RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

TOME TROISIÈME. — ADMINISTRATION GÉNÉRALE (SUITE).

CULTES. — LE CLERGÉ CATHOLIQUE.

CHAPITRE PREMIER. — RECRUTEMENT DU CLERGÉ ET NOMINATION AUX BÉNÉFICES.

 

 

Absence de séminaires. — Ignorance d'une partie du bas clergé. — Effets du concile de Trente. — Saint Vincent de Paul et le mouvement religieux. — Bénéfices à la nomination du Pape, du Roi, des évêques ; des chapitres et autres patrons ecclésiastiques ; des seigneurs et patrons laïques. — Pays d'obédience, et pays réduits. — Transmission de bénéfices : Induits, résignations, pensions réservées. — Moyens de conserver la jouissance de ces biens. — Feuille des bénéfices. — Concours aux cures des paroisses.

 

L'Église, depuis le commencement de l'ère chrétienne, a subi, accepté, conquis ou obtenu des puissances, bien des systèmes de vie commune. Persécutée, protégée, dominante, intolérante, souple ou roide, enrichie ou spoliée, exigeante ou modeste, amicale ou hostile, jamais indifférente ; elle s'est trouvée successivement, par rapport aux pouvoirs civils, à la force matérielle, dans les situations les plus diverses. Trois phases résument son histoire dans notre pays : persécution, domination, union ; chacune d'elles a duré plusieurs siècles. Une quatrième, sans doute, lui est réservée, la séparation, c'est-à-dire l'indépendance[1].

Le clergé, puissant dans le chaos barbare, plus puissant encore dans l'organisation féodale, en face de ces centaines de souverains émiettés et dispersés, perd de plus en plus de terrain à mesure que le pouvoir laïque se concentre et s'affermit. Protectrice jadis, l'Église sera désormais protégée ; mais tout protecteur est ou devient un maitre. Au temps de sa domination, le spirituel avait empiété sur le temporel, à force ouverte ou dissimulée ; l'État respecta celle de ces invasions qui ne le gênaient pas, consacra même celles qui lui étaient utiles, — il y en avait plusieurs, — et repoussa les autres. Puis à son tour il envahit le spirituel : chaque pas fait par la royauté dans la voie de l'absolutisme, correspond pour le clergé à l'aliénation de quelque morceau nouveau de sa liberté. Chaque privilège qu'on lui concédait, devait être payé par l'abandon de quelque droit. Le plus criant de ces abandons forcés, ce fut la nomination aux évêchés et aux dignités éminentes de l'Église française, accordé au Roi par le concordat de 1515. Ce concordat abolit les antiques élections capitulaires, et permit ainsi que les biens ecclésiastiques, au lieu d'être une force pour la religion, devinssent pour la conscience chrétienne une occasion de scandale.

A l'avènement de Richelieu, la politique religieuse de la monarchie, inaugurée depuis plusieurs siècles, avait déjà porté ses fruits. Par suite des incursions réciproques de chacun des deux pouvoirs, clerc et laïque, sur le domaine de l'autre, il s'était formé un enchevêtrement singulier dans la justice et l'administration, d'où résultaient des relations très-spéciales, des attributions très-confuses, entre les ministres de la terre et ceux du ciel. Cardinal et chef d'État, Richelieu unissait en sa personne une double qualité ; comme chef d'État, il était absolu ; comme cardinal, il était tolérant. Nous considérons ce destructeur du parti protestant, ce réformateur parfois violent des ordres monastiques, comme un des fondateurs de la liberté de conscience dans notre pays. On en verra plus d'une preuve. Tyrannique en fait d'administration, Richelieu était libéral en matière de doctrines ; mais, dans le culte, la doctrine et l'administration sont intimement liées, l'État avait peine à s'occuper de l'une sans se mêler de l'autre, il était destiné ou à se désintéresser de toutes deux, ou à s'emparer de toutes deux ; ce fut ce qui arriva. Le gouvernement, curé du dehors, bras séculier, comme on disait au moyen âge, finit, sous Louis XIV, par tenir des conciles, et par s'ingérer judiciairement dans la chaire et le confessionnal.

