Multiples applications de la peine de mort : la hache, la corde, la roue,
le feu. — Caractère agressif et inégalité de certaines répressions. —
Diversité de la loi pénale selon les provinces. — Délits correctionnels,
attentats aux mœurs, vols. — Châtiments privant de la liberté : bannissement,
galères. — Le bagne de Toulon et les forçats. — La prison n'est pas une peine
laïque, sauf pour les débiteurs insolvables. — Peines corporelles,
pécuniaires, morales. — Traitement des contumax, procès aux cadavres. —
Publicité des exécutions. — Les bourreaux, leur inexpérience, dangers qu'ils
courent. — Leur salaire. — Grâces et abolitions. — Système pénitentiaire :
prisons de Paris et de province ; détenus politiques, la Bastille.
Aujourd'hui la répression, cessant de jour en jour d'être
terrible, demeure terriblement capricieuse ; la conscience du juré dont la
voix fait pencher la balance a tantôt une largeur, tantôt des scrupules
inattendus, et la procédure adoucie, subissant comme toute chose l'influence
des mœurs, est exposée à acquitter bien des coupables, au rebours de la
procédure ancienne qui a dû condamner bien des innocents. Ce qui nous permet
de goûter cet excès de mansuétude, sans en souffrir ni dans-notre personne,
ni dans nos biens, c'est l'action régulière d'une police dont les administrés
de Richelieu n'ont pas connu les bienfaits. Et c'est tellement le propre des
pays qui ont une sévère police, d'avoir en même temps une justice criminelle
assez douce, que l'on voit, dans notre histoire, les supplices les plus
fréquents aux temps où la répression était le plus rare (au XVe siècle par exemple), tandis que la
réforme de notre Code pénal, quelques années après la Révolution, eut lieu
à l'époque où la police était mieux organisée qu'elle n'avait jamais été
précédemment.
Au début du XVIIe siècle l'arsenal des châtiments
physiques et moraux, enrichi par des découvertes récentes comme celle de la roue, importée d'Allemagne, n'avait guère perdu
depuis le moyen âge que la noyade et l'enterrement vivant. Les faux
monnayeurs sont encore, en ternies juridiques, accoutumés
à être bouillis, et les sorciers à être brûlés vifs. Toutefois
l'échafaud et la hache, Montfaucon et la corde — en argot de gredin épouser cette veuve qui est à la Grève et prendre le ciel par escalade — demeurent les
applications les plus usitées de la peine capitale. A
Montfaucon, dit un voyageur enthousiaste, se
dresse le plus beau gibet que j'aie jamais vu ; il est construit sur un petit
monticule et consiste en quatorze piliers de belle pierre de taille. L'habitude
de laisser les cadavres se balancer en plein air, durant de longs mois, fait
que généralement toutes les places sont prises. Aux portes de Moulins se
dresse une potence garnie de plus de deux douzaines
de pendus. La pendaison était le supplice le plus court ; l'exécuteur
devait, aux termes de l'arrêt, étrangler aussitôt son patient. En Angleterre,
où l'on pendait les gens en leur passant au cou une chaîne de fer large de
trois doigts, ils risquaient de ne pas mourir tout de suite, et les parents
des condamnés estimaient leur rendre un bon office, en courant les tirer par
les pieds jusqu'à ce qu'ils eussent rendu le dernier soupir.
M. d'Aumont faisant un jour pendre quelques soldats, l'un
d'eux cria qu'il était gentilhomme. — Excusez-moi,
répondit le général, mon bourreau ne sait que pendre.
Vile et roturière était en effet la potence, tandis que porter sa tête sur le
billot était honorable et seigneurial. Du moins dans notre patrie puisqu'en
Espagne les traîtres seuls étaient décollés par
derrière, les autres nobles avaient le privilège d'être égorgés. En
France, on ne se contentait pas toujours de la décapitation : le marquis de Roquefeuil
est condamné, pour crime de lèse-majesté, à avoir
les quatre membres coupés, et puis la tête ; il est vrai qu'il
s'agit là d'un jugement rendu par contumace. Quoique mort le supplicié
appartient encore à ses juges ; on brûlera son corps ; on exposera sa tête,
piquée au bout d'une lance, dans quelque carrefour ; excellent moyen de
terroriser la famille et les complices : Cela fera
mourir sa fiancée, écrit froidement à Richelieu l'un de ses
confidents, en lui narrant un traitement de ce genre infligé aux restes d'un
Rochelais qui avait tenté de livrer la ville aux Anglais.
