La liberté de conscience est une nouveauté. — L'intolérance est le droit commun de l'Europe. — Politique étrangère en matière religieuse. — Chacun favorise les dissidents des États voisins. — Sentiment religieux très-vif : confréries, observation des préceptes de l'Église. — Abus dans le culte des images : superstitions, sorcellerie. — Le peuple est intolérant ; le gouvernement est modéré. — Loi sur les blasphémateurs. — Les athées et les Juifs.La monarchie absolue n'était pas, de nature, hostile à la tolérance religieuse. En Europe, par sa politique extérieure, Richelieu fut le propagateur intéressé de cette tolérance ; en France, il fut l'un de ses plus sincères champions. L'effort de là raison qui fait vivre en paix, dans une même âme, une ardente conviction personnelle et un profond respect des convictions d'autrui, n'est guère à la portée de la foule. Les masses sont souvent plus intolérantes que les despotes ; elles ne se plaisent pas dans cet état moyen, aussi éloigné de la persécution que de l'indifférence, qui est l'apanage de quelques esprits élevés ; elles passent sans transition d'un extrême à l'autre, et n'arrivent à la liberté de conscience que par le scepticisme, parce qu'elles ne supportent la contradiction que sur les sujets qui ne les intéressent pas. Le pays où l'édit de Nantes avait été promulgué et était
honnêtement pratiqué marchait, on peut le dire, à la tête des nations clans
la voie de la liberté religieuse. Le droit commun du monde entier, c'était en
effet l'intolérance. Tout autour de nous, dans les États les plus civilisés,
la foi du plus grand nombre proscrivait
impitoyablement les opinions dissidentes. Les catholiques demeuraient à
Genève par souffrance, mais n'avaient pas le
droit de s'y marier ; l'exercice de la religion romaine était défendu dans
toute l'étendue de Sous le rapport de la liberté des cultes, l'Angleterre
était plus dure encore que Ce prosélytisme subreptice du cardinal est, on le pense
bien, dirigé vers un but tout politique. Le zèle religieux du premier
ministre est d'ordinaire plus calme ; ruais les catholiques en Angleterre
forment un parti, comme les protestants en France. Avec le système d'une
religion d'État qui poursuivait toutes les autres, les minorités se comptent,
s'unissent, s'arment au besoin pour se défendre. Le roi de France protège les
catholiques anglais ; le roi d'Angleterre protège les huguenots français, le
tout, non par religion, mais par intérêt temporel. D'un autre côté, ces
partis eux-mêmes deviennent plus politiques que religieux ; le conseil
d'Angleterre fait plus de cas des protestants
français que de l'Irlande. Le cabinet de Paris cherche à gagner les
catholiques d'outre-Manche, en établissant pour eux des séminaires de Jésuites
en Normandie, en Champagne[3]. Toutes les
nations en faisaient autant : les Espagnols, qui se prétendaient bien
autrement pieux que nous, subventionnaient à l'occasion nos huguenots, comme
nous subventionnions les huguenots d'Allemagne. L'Europe allait faire peau neuve ; elle était en gestation des nationalités qui devaient transformer
non-seulement sa carte, mais son esprit. Les intérêts laïques, subordonnés au
moyen âge aux sentiments religieux, entrent désormais en lutte avec eux ; on
voit de singulières contradictions[4]. Tout en
demeurant fils ainé de l'Église, le roi de France est allié du Turc ; il est
vrai qu'il laisse encore les chevaliers de Malte, ses sujets, guerroyer
contre le successeur de Mahomet qu'il traite en ami. C'est un mot de novateur
que celui de Richelieu, en 1617, disant qu'il n'est
nul catholique si aveugle d'estimer, en matière d'État, un Espagnol
meilleur qu'un Français huguenot. Ce n'était pas là l'opinion du
peuple, du peuple qui, pendant Ce n'est pas elle qui eût demandé au Concile, comme le
firent en plein seizième siècle les Guise, les Montmorency, des évêques et des
cardinaux, que les sacrements fussent administrés en langue vulgaire, que les
psaumes et les prières fussent chantés en français, que la communion sous les
deux espèces fût permise, et même que le mariage des prêtres fût autorisé.
