L'amiral de France, en quoi consiste son emploi. — Amiraux de Bretagne, Provence et Guyenne. — Richelieu créé grand maître de la navigation. — Le ministère de la marine. — Défauts du commandement supérieur. — Sourdis et d'Harcourt ; le général des galères. — Capitaines de mer ; personnel aristocratique des galères, officiers plébéiens des vaisseaux ronds. — Projets d'une école navale. — Recrutement des matelots. — Les galériens ; comment on se les procure. — Administration de la marine.Il faut avant tout que le lecteur, imbu de l'organisation moderne, ne cherche à établir aucune analogie entre le titre d'amiral de France, tel qu'il existe jusqu'à Louis XIII, et le grade actuel de même nom. Un préfet maritime, propriétaire de sa charge, jugeant les causes navales par des magistrats qu'il a nommés, réglant d'une façon à peu près souveraine les rapports de la mer avec la terre, et de la terre avec la mer, tel est l'amiral. Il serait chef de toutes les armées de mer ; mais comme il n'y en a aucune, il se préoccupe, non des vaisseaux qui pourraient, en cas de guerre, défendre les ports, mais des vaisseaux qui viennent en temps de paix s'échouer sur les côtes. Il a le tiers de toutes les prises, et profite, en vrai pirate de terre ferme, de ces droits cruels de naufrage et de curée, que la civilisation n'avait pas encore abolis. Joignez-y les confiscations et les amendes ; la mer est pour lui une ferme, que ses agents du littoral ont mission de faire valoir[1]. Il n'y a rien de commun entre l'amiral et le maréchal de France. L'amiralat étant un office, transmissible par vente, ne peut se comparer au maréchalat, dignité personnelle, viagère, gratuite. Quelques amiraux jusqu'à Louis XIII devinrent maréchaux de France, y compris le duc de Montmorency[2] ; c'était un honneur dont ils étaient fiers. Sous Louis XIV, il y eut égalité entre les officiers de mer et de terre, les plus illustres parmi les premiers devinrent lieutenants généraux, voire maréchaux, comme Tourville. Avant Richelieu, ceux qu'on nomme les officiers de l'amirauté : vice-amiraux, capitaines gardes-côtes, pilotes commissionnés, messagers, sont pour la plupart des bureaucrates, qui ne voient la mer que du rivage, et n'ont rien de guerrier[3]. Amiral de France
n'est du reste qu'un nom ; la juridiction du titulaire ne s'étend que sur Devenu général des vaisseaux du Roi, condition bien différente à sa robe, dit l'agent secret d'Espagne à Paris ; le cardinal, ministre de la marine, songea à créer un ministère de la marine. Il réussit mieux pour le matériel que pour le personnel ; non pas que les officiers lui aient manqué, au contraire ; il est même étonnant de voir surgir si vite une pléiade si nombreuse de capitaines de mer qui unissent à tant de courage, tant de capacité. Seulement, Richelieu avait, selon la locution usuelle, les défauts de ses qualités ; son absolutisme ne se relâchait jamais. Il n'aimait pas, jusque dans les plus petites choses, et même pour très-peu de temps, à abdiquer, à déléguer la moindre parcelle de son autorité. Il craint, s'il la prête, qu'on ne la lui rende pas. Par suite, il est ennemi de toute hiérarchie, qui aurait pour effet de lier les mains de celui qui est placé au sommet. Avide de responsabilité pour lui-même, il divisait celle qu'il confiait aux autres, en plusieurs morceaux. Lorsqu'il créait le comte d'Harcourt lieutenant général de l'armée navale, et l'archevêque de Bordeaux chef des conseils en icelle, on ne sait pas lequel des deux sera subordonné à l'autre ; l'un était le bras, l'autre la tête, mais ce bras et cette tête paraissent indépendants, du moins égaux[7]. La mauvaise organisation du commandement supérieur que l'on signale dans l'armée, se fit beaucoup plus vivement sentir dans la marine, et paralysa son action. On voit, par la correspondance de Sourdis, que personne ne voulait obéir, et que presque tout le monde voulait commander. Par suite, on ne savait jamais à qui attribuer la victoire, mais on savait bien moins encore à qui attribuer la défaite. Quand on réussissait, le comte écrivait en cour que ç'avait été par son avis contre celui de l'archevêque, l'archevêque écrivait que ç'avait été par le sien, contre celui du sieur comte. Et Richelieu, qui le constate et nous l'apprend, n'y