Au temps de Louis XIII, un clergé nombreux se trouve en face de biens ecclésiastiques considérables, et par un étrange abus, ces biens n'appartiennent que pour partie à ce clergé, et pour une infime partie à ceux des membres du clergé qui remplissent les fonctions cléricales ; dans cette ruche sainte, ce sont les frelons qui mangent presque tout. Si bien que l'Église, être de raison, est riche, et que les prêtres sont en majorité pauvres. Les cahiers des États de 1614 demandent que nul ne puisse être promu à la prêtrise, sans assignation de titre de 60 livres au moins, de rente ou revenu par chaque année. Le doyen de la cour des Aides de Bordeaux constitue une pension de 200 livres à son fils, clerc tonsuré, pour lui servir de titre clérical, et faciliter son admission dans les Ordres[2]. Le difficile cependant n'était pas d'être ordonné prêtre. Dès qu'un jeune homme savait assez de latin pour expliquer un évangile et entendre le bréviaire, on le jugeait capable d'être élevé au sacerdoce. On trouvait des prêtres qui baptisaient sans faire aucune onction, bénissaient des mariages sans en avoir les pouvoirs, ne savaient même pas la formule de l'absolution, et se permettaient de transposer, de changer, d'abréger à leur gré les paroles sacramentelles. On s'explique que les évêques défendissent aux curés d'admettre aucun prêtre vagabond à la célébration. Dans bien des paroisses, plus de sermons, pas de catéchismes ; le peuple, privé d'instruction, ignore parfois jusqu'à l'existence de Dieu. A Paris même, M. Olier trouva dans le quartier Saint-Sulpice, un autel élevé à Belzébuth ; des prêtres s'y livraient aux superstitions des sorciers[3].

Malgré les prescriptions du concile de Trente et les ordonnances royales, il n'existait en France, vers l'an 1620, aucune école où l'on préparât à la réception des saints ordres. A peine quelques essais fort imparfaits à Bordeaux et Mâcon. Chose bizarre, c'est le Tiers État qui avait demandé aux derniers États Généraux, que dans le délai de deux ans, tout évêque fût tenu d'établir un séminaire, en prélevant, s'il le fallait, une contribution sur les bénéfices d'un revenu supérieur à 600 livres. Richelieu développa la même idée en un projet de règlement (1625), qui contenait une exhortation dans ce sens, et demeura sans effet. Quelques tentatives se produisirent : à Troyes, le chapitre cherche à s'entendre avec l'évêque pour dresser un séminaire. Des arrêts du parlement de Toulouse enjoignent aux évêques de Nîmes et Uzès d'en pourvoir leurs diocèses dans les trois mois, pour former des sujets capables, à peine de saisie de leur temporel.

Au concile provincial de Tours, en 1583, les prélats avaient décidé que des séminaires seraient établis partout sous trois ans ; et cinquante ans après, il n'y en avait encore nulle part ; à Tours notamment, il n'y en eut un qu'en 1662[4].

Mais tandis que l'État et l'Église d'État se bornent l'un à de vaines prescriptions, l'autre à des encouragements stériles, Dieu suscite une pléiade de ces hommes apostoliques dont le zèle et la piété n'ont pas eu besoin d'être décrétés par le conseil royal, ni allumés par le don d'une riche prélature : le paysan Bourdoise, le noble sieur de Bérulle, Eudes, le petit bourgeois, le riche parlementaire Olier, tels sont les illustres ouvriers de la renaissance religieuse qui éclate et que domine, dans l'histoire, l'immortelle et si attachante figure de Vincent de Paul. Par son ardeur, par son caractère national et spontané, le mouvement de foi dont ces saints prêtres ont été les guides, fait ressortir plus vivement encore les désordres qu'entretient dans l'Église l'ingérence du pouvoir civil. Abus et réformes demandent une étude spéciale ; bornons-nous à rappeler dès à présent, l'origine des séminaires. En face des tentatives avortées, de hauts dignitaires ecclésiastiques, à qui ne manquent ni les fonds ni l'autorité, se placent les créations fécondes de clercs sans biens et sans titres.