Les peines, par leur cruauté, revêtent un caractère
haineux vis-à-vis du coupable ; ce ne sont plus seulement des punitions, ce
sont des vengeances. L'Europe du XVIe siècle avait vu sans frémir telles
tortures qu'une race tout à fait sauvage n'eût sans doute pas imaginées :
celle de l'assassin du prince d'Orange en 1584, celle du Polonais Herchel,
dévoré vivant par vingt de ses compagnons, prisonniers de guerre comme lui,
que le vainqueur plaçait dans l'alternative de manger leur chef ou de mourir
de faim. Des récits analogues, qui abondent dans Montaigne, n'ont pas
d'équivalents dans les auteurs contemporains de Louis XIII. Le bûcher se fait
rare, et tend à disparaître ; la roue semble suffire à la sorcellerie et aux
assassinats compliqués de circonstances aggravantes : avoir les bras, cuisses, jambes et reins rompus vifs, le corps mis
ensuite sur une roue, proche l'échafaud, pour y demeurer, la face tournée
vers le ciel, tant et si longuement qu'il plaira à Dieu le laisser vivre
; telle est la formule de ce supplice que le bourreau fraudait presque
toujours, en assommant, par faveur, le condamné d'un seul coup. En matière
pénale aujourd'hui qui peut le plus ne peut pas le moins ; le pouvoir
d'appliquer constitue aussi l'obligation d'appliquer. Cette exigence a son
mauvais côté : ne pouvant modérer, on absout. Les maxima
et les minima entre lesquels on a
renfermé le juge pour mieux assurer l'égalité, consacrent des inégalités
extrêmes ; ainsi la même amende sera infime pour le riche et écrasante pour
le pauvre. Si les réformateurs ont eu peur de la liberté du juge, c'est qu'il
en avait abusé : des condamnations à mort sont prononcées, sous Richelieu,
contre des faussaires, des banqueroutiers, des voleurs d'objets mobiliers
sans importance, tandis que les auteurs de meurtres commis par chaleur et hâtivement s'en tirent avec l'amende
d'une messe annuelle de cinq sous à faire dire pour leur victime. Une femme
est punie de la potence pour avortement, — avoir
donné la mort à son fruit par breuvages ; — une autre, à quelques
lieues de distance, convaincue d'infanticide, est simplement battue de verges
et bannie de la seigneurie.
Les attentats aux mœurs, dont la liste est fort diminuée
de nos jours puisque bien des crimes
et délits anciens (bestialité, sodomie) ne sont plus que des péchés, et que les officialités diocésaines ne
frappent plus, comme jadis, les maris qui entretiennent des concubines ou qui
échangent leurs femmes entre eux, les attentats aux mœurs sont réprimés avec
une douceur relative, sauf le rapt (enlèvement), contre lequel l'ordonnance de
Blois avait édicté la peine capitale ; encore les tribunaux n'en viennent-ils
à cette extrémité que si le ravisseur est d'une classe inférieure à celle de
sa victime ; lorsqu'au contraire il est, d'un rang plus élevé, on lui laisse
la faculté d'opter : il aura la tête tranchée si
mieux n'aime épouser la demoiselle ; enfin, s'il y a égalité de
condition, on condamne les deux parties au mariage. Pour le viol, on se
contente le plus souvent de dommages-intérêts et d'amendes qui ne sont pas
chiffrés bien haut, même par les tribunaux ecclésiastiques. Des réparations
pécuniaires étaient également ordonnées dans les cas de séduction, où la magistrature exerçait une
tutelle bien autrement étendue qu'aujourd'hui : M.