remédie pas. Nous laissons ici de côté la valeur personnelle de cet
archevêque de Bordeaux qui, sauf quelques voyages en Italie et à Richelieu, souverain sur toutes les côtes, ne pouvait
cependant confier le commandement de Où le grand maître fut vraiment heureux, c'est dans le recrutement des officiers subalternes, des capitaines, des lieutenants de navire. L'éditeur des lettres de Sourdis s'exprime ainsi dans la préface de sa Correspondance : Les connaissances nécessaires à la conduite et à l'évolution d'un vaisseau manquaient absolument à M. de Bordeaux, comme à presque tous les amiraux. Car alors la science et la pratique nautique allaient généralement en raison inverse de l'éminence des grades ; les pilotes et maîtres, à quelques glorieuses exceptions près, étant toujours seuls chargés de la marche et de la conduite du navire[13]. Cette observation, qui semble vraie pour Sourdis, est tout à fait fausse et injuste pour les autres. La marine était aimée et honorée sur les côtes de Provence
et de Languedoc ; on était fier dans la noblesse de robe ou d'épée de ces
quartiers-là, de commander une galère. Pour faire son service à bord de celle
dont il est capitaine, le premier président de Tous ces officiers savaient, certes, manœuvrer eux-mêmes
le vaisseau, petit ou grand, qui leur était confié, et n'en étaient pas
réduits à dépendre des lumières de leur pilote. On en peut dire autant des
personnages qui vinrent se joindre à eux, avec une commission du Roi et non
plus seulement de l'amirale comme on avait fait
jusqu'alors[17]. Les chevaliers
des Roches et de Razilly, le commandeur Desgouttes, les sieurs de Mailly, de
Miraumont, de Charnacé, de Elle tenait lieu de celle que Richelieu avait conçue et
dont il traça le plan. 16 jeunes gentilshommes, entretenus
à Pour se procurer des matelots, le gouvernement suivit
l'exemple que Venise avait donné au moyen âge et que Le matelot ou soldat-matelot ne jouait pas à bord des galères, comme sur les vaisseaux ronds, le double rôle d'homme de guerre pour combattre et de marin pour faire marcher le navire. Cette dernière fonction était confiée à une équipe spéciale de mariniers[24]. Outre les matelots et les mariniers, il fallait encore des rameurs ; quelque bonne-voglies (gens de bonne volonté) s'engageaient dans la chiourme pour de l'argent[25] ; mais ces rameurs libres ne comptent pas, vu leur petit nombre. Tous les autres étaient ces galériens, inséparables de la prison flottante dont ils portaient le nom. Le forçat d'alors ne ressemble en rien au forçat moderne ; souvent ce n'est pas un criminel, mais un prisonnier de guerre. En 1635, on condamne aux galères 1.400 soldats de l'armée du duc de Lorraine tombés entre nos mains ; il est vrai que là-dessus il en arriva à peine 150 à Marseille. Les autres s'étaient échappés, avaient gagné les gardiens[26], ou étaient probablement morts en route, par suite du mauvais traitement qu'ils subissaient ; ce qui, disait une ordonnance royale, retarde notre service, parce que nous avons bien besoin de forçats. Le commissaire-conducteur des condamnés aux galères formait à Paris la chaine qui se dirigeait à pied vers Lyon, suivie de charrettes où l'on mettait les malades ; à Lyon on embarquait le convoi sur le Rhône, dans des bateaux si humides que l'eau y pénétrait souvent. Les malheureux étaient jetés là, comme des pierres, du fer, ou toute marchandise non sujette à se détériorer, en vrac selon le terme des compagnies de chemin de fer ; plus tard, en raison des pertes éprouvées, on fit un plancher dans le fond du navire et un plafond de bois au-dessus pour préserver ces malheureux de la chaleur[27]. Une fois rendus