RICHELIEU ET LA MONARCHIE ABSOLUE

 

APPENDICES.

APPENDICES DU LIVRE III.

VII. — ÉMEUTE PROVOQUÉE PAR UN DROIT DE DÉTAIL SUR LE VIN.

 

 

A peine sut-on dans la capitale que l'édit d'impôt du quart sur le vin venait d'être envoyé à la Cour des aides pour y être vérifié, qu'aussitôt une troupe de cent cinquante personnes composée de maistres et gardes de la marchandise de vin[1], s'assembla en tumulte, se rendit à l'Hôtel de Ville, et s'adressant au prévôt des marchands et aux échevins, leur dirent : que la chose était de telle conséquence, que tous les marchands, taverniers et cabaretiers seraient contraints de fermer leurs tavernes, qu'ils avaient sous eux plus de 400 à 500 valets et serviteurs, auxquels ils allaient donner congé ; ils les suppliaient de se joindre à eux pour empêcher la vérification, et faisoient mille menaces, parlant presque tous ensemblement et tumultueusement[2].

Le prévôt des marchands ayant tenté de les calmer, ils reprirent que l'imposition retomboit sur tous les pauvres gens, qui n'avaient pas moyen d'avoir du vin en cave[3]. Ils finirent par se retirer, mais en descendant les montées disoient tout haut qu'il falloit aller en la maison de Bryois, pour le traîner en la rivière[4]. Ils s'y rendirent en effet, et messieurs de la Cour les y rejoignirent bientôt, espérant toujours les adoucir, mais ils ne bougeoient pas, et leur nombre augmentoit sans cesse. Ils étoffent quatre ou cinq cents taverniers, valets de taverniers, crocheteurs et charetiers qui disoient tout haut qu'ils voulaient Bryois pour l'écorcher, et qu'il falloit mettre le feu en sa maison, et tout ravager. Messieurs de la ville prièrent un colonel demeurant assez proche d'armer sa compagnie[5] ; il sortit la pertuisane en main, et le pistolet de l'autre, et fut lui-même de porte en porte pour faire armer sa compagnie, dont pas un seul ne voulut sortir, disant que c'était contre eux que la dite imposition se faisait, et qu'ils ne voulaient point secourir ledit Bryois, qu'au contraire, il le falloit brusler ; le colonel ayant tenté de faire retirer ce peuple, il n'en voulut rien faire, et au contraire, commença à lui ruer des pierres, tellement que s'il ne se fût retiré dans une porte, il eût été tué.

On alla chez le garde des sceaux, et au Louvre pour avoir du secours, et M. d'Hocquincour, grand prévost de France, fut envoyé avec ses archers, ainsi que le chevalier du guet ; ils firent d'abord reculer le peuple, mais se virent bientôt entourés dans la cour d'une milliasse de racaille de peuple, qui menaçoit tout haut de tout tuer. Les bourgeois de Paris ne voulant pas sortir pour cette affaire, on envoya deux compagnies de gardes qui tuèrent quelques émeutiers et en firent d'autres prisonniers. On tendit les chaînes dans les rues voisines, on fit bivouaquer les troupes dans les environs, et le soir, le duc de Montbazon, gouverneur de Paris, vint enlever dans son carrosse le fermier Bryois, par ordre du Roi, pour le mettre en sûreté.

Le désordre continua les jours suivants, et le prévost alla trouver le cardinal de Richelieu, pour le supplier de faire révoquer l'édit, ce qu'il promit.

 

 

 



[1] Marchands de vin, membres de la chambre syndicale, dirait-on aujourd'hui.

[2] Registre étant au greffe de l'Hôtel-de-Ville, copie aux Archives nationales (Coll. Rondonneau ADIa. — 3 février 1631).

[3] Une loi votée en 1873 par l'Assemblée nationale a pour la première fois modifié ce régime.

[4] Bryois, sieur de Bagnolet, était fermier adjudicataire des aides depuis 1628. — Il fut assassiné quelques années plus tard à Vanvres par un garçon, dit Tallemant, à qui il avait fait quelque déplaisir.

[5] La garde de ville, qui avait ses colonels de quartier.