le procureur général, disent les registres du parlement de Bordeaux, est chargé de parler à un boucher au sujet d'une fille
qu'il aurait débauchée. Une femme demanda-t-elle à son amant quelle raison ledit sieur lui veut rendre d'un enfant
qu'il lui a fait, la cour, tantôt ordonne au séducteur de payer à sa
maîtresse 150 ou 200
livres, qu'on lui remettra quand elle se mariera pour lui tenir lieu de dot, tantôt enjoint au jeune
homme de prendre la créature qu'il a eue de la
plaignante, la faire baptiser, nourrir et entretenir suivant sa qualité, en
bon père de famille, à peine de la vie. Dans le Midi, les tribunaux
homologuent les transactions par lesquelles
des particuliers donnent à des filles qu'ils ont rendues mères, qui 50, qui 100 livres
d'indemnité, en récompense de leurs agréables
plaisirs et services. Bien qu'en théorie l'adultère pût vouer à la
prison perpétuelle, dans un couvent, l'épouse coupable ; que celle-ci fût
même susceptible, en Bretagne, d'avoir la tête tranchée pour un semblable
forfait, les juges se bornent, en pratique, à des amendes modestement
arbitrées : à Pau, adultères récidivistes 150 livres, simple
paillardise 60 livres
; à Agen, cent sous et le bannissement de la sénéchaussée.
Le bannissement perpétuel ou temporaire, qui peut être
considéré comme l'équivalent de la surveillance de
haute police moderne, était en effet fréquemment employé pour les
délits correctionnels ; c'était, avec les galères, la seule peine restrictive
de la liberté, puisque les tribunaux laïques ne condamnaient jamais à la
prison. Les galères tiennent ainsi lieu de nos maisons d'arrêt, de force et
de correction. Des soustractions de manteaux, la publication d'un libelle, ou
simplement l'état de mendicité et de vagabondage constituaient un titre
suffisant pour être envoyé à Toulon servir le Roi en
une de ses galères, tirant la rame, avec défense d'en sortir, à
perpétuité, ou pendant le temps que les juges avisaient
en leur conscience. Croupissant, mangés de vermine, dans les cachots
de la Conciergerie,
jusqu'à ce que Vincent de Paul eût obtenu leur transfert dans une maison
qu'il avait louée de ses deniers, au faubourg Saint-Honoré, les galiens attendaient la formation d'une chaîne
de cent hommes. Le convoi partait alors, vivant d'aumônes que les
municipalités lui donnaient au passage, ou lui envoyaient de loin pour le détourner de traverser leur ville ; ce qui
n'empêchait pas chaque forçat rendu à destination d'avoir coûté à l'État 80
ou 100 livres,
en raison de la lenteur et du mauvais ordre du voyage.
A l'arrivée, on rase aux galériens les cheveux et la
barbe, sauf les moustaches ; on leur remet le trousseau annuel : deux
chemises, deux caleçons, bonnet, casaque et capot, puis on les introduit
solennellement dans cette prison flottante, où ils devront désormais, selon
leur dicton, écrire dans l'eau avec une plume longue
de quinze pieds. Comme de fait la galère est plus souvent au port
qu'en pleine mer, on les laisse jouir à Toulon d'une certaine indépendance ;
ils vont et viennent continuellement par les rues, on entend partout le bruit
de leurs chaînes. Ils vendent divers ouvrages de leur fabrication : bas de
soie ou de fil, bourses, ceintures, aiguillettes, fort
proprement faits pour la plupart ; ils peuvent aller travailler en
boutique. A tour de rôle, chaque galère est autorisée à envoyer son personnel
dans les auberges sonner cornets et violons,
durant le dîner des voyageurs, qui ne se font pas trop prier pour mettre, à
la fin du repas, quelques sous sur l'assiette qu'on leur présente. Ceux des
forçats qui réalisent quelques petits gains mènent
joyeuse vie ; plusieurs ne partiraient pas lors même qu'on leur
rendrait la liberté, jouant, buvant, et besognant
devant le monde, surtout du temps où il était permis aux femmes d'entrer dans
les galères, car alors non seulement leurs femmes légitimes, que bien des
condamnés avaient amenées, mais encore quantité de garces allaient les
visiter. Du reste, ajoute le témoin oculaire auquel nous devons ces
détails (1630), toute la misère, ordure, saleté, puanteur et infirmité humaine est
réunie là, il y meurt chaque jour quelqu'un. Cour des miracles légale,
véritable dépotoir humain, où les tribunaux de toutes les provinces
envoyaient les balayures de la nation, le bagne de ce temps, s'il représente
un moindre degré de criminalité que nos colonies de déportation, offre le
spectacle d'une dégradation plus profonde, d'un abaissement plus
irrémédiable. La tentative de M. Vincent,
aumônier royal des galères, en 1622, venu de Paris pour embrasser ces
infortunés, recevoir leurs plaintes et relever leurs cœurs, avait laissé peu
de traces. Un apostolat isolé, quelque ardent qu'il puisse être, ne saurait
remplacer le lent effort des siècles. Dans l'œuvre contemporaine de restauration
des classes détériorées, la partie matérielle a du reste mieux réussi que la
partie morale ; les corps profitant des effets de l'hygiène plus volontiers
que les âmes ne subissent l'influence de la vertu.
