RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

TOME TROISIÈME. — ADMINISTRATION GÉNÉRALE (SUITE).

L’ARMÉE.

CHAPITRE VII. — L'INTENDANCE. - LE BUDGET DE LA GUERRE.

 

 

La solde, ce qu'elle est, comment elle est payée. — Les vivres et l'entretien des troupes. — Situation matérielle du soldat. — Systèmes adoptés pour la nourriture des hommes. — Logements et cantonnements, pas de casernes. — Transports militaires, train des équipages. — Entretien des régiments à l'étranger. — Hygiène de l'armée, ambulances et hôpitaux militaires. — Invalides, frères lais ; mortes-payes, vétérans. — Administration, inspection et contrôle ; commissaires des guerres et intendants d'armée. — Fraudes et abus ; passe-volants. — Le budget de la guerre ; grands besoins d'argent.

 

Il en restait bien davantage encore dans l'intendance. — L'armée est sur pied, elle est imposante ; à sa tête sont des officiers d'une bravoure extrême ; les généraux savent commander, les soldats savent obéir. Les citadelles sont en état de se défendre ; les canons sont prêts à tirer ; rien n'est fait encore, car tout peut se défaire en quelques semaines, si l'on n'y prend garde, Il faut les payer, ces hommes engagés pour si petit gain, et qui méritent leur salaire aussi bien que tout honnête ouvrier ; des mains avides interceptent leur solde au passage, il faut les couper. Il faut nourrir les armées ; pour les nourrir, il faut non-seulement de l'argent, mais du blé, de la viande, du vin, etc. ; or il est souvent plus aisé d'avoir des écus d'or que des miches de pain ; et il est encore moins difficile, en ce temps, de fabriquer le pain que de le conduire à ceux à qui il est destiné. Ce n'est pas tout : il faut des hôpitaux pour réparer les soldats-cassés, certains services sanitaires pour prévenir les maladies qui les usent, sans profit pour l'État ; tandis qu'il convient de ne les user qu'utilement, de les empêcher de mourir ailleurs que dans le combat. Il est bon enfin que, devenus vieux ou invalides, on ne les abandonne pas sur le pavé, d'abord parce que ce serait inhumain, ensuite parce que la sécurité de l'avenir inspire davantage le goût du métier.

Tout cela eût été impossible à un homme ordinaire ; tout cela se résout pour un ministre du génie de Richelieu, par une question d'argent. Encore faut-il, pour faire vivre le militaire, ne pas tuer le civil — la poule aux œufs d'or ; — que le budget de la guerre n'écrase pas le budget de l'État, u point d'anéantir l'État. Quand on a l'Europe sur les bras, ce sont des questions qu'on n'a pas le temps de se poser ; l'histoire les pose, admire, mais se permet certaines réserves.

Le chiffre de la solde varie extrêmement, selon les années, parce que tantôt elle consiste seulement dans le prêt — ce terme est déjà en usage — tantôt elle comprend le prêt et les vivres. En 1627, on donne au soldat 3 sous par jour, en 1630, on lui donne 9 à 10 sous, mai ; il doit se nourrir à ses frais ; le gouvernement ne lui fournit que le pain de munition[1]. En théorie, la solde devait être donnée d'avance, et à jour fixe ; en pratique elle l'était à des dates indéterminées, quand l'État avait de l'argent. On appelait montre le jour de la paye, sans doute parce que le capitaine devait faire voir ses hommes au commissaire chargé d'en vérifier le nombre. Par extension la paye elle-même se nomma montre. Rangés sur les remparts de la ville spécialement destinée à cet objet, les hommes émargent à tour de rôle, en regard de leurs noms, sur de grands parchemins, où ils sont alignés comme sur le terrain, en plusieurs colonnes[2]. En principe la montre avait lieu tous les mois, à moins que pour empêcher les soldats de se débander, après avoir touché et dépensé leur argent, on ne les payât tous les huit ou neuf jours comme on fit pendant le siège de la Rochelle. Plus tard, pour diminuer ses charges, le gouvernement espaça de plus en plus les montres ; il donna pour trente-six jours seulement, puis pour quarante-cinq, la somme qu’il donnait d'abord pour trente jours ; ce qui réduisit la solde de moitié. On peut leur faire considérer, s'ils réclament, qu'il n'y a point de troupes en Europe payées sur ce pied-là[3]. Vers la fin du règne, on ne donnait plus à l'armée que trois ou quatre montres par an ; elle ne touchait donc plus de quoi vivre ; e d'où la nécessité de la faire hiverner aux frais des paysans, avec des désordres incroyables[4].

A ceux quia demeuraient assidûment dans leur garnison n, on donnait deux fois par an, une indemnité de 6 à 12 livres pour avoir du linge, des bottes, et autres nécessités — ce qu'on nomme aujourd'hui le petit équipement. Eh temps de paix, les soldats honnêtes qui ne volent ni ne pillent exercent tous quelque métier qui les aide à subsister ; même aux gardes le fait est admis ; ils reçoivent en outre d'assez bonnes gratifications, quand ils sont de faction à la porte de quelque prince. En temps de guerre ils vivent dans l'espérance du butin, comme des corsaires ; les chefs jettent des pistoles à ceux de leurs hommes qui ont bien tiré, ou leur proposent des récompenses pécuniaires pour des faits d'armes à accomplir[5].

Aujourd'hui, pour entretenir sur le pied de paix, environ 420.000 hommes, la France dépense annuellement 531 millions, soit 1.264 francs par homme et par an. En 1639, où l'armée compte 146.000 soldats, nous avons évalué le budget de la guerre à plus de 86 millions de livres, soit 589 livres par homme, qui, au pouvoir actuel de l'argent, donnent 3.534 francs. Le soldat du dix-septième siècle coûterait donc trois fois plus cher que le soldat du dix-neuvième, si l'on pouvait comparer une année de paix à une année de guerre. Mais comme, en 1639, toutes nos armées étaient en campagne, tandis qu'à l'heure actuelle nos troupes sont en garnison, on ne peut dire si, en tenant compte de la valeur de l'argent et des effectifs aux cieux époques, la guerre était plus chère sous Louis XIII que de nos jours. Un fait certain, c'est que la nourriture des troupes, soit à cause du prix élevé du pain, soit à cause du défaut d'organisation, était plus coûteuse alors qu'aujourd'hui !Un bataillon d'infanterie de 280 hommes revient à l'État, en 1886, à 15.500 francs par mois (solde comprise) ; un régiment de 700 hommes, tel que Picardie ou Piémont, coûtait 15.400 livres, en 1627. L'homme revient donc maintenant à 55 francs par mois, il coûtait en 1627, 22 livres, qui multipliées par 6 représentent 132 francs. On estime en 1886 la nourriture d'un fantassin à 0 fr. 60 centimes par jour ; tandis que sous Louis XIII, on remettait au soldat pour se nourrir 3 et 4 sous, qui valent aujourd'hui près de un franc vingt centimes. Mais la dépense des munitions était beaucoup moins grande que de nos jours[6].

L'État, après avoir hésité pour nourrir l'armée, entre deux systèmes qu'il pratiqua successivement : l'un qui consistait à acheter les vivres à un munitionnaire, et à les fournir aux hommes en nature, l'autre par lequel il donnait aux soldats de l'argent pour se nourrir, finit par s'arrêter à un troisième qui demeura en vigueur jusqu'à la fin de la guerre de Trente ans. Il mit l'entretien des soldats à la charge des villes, des provinces où ils stationnaient ; et remboursa les États provinciaux et les municipalités de leurs avances, au moyen de deux impositions : les quartiers d'hiver et les étapes, recouvrées sur tout le territoire français, en même temps que les tailles[7].