Les concessions que sollicitaient les membres les plus orthodoxes du conseil
privé, que de graves prélats acceptaient, dans l'intérêt de l'Église, eussent
révolté le populaire. It eût vu d'un aussi mauvais œil la réforme du culte
des images et reliques, celle des confréries. Ces confréries sont l'honneur
de la cité ; le capitaine ou le recteur qui les dirige sont gens
considérables. Animées de l'esprit fier mais exclusif des temps féodaux,
elles ont toutes leurs droits et leurs prétentions irréconciliables. Dans une
seule ville, la confrérie du Saint-Esprit composée des bourgeois, celle du
Saint-Sacrement, de Mais d'instinct Les gens de Béarn venaient faire des serments sur l'autel
de saint Antoine de Navarreins, sous prétexte que les récoltes n'étaient pas
rentrées ; les marchands pendaient des saints et des Notre-Dame dans leurs
enseignes ; un cabaretier de la rue Montmartre représentait sur la sienne,
sans penser à mal, Tout cela n'allait point sans quelque superstition, ni sans une ombrageuse susceptibilité envers tout ce qui sentait l'impiété. Les procès de sorcellerie étaient bien vus par l'opinion. Gaufridi, à Aix, Grandier, à Loudun, prouvent qu'il était encore fort possible de faire monter sur le bûcher un particulier suspect de sortilèges. La protestante Angleterre n'était pas moins ardente sous ce rapport que notre catholique patrie ; des deux côtés du détroit, la populace était toujours prête à faire un mauvais parti à celui qu'elle tenait pour magicien. En 1660, la municipalité d'un petit bourg du Languedoc décide, après grave délibération, de faire venir le connaisseur des sorciers, résidant dans une ville voisine, afin de faire la visite des sorciers enfermés dans la prison communale. Les tribunaux supérieurs étaient moins crédules : le parlement de Paris condamne à être pendus des officiers de la justice de Bragelogne, qui avaient torturé et fait mourir une femme accusée de sorcellerie. En lisant les pièces du procès le plus célèbre de ce temps, celui du curé Grandier, qui fut brûlé vif, on voit que le public éclairé n'est pas trop convaincu, et que les juges le sont encore moins. Le P. Lactance parle, il est vrai, à Richelieu des innocentes et vertueuses filles qu'il délivre ; il se vante de combattre efficacement et de chasser effectivement une cinquantaine de démons du corps de dix-sept Ursulines, qui sont toutes possédées, obsédées ou maléficiées. Mais l'archevêque de Tours n'en croit rien, Richelieu lui-même en plaisante et la postérité sait que le crime, s'il exista, n'est pas d'une espèce surnaturelle[13]. Pour le blasphème, pour le sacrilège, les lois sont moins
sévères que les mœurs ; le pouvoir est plus indulgent que la nation. Le tiers
état insiste, en 1614, pour obtenir le renouvellement de l'ordonnance de
saint Louis contre les blasphémateurs, et l'application du traitement qu'elle
infligeait : percement de la langue, lèvres fendues. Un particulier proposait
d'établir des commissaires spéciaux pour recevoir les plaintes et
dénonciations. Au contraire, le gouvernement se contentait d'une amende de |
[1]
MONTGLAT, Mémoires,
29. —
[2]
RICHELIEU, Mémoires,
I, 292 ; II, 135 ; III, 305. — Lettres et papiers d'État, II, 127. — BRIENNE, Mémoires,
32. Les catholiques devaient payer
[3]
Lettres et papiers d'État, III, 719. — Aff. Étrang. t.
[4]
Dans le traité entre
[5]
Arch. com. Bourg, GG. 210 et suiv. — Arch. dép. Lot, B. 335. — Aff. Étrang., t.
[6] Arch. com. de Toulon, GG. 29 ; de Nevers, GG. 164. — Arch. dép. Aube, G. 1296. — Lettres et papiers d'État, V, 912. — R. DE BEAUREPAIRE, États de Normandie, I, 296.
[7]
Arch. dép. de
[8]
BASSOMPIERRE, Mémoires,
152, 156. — Aff. Étrang., t.
[9] RICHELIEU, Mémoires, I, 470. — BAGUENAULT DE PUCHESSE, Concile de Trente, p. 239.
[10]
Aff. Etrang. t.
[11] Bulle du 15 mars 1642.
[12]
Aff. Étrang. t.
[13]
Aff. Étrang., t.
[14]
Déclaration de novembre 1617 et du 7 août 1631. — Aff. Etrang. t.
[15]
Cette somme est de