à destination, il n'était pas facile aux gens de chiourme de reconquérir leur liberté, même s'ils y avaient droit. Il leur fallait lutter contre la mauvaise volonté des capitaines, qui, pour ne pas désorganiser leurs équipages, s'efforçaient toujours de retarder les ordres d'élargissement. Pour tirer des galères de France les Espagnols et Portugais pris depuis le commencement de la guerre, un Juif de Provence, chargé de la négociation, promet de donner une rançon et, de plus, d'autres forçats à mettre à leur place[28]. Au point de vue pénal, l'État qui ne pouvait se passer d'un effectif permanent de six à sept mille rameurs, était amené, pour en assurer le recrutement, d'une part à modérer aux peines des galères les accusés qui n'étaient pas convaincus de crimes énormes, de l'autre, à purger Paris et autres villes des vagabonds et gens sans aveu, en les envoyant aux galères, sans néanmoins leur faire aucune injustice. On ne peut nier que cette utilisation du condamné par le gouvernement, n'eût pour résultat tant soit peu immoral, d'appliquer une punition identique à ceux qui ne méritaient pas autant, et à ceux qui méritaient davantage[29]. La marine avait, à côté de son personnel actif et militaire, un personnel judiciaire et administratif qui lui était propre. Au premier, nous avons reproché de n'avoir pas de chefs ; au second, nous reprochons d'avoir trop de juges. Tous les capitaines de vaisseaux étaient égaux. Le plus ancien commande la flotte en qualité d'amiral, pendant les trois premiers mois ; le second lui succède pendant les trois mois suivants, et ainsi de suite ils sont chacun leur tour vice-amiral, pendant que leur collègue est amiral. Les deux capitaines qui viennent ensuite font à tour de rôle, dans les mêmes conditions, les fonctions de contre-amiral. Ce sont là des emplois passagers, non des grades[30] ; tout vaisseau monté par le chef d'une expédition se nomme amiral, le navire de droite s'appelle vice-amiral, celui de gauche contre-amiral[31]. Ce fut seulement dans les dernières années de son ministère, que Richelieu donna à quelques officiers, qu'il créa capitaines d'amirauté ou chefs d'escadre, une supériorité permanente sur leurs collègues. Pour l'administration, le grand maitre en chargea huit
lieutenants généraux, sorte d'inspecteurs de marine, entre lesquels il divisa
le littoral. Ce furent des maitres des requêtes, des conseillers d'État
intelligents et dévoués. Il avait auprès de sa personne un secrétaire chargé
spécialement de correspondre avec eux, et songea à leur adjoindre seize
commissaires dans les principaux ports[32], et à créer un
conseil de marine composé de six chevaliers. Mais à côté de ces institutions,
il laisse subsister, bien plus, il accroit sans mesure les anciens sièges de
justice navale : greffiers et archers, nouveaux magistrats en grand nombre,
dans toute |
[1]
Les gages de l'amiral étaient, en outre, de
[2] On vit aussi un maréchal de France, le Sr d'Annebaut, fait amiral, sous François Ier, mais il ne quitte point l'état de maréchal.
[3]
Aff. Etrang., t.
[4]
Aff. Etrang., t.
[5]
La charge de vice-amiral de France, possédée par le marquis de Portes-Budos,
fut remise par lui à son neveu, le duc de Montmorency, moyennant
[6]
Aff. Étrang., t.
[7] Arch. Guerre, XXXII, p. 277. — RICHELIEU, Mémoires, t. III, p. 211. — Lettres et papiers d'État, t. VII, p. 249. — Correspondance de SOURDIS, t. I, p. 77. — En 1639, Sourdis était lieutenant général du Roi. — Son Pouvoir de 1636 le nomme chef des conseils du Roi, eu l'armée navale, près du Sr d'Harcourt, et aussi de la direction des subsistances de l'armée, fortifications de places, règlements de dépense, jugement de prises, etc.
[8] Vitry accuse Sourdis d'être insupportable par son arrogance, léger et irrésolu, incapable d'affaires par une présomption qu'il a de sa suffisance. (Correspondance de SOURDIS, t. I, p. 225.) Mais il y a bien à dire aussi sur Vitry, et l'histoire a de la peine à se prononcer.