Bourdoise n'est pas encore prêtre, que déjà il commence à Paris, avec dix associés (1620), la petite cléricature, où l'on mène en commun une vie pauvre et régulière. L'archevêque autorise son œuvre et le Roi la reconnaît sans lui apporter de concours effectif. Ce ne fut qu'en 1644 que cette maison de Saint-Nicolas du Chardonnet devint le séminaire officiel de la capitale. Encore le diocèse de Paris n'était-il pas propriétaire du local ; on ne songea à l'acheter que cinq ans après la mort de Bourdoise, avec 36.000 livres données par le prince de Conti. Saint Vincent de Paul, au même temps (1635), fonde dans le collège des Bons-Enfants, qu'il doit à la munificence d'un grand seigneur, la congrégation de la Mission pour évangéliser aussi bien les prêtres que les fidèles. La direction des séminaires devant être une des principales fonctions du nouvel Ordre, ses membres commencent par se faire eux-mêmes séminaristes. L'apôtre de la charité trace à ses disciples leur conduite future : Quiconque veut être admis en cette congrégation, leur dit-il, doit se persuader qu'il est venu pour servir et non pour gouverner, pour souffrir et travailler, et non pour vivre en délices et en oisiveté. Déjà Bérulle et ses deux lieutenants, les PP. Bourgoing et Vence, avaient réuni trente jeunes gens qu'ils préparaient par des conférences, des retraites, des études suivies, à devenir de dignes ministres du sanctuaire. Olier jetait à Vaugirard (1641) avec de fervents compagnons, les bases d'une autre congrégation qui tira son nom de la paroisse dont lui-même est demeuré la gloire, celle de Saint-Sulpice.

Oratoriens, Sulpiciens, Prêtres de la Mission vont partout porter le solide enseignement théologique et surtout le feu d'une dévotion sincère, avide de prosélytes. Ils réussirent diversement : les envoyés de Monsieur Vincent rencontrèrent plus de faveur peut-être que les autres. L'esprit méthodique et très-prudent de leur chef rendit leur succès plus assuré ; tandis que l'extension trop rapide de l'Oratoire l'empêcha de s'établir solidement nulle part. Mais tous réunis atteignirent le but auquel ils tendaient : faciliter le bon recrutement du clergé[5].

Seulement, outre le pouvoir spirituel, conféré par l'ordination, il fallait au prêtre un revenu temporel garanti par la possession d'un bénéfice. Le caractère sacerdotal ne donnait pas à lui seul des moyens d'existence à l'ecclésiastique sans fortune. Cinq autorités diverses disposaient des revenus du clergé, et pouvaient en donner une part plus ou moins grosse : le Pape, le Roi, les évêques, les chapitres et autres dignitaires religieux, les seigneurs de fief et autres patrons laïques. Chacune de ces autorités, les trois premières surtout, disputaient constamment aux autres ses prérogatives. A chaque vacance, les cours de justice regorgeaient de procès entre les pourvus du Saint-Siège et les mandatés de l'ordinaire, pour savoir auxquels des uns ou des autres, suivant la date, le bénéfice devait être définitivement attribué. Depuis le seizième siècle, les ambassadeurs royaux protestaient contre les abus qui se commettaient de la part du Pape, en Bretagne et en Provence, contre les préventions par lesquelles la plus grande partie des bénéfices revenaient à des gens ignorants et indignes, qui en étaient dotés à Rome, où l'on n'examinait rien que la bourse, — dove non si esamina niente che la borsa. Depuis le concile de Constance (1414), le Pape avait droit aux deux tiers des collations, c'est-à-dire qu'il nommait aux bénéfices vacants pendant huit mois, et les évêques pendant quatre mois seulement[6]. La proportion fut retournée par le concordat de 1515 ; les évêques eurent les deux tiers de l'année, le Saint-Siège un mois seulement par trimestre ; l'ancien usage subsista en Provence, où le légat pontifical d'Avignon conserva ses pouvoirs, par droit de voisinage et proximité. Il subsista également en Bretagne, et dans les Trois-Evêchés, réunis à la couronne depuis la conclusion du concordat, et où il ne fut pas mis en vigueur. Ceux-ci étaient pays d'obédience, par opposition aux autres, nommés pays réduits[7]. Les évêques étaient donc plus ou moins puissants, selon les diocèses, non-seulement en France, mais dans toute l'Europe ; en Lorraine, par exemple, ils étaient réputés simples vicaires du. Pape, et n'avaient d'autre juridiction que celle qu'ils lui empruntaient.

