Dépenses très-avouables en général ; elles s'appliquent à la guerre, à la diplomatie, aux frais de recouvrement. — Leur grand tort est de n'être soumis à aucun contrôle. — Tout le monde désapprouve, en principe, cet expédient, même Richelieu qui en a abusé. — Comparaison du budget de 1639 avec notre budget actuel.L'imagination des pamphlétaires s'est beaucoup exercée, dans les dernières années de l'ancien régime, sur les acquits au comptant. On représenta les sommes qui figuraient au budget sous ce titre comme destinées à payer les manœuvres de la plus vile corruption, à subvenir aux plus honteux tripotages. L'opinion s'habitua à voir dans ces dépenses, dont le but était inavoué, des dépenses dont le but était inavouable, ce qui était une grave erreur. Si l'opinion jugea durement les acquits au comptant de
Louis XVI : 5 ou 6 millions sur plus de 500, qu'aurait-elle dit en face des ordonnances par comptant de son aïeul : quarante-huit millions sur cent soixante ? Si
les dépenses de ce genre étaient nécessairement immorales, on se figure à
peine le degré d'immoralité auquel auraient atteint les finances françaises
dans la première moitié du dix-septième siècle. Heureusement il n'en est rien
; les fonds secrets ne contiennent que très-peu de secrets : encore le peu
qu'ils en contiennent est-il très-honorable, et digne d'affronter le grand
jour. Ce sont, comme on l'a vu, dépenses de police ou de subvention
internationale ; nul n'oserait blâmer le Cardinal d'y avoir largement pourvu.
Ce sont aussi et surtout des dépenses de guerre : Sa
Majesté fait délivrer à Thoiras Les 18 autres n'avaient pas un emploi aussi heureux. Il faut les ajouter aux frais de recouvrement de l'impôt. C'était la part des prêteurs occultes : les intérêts incroyables qu'ils exigeaient, les commissions qu'on leur allouait et qu'on n'eût osé faire figurer dans les comptes publics, se réglaient au moyen d'un acquit au comptant. Indemnités aux fermiers des impôts, remises, courtages aux financiers, les comptants servent à tout cela, vaste compte profits et pertes de la grande maison française. En principe d'ailleurs, personne n'approuvait l'usage des
comptants ; chacun, et -Richelieu tout le premier, condamnait ce système,
grâce auquel le tiers, parfois la moitié, des dépenses de l'État n'était pas
justifié. Dès 1620, le Cardinal, encore dans l'opposition, demandait « que
l'usage des comptants fût retranché Plus tard, dans son Testament politique,
il s'écrie : On a vécu aux siècles passés sans les
comptants, on vivra bien encore sans eux... l'abus
en est venu à tel point, que n'y remédier pas et perdre l'État, c'est une
même chose... les grands inconvénients et les
abus qui en arrivent surpassent tellement leur utilité, qu'il est absolument
nécessaire de les abolir. Que peut-on dire de mieux[4] ? Et le premier
président de la chambre des comptes n'est-il pas en droit de comparer les
comptants à ces gouffres de Le désordre, du reste, était venu à la fin à son dernier période. De ces millions dépensés ainsi chaque année, il ne restait aucune trace. Tous les trois mois, on brûlait au conseil royal les ordonnances de comptant, et on les remplaçait par un acquit de décharge an profit du trésorier de l'Épargne. Aussi voit-on à la fin des comptes de l'Épargne, en deux ou trois acquits, quelquefois en un seul, une dépense de 30, 40, ou même 60 millions. Ce funeste usage cessa dès la régence d'Anne d'Autriche ; on ouvrit deux registres, l'un pour les dépenses vraiment secrètes, l'autre pour les remises et intérêts d'argent. Les comptants d'ailleurs tiendront relativement peu de place dans le budget de Louis XIV[6]. A la fin de cette étude financière il ne parait pas sans
intérêt de comparer le budget de 1639 avec celui de 1883 : 173 millions de
livres de 1639, multipliées par 6, pour avoir leur valeur équivalente en
francs, donnent 1.038.000 payés par les Français de ce temps-là. Mais comme |
[1] RICHELIEU, Mémoires, t. I, p. 455.
[2] Cette somme était en dépôt chez l'intendant Mauroy. — Dans son testament, Richelieu en fait don à Louis XIII ; c'était, il est vrai, l'argent de l'État ; mais Mazarin n'agit pas de même.
[3] TALLEMANT, t. II, p. 172. — Il avait toujours 6 millions chez le trésorier de l'épargne Ficubet, à qui il se fiait le plus.
[4] Testament politique, t. II. — Lettres et papiers d'État, t. II, p. 177. — Dans un projet de règlement, en 1624, on faisait dire au Roi : Nous voulons nous priver nous-même de la liberté dont nos prédécesseurs et nous ont cy-devant usé, de disposer de nos finances par voies secrètes de comptants.
[5] Mercure français, t. XII, p. 762.
[6] Ms. français, 10,411, et 18,510, fol. 550. Bibliothèque nationale. — Mss. Godefroy, CXLIV, 301, Bibliothèque de l'Institut. — Archives des affaires étrangères, vol. 834, fol. 317 ; Compte de 1639. — Lettres et papiers d'État, t. VI, p. 371.