La prison, peine politique pour les grands, peine
religieuse pour les clercs, ne figurait dans notre ancien Code qu'en matière civile ; le débiteur insolvable avait
sa place marquée dans des établissements pénitentiaires dont l'hospitalité ne
ressemblait en rien au traitement, frugal mais doux, de la maison Clichy du
XIXe siècle. Quelque minime que fût la créance, le mauvais payeur, sans
distinction d'âge, de sexe ni de condition, pouvait être détenu jusqu'à
parfait acquittement. Et le droit de se faire justice soi-même n'ayant pas
encore tout à fait disparu des mœurs, si le débiteur en état de satisfaire à
ses obligations ou de réparer les dommages causés par lui y mettait de la
mauvaise volonté, les tribunaux autorisaient le plaignant à s'indemniser par
ses mains, en s'emparant, par manière de représailles, des biens, effets et
marchandises de son adversaire, jusqu'à concurrence de la somme qu'il pouvait
exiger.
Comme l'emprisonnement pour dettes, et bien avant lui, nos
lois ont abandonné les châtiments corporels : l'ablation des oreilles, des
lèvres, de la langue coupée tout juste avec un fer
chaud réprimait, chez nous ainsi que dans tout le vieux monde, les
délits de violences, de vols, d'impiété. Le fouet surtout était prodigué sous
des formes diverses ; tantôt à huis clos, par les
mains de deux pauvres de l'hôpital, tantôt en public : le bourreau,
les verges à la main, allant montrer au coupable
demi-nu les carrefours de la ville, en le fustigeant de son mieux jusqu'à l'effusion du sang si la sentence
l'exigeait.
A ces manifestations de la vindicte publique s'en
joignaient d'autres, plutôt morales : le rasement, pour les hommes, d'un
sourcil, pour les femmes, de leurs cheveux — que deux siècles auparavant on
brûlait — la marque d'une fleur de lys, les
armoiries du Roi en beaux caractères sur les épaules, disent les
voleurs ; le pilori, pendant une matinée de fête, sur une place fréquentée, sujet à toutes injures et opprobres ; d'autres
corrections locales : à Avignon, la porte de la maison des joueurs est murée
pendant un an ; à Châteaudun, les boulangers qui manquent aux règlements de
police sont culbutés officiellement, du haut d'un échafaud, — c'est le saut aux boulangers ; à Paris, le port d'un chapeau
vert est obligatoire pour les faillis, qui le choisissent d'ailleurs d'un
vert aussi sombre que possible afin de dissimuler cette marque d'infamie.
Enfin, pour les injures, on ordonne les réparations
d'honneur que nos juges de paix sont seuls à infliger encore : Tel prévenu, dit un arrêt, viendra
déclarer qu'il tient le plaignant pour homme de bien, de bonne vie, honnête
conversation, bonne race, bon sang, et non de la qualité portée par les
informations... Tel autre comparaîtra devant la cour, et déclarera par sa bouche (en présence de l'insulté) qu'il l'a
mal à propos démenti, et lui a donné, par une trop prompte colère, un
soufflet ou coup de poing sur sa face, dont il se repent et prie ledit
insulté de l'excuser..., le tout sans préjudice des dommages-intérêts
et des amendes.
