleterre[16], on peut
néanmoins dire que la majorité des huguenots était citoyens paisibles. Le Roi est à Paris et nous à Nîmes, répondaient les
émeutiers de cette ville aux magistrats venus pour y rétablir l'ordre ; mais
à Himes même, les consuls protestants refusèrent de se prêter aux mesures
violentes décrétées par le colloque, telles que l'emprisonnement des
catholiques, la démolition de la cathédrale, etc. Une ville tout entière ne
peut être responsable des excès de quelques énergumènes que leurs chefs ne
pouvaient maîtriser sans encourir hasard de leur vie[17].
Il y avait ainsi bien des déclassés, des aventuriers, dans
les rangs des huguenots militants qui ne rêvaient que plaies et bosses ; séparer l'élément politique et l'élément
religieux, anéantir le premier, donner protection au second fut œuvre de
grand homme d'État. Vingt-cinq ans d'application de l'Édit de Nantes
portaient d'ailleurs leurs fruits, et firent que Richelieu réussit là où
avait échoué l'Hôpital. Il faut lire les articles
accordés par le Roi à cette cité de la Rochelle, qu'il trouva
pleine de morts et de mourants, pour apprécier la modération de la raison
dans le triomphe. Libre exercice du culte, rétablissement de chacun en tous
ses biens, amnistie générale pour le passé, telles étaient les bases de la
convention signée par les officiers royaux avec les pairs bourgeois et les
échevins[18].
La nouvelle de cette victoire avait excité chez les catholiques des
transports de joie : Te Deum, danses, lanternes aux fenêtres, tables
mises en pleine rue auxquelles les passants trinquent sans se connaître. De semblables
manifestations ne laissaient pas d'inquiéter les réformés, qui se demandaient
s'ils allaient payer les frais de cet enthousiasme[19].
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