Une ordonnance sur les étapes avait tracé quatre grandes brisées, qui sillonnaient la France d'une frontière à l'autre : l'une de Picardie à Bayonne, l'autre de Marseille en basse Bretagne, la troisième du milieu du Languedoc au milieu de la Normandie, la quatrième de l'extrémité de la Saintonge aux confins de la Bresse[8]. Les troupes qui les parcouraient étaient nourries gratis par les populations du voisinage ; plus tard les gens de guerre, dont on augmenta la solde en conséquence, durent acheter ce dont ils avaient besoin, au prix du dernier marché. Il faut, écrit Richelieu, que les soldats ne prennent pas un œuf sans payer. Mais le soldat n'avait pas de quoi payer ; la somme qu'on lui allouait était insuffisante[9]. La ration d'un fantassin calculée sur une livre et demie de pain, un litre de vin ou deux litres de cidre ou de bière, et une livre de viande, n'était pas représentée par les trois ou quatre sous qu'on lui donnait. Il en était de même du gendarme qui recevait seize sous par jour, du chevau-léger qui en recevait treize et avait à faire subsister deux hommes et deux chevaux[10]. Le gouvernement crut tout concilier en décrétant, pour les vivres fournis aux gens de guerre, un taux légal inférieur au cours réel. Dans ce taux légal, le quintal de foin, dit le duc d'Angoulême, est à 8 sols, et il en vaut 15, le boisseau d'avoine à 4 sols, et il en vaut 7, la viande à 1 sol la livre de bœuf, et elle en vaut 2, le pain de 16 onces à 1 sol, et il en vaut 2 en cette cherté, etc. Aussi, dès que ce règlement est fait, il n'arrive plus rien dans les villes, et l'habitant crie à la faim.... Le cavalier est un saint, pourvu qu'il ne fasse que vivre, en marche, selon l'ordre de la garnison, lequel ne peut monter moins que 33 sols, avec toute sorte de ménage[11].

On obligea chaque capitaine à avoir un vivandier pour administrer les vivres au prix des marchés. Ces vivandiers pillaient tout dans la campagne ; il fallut les contraindre, sous peine des galères, à s'enrôler dans les régiments où ils voulaient servir[12]. L'État, quand il nourrissait ses troupes en nature, était le premier à fermer les yeux sur les larcins des soldats, à condition d'en tirer profit. Un agent du cardinal écrit très-naïvement : que le prix courant du blé entre paysan et paysan est de trois pistoles la charge, mais qu'il en a eu à deux pistoles, attendu qu'il l'a acheté des soldats[13]. Dans les villes assiégées, ou en rase campagne dans les pays ruinés, il fallait bien que l'autorité militaire pourvût elle-même à la subsistance des armées ; elle le fait assez chichement, et encore avec mille peines. Quand les soldats ont épuisé les biscuits, percés par le milieu, qu'ils portent à leur ceinture, ils doivent se sustenter avec une livre de riz par deux ou trois hommes[14].

Dans les garnisons, où les soldats ne vivent qu'au jour la journée, dès que l'argent leur manque, si les officiers ne leur en prêtent plus, ils sont réduits à n'avoir pas de pain, car de crédit chez les bourgeois il n'en faut point parler pour eux[15]... Souvent on avait du blé, mais aucun moyen de le réduire en farine ; un commissaire de l'artillerie inventa des moulins à bras pour les troupes, et l'État obligea tous les ouvriers capables du royaume de travailler à la confection de ces instruments cessant et postposant tout autre ouvrage[16]. Heureusement le soldat français n'était pas difficile et se contentait de peu. Il n'en était pas de même des régiments étrangers, des Anglais par exemple que nous avions à notre service, sous la régence d'Anne d'Autriche : huit sous par jour et le pain ne suffisent pas, à cette nation carnassière, parce qu'elle n'est pas satisfaite du pain de munition, n'y étant pas accoutumée, et en ayant toujours eu d'autre[17].

D'organisation administrative, aucune trace, pas même un léger embryon. Aussi, à peine la guerre commence-t-elle, guerre préparée pourtant de longue main, que les vivres font défaut ; à tout moment on e besoin de l'assistance des particuliers. Tout le monde se mêle des approvisionnements : magistrats, évêques, secrétaires du Roi, ambassadeurs à l'étranger. Inutile de dire que Richelieu s'en occupe personnellement, et dans les plus minutieux détails[18]. Ce ministre qui, dans la plénitude de sa puissance absolue, doit appeler encore le Roi à son aide pour fixer le prix du pain, et régler la distribution, est amené à supputer le nombre de livres de beurre, de têtes de bétail et de barriques de vinaigre qu'il faut à telle ou telle garnison[19]. II ne suffisait pas de prévenir les grandissimes fourbes des munitionnaires, il fallait éviter cet inconvénient qui est ordinaire à ceux qui entreprennent des marchés pour le Roi, savoir est qu'ils promettent tout et ne tiennent rien[20]. Le prétexte des voleries que font les munitionnaires, écrit le maréchal de la Force, consiste en ce qu'ils disent qu'on leur rompt les caissons en chemin, et qu'on les pille de jour et de nuit ; mais il ne s'est jamais trouvé que cela fût. Ils s'excusent aussi sur ce que les caissons ne sont pas assurés, les serrures étant faciles à être enlevées. J'ajouterai que leurs charretiers, à ce qu'ils me rapportent, vendent le pain, et néanmoins quand je leur commande de faire arrêter les coupables, il ne s'en trouve pas[21].

Puis, il y avait le gaspillage. — Il ne faut que bon pain, bon vin et bon fourrage, disait le maréchal de Gassion ; le comte d'Harcourt mangeait en public, pour faire voir qu'il n'avait pas de meilleur pain que les simples soldats. Mais c'étaient là des exceptions ; la plupart des généraux voulaient avoir dans les camps un train magnifique ; et chacun s'efforçait d'imiter leur exemple. Aussi quand on confiait, en certains cas, le soin et la garde de la farine aux principaux officiers de chaque régiment, le remède était médiocre ; certes ils ne la volaient pas, mais ils la dissipaient avec une parfaite insouciance[22]. Le munitionnaire de l'armée de Provence tombe malade, on charge un officier de surveiller la fabrication du pain ; celui-ci s'empresse de faire faire et d'offrir au général en chef 2.000 pains avec de l'anis, 800 à chacun des maréchaux, et proportionnellement à tout l'état-major. Il faut donc avouer que l'Édit royal n'a pas tort, quand il se plaint que le peu d'ordre apporté à la distribution des vivres, fait que l'on consomme quelquefois en un jour, ce qui devrait suffire pour un mois entier[23].

Souvent, nous l'avons dit plus haut, les vivres existaient, mais on ne pouvait pas les faire parvenir aux troupes. La question des transports militaires, si peu aisée même dans les temps modernes, crée à cette époque des difficultés insurmontables. Ni routes, ni charrettes, ni chevaux, ni charretiers. Par contre, énormément de bagages ; tout le monde en a, jusqu'aux simples soldats d'infanterie, mais personne ne veut les porter. Le capitaine devait se munir de charrettes suffisantes pour lui et sa compagnie, mais il s'en souciait fort peu, trouvant plus simple de prendre celles qui lui tombaient sous la main. Accompagnés à la guerre, comme ils le sont souvent, de leurs femmes et de leurs enfants, les officiers de tout grade, avaient pourtant un volume respectable de caisses de tout genre[24]. Les simples fantassins, à qui il était permis d'avoir une charrette à huit ou dix pour leurs hardes, ne s'en contentaient pas ; on eut peine à les empêcher d'entretenir individuellement un cheval[25]. Et tandis que chacun montrait grand souci de ses objets personnels, tout le monde regardait comme au-dessous de soi de s'occuper du charroi général. J'ai mille obligations à tous ces messieurs, que je vois souvent à la promenade, écrit de Bordeaux le prince de Condé, mais nul ne fait conduire les munitions ni par terre ni par mer. Richelieu dut y mettre la main, s'initia au métier... secoua les uns, activa les autres : Faut savoir combien porte une charrette, combien pèse le setier de blé... il faut des charrettes bien faites, couvertes de toile cirée, à la flamande, pour mettre le pain et farine à couvert[26]. Des chariots de l'armée impériale, montés sur quatre roues, le corps en osier couvert de cuir noir, étant tombés entre nos mains, nous servirent de modèles[27]. De Noyers, avec son esprit organisateur, imagina ce qu'on nomme aujourd'hui le train des équipages. Il propose d'avoir des chevaux, des charrettes et des charretiers supernuméraires, pour remplacer ceux qui se cassent ou meurent. Au lieu d'un capitaine du charroi dans une armée, il en faudrait deux... il faut des bourreliers, maréchaux et charrons. Quelque beau que soit un équipage lorsqu'on se met en campagne, il périt en peu de temps, faute de tout cela[28].