Les peines pécuniaires, s'élevant graduellement depuis les
simples contraventions de 30 sous, dressées par les échevins et capitaines de
ville, jusqu'à la confiscation totale ou partielle des fortunes, n'étaient
pas les moins redoutables. En vertu de cet axiome de jurisprudence que qui confisque le corps confisque les biens, l'État
dépouillait une famille entière en la personne de son chef. Ni la fuite, ni
la mort n'éteignaient l'action publique : les propriétés des contumax étaient
acquises au Roi au bout de cinq ans ; il n'était pas de prescription possible
d'un arrêt exécuté en effigie : quand vous aviez été représenté pendu ou la
tête tranchée, rue Saint-Antoine, au marché Saint-Paul, en un tableau de
grandeur naturelle, plus ou moins ressemblant, — pratique éminemment
nationale qui surprenait fort les étrangers, — vous n'aviez plus, aux yeux de
la loi, que cinq ans à vivre ; passé ce délai, votre femme devenait veuve, et
vos enfants nouveau-nés, déclarés bâtards, ne succédaient ni à vous ni à vos
parents. Ces tristes effets de la mort civile devaient tenir bien à cœur à
nos anciens juristes, puisqu'on les a vus figurer dans notre Code jusqu'au
milieu du XIXe siècle. Quant au prévenu décédé avant la poursuite ou le
jugement, il ne bénéficiera d'aucun privilège : son corps sera apporté en la Conciergerie du
Palais, pour être le procès fait et parfait audit
corps mort, et un homme vêtu de deuil (destiné sans doute à représenter le défunt), ainsi que tous ses domestiques, seront pris et amenés en
prison...
Le grand nombre des coupables qui échappaient à la main de
la justice explique, dans une certaine mesure, cette sévérité à l'égard des
contumax et des cadavres. On cherchait à atteindre ces absents et ces morts,
sinon dans leurs personnes, du moins dans leurs biens. Frapper l'imagination
des peuples était la plus forte préoccupation des justiciers d'autrefois : Toute peine infligée dans l'obscurité, même à des
coupables, est au moins inutile, dit une ordonnance des dernières
années de l'ancien régime. On voit si la question a changé de face, depuis
cent ans, puisqu'on voulait dérober au public les derniers moments du rare
assassin dont la tête tombait encore sous le couteau de la guillotine avant
l'abolition de la peine de mort. Au XVIIe siècle au contraire, on veut
attirer la foule, c'est la plus grosse cloche de la cité qui annonce
l'exécution des criminels ; de simples fustigations de femmes ne se font
point sans sonneries préalables de trompettes, et, si l'on doit brûler une
sorcière, un crieur parcourt la province ou le comté pour indiquer le jour du
supplice, et faire en quelque sorte les invitations.
Et la sensibilité la plus émoussée ne manquait pas
d'aliment, durant les péripéties de ces exécutions, que la maladresse des
bourreaux transformait parfois en boucheries. Les maîtres
des hautes-œuvres de Paris : Rozeau, le petit Pennache, son aide, le
fameux Jean-Guillaume et le sieur de Saint-Aubin, qui se succédèrent sous
Richelieu et Mazarin, n'avaient pas sans doute les susceptibilités de leurs
héritiers de 1787, qui firent défendre, par arrêt du conseil d'État, de donner le nom de bourreaux aux exécuteurs de la
haute justice ; mais tout porte à croire qu'ils étaient praticiens
distingués, connaissant à fond les divers genres de supplice, et mettant leur
amour-propre à les faire subir dans les règles. Leurs confrères de province n'avaient
pas un égal respect de leur art ; il en était peu qui eussent quitté, comme M. d'Angers, leur résidence avec dégoût, parce qu'il n'y avait qu'à pendre, qu'on n'y faisait point
d'œuvre délicate.
Beaucoup n'avaient même pas l'habileté nécessaire pour
trancher convenablement une tête. Bander les yeux au patient, afin qu'il ne
remuât point en devinant la hache, lui recommander, quand il posait son front
sur le billot, de le bien embrasser des deux mains
pour se maintenir ferme, voilà qui est facile, le difficile c'est de
frapper juste. On usait, à Toulouse, d'un système assez analogue à l'appareil
actuel : un lourd couteau de boucher, maintenu par une corde et lâché au
dernier moment, glissait avec rapidité entre deux montants de bois ;
Montmorency eut la tête séparée ainsi du corps au premier choc. Mais Chalais
fut vraiment massacré à Nantes, il reçut avant de mourir vingt-deux coups.
Cinq-Mars, exécuté à Lyon par un vieux gagne-deniers,
ne fut achevé que du second coup, et de Thou, manqué cinq ou six fois de
suite, finit par être égorgé.