Nos relations avec le Souverain Pontife étaient monopolisées, au point de vue du temporel des bénéfices, par les banquiers expéditionnaires en cour de Rome. Ils envoyaient les suppliques au Saint-Siège, facilitaient la transmission amiable d'une abbaye ou d'un canonicat, faisaient aboutir les démissions conditionnelles que l'on donnait par-devant notaire. Pour les bénéfices dépendants de la nomination du Roi ou des tiers, dont le Pape conférait seulement l'investiture, ils se chargeaient d'obtenir les bulles au meilleur compte, et savaient marchander avec la Componenda et les bureaux du cardinal dataire[8]. Gros personnages, propriétaires de leur charge, comme des agents de change ou des avoués, mais opérant à tarif variable. Couturier, l'un d'eux, amasse plus de 1.200.000 livres ; c'était le plus grand arabe du monde, mais quoiqu'il prit plus que les autres, beaucoup de gens allaient à lui, parce qu'il était habile et en réputation[9].

L'effort constant d'une famille tendait à ne pas laisser échapper un bénéfice, une fois qu'elle le possédait. II existait dans ce but des procédures multiples : permutations frauduleuses, prises de possession lorsque le résignant était proche de la mort servaient à frustrer les indultaires munis des grâces expectatives, c'est-à-dire de promesses de succession. Une autre fraude consistait à laisser au résignant des pensions qui égalaient ou dépassaient le revenu ; c'était échanger le bénéfice coutre une renie viagère[10]. Par procurations antidatées, par révocations secrètes, on arrivait du reste à rendre les titres des biens d'Église tellement incertains, entre le résignant et le résignataire, qu'ils ne pouvaient vaquer par la mort de l'un ni de l'autre. Les tiers ripostaient en s'interposant par d'autres combinaisons : ils se faisaient nommer coadjuteurs de l'abbé, du chanoine ou du curé qu'ils voulaient remplacer. La sœur du marquis d'Uxelles sollicite l'abbaye de Sainte-Menehould, en reçoit le brevet, mais craint que l'abbesse vivante ne la résigne à une autre ; Bouthillier, le secrétaire d'État, a beau lui dire que cette résignation serait nulle et non avenue, elle se croit plus assurée en obtenant la coadjutorerie. Il y a ainsi pour grand nombre de postes, deux titulaires, l'un présent, l'autre futur[11].

Quoi de plus singulier aussi que ces Indult, concédés au Parlement, dont le chancelier Séguier trafiquait, et qui permettaient à plus de trois cents conseillers de disposer pour eux-mêmes de bénéfices ecclésiastiques.

L'envoi des placets dans la' Ville Éternelle était, pour les banquiers, l'objet de procédés ingénieux. Deux personnes se présentent-elles le même jour, pour se faire pourvoir, avec des droits divers, du même bénéfice ; c'est une course au clocher à qui arrivera à Rome le premier. Le banquier offre au plus riche de ses clients de le faire expédier à l'avantage ; voici comment : lorsqu'il n'était plus qu'à quelques journées de Rome, le courrier ordinaire faisait porter le paquet privilégié par un postillon qui le devançait d'un jour, et gagnait ainsi de vitesse les concurrents, dont les lettres demeuraient dans la valise. Avec ces vingt-quatre heures d'avance et un ami dévoué, on enlevait l'affaire ; les provisions étaient signées quand les autres demandes arrivaient. Toutefois, si le revenu avait quelque valeur, ce n'était plus au Pape, que, depuis le concordat, il fallait s'adresser, mais au Roi. Urbain VIII voulant procurer quelque chose d'avantageux à un Français, écrit au nonce Mazarin de s'en occuper à Paris, sachant bien, ajoute-t-il, qu'il ne nous vient plus rien de France ici, dont nous puissions gratifier les personnes de mérite[12].