[9] Correspondance de SOURDIS, LXXXIII. — L'archevêque disait pour sa défense que l'armée française ne comptait que 18 vaisseaux et 19 galères, tandis que la flotte espagnole se composait de 35 vaisseaux et 29 galères. — Il fut exilé d'abord à Carpentras (1641), puis à Vaison (1641), et ensuite laissé libre de résider où il lui plairait dans le Comtat, sauf à Avignon.
[10]
Aff. Etrang., t.
Les généraux des galères de ce temps furent Philippe-Emmanuel de Gondi, comte de Joigny, chevalier des Ordres (1598-1615), puis Pierre de Gondi, duc de Retz (1615-1635), qui avait épousé Jeanne de Beaupréau, fille de Guy de Scépeaux de Beaupréau, d'abord fiancée au duc de Montmorency, et dont le cardinal de lieu parle dans ses Mémoires. — Après eux vint François de Vignerod, marquis de Pont-Courlay.
[11]
Le bailli de Forbin s'en excuse auprès de Gondi, mais allègue les ordres d'en
haut. — Aff. Étrang., t.
[12] Correspondance de SOURDIS, t. I, p.75. — Richelieu, qui le morigénait sans cesse, fit rétablir ces officiers, et ordonna au général de leur faire des excuses.
[13] Correspondance de SOURDIS, LXXXIII.
[14] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 922. — Arch. Guerre, XXXI, 111. — Séguiran fut aussi lieutenant général de la marine en Provence.
[15]
Cf. Aff. Étrang., t.
Parmi les autres dignitaires de Malte dans le Midi, on
peut citer frère Georges (le Castellane, commandeur de Caignac, frère Denis de
Polastron, commandeur de
[16]
Aff. Etrang., t.
Correspondance de SOURDIS, t. II, p. 20. — Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 676. — RICHELIEU, Mémoires, p. 459, 472, 473, 533.
[17]
C'est néanmoins entre les mains de Richelieu, que ces officiers continuent à
prêter serment ; le procès-verbal de cette prestation était enregistré à
[18]
Voyez l'Appendice. — Aff. Étrang., t.
[19]
Arch. Guerre, XXXII, 81. — Claude de Razilly, Sr de Launay, fils de François de
R., Sr des Eaux, Mesles et Cuon, chevalier des Ordres, et de Marie de
Clermont-Thoury, fut capitaine entretenu, chef d'escadre. Il négocia un traité
utile à
[20]
Aff. Étrang., t.
[21]
Ils devaient avoir de quinze à vingt-cinq ans, et auraient reçu
[22]
Correspondance de SOURDIS,
t. I, p. 160. (En 1636.) — M. GOURAUD, Histoire de la politique commerciale de
[23]
Aff. Etrang., t.
[24]
Une galère quinquérame avait, en 1630, 270 forçats, 24 officiers, (lieutenant,
aumônier, commis, sous-commis de misaine, sous-commis de proue, etc.), 8
officiers de maistrance (dont un maitre de hache), 60 mariniers (dont 14 officiers, un pilote, 4
timoniers) et 80 matelots. Les galères
septirames avaient 360 forçats, 80 mariniers, 103 matelots-soldats. — Aff.
Etrang., t.
On ne disait la messe qu'une fois dans chaque galère avant de la mettre à la mer. — Voyage de J. BOUCHARD, en 1630, p. 173. — Arch. Guerre, LVI, 242.
[25] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 573 ; t. III, p. 173. — Correspondance de SOURDIS, t. II, p. 240.
[26] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 634.
[27] Arch. Guerre, XXXVI, 137. Les conducteurs des forçats furent, sous Louis XIII, le Sr du Buisson, puis le Sr Guillaume de Billy. — Arch. dép. de l'Isère, B. 2416.
[28]
Lettres et papiers d'État, t. V, p. 1067. — DE GRAMMONT, Relations sur
[29]
Arch. Guerre, LVI, 238. — Déclaration de mai 1635. — Aff. Étrang., 4.
[30] Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 738. — En Angleterre, au-dessous du vice-amiral, il y avait l'arrière-amiral.
[31]
Aff. Étrang., t.
[32]
Aff. Étrang., t.
[33]
Le capitaine garde-côtes. — Édits d'août 1630 ; de juillet 1633, créant 7
sièges en Languedoc et 16 en Poitou. — Aff. Étrang., t.