En attendant que le secrétaire d'État de la guerre eût réalisé les vœux qu'il formait là, le transport des vivres demeurait non-seulement fort onéreux — le duc de Savoie qui se charge de faire parvenir 4.000 sacs de blé à Casal, veut les survendre le triple de leur valeur[29] — mais bien souvent tout à fait impossible. Plus d'une fois les soldats français auraient pu, comme les janissaires révoltés en Orient, accourir au quartier du général, portant en signe de protestation les marmites renversées[30]. Il n'est pas rare, même après une victoire, de voir l'armée manquer de pain deux ou trois jours ; tantôt les mauvais temps, tantôt l'absence de mulets, comme au pas de Suze, empêchent les subsistances d'avancer. Un général déclare que plus il aura d'infanterie, et moins il obtiendra de résultat, à cause de la difficulté de leur fournir du pain suffisamment pour se mouvoir[31]. Cette rareté des vivres prend parfois les proportions d'une véritable disette. Dans l'armée de l'Est, en 1637, la nécessité a réduit les uns à mourir de faim, et contraint les autres à piller du pain et du fruit dans les marchés, et déterrer les morts pour ôter les linceuls de leur sépulture. La bourgeoisie s'est soulevée, en a tué quelques-uns et mis dehors les autres. Cela sera universel par toutes les garnisons[32]. Cependant la volonté du ministre était formelle ; pour lui, traiter une contrée en pays conquis voulait dire qu'on voulait la traiter mieux que la France elle-même ; il prenait le contre-pied du dicton. Pays conquis ou pays à conquérir avaient droit à toutes ses politesses. Pour faire traverser la Savoie à l'armée française, le cardinal paye en rechignant au duc, beau-frère et allié du Roi, une indemnité qu'il a longuement marchandée, mais pour que nos citadelles de Pignerol, et des vallées qui en dépendent, ne coûtent rien au peuple d'alentour, il expédie volontiers de France la solde de leurs garnisons. Il agit de même dans les Pays-Bas, et en Lorraine, jusqu'en 1635 ; ce ne fut qu'en présence de la mauvaise volonté persistante des Lorrains à notre égard, que pour les punir, il ordonna que les armées vivraient sur le pays[33]. La Catalogne tira de nous bien de l'argent, on y payait tout comme dans une hôtellerie ; là comme ailleurs on désire ne pas faire appréhender à nos voisins de se soumettre à la domination du Roi. Bien loin d'établir de nouvelles impositions, on oublie de recouvrer les impôts existants. Il n'y a rien de pressé, écrit le Roi à son général en Allemagne, pour l'établissement d'un receveur des droits qui appartiennent à la maison d'Autriche. Je désire penser plutôt, au soulagement de ceux dudit pays, qu'à en retirer aucune utilité[34].

Plus le désir de s'annexer la ville ou la contrée est vif, plus les prévenances se multiplient ; tel est Strasbourg : J'ai été à Strasbourg, écrit de Noyers à Richelieu, pour leur présenter des lettres du Roi, et les faire bien payer de toutes les munitions de bouche qu'ils avaient fournies à l'armée. Nous l'avons fait avec applaudissements, et leur avons distribué quelques médailles du Roi, pour témoignage de l'affection de Sa Majesté envers eux. Ils les ont reçues avec de grandes marques de satisfaction, mais je n'y vois rien à espérer davantage... ils sont républicains, et fort amoureux de leur liberté, qu'ils croiraient blessée par le simple mot de protection[35].

Chaque année, à l'entrée de la mauvaise saison, les troupes étaient cantonnées dans les villes frontières, pour la durée de l'hiver. Comme il n'existait nulle part de casernes, et qu'on n'avait même pas idée d'en construire, puisque l'armée était destinée à disparaître à la paix, les soldats logeaient toujours chez l'habitant. Rude charge pour la population civile ; en Hollande, ce pays modèle de la liberté, on ne donne point de billets pour les loger. Les bourgeois les choisissent eux-mêmes sur la place ; les uns en prennent deux, les autres quatre, et non pas tous d'une même compagnie. Le pays donne deux sous par jour à l'hôte, pour le logement de chacun. Ceux qui restent et qui n'ont point été pris, sont mis dans des corps de garde. Pour l'ordinaire il n'y a que les plus mal faits et mal vêtus qui demeurent sans logement ; quand on les a un peu rajustés il se trouve quelqu'un qui les retire, mais on ne peut l'y contraindre[36]. En France, le logement était obligatoire ; et le soldat a droit au lit, linge de table, pots, écuelles, verres, place au feu et à la chandelle de l'hôte, selon la formule connue. Bien que des règlements eussent défini soigneusement les droits respectifs de l'hôte et de l'homme de guerre, que le nombre des bûches et la grosseur de la chandelle fussent spécifiés selon le grade, ainsi que les dates de changement des draps de lit et du linge de table, cette cohabitation donnait lieu à des plaintes perpétuelles[37]. Le gouvernement reconnait que l'ustensile — le logement avec ses accessoires — servait assez ordinairement de prétexte aux vexations des soldats ; aussi, faut-il voir comme chacun cherche à s'y soustraire. Sans cesse on écrit au secrétaire d'État pour lui demander, ou lui donner ordre, d'exempter du logement des gens de guerre tel ou tel village qui appartient à ce maréchal, cet évêque ou ce grand seigneur. Le ministre de Noyers donne lui-même l'exemple ; il recommande à la Meilleraye la ville des Andelys à cause que je suis leur voisin à la campagne, et que j'y connais beaucoup d'honnêtes gens, qui méritent d'être favorisés[38]. Certains bourgs s'exemptaient à prix d'argent, et ce furent des exemptions de ce genre, accordées par Marillac dans son gouvernement de Verdunois, qui figurèrent dans le procès du maréchal, parmi les principaux chefs d'accusation[39].

Un grand arbitraire présida, jusque vers 1638, à cette répartition des troupes sur la surface de la France répartition qui semble faite par le secrétaire d'État, au nom du Roi — c'est toujours par lettres royales, qu'il est ordonné au corps de ville de telle ou telle localité de recevoir des gens de guerre — mais qui en réalité est le produit du bon plaisir des généraux ers chef et des gouverneurs[40]. Mieux vaut encore en passer par là, que de laisser un régiment en état de vagabondage, vivre très-mal — on devine ce que cela veut dire — et ruiner une province en un hiver[41]. Quand on imposa partout ces nouvelles contributions : étapes et subsistances, recouvrées en même temps que lei tailles, et que l'État employait à rembourser les avances faites par les villes, pour la nourriture des soldats, il s'établit un ordre général des garnisons. Il y avait six armées, on divisa le royaume en six régions. Chaque commandant de corps sut d'avance le lieu où ses troupes devaient hiverner, et jusqu'au chemin qu'elles devaient suivre pour s'y rendre, sans qu'il pût en rien modifier l'itinéraire envoyé de Paris, et les garnisons prescrites, sauf en cas de maladies contagieuses, ou d'indigence reconnue des localités[42].

La question des vivres fit ainsi, sous Richelieu, un progrès notable ; on n'en peut dire autant de la solde. La solde, c'était un luxe ; le gouvernement traite un peu ses soldats comme don Juan monsieur Dimanche. On envoie une montre à la cavalerie qui est dans Casal, dit Richelieu, mais pour l'infanterie à qui l'on donne pain, vin et viande, on ne juge pas à propos de lui rien bailler, que de bonnes paroles[43]. Sans cesse des officiers, au nom de leurs troupes, réclament le payement des sommes arriérées. Pontis est, à cet effet, député de Montpellier à Paris. Nul ne se plaindra de moi que de manque d'argent, écrit Condé, et cette maladie ne se guérit point par embrassades, avec les vieux régiments. L'État, toujours gêné, s'exécute à contrecœur ; M. de Chatillon s'en va en son gouvernement, il a fallu payer deux mois à ses gardes dont il aura besoin. Un intendant des finances trouve en rentrant chez lui, un homme endormi dans sa salle et le reconnait. C'était un officier d'armée qui venait souvent solliciter son payement. — Il est temps, dit-il à son secrétaire, de chasser cet homme, il commence à devenir trop importun[44]. Le payement manque toujours, ou parce qu'il n'y a point de fonds, ou parce que celui qui est destiné à cet usage est détourné. Le lecteur l'a vu dans les Finances, il est inutile d'y revenir ; tout ce qui touche à l'administration des deniers publics est déplorable. Rien que sur les soldes des Suisses, notre ambassadeur près des Cantons, le sieur de Castille, à qui l'on avait donné ce poste pour se remplumer, gagne en quelques années 600.000 livres[45].