Aussi le Roi est-il assailli de pétitions de tout genre. M. d'Oppède, premier président de Provence, dont un fils a été tenu au baptême par Louis XIII, apprend que l'archevêché d'Arles est vacant, et écrit aussitôt à Richelieu, afin d'obtenir sur cet archevêché une pension pour entretenir ce petit au collège. L'archevêque de Tours, au moment de la mort du grand prieur de Vendôme, se lamente sur ce qu'on a disposé de toutes les vacances, advenues en la personne de feu M. le grand prieur de France ; la moindre petite miette m'eût un peu soulagé... on m'a ôté les deux misérables mille francs que j'avais pour mon plat de premier aumônier. L'évêque du Mans (Lavardin) sollicite à genoux de traiter de la trésorerie de la Sainte-Chapelle, dont l'abbé du Dorat veut se défaire. Sans cesse on lit des lettres, signées par les plus grands personnages, et toutes conçues dans les mêmes termes : Un tel, qui a tel prieuré, est en extrémité de maladie, je vous supplie... ; ou, Je me vois forcé, par la nécessité de notre maison, de vous importuner si souvent pour un de mes frères ; je viens d'avoir présentement avis que M. des Yveteaux est mort, ce qui m'oblige à recourir à votre autorité, pour obtenir du Roi les abbayes qu'il possédait.... J'ai mon neveu sur les bras..., j'ai mon fils acné à pourvoir... vingt mains se tendent, vingt plumes se mettent à noircir le papier, cent personnes se remuent pour atteindre le bénéfice vacant[13].

Comment faire pour ne blesser personne, comment faire surtout pour ne point sacrifier le service de Dieu à des intérêts politiques ? Telle est la difficulté qui s'impose au monarque. Un saint ne saurait en sortir tout à fait à son avantage. On comprend pourquoi l'assemblée du clergé de 1608 parle du droit des élections qui lui a été ravi, et ne parait pas, après un siècle environ, en être encore consolée. On s'explique que le cardinal de Lorraine ait dit ouvertement au concile de Trente, qu'il désapprouvait l'élection des évêques par le Pape comme imparfaite, et les nominations par les princes comme pernicieuses, surtout quand les souverains étaient femmes, comme sa nièce, la reine d'Écosse[14]. Si, aux états généraux de 1614, le tiers seul persiste à réclamer l'élection canonique des évêques, et la réélection des abbesses après trois ans d'exercice, le clergé demande la création d'un conseil supérieur destiné à éclairer le Roi, et à le guider dans l'exercice de la plus périlleuse de ses prérogatives[15]. Le prince, pour des abbayes ou des canonicats, consulte parfois l'évêque diocésain, lui disant qu'on lui a parlé de tel sujet, et le prie de lui faire savoir ce qu'il en estime, l'assurant qu'il y fera grande considération. Mais ce sont là des phrases de politesse, qui n'engagent et ne lient en rien le souverain. Louis XIV fit de son confesseur une espèce de ministre des cultes, en lui remettant (1670) cette fameuse feuille des bénéfices, qui créa tant d'ennemis à la Compagnie de Jésus[16]. Richelieu n'aurait pas souffert que Louis XIII déléguât une portion aussi intéressante de son pouvoir : N'ayez point l'ambition, disait-il au contraire au confesseur du Roi, de disposer des évêchés ou des abbayes, étant chose qui doit dépendre immédiatement de Sa Majesté. Au Père Caussin, il reproche amèrement d'avoir voulu, en entrant en charge, avoir pleine connaissance des bénéfices, contre ce qui avait été pratiqué par ses prédécesseurs[17].

Le titre d'évêque que saint Jean Chrysostome estimait un fardeau redoutable aux forces des anges, est un fardeau, dit Balzac, que les plus faibles désirent porter, dont il n'y a point de petit docteur qui ne veuille qu'on l'accable et auquel Balzac lui-même, qui en parle ainsi, a visé. Dans son Testament politique, Richelieu déclare qu'il faudrait ne choisir que ceux qui auront passé un temps considérable à enseigner dans les séminaires, n'étant pas raisonnable que le plus difficile métier du monde s'entreprenne sans l'avoir appris. Voilà une belle phrase, mais qui n'empêche pas son auteur d'avoir, pendant son ministère, toléré, provoqué même des choix indignes. On peut dire que le souverain était bien moins difficile pour la nomination des évêques que pour celle des généraux, par exemple, et qu'il se souciait bien plus de savoir qui mènerait ses sujets à l'ennemi que de savoir qui les conduirait au ciel.