De pareils faits étaient plus fréquents encore pour les
criminels vulgaires : à Dijon, une nommée Hélène Gillet, condamnée pour
infanticide, est frappée par l'exécuteur, d'abord trop bas, ensuite trop haut
; le peuple commence à jeter des pierres au bourreau qui se sauve en une
chapelle voisine ; la bourrelle, sa
femme — ils opéraient en ménage — seule avec la patiente, essaye vainement de
l'étrangler au moyen d'une corde qui lui tombe sous la main. Pressée par la
foule, elle entraîne, bon gré, mal gré, sa victime derrière l'échafaud,
s'efforce de lui couper la gorge avec des ciseaux et, ne pouvant y réussir,
lui enfonce cette arme improvisée en divers endroits
du col et du visage. La malheureuse tombe sans connaissance, baignée
dans son sang, tandis que la populace furieuse lapidait l'exécuteur et sa
terrible moitié.
Le parterre de ces sortes de représentations n'est pas
tendre pour les fautes du bourreau ; si ce tragique acteur ne sait pas son
rôle, ce ne sont pas des projectiles inoffensifs, ce sont des pierres et des ferrements qu'on lui enverra en pleine figure. Il
en est souvent qui meurent pour avoir mal tué ; sans parler de ceux qui sont
assassinés par des amis du condamné, avant ou après l'exécution, et de ceux
qui sont pendus pour leurs propres crimes, car la moralité de la corporation
est mince. Méprisé, isolé des autres hommes au point que, sur les registres
d'état civil de certaines paroisses, on inscrit, à
cause de la condition du père, le baptême de ses enfants légitimes
dans la partie du livre réservée aux enfants naturels ; le bourreau paraît
assez bien salarié. Il jouit du droit de havage : une cuiller de fer-blanc
d'une main, un morceau de craie de l'autre (pour
marquer au bras ceux qui ont acquitté l'impôt), il va par le marché,
prélevant son tribut sur chaque sac de grain, demandant aussi sa part de
fruits, de poisson, de fromage. Souvent il est habillé aux frais de la caisse
communale : chapeau rouge à grand panache, costume de même couleur qui coûte
au moins une centaine de livres. Les bourgades voisines font avec lui un
abonnement : 8 ou 10
livres de fixe par an, plus des honoraires
proportionnés à la besogne ; dans tel compte municipal les frais de torture
figurent à côté des frais de vendange.
Une pendaison vaut 15 livres à Tarbes, 18 livres à Auxonne ;
il en est de 5 francs et de 45, sans que l'on puisse dire les motifs de
variations qui subissent sans doute les lois de l'offre et de la demande. Une
fustigation se paye à Châlons 100 sous, à Morlaix 64 et une paire de gants, à
Pau 4 écus ; mais celle-là était commandée jusqu'au
sang, et sans doute c'était plus cher. Les mêmes mœurs que ne choquait
pas la dureté des peines, avaient institué des consolations officieuses,
tombées plus tard en désuétude : les confréries de charité qui présentaient
le pain et le vin bénit à chaque condamné. — Il vous
plaira en prendre, lui disaient les confrères, et nous prierons Dieu qu'il lui plaise avoir votre âme, et vous donner
patience.
La tradition de quelques provinces accordait, si l'on en
croit certaines légendes, à la jeune fille qui rencontrait un criminel
marchant au supplice, le pouvoir de lui sauver la vie en s'engageant à
l'épouser. Le fait n'a rien de bien authentique, mais il est patent que le
droit de grâce et d'abolition
s'exerçait avec assez de bonhomie ou de faiblesse pour énerver encore
l'action policière, déjà si relâchée. Les lettres d'abolition, de pardon si
l'on veut, accordées à des individus de toute classe, arrêtaient les
poursuites faites ou à faire, en même temps qu'elles remettaient les peines
encourues ; c'était la grâce du crime
et non la grâce du châtiment. Le
pouvoir exécutif amnistiait parfois en bloc ce qu'il connaissait et ce qu'il
ignorait : un grand seigneur obtient, avec sa grâce, celle de ses amis et de
ses gens ; le Parlement, en enregistrant cette faveur, ordonne seulement à
celui qui en était l'objet de remettre au greffe l'état
nominatif de ceux qu'il prétend avouer. Un prisonnier, évadé de la Bastille, se fait
délivrer par le chancelier un aveu du Roi de sa
sortie. Pour les prisons ordinaires il n'est pas besoin de s'adresser
au souverain, les tribunaux jouissent d'une autorité à peu près absolue.