Or l'absence de solde est chose avec quoi l'on ne plaisante pas. Le régiment de la Rochegiffard, faute de montre, perd en vingt-quatre heures 800 hommes ; le régiment d'Attichi est réduit à cinquante par le même motif. Les soldats de Ménillet sont nus et misérables ; depuis le 18 mars (on était alors au 15 novembre) ils n'ont touché que 3 liv. 12 sols. La pauvreté fait que les officiers ont désemparé de leurs garnisons, pour aller se rhabiller[46]. Il n'y a à Saint-Dizier, écrit Louis XIII au cardinal, ni trésorier ni munitionnaire et toutes les troupes sont sur le point de se débander, s'il n'y est pourvu promptement. Pour moi, je n'y oserais aller à cause des crieries et plaintes que j'aurais de tous côtés, à quoi je ne pourrais remédier. Sans paye, les régiments fondaient comme la neige au soleil. Une armée (celle du maréchal de Brezé) dont le prince d'Orange disait qu'elle était extrêmement bonne, toute autre qu'on n'est accoutumé d'en imaginer de la nation française, en grandeur d'hommes, en ordre, en habits, en était réduite, six mois après, au point que les soldats demandaient l'aumône et mouraient de faim[47].

Heureusement que les autres nations, sauf la Hollande, n'étaient ni plus riches, ni plus fidèles que nous à tenir leurs engagements ; au contraire. Le duc de Lorraine disait d'un de nos compatriotes : C'est une chose étrange, je n'ai dans mes troupes que ce seul Français, et il est sans cesse à me demander de l'argent, comme si j'en donnais à mes soldats. N'est-il pas vrai, messieurs, dit-il en s'adressant aux autres officiers, que j'ai bien accoutumé de vous en donner ?[48] Les hommes du duc de Weimar, ceux du roi de Danemark étaient aussi accoutumés à ne point toucher d'argent. Cela rétablissait l'équilibre. L'armée impériale souffrait elle-même cruellement du besoin ; il était des pays en Allemagne qu'elle n'aurait pu traverser sans mourir de faim, tellement elle les avait épuisés par un pillage ininterrompu. Elle portait la peine de ses propres fautes ; les généraux ne guerroyaient bien souvent que pour nourrir leurs troupes ; ces hommes qui n'avaient vécu que pour se battre, en étaient réduits à se battre pour vivre.

La comptabilité militaire, machine vaste et compliquée, depuis lors formée et reformée pièce à pièce à travers les siècles, n'existait pas encore. On cherche, on tâtonne ; il ne se passe pas une période de six mois, en quinze ans, où il n'y ait quelque modification fondamentale au service des trésoriers de régiments. On les supprime, on les rétablit, on les réduit à deux ou trois, ou en crée trente ou quarante ; on abolit les anciennes charges, pour les faire revivre quelque temps après sous de nouveaux noms. La vénalité des offices exerce, ici comme ailleurs, ses ravages. Des emplois sans but inventés pour être vendus, et vendus au premier venu, constituent dans l'organisation nouvelle un rouage non-seulement inutile, mais nuisible[49]. Les officiers eux-mêmes, depuis le capitaine jusqu'au maréchal de France, en prenaient à leur aise avec les deniers du Roi. Forcés par l'État de faire souvent des avances, ces gentilshommes qui empruntent en leur propre et privé nom, qui mettent les bijoux de leurs femmes en gage, pour payer leurs soldats, comme fit le marquis d'Uxelles[50], n'étaient pas des hommes d'argent ; mais il leur semblait, en détournant à leur profit tout ou partie des sommes qui leur étaient remises pour la paye, qu'ils faisaient un emprunt à Sa Majesté, tel que Sa Majesté leur en eût fait un à l'occasion. Le Roi le sait bien, et ne s'en étonne pas outre mesure. Il défend aux officiers le séjour de Paris pendant les quartiers d'hiver, parce que la plupart d'entre eux consomment en débauches, l'argent que je leur fais donner pour leurs troupes. Le prince de Condé obtient des fonds pour payer un quartier de sa compagnie de gendarmes, mais il aime mieux se prévaloir de cet argent à son profit, que de l'employer audit payement[51]. Le cardinal, donnant un corps d'armée à commander au duc d'Angoulême, lui dit : Monsieur, le Roi entend que vous vous absteniez de.... (Et en disant cela, il faisait avec la main la patte de chapon rôti, lui voulant dire qu'il ne fallait pas griveler[52].)Le bonhomme, comme vieux courtisan, lui répondit en souriant, et en haussant les épaules : Monsieur, on fera tout ce qu'on pourra pour contenter Sa Majesté[53].

Une des fraudes principales était les passe-volants. C'étaient le plus souvent des valets d'officiers, des marchands suivant les troupes, ou des gens sans aveu, à qui l'on mettait, pour la revue du commissaire, l'épée au côté, le mousquet sur l'épaule. D'autres fois, c'étaient de vrais soldats que les capitaines se prêtaient obligeamment et réciproquement les uns aux autres, et qui passaient et repassaient ainsi sous les yeux du commissaire, comme ces personnages de comédie qui remplissent successivement plusieurs rôles dans la même pièce[54]. Pour lutter contre cet abus, qui ne fut complètement déraciné que dans la seconde moitié du siècle, le surintendant d'Effiat déposséda les capitaines du droit où ils étaient jusqu'alors de payer leurs hommes ; les commissaires des guerres furent chargés de ce soin. Pourvu qu'on payât les soldats à la banque, sur des revues certaines, vingt régiments ne coûteraient pas plus que dix, qu'on présupposait complets, et qui ne l'étaient jamais[55]. Énergiquement appuyés par le pouvoir civil, contrôlés par les sergents-majors de chaque compagnie, auxquels on donnait dans ce but un supplément de solde, les commissaires des guerres ne rendirent cependant pas les services qu'on s'en était promis tout d'abord. L'emploi était vénal, l'achetait qui voulait ; ni la moralité, ni la position sociale des premiers titulaires de ce poste, n'était eu rapport avec l'autorité qu'on leur attribuait. Surveillants, ils eurent vite besoin d'être surveillés ; arbitres entre les officiers et les soldats, ils eurent besoin d'être soutenus contre les uns et les autres[56]. Les commissaires font signer aux capitaines d'infanterie les rôles en blanc, et ils les remplissent après à leur fantaisie avec les trésoriers. Ils obtiennent des généraux des ordonnances de fonds, sans leur faire voir le menu de la dépense[57]. Pour contrôler, et diriger les commissaires, autant que pour donner à ces agents isolés la cohésion qui leur manquait, on créa les intendants d'armée. Ce ne fut pas par un édit spécial (que l'on chercherait vainement puisqu'il n'existe pas), mais par des nominations individuelles et successives à cette fonction, qui peu à peu se définit et se généralise[58]. Leurs attributions : tout, sauf le commandement militaire ; l'intendant d'armée est même bien souvent intendant de la province où il réside ; c'est un proconsul. A l'avènement de Louis XIV, sa situation était légalisée ; les règlements avaient fixé ses gages, comme son pouvoir. Déjà il avait ses subdélégués, pour triturer la menue besogne, et veiller à l'exécution de ses décisions[59]. L'intendant était pris dans ce que la robe avait de plus élevé ; par sa fortune, ses alliances, c'était un personnage ; tout différent des pauvres diables de payeurs qui grouillaient dans les bas-fonds de la hiérarchie. Par l'appui aveugle du ministère, ce personnage fut un autocrate ; par ses traditions de magistrat, cet autocrate fut un honnête homme. Il n'eut d'autre vice que le vice qu'il fallait avoir : autorité absolue sur ceux qui étaient au-dessous de lui, soumission sans bornes à ceux qui étaient au-dessus de lui. Nous disons vice, parce que pour la justice et l'administration provinciale proprement dite, confiée à l'intendant, à nos yeux c'en fut un mais pour l'armée, ce fut le salut ; ces civils donnèrent aux militaires l'exemple de la discipline.