Notre cardinal, qui trouvait que le Roi était assez capable de choisir seul les titulaires du haut clergé, exhortait les archevêques et évêques à faire examiner les prétendants aux cures, par une commission de quatre ou cinq ecclésiastiques, les plus capables du diocèse ; il conseillait aux autres la voie du concours, à laquelle il n'eût point trouvé bon d'astreindre le pouvoir royal. Les vœux du concile de Trente, ceux de la nation française par la voie de ses mandataires, étaient d'accord pour recommander ce mode de sélection, du reste difficile à employer pour la plupart des postes[18]. En effet, les bénéfices qui n'étaient à la nomination ni du Pape, ni du Roi, n'étaient pas tous à la nomination des évêques ; le plus petit nombre même rentrait dans cette catégorie. Des abbayes, des chapitres, des patrons laïques, tels que grands seigneurs, municipalités urbaines, sont en possession de choisir des curés, vicaires et chapelains.

Richelieu lui-même fait remarquer que c'était là une déviation de l'usage de la primitive Église, où les diacres et les prêtres étaient désignés par le peuple au choix de l'évêque. Il conseille de laisser subsister ces patronages, bien qu'ils soient fort dangereux, e mais parce qu'ils ont été établis, à titre onéreux, par les fondateurs e. Toutes ces raisons étaient de mauvaises raisons ; quoiqu'il soit moins illogique de voir un seigneur chrétien nommer un curé, qu'un gouvernement impie nommer un évêque. Seulement, par suite de cette dispersion de la responsabilité, des vicieux, pour s'introduire dans les cures, s'en font pourvoir in forma gratiosa, sur des attestations de vie et mœurs qu'ils tiennent souvent par surprise[19].

Un prélat écrit à une dame, propriétaire d'un fief, pour lui demander de révoquer la présentation qu'elle a faite d'un curé incapable. On devait, en tout cela, user de diplomatie. Un autre refuse d'admettre, à cause de leur ignorance, des ecclésiastiques nommés par des collateurs laïques ; mais c'est qu'alors cette ignorance passait un peu les bornes un des candidats ne sait que répondre, quand on lui demande ce que veut dire : Confiteor unum baptisma in remissionem peccatorum[20].

 

 

 



[1] Par séparation aujourd'hui nous entendons ce qu'on doit entendre : la jouissance de tous les droits d'association, de propriété collective ou individuelle, qui sont le patrimoine commun des citoyens, et dont aucun ne peut être privé sans iniquité. — Cette séparation, accompagnée d'une rente égale au budget des cultes, serait, croyons-nous, acceptée par l'Église avec les garanties qu'elle comporte.

[2] RAPINE, Cahiers des États du Tiers, p. 9. — PICOT, Histoire des États Généraux, III, 489. — Arch. dép. de Lot-et-Garonne, B. 60.

[3] GODEAU, évêque de Vence, Traité des séminaires. — Abbé HOUSSAYE, Card. de Bérulle, II, 3. — Arch. dép., du Morbihan, E. 723.

[4] A Tours, le séminaire fut fondé par Bouthillier (Arch. d'Indre-et-Loire) ; à Agen, l'évêque B. d'Elbène confia en 1650 la direction du séminaire à la congrégation de la Mission. — Arch. Lot-et-Garonne, G. 6. — Arch. dép. Haute-Garonne, G. 394, — Arch. dép. de l'Aube, G. 1293. — Lettres et papiers d'État, t. II, 73. — Aff. Étrang., t. 780, fol. 270. PICOT, Histoire des États Généraux, III, 477.

[5] La congrégation de Saint-Lazare ou de la Mission s'établit à Toul (1635), à Troyes (1637), à Annecy, à Cahors (1643). L'Oratoire fut appelé à Lyon, en 1625, par le cardinal de Marquemont. Conviés, en 1616, par Zamet, évêque de Langres, à créer un séminaire dans son diocèse, les Pères de l'Oratoire n'y avaient pas réussi. — Il serait injuste de passer sous silence les Jésuites, qui fondèrent plusieurs séminaires ; et l'école ecclésiastique dirigée par le P. Bernard, dit le Pauvre Prêtre, rue de la Montagne-Sainte-Geneviève.

[6] Savoir mars, juin, septembre et décembre. — Arrêt du Parlement du 24 février 1642.

[7] Dans ces derniers, c'est-à-dire dans le reste de la France, les taxes de la chancellerie romaine avaient été réduites de moitié. — La Bretagne avait posé cette condition que le Pape ne pourrait jamais nommer chez elle que des Bretons, afin qu'ils ne pussent porter la graisse hors de leur pays, sans desservir les bénéfices. A. DU CHATELLIER. — Concours aux cures de paroisses, en Bretagne.