Chaque année, à l'audience de la semaine sainte, le présidial de Périgueux
élargit un prisonnier en l'honneur de la fête de
Pâques. Dans l'Orléanais, un détenu est mis en liberté provisoire pour aller faire la moisson ; un autre en Navarre
est expulsé pour cause de vermine ; et, s'il
faut un médecin à Toiras pour soigner ses blessés dans l'île de Ré, le
parlement de Toulouse lui adresse, de son autorité privée, un chirurgien qui
vient d'être condamné à dix ans de galères.
C'étaient aussi les parlements qui nommaient les geôliers
— directeurs — des prisons royales, ou qui agréaient les acquéreurs de cet
emploi dans le cas où il était vendu comme un fonds de commerce. L'État, les
villes, les seigneurs justiciers entretiennent leurs prisons mieux que leurs
prisonniers ; ceux-ci ne peuvent compter que sur eux-mêmes et sur
l'assistance des cœurs généreux. Les détenus de droit commun reçoivent le pain du Roi, les prisonniers pour dettes, s'ils
n'ont une provision d'aliments de leurs parties, ne reçoivent rien. Aux uns
et aux autres les guichetiers et morgueurs ne doivent que l'eau à discrétion
et, tous les quinze jours en été, tous les mois en hiver, de la paille
fraîche. En ce temps, la paille humide des cachots
n'était pas une plaisante métaphore ; les hôtes de la Conciergerie qui
avaient poche pleine tapissaient leurs chambres de nattes et d'étoffes, donnaient les violons à la femme du geôlier,
fêtaient par des dîners les arrivées et les départs de leurs codétenus ; mais
ceux qui ne possédaient rien, qu'aucun parent ne venait secourir, qui
n'avaient ni cinq sous, par jour pour coucher seuls dans un lit, ni quatre
sous pour y coucher à deux, ni même les douze deniers que coûtait la location
d'une paillasse, couchaient sur la paille, entassés côte à côte dans des
cellules de quelques mètres carrés. Au For-l'Évêque, au grand et au petit
Châtelet, anciennes portes de la cité, tours servant à la défense, édifices
destinés primitivement à d'autres usages, le traitement était plus pénible
encore : dans une cour de dix mètres de long sur six de large, dominée par
des bâtiments élevés, des centaines de malheureux s'apportaient, se
communiquaient des maladies de toute espèce.
La charité privée, sur qui le gouvernement se reposait du
soin de nourrir les indigents sous les verrous, se montra constamment, il est
doux de le reconnaître, à la hauteur de cette tâche. La botte aux aumônes,
fermée de trois serrures dont trois anciens de la maison, nommés à la
pluralité des voix, avaient les clefs, était ouverte tous les soirs, en
public, et son contenu équitablement distribué. Tous les vendredis, les
fabriciens de diverses églises faisaient préparer le
pot des prisonniers ; les jours et veilles des fêtes une foule pieuse
venait aux préaux répandre des secours. La duchesse de Longueville léguait
aux détenus 1 500
livres de rente, afin que chacun d'eux reçût un grand pain blanc tous les dimanches. Le P. Bernard,
dit le Pauvre prêtre, secondait son
ami Vincent de Paul, dont on trouve la main dans toutes les hautes besognes
humanitaires de ce siècle. Prêchant d'exemple, après avoir mangé son bien en
aumônes, le P. Bernard excitait par de hardis sermons en plein vent la pitié
de ses contemporains en faveur d'infortunés doublement à plaindre, puisque la
misère leur avait ravi la liberté.