A la même époque, par les soins des intendants et ceux clergé, était organisé le service sanitaire[60]. Richelieu préférait même pour cette tache les religieux aux laïques : Faut donner le soin de chaque hôpital à un ecclésiastique actif et zélé, au lieu de le confier à des maîtres des requêtes, qui savent mieux plaindre la misère des soldats blessés, qu'y apporter remède et les faire secourir. Il estimait plus 2.000 soldats, sortant guéris de l'hôpital, et en quelque sorte rompus au métier, que 6.000 recrues nouvelles[61]. Cependant, jusque vers 1039, il n'y eut aucun hospice militaire, ni dans les villes ni dans les camps. Il n'ya même guère de médecins. Les officiers riches ont dans leur train des barbiers-chirurgiens ; le plus souvent on se contente des médecins du lieu, de quelques empiriques. Le blessé qui n'a pas de quoi se faire soigner à ses frais, a grand'chance de succomber. Les soldats, dit Arnaud, voient que dans leurs maladies on a moins soin d'eux que l'on n'en a des chevaux, lesquels on fait panser soigneusement, parce qu'on ne les peut perdre sans qu'il en coûte de l'argent pour en avoir d'autres[62]. Les malades que l'on pouvait transporter à l'intérieur du royaume, étaient confiés aux soins des municipalités, qui faisaient enjoindre aux chirurgiens, par arrêts des tribunaux, de les visiter et panser sous peine de fortes amendes[63].

L'hygiène était détestable ; la mortalité par les maladies était énorme dans toutes les armées. Dans l'armée allemande en particulier, il y avait toujours quelque germe de peste. Une troupe qui campe, dit un rapport officiel, ne peut demeurer longtemps en même lieu sans qu'il y ait une extrême infection par la saleté des soldats, les tripailles des bêtes que l'on tue, et des chevaux qui meurent. Il faut avoir des gens destinés à mettre l'ordre là dedans, car aussitôt qu'une armée a un peu pâti, il ne s'en trouve plus qui le puissent ou le veuillent faire ; les soldats le refusent absolument, et s'ils y consentent, leurs capitaines les en empêchent, en disant que cela est indigne d'eux[64]. Les nouveaux intendants qui se donnaient des peines incroyables pour faire enterrer les chevaux morts, se préoccupèrent à plus forte raison de soigner les hommes vivants. Sur divers points du territoire, on voit des dépenses faites pour les hôpitaux de l'armée, et pour les gens et drogues nécessaires. De plus, à chaque corps, il y eut des Jésuites et des cuisiniers pour donner des bouillons et des potages, à tous les malades qui ne voulaient pas aller aux hôpitaux, un chirurgien et un apothicaire, pour saigner et secourir de médicaments ceux qui en avaient besoin. Les Pères Jésuites semblent cumuler la direction des ambulances, avec la charge de l'aumônerie. Comme ambulanciers, ils avaient à leur disposition deux charrettes, des vivres et six moutons tous les jours ; comme aumôniers les susdits Jésuites devaient avoir un soin particulier de se trouver aux occasions périlleuses, pour donner des absolutions générales, après avoir exhorté et tiré des soldats des actes de douleur de leurs fautes[65].

On s'occupait aussi des invalides ; — des estropiés comme on les nommait — dont la destinée était lamentable. Au moyen âge, le pouvoir civil d'accord avec le clergé, avait créé dans les abbayes des places de religieux laïques ; mais le temps avait entièrement corrompu cette institution, et au dix-septième siècle on voyait souvent les abbés donner ces places à leurs propres domestiques, en guise de salaire. La portion monacale de ces frères lais, ou oblats, pouvait être évaluée en argent à 100 livres. C'était la retraite des hommes de guerre — soldats ou capitaines — qui n'avaient pas de moyens d'existence. Les autres ne recevaient aucune indemnité ; ils se fussent peu souciés du reste d'aller finir leurs jours en sonnant les cloches, et en balayant les cloîtres d'un monastère. Ceux qui n'avaient pas d'autre perspective que de demander l'aumône ou de mourir de faim, en attrapant de loin en loin quelque don de 10 ou 15 livres au plus sur la cassette royale[66], s'estimaient heureux d'obtenir ces lettres patentes de religieux lais, qui leur donnaient du moins le vivre et le couvert[67].

Une maison d'invalides avait été ouverte par Henri IV, rue de l’'Oursine à Paris ; ce fut l'idée mère des Invalides grandioses de Louis XIV, que Richelieu tenta d'ailleurs d'exécuter sous son ministère. Oublié par l'histoire, l'essai du cardinal a droit pourtant à une mention. Par un édit de 1633, fut établie au château de Bicêtre une communauté en ordre de chevalerie, sous le titre de commanderie de Saint-Louis, pour la nourriture et l'entretènement de tous les soldats estropiés à la guerre, au service de Sa Majesté[68]. L'exécution de ce dessein était confiée à Richelieu ; son frère le cardinal de Lyon devait être le directeur de cet ordre hospitalier, auquel une subvention levée sur tous les bénéfices ecclésiastiques de 2.000 francs et au-dessus devait fournir des fonds suffisant. Le projet reçut peu d'accueil, même dans l'entourage immédiat du premier ministre. Un seul bâtiment ne suffira pas, lui écrivit un de ses confidents ; il y a plus de 4 à 5.000 invalides épars en France, qui accourront à Paris comme à leur asile, voyant les constructions entreprises. Retenir ces soldats estropiés dans une maison, c'est un abus ; s'ils sortent, ils pourront jour et nuit voler les maisons en force, se réunir, etc. Il faut les disperser en divers édifices qui se trouveront vides, en province : léproseries, hôtels-Dieu, et autres maisons de piété désertes, qui ne servent à rien[69]. Le temps et l'argent, ces deux puissants facteurs de toute entreprise, que Louis XIV eut à discrétion, et qui manquèrent tous deux à Richelieu, ne permirent pas à la commanderie de Bicêtre d'être fondée sur des hases durables. Au bout de peu de temps, elle était en complète décadence.

L’argent, c'est par lui que nous terminons ces chapitres militaires ; bien que nous en ayons déjà longuement parlé, dans le précédent volume. Les reproches que nous y avons formulés nous ont valu plusieurs critiques, qui revenaient toutes à développer ce grand mot toujours jeune : la raison d'État, les nécessités de la politique étrangère. Après avoir exposé dans la constitution de l'armée, toutes les difficultés qu'a rencontrées le cardinal de Richelieu, et le génie pro- fond, la dévorante activité avec lesquels il les a pour la plupart surmontées, nous devons ajouter qu'il fut, selon l'expression vulgaire, un terrible et systématique bourreau d'argent. Si le Roi se résolvait à la guerre, disait-il, à son arrivée au pouvoir, il fallait quitter toute pensée de repos, d'épargne, et de règlement du dedans du royaume... Sans argent on ne fait rien, proposez de grands moyens extraordinaires, les Parlements s'y opposent, ils font crier les peuples ; cependant il faut, pour un temps, mépriser cela, et se laissant calomnier, passer outre...  L'argent est inutile aux rois, s'ils ne s'en servent aux occasions nécessaires à leur réputation et à leur grandeur, et fermer les yeux à la dépense est le meilleur ménage qu'on puisse faire à leur avantage[70]. Mettant en pratique ces nobles théories, le cardinal ordonne volontiers de faire tel ou tel ouvrage à graisse d'argent.

Et le gouffre financier qui se creuse sous ses pas, et qui devait aboutir à la banqueroute, ne le touche ni ne l'inquiète ; il en prend philosophiquement son parti : Ce qui est bon pour un des maux (intérieur ou extérieur) est mauvais pour l'autre... il faut trouver des expédients qui pourvoient à tout ; le mieux que faire se pourra. Cependant d'année en année la misère du royaume augmente, et la détresse du Trésor public ne diminue pas, au contraire. Le gouvernement ne peut pas être riche quand le pays est pauvre ; cette vérité économique prit à la gorge les ministres de Louis XIII. Toutefois les écrivains officieux recevaient l'ordre d'expliquer et d'atténuer de leur mieux : Bien que le Roi, écrit Balzac, soit infiniment sensible à la misère et aux plaintes de son peuple, il n'a pu néanmoins s'empêcher de l'amaigrir en le guérissant, ni de tirer de ses veines et de sa substance de quoi lui procurer son salut[71]. De Noyers disait bravement aux évêques de France, lors de l'assemblée du clergé de 1641, que les peuples contribuaient agréablement et sans aucune difficulté par la levée du quartier d'hiver, payé dans toute la France, avec grande promptitude et bonne volonté... Et il le disait, ajoute l'archevêque de Toulouse, comme s'il avait parlé à des Espagnols, qui n'eussent pas su les indignations des peuples, ou les lamentations des familles ruinées[72]. Les peuples cependant commencent à faire parler d'eux ; les révoltes générales dans toute la France, et plus encore que les révoltes, cette résistance passive du contribuable qui prend les formes les plus diverses, et se termine souvent par la fuite, apprend au cardinal qu'on a été trop loin. Sans que son esprit soit ébranlé, son ton change : Il est impossible, en ce temps, de ne faire que des choses agréables aux peuples. Il faut seulement avoir grand égard à ne faire que celles qui peuvent le moins désagréer. Il y en a de certaines qui, il est aisé de le prévoir, seront insupportables à ceux à qui on les impose[73]. Trois ans après, il était plus positif encore : A mon avis, le consentement des peuples, dans un temps pareil à celui-ci, vaut mieux que toute la force dont on saurait user en un autre. Et ce qu'il savait de la situation lui arrachait la même année l'aveu suivant, qui contraste singulièrement avec l'assurance du début : Je crains bien qu'à la continue, on ne puisse remédier au défaut des finances[74].