[8] Arrêt du Parlement du 18 février 1629. — Déclaration du 25 avril 1833. — Il y avait pour les procurations, des notaires apostoliques dans chaque diocèse. — Les banquiers en cour de Rome étaient au nombre de 8 à Paris, 4 à Lyon et Toulouse, 3 à Bordeaux, Rouen, Aix, Dijon, Rennes et Grenoble. — On voit des bénéficiaires que leurs parents, le poignard sur la gorge, forcent de résigner en leur faveur. — TALLEMANT, X, 170.

[9] TALLEMANT, IX, 82. — Un autre, le Sr de Vaugermain se fait réhabiliter en sa noblesse qu'avaient possédée ses ascendants, mais que son père et son aïeul avaient laissé perdre. Aff. Étrang., t. 798, fol. 76 ; t. 801, fol. 113.

[10] Édit de novembre 1637. — On espère vainement faire cesser cette pratique, en ne permettant de se réserver que la moitié du revenu. — Ceux qui après avoir résigné dans une maladie, recouvraient la santé, rentraient dans leur bénéfice. — Régulièrement les curés seuls pouvaient, après soixante ans d'âge, ou pour infirmités, résigner leur cure à d'autres, en se réservant une pension. — Aff. Étrang., t. 780, fol. 261, 272.

[11] Aff. Étrang., t. 789, fol. 81. — Ordonnance de janvier 1629. — Lettres et papiers d'État, I, 757.

[12] Voyage de J. BOUCHARD, en 1630, XXIV. — RICHELIEU, Mémoires, I, 86. TALON, Mémoires, 92. — M. PICOT, États Généraux, III, 558.

[13] Aff. Étrang., t. 786, fol. 41 ; t. 795, fol. 6 ; t. 796, fol. 185 ; t. 805, fol. 89 ; t. 809, fol. 101. Un cardinal, M. de Marquemont meurt ; le 1er octobre, l'archevêque de Rouen demande son bonnet ; le 11 du même mois, M. de Bellegarde rappelle ses instances pour l'archevêque de Sens, son frère ; le 15, M. de Paris prie qu'on ne lui fasse pas le tort de donner la place à un autre (Ibidem, t. 781, fol. 180 et suivants.)

[14] RAGUENAULT DE PUCHESSE, Concile de Trente, p. 171. En France, le domaine de Bretagne ayant été affecté à la reine Marie de Médicis, pour ses deniers dotaux, la nomination aux évêchés lui appartenait aussi.

[15] M. PICOT, États Généraux, III, 454. — ARNAUD D'ANDILLY raconte dans ses Mémoires (p. 418) que son frère fut, en 1637, nommé évêque de Toul, par le chapitre qui prétendait avoir droit de nomination.

[16] En 1725, avec le Père de Lignières, confesseur de Louis XV, les Jésuites renoncèrent volontairement à la feuille des bénéfices ; et à dater de cette époque, ce 'confesseur et ses successeurs n'exercèrent aucune influence appréciable dans les questions ecclésiastiques. Ce grand pouvoir avait donc duré cinquante-cinq ans. CRÉTINEAU-JOLY, Histoire de la Compagnie de Jésus, IV, 279, 390.

[17] Lettres et papiers d'État, II, 157. — RICHELIEU, Mémoires, III, 220. — Arch. Guerre, XXXI, 110 ; XLIX, 4.

[18] Lettres et papiers d'État, II, 173. — Aff. Étrang., t. 780, fol. 270. — PICOT, États Généraux, III, 456. — En Bretagne, une bulle de 1740 établit des concours pour la nomination aux cures, dans les mois réservés au Saint-Siège.

[19] Règlement du 14 avril 1636. — Aff. Étrang., t. 794, fol. 107 ; t. 806 fol. 141. — RICHELIEU, Testament politique, I, 162 (éd. de 1764). — Arch. rom. Nevers BB, 18.

[20] Arch. dép. Sarthe G, 351. — Lettres et papiers d'État, I, 29. — En Bretagne, on trouve aux deux derniers siècles, même dans des paroisses de médiocre importance, des docteurs et licenciés de l'Université de Paris. (Arch. dép., Morbihan E, préf. 74.) Mais c'est que la condition expresse en avait été stipulée au seizième siècle.