Une ordonnance de Charles IX, visant les souterrains des
anciens châteaux, interdisait formellement l'usage de toute prison située
plus bas que le rez-de-chaussée, mais le pouvoir central était le premier à
violer cette règle, puisque les bas cachots des forteresses où s'expiaient
les crimes politiques, vides un instant sous Henri IV, étaient bondés sous
Louis XIII, et que les antres malsains et salpêtrés des lieux ordinaires de
détention, dans la capitale, situés au niveau ou en contrebas de la Seine, continuèrent à être
habités jusque vers la fin du XVIIIe siècle. Ces prisons particulières dont le
Tiers-État implorait la suppression, en 1614, afin de diminuer les lenteurs
de la procédure, n'étaient, dans leur ensemble, ni meilleures ni pires que
les prisons royales. Il en est où le détenu se plaint qu'on l'ait laissé cinq
jours sans manger ; dans le plus grand nombre on est assez chiche sur la
pitance, les comptes en témoignent éloquemment : payé
quinze sous, dit un article de dépense, montant
du repas de trois condamnés, qui ne voulurent partir de la prison,
pour aller prendre mort, avant d'avoir premièrement dîné. Mais il est
aussi des seigneurs qui font convenablement les choses : A Brétigny, le
débours s'élève à cinq sous par jour et par personne, — trois sous de pain et
deux sous de sel, œufs, beurre et viande, — c'était à peu près ce qu'un ouvrier
de la campagne consacrait habituellement à sa nourriture. Lorsque, au lieu de
durer quelques semaines ou quelques mois, le séjour de ces pensionnaires
importuns paraît devoir s'éterniser, les justices rivales cherchent bien
entendu à s'en débarrasser par tous les moyens, et plaident avec acharnement
pour se rejeter le fardeau les unes sur les autres. Le vrai défaut de ces
geôles rurales, c'est le manque absolu d'organisation ; personne dans le
village ne se soucie d'un emploi qui n'honore ni ne profite : en dix ans la
même prison communale a successivement pour gardien un tonnelier qui ne sait ni écrire ni signer, un bourrelier, un
jardinier, un cordonnier et un maître d'école.
Pour les prisonniers politiques, le gouvernement se
montrait plus généreux, puisque ce fut. au dire de La Châtre, sous prétexte
d'économie que les ministres conseillèrent au Roi, après la mort de
Richelieu, de relâcher Vitry, Bassompierre, Cramail et plusieurs autres. Ils
représentèrent que ces personnages causaient une
extrême dépense à la
Bastille, et que, n'étant plus en état de cabaler, ils
seraient aussi bien chez eux où ils ne coûteraient rien.
Un voyageur français, décrivant le château des Sept-Tours,
prison d'État de Constantinople, assez agréable avec
de fort beaux logements, ajoute : Je ne
saurais mieux vous peindre ce lieu qu'en vous disant que c'est à peu près
comme la Bastille,
à Paris. La Bastille
pourtant, ainsi que Vincennes, offrira des aspects bien divers, selon que
l'on se promènera sur les terrasses en compagnie de gens du monde, enfermés
dans leur chambre seulement la nuit, traités avec
mille honnêtetés, recevant des visiteurs et les retenant à dîner,
faisant leur partie quotidienne avec le gouverneur, du Tremblay, et employant
leurs loisirs à comploter, selon le mot de Retz, les moyens d'accabler sous leurs propres chaînes l'auteur de leur
captivité ; selon, au contraire, que l'on plongera dans ces cachots
qui fourniront ample matière aux romanciers, où, dès 1627, quarante-huit
individus étaient mariés à un pourpoint de pierres,
où l'on n'est occupé qu'à faire de l'encre avec du charbon, des plumes avec
du bois découpé, du papier à lettres avec des feuillets de livres arrachés,
où l'on troue lentement des murs de deux mètres d'épais, où l'on lime des
barreaux, où l'on tresse des cordes pour s'évader. Et comme l'une ou l'autre
des descriptions que l'on pourrait ainsi faire serait, sinon complète, du
moins exacte, on doit conclure qu'au point de vue matériel le traitement des
détenus politiques était souvent plus doux et rarement plus dur que celui des
détenus de droit commun.
Ce qui attache à ce châtiment, dans l'histoire, le
caractère odieux qu'aucun autre ne possède au même degré, pas même la torture
légale, c'est l'arbitraire. Dans ce royaume qui regorge de tribunaux
ordinaires, le pouvoir exécutif dont Richelieu est le chef se réservait,
comme on l'a vu, de créer pour les besoins de ses causes des juges
extraordinaires, taillés à la mesure des accusés ; ces simulacres de
procédures témoignent encore de quelque respect pour le droit et pour
l'opinion. Mais par l'emprisonnement sans forme de
procès de quelques-uns de ses sujets, le Roi Très Chrétien portait
atteinte à la dignité de tout son peuple. Aussi le premier acte de la haine
de ce peuple, au jour de son soulèvement, sera-t-il dirigé contre cette
prison d'État, fût-elle vide, qui symbolisait à ses yeux le bon plaisir et
non la justice.
FIN DE L’OUVRAGE
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