On disait publiquement qu'après un an ou deux, à toute extrémité, il faudrait faire la paix ou succomber, étant impossible que l'État supportât plus longtemps de semblables charges. Le surintendant Bouthillier, informant en 1642 le premier ministre qu'il avait fallu prendre l'argent des rentiers, terminait fort tristement sa dépêche : Ce qui m'afflige est que les fonds extraordinaires se peuvent dire taris, et est à craindre que les ordinaires nous manquent tout à coup en beaucoup d'endroits du royaume... Il est besoin, Monseigneur, de penser à tout cela sérieusement, et est tout à fait nécessaire de régler les dépenses selon les fonds, n'étant plus du tout possible de régler ni trouver les fonds selon les dépenses. Entre eux, les secrétaires d'État se laissaient aller à une franchise naturellement plus brutale qu'avec leur chef. Les traitants nous abandonnent, écrit Bullion à Chavigny, et les peuples ne veulent rien payer, ni les droits anciens, ni les nouveaux. Nous sommes maintenant au fond du pot, n'ayant plus de moyens de choisir entre les bons et mauvais avis. Et je crains que notre guerre étrangère ne dégénère en une guerre civile[75]. Les renseignements de tout genre que l'on peut recueillir, les rapports de l'ambassadeur de Venise par exemple, qui observe tout du fond de son hôtel, avec un esprit sagace et de nombreux moyens d'information, nous initient aux détails de cette lamentable situation[76].

N'était-il pas possible de faire autrement ? Doit-on croire avec Fontenay-Mareuil que s'il eût fallu assembler les États, comme il se fait en d'autres lieux, ou dépendre de la bonne volonté du Parlement, on n'aurait jamais eu l'argent nécessaire[77] ? Nous ne le pensons pas ; le Parlement et les États Généraux n'ont cessé, aux moments les plus difficiles de notre histoire, de donner les preuves du plus ardent patriotisme ; avec leur contrôle, les dissipations eussent été évitées. C'est en effet par la mauvaise administration des deniers publics, autant que par la guerre elle-même, que l'on a été amené à faire ce que Michelet nomme une Saint-Barthélemy d'argent. Avec un surintendant honnête et capable, on eût dépensé moitié moins. Le siège de la Rochelle, sous le ministère de d'Effiat, ne coûta que 40 millions. Richelieu parlant de Luynes, son prédécesseur, dit qu'on employa quinze cent mille livres à une levée qui aurait pu se faire avec deux cent mille[78]. Il a mérité un peu le même reproche.

En effet, le budget de la guerre, en 1639, s'élève d'après nos évaluations, d'accord en cela avec celles de Richelieu et de la plupart des contemporains, à 86 millions[79], ainsi répartis : sommes entrées à Paris ou en province dans le trésor public, et figurant avec une destination connue dans un des chapitres du budget : 31.500.000 livres ; sommes employées secrètement, ou du moins en dehors de la comptabilité ordinaire, à des dépenses militaires : 30.000.000 de livres environ[80]. Enfin 25.600.000 livres provenant de l'impôt des étapes et subsistances, recouvré et utilisé sur place dans les provinces, pour l'entretien de l'armée.

Ces 86 millions, multipliés par 6 pour avoir leur valeur actuelle, représentent à peu près 516 millions d'aujourd'hui, et comme la population française était moitié moindre que de nos jours, ils correspondent à plus d'un milliard. La charge, énorme en elle-même, était presque doublée par les frais de recouvrement annuels, qui montaient à 40 millions, et par les rentes, intérêt accumulé des frais de recouvrement des années précédentes, qui s'élevaient à 28 millions. C'est là l'ombre du tableau. Quelle que soit la grandeur du but —c'est un devoir pour l'historien de le dire — l'homme d'État n'a pas le droit de l'atteindre par tous les moyens. Ce sera au lecteur de juger ce qu'il était possible de faire, avec les ressources limitées du crédit et de la fortune publique au dix-septième siècle, et de savoir si les traités de Westphalie ne valaient pas le prix qu'on les a payés.

 

 

 



[1] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 366 ; t. III, p. 65. — Arch. Aff. Étrang., t. 813, f° 26 ; en 1636, la solde des fantassins non nourris est de 10 sous ; celle des cavaliers, de 20 sous environ, sauf les gendarmes qui ont 3 chevaux et 2 hommes sous leurs ordres, et qui touchent 3 et 4 livres par jour. Plumitif de la Chambre des comptes du 5 août 1636. — A la fin du dix-septième siècle, la solde des miliciens était de 2 sous par jour.

[2] Cf. Arch. Nationales, K. 409. Spécimen de montre faite pour 6 mois écoulés. — MONTEIL, Matériaux Mss., t. I, p. 65. — Lettres et papiers d'État, t. I, p. III, 423. — Ce terme de montre, employé dans le sens de paye, était particulier à la France ; un Italien traduisant dans sa langue un roman de mademoiselle de Scudéry, où l'on voit que Soliman donna deux montres à son armée, le rendit par ces mots : due orologi. (TALLEMANT, t. X, p. 55.)

[3] En 1629, les Espagnols, en Flandre, devaient à leurs troupes plus de dix montres. — RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 575. — Lettres et papiers d'État, t. II, p. 751 ; t. IV, p. 523. — Ordonnance de janvier 1629. — FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 197.

[4] Arch. Aff. Étrang., t. 800, f. 184. — Relazioni dei ambasciadori Veneti ; Francia, t. II, p. 314 et suivantes.

[5] On voit encore des traces de ces usages dans notre armée de mer. — Arch. Aff. Étrang., t. 780, f° 75. — Règlement du 24 juillet 1638. — Sous la régence de Marie de Médicis, on donnait une indemnité d'entrée en campagne qui était de 8 écus par reitre (Herighelt), et de 1 écu par lansquenet (Ostghelt). Lettres et papiers d'État, t. I, p. 23.

[6] Voyez à la fin du volume les Appendices I et III. — On peut consulter sur les dépenses militaires Arch. Aff. Étrang., t. 783, 0.28, t. 787, f' 250 (Projet de dépense de l'extraordinaire des guerres pour 1627), t. 797, fa 210 (Extraordinaire des guerres en 1628), t. 806, f° 175 et 232 (mêmes détails pour 1632), et ainsi de suite pour chaque année. — A la Bibliothèque de l'Arsenal Comptes de l'armée d'Italie, commandée par M. d'Harcourt, Ms 6521. — Aux Arch. Nationales : État de payement de l'armée de Provence, commandée par Condé, K. 113, n° 44. — Lettres et papiers d'État, t. II, p. 751.

[7] Voyez l'Appendice à la fin du volume, et le tome II, p. 203, la Taille.

[8] Ordonnance du 14 août 1623. — Ordonnance de 1629. — RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 453.

[9] Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 185, — Autrefois, disait le duc d'Angoulême, la montre était donnée tous les mois, maintenant, elle ne l'est plus que tous les 45 jours, et pourtant les denrées de toutes sortes sont surhaussées de plus de moitié. — Arch. Aff. Étrang., t. 784, f. 183.

[10] Dans l'infanterie, on donnait 40 sols au mestre de camp, 20 au capitaine, 15 au lieutenant, 10 à l'enseigne ; dans la cavalerie, les capitaines de gendarmes (qui avaient 12 et 15 chevaux) recevaient 4 livres 16 sols, les capitaines de chevau-légers 3 livres 18 sols, les capitaines de carabins et de mousquetaires, 2 livres 14 sols. (Règlement du 24 juillet 1638.)

[11] Arch. Aff. Étrang., t. 783, f. 187. — Règlement du 24 juillet 1638. — Arch. dép. Haute-Garonne, C. 711.

[12] Arch. Guerre, XXVII, 8 bis ; XXIX, 288. — Règlement du 9 octobre 1629 ; voyez l'Appendice du tome II.

[13] Arch. Aff. Étrang., t. 796, f° 209. — Lettre de du Fargis à Richelieu.

[14] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 214,267. — Lettres et papiers d'État, t. III, p. 17. — Arch. Guerre, XXV, 62.

[15] Arch. Aff. Étrang., t. 803, f. 369. Lettre de Brézé à Bouthillier.

[16] Arch. Guerre, XXIV, 144. Ordre au gouverneur du Lyonnais. — RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 437.

[17] Journal d'un voyage à Paris en 1637, publié par M. Faugère, p. 151.

[18] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 488 ; t. III, p. 683 ; t. V, p. 725 ; t. VIII, p. 283. — RICHELIEU, Mémoires, t. III, p. 9.

[19] Lettres et papiers d'État, t. II, p. 662, 734 ; t. VI, p. 728.

[20] Lettres et papiers d'État, t, IV, p. 344. — Arch. dép. Haute-Garonne, C. 712. — L'année passée (1635), écrit le cardinal, on donna marché des vivres de toutes les armées à un seul munitionnaire, dont on s'est mal trouvé ; il faut diviser l'emploi. Ce munitionnaire général était le sr Rose. — Lettres et papiers d'État, t. V, p. 312, 725. — Arch. Aff. Étrang., t, 796, f° 143.

[21] LA FORCE, Mémoires, t. III, p. 456. (Lettre à S. de Noyers, en 1638.)

[22] TALLEMANT, I. VI, p. 158. — RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 276.

[23] Édit de mai 1635. — PONTIS, Mémoires, p. 561.

[24] Ordonnance de janvier 1619, art. 161. — Arch. Guerre, XXIV, 162. — Arch. dép. Aube, G. 817. — A cet égard, notre armée était bien loin derrière certaines autres, si l'on en croit TALLEMANT, qui raconte que les Portugais ayant perdu une bataille, on trouva 14.000 guitares sur la place. T. IX, p. 38.

[25] Arch. Guerre, XXVII, 8 bis. — DANIEL, Histoire de la milice, t. I, p. 247.

[26] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 725, 932. — Arch. Guerre, XXIV, 373. — Correspondance de SOURDIS, t. II, p. 12.

[27] En 1635. PUYSÉGUR, Mémoires, I. I, p. 153. — LA VALETTE, Mémoires, t. I, p. 240.

[28] Arch. Aff. Étrang., t. 811, F. 194. En 1634. — En 1636, on impose 12.000 livres sur le royaume, pour l'entretien de seize cents chevaux rouliers. Arch. Guerre, XXII, 82.

[29] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 122, 134. — Le duc de Savoie, chargé du ravitaillement de l'armée, l'interrompait à sa fantaisie ; on dut ne lui donner de l'argent qu'à mesure qu'il fournissait des vivres. Id., ibid., p. 154.

[30] DE GRAMMONT, Relations sur Alger, t. III, p. 6.

[31] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 8, 615. — FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 223.

[32] Lettre du maréchal de Brézé à Richelieu. (Lettres et papiers d'État, t. VIII, p. 133,) — On imagine à quel degré d'intensité pouvait atteindre la famine dans les villes assiégées, à la Rochelle, par exemple.

[33] Arch. Guerre, XXVI, 53. — RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 139. — Édits de février 1832 et de février 1638. Règlement du 24 juillet 1638, où l'armée de La Valette, cantonnée à l'étranger, reçoit une paye double.

[34] Arch. Guerre, XXV, 151. — Arch. Aff. Étrang., t. 809, f° 146 ; t. 810, f° 83. — TALLEMANT, t. II, p. 194. - RICHELIEU, Mémoires, t, II, p. 83.

[35] Aff. Etrang., t. 804, F. 293. — En 1632. — De Noyers ajoute : Les maisons, les boutiques, les peintres, les libraires, n'ont que tableaux, figures, livres et manifestes en faveur du roi de Suède, et rien du Roi (de France).

[36] PUYSÉCUR, Mémoires, t. I, p. 170.

[37] Règlement du 21 juillet 1616. — Ordonnance du prince de Condé du 16 décembre 1637. — L'hôte devait des linceux blancs de quinze en quinze jours ; la chandelle à fournir variait depuis une livre par jour à un mestre de camp, jusqu'à une chandelle des seize (c'est-à-dire seize à la livre) à un simple soldat.

[38] Arch. Guerre, XXVIII, p. 110 ; XXXI, p. 147 et passim.

[39] TALLEMANT, t. II, p. 237. — Il avait pourtant employé cet argent à bâtir la citadelle de Verdun.

[40] Arch. Guerre, XXIV, p. 149 ; XXXI, p. 173. — Arch. dép. Haute-Garonne, C. 2, 134 ; 11. 476. — Lettres et papiers d'État, t. I, p. 281.

[41] Arch. Aff. Étrang., t. 800, f° 20. — Lettres et papiers d'État, t. I, p. 347.

[42] Règlement du 24 juillet 1638. — Voyez à l'Appendice. — Arch. Guerre, les volumes XLIX et autres, passim, où l'on voit que la subsistance est levée par toute la France.Ibid., XXX, p. 13 ; XXXI, p. 37. (Les habitants d'Epernay doivent fournir une livre et demie de pain et quatre sols par jour à chaque soldat du régiment de Picardie ; les habitants d'Amiens autant au régiment de Saintonge. Ibid., XXXI, 128,129 ; LXII, 158.) — Arch. com. de Bourg, EE. 24. Ordre aux syndics de Bresse de fournir la note des dépenses supportées pour le passage des gens de guerre. — Arch. Com. de Nîmes. EE. 8 ; la municipalité fait faire pour les soldats 2,407 pains de 13 onces. — Arch. dép. Haute-Garonne, C. 716, 2132 ; B. 433. — Arch. dép. Lot-et-Garonne, Mezin, BB. 4 ; Francescas, CC. 5 ; Gontaud, CC. 7. (On y impose 59-1 quartiers d'hiver à raison de 14 livres 13 sols par quartier. — Correspondance de SOURDIS, t. II, p. 236. Demande qu'en attendant le fond de la subsistance qui n'est pas arrivé, on donne au moins 4 sols à chaque soldat par jour.)

[43] RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 267.

[44] Arch. Aff. Etrang., t. 781, f. 183 ; t. 791, f. 155 ; t. 802, f. 62. — TALLEMANT, t. II, 63. — PONTIS, Mémoires, p. 501.

[45] Arch. Aff. Étrang., t. 779, f. 87. — Lettres et papiers d'État, t. II, p. 318.

[46] Arch. Aff. Étrang., t. 796, f. 299. — Lettres et papiers d'État, t. I, p. 472 ; t. III, p. 454, 533 ; t. V, p. 359 ; t. VII, p. 235. — RICHELIEU, Mémoires, t. I, 554.

[47] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 367. — Condé avait raison quand il disait qu'on pouvait, sans danger, donner au duc d'Orléans une armée commander, parce qu'avec le manque du payement d'un mois, on défaisait ce qu'on avait fait, à volonté. — (RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 492.) — M. TOPIN, Louis XIII et Richelieu. — Arch. Aff. Étrang., t. 781, f. 249.

[48] Mémoires de l'abbé ARNAUD, p. 506 ; de RICHELIEU, t. I, p 419, 430 ; t. II, p. 623. — Arch. Guerre, XXIV, p. t38, 161. — Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 522. — SCHILLER, Guerre de Trente ans (trad. Carlowitz), p. 418, 433.

[49] Édit de février 1625 ; édit de janvier et de mai 1635. — Commission à Le Page, du 9 décembre 1633.

[50] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 546. — Lettres et papiers d'État, t. I, p. 475.

[51] PONTCHARTRAIN, Mémoires, p. 313. — Dix-sept ans plus tard, en 1628, il écrit qu'il veut bien qu'on le pende, s'il a pris, cette année, un denier de plus que ses états et parties ; qu'il a fait des choses impossibles à un autre ; le pain de munition n'a coûté, en son armée, que 50.000 livres, et en celle de M de Montmorency, qui est beaucoup moindre, a coûté 150.000 livres. Arch. Aff. Étrang., t. 791, f. 155.

[52] Voler de l'argent à l'État.

[53] TALLEMANT, t. I, p. 220.

[54] C. ROUSSET, Histoire de Louvois, t. I, p. 170.

[55] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 513 ; t. II, p. 152. — ARNAUD D'ANDILLY, Mémoires, p. 415, 457. — Arnaud (du Fort-Louis) ordonna qu'en faisant la montre, il y aurait de grands intervalles entre les compagnies, afin que les soldats ne pussent passer des unes dans les autres sans être vus. — Lettres et papiers d'État, t. III, p. 11. — BALZAC, discours IV, De la gloire. Que dira la postérité, si elle voit dans l'histoire les capitaines devenus marchands, et de moitié avec les trésoriers, pour ne pas laisser échapper les plus petits gains ? — PICOT, Histoire des États Généraux, t. IV, p. 168. — Arch. Guerre, XXVI, 17, — Arch. Aff. Étrang., t. 812, f. 393. (Sur les passe-volants.)

Il parait que cet abus est de tous les temps et de tous les pays, puisque la guerre récente nous a fait connaître que, dans l'armée chinoise, un bataillon porté à 600 hommes sur les mandats de solde, n'a que 300 hommes présents sous le drapeau.

[56] Arch. Aff. Etrang., t. 791, f. 132. Édit de mars 1622. — Règlement du 20 mai 1623. — Ordonnance de janvier 1629, art. 247 et suivants. — Édit de mai 1635 ; les commissaires des guerres avaient une taxe proportionnelle sur les payements qu'ils faisaient. — Au temps de VAUBAN (Oisivetés), il y avait 140 commissaires des guerres, ayant chacun 5.100 livres de gages.

[57] En 1636. — Lettres et papiers d'État, t. V, p. 977, 1044 ; t. IV, p. 551.

[58] L'un est qualifié : Ayant la charge de la justice et finances, police et vivres de l'armée. Arch. Aff. Étrang., t. 789, f. 40 ; l'autre, intendant des finances, vivres et munitions. Ibid., t. 804, f. 268 — ou bien intendant d'armée, intendant des vivres, intendant de la justice, police, finances, vivres et magasins. — Arch. Guerre, XXIV, 387 ; XXVI, 64, et XXXII, 78.

[59] Le règlement du 24 juillet 1638 lui attribue 600 livres par mois, plus 20 livres par jour en déplacement. — Arnaud avait pouvoir de disposer de 10.000 livres par mois, sans être obligé d'en donner aucune connaissance aux généraux. — ARNAUD D'ANDILLY, Mémoires, p. 451.

[60] Arch. Guerre, LXII, p. 320. — Commission au P. Chauveau, Jésuite, pour avoir la direction des hôpitaux des armées de Flandres et de Bourgogne. — Ibid., f. 338. Commission d'intendant des hôpitaux du Barrois, Lorraine, Alsace et Allemagne pour M. l'évêque de Mende.

[61] Lettres et papiers d'État, t. IV, p, 717 ; t. V, p. 726.

[62] Mémoires d'ARNAUD D'ANDILLY, p. 455 ; de PONTIS, p. 500.

[63] Arch. dép. Haute-Garonne, B. 412. — Arch. com. de Nîmes, LL. 21.

[64] Arch. Aff. Étrang., t. 811, f. 195, et t. 796, f. 201. — Pour le regard des goujats et autres valets, il en meurt d'ordinaire une telle quantité, que je n'en ai jamais pu trouver pour travailler à cela. — L'auteur du rapport propose d'avoir des pionniers engagés exprès pour cet ouvrage.

[65] Aff. Étrang., t. 834, f. 266. — (En 1639.) Le prix de revient de ces ambulances était de 500 livres par mois. La même année, 100.000 livres sont imposées en Languedoc pour les hôpitaux militaires. — Arch. dép. Haute-Garonne, C. 716. — La dépense d'un hôpital est de 9.480 livres, dont 1.800 pour les gages du personnel. — Arch. Guerre, XXVII, 156, et XXXII, 242.

[66] Arch. Nationales, KK. 201. — Compte de l'Argenterie. Ces secours à de pauvres soldats estropiés sont donnés à titre d'aumône, et non à titre de chi. 150 livres sont données à 30 soldats pour les aider de s'entretenir.

[67] Arch. Nationales, K. 114. Lettres de Louis XIII autorisant un soldat blessé à entrer comme frère lai à l'abbaye de Saint-Denis, — Arch. Lot-et-Garonne, B. 15. Même place dans l'abbaye de Chirac. — Arch. dép. Yonne, H., 8. Même place dans l'abbaye de Sainte-Colombe, pour Clément de Bonnaire, sieur de La Lande. — On donnait aussi comme retraites des places de morte-paye dans un château royal. Arch. Guerre, XLII, 253.

[68] Édit de novembre 1633. — Cette croix de Saint-Louis devait être ou était (car nous ne savons si elle a jamais existé) une étoile à quatre branches et à huit pointes. Au milieu était une image de saint Louis, et le tout reposait sur une L couronnée.

[69] Arch. Aff. Étrang., t. 809, f. 203. — RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 575. — Arch. Guerre, LVI, 19. En 1639, on applique un prélèvement de cinq pour cent sur le budget de l'Extraordinaire des guerres, à l'entretènement des soldats estropiés. Ordonnance de janvier 1629, art. 219.

[70] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 332, 428 ; t. II, p. 191, 482. — Lettres et papiers d'État, t. IV, p. 153.

[71] BALZAC, le Prince, p. 99. — Ceux qui liront l'histoire de Richelieu l'aimeront-ils ou l'estimeront-ils moins, à cause que de 'son temps les rentes de l'hôtel de ville se seront payées un peu plus tard, ou que l'on aura mis quelques nouveaux officiers dans la chambre des comptes ? Toutes les grandes choses caftent beaucoup. VOITURE, Lettres, p. 179. (Édition de 1701.)

[72] DE MONTCHAL, archevêque de Toulouse, Mémoires, t. II, p. 386. — Le chancelier disait au Parlement (dès 1635), que le Roi était bien informé des grandes charges dont le peuple de son royaume était pressé, que c'était avec regret de sa part qu'elles avaient été imposées, et qu'elles continuaient. TALON, Mémoires, p. 41.

[73] Richelieu à Bullion, 1639 ; Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 51.5. — A Bouthillier il écrivait : Comme il faut choyer les peuples d'une part de peur d'aigrir ces humeurs farouches, je sais bien que d'autre, la nécessité veut que vous trouviez de l'argent. Ibid., t. VI, p. 885.

[74] Lettres et papiers d'État, t. V, p. 763, 988 ; t. VI, p. 901. — RICHELIEU, Mémoires, t. III, p. 259. — Préface de l'état général des finances en 1639. — Bibliothèque de l'Arsenal, Ms. 4187.

[75] Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 608 ; t. VII, p. 108. — FONTENAY-MAREUIL, Mémoires, p. 240, 241. — Déclaration du 16 août 1636.

[76] Cf. Relazioni dei ambasciatori Veneti ; Francia, t. II, p. 342, 344.

[77] FONTENAY-MAREUIL, p. 172, 241. En Angleterre, le consentement des Chambres à l'impôt devait être renouvelé à chaque avènement du Roi à la couronne. — RICHELIEU, Mémoires, t. II, p. 95.

[78] RICHELIEU, Mémoires, I, 246.

[79] Dans la succincte narration (Mémoires, t. III. p. 343), le cardinal dit : La dépense des cinq années que la France a supporté la guerre, a monté à plus de 60 millions. Et il ne compte pas les Etapes et Subsistances. L'ambassadeur de Venise évalue le budget de la guerre à 72 millions (dont 8 pour les garnisons, et 64 pour faire la guerre en campagne), mais il compte séparément 4 millions d'artillerie, et environ 7 millions de secours aux Hollandais, aux Suédois et aux princes d'Allemagne, qui doivent rentrer dans les dépenses militaires. Il arrive ainsi à un chiffre de 83 millions.

[80] On voit fréquemment des lettres du surintendant à Richelieu, lui disant : Voulez-vous faire passer cette finance par une ordonnance de comptant, ou par les mains de tel trésorier ordinaire ? Arch. Aff. Étrang., t. 790, f. 2, Mss GODEFROY, CXXXIV.